Intervention de Manon Fillonneau

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 14h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Manon Fillonneau, déléguée générale du Collectif national Droits de l'Homme Romeurope :

Merci beaucoup de me donner l'occasion de prendre la parole. Nous ne nous extirperons pas vraiment des situations individuelles et locales puisque les propos d'Andrei et Ana reflètent une réalité, vécue dans d'autres bidonvilles à Lille, Nantes, Marseille, etc.

Le collectif Romeurope réunit 48 associations, qu'elles soient nationales, locales ou sous forme de collectifs locaux. Ces associations sont mobilisées auprès des personnes vivant en squat, en bidonville ou en hôtel social, principalement originaires d'Europe de l'Est. Je parlerai des personnes contraintes de vivre dans des habitats de fortune, dans des baraques en bidonvilles ou dans des squats d'immeubles vacants. Les membres du collectif agissent plutôt auprès des personnes roumaines et bulgares d'origine rom mais la réalité des squats et des bidonvilles en France est bien plus diverse. Des personnes sont originaires du Moyen-Orient, d'Afrique de l'Est, d'Afrique de l'Ouest, des Comores, du Brésil, de France, que ce soit à Toulouse, à Mamoudzou, à Calais, à Nantes ou à Cayenne. Les personnes dont je vous parlerai font aussi partie de la jeunesse française ; la population en bidonvilles est en effet composée d'un tiers de mineurs. La moyenne d'âge des adultes est également très jeune. Si les statuts administratifs et les situations individuelles et familiales sont très différents, les conditions de vie des personnes ont été identiques pendant la crise sanitaire. Le premier enseignement à tirer de cette crise sanitaire est que la meilleure façon de se protéger de ses conséquences consiste à posséder un toit et des revenus stables. À défaut, la survie face au coronavirus est extrêmement difficile. Les mesures de confinement ont frappé durement les habitants des bidonvilles, déjà précarisés par des années d'expulsion et de grande précarité. L'arrêt instantané des activités génératrices de revenus, que ce soit la ferraille, la récupération de métaux, le recyclage et parfois la mendicité, a été une catastrophe, ayant généré encore plus de pauvreté et une situation humanitaire très préoccupante.

Je vous parlerai de l'aide alimentaire et de la santé, pour finir par la question de l'insertion et de la résorption des bidonvilles. Sur le plan de l'aide alimentaire, des éléments positifs ont été constatés. Dans la plupart des territoires, la distribution alimentaire et celle de chèques services ont été plutôt bien coordonnées, grâce à un financement de l'Etat en particulier. La distribution de chèques services, financée en partie par la Délégation interministérielle à l'hébergement et au logement (DIHAL), n'a pas repris avec ce deuxième confinement. La première recommandation du collectif Romeurope est que cette mesure soit activée à chaque restriction dans les déplacements, qui représente un signe drastique de chute de revenus. L'attestation dérogatoire de déplacement est en effet compliquée à obtenir pour ces activités informelles. En conséquence, les gens perdent des revenus et ont faim. Les enfants n'ont plus de lait, de couches, etc. Avant la crise sanitaire, nous ne fournissions pas d'aide alimentaire. Les gens se débrouillaient toujours par eux-mêmes.

Sur le plan de la santé, nous avons constaté certains aspects positifs, même si le négatif prévaut. Par exemple, lors du premier confinement, des droits à la santé ont été prolongés et ont permis la poursuite d'une couverture maladie, que ce soit l'aide médicale d'Etat ou la couverture universelle. Je ne crois pas que ce soit le cas pour ce deuxième confinement. Des maraudes sanitaires se sont également mises en place, avec des distributions de kits d'hygiène par les associations. Comme Ana en a parlé, un accès à l'eau a en outre commencé à s'organiser, de façon toutefois très disparate selon les lieux de vie. Après plusieurs années à réclamer un accès à l'eau dans les squats et les bidonvilles, nous nous sommes rendu compte que cet accès était possible, dans des délais relativement rapides, pour un coût peu élevé. Des organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires comme Solidarité internationale et Action contre la faim ont apporté des solutions techniques (telles que des citernes d'eau ou des raccordements au système de la ville), permettant à beaucoup de bidonvilles d'être raccordés à l'eau, même si cela ne s'est pas toujours fait dans les standards.

Sur le plan plus négatif, dès la fin de la trêve hivernale, qui a été prolongée jusqu'au 10 juillet, une vague d'expulsions de lieux de vie informels s'est produite, que nous avons recensée avec d'autres associations dans l'observatoire des expulsions collectives de lieux de vie informels. Nous en avons compté 295 entre le 10 juillet et le 31 octobre, date de la nouvelle trêve hivernale. Ces expulsions ont généré un brassage des populations, malvenu sur le plan sanitaire. 90 % ont concerné des lieux de vie où vivaient des enfants. Les relogements ou les mises à l'abri n'ont pas été suffisants. Des lieux de vie raccordés à l'eau ont été expulsés. Or nous le savons tous, toute expulsion génère un nouveau bidonville, où il faut « recommencer à zéro », notamment pour l'accès à l'eau.

Nos recommandations sur ce volet de la santé et des conditions de vie sont de demander au plus haut niveau de l'État, sans équivoque, et à toutes les collectivités concernées qu'un accès à l'eau soit organisé partout, avant la fin de l'année. Dans le contexte sanitaire actuel, il n'est pas possible de respecter les gestes barrières en l'absence d'eau. Il s'agit autant d'une question de dignité que de santé publique. Par ailleurs, la médiation en santé est précieuse pour permettre d'expliquer les gestes barrières et faire en sorte que les personnes ne rompent pas leur suivi de santé, alors que la plupart ont une situation de santé très fragile. Nous demandons évidemment, au nom de la santé publique et de l'intérêt public, d'arrêter les expulsions pendant toute la durée de la crise sanitaire. Nous souhaitons envoyer un message fort à ce sujet. Nous possédons des alertes très concrètes d'expulsions pouvant avoir lieu en Seine-et-Marne, à Toulouse, dans le Val-de-Marne et ailleurs. Cela nous paraît aussi dangereux qu'irresponsable pour les personnes concernées, leurs voisins et la population générale. Nous sommes en pleine trêve hivernale mais juridiquement, les expulsions sont encore possibles pour certains lieux, bidonvilles et squats.

Je ne reviendrai pas sur la scolarisation puisqu'Ana et Andrei ont largement évoqué la fracture numérique, le risque de décrochage scolaire et le rôle précieux de la médiation scolaire.

Je voudrais donc terminer par la question de l'insertion. J'utilise ce terme plutôt qu'intégration. La résorption des bidonvilles reste un objectif fixé par le Gouvernement. Un cap doit être tenu et il importe d'avancer sur cette question. Nous sommes contre les expulsions mais également contre les bidonvilles et le fait de laisser vivre des personnes dans des conditions de vie aussi indignes. Sur le plan de l'insertion, le confinement a rendu compliqué un certain nombre d'accès aux droits, les lieux de domiciliation notamment, qui constituent pourtant le début de toute démarche d'insertion. Il faut en effet avoir accès à une adresse pour signer un contrat de travail, avoir accès à la santé, etc. L'accès est également plus difficile pour les travailleuses et travailleurs sociaux, qui ne répondent plus que par téléphone aujourd'hui. Or nous parlons de personnes éloignées de tout le système du droit commun. Sur ce sujet, nos recommandations portent sur le renforcement de l'investissement dans des projets vertueux de résorption des bidonvilles. Huit millions d'euros sont d'ores et déjà disponibles auprès de la DIHAL pour de tels projets. Avec du temps et des investissements, les projets fonctionnent. Des dizaines de jeunes adultes, dans cette table ronde et ailleurs, ont vécu dans des bidonvilles et se retrouvent aujourd'hui dans un appartement. Ils ont vécu pendant des années avec une injonction à l'insertion, en dépit d'un chemin semé d'embûches – expulsion tous les six mois, scolarisation en dents de scie, etc. Pour autant, dans tous les territoires, des gens redeviennent « invisibles », ils n'habitent plus dans des bidonvilles, ils ne sont plus étiquetés « Roms », ils vivent dans un appartement et s'en sortent très bien. Il importe pour ce faire de donner une vraie place aux personnes concernées par ces projets d'insertion car eux seuls ont les clés pour s'en sortir, afin notamment de co-construire les politiques qui les concernent. Il est beaucoup question de la participation des premiers concernés dans la construction des politiques publiques mais la mise en œuvre prend du temps.

En conclusion, cette crise sanitaire doit permettre de rappeler que des enfants, des jeunes et leurs parents vivent dans une situation d'extrême précarité en France, au sein de bidonvilles, qu'ils ne doivent plus vivre sans accès à l'eau mais également sans accès à l'école et à la santé. Investir aujourd'hui dans un accès au logement est primordial pour construire une nouvelle génération de jeunes, n'ayant pas connu qu'une vie en bidonville et en squat.

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