Intervention de Ana Maria Stuparu

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 14h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Ana Maria Stuparu, lycéenne et co-fondatrice du Collectif #EcolePourTous :

Je remercie l'Assemblée nationale et Mme la présidente de la commission de m'avoir invitée à m'exprimer aujourd'hui en tant que jeune ayant vécu dans une situation d'extrême précarité pendant la pandémie, et à formuler des solutions. C'est tellement rare que les premiers concernés soient entendus que je tenais à le souligner.

J'ai 18 ans, je suis rom roumaine, je suis arrivée en France en juillet 2017 avec ma mère et mon frère. Nous n'avons pas eu d'autre choix, à notre arrivée, que d'habiter dans un bidonville. J'ai attendu cinq mois afin d'obtenir la domiciliation nécessaire pour m'inscrire à l'école. Jusqu'à la rentrée de septembre 2020, c'est-à-dire pendant la période du premier confinement et les mois qui ont suivi, j'ai vécu en bidonville. J'habite désormais dans un centre d'hébergement d'urgence à Montrouge avec ma famille. Je suis en terminale et je prépare mon baccalauréat sciences et technologies de la santé et du social. Je suis également cofondatrice et membre actif du collectif #EcolePourTous, qui regroupe des mineurs isolés, des enfants, jeunes et parents vivant en bidonvilles, squats et hôtels sociaux, des gens du voyage, des jeunes de Guyane et de Mayotte, qui ont tous rencontré des difficultés pour accéder à l'école en France.

Nous avons décidé de créer ce collectif pour porter la voix et le combat des 5 000 enfants et jeunes de la République encore exclus de l'école. C'est avec ce collectif que j'ai eu l'occasion de vous rencontrer, Sandrine Mörch, et que nous avons commencé à travailler ensemble pour résoudre ce problème. Je tiens à vous remercier pour votre soutien et votre engagement à nos côtés.

J'aimerais raconter mon propre vécu pendant le confinement, et également celui des personnes autour de moi. J'habitais dans un bidonville à Anthony. Nous étions environ 150 personnes sur le terrain, dont 50 enfants, pour la majorité scolarisés comme mon frère et moi. Avant le confinement, les conditions de vie étaient déjà très difficiles. Je vivais dans une baraque avec ma mère et mon frère. Nous n'avions pas d'eau courante. La seule source d'eau était une borne incendie devant le terrain, à laquelle tous les habitants devaient s'approvisionner. L'accès au courant électrique était aussi aléatoire. Même avant le confinement, j'ai toujours rencontré des difficultés à travailler mes cours à la « maison » car nous étions trois personnes dans la même pièce, qui servait à la fois de cuisine, de séjour et de salle de bain. J'essayais au maximum de faire mes devoirs au lycée et d'être très concentrée pour assimiler les informations dont j'avais besoin. La situation était similaire pour les autres enfants du terrain mais malgré ces conditions, nous nous accrochions pour réussir à l'école.

Lorsque le confinement est arrivé, la situation s'est lourdement aggravée pour nous. À l'annonce du confinement, les habitants du terrain ont été saisis de panique face au contexte anxiogène de pandémie. Nous ne comprenions pas la situation. Environ la moitié des familles ont décidé de repartir en Roumanie pour se protéger. Leurs enfants ont donc arrêté l'école. Quelques jours plus tard, les bénévoles sont venus apporter des attestations de déplacement traduites. Ils ont expliqué les mesures et la situation actuelle, ce qui a permis d'apaiser un peu la panique. Ceux qui sont restés sur le terrain, comme nous, n'avaient plus aucune source de revenus. Ma mère, qui avait enfin trouvé un travail, n'a pas pu le commencer et ne l'a démarré qu'en juillet. Nous étions donc dépendants de l'aide alimentaire mise en place par les bénévoles de Romeurope. Des colis alimentaires et des produits d'hygiène étaient distribués toutes les semaines. Comme la distribution avait lieu un jour de semaine, à l'entrée du terrain en matinée, et qu'il fallait faire la queue pour y accéder, je devais choisir entre aller chercher les colis et suivre les cours en ligne. Ma mère étant immobilisée pour un problème de santé, mon frère et moi devions nous en occuper. J'ai raté beaucoup de cours pour cette raison. L'accès à l'eau devenait critique en cette période de pandémie alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise que chaque personne puisse accéder à 60 litres d'eau par jour, ce qui n'était clairement pas le cas chez nous.

En ce qui concerne plus particulièrement la continuité pédagogique, comme tous les enfants du bidonville, je ne disposais ni d'ordinateur ni de connexion Internet ni d'imprimante. Mon lycée m'avait fourni une tablette en début d'année pour remplacer les manuels mais elle « buggait » souvent et n'était pas adaptée pour suivre les cours. Je me débrouillais avec mon téléphone quand la 4G était disponible. Beaucoup d'enfants du terrain, plus petits que moi, n'avaient pas de téléphone et leurs parents n'avaient pas de smartphone pour leur permettre d'accéder aux cours en ligne. Les professeurs qui connaissaient ma situation envoyaient mes cours imprimés à une bénévole, qui me les apportaient sur le terrain. Ils ne pouvaient pas me les envoyer directement en l'absence de boîte aux lettres dans le bidonville. Je ne pouvais pas aller les chercher au centre communal d'action sociale (CCAS), adresse de ma domiciliation administrative, à cause de l'interdiction de déplacement pendant le confinement. Pour tous les autres enfants du terrain, aucun soutien scolaire n'a été mis en place. Presque 100 % d'entre eux ont décroché pendant le confinement. J'étais la seule encore en contact avec mon établissement scolaire. À la fin du confinement, les bénévoles de Romeurope ont distribué des cartes SIM et des tablettes, d'une grande d'aide bien qu'elles soient arrivées un peu tardivement.

À la fin du confinement, lorsque la situation est apparue un peu moins dangereuse, les familles parties en Roumanie sont revenues sur le terrain mais elles ont rencontré des difficultés pour que leurs enfants puissent reprendre les cours. Elles ont dû renouveler les inscriptions scolaires car la majorité avait été radiée avec leur départ en Roumanie et leur domiciliation n'était plus valable.

Heureusement pour mon frère et moi, nous avons eu la chance de déménager à la rentrée. Nous passons ce deuxième confinement dans de meilleures conditions, ce qui permet de rattraper le retard accumulé et de poursuivre notre parcours scolaire avec de bons résultats. Malheureusement, ce n'est pas le cas pour tous les autres enfants, qui vivent toujours en bidonville, en squat ou en aire d'accueil, et qui seront à nouveau confrontés à ces difficultés, sans grande chance de s'en sortir si des mesures adaptées ne sont pas mises en place rapidement.

Ces mesures pourraient être par exemple le développement de la médiation scolaire, qui permettrait de conserver le lien entre les enfants et leur établissement scolaire. C'est ce qu'a fait une de mes amies Alicia, médiatrice scolaire, qui travaille avec des enfants en très grande précarité. Au sein de notre collectif, le développement de la médiation scolaire a été un de nos combats principaux depuis le début. Il a abouti à la création de 33 places de médiateurs scolaires. Lorsque les enfants ont été aidés par des médiateurs scolaires, ils ont réussi à s'en sortir. Il serait également bon de permettre à tous ces enfants d'accéder à une connexion Internet et à un ordinateur ou une tablette, pour pouvoir suivre les cours en ligne.

Je vous remercie de m'avoir écouté et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions et participer, si vous le jugez nécessaire, à la conception de solutions pour résoudre ces problèmes.

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