Intervention de Hervé Lecomte

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 15h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Hervé Lecomte, membre du Réseau éducation sans frontières (RESF) :

Je remercie les membres de la commission d'avoir fait une place aux mineurs non accompagnés dans la question de la crise sanitaire et de la jeunesse, cette population étant parmi les plus vulnérables. La crise sanitaire a décuplé les difficultés qu'ils rencontraient déjà auparavant. Elle les a sans doute également mises en lumière, si cela était nécessaire, en exposant les défaillances de la prise en charge. Dans le cadre de mon intervention, je m'appuierai essentiellement sur le constat qui a été fait dans le département des Hauts-de-Seine. Il s'agit d'un département que je connais bien et dont la situation est, me semble-t-il, représentative de ceux qui accueillent le plus de mineurs isolés étrangers. Ce département est d'autant plus intéressant qu'il ne peut se cacher derrière des problèmes financiers pour expliquer les difficultés de prise en charge, comme c'est parfois le cas. Je vais revenir sur la période de confinement et la manière dont celle-ci a pu être vécue par les jeunes que nous accompagnons.

En ce qui concerne les nouveaux arrivants, les Hauts-de-Seine font partie des départements dans lesquels la cellule MNA a d'abord totalement fermé. Durant cette période, il était donc impossible d'être reçu et mis à l'abri. Suite à l'intervention des associations et à une réorganisation probablement nécessaire, elle a fini par rouvrir. En revanche, nous avons été surpris de l'interruption d'activité du tribunal pour enfants de Nanterre. Nous avions compris qu'en cas d'urgence, il serait possible d'accéder au tribunal et que des audiences pourraient avoir lieu, ou que des jugements pourraient se tenir sans audience pour répondre à l'urgence des situations. En réalité, la prise en charge par l'ASE et le placement à l'ASE des MNA n'ont pas été considérés comme une urgence alors que des mineurs étaient à la rue. Ce seul fait nous semblait pourtant suffire à caractériser l'urgence de la situation. Dans ce contexte, les collectifs de citoyens et d'associations ont donc été amenés à prendre en charge financièrement les nouveaux arrivants en nuitées d'hôtel, grâce à des dons collectés auprès de citoyens, ce qui a permis à quelques mineurs isolés d'éviter la rue. Nous avions interpellé la préfecture sur cette situation mais n'avons obtenu aucun retour, pas même un accusé de réception. Pour les mineurs déjà pris en charge dans les Hauts-de-Seine, une partie d'entre eux a été transférée vers des associations qui assurent un suivi socio-éducatif satisfaisant, prouvant au passage que cela est possible quand on s'en donne les moyens. En revanche, pour les « mineurs des hôtels » - ceux qui ont été purement et simplement laissés à l'abandon dans des chambres d'hôtel -, la situation est rapidement devenue catastrophique. Toutes les difficultés surmontées d'ordinaire lorsque le jeune est scolarisé, qu'il a la possibilité de sortir, de rencontrer des associations, d'accéder à des activités de loisir, ne pouvaient plus l'être en raison de l'enfermement qu'ils ont vécu, et ce dans un cadre très souvent insalubre. En effet, les hôtels dans lesquels les mineurs isolés ont été placés dans les Hauts-de-Seine étaient souvent insalubres, avec des chambres infestées d'insectes, pas de savon, pas de lessive pour laver les vêtements, des carences en termes de nourriture, pas d'ordinateur ou de tablette numérique ni de connexion permettant de bénéficier de la continuité pédagogique pour ceux qui étaient scolarisés. Une campagne de distribution de tablettes numériques a été lancée par le département des Hauts-de-Seine, à grand renfort de communication, mais elles ne sont pas arrivées jusqu'à eux. Les jeunes que nous suivons et qui nous donnaient des nouvelles n'en ont pas bénéficié.

Par ailleurs, pour ceux qui ont eu des soucis de santé durant la période, beaucoup n'ont pas pu accéder aux services de santé en l'absence d'un adulte référent pour les accompagner aux rendez-vous médicaux. Les mineurs des hôtels n'ont pas d'éducateur mais un référent symbolique qui n'a pas les moyens de faire ce type d'accompagnement. Cette situation n'a pas été sans conséquence sur la santé mentale de certains mineurs, dont ceux qui ont été contraints par les gérants d'hôtel à rester dans leur chambre et qui n'avaient pas le droit d'en sortir sauf pour prendre leurs repas. Durant le confinement, ils ont passé de très longues journées enfermés dans leur chambre, sans quasiment aucun contact avec l'ASE qui n'a pas informé les jeunes sur la situation, les décisions qui étaient prises, les gestes barrières, la nécessité de prendre soin de soi et des autres. Il y a eu peu voire pas de contact entre les jeunes et les référents de la cellule MNA de Nanterre.

Comme cela a été indiqué précédemment, cette période de confinement a provoqué le gel de l'ensemble des démarches : pour obtenir les passeports, les cartes consulaires, légaliser les actes de naissance, être scolarisé (via les évaluations du CIO) ou chercher un contrat d'apprentissage, les centres de formation d'apprentis (CFA) étant fermés et les employeurs potentiels peu disponibles. Il avait été dit qu'on tiendrait compte de cette période de gel des démarches pour juger de la possibilité d'obtenir un contrat jeune majeur pour ceux qui deviendraient majeurs en 2020. Malheureusement, cela n'a pas eu lieu. Des prolongations de quelques semaines seulement ont été accordées. Un maintien des jeunes dans la protection de l'ASE a été opéré jusqu'à mi-juillet, après quoi nous nous sommes retrouvés – et nous en sommes toujours là – avec une vingtaine de très jeunes majeurs (18 ans) à la rue, alors qu'ils sont apprentis et lycéens. Je tiens d'ailleurs à insister sur le courage et la persévérance de ces jeunes qui, malgré les conditions qu'ils ont subies, ont réussi pour la plupart, et malgré les congés d'été, à trouver des contrats d'apprentissage une fois le confinement terminé ou à poursuivre leur formation. Malgré cela, après les avoir gardés deux ou trois semaines, le département des Hauts-de-Seine a décidé de les remettre à la rue. Dans ce contexte, l'incapacité d'obtenir un simple rendez-vous en préfecture pour déposer un dossier a contribué à empirer les situations. Le déconfinement a eu lieu le 11 mai mais il a fallu attendre le 15 juin, par exemple, pour accéder de nouveau à des rendez-vous sur internet pour la mission exceptionnelle de séjour des jeunes pris en charge après 16 ans à la préfecture de Nanterre. Le nombre de rendez-vous étant très insuffisant, certains jeunes ont dépassé 19 ans sans avoir la possibilité de déposer un dossier en préfecture et d'obtenir une régularisation alors qu'ils satisfaisaient à tous les critères. Cette situation de blocage perdure actuellement. Les délais pour obtenir des rendez-vous sont totalement impossibles et l'attitude de la Préfecture est devenue très rigide. Les jeunes perdent leurs contrats d'apprentissage car les employeurs ne peuvent attendre indéfiniment. Les renouvellements d'autorisation de travail sont impossibles dès lors que le jeune est devenu majeur. Si des marges de manœuvre existent dans certaines préfectures ou dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), ce n'est pas le cas dans les Hauts-de-Seine. Dès que le jeune a 18 ans, s'il n'a pu avoir un rendez-vous en préfecture pour obtenir un titre de séjour, il lui est impossible d'obtenir le renouvellement de son autorisation de travail. Certains jeunes sont contraints d'abandonner leur formation entre la première et la deuxième année. Je confirme également les difficultés de renouvellement pour ceux qui ont des titres « travailleurs temporaires et salariés ». Nous avons appelé les préfectures à la bienveillance dans l'examen des situations mais cette bienveillance, pourtant encouragée au travers des circulaires, n'existe pas. Nous craignons que de nombreux jeunes perdent le titre de séjour qu'ils ont obtenu un an plus tôt, faute de pouvoir obtenir un nouveau contrat ou une inscription à Pôle Emploi.

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