Intervention de Aurélie Guitton

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 15h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Aurélie Guitton, coordinatrice de l'association InfoMIE :

Non, car le seul chiffre fiable documenté dont dispose InfoMIE est le chiffre de la mission MMNA du ministère de la justice sur le nombre de décisions de justice aboutissant à confier un mineur isolé à l'ASE. Nous nous heurtons aujourd'hui à de grandes difficultés pour connaître de manière officielle, fiable et vérifiable le nombre d'évaluations réalisées, auquel nous n'avons pas accès en tant que donnée publique. Nous n'avons pas non plus accès au « taux de reconnaissance » par les magistrats en première instance puis en appel. Ces statistiques ne sont pas élaborées car elles nécessiteraient de suivre le dossier d'un mineur pendant environ deux ans, soit le temps du recours devant le juge des enfants puis devant la Cour d'appel. À l'heure actuelle, un tel suivi n'est pas réalisé. Les chiffres de l'ASE relatifs aux mesures de protection prononcées par les juges, issus de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS) et de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DRESS), sont par ailleurs produits avec un décalage de deux ans. Ainsi, nous avons seulement accès, en 2020, aux chiffres du nombre total de placements judiciaires sur l'année 2017. Ce décalage considérable illustre la difficulté d'obtenir des statistiques. Le seul chiffre dont nous disposons aujourd'hui est celui de la mission MNA, publié sur le site internet du Ministère de la Justice. En revanche, nous avons accès à d'autres indicateurs. Les avocats d'enfants tiennent, par exemple, des statistiques par barreau. Ces données sont axées uniquement sur les recours qu'ils suivent en tant que conseils de mineurs, ce qui suppose au préalable que le mineur ait connaissance qu'il peut saisir le juge des enfants. L'Antenne des Mineurs du Barreau de Paris avait présenté ces statistiques devant la mission bipartite de réflexion sur les mineurs non accompagnés, mandatée en 2017 par le Premier Ministre et le Président de l'Assemblée des départements de France (ADF). Elle avait expliqué qu'un dossier sur deux était repris par le juge des enfants et qu'un dossier sur deux était envoyé en Cour d'appel. Ces chiffres illustrent la temporisation qui s'opère sur la question des évaluations de minorité.

L'entrée en protection de l'enfance est déterminante, nous l'avons vu, puisqu'elle déclenche l'accès aux droits et notamment au droit de séjour. Au-delà de cette première étape, je voudrais vous confier les difficultés que nous avons observées en ce qui concerne les mineurs isolés confiés sur décision judiciaire à l'ASE, autrement dit les mineurs qui étaient pris en charge par les départements. Tout d'abord, nous avons observé un gel des orientations nationales par la mission jusqu'au 29 juin 2020. Les mineurs confiés sur décision de justice mais en attente d'orientation vers un autre département ont été maintenus dans des dispositifs d'APU. Durant cette période, ils n'ont pas été véritablement pris en charge et ont bénéficié d'un moindre accompagnement socio-éducatif (scolarité, bilan de santé, etc.). La prise en charge des mineurs s'est donc faite « en pointillé » le temps que ceux-ci soient orientés. Ensuite, et ce point a été abordé notamment par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis tout à l'heure, nous avons identifié des difficultés concernant les mineurs et jeunes majeurs qui étaient placés dans des dispositifs dits de semi-autonomie ou d'autonomie, autrement dit en hôtel ou en appartement partagé. En temps normal, ces dispositifs proposent une prise en charge éducative beaucoup plus légère qu'un placement collectif ou un placement auprès d'un assistant familial. Le seul contact de ces jeunes avec l'extérieur passe souvent par la scolarité ; or, durant le confinement, ils ont été coupés de l'environnement scolaire et, plus largement, de l'environnement éducatif. Force est de constater que la continuité scolaire n'a pu être assurée. Les jeunes en hôtel n'avaient pas nécessairement accès à une connexion internet ni à un ordinateur pour faire leurs devoirs. Au-delà de cette incapacité à garantir un accompagnement éducatif de qualité durant la période, d'autres problèmes se sont ajoutés pour ces jeunes dans certains départements. Eu égard à la restriction des déplacements autorisés, certains nous ont confié une difficulté à accéder aux repas ou au pécule qui leur sont ordinairement distribués. Il était apparemment question que cette situation soit résolue en l'espace d'une semaine mais elle s'est prolongée au-delà. Ainsi, certains jeunes nous ont rapporté que, durant le premier mois de confinement, ils ne pouvaient pas faire trois repas par jour. J'ose espérer que cette situation n'a concerné qu'une infime partie de ces mineurs ou jeunes majeurs. Cette réalité doit être prise en compte et permettre d'anticiper en prévision du prochain confinement, d'autant plus que les dispositifs de semi-autonomie ou d'autonomie ne changeront pas. L'encadrement éducatif est, par défaut, très léger dans ces dispositifs.

S'agissant de cette prise en charge par l'ASE, les difficultés communes remontées par les travailleurs sociaux (quel que soit le dispositif de placement) et qui, aujourd'hui, continuent à produire des effets juridiques, sont diverses. Pour les mineurs isolés ou les jeunes majeurs qui n'étaient pas scolarisés avant le confinement, l'état d'urgence sanitaire a mis les équipes dans l'impossibilité d'avancer sur leurs dossiers. Or, l'accès au séjour des mineurs isolés est conditionné non seulement par leur prise en charge par la protection de l'enfance, mais aussi par le suivi d'une formation qualifiante, notamment pour les jeunes qui arrivent tardivement en protection de l'enfance. Certains jeunes ont traversé une année scolaire vierge. Par ailleurs, nous avons été dans l'impossibilité de travailler sur la reconstitution de l'état civil puisque les ambassades étaient fermées. Or, toute équipe éducative qui suit correctement un mineur sait pertinemment que, pour anticiper l'accès au séjour, il faut anticiper ces questions de documents d'état civil ; certains mineurs doivent être accompagnés à l'ambassade, que ce soit pour légaliser des documents quand c'est nécessaire ou pour essayer de reconstituer une carte consulaire, un passeport, etc. En l'occurrence, ce n'était pas possible. Cela a mis en difficulté des dossiers. Un autre problème concernait les autorisations provisoires de travail (APT) pour les jeunes en apprentissage. Cette autorisation est accordée de droit pour tout mineur isolé souhaitant entrer en apprentissage mais la continuité de cette autorisation se pose à partir de 18 ans. Si nous avons pu nous satisfaire de textes adoptés concernant la prorogation de titres de séjour, de récépissés, ou de l'attestation de demande d'asile, la situation s'est révélée plus complexe pour l'obtention des APT. Nous avons dû aller au contentieux pour démontrer que l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-306 concernait les APT et que celles-ci pouvaient être prorogées de plein droit dans un délai de trois mois à l'issue de la fin de la période juridiquement protégée. Cette démarche n'était pas évidente.

Ensuite, des questions se sont posées concernant l'accès au séjour, mais là je voudrais dissocier les premières demandes de titre de séjour des questions de renouvellement. Sur les premières demandes, hors demande d'asile, les mineurs isolés ont trois voies réservées d'accès au séjour lors de leur arrivée en France. Elles sont conditionnées par l'âge qu'ils ont lorsqu'ils rentrent en protection de l'enfance. Un mineur isolé pris en charge avant l'âge de 15 ans en protection de l'enfance, et qui justifie de trois ans révolus de prise en charge, peut effectuer ce qu'on appelle une « déclaration de nationalité » (article 21- 12 du code civil). Un mineur isolé pris en charge avant l'âge de 16 ans, s'il suit de manière réelle et sérieuse une formation, peut avoir accès de plein droit à un titre de séjour « vie privée et familiale ». Enfin, les jeunes qui sont pris en charge après l'âge de 16 ans ne justifient pas d'un accès de plein droit au séjour. Ils bénéficient d'une disposition qui leur permet une admission exceptionnelle au séjour à condition de justifier de 6 mois de formation qualifiante (article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile). Des délais sont fixés pour déposer ces demandes de titre de séjour ou pour effectuer ces déclarations de nationalité. La déclaration de nationalité doit se faire avant 18 ans. La demande de titre de séjour, que ce soit un titre « vie privée familiale » ou « salarié travailleur temporaire », doit se faire avant l'âge de 19 ans.

Or, le 17 mars 2020, les préfectures ont été fermées, le sont longtemps restées et les réouvertures ont pris du temps. La formation est primordiale mais même pour les meilleurs dossiers, ceux dans lesquels une formation était prévue, nous avons eu des problèmes d'accès aux préfectures et aux ambassades pour obtenir des documents d'état civil. L'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, et notamment son article 2, prévoyait une prolongation des délais. Nous avions jusqu'au 24 août 2020 pour introduire les premières demandes de titres de séjour. Passée cette date, la déclaration de nationalité ou la demande de titre de séjour n'était pas réputée être déposée dans les temps. Nous disposions donc d'une petite marge de temps mais, et cela a été mentionné par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis et par celui de la Loire-Atlantique, les associations comme la LDH, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), la Cimade, ont alerté le 24 juin 2020 sur le fait que les procédures de réouverture des préfectures prenaient trop de temps, que les procédures dématérialisées de prise de rendez-vous n'étaient pas efficientes et qu'il n'y avait aucune file prioritaire pour les mineurs isolés. Aujourd'hui, des jeunes qui ont été confiés à l'ASE avant ou après l'âge de 16 ans n'ont pas pu déposer leur demande de titre de séjour avant leurs 19 ans ou avant le 24 août 2020. À ce jour, des situations ne sont pas réglées et des déclarations de nationalité ont été manquées parce que non déposées dans les temps. Pour faire une déclaration de nationalité française, il faut avoir un acte de naissance original et le faire légaliser, ce qui est impossible dans un contexte de fermeture des autorités compétentes. On voit poindre ce problème pour le deuxième confinement. La question qui nous interpelle surtout est celle des renouvellements de titre de séjour pour les jeunes majeurs isolés (anciens mineurs isolés), surtout celles et ceux qui relèvent de la mission exceptionnelle au séjour (article L 313-15) et qui ont obtenu un premier titre de séjour en tant que salarié ou travailleur temporaire. Pour le renouveler, il faut présenter un contrat de travail ; or, nous voyons aujourd'hui toute une génération de mineurs isolés travaillant dans des secteurs qui ferment (restauration, vente, etc.) et qui rencontrent des difficultés pour signer un contrat de travail ou demander un renouvellement. Dans ce contexte, nous prévoyons une vague de jeunes qui ne seront pas en capacité de renouveler leur titre de séjour, en dépit des efforts engagés par les équipes éducatives.

Je conclurai en évoquant la question des aides provisoires pour les jeunes majeurs. L'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles prévoit, pour tout jeune de moins de 21 ans éprouvant des difficultés faute de ressources familiales et de ressources financières suffisantes, la possibilité de demander au président du conseil départemental de poursuivre sa prise en charge à l'ASE. C'est ce que l'on nomme les « contrats jeune majeur ». En temps normal, on observe malheureusement depuis de nombreuses années que, soit les mineurs isolés ne sont pas informés de cette possibilité, soit on leur octroie des aides provisoires jeune majeur de courte durée. La rupture de prise en charge en cours d'année scolaire ou universitaire engagée a été interdite en 2016 (article L. 222-5), mais cette disposition n'est pas respectée. En période de Covid-19, nous avons été témoins des premières sorties sèches avant même le délai légal imposé par les ordonnances, donc à partir du 11 mai. Certains départements lient par ailleurs la question du contrat jeune majeur à la question d'accès au séjour. Pourtant, légalement, il n'y a aucune condition de séjour pour obtenir un contrat jeune majeur. Malgré cela, nous avons observé une vague de jeunes sans contrat jeune majeur ni titre de séjour, qui étaient pris en charge pendant le premier confinement et ont expérimenté une rupture de prise en charge en cours d'année scolaire ou universitaire. Nous redoutons de voir cette situation perdurer durant le deuxième confinement au vu des difficultés de ces jeunes de trouver, dans le contexte actuel, des contrats d'apprentissage et des formations qualifiantes.

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