Jeudi 2 mars 2023
La séance est ouverte à 9 heures 07.
(Présidence de M. Benjamin Haddad, président de la commission)
La commission auditionne M. Harry Davies, journaliste au quotidien The Guardian , membre du consortium international des journalistes d'investigation et chef de file sur le dossier Uber files.
Merci, monsieur Davies, de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions.
La création de notre commission d'enquête fait suite aux révélations du journal The Guardian sur les Uber files dont vous êtes à l'origine, au travers du consortium international des journalistes d'investigation ( International Consortium of Investigative Journalists – ICIJ) en juillet 2022.
S'appuyant sur 124 000 documents internes à Uber, datés de 2013 à 2017, votre enquête a dénoncé un lobbying agressif de cette entreprise américaine pour s'implanter en France et dans d'autres pays européens, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personnes qui était réservé jusqu'alors aux taxis.
Dans ce contexte, notre commission d'enquête a deux objectifs : identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour pouvoir s'implanter en France, le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d'intérêts. Cette commission a également pour ambition d'évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle Uber (l'ubérisation) en France, et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.
Dans la mesure où vous êtes à l'origine de la création de notre commission d'enquête, il nous a paru important de vous entendre, afin que vous puissiez nous expliquer le fonctionnement du consortium international des journalistes d'investigation et la manière dont vous avez travaillé avec vos collègues français sur le dossier Uber files pour exploiter l'ensemble de ces documents.
Vous pourrez également préciser les éléments que vous avez dénoncés au Royaume-Uni et en Europe afin de nous permettre de comprendre le contexte international et d'identifier les responsabilités chaque acteur.
Il serait aussi intéressant de comprendre si la stratégie de lobbying d'Uber en France est différente de celle mise en œuvre dans d'autres pays européens, comme au Royaume-Uni, et si cette stratégie a toujours fonctionné.
Nous sommes à votre écoute pour connaître les recommandations qu'il vous semblerait nécessaire de mettre en œuvre pour améliorer la transparence dans la relation entre les lobbys et les décideurs politiques, notamment au niveau européen et français.
Les journalistes du journal Le Monde ont mis en avant les modèles britannique ou américain sur la question de la transparence des relations entre entreprises, groupes d'intérêt et décideurs publics. Nous avons un débat sur la traçabilité des amendements par exemple et nous sommes très intéressés de savoir comment cela fonctionne au Royaume-Uni afin de savoir si la France pourrait éventuellement s'inspirer de bonnes pratiques.
Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(M. Harry Davies prête serment).
Je vous apporte mon aide avec un grand plaisir. Je suis Harry Davies, journaliste pour The Guardian, où je pratique du journalisme d'investigation. J'ai travaillé avec un groupe de collègues sur cette enquête reposant sur un grand nombre de documents Uber.
En janvier 2022, nous nous sommes rendus à Genève pour rencontrer une source, confidentielle à l'époque. Notre source disposait d'un grand nombre d'informations et de documents concernant l'installation d'Uber en Europe. Dans les semaines qui ont suivi, nous avons étudié ces documents et nous les avons utilisés pour effectuer des investigations plus larges.
124 000 documents étaient présents, sous diverses formes. Nous avons découvert des informations qui dataient de 2013 à 2017, en provenance d'une quarantaine de pays d'Europe et d'Afrique. Ces informations concernaient notamment les dirigeants de cette entreprise.
The Guardian a décidé de partager ces informations avec l'ICIJ afin de travailler avec d'autres journalistes spécialisés dans ce type d'enquête. L'ICIJ a créé un groupe de journalistes en réseau au sein d'organes tels que le Washington Post, Le Monde ou encore Radio France. Plus de 180 journalistes de nombreux pays ont finalement participé à cette enquête.
Nous nous sommes rendus dans les locaux du journal Le Monde et chez Radio France pour évoquer ce sujet lié à la France et à Emmanuel Macron. Nos collègues du journal Le Monde ont été des partenaires clés et nous ont beaucoup aidés.
Entre avril et juillet de l'année dernière, ce groupe de journalistes a continué à étudier ces documents et à vérifier les diverses sources. Le 10 juillet, nous avons publié le premier reportage sur les Uber files. Différents aspects de cette enquête ont également été publiés les trois jours suivants.
Les Uber files ont montré qu'Uber a trompé les autorités et a enfreint les lois, en mettant en œuvre des pratiques douteuses, voire illégales. Uber a repoussé les frontières des pratiques habituelles de lobbying en utilisant certaines techniques mises en lumière par notre enquête. Pour ce faire, Uber a dépensé 90 millions de dollars en 2015 mais a néanmoins rencontré une certaine résistance. Les documents ont révélé la manière dont les activités de lobbying ont été conduites et nous avons compris que les dirigeants d'Uber sont passés au-dessus des autorités administratives pour établir, à leur avantage, des rapports avec des personnalités de très haut niveau au sein des gouvernements.
Nous avons évoqué la « boîte noire » du lobbying et nous avons compris que les lobbyistes et les politiques ne divulguent pas forcément l'ensemble de leurs activités. De nombreuses rencontres n'ont pas été enregistrées officiellement, notamment celles avec les autorités de transports publics à Londres.
La situation est similaire en France, où Uber a cultivé une relation proche avec Emmanuel Macron lorsqu'il était ministre à Bercy.
En Russie, ces documents ont aussi montré qu'il y avait eu des accords entre les dirigeants d'Uber et des oligarques proches de Vladimir Poutine pour y implanter le modèle Uber.
Ces documents montrent qu'Uber a mis la pression sur les gouvernements pour modifier les législations et installer l'économie des « petits emplois », qui souvent pèsent sur les travailleurs les plus pauvres.
Entre 2014 et 2016, Mark MacGann était lobbyiste pour l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique. Son rôle était de persuader les pays de changer leurs réglementations concernant les taxis. Mark MacGann reconnaît ses erreurs et évoque des remords ; il considère désormais que son devoir est de raconter la véritable histoire d'Uber.
Mark MacGann nous a ainsi fourni ces 124 000 documents et a été une sorte de témoin dans cette affaire. Sa participation a donc principalement consisté à transmettre ces documents.
Uber a tenté de résister à notre investigation mais a tout de même reconnu avoir commis des erreurs par le passé, ce qui confirme que sa stratégie a désormais changé. Uber continue à croître et à fonctionner dans de nombreux pays.
Cette commission pourrait tenter de répondre à la question suivante : que se passe-t-il lorsque les technologies perturbent les systèmes et que les dirigeants de ces entreprises essaient de mettre la pression sur les gouvernements ?
Je souhaite souligner la décision difficile et courageuse prise par Mark MacGann. En tant que journalises, nous dépendons de personnes comme lui pour comprendre le fonctionnement du pouvoir. Si Mark MacGann n'avait pas pris la décision de parler, nous ne serions pas présents aujourd'hui pour évoquer cette affaire.
Qu'en est-il aujourd'hui, au Royaume-Uni, de la relation économique sur le marché entre les VTC, les acteurs comme Uber et les taxis traditionnels (avec les black cabs à Londres) et de l'état de la régulation du secteur par les pouvoirs publics ?
La réglementation au Royaume-Uni est différente de celle en France. Uber s'est établie au Royaume-Uni en 2012. Le Royaume-Uni était potentiellement un marché particulièrement prometteur pour cette entreprise, puisque la filière des taxis n'était pas aussi réglementée qu'en France. Les taxis de type black cabs, traditionnels à Londres, ont bien résisté car les chauffeurs Uber ont dû adopté des modes de travail qui se rapprochent de ceux des chauffeurs de taxis à la suite d'un arrêt de la Cour suprême : Uber a dû mieux traiter ses chauffeurs, qui ont pu bénéficier de plus de droits comme les congés payés, les congés maladie etc.
Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les obligations et les règles pour des décideurs publics britanniques lorsqu'ils interagissent avec des entreprises telles qu'Uber ou des représentants de lobbys ?
Au Royaume-Uni, il existe différentes modalités permettant de prendre connaissance des réunions qui ont été organisées et du type de lobbying effectué. Au titre du code ministériel, les ministres doivent publier des informations sur les réunions qu'ils tiennent avec des personnes étrangères au gouvernement. Ces informations sont publiées sur le site du gouvernement de façon semestrielle. Toutefois, en pratique, l'irrégularité des publications laisse penser que toutes les réunions externes ne sont pas forcément dévoilées.
Par ailleurs, un registre s'applique aux consultants lobbyistes. Cette loi a été adoptée en 2014. À ce titre, les personnes payées pour réaliser des activités de lobbying, les responsables des affaires publiques, doivent publier les informations concernant l'identité de leurs clients. Le lobby s'enregistre auprès d'un organisme statutaire et doit ensuite publier des informations sur l'identité et la nature de ses clients.
Cette procédure a fait l'objet de critiques. En effet, elle concerne uniquement les consultants lobbyistes. Elle ne concerne pas les lobbyistes qui travaillent en interne pour les multinationales, en tant que salariés. En outre, la personne qui dirige l'organisation du registre des consultants lobbyistes a récemment indiqué que davantage d'informations seraient nécessaires, concernant les ministres ayant fait l'objet d'activités de lobbying, les dates des rencontres ou encore les sujets des réunions ; à l'heure actuelle, seule l'identité des clients doit être révélée.
Pouvez-vous nous parler de la réaction politique et médiatique à vos articles au Royaume-Uni ? Ces articles ont-ils entraîné un changement de législation ou un débat sur un éventuel changement ?
La réaction a été relativement limitée puisque nos révélations s'inscrivaient dans la droite ligne de toute une série d'autres révélations sur les lobbys. Au Royaume-Uni, il existait déjà une prise de conscience sur les lacunes et le besoin de réformer le régime du lobbying.
Au cours des 18 derniers mois, d'autres scandales en matière de lobbying ont éclaté au Royaume-Uni. Ce sujet se trouvait donc déjà au cœur des débats publics et notre impact politique a été relativement limité. La direction prise actuellement tend à davantage de transparence. Les mesures à prendre dans ce domaine sont en débat.
En France, les révélations des Uber files ont montré qu'il existait des échanges significatifs entre les dirigeants d'Uber (notamment Travis Kalanick) et le ministre de l'Économie de l'époque, actuellement Président de la République. Ces différents échanges ont donné lieu à un « deal » entre Uber et Emmanuel Macron. Or l'esprit de ce « deal » allait à l'encontre des décisions prises par le gouvernement de l'époque. À votre connaissance, dans l'ensemble des documents Uber files, existe-t-il des preuves de l'impact des lobbys sur les modifications législatives ou réglementaires au Royaume-Uni ?
Uber a pu établir ses opérations de façon assez libre au Royaume-Uni. En 2014 et 2015, l'autorité de transport à Londres ( Transport for London, TFL) et Boris Johnson, maire de Londres à cette époque, étaient de plus en plus préoccupés par la façon dont Uber menait ses opérations dans cette ville.
À la fin de septembre 2015, le TFL a lancé un processus de consultation qui a donné lieu à un certain nombre de propositions pour réglementer l'implantation d'entreprises telles qu'Uber. Cette démarche a abouti à l'adoption de mesures contraignantes pour Uber et son modèle économique.
Les consultations se sont poursuivies jusqu'à mi-janvier 2016. Ces propositions ont fait l'objet de débats et des activités intenses de lobbying ont eu lieu pendant cette période. Boris Johnson a lui-même reconnu avoir fait l'objet d'activités de lobbying de la part de Downing Street, des collaborateurs du Premier ministre et de l'équivalent de Bercy au Royaume-Uni.
À la fin de cette période, en septembre 2016, de nombreuses propositions, qui avaient été mises sur la table et qui n'étaient pas favorables à Uber, n'ont finalement pas été retenues. Des activités de lobbying intenses avaient effectivement été lancées par Uber auprès du cabinet du maire pour s'opposer à ces propositions défavorables à l'entreprise. Toutefois, l'intervention d'Uber pour faire disparaître ces propositions reste tout de même assez floue.
Les révélations des Uber files en France ont montré à quel point Uber, dans le cadre de son activité intense de lobbying, n'a pas hésité parfois à tenter de soudoyer des chauffeurs, voire à les rémunérer pour qu'ils participent à des manifestations et à des mobilisations. Des manipulations de cette sorte ont-elles existé lors de mobilisations opposant les intérêts des taxis aux plateformes au Royaume-Uni ?
Par ailleurs, avez-vous une estimation des revenus mensuels des chauffeurs Uber exerçant sous le statut de workers ? Ces personnes sont rémunérées à la tâche et non pendant les temps d'attente.
Enfin, avez-vous connaissance du volume horaire de ces travailleurs pour accéder à ces rémunérations ? Le statut de workers est finalement relativement proche d'un statut que les plateformes essayent de défendre contre la présomption de salariat retenue par le Parlement européen.
Je n'ai pas d'information allant dans le sens d'une intervention d'Uber dans des manifestations. De nombreuses manifestations des taxis ont eu lieu, ainsi que certaines contre-manifestations mais je n'ai pas de preuve de la participation d'Uber à ces événements.
Concernant les revenus mensuels des chauffeurs, je ne les connais pas. Je ne connais pas non plus le nombre d'heures qu'il faut réaliser pour obtenir un niveau de revenu acceptable.
Nous savons qu'au début de son activité, Uber octroyait des subventions aux chauffeurs. Or, ces subventions ont été réduites avec le temps. Les chauffeurs ont ainsi été obligés de réaliser plus de courses, toutes les heures, pour gagner leur vie correctement. Avec le temps, la position du chauffeur par rapport à l'entreprise est devenue de plus en plus tendue. Je vous rappelle que les documents ne couvrent pas la période actuelle.
Le siège d'Uber est situé en Hollande. Cette entreprise a payé un impôt sur les sociétés extraordinairement faible en France, qui constitue pourtant son deuxième marché après les États-Unis. Uber profite ainsi d'un montage fiscal spécifique, avec une holding aux Bermudes et des systèmes de compensation sur ses licences.
Avez-vous eu connaissance d'un lobbying spécifique en Europe et en France sur ce point, dans les documents que vous avez pu consulter ?
Par ailleurs, avez-vous eu connaissance d'actions de lobbying spécifiques de la part d'Uber afin d'amoindrir les obligations sur le Réglement général sur la protection des données (RGPD) ?
Enfin, il existe dans les cartons de la réglementation européenne des projets de réglementations spécifiques numériques (DSA, DMA) qui ont fait l'objet d'intenses sessions de lobbying, notamment de la part des GAFAM. L'entreprise Uber a-t-elle participé à ces sessions de lobbying pour faire annuler ces projets ou pour les amoindrir dans le but d'éviter des contraintes trop importantes pour son activité ?
La fiscalité n'a pas été un sujet sur lequel je me suis penché, à la différence d'autres collègues de l'ICIJ. La stratégie suivie par Uber consistait à ne pas attirer l'attention sur ses problématiques fiscales.
Concernant le RGPD, je n'ai pas entendu parler d'un lobbying spécifique à ce sujet.
Enfin, le projet de réglementation européenne qui vous évoquez est apparu après la période couverte par les documents que nous avons consultés. Néanmoins, Uber a déjà réalisé des activités de lobbying auprès de la Commission européenne.
Le lobbying plus récent sur les règlements DSA et DMA et les activités de régulation européenne sont des sujets particulièrement intéressants. Il serait d'ailleurs utile de vérifier si les avancées en matière de régulation européenne permettent de répondre à certains des sujets évoqués aujourd'hui. Le thème de la fiscalité sera quant à lui traité plus en profondeur ultérieurement alors que des auditions sont prévues à ce sujet.
La question fiscale est effectivement importante. Nous pouvons constater en France un manquement marqué de l'État sur les questions du code du travail, de la protection sociale (avec la collecte des cotisations sociales) et du contrôle de la fiscalité vis-à-vis des plateformes telles qu'Uber. Des manquements équivalents sont-ils apparus au Royaume-Uni ?
Cette multinationale est arrivée sur notre territoire et a imposé son état de fait à l'État de droit. Elle a par la suite effectué un lobbying pour modifier le droit en sa faveur. L'État, avec ses instruments de contrôle et d'application du droit, aurait pu être plus proactif vis-à-vis de la plateforme. Or ce ne fut pas le cas. Avez-vous pu constater ce même processus au Royaume-Uni ?
Par ailleurs, Mark MacGann, dans ses révélations, met en lumière sa position au cœur des relations de lobbying avec les décideurs de France. L'était-il également au Royaume-Uni ? A-t-il pu avoir accès aux données, avant de vous les transmettre, ou bien pensez-vous qu'il ne jouait pas un rôle aussi important au Royaume-Uni qu'en France ? Peut-être n'a-t-il simplement pas transmis tous les documents en sa possession.
En outre, les Uber files ont confirmé en France qu'Uber n'avait pas hésité à manipuler les médias, en instrumentalisant parfois de « vraies fausses » enquêtes économiques, pour faire croire que l'entreprise créait beaucoup d'emplois. Des agissements équivalents en matière de communication ont-ils été relevés au Royaume-Uni ?
D'autres entreprises ont été au cœur de scandales récents en ce qui concerne le lobbying et les tentatives de modifier les législations. Une entreprise a par exemple embauché David Cameron, l'ancien Premier ministre du Royaume-Uni, pour effectuer du lobbying auprès des membres du gouvernement et dans les bureaux du chancelier.
De nombreux ministres, après avoir quitté leur fonction, ont été recrutés comme conseillers ou membres des conseils d'administration de certaines entreprises.
Par ailleurs, Mark MacGann était responsable de nombreux pays et territoires. Ses équipes travaillaient également au Royaume-Uni et fonctionnaient comme en France. Je ne pense pas que M. MacGann ait caché des informations concernant le Royaume-Uni. Il s'est montré ouvert et direct lorsqu'il a partagé ces documents avec nous.
Enfin, nous avons publié un article sur les accords d'investissement entre Uber et d'autres entreprises, avec notamment un groupe de médias au Royaume-Uni. Ces efforts avaient pour objectif d'influencer les politiques et l'opinion publique. L'entreprise a également développé des relations avec le journal Evening Standard. Cette entreprise disposait de ressources importantes et pouvait ainsi défendre ses positions auprès des médias.
Je souhaite à nouveau vous remercier de votre disponibilité et d'avoir répondu à nos questions.
La commission entend ensuite M. Jérôme Pimot, président du collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP) et M. Edouard Bernasse, secrétaire général du CLAP, Mme Circé Lienart, coordinatrice de la Maison des coursiers, M. Ludovic Rioux, secrétaire général du syndicat CGT Livreurs, M. Moussa Koïta, juriste au sein du syndicat Sud Commerces, et M. Laurent Hily, représentant de la Fédération Nationale des auto-entrepreneurs (FNAE).
Mesdames et messieurs les représentants des livreurs de plateforme, je vous souhaite la bienvenue. Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour répondre à nos questions.
La création de notre commission d'enquête fait suite aux révélations sur les Uber files, au travers du consortium de journalistes d'investigation ( International Consortium of Investigative Journalists – ICIJ) en juillet 2022.
S'appuyant sur 124 000 documents internes à Uber, datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de l'entreprise américaine pour implanter en France et dans d'autres pays européens, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personnes, qui était réservé jusqu'alors aux taxis.
Dans ce contexte, notre commission d'enquête a deux objectifs : identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour pouvoir s'implanter en France, le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d'intérêts. Cette commission a également pour ambition d'évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle Uber (l'ubérisation) en France et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.
Dans la mesure où vous êtes les représentants des livreurs, travaillant pour diverses plateformes d'e-commerce, dont Uber, il nous a paru important de vous entendre pour que vous puissiez nous faire part de la manière dont vous avez perçu ces révélations, et plus largement nous indiquer si ces méthodes de lobbying vous paraissent refléter les pratiques d'autres plateformes de livraison.
Au-delà de ces questions, nous nous intéressons également aux conséquences de l'ubérisation de l'économie. Certains d'entre vous ont créé ou adhéré à des syndicats et des collectifs pour faire valoir les droits des travailleurs. Dans ce cadre, pourriez-vous nous indiquer si vous êtes défenseurs du statut d'indépendant des livreurs de plateforme ou si vous plaidez davantage pour un statut de salarié ?
Pourrez-vous aussi nous indiquer comment s'organise le dialogue social des travailleurs des plateformes des livraisons et votre perception du rôle de l'Arpe, l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi ?
Nous sommes également à votre écoute pour connaître les recommandations qui vous semblent nécessaires pour améliorer la transparence dans les relations entre les lobbys et les décideurs publics et pour mieux réguler le secteur des plateformes d'emploi.
Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous invite, les uns après les autres, à lever la main droite et dire « je le jure ».
(M. Jérôme Pimot, M. Edouard Bernasse, Mme Circé Lienart, M. Ludovic Rioux, M. Moussa Koita et M. Laurent Hily prêtent successivement serment).
Le CLAP se propose de faire un historique de nos observations et de notre analyse en tant qu'anciens livreurs. L'historique concerne l'ubérisation et la mise en place du lobbying qui se révèle en plusieurs actes.
Durant la crise financière de 2008, monsieur Novelli, sous l'égide de l'auto-entrepreneuriat et les attraits de devenir son propre patron, a créé un régime permettant déjà à des donneurs d'ordre de jouir du travail de ces entrepreneurs, sans avoir à payer de cotisations. La création du statut de ces plateformes repose sur « l'argent magique » qui a découlé de la crise financière de 2008 pour sauver les institutions financières. Nous parlions à l'époque de 700 milliards d'euros, dont ces premiers acteurs ont pu bénéficier pour créer ces plateformes.
Uber a suivi presque instantanément la création des smartphones qui permettaient à chacun de se localiser et donc de « cliquer » pour accéder à différents services.
De nouveaux acteurs viennent ainsi profiter de ce système, d'ailleurs inspiré des modèles anglo-saxons (le système des workers ), pour installer un système économique fondé sur les dispositifs étatiques, comme l'aide à la création d'entreprises et à la reprise d'emploi (ACRE), et sur la possibilité de ne pas payer de cotisations sociales.
Les ingrédients sont réunis. Il s'agit néanmoins de glisser discrètement du poison dans la marmite que tout le monde regarde. Pour Uber, le poison se cache dans les nouvelles technologies. Le smartphone sort en 2007 et tiendra lieu de support au management algorithmique. Ce dernier vient donc « invisibiliser » les rapports entre les hommes et masquer tout lien de subordination.
Pour faire baisser les chiffres du chômage, M. Sarkozy, à l'époque, avait besoin de construire le modèle néolibéral à la française qui vise à s'extraire du code du travail.
En 2011, Uber débarque sur le marché. La première gronde contre Uber et les VTC date de 2014-2015. Uber fait donc du lobbying et dispose déjà de liens forts avec M. Macron, alors ministre de l'Économie. Uber est en effet directement enfanté des mesures évoquées précédemment et représente l'aîné du modèle politique économique ultralibéral. Son projet est d'ailleurs plus politique qu'économique. Le projet de M. Macron est en revanche économique. Cette rencontre est donc naturelle. Cette proximité s'illustre par le parcours d'Élisabeth Borne qui occupera successivement les ministères de l'ubérisation : le transport et le travail, pour ensuite devenir Première ministre.
Emmanuel Macron cherchera à protéger, par intention ou omission, son jumeau entrepreneurial. Cette démarche s'exprime, dans les faits, par tout ce que révèlent les Uber files.
Pour conduire ces véhicules législatifs, qui d'autre que Hervé Novelli, créateur du régime de l'auto-entrepreneuriat, pouvait présider l'Association des plateformes d'indépendants (API), qui est une sorte de conglomérat rassemblant toutes les plateformes pour défendre leurs intérêts.
Concernant le livreur, le premier acte remonte à 2016. La loi Travail et son article 60, qui donnera naissance à l'article L. 7342-1 du code du travail, viennent consacrer légalement l'hérésie du modèle des plateformes. Cet article dispose que lorsque la plateforme détermine les caractéristiques de la prestation de service ou du bien vendu et fixe son prix, elle détient, à l'égard des travailleurs concernés, une responsabilité sociale qui s'exerce dans les conditions mentionnées.
En d'autres termes, un acteur peut déterminer le prix et les caractéristiques de la prestation d'un travailleur indépendant, qui se définit justement par l'autorité et surtout la maîtrise des éléments essentiels de la relation de travail. Cette véritable attaque du droit du travail est légalement formée par la rencontre de deux volontés sur le prix de l'objet de la convention. Cette porte ouverte démontre que la plateforme écrit la loi donc qu'Uber est un acteur politique et non pas économique. En effet, l'entreprise ne gagne pas d'argent mais, au contraire, en perd, comme souvent les partis politiques.
Le deuxième acte arrive en 2018, avec la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L'amendement 2072, porté par Aurélien Taché (à l'époque LREM) dispose, sous les contours de la sécurisation de la relation de travail avec les plateformes, que ces dernières ont la possibilité d'établir seules une charte jointe au contrat de travail qui définirait un cadre légal, pour autant que cette charte, unilatéralement rédigée et facultative, ne puisse constituer un indice de subordination devant le juge.
Le troisième acte en 2019 vient de la loi d'orientation des mobilités. La loi a repris mot pour mot les chartes citées, mais un ajout de taille vient « miraculeusement » s'insérer concernant la juridiction compétente. En effet, la charte « nouvelle version » prévoit que les circonstances de rupture de la relation de travail dépendent désormais du tribunal de grande instante, et non plus du Conseil des prud'hommes. L'article L. 7342-9 dispose : « tout litige concernant la charte relève du tribunal de grande instance, à l'exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif ». En d'autres termes, la charte vient ici diluer tout risque de requalification, en écartant le plus possible les juridictions prud'homales. La lecture d'une relation de travail ne s'apprécie donc plus au regard des conditions dans lesquelles elle s'effectue, indépendamment du nom ou des qualificatifs du contrat. Le choix de cette juridiction constituait ainsi un premier filtre anti-requalification.
L'acte IV, en 2020, vient de la mission Frouin. Cette mission, mandatée par le Premier ministre Édouard Philippe, est chargée de formuler des recommandations en matière de statut, de dialogue social et de droits sociaux liés aux plateformes numériques de travail. L'objectif est de sécuriser les relations juridiques et les travailleurs sans remettre en cause la flexibilité apportée par le statut d'indépendant. Le rapport écartait la création d'un tiers statut relatif aux travailleurs des plateformes, tout en préconisant un dialogue social spécifique, géré par une autorité de régulation de dialogue social, qui finalement deviendra une autorité de relation, ce qui change beaucoup de choses. Nous pouvons ici aussi facilement supposer que les plateformes n'aient guère apprécié le terme de régulation.
Le cinquième acte arrive avec l'Arpe (ou l'utilitarisme de l'échec). Cet échec est apparu, malgré les énormes moyens du gouvernement, des plateformes et des plus importantes confédérations syndicales. Le rapport Frouin avait émis des recommandations sur le dialogue social. Ce dialogue social représente le nouveau cadeau empoisonné des plateformes. Deliveroo en est d'ailleurs à l'initiative, puisque son ancien directeur des affaires publiques, Louis Lepioufle, ancien membre du cabinet d'Axelle Lemaire, avait tenté d'éteindre les feux qui menaçaient cette plateforme par des actions visant à restaurer son image. L'une d'elles fut d'élire, parmi les travailleurs de Deliveroo, des représentants chargés de siéger au « forum Deliveroo ». Ces élections obscures étaient basées sur un nombre assez ridicule de votants, avec 10 % des votants sur 15 % d'électeurs.
La task force, qui prendra le nom de son président, Bruno Mettling, est mise en place dans le prolongement des recommandations du rapport Frouin sur le dialogue social. Le lobbying ne s'encombre plus avec « l'ombre », puisque Bruno Mettling est un haut fonctionnaire, reconverti en haut responsable, à la Banque Populaire, puis chez Orange. Il est donc aisé pour un lobbyiste de chercher une personne comme lui dans le « sérail ». De plus, monsieur Mettling, avec son cabinet de conseil Topics, a notamment été consultant pour Uber.
Nous avons participé aux réunions d'élaboration de l'Arpe, jusqu'à nous apercevoir, dans le décret 2021-1461 du 8 novembre 2021 relatif à l'Arpe, que tout ceci n'était qu'une vaste supercherie.
À partir de cette date, de nombreux textes, ordonnances et décrets viennent diluer les contours que prend le lobbying, illustré par la présidence de l'Arpe en la personne de Bruno Mettling.
L'ordonnance du 21 avril 2021 établit que le gouvernement peut décider par ordonnance de l'ordre du jour et du calendrier du dialogue social, ce qui va à l'encontre des principes du dialogue social.
D'après l'article L. 7345-1 du code du travail, l'Arpe est une autorité administrative, qui doit réguler les relations entre les plateformes et les travailleurs ayant signé un contrat commercial. Comment une autorité administrative peut-elle réguler les relations qui sont, par nature, commerciales, qui relèvent d'un contrat commercial et donc d'une juridiction commerciale ?
L'article L. 7343-14 du code du travail dispose qu'une demande d'autorisation de rupture d'un contrat commercial entre un représentant de travailleur qui siège à l'Arpe est adressée à celle-ci. Que vient faire une autorité administrative dans la rupture d'un contrat commercial ?
Le décret n° 2021-1461 du 8 novembre 2021 continue à nous inquiéter, puisqu'il prévoit que le conseil d'administration de l'Arpe délibère notamment sur les actions en justice et les transactions. Que devons-nous comprendre par « délibérer » ? Par ailleurs, est-ce vraiment l'endroit idéal ? Ne chercherait-on pas ici à donner au conseil d'administration des outils pour désamorcer des conflits devant les tribunaux ?
La sous-section 2 de ce décret autorise le directeur général de l'Arpe à rompre le contrat commercial des représentants désignés en application de l'article L. 7343-13 du code du travail. Outre l'empiétement de l'autorité administrative sur du droit commercial, nous pouvons nous demander si cette personne est directeur général ou juge.
L'ordonnance du 6 avril 2022, dans sa sous-section 6 relative à l'homologation des accords collectifs de secteur, dispose que l'Arpe est chargée d'homologuer les accords de secteur. Pourquoi cette tâche n'incombe-t-elle pas finalement à l'administration du travail ?
L'article 3 de cette ordonnance, modifiant l'article L. 7345-1 du code du travail, propose une médiation en cas de différend opposant un ou plusieurs travailleurs indépendants aux plateformes. Quel est le problème avec l'administration générale, le médiateur de la République ou le médiateur des entreprises ?
Cela vient semer le doute dans nos esprits sur le bien-fondé de cette mission et de ce dialogue social.
Lors des échanges avec la task force Mettling, l'un des principaux sujets visait la protection sociale des travailleurs des plateformes. Nous avons beaucoup débattu avec M. Mettling à ce sujet. Ce dernier voulait que la protection sociale soit prise en charge par les plateformes. De nombreux acteurs défendant les travailleurs, mais aussi ceux réellement indépendants, ont émis des réserves face à cette proposition qui venait instaurer une dépendance sociale à l'égard des travailleurs, en plus d'une dépendance économique.
Pour accéder à des droits sociaux, les travailleurs devaient fournir un certain nombre d'heures. M. Mettling a finalement reconnu cette possibilité de dépendance sociale et a décidé d'abandonner cette mesure. Or un amendement du gouvernement a été déposé en dernière minute dans le PLFSS 2022, ce qui vient démontrer le lobbying des plateformes. Cet amendement venait contredire les engagements de M. Mettling et forcer l'intégration de la prise en charge de la protection sociale par les plateformes.
Cette deuxième conclusion est venue rompre une confiance déjà toute relative à l'égard de l'Arpe et constituait un second indice de déloyauté de la part de cette autorité, ainsi qu'un énième acte du gouvernement traduisant un lobbying important de la part des plateformes.
Il existe un épilogue à tout cela : la grande faillite du système. Ces entreprises, qui ne visent que des levées de fonds, se retrouvent dos au mur face à cette nouvelle crise, où « l'argent gratuit » de 2008 a disparu.
Par ailleurs, des décisions de justice se font de plus en plus impitoyables à leur encontre, partout dans le monde.
Enfin, comme un coup de grâce, le Parlement européen vient d'adopter une directive qui viendrait réellement protéger les travailleurs. Toutes ces années ont montré qu'Uber était prête à aller au plus loin de « l'exploitation humaine ».
Uber devait, au départ, permettre de lutter contre le chômage. Elle s'est transformée en quelques années en une société digne de l'époque coloniale. Uber a-t-elle eu la réelle volonté d'exploiter une main-d'œuvre migrante, primo-arrivante, sans-papiers ? La question devrait être posée à M. MacGann.
Que ce soit une volonté ou une finalité, l'ubérisation est devenue pour beaucoup synonyme d'esclavage. Selon nous, l'ubérisation s'apparente davantage à de l'engagisme : un système qui a succédé à l'esclavage, après son abolition en 1848. L'engagisme est une forme d'emploi réservé aux travailleurs natifs des colonies (anciens esclaves) ou immigrés d'Afrique, d'Inde ou d'Asie, pour satisfaire les besoins en main d'œuvre des colonies. En pratique, des millions de travailleurs étrangers, à qui l'on promettait monts et merveilles, ont émigré pour signer un contrat d'engagement, dont la durée varie selon l'origine et la colonie d'accueil, avec des patrons qui pouvaient disposer d'eux à leur gré et les employer à ce qu'ils voulaient, et ce jusqu'à la veille de la première guerre mondiale.
Parce que cette traite est devenue très visible chez Uber, le gouvernement a fait acte, non plus de lobbying, mais de protection vis-à-vis de la plateforme californienne. Afin qu'Uber ne soit pas inquiétée par les futures mesures répressives de la loi asile et immigration, le gouvernement a demandé à l'entreprise de procéder à une purge massive des livreurs sans-papiers. La future loi prévoit en effet une nouvelle amende administrative de 4 000 euros maximum par travailleur, doublée en cas de récidive.
Plusieurs milliers de travailleurs sans-papiers se sont donc retrouvés du jour au lendemain sans moyen de subsistance. Ces travailleurs doivent désormais lutter contre une politique qui vise à faire passer leur engagisme d'un état de fait à un état de loi, la future loi asile et immigration détaillant bien comment les promesses de régularisation ponctuelle d'un an viseront à institutionnaliser ce néo-engagisme dans certains métiers. Même si Uber ne devrait pas être concerné dans ce cas, la livraison étant loin d'être un secteur essentiel et en tension, il est difficile de ne pas voir que cette société a été précurseur de ce nouveau modèle.
Il incombe donc à cette commission de bien comprendre et de synthétiser plus de dix ans d'un lobbying hyper-prédateur, anticonstitutionnel et antisocial. Sous l'ère Macron qui remonte bien avant sa présidence, le lobbying ne relève plus de la simple influence, mais du mandat, voire de l'aveu de complicité.
La Fédération nationale des auto-entrepreneurs a vu le jour en 2009 et a été reconnue en 2021 comme la troisième organisation professionnelle représentative des travailleurs indépendants. À ce titre, nous siégeons au Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants, au conseil d'administration de l'Urssaf et de la Cnaf. Aujourd'hui, forts de nos 80 000 membres, nous sommes la première organisation représentative des auto-entrepreneurs.
Par ailleurs, depuis 2015, la Fédération gère et administre l'Observatoire de l'ubérisation, qui est devenu avec le temps le site de référence concernant l'ubérisation dans différents secteurs de l'économie française.
En tant que représentants auprès de l'Arpe, nous travaillons pour l'instauration d'un dialogue constructif avec les plateformes, concernant l'amélioration des conditions d'exercice des activités des livreurs et des VTC, puisque nous siégeons des deux côtés.
Concernant les travailleurs indépendants qui utilisent les plateformes de mise en relation, nous nous attachons à ce qu'ils soient bien considérés comme des travailleurs indépendants. Le volume de leur activité dépend, pour la plupart d'entre eux, exclusivement des plateformes. Il est donc essentiel que des aménagements spécifiques soient discutés et mis en place pour permettre à cette catégorie de travailleurs indépendants de rééquilibrer la relation avec les plateformes.
Nous sommes parfaitement conscients que de nombreuses dérives ont eu lieu dans ce secteur, avec des abus des positions dominantes de la part de certaines plateformes. Nous sommes également conscients que la concurrence qu'elles se livrent a conduit à la dégradation des conditions de travail et surtout des revenus des travailleurs indépendants qui utilisent les services de mise en relation. Parmi les techniques les plus scandaleuses se trouvent la location de comptes par les travailleurs sans-papiers et les ouvertures de comptes illégaux.
Nous nous engageons dans la lutte contre la fraude, que ce soit sur la déclaration de chiffre d'affaires ou le travail dissimulé.
Le recours à la livraison de repas, de courses ou de colis prend de plus en plus d'ampleur. Il semble préférable d'accompagner cette réalité économique plutôt que de s'y opposer et de vouloir lui imposer des schémas inadaptés. Nous sommes engagés en ce sens auprès de l'Arpe.
Je suis coordinatrice de la Maison des coursiers depuis 18 septembre 2021. J'ai auparavant été bénévole à CoopCycle. Cette association souhaite proposer une alternative où les livreurs seraient salariés dans des coopératives.
L'objectif était, dès le départ, de redonner la propriété des moyens de production à ces travailleurs. Nous sommes aujourd'hui une fédération de plus de 65 coopératives dans le monde, dont une importante partie en France avec 150 livreurs.
La première conséquence de l'ubérisation est de tirer vers le bas les secteurs concernés avec du dumping social. En effet, les entreprises qui salarient se retrouvent en situation de concurrence déloyale vis-à-vis des plateformes, puisque ces dernières ne respectent pas les rémunérations minimales prévues par le droit du travail. Elles ne paient pas les cotisations employeur et ne participent pas forcément aux frais de transport, au téléphone professionnel ou encore aux frais d'essence et de réparation du matériel.
À CoopCycle, nous recommandons à nos coopératives de viser un chiffre d'affaires horaire de 35 à 40 euros pour être rentables. Les plateformes ne supportent pas l'ensemble des coûts. Elles ne paient que les courses,et non les temps d'attente, et ne doivent pas respecter le SMIC horaire. En outre, les livreurs doivent eux-mêmes payer les cotisations, les réparations et les frais de transport.
Tout le secteur est tiré vers le bas. Nous l'avons vu avec des plateformes qui ont essayé de salarier. Je pense par exemple à Just-Eat, qui a par exemple annoncé un plan social quelques mois plus tard.
La Maison des coursiers a ouvert en septembre 2021. Ce lieu permet aux travailleurs de se reposer, de prendre un café, d'aller aux toilettes, ou encore de recharger la batterie de leur vélo.
L'essentiel de mon travail est aussi d'accompagner ces travailleurs dans différentes démarches, principalement avec l'Urssaf ou dans l'ouverture des droits de santé à la Sécurité sociale et pour remplir le formulaire spécifique pour le paiement des impôts. Je peux également être amenée à les aider à trouver un emploi salarié. 80 % des personnes que je reçois préféreraient être salariés.
Nous disposons également de permanences syndicales, avec notamment le syndicat Sud Commerces et Services et la CNT-SO.
Dans le cadre de cette activité, j'ai reçu 690 livreurs « uberisés » et j'ai la possibilité de témoigner d'une part de leur réalité.
75 % d'entre eux travaillent au moins six jours par semaine et 56 % travaillent entre neuf et douze heures par jour, sachant que le temps de travail augmente avec l'allongement continu des plages de livraison.
80 % des livreurs accueillis touchent moins de 1 500 euros bruts par mois, en moyenne, sans prendre en compte les 22 % de cotisation de l'Urssaf et les frais que cette activité entraîne (réparation du vélo, essence, pass Navigo, etc.).
Les trois quarts des personnes que je reçois sont sans papiers et travaillent beaucoup. 80 % de ces sans-papiers sont en France depuis plus de trois ans et 28 % depuis plus de cinq ans.
56 % de ces travailleurs ont livré pendant le confinement, ce qui a permis d'atténuer les effets négatifs du confinement en permettant aux Français de se faire livrer. Ils ont surtout permis à de nombreuses plateformes de se développer pendant cette période.
Parmi ces sans-papiers, 175 ont travaillé en leur nom, sans sous-louer de compte. Uber et d'autres plateformes cherchent à faire oublier cette réalité. Tous les sans-papiers n'ont pas sous-loué leur compte. De nombreuses personnes ont travaillé, cotisé et payé des impôts en leur nom. Tout ce travail n'a apporté aucune reconnaissance de leurs droits puisque ces personnes ne sont pas salariées.
Parmi les livreurs que j'ai reçus, 205 seraient théoriquement régularisables au titre de la circulaire Valls de 2012, en tenant compte de leur ancienneté de séjour et de leur temps de travail. Or, étant auto-entrepreneurs, ces travailleurs ne peuvent pas bénéficier de la régularisation par le travail qui se fonde uniquement sur des bulletins de salaire. Dans ce cadre, la Maison des coursiers soutient les mobilisations du CLAP, de la CNT-SO et de Sud Commerces et Services qui ont lieu depuis septembre.
Les élections de l'Arpe se sont déroulées du 9 au 16 mai 2022. À la Maison des coursiers, nous avons reçu trente livreurs qui ont essayé de voter. Dix d'entre eux étaient chez Frichti. Cette plateforme est non éligible, n'étant pas considérée comme une plateforme de mise en relation, même si les livreurs sont auto-entrepreneurs et que leur travail est exactement le même que celui d'Uber Eats ou Deliveroo.
Les vingt personnes restantes qui ont essayé de voter ont dû traverser un réel parcours du combattant. Les identifiants étaient envoyés par courriel. Les listes ont été transmises par les plateformes. Les travailleurs qui ont changé d'adresse électronique entre-temps se sont ainsi retrouvés en difficulté.
Par ailleurs, le mot de passe correspondait aux cinq derniers chiffres de l'IBAN renseigné sur les plateformes. Il était impossible de se connecter si le compte avait été perdu. L'identifiant ou le mot de passe manquait dans la grande majorité des cas. Un service téléphonique était disponible mais l'obtention d'informations s'est avérée difficile.
Sur les vingt livreurs qui auraient pu voter aux élections de l'Arpe, seuls deux y sont parvenus à la Maison des coursiers. Ces problèmes techniques expliquent en partie cette participation extrêmement faible enregistrée dans le collège des livreurs (1,8 %) et qui remet quelque peu en question la représentativité de l'Arpe, organisme qui vise à protéger le statut des plateformes, sans forcément protéger les travailleurs.
Je fais partie de la Fédération CGT des transports. Je suis membre de la commission exécutive de la Fédération, dans laquelle je coordonne l'activité des syndicats CGT implantés dans les plateformes et entreprises de livraison en France.
Nous sommes présents dans des entreprises qui recourent au statut d'indépendant comme Uber et Deliveroo par exemple, que ce soit par le biais de l'Arpe ou l'existence de sections syndicales et de syndiqués dans les sociétés. Nous sommes également présents dans des entreprises comme Frichti et Stuart, et dans d'autres entreprises qui salarient, que ce soient des entreprises de messagerie qui emploient des salariés avec un système de site logistique ou des entreprises de livraison en course à course ou du quick commerce.
Je suis livreur depuis quatre ans et demi, salarié pour le moment mais en procédure de licenciement économique de l'entreprise Just-Eat. Je suis également salarié de l'entreprise de livraison Urb-It. Ces deux temps partiels me permettent ainsi d'avoir un temps plein.
Sur l'évolution des plateformes de livraison, il est important de voir les conséquences des décisions prises par les plateformes sur les conditions de travail pour comprendre la situation dans laquelle on se retrouve.
En 2017, il existait une certaine forme de rémunération minimale au sein de Deliveroo par exemple. Ce système permettait de s'assurer d'une forme minime de rémunération en l'absence de commandes suffisantes. À compter de 2017, les garanties horaires ont disparu, hormis sur certains créneaux, notamment ceux liés à des conditions météorologiques compliquées. La disparition de cette garantie a permis aux plateformes de jouer uniquement sur une tarification à la tâche qui n'a fait que baisser.
En 2020, une nouvelle évolution de la tarification a eu lieu, avec la disparition des plannings qui permettaient de s'assurer de la répartition des commandes pour les livreurs qui travaillaient au même moment. Cela a souligné également une des limites de cette forme de rémunération qui mettait en concurrence les travailleurs entre eux. Les plannings ont disparu juste avant le confinement. La raison de la disparition des plannings n'était pas seulement pour accroître la mise en concurrence des travailleurs entre eux mais aussi d'éviter le risque de requalification de la relation de travail comme salarié car les plannings pouvaient être considérés comme l'un des indices participant au faisceau d'indices du lien de subordination.
Aujourd'hui, il est nécessaire de se connecter à une application pour pouvoir travailler sur une plateforme comme Uber, Deliveroo ou encore Stuart ; ce n'est pas le cas pour Frichti.
À l'époque, un système permettait de s'inscrire sur des plannings, afin de s'assurer que le nombre de livreurs était plus ou moins adapté, du point de vue de la plateforme au nombre de commandes distribuées sur une même période. Ce système de planning avait également des limites car il favorisait la mise en concurrence des travailleurs. Les statistiques permettaient aux travailleurs de s'inscrire sur certains plannings et pas sur d'autres, qui n'étaient pas jugés prioritaires.
La disparition de ce système signifie que les travailleurs sur une plateforme doivent se répartir un nombre de commandes toujours plus ou moins grand, ce qui importe peu en matière de rémunération. En effet, la rémunération s'effectue uniquement à la tâche. La plateforme a donc désormais tout le pouvoir pour diminuer le tarif de la rémunération.
Jusqu'à l'été 2019, avant la disparition des plannings, des minimums existaient dans certaines villes pour Deliveroo au moment de la commande.
À Lyon, la commande était fixée à environ quatre euros. Avec la disparition de ce minimum et des plannings, les commandes sont désormais payées environ deux euros. Un travailleur peut réaliser un nombre de commandes important sans pour autant atteindre un revenu décent. En outre, le statut d'indépendant permet aux plateformes d'éviter le versement des cotisations patronales et salariales, ce qui prive les travailleurs de tout un pan de la protection sociale.
Cette évolution s'est produite dans le secteur des plateformes, à l'initiative des deux acteurs principaux qu'étaient Uber et Deliveroo qui cherchaient à reprendre le marché en abaissant les conditions de travail au maximum. De son côté, Stuart, qui a été rachetée en 2017 par La Poste, ce qui en fait indirectement une filiale de l'État français, a poursuivi ce mouvement.
Dans les dernières années, à partir de fin 2020, l'implantation en France d'une filiale logistique « salariés » de Just-Eat a eu lieu. Just Eat existait déjà précédemment, mais uniquement comme plateforme de mise en relation entre les clients, les restaurants et parfois les livreurs indépendants travaillant pour Stuart. En effet, Stuart était chargée d'acheminer les commandes pour les restaurants qui n'avaient pas leurs propres livreurs.
À partir de novembre 2020, le groupe Just Eat a décidé d'implanter en France une filiale logistique qui embauchait des livreurs salariés et qui prenaient ainsi la place de Stuart dans 27 villes françaises. Ces livreurs salariés se chargeaient de livrer les commandes pour les restaurants qui n'avaient pas leurs propres livreurs.
En 2021 a également eu lieu l'implantation d'une demi-douzaine d'entreprises qui relèvent du quick commerce (livraison de courses express). Ces entreprises peuvent venir de différents pays. Le secteur a évolué rapidement, avec un grand nombre d'acteurs, à l'image des plateformes qui existaient à l'époque. Ces acteurs ont décidé de réduire les conditions de travail de leurs employés au minimum et de fournir également un grand nombre de codes et d'offres aux clients pour se fournir le moins cher possible. Ce processus a conduit au rachat successif de ces entreprises, avec une situation de quasi-monopole aujourd'hui.
Parmi ces entreprises du quick commerce, certaines ont fermé, telles que Zapp ou Gopuff. Le statut des travailleurs de plateforme dans la livraison a également des conséquences à l'extérieur de ces entités. Ces méthodes ont conduit à un nivellement par le bas des conditions de travail des employés des plateformes et conduit à la généralisation de la sous-traitance en utilisant un grand nombre de statuts extrêmement différents.
Dans la livraison, l'emploi de statuts mixtes entre salariés et indépendants a aussi pu se généraliser au sein des entreprises de messagerie, récentes ou plus anciennes, telles que Coursier.fr.
Concernant Just Eat, l'entreprise a annoncé le 21 avril 2022 un plan de sauvegarde de l'emploi, qui a été négocié avec les syndicats. Ce plan prenait comme prétexte la concurrence déloyale des autres plateformes et une baisse des parts de marché pour justifier le licenciement de plusieurs centaines de travailleurs. Au final, 306 travailleurs ont été licenciés au mois de janvier. Les arguments développés étaient avant tout économiques.
Une certaine déloyauté a eu lieu dans les négociations de la part de la plateforme car les arguments économiques développés ne permettaient pas d'obtenir un prévisionnel ou un recul, puisque le plan social a été annoncé un an et demi après l'implantation de l'entreprise en France. Plusieurs journées de grève ont eu lieu pour s'opposer à la volonté du groupe. Le marché, opéré par cette filiale logistique, a finalement rebasculé auprès de Stuart, depuis le 15 janvier 2023.
En France, un employeur préfère licencier des salariés, malgré des coûts importants, pour redonner un marché à une entreprise qui utilise les auto-entrepreneurs. Mon travail est réalisé aujourd'hui par un travailleur auto-entrepreneur, pour des conditions encore plus minimes, et cela dans le silence le plus total : aucune intervention de l'État ou d'une collectivité sur ce sujet.
Dans le quick commerce, trois entreprises existent, dans lesquelles la CGT est représentative : Gorillas, Getir (qui a racheté Gorillas) et Flink. Des questions économiques sont en train de se poser pour les salariés. Ces entreprises sont dotées de Comités sociaux et économiques (CSE), ce qui est une bonne chose mais une certaine opacité de la part des directions respectives existe : les chiffres ne sont pas forcément communiqués alors que nous sommes dans une période de rachat, ce qui conduit les salariés à s'interroger sur leur avenir.
Depuis l'été dernier, des phénomènes intéressants sont apparus, avec par exemple le recours à la sous-traitance. Des prestataires comme Uber ou Stuart ont ainsi pu commencer à livrer les commandes pour ces entreprises. Ces entreprises assurent la préparation des commandes, la livraison et la vente auprès des clients.
Ainsi, des entreprises qui recourent à des auto-entrepreneurs ont pu prendre la place des plateformes employant des livreurs salariés, conduisant à une diminution du nombre de livreurs salariés, ce qui doit nous interroger sur l'opportunité pour ces entreprises de basculer sur un système mixte.
Ce système mixte existe déjà chez Frichti, où les préparateurs de commandes sont salariés alors que les livreurs sont auto-entrepreneurs. Frichti a déjà connu en 2020 un conflit notable sur la question des documents des salariés qui n'étaient pas en règle, avec un recours au travail sous alias. Ce mouvement a conduit à la régularisation d'une partie des travailleurs seulement. Une réflexion peut naître à ce sujet concernant la non-application de la circulaire Valls dans ce contexte.
Enfin, le dernier secteur est celui de la messagerie. Nous pouvons prendre l'exemple d'Urb-it. Cette entreprise de logistique à vélo est implantée dans certaines métropoles, essentiellement à Paris. Urb-it avait, jusqu'à mi-2022, un système mixte, avec des livreurs salariés (qui s'occupent des vélos-cargos pour dispatcher des tournées de commandes) et des livreurs auto-entrepreneurs chargés d'assumer, en course à course, la livraison de produits (fleurs, bijoux, pâtisserie). Cette entreprise a fermé ce système de livraison de course à course dans les derniers mois pour des raisons qui n'ont jamais été expliquées. Néanmoins, cette activité existait toujours au moment des élections au sein de l'Arpe.
Toutes les plateformes ne sont donc pas représentées au sein de l'Arpe. L'exemple de Frichti a déjà été cité. D'autres entreprises de livraison recourent aussi à des auto-entrepreneurs mais ne sont pas considérées comme des plateformes stricto sensu, ce qui est une erreur d'analyse qui conduit à ce que des travailleurs se retrouvent en dehors de tout cadre réglementaire.
D'autres entreprises suivent aussi le modèle d'Uber, de Deliveroo et de Stuart (Urb-it, Lyveat, ou d'autres plateformes à l'échelle locale qui ne sont pas représentées dans cette instance). Cela signifie que leur patronat n'est pas représenté au sein du syndicat patronal avec lequel les négociations s'effectuent. Ainsi, un éventuel accord collectif de branches ne s'étendrait pas à ces entreprises. C'est un premier bémol.
L'autre problématique renvoie aux élections. La CGT a dénoncé ce deuxième bémol dès le lendemain des élections, qui s'apparentent à un véritable fiasco. Plusieurs éléments ont déjà été explicités, avec la difficulté d'accéder au vote. En outre, les conditions d'ancienneté demandées étaient en total décalage avec la réalité du travail dans les plateformes. Une partie entière des livreurs ne pouvait donc pas voter. Enfin, une grande partie des livreurs n'ont pas eu accès au vote car ils n'utilisent pas leur propre identifiant mais travaillent sous alias. Ces éléments étaient connus et ont pourtant été laissés de côté alors que l'outil informatique peut être adapté pour permettre à des travailleurs sous alias de voter.
Par ailleurs, le texte pourra être généralisé à n'importe quelle plateforme par la suite, même une plateforme d'emploi qui n'est pas une plateforme de transport. Les organisations syndicales représentatives, comme le patronat qui défend ses intérêts, ont une responsabilité extrêmement importante, car ce qui est réalisé actuellement pourra être utilisé par la suite comme norme.
La négociation actuelle est menée sans plancher ; aucun plancher n'est, en effet, fixé par le code du travail ou par une convention collective. Le rapport de force dans la négociation dépend uniquement de la capacité à s'organiser, avec d'un côté le patronat, c'est à dire trois entreprises extrêmement centralisées et, de l'autre, plus de 80 000 travailleurs. Le rapport de force est donc particulièrement défavorable aux travailleurs. Les plateformes peuvent ainsi émettre des propositions en dessous de tout, y compris en dessous des normes d'ordre public.
En outre, les organisations syndicales, essentiellement la CGT, ont demandé des informations utiles à la négociation (informations économiques, informations sur les algorithmes, informations sur la tarification) mais ont fait face à une fin de non-recevoir, sans justification. Comment une négociation peut-elle se passer dans de bonnes conditions s'il existe une telle déloyauté dans la manière dont elle se déroule ?
D'autres pratiques nous interrogent également, avec par exemple une demande de confidentialité des échanges qui a été formulée par l'association patronale, à savoir l'Association des plateformes d'indépendants (API), qui est la seule organisation représentative pour le patronat des plateformes de livraison.
Il est évident que ce processus a été créé pour sauvegarder le statut d'autoentrepreneur et pour éviter que celui-ci soit attaqué. Ce processus se matérialise déjà dans les textes mais également dans la manière dont la négociation se déroule. L'objectif, de notre point de vue, pour les organisations patronales et l'API, est d'entériner par la négociation collective, donc avec l'assentiment de certaines organisations syndicales, l'existence d'un statut qui n'est pas celui de salarié ni celui de l'indépendant classique. Par ces négociations, l'objectif est de créer un précédent affirmant que ces travailleurs ne sont pas comme les autres et que leurs représentants acceptent cette idée. Voilà donc l'analyse donnée par l'API au sein de l'Arpe.
Des négociations ont aussi eu lieu en Belgique et en Grande-Bretagne, en dehors de tout cadre légal. Les négociations ouvertes avaient comme objectif de s'assurer de l'assentiment des organisations syndicales dans l'existence d'un statut intermédiaire.
Des procédures similaires se déroulent à l'Arpe. Nous avons émis une réserve à ce sujet depuis la première réunion de négociation en octobre. Une proposition d'accord nous a été faite, expliquant, en préambule, que tous les signataires s'accordent à dire que le statut d'indépendant est le bon, c'est à dire celui qui peut être donné aux travailleurs de plateforme. Nous y sommes défavorables. Le ministère, qui est représenté au sein de l'Arpe, ne prend pas position. Or lorsque le rapport de force est aussi défavorable, ne pas prendre position constitue finalement une prise de position.
Pour l'ensemble de ces raisons, la CGT se prononce contre le cadre réglementaire du travail dans les plateformes. Aujourd'hui, que nous le voulions ou non, les travailleurs des plateformes de livraison sont des salariés. Il s'agit d'une réalité et une situation d'exploitation existe avec un capitaliste qui est la plateforme.
Une décision est prise unilatéralement par les plateformes concernant tous les aspects relatifs au travail. En revanche, aucun droit ne vient compenser cela. Ces négociations viennent nous montrer le nivellement par le bas et le dumping social qui se produisent dans tout le secteur du dernier kilomètre, ainsi que les conséquences concrètes qui en résultent pour les travailleurs : baisse des revenus, accidents, décès qui sont malheureusement totalement banalisés, etc. Par exemple, il y a eu un décès d'un livreur en février qui a donné lieu à la publication de deux articles de presse, point.
La CGT souhaite que les travailleurs de plateforme aient les mêmes droits que les autres travailleurs, et que ce système ne vienne pas impacter tout un pan de l'économie, et par la suite le monde du travail. Cette bataille est politique, mais également économique, car elle nécessite que les travailleurs de plateforme soient organisés.
La disparition du minimum garanti horaire et des plannings relève-t-elle d'une décision des plateformes et donc d'une évolution du business model ou cette évolution s'inscrit-elle dans le cadre de la régulation ?
Il s'agit d'une décision des plateformes que nous analysons comme découlant également de certaines décisions judiciaires qui ont pointé du doigt des rémunérations horaires, les plannings ou des statistiques comme des éléments participant d'un faisceau d'indices allant vers la requalification.
À la Fédération Sud Commerces, nous couvrons le champ des commerces et des services ainsi que les travailleurs des plateformes. Nous intervenons surtout sur la relation des travailleurs et des différentes plateformes.
De nombreux éléments nous interpellent dans la relation qui existe entre les travailleurs et les plateformes, notamment la manière dont les travailleurs ouvrent leurs comptes.
Les plateformes ont par ailleurs « déconnecté » un grand nombre de livreurs durant l'été 2022, mettant en avant des situations administratives irrégulières. Une forme d'hypocrisie existe dans cette décision. Des situations de négligence, voire de complicité, semblent exister. Il s'agit d'un important problème et les situations qui en découlent sont aussi de la responsabilité des plateformes.
En toute connaissance de cause, ces plateformes ont cautionné ce système et en ont tiré des bénéfices. Ces livreurs, qui ont travaillé pendant la première phase de la crise sanitaire, ont rapporté de l'argent à ces plateformes.
En outre, ces travailleurs ne disposent pas de protection sociale et ne sont pas soumis au même régime que les travailleurs salariés. Des accidents mortels se sont produits. Nous ne pouvons plus accepter que ces personnes travaillent au péril de leur vie.
Nous nous interrogeons également sur les relations qui existent entre l'exécutif et Uber. Jusqu'où allons-nous tolérer tout cela ? Des condamnations ont été prononcées en avril contre Deliveroo et en septembre 2022 contre Stuart. Quid d'Uber ? Allons-nous continuer à laisser cette situation perdurer et détruire des vies ?
Notre Fédération préconise que soit mis en œuvre l'article 40 du code de procédure pénale.
Par ailleurs, de nombreux travailleurs sans-papiers ont transité par l'Italie et ont obtenu des cartes italiennes. Comment des travailleurs, supposés être auto-entrepreneurs ont-ils pu bénéficier de Kbis avec des cartes italiennes ? La détention d'une carte française est normalement nécessaire pour bénéficier du statut d'auto-entrepreneur. À si grande échelle, il s'agit probablement de complicité.
Pensez-vous que les plateformes sont conscientes de cette surreprésentation des travailleurs sans-papiers parmi les livreurs ? Par ailleurs, pouvez-vous apporter des précisions sur la rémunération mensuelle moyenne des livreurs ainsi que leur volume horaire ? Enfin, quelle est la part de livreurs qui travaillent pour plusieurs plateformes en même temps ?
Il n'était pas possible, en 2020, d'ignorer le recours aux travailleurs sans-papiers dans ces activités. Ce phénomène était de notoriété publique dès 2019.
En 2020, les rues se sont vidées avec l'apparition du Covid. Seuls la police et les livreurs continuaient à circuler ainsi que certaines professions médicales. Il n'était donc pas difficile de s'apercevoir que les livreurs étaient originaires d'Afrique ou du Bangladesh. Les plateformes étaient parfaitement conscientes de cette réalité.
En outre, les prix n'ayant cessé de baisser, notamment chez Uber, de nombreux travailleurs de la première heure sur ces plateformes ont fini par être remplacés par des personnes venant des couches les plus basses, vulnérables et fragiles de la population. À partir de cette période, les sans-papiers sont apparus dans ces plateformes et ces dernières ne pouvaient pas ignorer cette réalité. Ces personnes, qui ont travaillé pendant toute la crise Covid méritent une reconnaissance et l'obtention de papiers. La loi asile et immigration mériterait de se pencher concrètement sur ces personnes qui ne sont pas des travailleurs sans-papiers comme les autres.
Les plateformes ne pouvaient effectivement pas ignorer l'existant. La charte a été mentionnée préalablement, sur la question du coût du travail en situation irrégulière. Une politique de sous-location de comptes s'est mise en place et concerne essentiellement les travailleurs sans-papiers. La question du contrôle au faciès existe depuis quelques années. Les livreurs sont ainsi invités à se prendre en photo pour vérifier leur identité. Face à cette réalité, les plateformes adoptent une politique essentiellement répressive. Ces plateformes considèrent que ces travailleurs, qui ne sont pas en situation régulière, doivent être renvoyés. Selon le modèle économique en place, les personnes qui travaillent pour les plateformes n'ont pas d'autres possibilités, ce qui permet de tirer les conditions toujours plus vers le bas.
Par ailleurs, une démarche, qui viserait à soutenir la régularisation des travailleurs, signifierait que les plateformes ont peut-être une responsabilité vis-à-vis des travailleurs. En revanche, d'autres entreprises qui recourent au statut de salarié ont pu accompagner des dossiers de régularisation en préfecture.
Les plateformes ne peuvent donc pas ignorer cette situation qui leur est utile. Une volonté politique existe également en laissant penser que cette réalité n'est pas de leur ressort.
Les plateformes ne pouvaient effectivement pas ignorer cette situation. Les travailleurs sans-papiers représentent une grande majorité des travailleurs des plateformes.
Au départ, les plateformes, lorsqu'elles se sont installées sur le territoire, appliquaient des prix attractifs pour attirer principalement des étudiants. Par la suite, les populations qui se sont mises à travailler dans ces plateformes ont changé, avec l'apparition progressive de personnes en situation irrégulière. Ce phénomène ne pouvait pas être ignoré.
En observant les publicités de ces plateformes, nous constatons une évolution. Au départ, ces publicités mettaient en avant leurs livreurs, avec des étudiants et des personnes dynamiques. Par la suite, les livreurs ont progressivement été rendus moins visibles. Les conditions de travail se sont dégradées et les profils ne sont plus les mêmes qu'auparavant.
Les trois quarts des livreurs que je reçois à la Maison des coursiers sont sans-papiers, avec énormément de primo-arrivants en France. Un nouveau public apparaît également, avec des grands précaires (personnes au RSA ou au chômage de très longue durée). Ces personnes créent des auto-entreprises, ce qui engendre des frais, et se retrouvent en attente pour travailler sur les plateformes, avec une pression accrue sur les livreurs et une concurrence forte avec une « réserve de travailleurs » importante, notamment chez Uber Eats et Deliveroo.
Je pense effectivement qu'il existe une immense hypocrisie sur la question du recours des plateformes à des travailleurs sans-papiers. Tout le monde connaissait cette réalité, non seulement les plateformes mais également la police et les services préfectoraux qui avaient choisi de fermer les yeux à ce sujet.
Selon vous, la circulaire Valls doit étendre les critères de régularisation par le travail à la relation commerciale des livreurs avec les plateformes.
Pour le moment, la logique de la loi immigration sera inverse, puisqu'elle prévoit, dans un de ses articles : « le statut d'entrepreneur individuel n'est pas accessible aux étrangers ressortissants de pays non membre de l'Union européenne ne disposant pas d'un titre de séjour les autorisant à exercer cette activité professionnelle ».
Pour l'instant, la volonté de la loi asile et immigration est d'empêcher toute régularisation des travailleurs des plateformes, sans doute pour remettre une main-d'œuvre corps et âme dans d'autres secteurs « sous tension », avec cette même logique de tirer les conditions vers le bas.
Vous estimez qu'il existe une certaine continuité en matière de cohérence libérale entre la loi Novelli et la création de l'Observatoire de l'ubérisation, jusqu'à la création de l'Arpe, ainsi que les tentatives de charte et d'amendement de différents textes législatifs. La volonté semble à chaque fois de défendre les intérêts des plateformes pour imposer l'exploitation du statut d'auto-entrepreneur et d'indépendant et ainsi contourner le code du travail.
Les décideurs publics tentent également, à travers la mise en place de l'Arpe, d'appliquer un « vernis démocratique » au dialogue social, qui viendrait valider une possibilité de non-retour pour couper court à toutes les procédures judiciaires engagées par des travailleurs contre les plateformes pour exiger une requalification en salarié.
Pouvez-vous revenir sur les différentes batailles que vous avez menées en matière de requalification ?
Par ailleurs, Getir fait partie du modèle qui s'est prétendu « socialement responsable » en ayant recours au salariat. Depuis, énormément de licenciements ont eu lieu, prétendument pour faute professionnelle. Vos organisations se sont-elles saisies de ces sujets ?
De son côté, Stuart a été rachetée par la Poste alors que cette entreprise était visée par une enquête pour travail illégal depuis 2015. Quelle est votre réaction à ce sujet et pensez-vous que notre commission d'enquête parlementaire devrait aussi entendre des représentants de Stuart et de la Poste ?
Connaissez-vous l'entreprise d'insertion par le travail indépendant (EITI) ? C'est un statut qui résulte d'un lobbying relativement intense mené en 2018 dans le cadre de l'adoption de la loi Pénicaud pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le fondateur de « Lulu dans ma rue » et celui de Staffme avaient particulièrement influencé les pouvoirs publics pour l'instauration de ce statut qui permet à une société de se protéger de toute requalification en justice, en invoquant l'argument de l'insertion par le travail indépendant.
Or la loi impose certaines conditions pour avoir ce statut et nous savons que l'administration du travail avait mis son veto pour que Staffme l'obtienne, rappelant que l'insertion se fait à long terme alors que le travail sur une plateforme est à court terme. Une des conditions prévue par la loi pour l'obtention de ce statut était d'employer des personnes chargées d'accompagner ces travailleurs indépendants dans leur insertion. Le salariat ne fait pas partie du vocabulaire de ces plateformes.
Néanmoins, nous savons que Staffme a établi un partenariat relativement privilégié avec Mme Pécresse et la région Île-de-France. Le préfet de région avait alors mis la pression à l'administration du travail pour que l'entreprise obtienne ce statut d'EITI, lui permettant ainsi de se protéger contre les requalifications. Ce statut lui permettait d'anticiper la question des sans-papiers et donc de se prémunir d'éventuelles condamnations pour travail dissimulé. Il s'agit d'un exemple assez flagrant de la bienveillance de certaines personnes du gouvernement à l'égard des plateformes françaises.
M. Mahjoubi avait réalisé un classement 2022 des plateformes les plus éthiques mettant en avant les plateformes françaises telles que Staffme, qui a été récemment condamnée. Cela illustre relativement bien la complicité qui existe dans ce domaine. En outre, nous avons appris que le ministre du Travail était intervenu dans l'enquête du Parquet contre Uber pour travail dissimulé. Il s'agit simplement de l'expression de l'existence d'un projet politique derrière les plateformes qui représentent le dernier né du modèle ultralibéral.
Ce modèle permet de subordonner des personnes qui devraient être salariées en ne payant pas les cotisations. Des plateformes françaises agissent en toute connaissance de cause et exercent une forte influence auprès des pouvoirs publics pour protéger et faire perdurer ce modèle économique.
Au-delà du sujet des travailleurs sans-papiers, le problème consiste également à faire travailler des particuliers qui ne sont pas déclarés car ce procédé provoque une réelle concurrence déloyale avec les vrais artisans qui paient des cotisations.
La FNAE ne s'exprime pas sur les volontés de requalification car ce n'est pas notre combat. Je souhaite simplement rappeler qu'un auto-entrepreneur légal, qui ne loue pas de comptes, déclare son chiffre d'affaires, cotise et bénéficie d'une protection sociale. Nous nous inscrivons donc dans la lutte contre la fraude.
La location de compte semble s'effectuer dans le cadre d'une organisation mafieuse avec l'exploitation de travailleurs sans-papiers. Les plateformes ne peuvent pas ignorer cette réalité.
Il serait effectivement intéressant pour la commission d'écouter La Poste et Stuart. Je m'étais entretenue avec la direction du déploiement de la logistique urbaine de La Poste qui s'intéressait à l'organisation de la Maison des coursiers. Les représentants de la structure nous avaient affirmé qu'il n'existait pas de salariés déguisés ou de sans-papiers sur leur plateforme. Or j'ai reçu des travailleurs sans-papiers de cette structure par la suite dans mon bureau.
Par ailleurs, j'ai eu l'occasion, il y a quelques jours, de rencontrer un travailleur parfaitement en règle et bénéficiant ainsi d'une protection sociale. Cette personne a eu un grave accident et enchaîne les hospitalisations et la rééducation depuis plus d'un an. Or, parlant mal la langue française, ce travailleur n'avait pas compris qu'il devait déclarer son accident sous soixante jours et n'a pas été accompagné dans ses démarches. Cette personne n'a donc bénéficié d'aucune indemnité, simplement parce qu'elle ne connaissait pas les règles à suivre. Son accident est intervenu après une livraison, sur son temps de travail. La plateforme ne l'a pas indemnisée, malgré l'existence d'une assurance qu'elle était en droit de la demander.
Sur la question de la protection sociale, il est nécessaire de préciser l'absence de reconnaissance d'accident du travail, d'accident de trajet ou de la maladie professionnelle, en raison de l'absence de versement de cotisations patronales par les plateformes d'emplois. Les travailleurs sont donc exclus de tout un pan de la Sécurité sociale. En outre, des dizaines de millions d'euros de cotisations patronales ne sont pas versés dans les caisses de retraite.
Selon une estimation du journal L'Humanité, une somme d'un milliard d'euros par an manquerait dans les caisses de retraite en raison de l'absence de la requalification salariale, et donc du manquement des obligations des plateformes vis-à-vis de l'Urssaf.
Par rapport aux procédures de requalification, la CGT porte certains dossiers auprès des prud'hommes. Nous étions également une partie intervenante dans le dossier de Deliveroo au tribunal correctionnel et dans celui de Stuart.
Avez-vous, comme pour les chauffeurs de VTC, à vous plaindre de durées de procédure extrêmement longues ?
Effectivement, mais nous sommes habitués pour l'ensemble du salariat. Il s'agit d'une problématique générale.
Au sujet de Stuart, le réquisitoire était au maximum et la peine est ressortie au minimum. Ce verdict nous a interrogés sur le caractère politique de cette procédure alors qu'il s'agit d'une filiale de l'État français.
La commission devrait auditionner ces personnes pour éclaircir l'organisation de la plateforme Stuart, les procédés des filiales de La Poste et des entités de GeoPost.
Des prestataires ou des filiales existent, comme Pickup Logistics, qui recourent à d'autres sous-traitants, avec des chaînes de sous-traitance en cascade ou le statut d'auto-entrepreneur, avec ou sans la plateforme.
D'autres filiales, qui ne recourent pas à des plateformes, comme Urby (filiale du site logistique de La Poste), ont largement recours aux auto-entrepreneurs. Il n'y a pas besoin de plateforme pour cela mais l'abus du statut est quand même présent. L'audition de La Poste et de ses filiales semble donc également nécessaire.
Getir, face à une situation économique jugée compliquée, a décidé de resserrer d'un cran le règlement intérieur et son respect vis-à-vis des travailleurs pour pouvoir renvoyer rapidement les travailleurs qui ne respectent pas les règles. Cette démarche s'apparente à un PSE déguisé. L'action syndicale se limite donc à l'action revendicative car rien ne peut être entrepris juridiquement pour faire reconnaître un PSE.
Comme pour d'autres plateformes, du sous-effectif chronique apparaît, mettant la pression sur les salariés, lesquels peuvent parfois être victimes de harcèlement. Des dossiers sont portés dans les trois entreprises dans lesquelles la CGT est représentative.
Gopuff a également connu un PSE. Seuls les cadres étaient salariés et tous les ouvriers étaient intérimaires. Le PSE a donc uniquement concerné les cadres. Ce premier cas de figure sort du cadre de l'auto-entrepreneuriat stricto sensu mais nous voyons que l'abaissement des droits permet certaines innovations.
Au sein de l'entreprise de messagerie Swoopin, seuls les cadres dirigeants étaient salariés. Les managers de hub c'est-à-dire les dirigeants locaux des entrepôts, étaient quant à eux des stagiaires d'école de commerce, sans contrat de travail. Les autres travailleurs étaient encouragés à ouvrir des petites entreprises pour faire travailler des auto-entrepreneurs.
Nous considérons également que l'audition de Stuart est nécessaire.
Vous pouvez effectivement entendre les plateformes mais vous risquez de vous confronter à de la langue de bois.
Par ailleurs, l'audition de M. Olivier Dussopt a montré qu'il ne s'agit plus de lobbying mais de complicité. M. Dussopt a expliqué qu'Uber, en employant des auto-entrepreneurs, n'entre pas dans le champ de compétences de l'inspection du travail. Or ce monsieur ne peut pas ignorer qu'une entreprise comme Deliveroo, qui emploie le même type d'auto-entrepreneurs, a fait l'objet d'une enquête de l'inspection du travail, qui a débouché en 2022 sur un procès et une lourde condamnation. Ne pouvant ignorer ce sujet, il ne s'agit plus d'incompétence mais de malveillance ou de complicité.
La séance s'achève à 12 heures15.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Benjamin Haddad, M. Philippe Latombe, Mme Danielle Simonnet, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Frédéric Zgainski
Excusés. - Mme Anne Genetet, M. Charles Sitzenstuhl