Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Lundi 18 mars 2024
La séance est ouverte à quatorze heures trente
Présidence de Mme Sophie Panonacle, vice-présidente
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de M. le préfet Olivier Jacob, directeur général des outre-mer (DGOM) du ministère de l'intérieur et des outre-mer.
Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête par l'audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer (DGOM) du ministère de l'intérieur et des outre-mer.
Merci, monsieur le directeur, de vous être rendu disponible pour cette audition retransmise en direct, puis disponible à la demande, sur le site de l'Assemblée nationale. Je vous laisserai la parole pour une brève intervention liminaire, avant que nous ne poursuivions nos échanges sous la forme de questions-réponses. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Olivier Jacob prête serment.)
) du ministère de l'intérieur et des outre-mer. Au fur et à mesure de vos auditions, vous avez dû vous rendre compte que les territoires ultramarins sont plus exposés que les territoires hexagonaux aux risques naturels majeurs : on y retrouve tous les risques naturels – sismiques, volcaniques et cycloniques –, plusieurs aléas naturels extrêmes pouvant s'additionner sur une même aire géographique. Exposés à cette surabondance de risques, les territoires ultramarins français pâtissent aussi de leur éloignement de l'Hexagone et parfois d'un certain isolement par rapport à leur environnement régional proche. Certains d'entre eux – tels que les archipels guadeloupéens, calédonien et polynésien –, sont en outre confrontés à une double insularité.
Pour répondre à ces défis, les services de l'État se sont organisés à la fois au niveau territorial et au niveau central. Pour ne pas être redondant par rapport à mes collègues chargés de la sécurité civile et de la prévention des risques, que vous avez déjà auditionnés, je ne vais pas réexpliquer ce qu'est la mission d'appui à la prévention et à la gestion des risques naturels majeurs en outre-mer (Maprom), placée auprès du directeur général de la prévention des risques (DGPR) et qui sert aussi en tant qu'outil interministériel à la DGOM et à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).
Les administrations centrales chargées de la prévention des risques naturels outre-mer se retrouvent dans un comité de pilotage qui se réunit une à deux fois par an. Ce comité regroupe la DGOM, la DGPR, la DGSCGC, la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), ainsi que toutes les préfectures des outre-mer. À côté de ce comité de pilotage, que je qualifierais de généraliste, il existe des instances de pilotage plus spécifiques pour des risques particuliers : l'un est ainsi dédié au plan séisme Antilles (PSA), tandis qu'un autre est consacré aux risques sismiques et volcaniques à Mayotte. C'est dans le cadre de ces instances que les directions d'administration centrale définissent leurs priorités pluriannuelles et les adaptations annuelles requises.
La DGOM est plutôt concourante que menante en matière de gestion de la prévention des risques naturels majeurs, sauf dans deux cas spécifiques : l'action du fonds de secours pour les outre-mer (FSOM) ; la politique du logement, que nous déployons directement, en lien avec d'autres administrations centrales et territoriales – les crédits dédiés sont affectés aux budgets rattachés au ministère de l'intérieur et des outre-mer. En tant qu'administration concourante, nous participons au PSA et à nombre d'autres actions. Nous nous investissons tout particulièrement dans l'organisation de la Journée nationale de la résilience, qui a lieu chaque année. Nous nous attachons à sa déclinaison dans les outre-mer aussi bien sur le plan quantitatif par le nombre d'actions déployées que sur le plan qualitatif par le ciblage des publics prioritaires.
Si nous avons des liens avec les directions d'administration centrale, nous entretenons aussi des rapports étroits avec certains opérateurs de l'État, tels que Météo France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ou l'Institut national de géophysique (ING). Nous avons aussi conclu récemment une convention avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour recenser la littérature scientifique traitant des effets du changement climatique sur les territoires d'outre-mer, afin d'identifier les solutions innovantes et adaptées à ces territoires. La DGOM a aussi accompagné les COP (conférences des parties) territoriales – exercice qui se déroule dans l'ensemble des régions françaises – dans les territoires d'outre-mer mais aussi les collectivités éloignées du Pacifique telles que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.
La DGOM a à cœur de prendre sa part dans l'animation de l'écosystème de la prévention et de la gestion des risques majeurs outre-mer. Notre posture est résolument partenariale et facilitatrice. Nous sommes engagés aux côtés des services territoriaux de l'État qui portent cette politique essentielle au plus près de nos concitoyens.
Je suis bien convaincu que la DGOM est aux côtés des collectivités, pour avoir pu souvent mesurer à quel point les services que vous leur rendez étaient absolument indispensables à la coordination des politiques publiques et à leur application locale, même si quelques difficultés demeurent.
Une série d'auditions nous a permis de mesurer la complexité de l'élaboration des documents de planification. Celle-ci nécessite la collecte de données qui permettent d'identifier les risques, de déterminer la probabilité de leur réalisation et d'évaluer les effets à en attendre. Il s'agit de pouvoir gérer les risques en amont, ce qui a très bien fonctionné dans le cas du cyclone Belal, contrairement à ce qui s'était passé en 2017 lors du passage de l'ouragan Irma – d'une certaine manière, cette catastrophe avait été au moins riche d'enseignements pour les services.
Il ressort des auditions que les documents actualisés ne sont pas toujours d'une rigueur absolue, qu'il s'agisse du plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile), des dossiers départementaux sur les risques majeurs (DDRM) ou des plans communaux de sauvegarde (PCS). Comment pouvez-vous accompagner les collectivités locales dans la rédaction de ces documents ?
L'actualisation du plan Orsec et des documents de planification relève de l'État ; celle des PCS et de documents d'urbanisme tels que les plans de prévention des risques naturels (PPRN) incombe aux communes.
La DGSCGC est l'administration menante en la matière, notre valeur ajoutée étant liée à notre connaissance du réseau des préfets d'outre-mer. En matière de prévention des risques naturels majeurs comme pour d'autres politiques publiques, notre atout majeur est notre proximité avec les réseaux territoriaux de l'État, la connaissance que nous avons de nos partenaires au sein de l'État et des collectivités locales. Nous nous positionnons donc plutôt en tant que relais des instructions données par la DGSCGC ou la DGPR dans l'animation du réseau des préfets, et plus encore de celui de leurs directeurs de cabinet. L'autorité préfectorale, chargée de la déclinaison de cette politique, s'exerce surtout par l'action du directeur de cabinet du préfet. Le cabinet du directeur général de la DGOM est en relation quotidienne avec le réseau des directeurs de cabinet. Notre connaissance et notre proximité avec ce réseau nous permettent d'être réactifs.
Les PPRN donnent des résultats, mais certains territoires tels que la Guyane et Mayotte sont un peu en retard dans l'élaboration de leur plan. En revanche, La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe sont plutôt bien couvertes par les PPRN. Nous avons l'avantage de nous investir dans les territoires où la politique de prévention des risques n'est pas forcément du ressort de l'État. Certains territoires comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, les deux principales collectivités d'outre-mer, sont parfois des angles morts pour les directions d'administration centrale parisiennes. Ces dernières ont plus souvent affaire aux départements et régions d'outre-mer ou aux territoires tels que Saint-Martin ou Saint-Pierre-et-Miquelon, où s'applique l'identité législative. Au sein de la DGOM, nous suivons aussi les collectivités d'outre-mer qui sont soumises à la spécialité législative : nous ne les oublions pas dans la déclinaison des politiques de prévention des risques naturels majeurs. Toutefois, nous ne pouvons pas être à l'initiative, compte tenu de la répartition des compétences entre l'État et lesdites collectivités : nous intervenons donc en appui.
Comme en témoignent le Livre bleu, les différents budgets et même, d'une certaine façon, les contrats de redressement en outre-mer (Corom), l'État a mis l'accent sur la réduction du déficit en ingénierie des collectivités d'outre-mer. Les auditions nous ont appris que ce déficit était particulièrement patent en matière de prévention des risques naturels majeurs et dans le cadre de la modification des PPRN. Saint-Martin en a donné un bon exemple : le PPRN avait un peu raté sa cible en insistant sur les risques de submersion et en interdisant la construction sur les littoraux alors qu'il gommait un peu le risque – plus élevé – d'ouragan. Quoi qu'il en soit, la modification de ces documents n'est pas si simple, notamment parce qu'elle se heurte à de forts enjeux locaux et à un déficit d'ingénierie qui se fait d'ailleurs aussi sentir dans la collecte de données, nécessaire à l'élaboration des cartes. Parce qu'elle coûte cher, cette ingénierie n'est pas à la disposition permanente des petites collectivités. Pensez-vous que ce constat, qui ressort de nos auditions, est juste ? Si tel est le cas, comment pouvez-vous accompagner les collectivités dans ce domaine ?
Le défaut d'ingénierie publique dans les outre-mer touche la politique de prévention des risques naturels majeurs mais aussi nombre d'autres politiques, ainsi que vous l'avez souligné : la construction de logements, l'adduction d'eau potable, le traitement des déchets ménagers, etc.
En ce qui concerne les risques naturels majeurs, ce constat partagé nous a conduits à assouplir les conditions d'intervention du fonds outre-mer (FOM), que nous utilisons avec l'Agence française de développement (AFD). Expertise France, opérateur de l'AFD, nous a incités à utiliser le FOM pour mobiliser de l'ingénierie publique lors des opérations soutenues par PSA.
Le Gouvernement a aussi proposé le transfert de certaines agences des cinquante pas géométriques du giron de l'État vers celui des collectivités territoriales. Dans la loi de finances pour 2024, il a été proposé que ces agences puissent devenir des opérateurs du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier, ce qui permettrait l'arrivée d'un nouvel acteur puissant en termes d'ingénierie pour soutenir les collectivités.
À cet égard, je peux vous citer en exemple une opération remarquable qui est en cours à la Martinique où j'étais en déplacement la semaine dernière. Elle se déroule dans une commune du Nord de l'île, Le Prêcheur, située au pied de la Montagne Pelée et exposée à un risque de lave torrentielle. Il s'agit de déplacer des logements depuis la zone littorale vers l'arrière-pays, opération à laquelle participe notamment l'agence des cinquante pas géométriques.
L'État doit accompagner sous forme d'apport d'ingénierie, mais les collectivités locales ont aussi une responsabilité en la matière. Au niveau communal, plus encore qu'à l'échelon des intercommunalités ou des collectivités territoriales, un repyramidage des différentes catégories de fonctionnaires est nécessaire, ce qui prend du temps. On constate en effet une surreprésentation des fonctionnaires de la catégorie C et un manque de fonctionnaires d'encadrement des catégories A et B, qui sont le fruit de l'histoire. L'État doit faire des efforts – ils se traduisent par l'augmentation des moyens prévus dans la loi de finances pour 2024 et par les Corom. Même si leurs marges budgétaires sont réduites, les collectivités locales doivent quant à elles revoir progressivement leurs effectifs afin de dégager un peu de matière grise.
Une réflexion est en cours sur la question statutaire, tant en Nouvelle-Calédonie que dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et dans celles qui relèvent de l'article 74, lequel consacre le principe de spécialité législative. Considérez-vous que le statut de ces collectivités permet une coopération efficace entre les services de l'État, les services transférés et ceux qui sont à la main des collectivités locales pour protéger les populations face aux risques naturels ?
Cette question revêt un intérêt particulier s'agissant de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, qui sont les deux grandes collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie administrative la plus étendue. La Polynésie, qui est compétente en matière de prévention des risques, a adopté récemment un corpus réglementaire pour faire face aux risques naturels majeurs. Si la prévention y est bien appréhendée, on observe un retard dans la structuration d'un service territorial d'incendie et de secours (Stis), qui relève d'une compétence partagée entre l'État et les communes. La Polynésie, qui dispose de corps communaux, se trouve dans une situation comparable à celle que connaissaient les communes françaises avant la grande loi de départementalisation de 1996. On entame à peine la création d'un centre de traitement de l'alerte dans quelques communes de l'agglomération de Papeete. Le retard concerne tant la partie opérationnelle que curative.
En Nouvelle-Calédonie, les provinces sont compétentes en matière de prévention des risques naturels et de sécurité civile. Les sapeurs-pompiers n'y relèvent donc pas de l'autorité de l'État. Le territoire connaît du retard dans ces deux domaines, alors qu'il est de plus en plus exposé, à la faveur du changement climatique, à un certain nombre de risques auxquels, me semble-t-il, il n'était pas habitué – je pense, par exemple, aux feux de forêt.
Des collectivités plus petites, comme Saint-Martin, Saint-Barthélemy ou Saint-Pierre-et-Miquelon, ont besoin, malgré leur régime d'autonomie avancée, de l'ingénierie de l'État et des grands opérateurs de l'État lorsqu'elles sont confrontées à des problèmes majeurs. À Saint-Martin, dans le cadre de la reconstruction, elles demandent des interventions de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), et d'Action logement. Or, la compétence en matière de logement ayant été transférée à la collectivité, ces agences ne peuvent pas, légalement, y intervenir. Pour permettre leur action à Saint-Martin – ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a un peu d'avance sur cette dernière –, nous devons emprunter des détours juridiques, ce qui implique notamment de conclure des conventions assez complexes à bâtir. Parfois, la collectivité ne comprend pas pourquoi l'Anru ou l'Anah n'interviennent pas aussi spontanément qu'elles pourraient le faire dans un département de droit commun. Ce handicap tire souvent son origine des lois organiques statutaires.
J'aurai quatre questions supplémentaires à vous poser.
Premièrement, serait-il opportun, selon vous, d'établir une liste des risques naturels majeurs spécifiques à l'outre-mer ? Je pense en particulier à l'échouage des sargasses, qui est devenu un phénomène récurrent, et à l'évolution du trait de côte, qui peut être différente dans ces territoires au foncier plus contraint qu'ailleurs.
Deuxièmement, il semblerait que de nombreux biens ne puissent être assurés. Vous paraîtrait-il utile que l'on travaille sur un système de couverture plus universel ? En effet, les biens non assurés ne sont souvent pas conformes aux normes et ont une résilience beaucoup plus faible aux aléas.
Troisièmement, de nombreux acteurs de terrain considèrent que la culture du risque est très présente dans les territoires, quoiqu'à des degrés divers. Comment l'État peut-il accompagner le maintien de cette culture, qui favorise une plus grande résilience ?
Quatrièmement, conviendrait-il que les normes en matière de logement puissent être plus facilement adaptées aux outre-mer ? C'est une question particulièrement prégnante face aux risques naturels majeurs.
La question de savoir s'il faut appliquer des dispositifs généraux définis par tel ou tel ministère ou mener une politique spécifique aux outre-mer se pose pour nombre de politiques publiques déclinées outre-mer. Du point de vue de l'organisation, des procédures, de la planification à prévoir face aux risques naturels majeurs, on a, à mon sens, intérêt à maintenir les liens actuels dans les départements d'outre-mer (DOM), qui sont régis par le principe de l'identité législative. Ces liens enserrent les outre-mer dans un concert interministériel dense. La seule question qui peut se poser, pour les outre-mer comme pour d'autres parties du territoire national, est celle de savoir s'il faut prévoir une enveloppe spécifique au sein du fonds Barnier, ce qui emporte des conséquences sur le fléchage des crédits et les efforts budgétaires menés par les uns et par les autres. Le fonds Barnier, qui est géré par la DGPR et non par la DGOM, a vu ses crédits augmenter. Il me semble que les outre-mer ont été bien servis, si l'on prend en considération l'enveloppe actuelle du fonds Barnier – je ne sais pas s'il sera envisagé de l'augmenter face à l'accroissement des risques. Je plaide pour un maintien de l'organisation actuelle, qui place la DGOM au sein du concert interministériel des services de l'État, et permet un enrichissement à partir de l'expertise des autres services. La DGOM est une petite direction d'administration centrale. Si l'on menait une politique plus spécifique, nous perdrions l'expertise nécessaire à la conduite de tels projets.
S'agissant de l'assurance, je voulais vous indiquer que la mission sur l'assurabilité des risques climatiques – dont j'ai reçu les membres pour évoquer la faiblesse du taux de couverture assurantiel – doit rendre son rapport incessamment. Lorsque vous avez parlé des biens non assurés, je pense que vous aviez à l'esprit les biens des particuliers. Pour ce qui est de ceux qui appartiennent aux collectivités locales ou aux agriculteurs, le FSOM intervient lorsque les biens ne sont pas assurés. À titre d'exemple, à la suite du cyclone Belal, ce fonds est venu au secours des agriculteurs dépourvus de couverture. Nous essayons d'inciter les exploitants agricoles à s'assurer. Une ordonnance a été adoptée à cette fin en conseil des ministres il y a quelques semaines. Le projet de loi de ratification devrait arriver au Parlement en mai. Alors que ces projets de loi sont souvent des textes balais, il est possible, en l'occurrence, qu'un débat porte sur le contenu même du projet.
Concernant la culture du risque, la DGOM croit beaucoup à la Journée nationale de la résilience. On a constaté une augmentation assez significative du nombre et de la qualité des projets élaborés dans ce cadre. L'ensemble des territoires ont participé à l'événement en 2023, alors que certains, comme la Polynésie française ou Saint-Martin, ne l'avaient pas fait en 2022. Notre objectif, en 2024, est de mobiliser encore davantage les associations et les collectivités locales et de viser les publics les plus éloignés de la culture du risque. Nous avons été très marqués par le décès de personnes sans domicile fixe lors du passage de Belal. Certaines populations défavorisées échappent à nos messages de prévention. Aussi souhaitons-nous, lors de la prochaine Journée nationale, privilégier une politique de l'aller vers concernant ces publics.
Quant à la question de l'adaptation des normes en matière de logement, elle se pose dans tous les départements d'outre-mer. Les territoires font face à des situations conjoncturelles différentes : on ne va pas traiter le logement de la même manière en Guyane ou à Mayotte et dans des territoires plus mûrs, comme la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion. Cela étant, on constate, dans l'ensemble des territoires, un besoin d'adaptation des normes qui, sans impliquer forcément l'autonomie administrative, doit conduire l'État à être beaucoup plus attentif aux normes qu'il établit dans les DOM et les régions d'outre-mer (ROM).
Lorsque l'on doit construire un certain nombre de logements en Guyane et à Mayotte, la question se pose de savoir s'il faut étendre à ces territoires les normes de constructibilité que l'on applique à La Réunion, à la Martinique et à la Guadeloupe. La question se pose, même si elle semble aller à l'encontre du principe sacré d'égalité. En Guyane et à Mayotte, les enjeux sont essentiellement quantitatifs, tandis que, dans les autres départements, ils sont peut-être plus qualitatifs.
Nous allons inclure pour la première fois dans le plan Logement outre-mer (Plom), dont la troisième édition couvrira la période 2024-2027, la question des risques naturels majeurs, qui sera l'une de nos priorités. Il s'agira notamment de déterminer de quelle manière cette thématique sera prise en compte dans les objectifs fixés à chaque territoire.
Vous avez évoqué le transfert des agences des cinquante pas géométriques vers l'opérateur du fonds Barnier, ce qui serait lourd de conséquences, puisque cela signifierait, compte tenu de la position prise par Comité national du trait de côte (CNTC), que l'on exclut l'érosion côtière, celle-ci ne constituant pas un risque naturel majeur. Le ministre devra toutefois trancher. On compte sur vous pour que la mission interinspections soit étendue à l'ensemble des territoires ultramarins. On a besoin de cette mission et de l'évaluation du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) sur les questions de l'érosion, de la submersion et de l'élévation du niveau de la mer, même pour des collectivités à statut particulier comme la Nouvelle-Calédonie.
Mes propos relatifs aux agences des cinquante pas géométriques concernaient uniquement l'ingénierie.
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de Mmes Delphine Grancher, ingénieure de recherche et Annabelle Moatty, géographe et chercheuse au Centre national de recherche scientifique (CNRS).
Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête en accueillant deux chercheuses au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Mmes Delphine Grancher et Annabelle Moatty, que je remercie pour leur disponibilité.
Vous avez participé, mesdames, au projet Tirex (Transfert des apprentissages de retours d'expériences scientifiques), dont on nous a parlé au cours de précédentes auditions. Ce projet s'inscrivait dans la continuité des premières missions collectives réalisées aux Antilles suite aux trois ouragans Irma, José et Maria. Il avait pour objectif de compléter l'analyse des impacts et de renforcer le suivi de la reconstruction territoriale en favorisant l'analyse comparative entre territoires du nord des Antilles et en formalisant des méthodes de retex scientifique continu. Vous avez donc une expertise qui intéresse notre commission d'enquête.
Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et que son enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, puis nous poursuivrons nos échanges sous la forme de questions-réponses.
Je vous rappelle au préalable que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Delphine Grancher et Annabelle Moatty prêtent successivement serment.)
Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de votre invitation à présenter une partie de nos travaux sur la reconstruction post-catastrophe et sur la reconstruction post-Irma en particulier. Nous avons, avec ma collègue, préparé cette audition ensemble et nous nous sommes réparti les questions que vous nous avez adressées.
Je me concentrerai pour ma part sur la période de post-catastrophe, qui constitue le cœur de mon domaine de compétences. J'ai structuré ce propos autour de trois points centraux. D'abord, les catastrophes ne sont pas naturelles et la reconstruction ne démarre pas sur une page blanche. Ensuite, la reconstruction est le parent pauvre de la gestion des risques. Enfin, il est important et pertinent d'inscrire l'analyse et le suivi des territoires dans des temporalités longues.
Ma collègue Maud Devès l'a très bien formulé la semaine passée : les catastrophes ne sont pas naturelles. Si l'événement – cyclone, séisme – est d'origine naturelle, ce sont les vulnérabilités associées à nos modes d'organisation et à nos choix de développement qui en font une catastrophe. Pour Haroun Tazieff, « [le] risque majeur, c'est la menace sur l'homme et son environnement direct, sur ses installations, la menace dont la gravité est telle que la société se trouve absolument dépassée par l'immensité du désastre ». Ce sont donc bien la capacité à faire face et les capacités de résistance, de reconstruction et d'adaptation qui sont en jeu dans la réponse des sociétés face à ces risques majeurs. En filigrane, ceci implique que la réponse est fortement influencée par la préparation en amont de la situation de crise. Autrement dit, la gestion de crise est ancrée dans nos modes de gouvernance et d'organisation.
Il en va de même pour la reconstruction post-catastrophe, qui ne démarre ni sur une page blanche ni dans un territoire vierge. Les modalités possibles de reconstruction sont ancrées dans l'épaisseur historique des territoires, c'est-à-dire dans leur structure sociale, politique, économique et culturelle. Elles sont aussi conditionnées par la conjoncture locale : la reconstruction peut être ralentie ou entravée par la concomitance ou la succession de crises multiples de différentes natures. À Saint-Martin par exemple, la reconstruction post-Irma s'est trouvée confrontée à la crise covid et à celle des sargasses, notamment. La reconstruction ne démarre donc pas d'un état zéro à partir duquel tout serait possible. Rien n'émerge en post-catastrophe mais potentiellement, tout se transforme : les modalités d'aménagement des territoires, les structures de gouvernance, les relations sociales.
Permettez-moi, après avoir explicité ce que la reconstruction n'est pas, de vous donner quelques éléments de cadrage pour vous dire ce qu'elle est. La reconstruction, qui démarre lorsque l'urgence absolue est considérée comme terminée, c'est-à-dire quand l'intégrité physique des personnes n'est plus en danger, est un processus de temps long. Une fois l'urgence absolue passée, les phases de nettoyage, de restauration et de réhabilitation des bâtiments, infrastructures et réseaux se déroulent sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. La sortie de l'urgence est marquée par une compression temporelle, c'est-à-dire qu'un grand nombre d'actions sont à mettre en œuvre dans un temps très contraint. M. Philippe Gustin, Mme Anne Laubies et M. Daniel Gibbs, qui ont eux-mêmes géré cette phase à Saint-Martin, l'ont expliqué lors de leurs auditions.
La majeure partie des opérations de reconstruction s'étend en moyenne sur deux à cinq ans mais les décisions prises dans ce temps post-catastrophe peuvent avoir des conséquences sur les territoires et sociétés pendant plusieurs décennies. Ces grandes phases du processus se retrouvent dans l'ensemble de situations que j'ai pu étudier depuis 2011, de la France hexagonale aux outre-mer en passant par le Japon et l'Indonésie. L'autre constante, c'est la variation locale des temporalités de reconstruction et de relèvement selon les quartiers, les groupes sociaux et les individus.
La reconstruction, c'est aussi un temps charnière de la trajectoire de vie des sociétés et individus qui emporte de nombreux espoirs et attentes, au premier rang desquels celui de se relever moins vulnérable et plus résilient. On touche ici à la fenêtre d'opportunité et au concept de build back better, reconstruire en mieux, popularisé et élevé au rang d'injonction internationale dans le cadre d'action de Sendai de 2015. Mes travaux m'ont permis d'identifier trois piliers qui interagissent : la réduction de l'exposition et de la vulnérabilité de l'environnement bâti, l'aide au relèvement des communautés et la restructuration des modes de gouvernance.
La réduction de l'exposition et de la vulnérabilité de l'environnement bâti passe notamment par des actions sur les bâtiments et infrastructures, qui peuvent inclure l'augmentation de la résistance de ces constructions aux forces et pressions liées à l'événement – on pense bien sûr aux constructions parasismiques et paracycloniques – ou des mesures de réduction de l'exposition par des opérations de délocalisation et de relocalisation. Nous disposons en France d'un outil pour racheter les biens jugés trop dangereux et permettre aux propriétaires qui le souhaitent de se reloger ou de recommencer leur activité ailleurs, le fonds dit Barnier. Il est cependant difficile de généraliser une délocalisation à l'échelle d'un quartier tout entier ou d'un territoire. Au-delà du fait que s'exprimeraient des réticences et un attachement au territoire, cela impliquerait en effet de vider tout ou partie de certaines communes et villes de leurs occupants et activités, et de trouver de nouveaux lieux sur lesquels réimplanter ces populations en dehors des zones à risques et des zones protégées mais à proximité de leurs moyens de subsistance et des services publics.
Le deuxième pilier est l'aide au relèvement des communautés sinistrées. Celle-ci repose sur un panel d'actions de solidarité, depuis les initiatives individuelles, communautaires et associatives jusqu'aux aides étatiques, dont le but est de permettre à tous, en particulier aux plus précaires, de vivre malgré la catastrophe. Pour aider les collectivités territoriales sinistrées, l'État français s'engage financièrement en subventionnant les travaux les plus coûteux. En matière d'aide à la décision, il autorise par dérogation une souplesse vis-à-vis de certaines lois et règlements et déploie, comme ce fut le cas à Saint-Martin, des moyens humains d'assistance à maîtrise d'ouvrage.
Le troisième pilier, le décloisonnement de la gouvernance, se traduit en France par la mise en place de cellules et de missions interministérielles. On trouve dans d'autres pays, par exemple en Nouvelle-Zélande, des ministères de la reconstruction. Les cellules et missions interministérielles permettent de sortir d'une gestion en silos. Leur objectif est d'administrer la reconstruction et de rendre plus rapides et plus fluides les prises de décisions impliquant une dépense d'argent public. En France, une très large majorité des financements de la reconstruction émane en effet de l'État. Or pour dépenser ces fonds, il faut respecter des règles garantes de leur bonne utilisation mais peu compatibles avec le besoin d'agir vite qui caractérise le début de la reconstruction.
L'idée qui sous-tend le build back better est donc de tirer parti de la reconstruction pour nous adapter. Or repenser nos modes de gouvernance et d'aménagement prend du temps. De fait, en post-catastrophe, s'adapter c'est donc aussi résister au besoin de reconstruire vite et à l'inertie de nos sociétés hyperconnectées. C'est résister, aussi, aux incertitudes sur les gains préventifs et sur la pertinence de l'aléa de référence considéré, en particulier dans un contexte de changements globaux. Dès lors, les projets mis en œuvre pendant la reconstruction post-catastrophe sont essentiellement conçus bien avant, la reconstruction pouvant alors jouer le rôle de catalyseur.
Au cours de mes recherches, j'ai pu identifier plusieurs facteurs permettant de penser la reconstruction comme une fenêtre d'opportunité pour mettre en œuvre dans les territoires une bifurcation de trajectoire et aller vers davantage de soutenabilité. En effet, les dommages et les destructions donnent à voir les vulnérabilités de nos environnements bâtis, de nos territoires et de nos sociétés, ce qui renforce l'adhésion de l'opinion publique, au moins localement, aux investissements préventifs. En complément, les solidarités internationales, nationales et locales offrent un afflux financier dans les territoires sinistrés. Enfin, le décloisonnement interministériel permet de sortir de la gestion en silos et d'assurer davantage de cohérence dans les prises de décision.
La fenêtre d'opportunité concerne la mise en œuvre de ce que j'ai appelé la reconstruction éthique et préventive – j'entends par là une reconstruction qui permette un accès aux ressources selon les principes de la justice sociale et territoriale et qui mette en œuvre en même temps des mesures de prévention et de réduction des risques. Mais j'insiste sur un point : la catastrophe ne fait pas table rase du passé. La reconstruction s'enracine dans les héritages sociaux, politiques, culturels, territoriaux, patrimoniaux et économiques, qui conditionnent l'accès aux ressources et structurent la gouvernance des territoires. La reconstruction comporte aussi un risque de propagation des dysfonctionnements à l'ensemble des éléments du système par effet domino. J'appelle paradoxe de la reconstruction post-catastrophe cette tension entre la fenêtre d'opportunité, d'une part, et le risque de déstabilisation du système, d'autre part.
Mes recherches m'ont aussi permis d'identifier des facteurs qui contraignent nos capacités d'adaptation. D'abord, les ressources sont limitées, potentiellement endommagées, détruites et/ou inaccessibles. Ensuite, le processus de reconstruction est le parent pauvre de la gestion des risques. Les premiers jours après un événement, les procédures de gestion de crise s'appliquent. Mais la suite est plus floue, reposant davantage sur les capacités des hommes et femmes qui sont en responsabilités à se coordonner, à rassembler, à trouver des informations et à mobiliser les sources de financement.
En matière de financement justement, en dehors des lignes budgétaires consacrées aux calamités agricoles et de l'indemnisation par les assurances, il n'existe pas à proprement parler de fonds dédié à la reconstruction. Cela impose de puiser, pour reconstruire les territoires, dans les fonds dédiés au développement. Le fonds Barnier, dont le nom complet est fonds de prévention des risques naturels majeurs, est comme son nom l'indique destiné à financer les mesures préventives, mais il est fréquemment sollicité en post-catastrophe, notamment pour financer les opérations de rachat. Le régime « Cat nat », fondé sur la solidarité nationale face aux catastrophes, nous est envié à l'international. Reposant sur le système assurantiel et sur la surprime systématiquement collectée, il permet de mutualiser les risques et de contrebalancer en partie les inégalités liées aux expositions différentielles des foyers. Dans de nombreux territoires en effet, les zones les plus exposées sont occupées par les populations les plus vulnérables.
Le dernier facteur contraignant nos capacités d'adaptation, enfin, est lié au climat social et politique. Les retours d'expériences qui sont menés à chaud portent sur la gestion de crise et la sortie de crise : ils visent souvent à rechercher des responsabilités. Dans le cas d'une catastrophe technologique, le débat se concentre souvent sur la responsabilité unique de l'exploitant, alors que face à une urbanisation anarchique, exposée ou vulnérable, les responsabilités sont plus diffuses dans le temps et entre les échelons de gouvernance.
Dès lors, l'approche interministérielle est aussi nécessaire en matière de gestion des événements et de développement des territoires que l'approche interdisciplinaire l'est en sciences pour produire des connaissances utiles et utilisables. Pour produire ce type de connaissance, la recherche scientifique doit être consciente des contextes locaux : comme je le mentionnais, il n'y a pas de bonne solution applicable partout et transposable efficacement d'un territoire à un autre. Elle doit aussi s'engager dans le temps long, sur quelques décennies, pour être en mesure d'analyser les conséquences des décisions prises en période de post-catastrophe sur le développement des territoires et des sociétés. À cet égard, le financement de la recherche pourrait être repensé dans le temps et dans l'espace. Des financements sur des durées plus longues permettraient de suivre les territoires et de documenter finement les leviers et écueils à la mise en œuvre de stratégies et de politiques éthiques et préventives. S'agissant des espaces, la concentration sur de petits territoires de plusieurs consortiums de chercheurs travaillant sur les mêmes sujets pose des questions éthiques et déontologiques.
La reconstruction s'appuie sur les modes de fonctionnement connus qui sont tout à la fois une partie du problème, puisqu'ils ont fait notre vulnérabilité, et une partie de la solution, puisqu'ils fondent nos capacités d'adaptation. L'adaptation, bien sûr, ne se joue pas qu'après des événements catastrophiques. Compte tenu des difficultés à la mettre en œuvre hors temps de catastrophe, néanmoins, il est vrai que la reconstruction peut constituer une fenêtre d'opportunité. En revanche, le manque d'anticipation et de cadrage réglementaire et administratif contraint les capacités d'adaptation, en particulier préventive. En effet, à rebours du discours le plus commun, les lois et règlements permettent de garder le cap de la soutenabilité face à l'urgence d'une crise. Plusieurs conditions doivent cependant être réunies. Il faut notamment que ces lois et règlements soient ajustables à la diversité des situations. Mes collègues auditionnés précédemment ont souligné la nécessité de laisser une marge de manœuvre aux décideurs et gestionnaires locaux qui, le plus souvent, ont une connaissance fine de leur territoire et de la population.
Je vous remercie à mon tour, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de me donner l'opportunité de présenter devant vous quelques résultats des travaux menés ces dernières années dans les outre-mer français.
Concernant la coordination entre les services de l'État, les collectivités territoriales et la population, je souhaite aborder le rôle du tissu associatif. Qu'il soit humanitaire, sportif ou culturel, il est particulièrement dense et dynamique en outre-mer. Après le passage du cyclone Irma à Saint-Martin, nous avons pu observer des élans de générosité entre les îles et depuis la France hexagonale, en particulier grâce au relais de personnes ayant des attaches dans les territoires touchés. Cette mobilisation est révélatrice de la ressource essentielle dont bénéficie la population. Le capital social de chacun lui permet, grâce à son réseau familial, professionnel, associatif ou communautaire, d'accéder à des soutiens matériels et psychologiques que ne peuvent pas toujours ou pas entièrement prendre en charge les autorités publiques. Les ONG, associations de l'urgence et du soutien à la reconstruction, venues de l'extérieur des territoires, ont été beaucoup plus efficaces sur le terrain lorsqu'elles avaient fait la démarche de mettre en place une coopération locale et pérenne.
Au cours des auditions précédentes ont été évoquées la désorganisation et la perte de temps induites par la multitude d'acteurs s'investissant dans la solidarité post-cyclone. Je me permets une recommandation : la formation des associations locales à la gestion des risques, quel que soit leur domaine d'intérêt, est essentielle : d'abord pour leurs propres structures, pour la sauvegarde de leur patrimoine et de leurs documents administratifs, car la reprise des activités de loisirs est un vecteur de résilience et se révèle importante pour la vie économique des territoires ; ensuite, pour qu'elles puissent être intégrées de façon pertinente à la gestion de crise, le cas échéant, et continuer ainsi de soutenir les populations sinistrées, en particulier à moyen et à long terme.
Vous nous avez interrogées sur la prise en compte du changement climatique dans les politiques de prévention. J'ai participé à deux études à ce sujet, l'une en Polynésie française, l'autre à Saint-Pierre-et-Miquelon. En Polynésie française, les habitants des atolls ont une perception très claire des changements ayant affecté localement, au cours des soixante-dix dernières années, la température de la mer et de l'air, les coraux, la faune et la flore. Mais il existe des différences suivant les générations et nous avons recommandé, dans notre étude, de renforcer la diffusion d'informations sur les situations locales. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les habitants ont aussi une bonne connaissance des effets du changement climatique sur leur territoire et se montrent favorables à la poursuite d'une politique d'adaptation. Ces deux exemples ne sont peut-être pas généralisables ; leur validité dans les autres territoires doit encore être vérifiée.
Les modifications éventuelles des dates de la saison cyclonique et la récurrence d'événements plus puissants, du fait du changement climatique, nécessiteront une adaptation des plans de gestion. À cet égard, une approche multirisque permettrait de mieux anticiper. À l'issue d'une étude exploratoire sur la gestion multirisque, nous avons mis en évidence la non-prise en compte des scénarios multi-aléas dans la politique de réduction des risques de catastrophes – qu'il s'agisse d'une succession d'événements du même type, comme les cyclones Irma, José et Maria en 2017, ou du passage d'un cyclone pendant une crise volcanique comme en Guadeloupe en 1976. Cette situation n'est pas envisagée dans les exercices de crise, qui sont toujours mono-aléa.
Aussi puissant qu'il ait été, le cyclone Irma ne doit pas être l'événement cyclonique de référence dans la mémoire et la culture du risque sur les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, ni dans les autres territoires. Les témoignages que nous avons recueillis lors de nos missions de terrain décrivent des situations dramatiques de parents maintenant leurs enfants hors de l'eau à bout de bras, ou de familles qui s'étaient relogées avant le passage de l'œil du cyclone pour éviter d'être emportées par les vagues qui ont ensuite ravagé leur rez-de-chaussée. Certaines des personnes décédées lors du passage du cyclone étaient sur des bateaux, tandis que d'autres se sont noyées alors qu'elles étaient sur la terre ferme. Ce fut aussi le cas lors du passage de Belal à La Réunion et lors des épisodes de pluies intenses en Polynésie ces dernières semaines. Si Irma était resté quelques minutes de plus à Saint-Martin, si l'œil du cyclone était passé à quelques kilomètres de l'île, si les gens n'avaient pas pu se loger ailleurs, le bilan humain aurait été tout autre. Ne garder en mémoire que la dangerosité des vents dans un cyclone est un piège, même s'ils sont à l'origine de la majorité des destructions et du coût considérable de la catastrophe. La prévention des risques doit insister sur le danger que représentent la submersion marine et les inondations autour des cours d'eau.
Ma collègue Annabelle Moatti l'a évoqué : la période post-catastrophe est presque ignorée dans les messages de prévention. Elle n'est évoquée que dans les consignes relatives aux quelques heures suivant le passage d'un cyclone ou le déclenchement d'un séisme, mais rien n'est dit sur les jours, les semaines et les mois qui suivent. Une meilleure information des populations, en particulier de celles qui ne sont pas originaires des territoires, est un enjeu essentiel. Il faut porter une attention particulière à ceux qui y restent peu de temps : aux fonctionnaires, du fait de leurs rotations, mais aussi aux travailleurs, parfois saisonniers. La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi 3DS) prévoit désormais, pour l'ensemble des salariés d'outre-mer, un volet sur les risques majeurs dans la formation obligatoire aux risques professionnels. Cette formation doit être garantie à l'ensemble des personnels, en particulier aux enseignants et aux personnels de santé. Elle insiste sur le fonctionnement de l'alerte, lorsqu'elle est possible, sur la préparation et sur les comportements à adopter, mais aussi sur les interventions successives des différents acteurs après un événement majeur : services d'identification des victimes, ONG, forces de l'ordre ou experts. Cette formation ne peut que réduire la diffusion de rumeurs et améliorer l'anticipation par les individus, les entreprises et les institutions. Elle favorise une reprise plus rapide des activités éducatives, administratives, économiques et culturelles.
Parmi les personnes qui échappent à la politique actuelle de prévention des risques, on trouve aussi les voyageurs et les touristes. Dans la salle des arrivées de chaque aéroport en outre-mer sont affichés des messages de prévention relatifs à la dengue, au virus Zika et au chikungunya, mais aucune information ne prévient le voyageur qu'il arrive dans une zone sismique ou à risque de tsunami.
Vous nous avez interrogées, enfin, sur les dispositifs d'alerte et d'évacuation de la population. Ce sujet a déjà été abordé par Matthieu Péroche, avec lequel nous collaborons. Tous les aléas ne peuvent pas donner lieu à une alerte, en particulier les séismes. Il n'empêche que, dans le cas où survient un événement majeur, il est indispensable de prévoir la diffusion d'informations et de points de situation réguliers. Le système FR-Alert est en cours de déploiement dans tous les outre-mer ; il a déjà été utilisé en situation réelle à La Réunion plusieurs fois. Il constitue une réelle avancée mais il doit compléter les autres médias de diffusion, et non s'y substituer.
La prise en compte des spécificités linguistiques des différents territoires est essentielle, et les messages doivent être préparés et validés par des locuteurs. Pour qu'une évacuation soit facilitée, il faut qu'elle ait été pensée et testée avec les populations concernées. Les travaux que nous avons menés en Guadeloupe ont démontré qu'il est nécessaire d'inciter les habitants, le cas échéant – à l'occasion d'une crise volcanique, par exemple – à anticiper une évacuation de plusieurs semaines, et qu'il est difficile de leur imposer des zones d'accueil sans prendre en compte leurs préférences. Ceci a été confirmé par Olivier Gillet dans un article publié en 2023. Une telle anticipation permet de favoriser le maintien dans les territoires de personnels qui seront essentiels à la reprise d'activité.
Il me paraît important d'indiquer, en amont des crises, quelles catégories de population seront évacuées ou déplacées en priorité, et pourquoi. Tout le monde pense aux personnes malades ou en situation de handicap, aux pensionnaires des Ehpad et aux femmes enceintes. Je ne crois pas en revanche que le grand public soit informé de l'évacuation des prisonniers et des familles des forces de l'ordre.
Par ailleurs, les solutions d'hébergement pour quelques heures, pendant le passage d'un cyclone par exemple, doivent être acceptées par les personnes concernées. Cela implique que celles-ci aient confiance en l'organisation mise en place par les autorités et en la solidité des bâtiments. Un recensement des personnes vulnérables et des visites des abris sont essentiels en amont. Pour les évacuations qui doivent être rapides et reposer le plus possible sur l'auto-organisation – face à un tsunami, par exemple –, le fléchage vers des zones refuges est indispensable, tout comme le sont les exercices réguliers associant les populations locales. À ce jour, une seule commune d'outre-mer s'est vue décerner le label Tsunami ready.
Je pourrais évoquer aussi l'éducation aux risques dans le contexte scolaire, mais je pense que ce sujet sera abordé lors des questions.
Il me semble, mesdames, que vous avez adopté des angles d'approche différents.
Je sais qu'il est de bon ton de dire que la faute revient toujours à l'État et que le niveau local est irréprochable, mais je voudrais à ce sujet revenir sur l'exemple du cyclone Irma. Vous estimez, madame Grancher, qu'il serait regrettable de négliger le risque submersion par rapport au risque associé aux vents. Pourtant, après que la définition du nouveau plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) a donné lieu à des émeutes et à des désordres importants, c'est une meilleure écoute qui a permis d'isoler le primat du risque vent sur le risque submersion ; les personnes que nous avons auditionnées ont très largement vanté cette approche. L'équilibre n'est pas facile à trouver entre prise en compte des réalités locales – notamment du refus des habitants de quitter leur logement –, et prise en compte de l'évolution des aléas climatiques. Ne faudrait-il pas arbitrer en faveur d'une plus grande autorité – celle de l'État ou de la chose publique d'une façon générale – plutôt que de baisser la garde face aux risques signalés ? L'exemple du risque submersion par rapport au risque vent, que vous avez évoqué madame Grancher, est à cet égard révélateur.
Je vous rejoins toutes les deux s'agissant de la culture du risque. Nombre de nos interlocuteurs, qu'ils soient locaux ou étatiques, nous ont dit vouloir la favoriser, mais j'ai compris que les journées d'exercices ou de sensibilisation ne couvraient pas l'ensemble des risques. Faites-vous le même constat ? Faudrait-il changer notre façon de faire dans ce domaine ?
Dans la mesure où la résilience se prépare bien avant l'aléa, comment peut-on parvenir à concilier les règles d'urbanisme, qui seront nécessaires à l'avenir, avec la situation actuelle ? Dans de nombreux territoires, la rareté du foncier ne va pas faciliter les choses.
S'agissant enfin de la nécessité d'être à l'écoute des populations locales, je vous rejoins totalement. On nous a néanmoins indiqué qu'il était plus difficile d'associer les personnes hébergées dans des habitats informels, qui sont souvent en situation de grande fragilité et parfois dépourvues de statut dans le territoire concerné. On en viendrait presque à devoir hiérarchiser les différentes fragilités, pour prévenir les risques de façon efficace. D'après vos recherches, comment les réseaux locaux réagissent-ils face à cette diversité de situations ?
Le milieu scolaire apparaît clairement comme un vecteur privilégié d'éducation aux risques et de diffusion généralisée de la culture du risque. Nous avons recensé une quinzaine de chapitres, dans les programmes scolaires, abordant la notion de risque majeur. Aucun de ces chapitres n'est spécifique aux risques majeurs en outre-mer et il n'y a pas d'obligation d'y intégrer des cas d'étude locaux. Certains chapitres du programme d'histoire font pourtant l'objet d'une telle adaptation, qui permet aux élèves de mieux connaître le territoire dans lequel ils vivent.
Le fait qu'ils n'y soient pas obligés ne veut pas dire que les enseignants n'abordent pas les risques locaux. Mais l'organisation de ces séances repose sur leur volonté et, surtout, sur la disponibilité de la documentation. On trouve un certain nombre de documents sur des sites académiques, mais leur mise en ligne n'est pas systématique et ils ne sont pas exhaustifs. L'éducation aux risques majeurs dans le cadre scolaire n'inclut pas non plus de façon systématique une préparation à l'adoption de comportements sûrs. Dans le cadre de nos recherches, nous avons créé un jeu de société destiné aux adolescents, qui s'intègre au programme du collège. Il présente aux élèves la situation d'un territoire après le passage d'un cyclone majeur, la reconstruction et la vie quotidienne des habitants. Il est cette année en cours de déploiement, grâce à l'implication des académies de la Guadeloupe et de La Réunion.
Il existe d'autres opportunités pour proposer, souvent de manière ludique, une sensibilisation aux risques majeurs en milieu scolaire : il y a les journées dédiées à la prévention des risques sismiques, les exercices CaribWave, ou encore la journée française « Tous résilients face aux risques » dont la première édition fut organisée en 2022 et qui aura lieu chaque 13 octobre désormais.
Ces animations sont relativement coûteuses et nécessitent la mobilisation d'associations spécialisées. Elles ne peuvent être accueillies dans tous les établissements chaque année. Elles participent malgré tout à la réactivation de la mémoire et à la formation au risque pour toutes les générations.
Les plans particuliers de mise en sûreté (PPMS) sont désormais largement mis en place dans les établissements scolaires, en particulier grâce au coordonnateur académique des risques majeurs (Carm). Mais des exercices d'évacuation pour faire face aux aléas sismiques et aux tsunamis ne sont pas toujours organisés chaque année.
Nous avons estimé à plus de 250 000 le nombre de jours manqués pour l'ensemble des élèves de la maternelle à la terminale scolarisés dans des établissements publics du seul fait de la fermeture des établissements à Saint-Martin après Irma. La reprise de la scolarité est un élément déterminant pour l'éducation des jeunes, mais aussi pour permettre aux adultes de reprendre leur activité professionnelle et pour limiter la petite délinquance.
Cette reprise doit être anticipée et planifiée en associant les autorités publiques, car elle concerne des domaines qui ne relèvent pas seulement des services de l'éducation nationale. Il s'agit de veiller à l'accès à des locaux sécurisés qui ne sont plus nécessaires à la gestion de crise, en procédant éventuellement à une nouvelle répartition des élèves. Il s'agit aussi de financer des aménagements modulaires, de transporter les élèves et les personnels et de s'assurer de la présence du mobilier et du matériel pédagogique, pour offrir des conditions d'enseignement les plus proches de la normale.
Associé au PPMS, le protocole de reprise de la scolarité après un événement majeur devrait aussi inclure un diagnostic de situation et, le cas échéant, prévoir les mesures de soutien nécessaires pour les personnels qui seraient en difficulté. On peut aussi prévoir des activités pédagogiques liées au retour d'expérience, adaptées au niveau des élèves.
La formation de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale aux risques majeurs – et en particulier à leur gestion – est primordiale.
Enfin, l'état dégradé des bâtiments scolaires outre-mer a été plusieurs fois pointé du doigt par différents rapports. L'occurrence d'un événement majeur, qu'il soit climatique ou tectonique, dégradera inévitablement une situation déjà compliquée. Je rappellerai qu'à Saint-Martin trois établissements ont été définitivement fermés. Depuis six ans, une partie des cours a lieu dans des bâtiments modulaires. L'ouverture d'un nouvel établissement est désormais prévue pour 2025, c'est-à-dire huit ans après le passage du cyclone. Ce délai est éprouvant pour les élèves, les personnels et les familles, qui subissent encore les conséquences d'Irma.
Le PPRN constitue un sujet épineux, comme l'ont montré les auditions qui ont eu lieu les semaines précédentes.
La révision de ce plan à la suite d'une catastrophe est systématique, et elle est d'autant plus nécessaire que l'intensité de l'événement a dépassé l'aléa de référence qui figurait dans l'ancien PPRN.
Tout d'abord, je connais peu de cas où cette révision s'est très bien passée et n'a pas suscité des heurts ou des contestations – y compris lorsque cette démarche a été réalisée sans qu'une catastrophe soit intervenue au préalable.
Le PPRN est un document d'aménagement et d'urbanisme qui vise principalement, dans les zones où les aléas sont les plus élevés, à ne pas exposer les habitants à un risque de décès. Dans les zones littorales par exemple, le PPRN repose sur la définition de zones dont un adulte en bonne santé aurait beaucoup de mal à partir avant que n'arrive une vague d'une hauteur et d'une vitesse données. Il s'agit d'une gestion de la mise en danger de la vie des administrés.
Le statut administratif de Saint-Martin – que vous connaissez bien – n'est pas sans poser des questions en matière de répartition des compétences s'agissant de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme. En outre, le foncier est fort complexe et peu disponible, avec beaucoup de parcelles en indivision. De nombreux biens ont été acquis dans le cadre de schémas de défiscalisation, avec pour effet qu'un certain nombre de propriétaires ignoraient qu'ils possédaient des biens à Saint-Martin. Cela a rendu plus complexe la gestion de la reconstruction – les assureurs vous en diront peut-être un mot.
La topographie de l'île est complexe : le pic Paradis, situé en son cœur, contraint fortement l'aménagement. Le territoire vit d'une économie centrée exclusivement sur le tourisme. L'une de vos questions portait sur la conciliation entre les règles d'urbanisme et le développement du territoire destiné à assurer la subsistance des habitants. Il est évident qu'il est difficile pour une île vivant essentiellement du tourisme – et singulièrement de la beauté de ses paysages et de sa qualité de vie – d'envisager de reculer toutes les activités sur le pic Paradis et d'interdire de construire sur le littoral.
L'étude que nous avons menée a mis en évidence qu'il y avait aussi une question de personnes. Le manque de cadrage de la reconstruction a laissé davantage de latitude aux différents acteurs. Les relations entre l'État et la collectivité ont été fort tendues pendant la période de révision du PPRN, ce qui a conduit à des communications parfois contradictoires, ayant pu, selon nous, semer le trouble dans la population.
Les zones à risque avaient été définies initialement dans le PPRN en extrapolant à partir des relevés des laisses de submersion. Cette méthode de dessin a posé des problèmes car elle entraînait des incohérences en raison de particularités topographiques locales. Ce premier zonage a été revu.
Il y a aussi eu des problèmes de communication en direction de la population, avec des réunions qui ont attiré très peu de monde et qui ne faisaient pas l'objet d'une traduction dans les différentes langues en usage. Cela n'a pas permis à la population de Saint-Martin de véritablement prendre part au débat et d'avoir accès à l'information.
À nos yeux, tous ces éléments de contexte ont contraint à réviser le PPRN.
Un effort important de concertation avec les populations a ensuite été réalisé, en mettant en avant les dommages liés au vent et le caractère prédominant de l'activité touristique sur le littoral. Il s'agissait de satisfaire les exigences de prévention et de mise en sécurité de la population, sans pour autant mettre ce territoire sous cloche et en lui permettant de se développer de nouveau et de vivre du tourisme. Comme l'a souligné M. Gibbs, le tourisme y est essentiel. Les caractéristiques du territoire rendent beaucoup plus difficile de développer des activités industrielles et agricoles.
Enfin, notre étude conclut que les dispositifs de défiscalisation en vigueur pendant les décennies qui ont précédé l'ouragan Irma ont pu engendrer à Saint-Martin une forme d'urbanisme peu adapté aux contraintes spécifiques locales. Ces dispositifs ont été créés pour de bonnes raisons et ont eu des conséquences positives, mais ils ont aussi eu des effets relativement pervers – nous pourrons vous communiquer les travaux de collègues à ce sujet, mais je ne développe pas davantage afin de conserver du temps pour répondre à d'autres questions.
Vos réponses sont déjà très riches.
Ne vous méprenez pas : il n'y a aucune critique de vos travaux dans mes propos – bien au contraire.
Nous apprenons face à des événements qui s'étalent durant une période assez considérable. Évidemment, la société est traversée par des contradictions et il n'est pas simple de prendre en compte des intérêts complexes et qui ne convergent pas forcément. Mais la question est de savoir quel est le risque acceptable et comment on arrive à l'assumer de manière partagée. La situation est difficile, mais je suis complètement d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il faut s'appuyer avant tout sur les associations locales pour diffuser la culture du risque – l'éducation en étant l'un des principaux vecteurs.
Je voudrais que l'on revienne sur la situation des populations les plus précaires.
Il me semble que les quatre personnes décédées à l'occasion du cyclone Belal étaient des SDF qui avaient refusé d'être mis à l'abri. En tout cas c'est ainsi qu'on nous a présenté les choses – peut-être sont-elles plus complexes. Comment adapter le dispositif pour ces populations ?
Dans d'autres territoires, comme la Guyane et Mayotte, des milliers de personnes sont installées dans des habitations informelles, en dehors de toutes les règles d'urbanisme et de prévention des risques. Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas certain que les habitants de ces territoires souhaitent consacrer davantage de ressources à la prévention des risques.
Selon vous, comment la puissance publique doit-elle réagir ?
On nous a présenté comme une sorte d'habitude locale le fait de ne pas contracter d'assurance, parce que l'on fait les choses soi-même. Je ne voyais pas les choses comme cela. J'ai le sentiment que l'on ne s'assure pas parce qu'on n'a pas les moyens de s'assurer et, dans ce cas, on est évidemment moins rigoureux sur le respect des normes.
À Mayotte, les populations ne sont certes pas suffisamment conscientes des dangers encourus – notamment lorsque certains construisent quasiment dans le lit d'une rivière ou sur le flanc d'un coteau qui risque à l'évidence de s'ébouler. Mais la plus grande difficulté réside dans le fait que des associations s'opposent à l'État lorsqu'il cherche à déplacer les personnes qu'il est nécessaire de mettre en sécurité.
De manière générale, plus de 90 % des personnes installées dans les zones hautement à risque vivent dans le dénuement total et n'ont pas les moyens de se loger ailleurs. Elles arrivent à Mayotte à la recherche de l'eldorado mais survivent dans la misère et grâce au système D.
Comment faire prendre conscience à ces associations qu'elles ne doivent pas encourager l'impossible en voulant maintenir ces gens dans des endroits dangereux ?
Je n'ai malheureusement pas la solution pour sauver Mayotte.
En ce qui concerne les personnes très vulnérables – comme par exemple les sans-abri –, plus les associations travailleront en amont pour mieux les connaître, plus il sera possible de les convaincre de se déplacer et de se mettre en sécurité lors d'une crise. Comme nous l'avons déjà indiqué, la gestion de crise doit s'appuyer sur des ressources déjà bien implantées sur le territoire et connues de la population. Cette dernière ne doit pas découvrir la veille du cyclone qui va la prendre en charge et l'aider à évacuer.
On trouve aussi des quartiers d'habitat informel à Saint-Martin. Mais les entretiens que nous avons menés ont montré que ceux qui y vivent ne sont pas isolés. Ils communiquent entre eux et l'information se diffuse au sein de la communauté – même si l'on peut aussi y trouver des personnes qui sont malheureusement dans une situation d'isolement extrême. Il faut donc utiliser comme intermédiaires en temps de crise les personnes qui travaillent de manière régulière avec ces populations.
Des personnes sont en effet décédées à Saint-Martin lors du passage du cyclone Irma parce qu'elles avaient refusé d'aller dans les zones refuges. Mais ces zones n'étaient pas jugées sûres par la population – et deux ou trois de ces centres d'hébergement ont d'ailleurs été détruits ou ont subi de graves dégâts lors du cyclone.
S'agissant des populations les plus vulnérables, la situation de Saint-Martin est différente de celle de Mayotte. Mais leur point commun est que l'on manque de données récentes et fiables pour effectuer des recherches précises. Cela nous a conduits à réaliser des études de terrains très fines, mais qui ne concernent que quelques communes et ne couvrent pas l'ensemble de ces territoires.
En ce qui concerne la volonté des populations de s'impliquer, notamment financièrement, dans la reconstruction des habitations des plus précaires et dans la mise en sécurité de ces dernières, il faut noter que Saint-Martin est une île très cosmopolite mais dont les communautés sont très hermétiques – pour des raisons aussi bien religieuses que culturelles ou économiques. Or, les communautés sont ancrées dans des quartiers et les différents quartiers se connaissent peu. Cela a été révélé par notre travail sur les rumeurs après Irma, et notamment celles sur le nombre de morts. Selon elles, ces morts ne se trouvaient que dans les quartiers pauvres – où l'on ne saurait pas nager – ou bien dans les quartiers riches – car leurs habitants vivraient dans l'isolement social du fait de leur individualisme économique. Ces rumeurs témoignent d'une méconnaissance mutuelle des communautés, alors même que le territoire est très petit.
L'État est venu en aide aux personnes les plus précaires à la suite du cyclone – notamment grâce à la bonne idée consistant à leur fournir des cartes prépayées. Il faudra analyser les conséquences concrètes de cette aide pour les foyers et les individus concernés, mais aussi sur les communautés et l'économie locale. Peut-être aurons-nous l'occasion de le faire dans nos futurs travaux. Quoi qu'il en soit, cette aide a atteint son but, tout en limitant les effets d'aubaine – je reviendrai sur ce point si vous le souhaitez.
Le taux de pénétration de l'assurance est faible outre-mer. Là encore, la situation est différente à Saint-Martin et à Mayotte, où moins de 10 % de la population sont assurés. Il faut aussi noter que beaucoup de gens sont mal assurés, leur contrat visant par exemple une toute petite maisonnette, alors qu'il s'agit en fait désormais d'une maison de plusieurs étages. Il en est de même pour les bateaux. C'est la raison pour laquelle il a été très compliqué de faire enlever les épaves, notamment à Simpson Bay, car leurs propriétaires n'avaient pas intérêt à s'en charger. Il faut certes être assuré, mais aussi être bien assuré face aux risques particuliers du territoire.
J'en viens au financement de la reconstruction après la catastrophe. Le fonds Barnier est alimenté principalement par une surprime sur les contrats d'assurance. Il est difficile de faire accepter aux contributeurs qu'il va être utilisé en grande majorité dans des territoires qui n'ont en quelque sorte pas cotisé.
Des associations interviennent aussi. C'est le cas de la Fondation de France, qui a financé le travail des compagnons bâtisseurs pour aider les habitants à construire eux-mêmes des charpentes paracycloniques. C'est une bonne action, puisqu'elle contribue à la prévention. On n'attendra pas le prochain cyclone pour évaluer le gain apporté par ces charpentes – lesquelles permettent également une meilleure isolation thermique des bâtiments et vont améliorer la qualité de vie des habitants.
Comment venir en aide aux plus précaires tout en respectant la loi et les compétences respectives de l'État et des collectivités locales ? La question est vaste et délicate.
Comme ma collègue avant moi, j'insiste sur le fait que les personnes en situation précaire, voire illégale, que nous avons rencontrées travaillaient – certes de manière informelle – et que leurs enfants étaient scolarisés. Cette population ne passe donc pas complètement sous les radars. Une vie communautaire et associative assure un lien social avec ces personnes les plus marginalisées.
Considérez-vous que, de manière générale, les solutions mises en œuvre par les populations locales sont suffisamment prises en compte ? Ces dernières vivent depuis longtemps sur des territoires soumis à des aléas qu'elles connaissent – même s'ils n'ont pas toujours l'intensité exceptionnelle d'Irma – et l'on voit bien qu'avec notre urbanisme on s'est éloigné des solutions traditionnelles.
Vous avez évoqué la nécessité d'organiser un lien dans la durée entre les administrations et les chercheurs. Comment cela pourrait-il être organisé en pratique ?
Enfin, le fait que bon nombre de parcelles soient en indivision à la suite de successions n'est pas sans conséquences sur la capacité d'intervention en matière foncière. Pourriez-vous nous fournir une contribution écrite sur ce sujet complexe ainsi que pour répondre à la question précédente ?
Si j'ai bien compris votre question, vous voulez savoir si se vérifie l'hypothèse selon laquelle les gens qui vivent depuis longtemps sur un territoire sont mieux préparés aux cyclones.
Ils sont non seulement mieux préparés, mais ils ont eux-mêmes construit leur propre résilience. Peut-être gèrent-ils aussi de manière différente leur environnement – je pense par exemple au rôle joué par les mangroves dans certains territoires. Écoute-t-on suffisamment la mémoire de la gestion des risques par ces populations ?
À Saint-Martin, on trouve en effet encore des personnes qui ont vécu l'ouragan Luis et qui vont mettre à profit cette expérience pour se préparer.
Vous avez entendu Mme Stéphanie Defossez il y a quelques semaines. Je ne sais pas si elle a eu l'occasion de présenter ses travaux, mais nous pourrons vous les transmettre. Elle a montré que l'expérience des événements passés permettait à ceux qui les ont vécus de mieux préparer leur maison et de donner des conseils à d'autres personnes. Mais, en même temps, ces expériences ne sont pas parfaitement transposables. Luis n'est pas Irma : les vents n'ont pas atteint la même vitesse et l'un avait donné lieu à davantage de pluie que l'autre.
Comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, penser qu'un événement passé peut servir de situation de référence constitue une mauvaise stratégie. Il y aura toujours des différences. Bien des gens s'étaient préparés face à Irma en fonction d'un cyclone énorme comme Luis, mais les choses ne se sont pas passées de cette manière. Leur préparation a donc comporté des lacunes. En revanche, savoir quelles zones ont déjà été inondées et comment faire pour consolider les fenêtres afin d'éviter que sa maison soit emportée est une richesse indéniable.
Lors des entretiens, les gens ont témoigné qu'ils avaient souhaité se préparer au cyclone ensemble, au sein d'une communauté familiale ou amicale. Ils se sont réunis au préalable pour évaluer quelle maison était la plus solide et s'y sont réunis. Très peu de personnes ont fait face au cyclone toutes seules. On a assisté à une solidarité spontanée de voisinage. Ce fut aussi le cas dans les immeubles, où les habitants se sont réunis dans des appartements des étages intermédiaires, moins vulnérables aux vents et à la submersion.
Il faut donc probablement travailler en s'appuyant davantage sur la manière dont la population s'organise spontanément – du moins tant que cela améliore la sûreté. Ces éléments de culture locale contribuent à sauver des vies.
Notre travail sur la reconstruction de Saint-Martin se poursuit dans le cadre d'un projet pluriannuel, le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) IRiMa (gestion intégrée des risques pour des sociétés plus résilientes à l'ère des changements globaux).
Le travail de recherche passe aussi par la collecte d'informations sur la culture du risque et sur la manière dont les gens se sont préparés et ont fait face à la crise. De ce point de vue, il manque peut-être un échelon entre, d'une part, les élus et les personnels administratifs – qui par nature ne restent pas en poste pendant des décennies – et, d'autre part, les chercheurs qui collectent, traitent et analysent des informations. Je vous soumettrai par écrit une proposition à ce sujet, car une cellule interministérielle et interdisciplinaire pourrait jouer un rôle d'interlocuteur privilégié, permettant de faire remonter les informations depuis le terrain mais aussi de les diffuser.
Vous avez posé une question sur les opportunités de recherche. Il serait nécessaire d'en mener sur l'ensemble du territoire français au sujet de l'efficacité des politiques de prévention et des multiples outils employés – qu'il s'agisse du document d'information communal sur les risques majeurs (Dicrim), de l'information transmise par l'intermédiaire de la presse ou des journées de sensibilisation. Nos travaux montrent que plus les actions menées sont nombreuses, mieux cela marche. Mais il faut bien choisir tel ou tel instrument en fonction de la population ciblée. Un véritable retour d'expérience doit être organisé, tant outre-mer que dans l'Hexagone.
Je lirai avec attention les documents que vous voudrez bien nous transmettre.
Il est nécessaire de mieux organiser l'information réciproque au sein des services publics, car la délégation interministérielle que vous appelez de vos vœux existe déjà. Il va falloir faire connaître davantage sa mission.
Au nom de l'ensemble de cette commission, je salue la qualité de vos interventions et de vos propositions, qui permettront sans doute d'alimenter la réflexion que l'Assemblée nous a chargés de mener.
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de Mmes Florence Lustman, présidente, Marie-Anne Ballotaud, directrice de cabinet de la présidente et M. Arnaud Giros, responsable Affaires parlementaires et gouvernementales à France Assureurs.
Née en 2016 de la réunion de la Fédération française des sociétés d'assurance et du Groupement des entreprises mutuelles d'assurance, France Assureurs rassemble les entreprises d'assurance et de réassurance opérant en France, soit 252 sociétés représentant plus de 99 % du marché global de l'assurance. La question de savoir si les différents risques peuvent être assurés, la couverture par les différentes assurances des territoires d'outre-mer et les sujets connexes de l'indivision et de l'habitat spontané ont été régulièrement abordés lors des travaux de la commission d'enquête. Nous nous sommes aussi penchés sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (Cat nat), qui concerne les départements et régions d'outre-mer ainsi que certaines collectivités d'outre-mer – celles du Pacifique, en particulier la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, n'en bénéficient pas.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Florence Lustman, Mme Marie-Anne Ballotaud et M. Arnaud Giros prêtent successivement serment.)
En 2022 – ce sont les derniers chiffres dont je dispose –, les cotisations d'assurance pour l'outre-mer s'élevaient à 2,9 milliards d'euros, dont 1,7 milliard en assurance non-vie et 1,2 milliard en assurance vie. À titre de comparaison, les cotisations s'élevaient pour la France entière à 239 milliards, dont 94 milliards en assurance non-vie et 145 milliards en assurance vie.
Grâce à une présence marquée des assureurs, l'offre de produits d'assurance outre-mer est large : assurances automobile, multirisques habitation (MRH), santé, assurances destinées aux professionnels. Une enquête récente de France Assureurs indique que 1 300 points de vente sont répartis de manière cohérente selon les zones d'activité économique, les contraintes géographiques et les dynamiques démographiques. Cela représente 4,8 points de vente pour 10 000 habitants et 5,6 points de vente pour 1 000 entreprises. Il y a donc bien outre-mer un marché de l'assurance, avec une vraie concurrence.
Néanmoins, le taux de pénétration de l'assurance est moindre dans les outre-mer que dans la France entière : pour l'assurance multirisques habitation, il varie ainsi selon les territoires de 50 % à 80 %, quand il est de 98 % pour la France entière. C'est un défi collectif qui est devant nous.
Une autre façon d'illustrer la présence des assureurs outre-mer est de revenir sur les événements de grande ampleur qui ont touché ces territoires. Depuis 2002, on en a dénombré pas moins de douze – neuf cyclones, deux séismes et une tempête –, pour un coût cumulé de 3,3 milliards d'euros en euros constants de 2023. Ce montant est dû à 70 % aux conséquences de l'ouragan Irma, en 2017 : c'est l'événement le plus coûteux de l'histoire de l'assurance française outre-mer.
La forte présence sur place des assureurs leur permet de mobiliser rapidement les ressources en cas d'événement de grande ampleur. Cela a été en particulier le cas au moment du passage d'Irma : 25 600 sinistres ont été enregistrés, pour un coût total estimé à 1,9 milliard d'euros. La mobilisation du secteur de l'assurance a été exceptionnelle – certains se souviennent sans doute de l'envoi d'experts sur des catamarans trois jours après le passage de l'ouragan. Le préfet Philippe Gustin a souligné à l'époque l'efficacité des assureurs et le soutien que nous avons apporté à la reconstruction de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Il est vrai qu'il y a eu au départ quelques retards d'indemnisation, liés aux conditions très complexes dans lesquelles les experts ont travaillé : les deux îles étaient difficiles d'accès pendant la première semaine qui a suivi le passage de l'ouragan. Mais les autorités locales ont toujours reconnu l'engagement des assureurs à leurs côtés et surtout aux côtés des populations touchées par ces événements tragiques. Nous nous efforçons donc de répondre au mieux aux besoins de nos assurés.
Je voudrais souligner l'importance du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. Spécificité française, c'est un partenariat public-privé qui a été établi en 1982 et étendu en 1990 puis en 2000. Il instaure une solidarité nationale face aux événements climatiques extrêmes que sont les vents cycloniques, les séismes, les inondations, les sécheresses… C'est une garantie adossée systématiquement aux contrats d'assurance dommages. Le taux de surprime, homogène sur tout le territoire, est de 12 % pour les contrats d'assurance contre des dommages aux biens, c'est-à-dire les assurances multirisques habitation ; il passera à 20 % au 1er janvier 2025 en raison de l'augmentation significative du nombre des risques naturels. Ce régime est pour nous un véritable trésor national puisqu'il permet une mutualisation des risques naturels sur l'ensemble du territoire.
Les territoires ultramarins sont exposés à six risques naturels majeurs : les cyclones, les éruptions volcaniques, les inondations, les mouvements de terrain, les séismes et les tsunamis. Localement, l'intérêt du régime Cat nat a été illustré par les importantes différences de prise en charge entre la partie française de l'île de Saint-Martin et sa partie néerlandaise.
Je voudrais aussi souligner l'importance d'un combat qu'il nous revient à tous de mener : celui de l'acculturation au risque.
En 2022, pour toute la France, le coût de la sinistralité climatique a dépassé les 10 milliards. Notre métier, en tant qu'assureurs, est d'étudier les risques pour les gérer toujours mieux. Nous avons donc mené une étude avec des scientifiques, des météorologues, des économistes, pour établir une projection de ce que pourraient coûter les événements naturels au cours des trente prochaines années. Il en ressort que ce coût pourrait doubler par rapport à celui des trente dernières années, passant de 74 milliards à 143 milliards d'euros. S'agissant des outre-mer, une étude menée par la Caisse centrale de réassurance (CCR), Météo-France et Risk Weather Tech et consacrée au risque cyclonique, indique qu'à l'horizon 2050 la sinistralité augmenterait de 20 %, en particulier du fait de l'augmentation du niveau des mers.
Dans ce contexte d'aggravation globale des risques, les assureurs mènent des actions de prévention et d'acculturation au risque. Une association est dédiée à ce thème : Assurance Prévention, intégralement financée par les assureurs. Elle sensibilise les populations et les aide à mieux réagir si survient un cyclone, une tempête, une inondation ou une vague de submersion. S'agissant des territoires ultramarins, Assurance Prévention a consacré un guide de prévention aux cyclones et engagé des actions de prévention et de sensibilisation face aux risques d'inondation cyclonique et de tsunami. Son budget était de 240 000 euros en 2022. Cette association est, comme les assureurs, présente en cas d'événement de grande ampleur.
Nous disposons maintenant, au niveau de la fédération, d'une procédure spéciale pour gérer de tels événements. Elle prévoit que la fédération constitue un relais pour les pouvoirs publics dans la gestion des suites. Elle a été utilisée dans le contexte de la tempête tropicale de la vallée de la Roya, lors des tempêtes en Bretagne et en Normandie, ou encore lors des inondations qui ont ravagé le Nord et le Pas-de-Calais. La relation directe entre l'assuré et son assureur est essentielle ; elle doit perdurer. Les assureurs s'efforcent de faire au mieux : lors de la tempête de la vallée de la Roya, il y a eu 13 000 sinistres, mais seulement trois contentieux : tous les autres ont été réglés de façon amiable, grâce à l'engagement des assureurs et des pouvoirs publics. Il peut toujours y avoir des incompréhensions, et la fédération fait office de relais vis-à-vis de la préfecture pour des dossiers qui semblent, localement, poser problème : on met de l'huile dans les rouages. Cette procédure est maintenant systématiquement appliquée lors des événements de grande ampleur.
Les territoires d'outre-mer sont particulièrement sensibles aux événements climatiques, notamment parce qu'ils sont souvent insulaires. Il est à notre sens d'autant plus important d'amplifier la prévention et l'acculturation au risque de tous les habitants.
Il faut aussi aller plus loin dans la mise en place des plans locaux d'urbanisme (PLU). Un meilleur aménagement du territoire est également souhaitable, avec plus de prévention, plus de mitigation du risque, afin d'installer un cercle vertueux. Il faut enfin démultiplier les actions. Il existe maintenant une Journée nationale de la résilience, fixée au 13 octobre. Reste à l'adapter localement, car c'est bien là l'échelle pertinente pour identifier les périls les plus probables, qui diffèrent d'un point du territoire à l'autre.
Au total, il nous semble crucial de pérenniser le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles et de développer des actions de prévention, de façon à améliorer la résilience de nos territoires vis-à-vis de risques qui ne feront que s'aggraver.
Vous nous dites, d'une part, que les cotisations d'assurance se sont élevées à 2,9 milliards d'euros en une année, et d'autre part que la sinistralité a coûté 3,3 milliards, principalement à cause d'Irma.
J'ai en effet cité les chiffres des cotisations pour 2022. J'ai aussi donné le coût cumulé des douze événements climatiques d'ampleur dans les outre-mer depuis 2022 – le montant est de 2,6 milliards, ce qui donne 3,3 milliards en euros constants. Enfin, j'ai dit que 70 % de ce coût correspondait aux dégâts occasionnés par Irma.
Autrement dit, le modèle économique des assurances fonctionne outre-mer : elles n'assurent pas à perte.
Globalement, le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles est en perte, mais l'assurance fonctionne en effet outre-mer : les chiffres que j'ai donnés montrent que les assureurs y sont présents et qu'il y existe une concurrence.
Nous ne doutons pas que la couverture des biens que vous assurez soit à la hauteur ni que vos membres fassent preuve d'efficacité vis-à-vis de leurs clients. Le problème, c'est qu'aussi peu de biens soient assurés outre-mer. Vous n'en êtes pas responsable et ce n'est pas parce que les assureurs sont méchants qu'ils n'assurent pas les biens en question. Mais nous avons besoin de comprendre les raisons de cette situation. On nous a même dit qu'à Saint-Martin, plus aucun bien situé à moins de 150 mètres du rivage n'était assuré, quel que soit son état. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Vous nous dites que la sinistralité liée aux aléas climatiques va doubler dans l'Hexagone et augmenter de 20 % outre-mer : cela donne paradoxalement l'impression que la situation y est moins grave. Mais comment étendre la couverture du risque dans ces territoires ? Évidemment, pour qu'un risque puisse être couvert, il ne faut pas que sa réalisation soit certaine, sinon il ne s'agira plus d'une assurance mais d'une subvention. En tout cas, si un bien n'est pas assuré, il est difficile de demander à ses occupants et à ses propriétaires d'y respecter les normes : c'est un cercle vicieux.
Quelle est donc l'attitude de vos adhérents en ce qui concerne ces biens non assurés ? Travaillent-ils avec les pouvoirs publics pour en résorber le nombre ?
Avez-vous des chiffres concernant le taux de couverture assurantielle des bâtiments industriels et publics ?
Le doublement du coût cumulé des événements climatiques au cours des trente prochaines années concerne – comme l'ensemble de nos études – la France entière, non l'Hexagone, et les événements en question sont de toute nature. J'ai par ailleurs cité une étude de la CCR portant spécifiquement sur les cyclones en outre-mer. Ces travaux n'ont donc pas du tout le même objet.
En ce qui concerne les raisons du faible taux de couverture, je ne dispose pas d'étude réalisée par France Assureurs, car les politiques de souscription et de tarification relèvent du droit de la concurrence et, en tant que fédération, nous ne nous en mêlons pas. Cela dit, le métier des assureurs étant d'assurer, ils font évidemment tout ce qu'ils peuvent pour proposer des couvertures assurantielles. Mais, comme vous l'avez dit vous-même, il faut que l'occurrence du risque demeure suffisamment aléatoire pour qu'ils puissent mutualiser les risques à l'échelle de leur portefeuille. C'est le principe de leur métier : les victimes de sinistres sont indemnisées grâce aux cotisations versées par l'ensemble des assurés. Dans certaines situations, qui ne sont pas réservées à l'outre-mer, il est difficile d'assurer, par exemple quand le bâtiment a été construit d'une certaine façon ou sans permis de construire.
Je crois beaucoup à l'acculturation au risque. Des biens peuvent être difficilement assurables, mais il faut aussi que les populations et les entreprises éprouvent le besoin de s'assurer. C'est pourquoi j'ai insisté sur toutes les actions qui peuvent être menées en ce sens.
Il est nécessaire de disposer d'une assurance pour être couvert par le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles en cas de sinistre. Ce régime très protecteur est systématiquement inclus dans les contrats comportant une garantie dommages, mais encore faut-il avoir souscrit ce type d'assurance. Il est essentiel d'en faire prendre conscience aux gens. Nous nous employons à l'expliquer au-delà des conseils de prévention très concrets dispensés dans nos fascicules ou sur le site internet d'Assurance Prévention.
C'est très pédagogique de présenter l'enjeu en ces termes, mais si vous ne promouvez cette démarche que sur votre site internet, je crains que vous ne manquiez une partie de la cible.
Ce n'est pas tout. Le comité des assureurs de La Réunion et Mayotte a aussi organisé une campagne de sensibilisation à l'assurance MRH dans les médias en 2022 et entrepris des actions avec l'Adil (agence départementale d'information sur le logement) de La Réunion, par exemple dans le cadre de la Journée de l'accession à la propriété ou du Salon de la maison. Nos adhérents vont sur place et contribuent à des campagnes d'information et de prévention. En outre, les points de vente, nombreux dans ces territoires, contribuent à l'éducation à l'assurance en exerçant leur mission commerciale.
Je suis élu à Mayotte. Le taux d'assurance n'y dépasse pas 5 % alors que la collectivité est l'une des plus exposées aux risques. Au début de nos auditions, on nous a même dit que le temps de réaction quand il s'agit de protéger les habitants y était le plus faible du territoire national, notamment en raison de la présence du volcan dans l'environnement immédiat. Or l'assurance, vous l'avez dit, est la condition sine qua non pour bénéficier des autres couvertures existantes. Pensez-vous vraiment qu'une seule journée de sensibilisation consacrée aussi à La Réunion, où le taux d'assurance est d'environ 70 %, suffit à répondre aux attentes de la population mahoraise, l'une des plus pauvres du territoire français ? Ne faudrait-il pas que les assureurs, notamment votre fédération, créent un dispositif spécifique ?
Il faut évidemment y réfléchir au plan local. Je donnais simplement un exemple des actions d'Assurance Prévention, mais vous avez raison : seules les personnes qui sont sur place peuvent concevoir les campagnes de prévention les plus efficaces auprès des populations. Il convient donc d'y travailler avec les représentants locaux des assureurs – il y en a.
Au-delà du fait que le cadre d'une commission d'enquête impose certaines règles, ne nous dites pas, alors que vous représentez les assureurs, que vous ne savez pas ce que pensent vos adhérents sur place ! Existe-t-il, oui ou non, un refus d'assurance dès lors qu'un bien est situé à moins de 150 mètres du rivage ?
Vous soutenez que le réseau local permet de promouvoir l'assurance auprès des habitants ; mais ils ne le fréquentent pas, puisqu'ils ne s'assurent pas. Vous pouvez considérer que les assureurs ne sont pas là pour subventionner des gens qui ne peuvent pas payer, dont les biens ne sont pas aux normes et sont situés sur des terrains en indivision successorale ; nous pouvons l'entendre. Vous pouvez nous dire qu'il n'y a pas de raison que les assureurs garantissent des biens trop menacés ; soit, mais alors il faut nous donner des critères un tant soit peu objectifs. En tout cas, ne nous dites pas simplement que tout va bien et que vous ne savez pas ce que font vos adhérents sur place.
Je n'ai pas connaissance de la politique de souscription de nos membres et je n'ai pas à la connaître puisqu'elle est un élément de la concurrence entre les acteurs du marché. Dans un territoire, un acteur peut refuser d'assurer un bien quand un autre fera une proposition d'assurance pour le même bien. De telles situations se rencontrent aussi dans l'Hexagone. La politique de souscription est le fruit du libre choix de l'assureur, non de l'application d'une règle générale, et elle n'est pas uniforme dans un territoire donné. Les chiffres que j'ai cités attestent de la présence des assureurs sur place ; ils y sont en concurrence et chacun a sa propre politique de souscription et de tarification. Je ne peux pas aller plus loin.
De vous à moi, pensez-vous vraiment que le taux assurantiel à Mayotte témoigne d'un effort de sensibilisation à la nécessité de s'assurer quand on habite ce territoire sujet à tant de risques ? On a la sensation que vous refusez de dire des choses que vous savez.
Non. Je le répète, je n'ai pas connaissance de la politique de souscription de chaque assureur présent dans les différents territoires d'outre-mer.
Que vous n'ayez pas connaissance de la politique individuelle des assureurs, je peux l'entendre. Que vous ne connaissiez pas la politique globale d'organisation de l'assurance dans le territoire me laisse sceptique.
Il n'y a pas de politique globale. L'assurance fonctionne par la mutualisation. Suivant les types de risques que vous couvrez, vous arriverez ou non à équilibrer votre portefeuille. Les assureurs vont réaliser ou non cette mutualisation, en outre-mer comme dans l'Hexagone. Je ne peux pas vous expliquer les raisons, à tel endroit ou à tel autre, des réponses positives ou négatives d'assureurs différents.
Je répète que les assureurs ont envie d'assurer et mettent tout en œuvre pour le faire. C'est pourquoi ils promeuvent en permanence le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, qui permet à un grand nombre de nos concitoyens d'être couverts en cas d'événement dramatique.
Il faut réfléchir à la manière d'organiser au niveau local la Journée nationale de la résilience, qui est nouvelle, y compris avec les assureurs, lesquels peuvent apporter leur aide.
Les assureurs qui interviennent outre-mer siègent-ils dans votre conseil d'administration ou d'établissement ?
Bien sûr, ils sont au conseil exécutif. Mais ils ne parlent jamais de souscription ou de tarifs. Nous ne traitons pas de ces sujets au sein de la fédération. C'est interdit par le droit de la concurrence.
Prenons les choses sous un autre angle. La part des cotisations versées outre-mer dans le montant total des cotisations d'assurance en France n'a pas de raison d'être très différente du poids du PIB ultramarin dans le PIB national. Or elle est très inférieure à 1 %, alors que le PIB ultramarin représente 2,5 % à 3 % du PIB national et la population ultramarine environ 3 % du nombre total d'habitants. Comment expliquez-vous cet écart ?
Je n'ai pas d'étude spécifique qui me permette de répondre à votre question. Je crois que l'Inspection générale des finances s'est penchée sur ces sujets et a évoqué des pistes, mais ce n'est pas à moi d'en faire état. Elle a des pouvoirs d'investigation dont je ne dispose absolument pas. J'imagine que vous avez connaissance de son rapport.
Je peux vous exposer ce que nous faisons dans ce cadre au niveau de la fédération, mais vous avez bien d'autres sources d'information.
Nous tournons en rond ; passons à autre chose.
Seriez-vous favorable à ce que les sargasses soient incluses dans le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles ?
Le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles est là pour couvrir les conséquences exceptionnelles d'un événement que l'on n'a pas pu empêcher, « l'intensité anormale d'un agent naturel lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises ». Or, si l'on nettoie les plages dans les quarante-huit heures, on évite l'émission de gaz corrosifs dus aux sargasses. Pour moi, compte tenu de la définition des événements couverts par le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, les sargasses n'en relèvent pas : il existe une mesure de prévention qui permet d'éviter les conséquences néfastes liés à ces dépôts.
Cela dit, l'assurance complémentaire santé apportera une couverture et si la concentration des gaz provoque des incendies, des explosions ou des dégâts des eaux, ils seront couverts dans le cadre du contrat multirisques habitation.
Nous n'obtiendrons pas davantage de précisions, monsieur le rapporteur, puisque le champ d'intervention de notre invitée est manifestement limité.
Madame la présidente, y a-t-il des éléments que nous n'aurions pas évoqués et que vous souhaiteriez porter à la connaissance de la commission d'enquête ?
Non, je vous ai fait part de l'essentiel des éléments.
La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Réunion du lundi 18 mars 2024 à 14 h 30
Présents. – M. Mansour Kamardine, Mme Sophie Panonacle, M. Guillaume Vuilletet.
Excusé. – M. Xavier Batut.