Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Jeudi 29 février 2024
La séance est ouverte à 14 heures
Présidence de M. Mansour Kamardine, président
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la Table ronde « Connaissance, surveillance et identification des risques dans les Antilles » : M. Emmanuel Cloppet, directeur Antilles-Guyane, Météo-France ; M. Ivan Vlastelic, directeur de l'Observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe ; M. François Beauducel , ancien directeur par intérim de l'Observatoire volcanologique et sismologique de Martinique ; M. Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales, Bureau de recherche géologiques et minières.
Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec une table ronde intitulée « Connaissance, surveillance et identification des risques dans les Antilles ». Pour aborder ces sujets, nous sommes connectés en visioconférence avec M. Emmanuel Cloppet, directeur interrégional Antilles-Guyane à Météo-France et M. Ivan Vlastelic, directeur de l'Observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe (OVSG). M. Jean Marc Mompelat, directeur des actions territoriales du Bureau de recherche géologiques et minières (BRGM) et M. François Beauducel, ancien directeur par intérim de l'Observatoire volcanologique et sismologique de Martinique (OVSM) sont quant à eux présents parmi nous. Votre audition est ouverte à la presse et sera retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(MM. Cloppet, Vlastelic, Beauducel, Mompelat prêtent serment.)
Je vous laisse immédiatement la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes avant d'être interrogé par notre rapporteur.
Les territoires des Petites Antilles sont soumis à un climat tropical chaud et humide, qui les expose à deux grands types de risques. Il s'agit d'une part de fortes précipitations très localisées, avec des phénomènes pluvieux et orageux qui engendrent des risques pour la population en raison de crues soudaines, de ruissellements et de glissements de terrain. Il s'agit d'autre part d'une exposition aux phénomènes cycloniques. Je rappelle à ce titre que les cyclones tropicaux constituent les catastrophes naturelles les plus dévastatrices, en raison des aléas qu'ils génèrent : des vents cycloniques, des pluies diluviennes, de la houle, mais également une élévation du niveau de la mer, des inondations et des glissements de terrain.
Ces phénomènes ont, au cours des cinquante dernières années, occasionné quasiment 800 000 décès dans le monde. La région des Petites Antilles y est particulièrement exposée, en particulier lors des trente dernières années où nous avons assisté à une recrudescence des phénomènes cycloniques sur la zone. Cette exposition et cette vulnérabilité à ces phénomènes extrêmes, d'une intensité que nous ne connaissons pas en France hexagonale, me paraissent particulièrement importantes à mettre en avant.
Au-delà des risques météorologiques, il existe trois grands types de risques telluriques aux Antilles : les éruptions volcaniques, les séismes et les tsunamis. Ces éruptions volcaniques sont liées à une quinzaine de volcans actifs aux Antilles, dont la Montagne Pelée en Martinique et la Soufrière en Guadeloupe. La Montagne Pelée a connu une éruption magmatique en 1902, qui a occasionné 29 000 morts. Ce risque est donc relativement présent.
Ensuite, la période historique a connu neuf séismes majeurs, notamment celui de 1939, qui a détruit Fort-de-France et provoqué des centaines de morts. Le séisme de 1843 a quant à lui détruit Pointe-à-Pitre et engendré 3 000 morts environ. D'autres séismes plus modérés doivent également être mentionnés : le séisme de 2004 aux Saintes en Guadeloupe, et plus récemment, celui de 2007 en Martinique, qui a provoqué des dégâts modérés, mais a surtout engendré une panique. Ce risque est donc également très présent. Il est lié à deux grands types de séismes : les séismes de subduction, qui se produisent moins fréquemment, mais peuvent être extrêmement dévastateurs ; mais aussi séismes plus superficiels qui peuvent générer des dégâts plus localisés lorsque l'épicentre est proche des populations.
Enfin, le dernier risque théorique porte sur les tsunamis. Bien qu'il ne soit pas très élevé dans les Petites Antilles, environ vingt-cinq tsunamis ont été recensés dans les Petites Antilles, dans la période historique. J'en citerai trois : le séisme des îles Vierges de 1867, qui a entraîné une vague de dix mètres à Sainte-Rose en Guadeloupe ; l'éruption continue de Montserrat, entre 1995 et 2010, qui a produit des vagues de deux mètres et des dégâts légers ; et enfin la menace constante d'un volcan sous-marin à l'ouest de Grenade, qui produit des éruptions quasiment tous les dix ans. Ce dernier représente une menace potentielle de tsunami d'origine volcanique.
Vous m'avez également interrogé sur la particularité des Petites Antilles et du territoire français en termes de vulnérabilité. Cette vulnérabilité est finalement « multirisque ». Différents points affectent tous les aléas. Il s'agit de l'insularité et des problèmes d'évacuation qu'elle suscite ; des infrastructures et du facteur humain. L'Institut de Physique du Globe de Paris a ainsi relevé une méconnaissance généralisée des procédures d'évacuation. Il faut ensuite mentionner une méfiance vis-à-vis du pouvoir central, et des comportements relativement instinctifs, par exemple lorsque des ordres d'évacuation sont transmis pour le risque volcanique. Enfin, je souligne le risque lié à la forte densité de population en Guadeloupe et en Martinique, car ces îles concentrent une densité de population au kilomètre carré deux à trois supérieure à celle de l'Hexagone.
En conclusion, je terminerai en insistant sur la vulnérabilité potentielle en raison de cascades d'aléas, par exemple la survenance d'un séisme ou d'une éruption volcanique en même temps qu'un événement climatique. Si cette cascade d'aléas intervient, la situation sera compliquée. Enfin, s'agissant du risque tellurique, nous pouvons tout à fait envisager un séisme et une éruption volcanique simultanée suivis d'un tsunami, puisque les tsunamis sont générés par l'un de ces deux aléas.
Le BRGM intervient à la fois sur des aspects d'expertise, de recherche et d'appui aux politiques publiques. À tous les aléas qui viennent d'être évoqués, il convient d'ajouter les phénomènes de mouvements de terrain induits par le séisme. Nous intervenons évidemment sur ces phénomènes, en particulier aux Antilles françaises, depuis très longtemps.
S'il n'y a pas à établir de classements particuliers entre tous ces risques, je souligne que le séisme présente une particularité, dans la mesure où il ne prévient pas. Il peut survenir brutalement et affecter de manière très significative l'ensemble du territoire, occasionnant un nombre considérable de dégâts matériels et de victimes humaines, en raison notamment des effets cascade qui ont été mentionnés. En ce sens, il mérite qu'on lui apporte une attention toute particulière.
Je tiens également à mentionner deux séismes récents qui, s'ils ne sont pas intervenus dans les Antilles françaises, doivent être soulignés : le séisme de 2001 au Salvador qui a provoqué près de 1 000 morts et le séisme qui a frappé Haïti en 2021. Non seulement ils ont entraîné un impact majeur dans les territoires qu'ils ont concernés, mais ils ont également suscité une mobilisation importante de la communauté scientifique antillaise, des architectes et des ingénieurs. Ce faisant, il a été possible d'établir une forme de retour d'expérience.
Je partage évidemment les commentaires qui ont été formulés jusqu'à présent. Effectivement, le caractère imprévisible du séisme doit être relevé. En revanche, nous sommes en mesure d'agir sur le risque volcanique qui concerne les îles françaises : lors des dernières décennies, nous avons enregistré de très grands progrès sur la connaissance des phénomènes de maturation des systèmes.
Naturellement, nous ne pouvons pas prédire une éruption volcanique, mais nous possédons beaucoup plus d'informations pour nous préparer et évaluer la probabilité d'éruption dans les Antilles françaises, qui est de l'ordre du pourcent dans les années à venir. Simultanément, nous connaissons mieux les dynamiques et les temporalités de mise en place des systèmes magmatiques. Il s'agit de phénomènes non linéaires, emboîtés, qui sont extrêmement lents dans la première phase, mais qui s'accélèrent très fortement lors de la phase finale : une fois que les premiers signaux sont mesurés et les premiers signaux de réactivation d'un volcan détectés, les événements peuvent se dérouler très rapidement. Cela renforce la nécessité d'interagir fortement avec les autorités.
Comment prenez-vous en compte l'évolution des risques au regard de l'évolution du climat ? Je pense que la réponse des territoires à un séisme n'est pas la même que celle qui pouvait être observée il y a quelques années encore et les aléas cycloniques doivent être pris en compte en tant que tels.
S'agissant des questions météorologiques, nous avons auditionné auparavant certains de vos collègues de la zone Pacifique et l'une des questions soulevées concernait la maille de la donnée. Cette zone présente sans doute des particularités nécessitant une maille extrêmement fine, pour évaluer la vulnérabilité des territoires de façon très précise, pour pouvoir s'en prémunir. Établissez-vous le même constat aux Antilles ? De manière générale, à quelle maille parvenez-vous à délivrer la donnée ? Dans quel cadre de coopération avec autres territoires environnants ?
Ensuite, vous avez évoqué un retex sur le séisme intervenu en Haïti. Pouvez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet ? Pensez-vous que nous ayons les moyens de gérer un aléa majeur sur les îles françaises des Petites Antilles en matière d'évacuation, de mise à l'abri et d'approvisionnement ? Si tel n'est pas le cas, quels moyens, notamment budgétaires, les politiques publiques devraient-elles y consacrer ?
Enfin, l'idée d'une culture du risque surgit fréquemment après la survenue d'un aléa, mais a ensuite tendance à s'enfouir dans la mémoire collective. L'une des personnes déjà auditionnées a évoqué l'exemple japonais du « jour du tsunami », exercice prévisionnel qui sert à évaluer différents éléments, dont les réserves de provision et d'eau en cas de séisme. Pensez-vous qu'il faudrait instaurer une telle journée sur les territoires concernés ?
S'agissant du volet météorologique, une réelle culture du risque s'est développée outre-mer, autour du risque cyclonique. Chaque année, une quinzaine de tempêtes et ouragans voient le jour dans le bassin Atlantique, et les territoires français sont frôlés par au moins un système dépressionnaire. Chaque année, en moyenne, au moins une tempête tropicale passe à moins de cent kilomètres de la Martinique, de la Guadeloupe et des îles du Nord. Il existe donc une véritable acculturation à ce risque et les populations gardent évidemment en mémoire les phénomènes les plus violents qui ont pu frapper les territoires.
À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, l'ouragan Irma de 2017 représente le « scénario du pire » : c'était la première fois qu'un ouragan de catégorie 5 frappait directement un territoire habité des Petites Antilles. À la Guadeloupe, la référence demeure l'ouragan Hugo de 1989, qui reste dans les mémoires comme un événement extrêmement dévastateur. Il existe donc une mémoire collective du risque cyclonique sur ces territoires et le lancement de la saison cyclonique chaque année au mois de juin constitue l'occasion de rappeler les bons réflexes pour se prémunir de ce risque statistiquement très élevé sur ces territoires. Il faut d'ailleurs souligner que le nord de l'arc antillais représente la zone la plus exposée aux phénomènes les plus violents. Lors des trente dernières années, six ouragans majeurs sont passés à proximité immédiate de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Il s'agit là des deux territoires français les plus exposés aux ouragans les plus violents.
Ensuite, vous avez évoqué la question du maillage et je tiens à insister sur le fait qu'en matière de prévisions de trajectoire, d'immenses progrès ont été accomplis. Nous travaillons à partir de modèles globaux ou locaux, mais également en partenariat avec le National Hurricane Center de Miami, qui est le centre régional de référence pour la prévision des phénomènes cycloniques dans cette région du monde. En matière de trajectoire, les modèles offrent des résolutions de dix à cinq kilomètres et permettent d'établir des prévisions de très bonne qualité. Le défi porte plutôt sur la prévision de l'intensité et des impacts. À titre d'exemple, l'ouragan Otis a frappé cette année Acapulco avec une intensification très rapide, qui n'avait pas été anticipée par les modèles.
En résumé, Météo-France se focalise vraiment sur la prévision des impacts à l'échelle locale, c'est-à-dire la quantité de pluie attendue, la hauteur des vagues et la force des vents sur les différents points du territoire. Pour y parvenir, nous disposons d'un modèle à la résolution très fine, à maille kilométrique, qui prend notamment en compte la topographie de l'île, les effets de relief et les effets d'accélération. Les outils sont donc du même niveau que ceux disponibles en France métropolitaine.
S'agissant des risques telluriques, nous sommes confrontés au même enjeu de maillage, pour la modélisation, la prédiction et la compréhension des phénomènes. En matière de risque volcanique, nous densifions les réseaux, à dessein : chaque capteur ajouté nous permet de comprendre de nouveaux phénomènes. En revanche, nous sommes confrontés à un problème singulier qui n'existe pas pour la météorologie : les phénomènes que nous étudions sont souterrains et nous n'avons pas accès directement à la mesure des paramètres physiques qui nous intéressent. Nous sommes donc obligés de faire appel à des modèles.
En matière de risque sismique, nous sommes confrontés à un problème lié à l'insularité : nous n'avons quasiment aucune station en mer, quand il faudrait disposer d'un réseau au large des côtes, avec des capteurs sous-marins, sans commune mesure en termes de prix et d'installation. Ces capteurs sous-marins permanents nous permettraient de réaliser un saut quantique dans la connaissance de la zone de subduction, au niveau des failles tectoniques.
Une station sismologique coûte quelques dizaines de milliers d'euros, mais le coût d'un seul capteur en mer permanent est de l'ordre du million d'euros. Des capteurs temporaires ont pu être installés dans certaines zones, mais nous n'avons pas pour le moment de capteurs permanents.
En matière météorologique, nous parlons aujourd'hui d'excès de vent et de pluie, mais il ne faut pas oublier que les phénomènes extrêmes portent aussi sur la pénurie d'eau. De fait, nous commençons à observer des périodes de sécheresse assez marquées, y compris dans les régions ultramarines des Antilles.
Ensuite, si l'articulation de l'ensemble des services s'opère plutôt bien sur les phénomènes portant sur le rivage, des progrès demeurent à accomplir en pleine mer, en matière de mesure de la propagation et de l'appréciation de l'impact, notamment sur le milieu construit.
Je ne peux que confirmer l'existence d'une volonté globale de mieux prévoir les impacts niveau du territoire : nous ne nous contentons pas de décrire le temps qu'il fera. Cela nécessite en effet de travailler en collaboration étroite avec certains organismes, qu'il s'agisse de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal) en matière de veille et prévision hydrologiques ou du BRGM sur les aspects de submersion marine.
Notre commission d'enquête a pour objet de vérifier si nous sommes en mesure aujourd'hui de pouvoir assumer un aléa qui aura un impact majeur sur un territoire, et de voir comment nous pouvons anticiper les évolutions dues au changement climatique qui accroîtront la vulnérabilité des territoires à l'avenir. Il est ainsi fondamental de pouvoir évaluer l'impact d'un aléa. À titre d'exemple, les assureurs nous ont indiqué qu'ils n'assurent pas des bâtiments situés pour les uns à moins cent mètres du rivage et pour les autres, à moins de cent cinquante mètres. De quelle manière partagez-vous les données afin qu'elles puissent être intégrées dans la planification économique ?
Vous nous avez précédemment demandé notre avis sur la capacité des territoires à faire face aux aléas, notamment en matière d'évacuation des personnes, mais je pense que cette question s'adresse plutôt aux autorités en charge de la sécurité civile. En revanche, j'estime nécessaire de conduire des exercices de préparation les plus fiables possible, qui reposent sur des scénarios crédibles grâce à la mesure des impacts. De tels exercices ont déjà eu lieu et il convient de les mener régulièrement. Le dernier grand exercice en matière de séisme est intervenu en 2017 et le précédent datait de 2008. Ces exercices doivent reposer sur une connaissance approfondie des phénomènes, car il en va de la crédibilité des scénarios proposés, y compris dans la déclinaison de scénarios complexes, comme les cascades d'aléas déjà évoqués.
Ensuite, il est nécessaire de travailler sur la connaissance et la mesure de la vulnérabilité aux différents phénomènes. En la matière, nous accusons un certain retard : les grandes études menées notamment pour mesurer la vulnérabilité du milieu construit datent et méritent d'être réactualisées.
Je souhaite effectuer un commentaire sur le lien entre les données acquises par les différents opérateurs et le monde économique. Nous fournissons des données sismologiques natives, qui sont transférées à différents opérateurs ou accessibles à toute la communauté. Or ces données sont utilisées concrètement par les assureurs, par exemple les données d'accélérométrie, qui mesurent l'accélération du sol au moment d'un séisme. Elles permettent de réaliser les cartes d'intensité macrosismiques, qui traduisent en quelque sorte l'intensité en termes de dégâts potentiels sur les bâtiments. Les assureurs ont ainsi accès à ces données, mais aussi aux valeurs assurées par leurs clients, ce qui leur permet de traduire ces données d'intensité macrosismique en termes de dégâts et de montants financiers. Les assureurs disposent également de modèles d'interpolation pour pallier l'absence de données sur certaines habitations ce qui permet que chaque séisme soit estimé en termes de dégâts par les assureurs, en montant d'euros.
Nous avons effectué un premier exercice « éruption volcanique » de la Montagne Pelée l'année dernière en Martinique. Nous travaillons de concert avec les autorités, la préfecture et la protection civile, pour essayer d'anticiper les conséquences d'une éruption. À ce titre, nous faisons face à un problème spécifique : le manque d'interlocuteurs scientifiques dédiés et stables au sein des préfectures ou des ou des services de protection civile. En effet, la problématique, notamment du risque volcanique, est extrêmement complexe. En outre, en raison des rotations de personnels, ces interlocuteurs changent très fréquemment. Dès lors, nous sommes obligés de refaire des formations régulièrement.
La prise en compte des risques dans l'aménagement s'effectue notamment à travers les plans de prévention des risques naturels (PPRN) multi-aléas aux Antilles. Les approches sont différentes selon les cas de figure, mais elles sont pilotées par les services de l'État. De notre côté, nous présentons des cartes, notamment concernant l'aléa mouvement de terrain, sur la base de commandes passées en fonction des études et des cycles de révision de ces documents.
Lors de ma précédente intervention à l'Assemblée nationale, j'avais d'ailleurs insisté sur la nécessité d'actualiser régulièrement l'évaluation des risques et avais montré un exemple concernant la révision de la carte d'aléa des mouvements de terrain en Martinique, qui témoignait d'avancées considérables dès lors que l'on se donnait la peine, entre deux cycles, de progresser en termes de méthode et aussi d'acquisition de données.
Je me souviens de cette carte. L'affinement des données permet ainsi d'obtenir une vision plus réaliste de l'objet, mais aussi beaucoup plus supportable pour l'aménagement du territoire.
Je souhaite néanmoins nuancer certains propos antérieurs. Si la culture du risque est sans doute présente dans certains territoires, nous ne l'avons pas constaté dans les témoignages recueillis sur Saint-Martin, où le dernier épisode majeur datait de 1995. La conscience du risque courant existe donc bien, mais elle est moins prononcée s'agissant du risque majeur. Ainsi, des résistances très fortes avaient vu le jour à l'occasion de la révision du PPRN de Saint-Martin, notamment en raison de problèmes de concertation. Malgré tout, certaines habitudes sont difficiles à modifier. Par exemple, les gens préfèrent cultiver le long des pentes d'un volcan, car les terres y sont plus fertiles, malgré le risque.
Naturellement, vous ne bâtissez pas les politiques publiques. Néanmoins, vous transmettez les informations aux décideurs publics et aux acteurs du territoire. Pouvez-vous détailler les mesures prises pour maintenir cette culture du risque aussi vivace que possible ? Enfin, pouvez-vous évoquer le retour d'expérience sur le séisme en Haïti ?
En matière de risque cyclonique, l'un des enseignements d'Irma consiste à se préparer à des gammes d'intensité que nous n'avons pas connues par le passé, en matière d'impact. De fait, les modèles en matière d'évolution du climat témoignent d'une exposition accrue aux phénomènes cycloniques, avec des cyclones plus intenses, en lien avec l'augmentation de la température de l'eau – le « carburant » des cyclones –, des quantités de pluies supérieures et l'élévation du niveau de la mer, qui renforce la vulnérabilité des zones côtières. Nous devons donc nous préparer à une augmentation de ce risque et à la survenue de phénomènes plus violents et plus dévastateurs sur nos territoires français.
En matière de culture du risque, il est essentiel de disposer d'une grande proximité entre l'autorité préfectorale et Météo-France sur ces territoires, en lien avec la gestion de ce risque qui, encore une fois, repose sur des exercices annuels, des bilans et des retex. Il faut également contribuer à l'éducation de la population, à la vulgarisation des risques et la communication sur les bons réflexes à adopter lorsque ce type de phénomène se présente. En l'espèce, il faut mobiliser une chaîne entière d'intervenants comprenant notamment Météo-France, l'autorité préfectorale, le rectorat et d'autres acteurs, comme ceux du monde humanitaire. À ce titre, l'adaptation des programmes scolaires représente un excellent levier pour contribuer à l'amélioration de la connaissance des risques au sein de la population.
De notre côté, nous sommes également très actifs en matière d'information de la population, d'enseignement et de formations. Les Observatoires volcanologiques disposent d'une visibilité en Guadeloupe et en Martinique. Nous sommes donc très fréquemment sollicités et manquons même de personnels pour répondre à toutes les demandes. Je rappelle que notre équipe comporte entre dix et quinze personnes, de manière permanente. Nous conduisons également des opérations de vulgarisation et produisons des bilans périodiques d'information.
Cependant, cette information et ce maintien d'une culture du risque font naturellement partie de nos missions. À chaque séisme ressenti, même s'ils n'occasionnent heureusement pas de dégâts la plupart du temps, nous en profitons pour communiquer, procéder à des « piqûres de rappel », en soulignant le caractère aléatoire de leur survenue et rappeler l'histoire de la sismicité.
L'acceptabilité des cartes de risques et donc des contraintes à l'aménagement constitue effectivement un point sensible, dans la mesure où nous avons affaire à des espaces insulaires très étroits. Dès lors, ces sujets nous renvoient à la notion de risque « acceptable ». Naturellement, il ne s'agit pas d'exposer les populations à des dangers récurrents, mais de penser l'espace et de faire prendre conscience que le risque n'est pas identique d'un territoire à l'autre en raison des contraintes et des particularités de ces derniers.
Ensuite, pour avoir commencé à travailler aux Antilles à la fin des années 1980, je peux témoigner que la culture du risque et la prévention ont connu de considérables progrès au fil des ans. Le risque lié aux cyclones est bien identifié en raison de leur récurrence, mais celui associé aux volcans et aux séismes a également fait l'objet d'avancées. Désormais, il importe de ne pas relâcher l'effort et de soutenir sans cesse, non seulement les institutions que nous représentons, mais également tous les relais de la société civile – comme les associations – qui relayent cette culture du risque. À ce sujet, il me semble nécessaire de mettre encore plus l'accent sur ce qui me semble être le parent pauvre de la culture du risque : les mouvements de terrain, qui sont particulièrement accentués, notamment à la Martinique. Beaucoup reste à faire en la matière, par exemple pour la construction ou la gestion des eaux.
S'agissant d'Haïti, le pays ne dispose pas de réseaux de mesure, qui sont essentiels pour la prévision et l'anticipation. Néanmoins, le retex s'est avéré assez fructueux, dans les deux sens. De notre côté, nous avons pu faire bénéficier les Haïtiens d'informations concernant le zonage sismique et la prise en compte du risque associé dans l'aménagement, notamment à Port-au-Prince. Simultanément, nos professionnels ont enrichi leurs connaissances dans l'analyse de la vulnérabilité. En Haïti, nous avons pu étudier des cas concrets de bâtiments construits selon les règles parasismiques françaises ou les codes américains, et qui ont parfaitement résisté aux secousses. Pour ma part, je travaillais sur les mouvements de terrain à l'époque et nous avons pu constater de grands phénomènes d'instabilité, à travers des glissements côtiers qui ont affecté ce que nous appelons les cônes d'alluvions. Nous avons ensuite pu transférer ces connaissances et les prendre en compte dans les zonages que nous avons réalisés sur nos territoires. Quoi qu'il en soit, ces confrontations et ces retours d'expérience sont vraiment extrêmement importants.
Le cas haïtien nous a permis de fortement enrichir notre connaissance des déformations et des mouvements du sol. Cependant, Haïti présente une singularité : elle est située sur une faille « décrochante », qui passe sur la partie terrestre. Ici aussi, pour parfaire les connaissances de la mécanique et de la tectonique, il faudrait installer des réseaux sous-marins, au niveau de la zone de subduction.
Avez-vous budgété ce que représenterait une couverture efficace en termes de capteurs sous-marins ? Pouvez-vous nous transmettre ces éléments ?
Ces réflexions sont en cours, mais nous vous transmettrons cette information.
Précédemment, vous avez indiqué ne pas disposer de suffisamment de moyens pour faire face à la demande de développement de la culture du risque. Selon vous, de quels montants auriez-vous besoin ? Nous avons déjà conduit une réflexion sur ce sujet à l'Assemblée nationale, qui nous a permis de constater que le Japon avait acquis une vraie culture du risque, et témoignait d'un souci permanent de sensibiliser l'opinion. Une fois par an, une journée est ainsi consacrée à l'apprentissage des gestes élémentaires en cas de sinistre. Pensez-vous qu'une telle initiative puisse être mise en place aux Antilles ? Selon quelles modalités budgétaires et moyens humains ?
De telles actions sont déjà mises en œuvre, à travers notamment les journées « Répliques ». Tous les ans, pendant une semaine, nous participons à des stands de formation et des discussions. Mais la demande est telle qu'il faudrait aller plus loin, notamment pour former les instituteurs des écoles, les associations, les agents travaillant dans les services de l'État et des collectivités. Actuellement, il n'existe pas de personnel attitré dans chaque observatoire en Guadeloupe et en Martinique pour effectuer ce travail. En conséquence, les besoins immédiats porteraient sur une personne qui serait dédiée à cette activité de transmission. En outre, il faut bien comprendre que la connaissance des risques telluriques est extrêmement évolutive et nécessite une mise à jour continue, qu'il faut essayer de transmettre directement à la population.
Nous menons ces actions avec nos collègues du BRGM, avec les services de l'État, les associations et la Croix-Rouge. De fait, comme le faisait remarquer M. Mompelat, une évolution remarquable est intervenue depuis une vingtaine d'années. Désormais, les services de l'État et les associations agissent ensemble pour conduire des actions de sensibilisation à la culture du risque. La relation existe, elle est assez positive et nous y contribuons à notre niveau, pour la partie relative à la connaissance réelle de l'aléa.
Je souhaite rappeler qu'entre dix et vingt séismes sont ressentis chaque année dans les territoires de Guadeloupe et Martinique, soit plus d'un séisme par mois, statistiquement. J'ajoute que certains de ces séismes créent par endroit des petits dégâts. En conséquence, la population est de facto très sensibilisée à ces risques sismiques. Il existe donc une demande d'information, à laquelle nous ne pouvons répondre intégralement. Nous y répondons de manière extrêmement ponctuelle, mais chaque semaine, des instituteurs, différents organismes de l'État nous demandent de réaliser des visites de l'Observatoire ou d'organiser des journées portes ouvertes. Malheureusement, nous ne pouvons pas toujours y donner suite, compte tenu de nos engagements opérationnels. Il existe ainsi deux plans ORSEC (Organisation de la réponse de sécurité civile) en lien avec la préfecture – le plan ORSEC volcan et le plan ORSEC séisme – qui nous engagent dans des astreintes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an. Notre petite équipe ne peut répondre à la demande pourtant justifiée de la population et des acteurs de l'État sur la connaissance de ces séismes, laquelle progresse régulièrement et doit être ajustée. Ce paramètre assez important doit être pris en compte.
En tant qu'organismes, nous ne disposerons jamais des moyens de procéder à une telle démultiplication, compte tenu de nos contraintes. En revanche, je demeure persuadé de la nécessité pour les services de l'État de disposer des moyens financiers suffisants pour conduire les campagnes d'information et être en mesure de relayer les messages sur différents supports médiatiques. En outre, il importe d'avoir de bons relais au sein de ce tissu associatif. À ce titre, nous demeurons néanmoins les personnes idoines pour délivrer les bons messages. Il faudrait sans doute mieux maîtriser cette articulation, pour s'assurer que les messages de prévention et de conduite à tenir lors de la survenue de tel ou tel phénomène soient bien ceux définis par la puissance publique.
S'agissant de l'éducation de la jeunesse, le rectorat doit être un partenaire majeur. Au même titre que les autres organismes, Météo-France n'a pas les moyens de se rendre dans les classes pour former tous les élèves martiniquais et guadeloupéens sur ces risques. Dès lors, le travail avec le rectorat est essentiel pour former un réseau d'enseignants référents sur ces sujets des risques naturels, lesquels peuvent ensuite relayer les messages. Je tiens enfin à souligner une initiative exemplaire existante à la Réunion, issue d'un partenariat avec le rectorat et la plateforme d'intervention régionale océan Indien de la Croix-Rouge (Piroi), qui permet aujourd'hui de former l'intégralité des élèves réunionnais entre le CM1 et la cinquième à l'ensemble des risques naturels.
Il me reste à vous remercier pour votre disponibilité et à vous souhaiter une excellente journée.
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la Table ronde « Guadeloupe – Volet État » : M. Xavier Lefort, préfet de Guadeloupe ; M. Olivier Kremer, directeur, direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Guadeloupe ; Colonel Frédéric Lhomme, directeur-adjoint et Lieutenant-colonel Joël Condo, responsable opérationnel, Service territorial d'incendie de secours de Guadeloupe.
Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux avec une table ronde territoriale intitulée « Guadeloupe – Volet État ». Nous recevons, par connexion interposée, M. Xavier Lefort, préfet de Guadeloupe ; M. Olivier Kremer, directeur, direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Guadeloupe (Deal 971) ; M. le colonel Frédéric Lhomme, directeur-adjoint et M. le lieutenant-colonel Joël Condo, responsable opérationnel, Service territorial d'incendie de secours de Guadeloupe (Sdis 971). Ils sont également accompagnés de Mme Catherine Perrais, directrice adjointe de la Deal Guadeloupe et Mme Aude Comte, chef du projet risques naturels de cette même Deal.
Votre audition est ouverte à la presse et sera retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée. Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, puis nous poursuivrons nos échanges sous la forme des questions-réponses.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mmes Perrais, Comte et MM. Lefort, Kremer, Lhomme, Condo prêtent serment)
Je vous remercie de nous auditionner aujourd'hui. La Guadeloupe est soumise à un certain nombre de phénomènes majeurs d'ordre cyclonique, sismique ou volcanique.
En matière cyclonique, les événements majeurs, au-delà du grand cyclone de 1928, sont les ouragans Hugo en 1989, Maria en 2017 et Irma, qui ont affecté plus au nord les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Ces événements cycloniques s'accompagnent également de pluies extrêmement abondantes, qui représentent en réalité le phénomène majeur en matière de risque, en raison de la topographie du territoire, se traduisant par des débordements et des inondations souvent très graves. Récemment, la tempête tropicale Fiona de 2022, qui n'était pas un ouragan, a ainsi été marquée par de très fortes pluies. Dernièrement, nous avons connu la tempête tropicale Philippe (septembre 2023) et l'ouragan Tammy (octobre 2023), qui a touché l'archipel, et plus particulièrement l'île de la Désirade.
En premier lieu, je souhaite saluer la forte culture du risque de ce territoire. Je peux ainsi témoigner la grande résilience de la population lors de la survenue d'événements majeurs. Cette population connaît les consignes, réagit très rapidement, sait se mettre à l'abri et suit les directives qui lui sont transmises par les autorités. Lors des deux derniers événements cités, aucune victime n'a ainsi été à déplorer. Un travail de prévention et d'information est ainsi mené auprès de la population, qui me semble porter ses fruits.
Ces actions de prévention concernent également les plans sismiques et volcaniques, qui passent notamment par des informations dans le milieu scolaire, les journées japonaises organisées par la préfecture, en lien avec le Sdis et la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement, qui ont lieu en général au mois de juin. Elles portent sur la sensibilisation à tous les risques, cycloniques, sismiques et volcaniques. Des exercices ORSEC (organisation de la réponse de sécurité civile) sont également effectués régulièrement, sur table ou en grandeur nature. Ces exercices portent notamment sur l'évacuation des personnes en cas de risque volcanique. Je rappelle ainsi que la dernière éruption de la Soufrière date de 1976. La formation concerne également le risque de submersion, dans la mesure où le risque tsunami est réel dans la Caraïbe. À cet égard, je vous indique que la commune de Deshaies a obtenu le label « Tsunami READY » de la part des Nations unies à la fin 2023, étant la première commune de France à organiser un système de prévention du risque tsunami.
Nous menons également un travail de prévention à travers des plans de prévention des risques naturels (PPRN) et le plan séisme Antilles (PSA) pilotés par la Deal et qui mobilisent des crédits importants de la part de l'État, mais aussi du Fonds européen de développement régional (Feder). Le contrat de convergence et de transformation (CCT) permet d'engager des moyens très significatifs pour la mise en sécurité de l'ensemble du bâti scolaire en matière sismique. Aujourd'hui, près de 50 % des écoles sont intégrées dans le cadre du plan séisme Antilles.
Enfin, je dois mentionner les systèmes d'alerte de l'archipel. Grâce à un travail effectué de concert avec le Sdis, nous devrions, au mois d'octobre prochain, passer sous le réseau FR-Alert, le nouveau dispositif d'alerte et d'information des populations à travers les réseaux de téléphonie mobile.
En complément des propos introductifs de M. le préfet, je souligne à mon tour que le territoire est soumis à nombreux enjeux en matière de risques naturels (séismes, phénomènes cycloniques, mouvements de terrain, inondations). Les inondations provoquent ainsi des montées des eaux soudaines en aval des rivières, qui nous posent problème. Les dernières tempêtes ont ainsi engendré des impacts réels sur le littoral.
Le PSA, particulièrement important pour nous, comporte un volet de sensibilisation aux risques sismiques, mis en place étroitement avec les collectivités, mais également un volet de remise aux normes des établissements scolaires. Cette remise aux normes consiste soit à conforter le bâti existant, soit à réaliser des opérations de démolition-reconstruction des établissements scolaires sur l'ensemble du territoire.
Les actions de sensibilisation doivent également être mentionnées. À la fin de l'année 2023, nous avons ainsi réalisé un colloque sur le plan séisme avec l'ensemble des collectivités du territoire, auquel plus d'une centaine de participants ont assisté. À cette occasion, nous avons pu évoquer les relais des services de l'État vis-à-vis des collectivités. Ensuite, nous disposons de PPRN sur le territoire, qui ont été établis entre 2005 et 2012. Nous sommes actuellement en phase de révision de ces documents, qui a débuté en 2016. Les services de l'État ont mis en place des porter à connaissance « inondations », réalisés en 2022.
Nous travaillons étroitement avec sept collectivités, l'objectif étant de bénéficier de leur connaissance des enjeux sur chacun de leur territoire. Cette révision est prévue pour une durée d'environ trois ans.
Je suis directeur adjoint du Sdis depuis un peu moins de deux ans. Les collègues qui m'accompagnent ce matin disposent d'une plus grande expérience des phénomènes naturels sur ce territoire et pourront utilement compléter mes propos, le cas échéant.
En guise de complément aux précédents propos, je souhaite signaler quatre vulnérabilités qui me semblent importantes à appréhender, qui caractérisent le territoire de la Guadeloupe et le différencient singulièrement de la plupart des autres territoires français. La première vulnérabilité est d'ordre géographique. Cet archipel sous-tend une double, voire une triple insularité, qui se traduit par moments par une discontinuité territoriale exacerbée. Déjà fort présente au quotidien, cette discontinuité devient plus que problématique en situation de crise. Je pense non seulement aux phénomènes météorologiques, mais aussi aux sargasses qui peuvent venir perturber le fonctionnement normal.
Les vulnérabilités sont également structurelles, compte tenu notamment des difficultés de distribution d'eau, qui impactent l'eau potable, mais aussi la défense extérieure contre l'incendie.
Le réseau routier reste fragile, puisque seuls deux ponts relient la Grande-Terre et la Basse-Terre. Sur cette dernière, il existe très peu d'itinéraires bis ; quand une route est coupée, l'ensemble de la circulation de l'île se trouve perturbé.
Je souligne également les vulnérabilités humaines en cas de crise, puisque peu de forces complémentaires peuvent nous soutenir, notamment en l'absence de forces armées sur l'île.
Je ne veux pas non plus écarter nos propres difficultés internes, nos propres vulnérabilités. Le Sdis est un établissement public autonome financé par des collectivités qui sont pour la plupart exsangues financièrement. En conséquence, le budget d'investissement est bien plus faible qu'il y a une dizaine d'années, ce qui se traduit immédiatement par des difficultés opérationnelles au quotidien. Ainsi, les moyens matériels et bâtimentaires ne sont pas au rendez-vous des objectifs fixés par notre précédent schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (Sdacr), le document structurant de notre établissement, qui est d'ailleurs en cours de révision. L'échange de ce matin tombe donc à point nommé pour nous, puisque nous avons l'objectif de proposer au préfet un document finalisé pour la fin du premier semestre.
Monsieur le président, tels étaient nos éléments introductifs. Nous sommes à présent à votre disposition pour répondre aux questions des membres de la commission.
Vos présentations nous proposent une vision contrastée, à l'image de la réalité. Pour ma part, j'ai été membre de la commission d'enquête sur l'eau, qui avait été constituée lors de la précédente législature. Elle avait en grande partie concerné la situation du territoire guadeloupéen. Le Colonel Frédéric Lhomme vient de confirmer la fragilité des réseaux, en particulier le réseau d'eau. Je souhaite donc savoir si le territoire peut être résilient en cas d'aléa majeur.
Par ailleurs, sur d'autres territoires, la question du prépositionnement des moyens (ressources, matériels, ressources en nourriture et en boissons) a été évoquée. Comment concevez-vous ces éléments ? Ont-ils été intégrés dans le Sdacr pour permettre aux territoires de supporter un aléa majeur ? Même si comparaison n'est pas raison, lorsque nous avons auditionné les témoins des événements à Saint-Martin, le retex a permis de comprendre ce qui s'y est déroulé.
Ensuite, je souhaite évoquer la question du voisinage. Un désordre peut toucher une île voisine, un État voisin ou l'ensemble de la zone et entraîner des conséquences sur les besoins en sécurité civile et ceux de la population. Intégrez-vous ces aspects dans la gestion du risque sur le territoire ? Une forme de coopération est-elle prévue en la matière ?
Enfin, les représentants de Météo-France et du BRGM que nous avons interrogés précédemment nous ont fait part d'une rotation importante des personnels dans les administrations, complexifiant la connaissance habituelle des phénomènes, des idées et des pratiques. Ils souhaitaient également pouvoir disposer d'interlocuteurs plus spécialisés sur le plan scientifique, notamment pour pouvoir mieux intégrer les données qu'ils peuvent recueillir et les anticipations liées au changement climatique. De quelle manière ressentez-vous cette demande ? Comment y répondez-vous ?
S'agissant du dernier point évoqué, mon sentiment est plutôt inverse : les équipes dont nous disposons possèdent une bonne connaissance de l'historique et de la permanence des situations. Au sein de la préfecture et de la Deal, nombre de nos collègues connaissent bien le territoire, dont ils sont souvent originaires par ailleurs.
Ensuite, le colonel Lhomme a déjà évoqué la problématique de l'eau. Le Sdis dispose de ses propres moyens mobiles et il est en mesure de déployer ses propres ressources. Par ailleurs, après les difficultés qui ont été rencontrées en Guadeloupe, des décisions législatives ont été prises par les parlementaires, avec notamment la création d'un syndicat mixte départemental qui couvre l'ensemble des collectivités, le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG). Cette création permet de traiter le sujet de la bonne manière en termes de gouvernance de l'eau, des moyens, des opérations, en bénéficiant d'un appui très fort de l'État, mais aussi de la région et du département.
Ainsi, l'année dernière, nous avons mis en place une programmation pluriannuelle des investissements sur trois ans, portant sur plusieurs centaines de millions d'euros. En conséquence, 250 millions d'euros de financement permettent de lancer un certain nombre d'opérations sur les usines de production d'eau potable, sur le réseau de distribution ou sur le réseau d'assainissement. En lien avec le département et la région, nous avons défini trente opérations structurelles et prioritaires, afin d'obtenir dès cette année des résultats tangibles. Je rappelle toutefois que la compétence de l'eau ne relève pas de l'État ; elle demeure entre les mains des collectivités.
En l'espèce, l'État intervient en appui, à travers un contrat d'assistance technique grâce à six personnels de l'État mis à disposition et un financement de 20 millions d'euros annuels pour le fonctionnement du syndicat, à travers des contrats semblables à ceux des contrats de redressement outre-mer (Corom). L'État offre également un appui sur les opérations d'investissement, puisqu'il cofinance pour un tiers un programme d'investissements lourds, qui a débuté cette année. Nous souhaitons obtenir des résultats rapides, même s'ils ne se matérialiseront sans doute pas dès le premier semestre, mais plutôt dans un délai de deux ans.
Nous avons l'habitude de prépositionner des moyens, comme l'a illustré l'épisode de l'ouragan Tammy, notamment grâce au Sdis et aux brigades de gendarmerie. En effet, il était envisageable que la trajectoire de l'ouragan affecte la Grande-Terre. Nous avions ainsi prépositionné des moyens de distribution d'eau, pour pouvoir subvenir aux besoins des populations. La veille du passage de l'ouragan, nous avions également projeté des moyens par voie aérienne, pour pouvoir être opérationnels à La Désirade dès le passage du cyclone, sans attendre que les conditions de mer soient rétablies. À ce titre, nous avions prépositionné un médecin du CHU de Point-à-Pitre. Cet exemple témoigne de la très bonne capacité opérationnelle des services à monter ce type d'opération.
S'agissant du réseau d'incendie et de secours, nous sommes encore soumis aux aléas du réseau de distribution, mais le Sdis est en mesure d'adapter des moyens mobiles pour la lutte contre l'incendie.
Pour pallier autant que possible les défaillances du réseau d'eau, le Sdis est obligé de surengager des moyens. Généralement, un seul véhicule est nécessaire en cas de départ de feu. Ici, compte tenu de l'absence d'assurance d'un réseau adéquat, nous engageons régulièrement un deuxième véhicule. De plus, nous avons lancé un plan d'acquisition de gros véhicules porteurs d'eau pour nous garantir une capacité d'action suffisante. Nous avons noué une convention avec le syndicat mixte de gestion de l'eau sur son territoire, qui comporte plusieurs éléments de coopération, notamment un volet permettant l'acquisition commune de gros véhicules porteurs d'eau.
Il est exact que la responsabilité incombe aux collectivités en la matière aujourd'hui. La prérogative de la défense extérieure contre l'incendie (DECI) appartiendra à terme au syndicat. L'acquisition des véhicules nous permettrait en cas de crise majeure, de catastrophe touchant le territoire, de procéder au ravitaillement des cuves qui sont installées dans les diverses communes du territoire. Je précise néanmoins qu'il ne s'agit pas de transport d'eau potable, puisque ces véhicules ne sont pas dotés de cuves en inox. Cependant, cet élément fournirait une garantie pour nos populations.
S'agissant du prépositionnement de moyens, la réserve nationale est basée à l'aéroport de Pointe-à-Pitre les Abymes. Cependant, la problématique du transport de ces matériels se pose indubitablement au quotidien, compte tenu de la double voire triple insularité de notre archipel. Chaque île habitée dispose d'une caserne, à La Désirade, Marie-Galante, Terre-de-Haut, Terre-de-Bas dans l'archipel des Saintes.
Ce prépositionnement de matériel est intuitif, sans être forcément formalisé aujourd'hui. Le prochain Sdacr permettra d'effectuer un meilleur calage dans ce domaine, qui traitera les territoires du département de la Guadeloupe ; il s'agit en quelque sorte d'un schéma archipélagique de la Guadeloupe. De fait, nous ne pouvons pas résoudre l'ensemble des problèmes depuis la direction départementale des Abymes ; il faut absolument prépositionner un certain nombre de stocks stratégiques de véhicules, dans la mesure où nous n'aurons jamais la capacité de transporter du gros matériel à l'instant t.
S'agissant des renforts, il me semble que dans la région, nous sommes perçus comme le territoire disposant du plus grand nombre de moyens, de la plus grande capacité d'intervention. Ainsi, en cas de catastrophe, il est fort probable que notre environnement proche ne pourra pas nous porter secours, mis à part sous l'égide de l'état-major de zone de nos collègues de la Martinique.
Le colonel a raison d'insister sur ce point : nous ne pouvons compter sur des renforts significatifs en provenance d'îles comme Antigua, Barbuda ou La Dominique. Nous disposons d'un certain nombre de barges dans le port de Pointe-à-Pitre, que nous utilisons le cas échéant. Lors de l'épisode à La Désirade, le cyclone est passé le samedi et la barge a appareillé le lendemain matin du port. Nous disposons donc de capacités maritimes et nautiques, de vedettes des douanes ou de la gendarmerie maritime, qui constituent des moyens hauturiers. Cependant, nous sommes effectivement les seuls, dans le nord de l'arc antillais, à disposer de cette capacité de protection.
Comme le colonel l'a rappelé, il nous faut intégrer cette réalité dans nos moyens propres. Nous n'avons pas la chance d'être entourés par des départements voisins qui pourraient nous fournir un renfort immédiat ; la Martinique étant par exemple située à 250 kilomètres de distance. En cas d'événement majeur, l'isolement sera au moins de soixante-douze heures et nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes, compte tenu du temps nécessaire pour déployer des moyens extérieurs, voire hexagonaux. Inversement, nous devons intégrer la capacité à pouvoir nous projeter dans des îles voisines, à Montserrat, Antigua, Barbuda ou La Dominique, où nous pourrions être sollicités.
Mes collègues ont effectivement participé à des opérations extérieures à l'occasion d'événements d'ampleur, notamment à Haïti ou Saint-Martin. Le Sdis s'est engagé l'année dernière dans une démarche Insarag (International Search and Rescue Advisory Group) sous l'égide des Nations Unies, avec nos collègues de Martinique et de Guyane, pour se doter d'une accréditation lui permettant d'être reconnu à l'international et d'être capable de s'intégrer à des dispositifs, avec nos collègues étrangers. Aujourd'hui les secours à l'étranger sont en effet gérés par cet organisme onusien, qui a établi des procédures pour travailler de concert, alors même que nos techniques sont habituellement très différentes. Cette accréditation, essentielle, implique néanmoins des coûts financiers importants pour le Sdis. À ce titre, un dossier est en cours d'instruction à la direction générale à Paris, pour cofinancer une partie du matériel.
Quoi qu'il en soit, le Sdis devra assumer une part importante pour être utile à notre territoire, dans la mesure où nous serons capables d'accueillir convenablement les pays étrangers qui viendraient nous prêter main-forte. M. le préfet a indiqué à juste titre le délai de soixante-douze heures avant que des renforts de l'Hexagone puissent nous porter secours. Dans ce laps de temps, d'autres pays plus proches du continent américain seraient peut-être en mesure de nous projeter des renforts, ce qui implique que nous puissions convenablement les accueillir. Tel est le sens de ce projet.
Est-il possible d'estimer les investissements nécessaires en termes de sécurité civile pour viser le plus haut niveau ? Si vous en êtes en cours de révision du Sdacr, je serais curieux de connaître les différentes étapes de cette procédure, afin que nous puissions comprendre comment intégrer les évolutions dans la réécriture d'un tel schéma. Par exemple, de quelle manière intégrez-vous les évolutions dues au changement climatique ?
Enfin, je voudrais que vous évoquiez différents éléments concernant la sécurité, au sens de l'ordre public. À Saint-Martin, des pillages ont suivi l'événement cyclonique, en partie parce que certains ne savaient pas où aller pour obtenir de l'eau ou de la nourriture, en partie pour des motifs plus « opportunistes ». Le schéma prévoit-il un déploiement des forces de l'ordre et de la gendarmerie sur le territoire pour éviter de tels épisodes ? Considérez-vous disposer de moyens suffisants en la matière ?
Sur ce dernier point, nous estimons disposer des moyens pour assurer l'ordre public et la sécurité de la population, y compris lors d'événements majeurs. Après le cyclone Tammy, la population était confinée et nous avons patrouillé dans les rues des grandes villes de la Guadeloupe. Il convient de relever que cet événement était particulier, dans la mesure où le cyclone avait adopté un comportement très aléatoire. Nous étions passés en alerte violette alors même qu'il y avait peu de vent et pas encore d'épisode pluvieux. Je me dois d'indiquer que les populations ont très bien respecté ces temps de confinement et nous n'avons pas été confrontés à des difficultés d'ordre public, grâce aux moyens de la police ou ceux de la gendarmerie. En cas d'événement majeur, nous disposons quand même de deux escadrons de gendarmerie mobile, qui s'intègrent aujourd'hui dans les effectifs de la gendarmerie départementale, mais qui peuvent être reconstitués sur ordre du préfet.
Par ailleurs, si notre territoire est effectivement plus grand que ceux de Saint-Martin ou de Saint-Barthélemy, les phénomènes sont plutôt centrés sur un endroit donné. Dans le cas de Tammy, l'événement cyclonique est resté localisé et n'a pas touché la totalité de l'archipel. Dans ces phénomènes cycloniques, les gradients de vent sont extrêmement variés : une ville peut être très fortement touchée, mais dix kilomètres plus loin, les infrastructures seront épargnées. Les dégâts sont donc très variables en fonction des localisations. Lors du cyclone Tammy, Grande-Terre et La Désirade étaient par exemple bien plus affectées que la zone de Basse-Terre et la zone pointoise. Cela nous a permis de travailler sereinement et d'organiser des moyens de projection. En résumé, je ne discerne pas de difficultés particulières, compte tenu des moyens de police et de gendarmerie disponibles, pour assurer l'ordre public et éviter effectivement les événements que vous avez mentionnés.
Enfin, nous sommes actuellement au début de la révision du schéma départemental d'analyse et de couverture des risques. Colonel, pouvez-vous faire le point sur les différentes étapes ?
La révision du Sdacr est engagée depuis septembre 2023 et nous avons présenté le bilan du précédent Sdacr lors du dernier conseil d'administration, dans un souci de transparence et de partage du processus de révision. La prochaine échéance consiste à présenter pour signature le Sdacr finalisé pour la fin du premier semestre 2024.
Un certain nombre de propositions d'évolution de ce schéma doivent encore être finalisées et je souhaite à ce titre revenir sur ces notions de renfort. Comme cela a déjà été indiqué, nous sommes contraints par la discontinuité territoriale : aucun département limitrophe ne peut prêter main-forte sans délai comme cela est la règle dans l'Hexagone, où tous les départements ont signé des conventions avec les départements voisins et procèdent à des aides de manière immédiate, sans délai ni demande d'autorisation. Quand nos collègues sont dépassés, ils doivent s'en remettre à la zone, qui sollicite à son tour les autres départements, lesquels peuvent réagir dans un délai de deux à trois heures, pour envoyer des renforts.
Le dernier échelon est d'ordre national : l'échelon parisien ausculte les capacités de réaction des uns et des autres sur l'ensemble du territoire et peut faire appel également à ses propres forces d'État, des formations militaires, de la sécurité civile. Une quatrième unité est ainsi en cours de constitution dans l'ouest de la France, en sus de celles de Corte, de Brignoles et de Nogent-le-Rotrou. Ces forces ont vocation à venir en renfort en cas de catastrophe.
Dans les outre-mer, ces éléments n'existent pas et il convient donc d'être agiles et imaginatifs. Nous nous efforcerons de l'être dans le cadre du prochain Sdacr, mais avec des moyens de proposition limités, compte tenu de nos propres ressources. À cet égard, l'évolution des pactes capacitaires représente une piste à creuser. Des idées doivent être cherchées dans ce domaine, afin que nous soyons plus accompagnés par l'État pour faire face à assez à ces risques, certes de grande ampleur, mais rares. Au quotidien, l'essentiel consiste à pouvoir faire partir nos ambulances, lesquelles constituent 80 % des interventions du Sdis. En réalité, le quotidien est le véritable levier de décision sur les plans politique et financier. Nous avons plus de mal à mobiliser, expliquer et convaincre sur ces aléas qui interviennent de façon très épisodique.
Par ailleurs, parmi les ressources disponibles figurent des moyens militaires, au-delà des moyens propres du Sdis ou de la gendarmerie. Ces moyens militaires, notamment la marine nationale, sont basés sur l'île de la Martinique. Nous disposons également des moyens de l'armée de terre, qui peuvent être prépositionnés en matière de sécurité civile. Le 33e régiment d'infanterie de marine est situé à Fort-de-France, mais nous avons ici un régiment du service militaire adapté (RSMA), que nous sommes en mesure de mobiliser, en prenant en compte ses limites intrinsèques. Ainsi, les jeunes stagiaires ne sont pas des engagés volontaires de l'armée de terre, ils ont un statut particulier. Néanmoins, par exemple, lors des événements majeurs, nous « enterrons » les équipes du RSMA qui se positionnent sur le territoire pour pouvoir agir après le passage d'un événement. Ils disposent de camions et de pelles mécaniques pour procéder par exemple aux premières opérations de déblaiement.
En résumé, parmi nos moyens propres, nous devons intégrer les moyens du ministère de la défense, qui figurent également dans le schéma de sécurité civile signé par le préfet du territoire de Guadeloupe, mais également les moyens qui peuvent être projetés depuis la Martinique, notamment à travers le régiment d'infanterie de marine de Fort-de-France. Lors du passage de Tammy, l'une des compagnies était ainsi présente sur le territoire et était en mesure d'apporter de l'eau, du matériel et des véhicules, grâce aux moyens de la marine nationale en Martinique.
Le colonel Lhomme a bien rappelé la discontinuité territoriale, qui induit un mode organisationnel spécifique. Géographiquement, le premier soutien vient de la Martinique, puis des pays de la zone américaine. Avec ces derniers, il importe sans doute de mieux développer la coopération, puisque les renforts de la métropole ne pourront être sur zone avant un délai minimal de soixante-douze heures en cas d'événement majeur.
Les militaires du RSMA sont effectivement formés aux procédures de secours-déblaiement.
Je suis convaincu que cette révision du Sdacr sera exemplaire. Pourrez-vous nous transmettre le bilan du précédent, afin de voir comment vous opérez cette transformation ? S'il est toujours intéressant de produire une photographie à date des moyens déployés, il est encore plus pertinent d'intégrer au fur et à mesure la méthodologie qui cherche à s'adapter aux évolutions que subissent ces territoires.
Nous pourrons vous transmettre ces éléments.
Vous avez évoqué les possibilités et les délais d'intervention entre la Guadeloupe et les autres îles. Ma question porte uniquement sur la Guadeloupe elle-même, la Guadeloupe « intérieure ». En cas d'une catastrophe au nord ou au sud de l'île nécessitant une intervention, disposez-vous du temps nécessaire pour rejoindre une zone, en raison de la configuration des infrastructures de mobilité ? Sous quel délai ?
J'ai eu l'occasion de m'intéresser, il y a trois ou quatre ans à ces questions et j'avais auditionné à ce titre le directeur général des services du département, qui m'avait indiqué que les infrastructures n'étaient pas suffisamment paramétrées et que certains ouvrages d'art ne permettaient pas de circuler.
À ce titre, je souhaite vous faire part d'un exemple très concret. Il est beaucoup question de la double insularité, en tant compte de La Désirade, de Marie-Galante ou des Saintes. Le cyclone Tammy a frappé un samedi et les deux barges comprenant le matériel, les câbles électriques, les câbles téléphoniques et les équipes de déblayage du RSMA ont quitté le port de Pointe-à-Pitre le dimanche à sept heures du matin. À ma demande, le directeur de la mer a réquisitionné un ferry pour emmener les militaires. En tout début de matinée, nous avons pu embarquer les tourets d'Orange et d'EDF. Pour avoir vécu concrètement cet épisode sur le terrain, je tiens à saluer tous les personnels ; avec l'aide du Sdis, nous avons ainsi pu envoyer des ressources matérielles et humaines pour être opérationnels sur place. Comme le colonel Lhomme l'a rappelé, nous devons raisonner sur une dimension archipélagique.
Ensuite, nous sommes forcément fragilisés par le réseau routier unique. Lors des événements de 2021, qui n'étaient pas d'ordre climatique ou de sécurité civile, nous avons d'ailleurs pu le constater. Il suffit d'un barrage sur une route pour rendre les déplacements extrêmement compliqués. Si le pont de la rivière des Pères à Basse-Terre s'effondre, les communications entre le sud et le nord de la Basse-Terre seront effectivement très difficiles. C'est la raison pour laquelle nous accordons une grande attention aux ouvrages, dont une partie a été emportée par les pluies sur la commune de Vieux-Fort en octobre 2023.
À ce titre, nous effectuons un travail d'ampleur avec la Deal. Nous avons ainsi réuni tous les élus au mois de décembre, lors d'un séminaire sur la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), afin d'alerter sur le nécessaire entretien des cours d'eau. La fragilité du système porte évidemment sur les ouvrages d'art qui enjambent effectivement les différentes ravines et cours d'eau. Je me souviens avoir discuté avec le maire de Basse-Terre le lendemain du passage du cyclone Tammy pour évoquer les embâcles et le nécessaire nettoyage des cours d'eau.
L'une des priorités de la Deal porte ainsi sur les actions en termes de Gemapi, compétence qui relève, une fois encore, des collectivités, que nous nous efforçons de sensibiliser sur ces différents éléments. En effet, le risque principal identifié concerne le risque hydraulique de débordement des ravines et de destruction des ouvrages d'art, qui peuvent engendrer de graves problèmes de circulation autour de l'archipel. Ces difficultés sont palliées par l'utilisation de moyens nautiques de la gendarmerie maritime et de la marine nationale, pour pouvoir continuer à desservir les populations, comme cela fut le cas en 2021.
Une étude sur les itinéraires de substitution prioritaires est en cours, compte tenu du caractère stratégique d'un petit nombre d'ouvrages. Par ailleurs, nous discutons actuellement avec le conseil régional et le conseil départemental pour faire venir des ponts mobiles, notamment démontables, afin de rapidement recréer un réseau routier si un ouvrage d'art devait être emporté lors d'un phénomène.
Même si les territoires ne sont pas totalement comparables, nous avons naturellement l'exemple de l'ouragan d'Irma en tête. Or il apparaît que les modifications du PPRN qui ont suivi cet événement ont été assez compliquées, dans un premier temps. Où en êtes-vous en la matière ? Connectez-vous la révision du PPRN à vos travaux sur le Sdacr ?
Nous sommes en phase de révision du PPRN, le premier territoire concerné étant celui des Grands Fonds. Nous conduisons un travail approfondi avec les collectivités et nous tirons les enseignements de tous les événements récents.
Contrairement à la première génération des PPRN, qui avait été perçue comme très contraignante pour les collectivités, la culture qui se développe aujourd'hui est celle d'une appropriation par les collectivités. Je constate d'ailleurs qu'elles ont été particulièrement sensibilisées par les événements récents et qu'elles sont conscientes de la nécessité d'un territoire plus résilient, y compris les infrastructures. Nous avons vraiment mis l'accent sur cette collaboration avec les élus, afin que le PPRN soit compatible avec toutes les problématiques, y compris celles du fonctionnement du territoire en cas d'événements. Nous réfléchissons à des itinéraires résilients et à la transparence des ouvrages, pour intégrer globalement la politique des risques au plus près du territoire et des préoccupations des collectivités.
L'enjeu consiste pour nous à retravailler les documents de base, en associant de manière extrêmement étroite les collectivités. De fait, le PPRN ne peut se réaliser que si la collectivité dispose d'un véritable projet de territoire. Nous devons être cohérents avec les spécificités de ces territoires, qui sont notamment très contraints en matière foncière. Nous devons donc pouvoir conjuguer les enjeux fonciers, les enjeux de développement du territoire et la gestion du risque. En résumé, nous conduisons un travail global avec les collectivités. Cette révision est prévue pour une période de travaux d'un peu plus de trois ans.
Je tiens à remercier votre commission d'enquête. Depuis mon arrivée sur le territoire, je constate une véritable prise en compte de ces enjeux. Nous avons également tiré les enseignements des événements précédents. Par exemple les expériences des cyclones Tammy et Philippe nous ont montré l'importance de travailler sur la Gemapi et les questions de gestion de l'eau sur le territoire. Ce dernier élément constitue ainsi une priorité absolue pour la consommation et la distribution en cas d'incendie. Il s'agit ainsi de rétablir un fonctionnement du réseau d'eau, afin qu'il soit opérationnel pour tous les services qui y recourent.
Un très grand travail est ainsi conduit par les services de l'État, en appui des collectivités pour rétablir un fonctionnement correct d'ici deux ans je l'espère. Le Parlement nous a donné les moyens de remettre en état et de moderniser le réseau d'eau, tâche qui incombe désormais au syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe. Il convient de faire aboutir ce travail.
Je vous remercie M. le préfet et salue les collaborateurs qui vous ont accompagné lors de cette audition. Je vous souhaite une excellente journée.
La séance s'achève à seize heures dix.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Réunion du jeudi 29 février 2024 à 14 heures
Présents. – M. Mansour Kamardine, M. Guillaume Vuilletet.