La séance est ouverte à neuf heures cinq.
Mes chers collègues, je vous propose de procéder à la nomination de deux co-rapporteurs pour la nouvelle mission d'information décidée par le Bureau sur le thème « Recrutement et fidélisation : gagner la bataille des ressources humaines du ministère des armées ».
En l'absence d'opposition, Madame Caroline Colombier (RN) et M. Loïc Kervran (Horizon) sont désignés rapporteurs.
Nous continuons aujourd'hui notre cycle d'auditions portant sur l'Afrique avec une matinée consacrée à notre coopération avec les pays africains. Cette première audition se concentrera sur notre coopération en matière de sécurité et de défense.
La direction de la coopération de la sécurité et de défense (DCSD), qui dépend du Quai d'Orsay, est un acteur majeur de cette politique. Son action s'inscrit dans le cadre de la coopération structurelle qui vise au renforcement capacitaire et logistique des armées ou forces sécuritaires des pays partenaires. Cette coopération est complémentaire de la coopération opérationnelle des armées menée dans le cadre de leurs domaines respectifs par le ministère des armées et le ministère de l'intérieur. Ces coopérations s'inscrivent dans la stratégie française de moyen-long terme de renforcement des capacités de l'État de droit dans les pays partenaires.
Pour nous en parler, nous avons le plaisir de recevoir le général de corps d'armée Régis Colcombet, directeur de la coopération de sécurité et de défense (DCSD). Mon général, vous nous présenterez les principaux modes d'action de votre direction en Afrique, son adaptation au nouveau contexte stratégique, ainsi que la prise en compte des nouvelles menaces et de l'augmentation du nombre d'acteurs de la sécurité.
Je souhaite également la bienvenue au général Allah Joseph Kouamé, que nous sommes particulièrement heureux de recevoir aujourd'hui. Vous êtes, mon général, directeur de l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), inaugurée à Abidjan en juin 2021, à la suite d'une initiative commune franco-ivoirienne portée par les présidents Macron et Ouattara.
C'est un vrai plaisir d'être ici avec vous ce matin pour partager mes réflexions sur la coopération portée en particulier par la DCSD, qui plus est en présence du général Kouamé. En effet, il est assez inédit qu'un officier général africain puisse venir ici témoigner de cette coopération partagée. Je voudrais d'ailleurs commencer par remercier le gouvernement ivoirien, qui a donné tout de suite un accord de principe lors du conseil d'administration de l'Académie il y a quinze jours. J'y vois un symbole de l'importance portée par le gouvernement ivoirien à ce projet commun.
La DCSD est un outil unique, sans équivalent dans le monde des coopérations internationales. Outil pleinement interministériel, elle est l'opérateur régalien qui porte les coopérations de sécurité, de défense et de protection civile. La DCSD, issue du ministère de la coopération, a été intégrée au Quai d'Orsay dans les années 2000. Elle est aujourd'hui pleinement une direction de la direction générale politique du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, au contact quotidien des directions géographiques, mais aussi des autres acteurs de la coopération que sont la direction générale de la mondialisation (DGM) et le centre de crise.
En 2008, à la suite des travaux sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, la direction de la coopération militaire et de défense (DCMD) est devenue la DCSD. A été alors incorporé à la partie militaire qui préexistait l'ensemble du spectre des coopérations d'État, en particulier la police, la gendarmerie, la protection civile. Cet aspect interministériel se développe, intégrant dans le réseau des douaniers, un magistrat et surtout les affaires maritimes, qui prennent de plus en plus d'importance.
La DCSD est présente dans une cinquantaine de pays, à travers 300 experts et coopérants déployés, soit un réseau relativement important, même s'il est presque dix fois inférieur à ce qu'il a pu être une trentaine d'années auparavant. Il permet néanmoins de couvrir de nombreuses thématiques différentes. Historiquement, deux tiers de la présence de la DCSD se situent sur le continent africain et deux tiers des actions sont menées par le ministère des armées. Deux expansions importantes sont en cours : une expansion géographique et une expansion thématique. L'expansion géographique vise à mieux couvrir l'Indopacifique, se traduisant par des projets à Singapour, au Sri Lanka, en Australie et dans les îles du Pacifique autour de la Nouvelle-Calédonie. Il s'agit en outre d'ouvrir des coopérations en Europe, puisque nous allons déployer un coopérant spécialisé en formation sur le déminage en Ukraine, et un autre en Moldavie. La deuxième expansion, thématique, est plus ancienne, mais elle concerne aujourd'hui des champs nouveaux, en particulier la cybersécurité, demande croissante de nos partenaires, mais également la protection civile et la francophonie.
Nos deux grands modes d'action sont le renforcement de capacités à travers la formation et le développement de projets.
Au titre de la formation, environ 1 200 stagiaires étrangers viennent chaque année en France suivre des scolarités dans nos écoles, qu'il s'agisse d'écoles de formation initiale ou des écoles comme l'École de guerre à Paris, l'école des commissaires à Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, les écoles de police ou les écoles de formation pour les affaires maritimes. Mais la DCSD dispose surtout d'un réseau unique à l'international, portant sur des académies et des centres de formation, à l'instar de l'AILCT. Au Liban, par exemple, l'Académie de police d'Aramoun, forme les commissaires de police de la région, en partenariat avec l'université de Lyon 3, qui forme précisément les commissaires de police français à l'école de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or. Nous sommes également présents dans d'autres centres de formation, des centres de formation au Maintien de la Paix par exemple, mais le cœur du réseau de la DCSD est constitué par les ENVR, les écoles nationales à vocation régionale, porté par les pays, mais en lien très étroit avec notre direction.
Le principe est le suivant : le pays met à disposition une infrastructure, l'hébergement, la direction de l'école ; la partie française propose l'ingénierie pédagogique et surtout finance l'ensemble des stagiaires de la sous-région. Ce réseau d'écoles couvre une vingtaine de pays, sur une dizaine de thématiques. A titre d'exemple, je pense à la seule école de cybersécurité du continent africain située à Dakar, à une école de police judiciaire à Djibouti, un pôle santé au Togo et au Gabon qui forme des médecins militaires, une école de sécurité maritime à Abidjan et une école de déminage au Bénin.
Ce réseau d'écoles constitue une spécificité française, qui sera le point de démarrage de l'expansion de nos coopérations dans les dix ans à venir, en particulier avec nos alliés et partenaires européens, qui nous demandent d'utiliser ces centres comme des hubs de formation dans lesquels ils pourraient envoyer leurs experts. L'AILCT est un peu l'école phare de ce réseau, car elle embarque aujourd'hui treize partenaires internationaux et dispose d'un budget de plus de soixante millions d'euros d'investissement. Surtout, son organisation se fonde sur trois piliers, dans un dispositif assez novateur. Le premier, interministériel, permet d'étudier et d'enseigner la lutte contre le terrorisme sous un angle judiciaire (police et magistrature). Le deuxième pilier concerne la formation opérationnelle avec les unités spécialisées, comme le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), le Raid ou les forces spéciales. Le troisième pilier est un centre de recherche, qui permet aussi de financer des bourses et un écosystème de chercheurs africains dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.
Pour terminer, cette année, nous allons créer ou transformer cinq nouvelles écoles : un centre de formation cyber au Monténégro en partenariat avec la Slovénie, une école de formation maritime au Sri Lanka, une école de lutte contre la criminalité environnementale des espaces naturels au Congo, une école de transmissions, qui sera positionnée à Abidjan et la transformation de l'école de guerre à Kinshasa en ENVR.
Le deuxième mode d'action concerne les projets menés, qui sont portés par un coopérant, souvent en lien avec un opérateur, par exemple Expertise France, Défense conseil international (DCI), l'Economat des armées, Civipol, l'Agence française de développement (AFD) ; mais également des opérateurs étrangers comme Enabel, Coginta…. Dans ce cadre, le rôle de la DCSD, en convention avec ces opérateurs est de jouer un rôle d'incubateur ou de catalyseur, pour développer des projets.
En Afrique, nous appuyons notre action sur des stratégies définies en lien avec le ministère des armées, le ministère de l'intérieur et les directions du Quai d'Orsay. L'objectif consiste à participer à l'endiguement des menaces autour de la périphérie de la bande sahélienne, à renforcer nos capacités d'action en mer dans le golfe de Guinée et les espaces de souveraineté autour de la zone sud de l'océan Indien, de la Réunion et de Mayotte. En matière thématique, notre action met en œuvre des stratégies dédiées sur la partie cyber, la partie sécurité intérieure et la partie formation.
L'Afrique constitue deux tiers de notre portefeuille, à travers une trentaine de pays, une vingtaine d'écoles et plus de 200 coopérants. L'actualité est dense : nous terminons le mouvement de réorganisation après la fermeture de trois dispositifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Cette réorganisation se traduit par la relocalisation de quatre écoles qui étaient présentes dans ces pays : l'école logistique est partie au Bénin ; l'Académie des frontières menée par les Douanes sera relocalisée au Bénin aussi ; l'école de protection civile passera de Ouagadougou à Djibouti ; et l'école de formation des Infirmiers rejoindra le pôle de santé de Lomé au Togo.
Le deuxième axe de l'actualité africaine concerne l'appui au ministère des armées dans la transformation des bases, afin d'y intégrer des centres de formation et des académies portées en commun avec la DCSD. À Abidjan, au camp de Port-Bouët, une école de transmission verra le jour pour former des spécialistes. Au Gabon, une école d'administration sera intégrée sur le camp de Gaulle.
Simultanément, nous recevons de multiples demandes de nos partenaires en faveur d'une coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité intérieure. Je pense ainsi à l'école cyber de Dakar, hub technique en pleine expansion, qui sera peut-être répliqué en Afrique du Sud, pays qui souhaite s'équiper pour tracer les crypto-monnaies. Un autre axe d'effort porte sur la protection civile en Afrique, en particulier en Afrique de l'Ouest. Des pays comme le Cameroun, le Bénin, la Mauritanie, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, nous demandent ainsi d'investir massivement pour développer des centres de secours, un maillage territorial et parfois même un numéro d'appel centralisé pour le pays. Un dernier axe d'expansion porte sur la formation professionnelle. En Guinée Conakry et en République démocratique du Congo, nous menons deux projets dans ce domaine. Il s'agit de former soit des jeunes qui étaient dans des rébellions, pour leur permettre de se reconvertir ; soit des jeunes qui sont sortis du système scolaire et ont besoin de formation.
Enfin, nous entrons dans une nouvelle période marquée par des transformations, mais aussi un nouveau dialogue avec nos partenaires, qui se traduit par des opportunités. Dans ce cadre, le formidable réseau d'écoles et d'académies que je vous ai brièvement décrit sera en partie le point d'ancrage de développement de ces coopérations.
Vers nos partenaires européens d'abord, en permettant l'ouverture de ces centres et de ces écoles à une action commune. L'UE a lancé la Security and defence initiative qui pourra s'y déployer. Nous y voyons plusieurs avantages, dont bien sûr celui de partager les financements. À ce titre, l'AILCT constitue un exemple marquant puisque treize pays bailleurs sont présents. Cette expansion vers des partenaires nécessitera cependant un effort de gouvernance dans ces écoles, afin de disposer d'un conseil d'administration structuré.
D'autres initiatives voient le jour dans le cadre de ce dialogue renouvelé avec nos partenaires : nous développons un jumelage entre nos lycées militaires et leurs homologues africains. Un séminaire vient d'ailleurs de se dérouler à Tours. Des échanges de cadres interviennent également, pour développer une réciprocité qui est très enrichissante avec des cadres africains qui sont présents dans nos écoles en tant que formateurs.
Le troisième axe porte sur l'augmentation des offres de formation, en France en particulier, afin de développer la surface de contact. Elle se traduit par une hausse du nombre de places dans les structures qui existent, mais aussi par des formations nouvelles, à l'école des administrateurs maritimes du Havre, dans les écoles de sapeurs-pompiers, dans le domaine de la formation aux médias. Nous allons essayer de doubler le nombre de places offertes à nos partenaires africains dans les cursus de formation français.
Enfin, je souligne le rôle de catalyseur en lien avec l'équipe France, avec tous les opérateurs, au sein d'un paysage de coopération de plus en plus complexe et de plus en plus concurrentiel. La DCSD joue un rôle d'incubateur pour porter l'expertise gouvernementale d'un projet avec le partenaire et l'ambassade. À ce titre, le portage type est celui que nous développons à Singapour sur le projet Global port security, pour la sécurité portuaire d'une dizaine de ports autour de la région de Singapour. Il s'agit à la fois de gérer des incidents réels qui ont eu lieu dans ces ports, mais également de diffuser les bonnes pratiques et de travailler à la prévention des risques. Dans ce cadre, un expert spécialiste de la protection civile français basé à Singapour s'appuiera sur un opérateur et l'Union européenne, qui finance le projet à hauteur de six millions d'euros.
L'Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), constitue un outil structurel de la stratégie de lutte contre le terrorisme en Afrique. Le Sahel fait face depuis près d'un quart de siècle à de nombreuses convulsions sécuritaires d'origine djihadiste. Dans le schéma d'expansionnisme djihadiste vers les pays du golfe de Guinée, la Côte d'Ivoire apparaît comme un objectif stratégique, d'autant plus qu'elle symbolise l'ancrage d'une présence occidentale visée par le narratif djihadiste.
Au regard de cette menace, la Côte d'Ivoire, en partenariat avec le gouvernement français, a créé l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Ce projet unique a été porté par nos deux présidents, le président Alassane Ouattara et le président Emmanuel Macron, lors du sommet Union africaine-Union européenne qui s'est tenu en novembre 2017 à Abidjan. L'objectif consiste à renforcer l'État de droit et la protection des populations africaines contre la menace terroriste, en améliorant la réponse des pays africains. L'Académie est donc le fruit d'une coopération bilatérale exceptionnelle entre la Côte d'Ivoire et la France. Elle s'offre comme un instrument interministériel au service de la formation, de l'entraînement et de la recherche dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.
En premier lieu, le cadre normatif qui a permis la création de l'Académie est constitué de plusieurs accords intergouvernementaux du 21 décembre 2019, 19 juin 2021 et 6 avril 2023 ; complétés par des décrets. Enfin, la loi du 11 mars 2022 porte ratification de l'ordonnance de création de l'Académie.
Je souhaite ensuite vous entretenir des objectifs et les moyens de l'Académie, en commençant par sa cartographie. Celle-ci est située à soixante-cinq kilomètres d'Abidjan, dans la localité de Jacqueville, entre la mer et la lagune, et se déploie sur une superficie de 1 200 hectares.
L'Académie vise plusieurs missions. La première a pour objet de renforcer les capacités opérationnelles des unités engagées dans la lutte contre le terrorisme. La deuxième est de créer une communauté et une culture du terrorisme communes à la fois aux forces africaines ainsi qu'à leurs partenaires extérieurs. La troisième porte sur l'amélioration de la coordination interministérielle de tous les acteurs impliqués. L'Académie adopte une approche globale et inédite autour des quatre temps de la lutte contre le terrorisme : le renseignement, pour identifier les organisations, leur financement, leur personnel, ainsi que la doctrine ; la gestion d'une crise terroriste ; l'exploitation judiciaire du terrorisme et l'entrave financière, administrative et judiciaire aux réseaux terroristes. Le projet pédagogique s'articule autour de trois piliers : l'école interministérielle de formation des cadres créée en 2019 ; le complexe d'entraînement de forces spéciales et des unités d'intervention spécialisées créé en 2023 et l'institut de recherche dont le premier colloque s'est tenu en 2021.
En Côte d'Ivoire, la coordination de nos activités est assurée par la Primature et le ministère de la défense en assure la tutelle, en liaison avec les ministères de l'intérieur, de la sécurité, de la justice et des droits de l'homme. En France, le projet est porté par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui implique ses homologues des armées de l'intérieur ainsi que de la justice.
La gouvernance de l'Académie s'articule autour de trois points : le conseil d'administration, la direction générale et le comité scientifique. Le premier conseil d'administration a réuni en 2023 onze pays et organisations internationales, marquant ainsi l'ouverture de la gouvernance de l'Académie aux contributeurs extérieurs. Le deuxième conseil d'administration a eu lieu le 11 janvier 2024 et a regroupé seize pays et organisations internationales. La composition du conseil d'administration se décline de la façon suivante : les membres fondateurs sont la Côte d'Ivoire et la France ; les membres permanents sont l'Union africaine et la communauté des États de l'Afrique de l'ouest (Cedeao) ; les membres actifs sont les pays, les organisations internationales, les partenaires techniques et financiers dont la contribution annuelle minimale est de 500 000 euros. Un seuil minimum de 150 000 euros a été proposé pour devenir membre associé et sera rediscuté lors d'un comité technique à la demande du président du conseil d'administration. À cette occasion, les critères inclusifs seront proposés pour permettre aux pays africains d'y participer en mettant à disposition des experts.
Les financements de l'Académie sont multilatéraux et le premier contributeur demeure l'Union européenne (UE), qui a mis à disposition une contribution de 9,9 millions d'euros. Notre objectif consiste à pérenniser notre travail collectif et à promouvoir l'ancrage africain du projet avec l'adhésion de nouveaux pays africains au sein de la gouvernance.
De 2019 à 2023, nous avons eu à former un peu plus de 1 400 stagiaires, issus de vingt-six pays africains et nous avons enregistré 150 sessions de formations. Notre public provient généralement des quatre Afrique francophone, anglophone, lusophone et arabophone. Le public est constitué de statuts divers : des préfets, des magistrats, des policiers, des gendarmes, des militaires, des personnels de l'administration financière et pénitentiaire. Les experts sont essentiellement pour l'heure des Français et Ivoriens. Du côté de la Côte d'Ivoire, ils proviennent des forces spéciales, de la police nationale, des sapeurs-pompiers et du ministère de la justice. En France, ils proviennent du parquet national antiterroriste, de la sous-direction antiterroriste, de la direction générale des services intérieurs, du commandement des opérations spéciales, de la direction du renseignement militaire, du GIGN, du Raid, de l'école nationale de magistrature (ENM). Depuis six mois, nous avons observé la présence d'un contributeur extérieur allemand, issu de la structure GSG9.
En 2023, trente-trois stages ont été organisés, représentant quarante-cinq semaines de formation, pour 607 stagiaires dont 283 nationaux et 324 internationaux, tous issus de vingt-six pays d'Afrique. Au total, 599 stagiaires ont suivi le deuxième pilier deux et 408 le premier pilier. Le taux de participation des femmes est en légère hausse, soit 9 % des stagiaires et 32 % des experts pour le premier pilier.
Les activités de l'Académie se sont traduites par des partenariats, notamment avec l'office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, l'Organe international pour le contrôle des stupéfiants et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Les interventions d'entités internationales ont permis au premier pilier de bénéficier de formations sur le droit international humanitaire. Le partenariat avec l'ONUDC a permis à l'Académie d'abriter sur son site une formation régionale au traitement des engins explosifs improvisés. Des séminaires ont été organisés au profit des parlementaires ivoiriens de la commission sécurité et défense.
Je souhaite enfin vous faire part des perspectives 2024, après avoir réalisé au quatrième trimestre 2023 un ponton lagunaire permettant le désenclavement de l'Académie. À sa proximité, nous avons pour projet de réaliser la zone contre-terrorisme maritime. Du premier trimestre 2024 au premier trimestre 2025, nous allons construire quatre bâtiments avec les fonds mis à disposition par l'UE. Au troisième trimestre 2024, nous allons réaliser trois infrastructures : le polygone explosif, le champ de tir 1 000 mètres conçu par les Américains et le parcours de tir adapté, qui sera construit par les Émiratis. Du premier au quatrième trimestre 2025, nous allons réaliser la zone de contre-terrorisme combat en terrain libre, la zone urbaine, la zone 3D et la piste d'audace.
En 2024, nous avons pour objectif de favoriser la dimension africaine de l'Académie, à travers sa labellisation comme centre d'excellence par l'Union africaine. Nous allons aider également au développement de la pédagogie en nous appuyant sur des partenariats de haut niveau, notamment avec l'ONUDC, l'académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, l'Institut international pour la justice et l'État de droit. Nous allons enfin sécuriser le site de l'Académie, par l'édification d'une clôture.
Nous mettons en place une lutte antiterroriste déterminée, respectueuse des droits de l'homme et des conventions internationales. Nous avons aussi pour ambition de recentrer et de revoir le recensement de nos efforts de formations, afin qu'elles portent encore plus sur l'état de la menace. En effet, comme vous le savez, cette menace est en train de descendre depuis les pays sahéliens vers les pays côtiers. Tout en maintenant la coopération avec les vingt-six pays, il s'agira donc d'organiser des stages à la carte au profit des pays côtiers de l'initiative d'Accra, c'est-à-dire le Ghana, la Côte d'Ivoire, le Bénin et le Togo. Il sera également question de valoriser la participation des femmes aux formations de l'Académie. En outre, les bailleurs souhaitent être plus associés aux processus de sélection des stagiaires. Nous sommes donc en discussion, avec la DCSD pour en évaluer la faisabilité.
En conclusion, l'Académie est un modèle de coopération régionale unique et prometteur. En effet, dans un environnement où l'intervention des puissances occidentales est souvent mal perçue, en particulier par la jeunesse du continent africain, nous pensons que la meilleure réponse internationale à la lutte contre le terrorisme pourrait être la montée en puissance des outils africains. À ce titre, l'Académie est un outil précieux de renforcement capacitaire des pays africains.
Au nom du groupe Renaissance, je vous adresse mes remerciements appuyés pour vos interventions très éclairantes sur la coopération de sécurité et de défense avec les pays africains, et en particulier la Côte d'Ivoire. Afin d'adapter l'offre de formation et d'expertise aux menaces sécuritaires actuelles et futures auxquelles font face les pays africains, la France a mis en œuvre des nouvelles modalités de coopération en matière de défense et de sécurité prenant en compte de nouveaux paramètres tels que l'émergence de nouvelles menaces, la cybercriminalité et la protection civile.
Dans la perspective de renforcement des capacités des forces de sécurité intérieure et des armées, la France a établi un partenariat avec ces pays, en mettant en place de nouvelles écoles nationales à vocation régionale. L'Académie internationale de lutte contre le terrorisme en Côte d'Ivoire a été lancée en 2017, conjointement par les deux présidents Alassane Ouattara et Emmanuel Macron. Rejointe ensuite par l'Union africaine et la Communauté économique des États d'Afrique de l'ouest (Cedeao), elle ambitionne de devenir une structure de référence internationale dans la lutte contre le terrorisme.
Face aux enjeux sécuritaires majeurs générés par la menace terroriste en Afrique de l'Ouest, la France a également réaffirmé, en mai 2023, son engagement en Côte d'Ivoire dans la lutte antidjihadiste. À cet effet, comment l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme a-t-elle facilité la coopération régionale entre les pays africains dans le domaine de la sécurité et de la défense ? Quels sont les principaux défis auxquels l'Académie est confrontée dans le contexte actuel du terrorisme mondial ? De quelle manière cette initiative contribue-t-elle à renforcer la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme ?
Mon groupe politique a eu l'occasion, au sein de cette commission, de pointer les incohérences, les manquements et les errements nombreux de la politique française en Afrique depuis qu'Emmanuel Macron la dirige – à supposer que le verbe diriger convienne quand la diplomatie française est à ce point brouillonne et malmenée par celui qui devrait l'incarner et que nos forces armées se retirent contraintes et forcées de trois pays, qui constituaient feu le G5 Sahel.
Nous ne cesserons de dénoncer la politique néfaste et même l'absence de politique du Président de la République sur un continent pourtant stratégique Pour autant, nous n'oublions pas le cap qui guide les interventions militaires en Afrique, celui de la lutte contre le terrorisme. À ce titre, nous saluons la mémoire des nombreux militaires des États africains, comme des militaires français, qui ont perdu la vie dans ce combat. Mon général, nous saluons également le rôle précieux de nos alliés dans ce domaine. La Côte d'Ivoire est plus qu'un partenaire, c'est un pays ami et notre coopération avec elle est ancienne dans de multiples champs, dont la défense et la sécurité.
Nous savons que la formation des futurs officiers est centrale pour les armées. Vous pouvez, Messieurs, en témoigner, du fait de vos parcours à Saint-Cyr ou au sein de l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Ma question portera sur l'attractivité des écoles des armées françaises auprès des jeunes d'Afrique et singulièrement de Côte d'Ivoire. Pouvez-vous nous dire combien de ces jeunes suivent une partie de leur formation au sein d'un cursus militaire français ? Pouvez-vous également nous donner quelques éléments quant à l'attractivité, pour ne pas dire la concurrence, des cursus d'autres pays ? Nous savons en effet que la Chine, la Russie et la Turquie nourrissent des ambitions en la matière.
Ensuite, après la réduction des forces armées françaises et des moyens au sol, il est devenu plus complexe de mener la lutte antiterroriste. Le président Macron a d'ailleurs annoncé une réduction de nos effectifs stationnés en Côte d'Ivoire, qui s'ajoutera au retrait que j'évoquais précédemment. Dans ce contexte, l'intervention par les airs s'avère souvent indispensable pour frapper une cible terroriste.
Nous savons cependant que, comme toutes les solutions, l'intervention aérienne n'est pas optimale et qu'elle peut provoquer des dommages collatéraux attisant le ressentiment des populations locales. Le général français Vincent Desportes est par exemple très sceptique quant à la guerre depuis l'air qui, par les dommages qu'elle inflige, peut produire plus de terroristes qu'elle n'en détruit. Je me contente ici de citer son avis et je serais très intéressé d'avoir le vôtre. Comment continuer à mener la lutte contre le terrorisme avec moins d'effectifs français, du moins au sol ? Je suis par ailleurs intéressé par le retour d'expérience du général Kouamé sur la manière dont la Côte d'Ivoire conçoit et mène la lutte contre le terrorisme en s'adaptant à la nouvelle donne.
La France dispose depuis les années 1960 d'accords de coopération avec des pays qui constituent d'anciennes colonies françaises en Afrique. Nous savons qu'à une époque, le président Mitterrand avait émis quelques doutes sur l'utilité de ces accords, tels qu'ils avaient été conclus à l'origine. Certes, les accords évoluent, mais nous avons le sentiment que la question de leur utilité se pose toujours, notamment concernant les volets défense des accords de coopération.
Il est souvent reproché à la France de venir au secours de régimes autoritaires en difficulté aux termes de ces accords, mais aussi parfois de faire vivre ces accords en fonction de la protection des intérêts spécifiques de la France, qui fait naître aussi des reproches d'ingérence.
La France peut par ailleurs se comporter différemment selon les pays, comme en témoignent ses positions vis-à-vis de deux coups d'État intervenus l'été dernier, l'un au Niger, l'autre au Gabon. De tels agissements contribuent à brouiller l'image de la France. Les accords tels qu'ils ont été définis à l'origine sont-ils en cause ? Le problème porte-t-il sur la façon dont nous les appliquons ? N'aurions-nous pas intérêt aujourd'hui à refonder de nouvelles coopérations, notamment dans le cadre des accords de défense ?
Le général Kouamé a également signalé tout à l'heure la grande interrogation que peut avoir la jeunesse dans différents pays du continent, au sujet du sentiment d'ingérence et d'injustice vis-à-vis de la France lors de différents événements, différentes crises. En outre, des acteurs très agressifs interviennent sur le continent africain, notamment la Russie et la Turquie. Ils ne se privent pas d'utiliser abondamment les armes de l'influence et de la désinformation, dont la France est finalement l'une des toutes premières cibles. En conclusion, n'avons-nous pas intérêt à revoir ce cadre de manière un peu plus globale, pour refonder des partenariats plus égalitaires, plus fraternels et barrer le passage à des pays comme la Russie et la Turquie ?
L'axe des formations initiales en particulier est dimensionnant pour les trente années à venir. La perte d'influence ou les difficultés rencontrées avec certains membres des gouvernements au Niger, au Burkina Faso ou au Mali, est en partie liée au fait qu'ils n'ont pas été formés dans la sphère francophone, mais en Russie ou en Chine. Il existe donc un réel décalage avec la situation antérieure où les dirigeants politiques et militaires étaient passés par nos écoles.
Nous avons donc la volonté d'ouvrir de plus en plus de places dans les écoles de formation, de renforcer l'initiative avec les lycées militaires et la jeunesse, de façon à relancer ces expériences mutuelles réciproques. En matière de volume de militaires formés, nous ne pouvons pas lutter face aux concurrents que sont la Chine, la Russie, la Turquie ou le Maroc. Cependant, la qualité et la densité de la formation importent également. Nous sommes conscients des efforts à accomplir, mais nous devons également obtenir des moyens et trouver des places disponibles, par exemple à l'École de guerre ou à l'école des commissaires de Police.
La formation réciproque, qui consiste à former des Français dans les centres africains est également importante en ce qu'elle témoigne d'une marque de confiance réciproque. Cet axe avait été un peu laissé de côté, mais il se développe fortement actuellement.
Si j'ai bien compris, vous indiquez que le retrait de nos forces au Mali et au Niger peut-être expliqué par le fait que ces officiers sont moins passés par les écoles françaises.
Je souligne que nous ne connaissions pas bien les officiers qui ont pris le pouvoir dans les pays mentionnés. Par exemple, le général Barmou, le chef d'état-major nigérien, a été éduqué aux États-Unis. Au Mali, les officiers supérieurs ont en très grande partie été formés à Moscou. Dès lors, leurs modèles de réflexion sont différents des nôtres. Cela n'explique pas tout, mais c'est une réalité.
S'agissant des formations dans le domaine aéronautique, cela constitue effectivement un véritable défi aujourd'hui, et il nous faut passer un cap dans les coopérations que nous menons dans ce domaine. Cela nécessite du temps, des spécialistes. Des expériences plutôt réussies ont été menées, notamment à travers une école de formation à Thiès au Sénégal, qui s'appuie sur Air Sénégal et forme des pilotes. Nous menons une dizaine de projets avec des coopérants spécialistes de l'armée de l'air, dans deux dimensions : le renseignement aérien et la gestion d'une flotte aérienne. Pour y parvenir, nous nous appuyons également sur des sociétés françaises, dans le cadre du soutien à l'exportation, pour la formation sur matériel, en mettant en place un matériel, puis en développant un contrat et une mise en formation sur une série.
S'agissant de l'AILCT, un premier défi consiste aujourd'hui à faire croître le projet, en s'assurant de sa pérennité financière à travers le maintien d'un soutien des bailleurs internationaux. C'est aussi le défi qui est posé pour l'école du G5 Sahel à Nouakchott, qui a été développée dans le cadre de l'Alliance Sahel. Ce centre bénéficie d'outils modernes de simulation, et est un centre d'excellence mais il doit pouvoir être financé dans la durée.
Un deuxième défi porte sur le renforcement des capacités de formation par des experts internationaux, en bénéficiant par exemple de l'expérience acquise dans le cadre de l'opération Takuba au Sahel. Les Américains sont aussi très présents et effectuent chaque année au sein de l'Académie l'exercice Flintlock, un exercice majeur de forces spéciales.
Je souhaite également revenir sur la difficulté de développer la participation de bailleurs étrangers dans ces écoles et centres de formation. Pour répondre aux transformations de la présence française en Afrique, un des enjeux consiste à ouvrir ces centres et à travailler avec nos partenaires européens de façon plus concrète, d'une part pour limiter la visibilité militaire française ; mais surtout parce que cela nous ouvre d'autres dimensions, d'autres perspectives. Par exemple, le Danemark vient d'annoncer une participation substantielle dans l'école de déminage au Bénin, dans laquelle nous formons l'essentiel des démineurs africains. Il nous faut démultiplier ce genre d'initiatives dans d'autres centres.
Vous nous avez demandé comment l'initiative de l'Académie peut contribuer à renforcer la sécurité internationale. L'Académie est un centre de référence pour appuyer les pays africains dans la construction de stratégies et de capacités interministérielle dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.
Nous savons aujourd'hui que dans le contexte régional de plus en plus dégradé, nous devons être au rendez-vous des défis de l'histoire, notamment les défis sécuritaires. Face à cela, nous nous efforçons de faire évoluer notre pédagogie et à mettre en place des formations innovantes de façon continuelle, pour permettre à nos stagiaires de s'adapter, afin d'apporter la réponse opérationnelle la plus efficace dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.
Ensuite, comment l'Académie facilite-t-elle la coopération régionale ? Le dernier conseil d'administration a regroupé seize pays et organisations internationales et plusieurs pays frappent à notre porte, ce qui témoigne de l'engouement que suscite cette Académie.
La Côte d'Ivoire, avec l'appui extérieur, a réussi à concevoir une stratégie fondée sur l'approche globale : la lutte contre le terrorisme n'est pas seulement militaire, elle doit être également économique, et politique, les différents éléments étant articulés autour d'une bonne gouvernance. Des moyens importants ont également été consacrés. Une zone opérationnelle Nord a été ainsi créée, des forces de défense et de sécurité y ont été déployées. D'autres structures ont été créées par le président de la République, notamment le centre de renseignement opérationnel antiterroriste. Cette structure témoigne d'une stratégie bien pensée et mise en œuvre sur le terrain. Elle permet à la Côte d'Ivoire de bénéficier d'une certaine stabilité.
Le 28 janvier dernier, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont annoncé leur retrait de l'Alliance des États du Sahel (AES) et de la Cedeao. Cette dernière avait été conçue à l'origine comme un pacte de défense et de protection permettant la mutualisation de moyens militaires, entre autres pour combattre les groupes djihadistes.
L'influence déclinante de la France au fil du temps et la perte de pouvoir de la Cedeao sur ses membres ont conduit à l'émergence d'acteurs nouveaux, comme la Russie, dont proviennent 40 % des armes aujourd'hui importées en Afrique. Il semble également que la Russie vient d'envoyer 200 miliciens de Wagner pour fournir une protection et un parapluie sécuritaire aux gouvernements arrivés au pouvoir bien souvent par des coups d'État.
Incontestablement, la France n'a pas anticipé ni n'a pris la mesure de l'évolution de cette réalité géopolitique en Afrique. Quel est aujourd'hui l'impact de cette nouvelle redistribution, de cette nouvelle réalité sur la lutte contre le terrorisme au Sahel ? Comment la France peut-elle, dans le futur, continuer à peser dans cette lutte cruciale et continuer à protéger ses concitoyens ?
Au nom de mon groupe, je vous remercie pour la qualité de vos interventions. Avec le passage au nouveau millénaire, le continent africain a connu des mutations importantes. La croissance économique a apporté des transformations sociales d'ampleur inédite. Et pourtant, l'Afrique reste le continent d'un certain nombre de vulnérabilités ; elle est marquée par des instabilités politiques ou des situations économiques très contrastées d'un pays à l'autre. Le développement durable de l'Afrique ne concerne pas que la France. Il s'adresse aussi à l'Europe, tant sur le plan de nos échanges présents et futurs que sur celui de la sécurité, alors que nous voyons bien à quel point les forces obscures à l'œuvre aujourd'hui portent en elles les risques d'une grande déstabilisation.
L'ADN européen du groupe Démocrate nous pousse naturellement à favoriser l'action de l'Europe pour renforcer nos relations avec l'Afrique et renforcer tous les leviers d'opportunité au service de partenariats équilibrés entre Africains, Français et Européens. Si nous ne nous engageons pas dans cette voie, d'autres le feront à notre place. D'ailleurs, cette compétition est déjà bien réelle. Il s'agit aussi de savoir comment renouer de solides liens quand cela est nécessaire. Notre groupe rappelle que les enjeux de défense ne peuvent pas être évoqués sans introduire la question d'un développement économique, social et environnemental, au bénéfice direct des populations.
Général Colcombet, vous avez largement rappelé que la France dispose, dans une douzaine de pays africains, d'écoles nationales à vocation régionale (ENVR). Les formations dispensées apparaissent comme des éléments clés de la politique de coopération française. Nous connaissons un tournant dans notre relation de confiance avec l'Afrique. Pensez-vous que ces écoles répondent encore et toujours aux enjeux qui avaient suscité leur création ou bien estimez-vous désormais nécessaire de les faire évoluer dans le but de symboliser un changement d'approche de la part de la France et, si tel est le cas, sous quel format ?
Je vous remercie pour la complétude de votre intervention liminaire. Notre cycle d'auditions sur l'Afrique nous a d'ores et déjà permis d'aborder un grand nombre de points et de faire évoluer notre réflexion. Ce cycle a en outre été complété par une mission qui nous a permis de rencontrer à la fois des autorités locales, mais aussi les organisations régionales que sont la Cedeao et l'Union africaine. À ce titre, je crois qu'il serait intéressant de poursuivre la réflexion initiée sur le partenariat, question à laquelle vous avez commencé à répondre. Le cadre de cette Académie est d'abord celui d'un partenariat bilatéral.
Or vous avez évoqué la nécessité, parfois, de relocaliser des écoles en raison des difficultés liées aux partenariats bilatéraux. Aujourd'hui, serait-il possible de passer directement à un cadre communautaire pour travailler avec les organisations régionales et l'Union africaine ? Il est évident que la lutte contre le terrorisme et les groupes djihadistes intervient sur une zone large, transfrontalière, et qu'à ce titre, la réponse doit intervenir à l'échelle de sous-régions ou à l'échelle continentale. En conséquence, les partenariats et les politiques directement menés avec une organisation régionale ou continentale pourraient permettre d'éviter l'écueil des relations toujours empreintes d'une histoire compliquée entre la France et le continent africain, laquelle vient parfois s'inviter dans les partenariats stratégiques.
Je sors brièvement de mon cadre de directeur de la coopération pour répondre à la question sur la Russie. Il convient de regarder le temps long : les activités de Wagner et de la Russie reposent sur une exploitation très concrète des pays, notamment de leurs ressources minières. Elles ne pourront pas durer éternellement et je pense que le fruit tombera tout seul. Il convient en outre de relever que la perte d'influence ne concerne pas uniquement la France : l'ONU a été remerciée, l'UE ferme ses missions. La France était certes très impliquée et très visible, elle a servi d'exutoire. Mais je pense que le mouvement est bien plus profond.
Ensuite, je n'ai pas suffisamment insisté sur un point : au sein de ces écoles, nous intervenons vraiment en réponse à un besoin, une demande de nos partenaires, dans une relation étroite entre nos pays. L'ouverture internationale n'est pas nécessairement acquise par avance. En effet, le partenaire s'engage dans une relation de confiance avec nous et parfois, il n'est pas forcément évident qu'il accepte la présence d'autres bailleurs ou l'intervention d'une organisation internationale que nous lui proposons.
Je suis persuadé que ces écoles et ces centres constituent une base pour l'avenir en matière de formation de capacité. Idéalement, je souhaite qu'elles puissent être autonomes et financées. Mais nous avons clairement franchi un cap.
Un des axes majeurs de la lutte antiterroriste concerne aujourd'hui la périphérie sahélienne, ce qui implique de renforcer le soutien et les capacités des pays côtiers. L'UE y prend sa part, notamment à travers différents projets assez structurants pour renforcer les capacités de ces pays dans leurs zones nord. De son côté, la DCSD mène une réflexion sur la sécurité intérieure, en lien avec le ministère de l'intérieur. Ainsi, un réseau de conseillers sécurité-immigration est déployé dans les aéroports en lien avec nos partenaires, en particulier pour renforcer la capacité de détection des faux passeports et, plus largement, des faux documents.
Pouvez-vous évoquer brièvement la mobilisation interministérielle en France ? Comment jugez-vous le niveau de cette mobilisation, notamment côté ministère de l'intérieur ?
Le rôle interministériel de la DCSD et les relations avec le ministère de l'intérieur sont anciens. Les relations les plus récentes concernent celles qui nous lient au ministère de la Justice, notamment au travers de l'ENM. Les relations se développent également avec la direction des Douanes, avec des douaniers qui interviennent comme experts dans des formations permettant de renforcer des capacités spécialisées. En résumé, l'axe interministériel est très important ; il est au cœur du positionnement de « l'opérateur » DCSD.
La question du retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de l'Alliance des États du Sahel (AES) ne fait pas partie du cadre de mon intervention. En revanche, il est certain que ce retrait engendrera des conséquences politiques, économiques et sécuritaires pour l'ensemble de la sous-région ouest-africaine à court, moyen et long terme.
S'agissant du nord de la Côte d'Ivoire, le président de la République a pris un décret pour créer la zone opérationnelle Nord. Les forces de défense et de sécurité y ont été déployées et ont bénéficié d'un renforcement de capacités. Quand cela est possible, l'Académie prend des décisions pour les aider à travers nos deux piliers, afin qu'ils puissent assurer efficacement la défense de cette partie septentrionale du territoire de la Côte d'Ivoire.
Comment vivez-vous l'articulation de la coopération entre la relation bilatérale avec la France et l'Union européenne ? Chacun dispose-t-il d'un rôle bien établi ? Faudrait-il faire évoluer les périmètres des uns et des autres ?
Je rappelle que la création de l'Académie a fait l'objet d'une coopération bilatérale exceptionnelle entre la Côte d'Ivoire et la France. Nous avons par la suite ouvert la gouvernance à l'international, mais cette relation bilatérale constitue le ciment de la gouvernance. Au sein de notre accord intergouvernemental, nous avons fait en sorte que la France et la Côte d'Ivoire disposent non seulement d'une voix délibérative, mais également d'un droit de veto. Les membres actifs ont une voix délibérative et les membres associés une voix consultative.
Je comprends de vos propos que la relation bilatérale permet de poser des concepts et qu'ensuite, les partenaires permettent de donner plus d'ampleur au dispositif.
C'est exactement cela, en lien avec nos opérateurs français et l'Union européenne.
Ma question porte sur les offensives que subit l'Afrique dans le champ informationnel et la manière dont les ENVR s'emparent de cet enjeu. Elles assurent une formation dans des domaines variés, tels que le maintien de la paix, la cybersécurité ou encore la lutte contre le terrorisme, comme c'est le cas à Abidjan. Or, nous savons bien que le continent africain est exposé à une guerre informationnelle menée par des pays tels que la Russie, la Chine ou encore la Turquie et véhiculée par la diffusion de propagandes anti-françaises ou des fake news, des récits visant à remettre en cause la coopération de sécurité entre notre pays et les partenaires africains.
Ces menaces s'intensifient. Elles peuvent donner lieu à des opérations de déstabilisation importantes, comme nous l'avons vu au Niger l'été dernier. Je souhaite donc savoir dans quelle mesure ces enjeux sont pris en compte dans l'offre de formations que nous proposons à nos partenaires.
Général Kouamé, quel est votre parcours ? Comment se retrouve-t-on à la tête d'une Académie telle que la vôtre ? Ensuite, sur quels critères les candidats sont-ils sélectionnés ?
Général Colcombet, dans le tableau des financements, je n'ai pas vu la ligne correspondant à la France. Qu'en est-il ? De quelle nature est le matériel utilisé à l'Académie ? Est-il français ? Est-il européen ? La base industrielle et technologique de défense (BITD) française est-elle concernée ?
Lors du sixième sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine, les 17 et 18 février 2022, les dirigeants européens et africains se sont engagés sur de nouvelles coopérations. Ces discussions ont également comporté un volet sur le terrorisme. Quelle est votre appréciation de cet appui de l'Union européenne ?
À ce jour, nos formations ne portent pas sur le volet informationnel. Cependant, des réflexions sont menées afin de développer ce genre de capacité et nous déployons par ailleurs des outils de formation à la cybersécurité pour les cadres et les officiers communicants. Ces éléments concernent davantage la coopération opérationnelle, directement portée par le ministère des armées, pour le moment. Au sein de l'Académie, des stages pourront être développés sur ce thème, mais il s'agit d'un sujet assez complexe.
Pouvez-vous nous éclairer sur la différence entre la coopération opérationnelle et la coopération structurelle ? Quels militaires travaillent au sein des ambassades, dans les missions de défense ?
De manière schématique, il existe une différence de forme et une différence de nature. Dans la forme, le mode d'action est vraiment différent. La coopération structurelle est conduite par un expert, un coopérant inséré au contact du partenaire, à la demande du partenaire, dans son état-major, dans sa structure et qui travaille au quotidien avec lui, dans la durée. La coopération opérationnelle est quant à elle plus portée sous la forme de détachements ponctuels en provenance de la métropole ou des trois bases françaises sur le continent africain, de façon beaucoup plus ponctuelle, pour un exercice, une opération, un entraînement.
Au sein de l'ambassade, l'attaché de défense, qui est à la tête de la mission de défense (ou l'attaché de sécurité intérieure pour le ministère de l'Intérieur) est le responsable de l'ensemble de ce domaine de coopération. Il est chargé à ce titre de la coordination entre la coopération opérationnelle et la coopération structurelle. Le coopérant de la DCSD fait partie du Quai d'Orsay et au sein de la mission de défense est souvent celui qui accueille les missions de coopération opérationnelle, qui viennent renforcer son action permanente. S'agissant de la différence de nature entre ces deux coopérations, elles interviennent dans des domaines souvent différents. La partie opérationnelle concerne beaucoup plus le tir, l'entraînement, des activités opérationnelles comme par exemple la formation de parachutistes. De son côté, la partie DCSD investit des champs plus techniques, dans la formation initiale mais aussi comme la francophonie, le cyber, la protection civile, la sécurité aéroportuaire, la sécurité intérieure.
Ensuite, s'agissant des matériels, nous jouons un rôle en matière d'activités de soutien aux exportations (Soutex). Le réseau d'attachés de défense est mis à disposition de nos entreprises, d'abord pour faire remonter des besoins du partenaire, mais aussi pour la mise à disposition d'un matériel d'entraînement, qui permet ensuite à notre partenaire de pouvoir commander. À titre d'exemple, je souhaite évoquer le cas du Cameroun où des entreprises ont décroché des marchés importants d'équipements de secours pour la protection civile camerounaise grâce à l'action combinée des formations, du coopérant et du matériel mis en place. Il en va de même dans d'autres domaines, comme les drones. Évidemment les actions de formation s'effectuent sur du matériel français, voire européen, quand l'Europe est le financeur.
Précisément, si des partenaires européens rentrent dans ces programmes, cela ne signifie-t-il pas qu'à moyen terme, les camions seront allemands et les crayons belges ?
J'ai eu la chance d'aller au Gabon, dans le centre de santé, lors de la précédente législature. Il s'agit d'un outil formidable pour la francophonie, la culture française et le matériel français. Or vous nous avez indiqué que la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM) allait rejoindre ces formations. Il ne faudrait pas que l'ouverture, pour des raisons notamment financières, ne vienne affecter la qualité de nos actions en direction de nos partenaires.
S'agissant de l'EUTM, l'UE a tiré les leçons d'un système compliqué et souhaite évoluer. L'initiative de sécurité et de défense de l'Union européenne (EU SDI) vise ainsi à mettre en place, dans les missions de délégation de l'Union européenne, des conseillers militaires, des conseillers sécurité intérieure et des coopérants, selon un modèle proche de celui de la DCSD. Mais cette coordination constitue effectivement un véritable défi. Par ailleurs, de nombreux partenaires veulent conserver une relation de type bilatéral avec la France, tout en établissant des relations bilatérales avec d'autres, sans mélanger les deux.
S'agissant de l'Académie, dix-huit millions d'euros ont été investis par la France, globalement entre 2017 et 2020. Cette somme a permis de construire les premières fondations et de lancer le chantier. Le budget global s'établit maintenant à soixante millions d'euros, grâce à de nombreux apports extérieurs. Désormais, le ticket annuel de la France est de 500 000 euros pour appartenir au conseil d'administration, ainsi que le paiement du salaire des six à sept experts sur le site. Par la suite, il est prévu que la présence d'experts français diminue, pour laisser plus de place à des experts d'autres pays.
Vous m'avez interrogé sur mon cursus. Ma formation primaire, secondaire et universitaire s'est déroulée en Côte d'Ivoire. Ma formation initiale d'officier s'est effectuée à l'école de forces armées de Bouaké, puis poursuivie à l'école d'application de l'infanterie à Montpellier. J'ai suivi par la suite d'autres formations, jusqu'à l'École de guerre, dans des institutions françaises, marocaines et camerounaises. Sur le plan opérationnel, j'ai occupé de nombreuses responsabilités, dont la précédente était celle de chef de la division opération de l'état-major général des armées Côte d'Ivoire.
Vous m'avez également interrogé sur la sélection des candidats. L'offre de formation est d'abord validée par la DCSD et l'Académie, avant d'être adressée aux pays partenaires, qui sélectionnent leurs candidats et nous font parvenir leur liste de candidats. Le public que nous recevons à l'Académie dispose de divers statuts : il s'agit non seulement d'officiers, de sous-officiers et de militaires du rang qui suivent pour la plus grande partie d'entre eux le deuxième pilier, le pilier armée ; mais aussi le premier pilier, l'interministériel. Nous accueillons également des « civils » tels que des préfets, des magistrats, des personnels de l'administration financière pénitentiaire, des policiers, ainsi que des gendarmes.
Je vous remercie pour cette présentation de vos actions et vos interventions. L'AILCT constitue un exemple très abouti d'un projet impulsé au niveau bilatéral, capable de fédérer l'ensemble des partenaires et qui évolue de manière dynamique.
La séance est levée à dix heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Batut, M. Hubert Brigand, M. Yannick Chenevard, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Laurent Jacobelli, M. Loïc Kervran, Mme Gisèle Lelouis, Mme Patricia Lemoine, Mme Michèle Martinez, M. Frédéric Mathieu, Mme Lysiane Métayer, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, M. Fabien Roussel, Mme Nathalie Serre, M. Michaël Taverne, Mme Corinne Vignon
Excusés. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Caroline Colombier, Mme Martine Etienne, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Anne Genetet, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Sylvain Maillard, Mme Jacqueline Maquet, M. Olivier Marleix, Mme Pascale Martin, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Valérie Rabault, M. Lionel Royer-Perreaut, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Jean-Louis Thiériot
Assistait également à la réunion. - Mme Valérie Bazin-Malgras