La réunion commence à quinze heures cinq.
La commission poursuit l'examen de la proposition de loi visant à lutter contre les pénuries de médicaments (n° 2062) (Mme Valérie Rabault, rapporteure).
Après l'article 1er
Amendement AS42 de M. Sébastien Peytavie
Le présent amendement du groupe Écologiste propose d'exiger des titulaires d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour un médicament d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) qu'ils publient chaque année la liste de ceux qu'ils exploitent.
Depuis plusieurs années, les pénuries de médicaments s'accélèrent et placent notre pays en situation de tension sanitaire permanente. Il peut s'agir aussi bien de l'amoxicilline que des pilules abortives ou des traitements de pathologies cardiovasculaires. Les industriels pharmaceutiques sont les premiers responsables de ces pénuries.
En 2020, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) répertoriait 3 200 signalements de risque de rupture ou de rupture d'approvisionnement pour des MITM. Afin de sécuriser l'approvisionnent de ces médicaments essentiels et d'anticiper au mieux les risques de pénurie, nous proposons de favoriser la transparence de leur distribution.
Je comprends votre objectif et votre souci de transparence, mais je pense que votre système est compliqué à manier pour les patients. Alors qu'il existe 6 000 MITM, vous proposez que chaque laboratoire publie sur son site la liste de ceux qu'il produit. Pour s'informer sur les risques de rupture, les patients devront donc faire le tour des sites des laboratoires. L'ANSM publie déjà la liste des quelque 400 références de médicaments pour lesquels elle impose une durée de stockage de quatre mois minimum. C'est une liste certes réduite, mais plus facile à consulter puisque tout est centralisé.
Demande de retrait.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS19 de M. Philippe Juvin
Il s'agit de créer une catégorie de molécules indispensables aux patients français plus restreinte que la liste des MITM. La constitution de stocks, à laquelle nous sommes tous favorables, est plus facile à réaliser quand le nombre de produits concernés est raisonnable. Il y a quelque 6 000 MITM, parmi lesquels l'ANSM cible déjà 400. L'amendement propose de retenir un à deux médicaments par classe thérapeutique majeure, l'un à administrer per os et l'autre par voie parentérale. Les autorités pourront alors se payer le luxe d'avoir des stocks très importants sur ces médicaments.
Comme je l'ai indiqué ce matin, j'y suis favorable. Le Gouvernement a retenu une liste de 450 médicaments dits essentiels, tandis que la Commission européenne travaille sur une liste de 300. Il serait bon de se mettre d'accord sur une liste unique, sur laquelle faire porter nos objectifs de production et de stockage. Le Gouvernement devrait pouvoir parvenir à une harmonisation.
Pour que nous puissions enfin disposer de cette liste restreinte, il faut consulter toutes les sociétés savantes. Or cela ne semble pas avoir été le cas. La Société française de pharmacologie et de thérapeutique, en particulier, s'est étonnée de pas avoir été consultée pour l'élaboration de la liste des 450 médicaments. Or certains médicaments retenus sont contestés alors que d'autres sont absents, comme certaines pilules contraceptives pourtant nécessaires dans certains cas. Tout le monde soit se mettre autour de la table une bonne fois pour toutes, pour que l'on ait enfin une liste des médicaments essentiels pour lesquels il faut des réserves.
Je partage cette vision des choses : il nous faut une liste bien faite, pas plusieurs qui se juxtaposent.
Pour ma part, je pense que la liste doit être élaborée à l'échelon européen car nous ne serons pas efficaces dans la lutte contre les pénuries si nous la menons à l'échelle française. En agissant au niveau de l'Europe, l'efficacité sera exponentielle puisque les points de stockage seront plus nombreux et les stocks cumulés plus importants. Nous devons continuer à travailler à partir du plan européen annoncé en avril dernier et de la liste qui va avec. N'oublions pas que les laboratoires pharmaceutiques peuvent aller dans n'importe quel pays. Le principe de réalité doit s'appliquer.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS29 de Mme Caroline Fiat et sous-amendement AS62 de Mme Valérie Rabault
Cet amendement vise à encadrer les pouvoirs de dérogation du directeur de l'ANSM en matière de détermination des seuils de stocks de sécurité, en y mettant des conditions précises.
L'article 1er ayant été réécrit ce matin, je vais retirer mon sous-amendement et j'émets un avis favorable sur l'amendement.
Le sous-amendement est retiré.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS11 de Mme Angélique Ranc
Pour chaque MITM, les entreprises pharmaceutiques ont l'obligation d'élaborer et mettre en œuvre un plan de gestion des pénuries (PGP). Tout manquement est susceptible de faire l'objet d'une sanction financière de la part de l'ANSM. Or, d'après les dires de sa directrice générale, l'agence n'a pas la capacité de vérifier l'ensemble des PGP. Selon le rapport d'information de la commission d'enquête du Sénat sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, adopté le 4 juillet 2023, les manquements liés à l'établissement et l'exhaustivité des PGP n'ont même fait l'objet d'aucune sanction. Nous proposons de rendre les PGP accessibles à tous les Français sur le site internet de l'ANSM. Cette transparence permettra de renforcer l'information relative aux pénuries de médicaments et de concourir à leur résorption.
Les PGP contiennent des informations détaillées sur le processus industriel, qui sont couvertes par le secret des affaires. Cela n'a pas empêché nos collègues du Sénat d'y avoir accès, en raison des pouvoirs qui leur sont conférés par la Constitution et les règlements de nos assemblées, afin d'émettre un avis. Les sénateurs constatent d'ailleurs la grande hétérogénéité de ces plans. Reste qu'il n'est pas possible de les publier.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendements AS2 de Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes) et AS14 de Mme Angélique Ranc (discussion commune)
La coexistence de plusieurs plateformes de suivi de la disponibilité des médicaments nuit à la compréhension et à la gestion des pénuries. Nous proposons par l'amendement AS2 d'harmoniser les systèmes d'information en regroupant tous les acteurs de la filière du médicament sur une seule plateforme incluant les grossistes-répartiteurs ainsi que les dépositaires et les pharmaciens, afin d'assurer ainsi la fluidité des échanges entre les différents intervenants.
Ces amendements relèvent plus du règlement que de la loi. Il existe actuellement trois plateformes – TRACStocks, Trustmed et DP-Ruptures – qui avancent en tuyaux d'orgue, sans aucune convergence, au point que l'ANSM doive employer dix équivalent temps plein (ETP) pour faire les recoupements et fusionner des centaines de milliers de lignes d'information. C'est tout à fait inefficace.
Faut-il organiser la collecte autour de DP-Ruptures, comme vous le proposez ? Je n'en sais rien. En tout état de cause, il faut que l'ANSM choisisse le système d'information qu'elle trouve le meilleur, qu'on lui donne une équipe d'informaticiens correspondant à ses besoins et que l'on en finisse avec ces trois systèmes pour n'en garder qu'un seul.
Étant d'accord avec un système unique, mais pas forcément pour choisir DP-Ruptures et encore moins pour le faire par la loi, je vais opter pour une demande de retrait. Nous pourrions peut-être tomber d'accord d'ici à la séance sur une rédaction qui prévoie un système unique.
Nous avons proposé DP-Ruptures parce que 93 % des officines et quelque 80 % des fabricants y sont déjà connectés. Mais effectivement, pourquoi ne pas tenter de rédiger ensemble une proposition en vue de la séance ? Je retire l'amendement.
Les amendements sont retirés.
Amendement AS51 de Mme Stéphanie Rist
Actuellement, en cas de rupture de stock d'un MITM, le pharmacien est autorisé à remplacer le médicament prescrit par un autre, conformément à la recommandation établie par l'ANSM, après consultation des professionnels de santé et des associations d'usagers du système de santé agréées. Le présent amendement vise à enrichir ce dispositif en élargissant la possibilité de remplacement du médicament prescrit à une situation de risque de pénurie d'un MITM, et non plus seulement au cas de pénurie avérée.
Nous en avons longuement débattu, notamment lors de l'audition des représentants du Conseil national de l'Ordre des médecins et de celui des pharmaciens. Les médecins préféreraient que l'information passe par le logiciel d'aide à la prescription auquel ils ont accès : on leur indiquerait d'emblée que la molécule A, qu'ils veulent prescrire, n'est pas disponible, mais qu'ils peuvent la remplacer par la molécule B. Ils tiennent à ce que la décision relève du médecin.
Les pharmaciens, eux, sont d'ores et déjà autorisés à remplacer une molécule par une autre à l'intérieur d'une même classe thérapeutique. Dans l'amendement de Mme la rapporteure générale, il est question de substitution hors de la classe thérapeutique.
Mais le changement de classe thérapeutique sera possible, ce qui peut entraîner des contre-indications que seul le médecin peut apprécier. Vous voulez étendre les possibilités qui existent en cas de pénurie aux cas où la pénurie n'est pas avérée mais en risque. Pour ma part, je pense qu'il vaut mieux intervenir en amont par le biais du logiciel d'aide à la prescription, afin que le médecin garde ses prérogatives en la matière. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable.
Quand on échange sur la substitution de médicaments avec les pharmaciens, ils évoquent toujours le risque de surdosage ou d'erreur de prescription. Il faut faire preuve d'une grande vigilance sur ce point, ce qui devrait nous inciter à travailler sur les stocks plutôt qu'à faire du bricolage avec les médicaments prescrits aux patients.
Cela m'ennuie d'entendre parler de bricolage ; personne ici n'a envie que les malades soient mal soignés. Ce que vous appelez du bricolage existe déjà : des changements de prescription effectués en cas de pénurie, en se référant à une liste définie par l'ANSM, après consultation des professionnels de santé. Cette ordonnance particulière est faite avec les médecins et en concertation avec les associations d'usagers afin que les patients ne soient pas perturbés par le changement de piqûres à comprimés ou inversement. J'entends vos réserves, mais nous voulons aussi éviter au patient d'avoir à retourner chez son médecin en cas de rupture d'approvisionnement.
Nous devons avoir une vraie discussion sur la possibilité de changement de classe thérapeutique. Faut-il étendre cette possibilité, qui n'est pas anodine, en situation de pré-crise, quand la pénurie n'est pas encore avérée ? Et qui sera responsable ?
Plutôt que d'agir en aval, il vaudrait mieux intervenir en amont pour éviter les pénuries – j'avais l'impression que c'était l'objectif de la rapporteure en nous présentant ce texte. Nous sommes en train de déborder du cadre initial de la discussion. Si nous prenions des mesures plus fortes pour éviter les pénuries, nous n'aurions pas à envisager ces changements d'ordonnance.
Si je comprends bien, le changement de classe thérapeutique ne peut pas être automatique en situation de pré-crise. Il faudrait donc que le médecin soit informé de la situation par son logiciel d'aide à la prescription pour qu'il puisse d'emblée faire la substitution. Sinon, le patient devra revoir son médecin pour obtenir un autre traitement. Est-ce bien cela ?
Actuellement, quand un médicament n'est pas disponible, le pharmacien peut lui substituer un autre de la même classe thérapeutique. Si aucune molécule n'est disponible dans la même classe thérapeutique, le pharmacien rappelle le médecin – d'après mon expérience, c'est ce qui se fait – car il n'est pas si simple d'éviter les erreurs et les problèmes de dosage dans ce cas de figure.
Partant de cette situation insatisfaisante, nous préconisons la création d'une sorte de tour de contrôle des stocks : une seule liste de médicaments, gérée par l'ANSM, permettant d'intégrer toutes les informations en provenance des laboratoires, des grossistes et des officines sur la disponibilité des produits. Ces informations, reprises dans un logiciel d'aide à la prescription du médecin, permettraient d'alerter ce dernier sur le fait que la molécule A, qu'il s'apprête à prescrire, ne sera pas disponible avant trois mois, et qu'il peut se reporter sur la molécule B. Cette interactivité fait actuellement défaut parce que l'ANSM gère les remontées de trois systèmes d'information, ce qui l'oblige à employer dix ETP pour faire la synthèse. Il faut que cela cesse et que l'ANSM ait les moyens d'avoir accès à un seul système robuste.
En situation de pré-crise, ce n'est peut-être pas la peine d'ajouter des difficultés aux médecins et aux pharmaciens. Essayons de trouver les moyens de corriger la situation en amont, pour ne pas leur imposer des changements de classe thérapeutique.
C'est extraordinaire. On franchit une nouvelle étape de la balkanisation de la profession de médecin. Crise ou pré-crise, supprimons les médecins ! Les pharmaciens n'auront qu'à prescrire, à consulter au milieu des officines, hors de tout secret professionnel !
Vouloir anticiper pendant la pré-crise, sans attendre la rupture effective, est tout à fait légitime. Mais la solution n'est pas de transférer aux pharmaciens les prérogatives des médecins. Je sais qu'il existe désormais des tests rapides d'orientation diagnostique, d'ailleurs très imparfaits, mais ne continuons pas à mettre la profession de médecin en lambeaux. Sinon, à l'instar des industriels dont il a été question précédemment, les médecins aussi pourraient décider de ne pas rester en France !
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS39 de M. Sébastien Peytavie
Les industriels justifient le prix élevé des médicaments par le coût de la recherche et développement (R&D) nécessaire pour développer un nouveau produit. En fait, l'opacité est une aubaine pour eux : au nom du secret industriel, il est impossible de savoir quelles sommes ont été investies dans la recherche, les essais cliniques, la mise sur le marché ou encore le marketing. Ils imposent ainsi des prix très élevés sans que la représentation nationale et la société civile puissent avoir une idée de leur mode de calcul. Comme le rappelle le rapport du Sénat « Pénurie de médicaments : trouver d'urgence le bon remède » de juillet 2023, l'explosion injustifiée des prix des thérapies innovantes a mené à une baisse des prix des produits matures, dans un contexte d'enveloppe dédiée aux médicaments contrainte.
Nous proposons d'obliger les laboratoires à transmettre au Comité économique des produits de santé (CEPS) un certain nombre d'informations clefs portant notamment sur les sources de financement, le montant des dépenses annuelles en R&D, les prix pratiqués ou encore le volume des ventes à l'étranger. Ce n'est qu'en disposant d'informations précises sur la généalogie et le financement des médicaments que nous pourrons non seulement fixer un prix juste pour chacun mais aussi sécuriser l'approvisionnement et lutter contre les pénuries.
Vous souhaitez rendre obligatoire ce qui est déjà possible : l'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 permet déjà au CEPS de tenir compte de la sécurité d'approvisionnement du marché français que garantit l'implantation des sites de production. Transformer cette possibilité en obligation serait assimilable à une aide d'État contraire au droit de l'Union européenne. Lorsque nous les avons reçus en audition, les responsables du CEPS nous ont confirmé qu'ils tenaient déjà compte de la sécurité d'approvisionnement lors des discussions sur les prix.
Demande de retrait.
Nous allons soutenir cet amendement car une plus grande transparence permettrait de mieux négocier les prix. Dans un rapport de 2017, la Cour des comptes expliquait que les laboratoires avaient modifié leur approche des prix : s'ils cherchaient auparavant le retour sur investissement de leur R&D, ils ont désormais tendance à fixer les prix en fonction de la capacité à payer des acheteurs publics. Alors qu'il est de plus en plus difficile d'évaluer le mode de calcul des prix, cet amendement améliorerait la transparence et l'information du public sur le coût des médicaments.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS15 de Mme Angélique Ranc
En 2022, il y a eu 3 761 ruptures et risques de rupture de stocks, contre 533 en 2017, ce qui représente une augmentation de 606 %. Il est donc urgent d'agir. À la faveur des auditions, nous avons aussi réalisé à quel point les informations dont nous disposions étaient lacunaires, sinon insuffisantes. Cet amendement entend y remédier en demandant au Gouvernement de remettre chaque année au Parlement un rapport indiquant le nombre de ruptures et risques de rupture de stocks de médicaments, donnant la liste détaillée des médicaments répondant à la définition des MITM ainsi que le nombre et le montant des manquements ayant fait l'objet de sanctions financières par l'ANSM.
Les ruptures et les sanctions sont déjà sur le site de l'ANSM. En revanche, le nombre de prescriptions par département n'est pas disponible. D'après les responsables de la Caisse nationale de l'assurance maladie, que nous avons auditionnés lundi dernier, cette information sera publiée sur le site en 2025. Votre amendement étant en passe d'être totalement satisfait, j'en demande le retrait.
La commission rejette l'amendement.
Article 1er bis (nouveau) : Rapport du Gouvernement au Parlement portant sur la création d'une liste restreinte de molécules pour lesquelles les obligations de stockage seraient renforcées
Amendement AS17 de M. Philippe Juvin
Comme je l'ai déjà dit, quand il y a 6 000 médicaments prioritaires, aucun ne l'est vraiment. Il serait intéressant de réfléchir, dans le cadre d'un rapport, à la création d'une liste de médicaments de souveraineté – un à deux par classe thérapeutique – afin de définir de vraies priorités.
Je préférais votre amendement sur la liste à celui qui demande un rapport sur la liste... Mais de toute façon, avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Article 1er ter (nouveau) : Rapport du Gouvernement au Parlement sur la création d'une plateforme unique pour le suivi des stocks de médicaments
Amendement AS61 de Mme Valérie Rabault
C'est l'amendement qui traite de la fusion des trois systèmes précités : Trustmed, celui de l'ANSM ; DP-Ruptures, celui du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens ; TRACStocks, créé par Les Entreprises du médicament et mis à la disposition de l'ANSM. C'est aussi une demande de rapport – je suis soumise comme tout le monde à l'article 40 de la Constitution – mais l'idée est bien de créer une plateforme unique de suivi des stocks, gérée par l'ANSM.
Madame la rapporteure, votre idée est si pertinente que l'on s'étonne qu'une telle plateforme, clef de la réussite de la gestion des stocks, n'ait pas encore été créée. Nous soutenons votre proposition.
Nous approuvons cet amendement, qui tombe sous le sens. C'est d'ailleurs l'objet des travaux que notre groupe avait conduits au niveau du Parlement européen – j'étais rapporteure de trois des quatre dossiers. Nous avions demandé que ce genre de système soit créé dans tous les pays d'Europe, afin que chaque nation puisse communiquer avec les autres par le biais d'informations centralisées.
La commission adopte l'amendement.
Article 2 : Renforcer les sanctions financières que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut prononcer en cas de manquement des exploitants à leurs obligations
Amendements AS57 de Mme Valérie Rabault et AS50 de Mme Stéphanie Rist (discussion commune)
Je propose une rédaction globale de cet article afin de tenir compte des observations recueillies dans le cadre des dix-neuf auditions que nous avons menées. Outre le relèvement du plafond des sanctions financières que l'ANSM peut prononcer, les décisions de sanction seraient publiées sur le site de l'agence durant un an, contre un mois actuellement – rappelons que les décisions prises par l'Autorité de la concurrence restent cinq ans sur son site.
Mon amendement vise à garantir la pleine effectivité des sanctions financières prévues en cas de manquement aux mesures législatives de prévention et de gestion des risques de rupture. Il complète les prérogatives de l'ANSM en lui donnant un pouvoir de contrôle sur place et sur pièces des documents ou impératifs imposés aux exploitants.
Je suis très favorable aux contrôles sur place et sur pièces, qui figurent dans la nouvelle rédaction que je propose. Mais, comme je l'ai indiqué, j'ai aussi accédé à la demande de l'ANSM de publier les décisions de sanction sur son site durant un an au lieu d'un mois.
L'adoption de ces amendements risque de faire tomber les suivants, dont deux que j'avais déposés. Le premier vise à rendre les sanctions plus systématiques et plus dissuasives. Seulement huit sanctions ont été prononcées par l'ANSM en quatre ans, ce qui est relativement peu au regard de l'ampleur des pénuries constatées. Le second propose d'instaurer un plancher pour les sanctions. Ce sont des propositions auxquelles nous tenons.
Vous proposez des sanctions automatiques. Je pense qu'il est nécessaire de laisser des marges de manœuvre à l'ANSM. On a pu constater l'année dernière que certains industriels ont refusé de déstocker de l'amoxicilline de peur de se voir infliger une amende. Or un stock ne doit pas être dormant ; il faut qu'il serve. Si un besoin se fait sentir, il faut pouvoir déstocker au maximum. L'ANSM doit alors jouer pleinement son rôle de police sanitaire. Rendre la sanction automatique réduirait ses marges de manœuvre.
Pour la clarté de nos débats, je tiens à préciser que la rédaction que propose la rapporteure générale supprime l'augmentation des sanctions, laquelle répond à une demande de l'ANSM et de la direction générale de la santé.
Nous sommes évidemment favorables au relèvement des sanctions et à la publication pendant un an des sanctions financières prononcées par l'ANSM.
Cela étant, la principale mesure du texte initial était d'augmenter le stock des médicaments les plus essentiels pour pouvoir couvrir quatre mois de besoins. Dès lors qu'on y renonce, on fait du bricolage ; on n'est plus au cœur du sujet.
Je le répète : pour le médicament, le marché ne marche plus. Quand en cinq ans on multiplie par dix les ruptures de stock, c'est que cela ne fonctionne plus. Au fond, nous sommes face à un grand choix de société : faut-il malgré tout laisser faire le marché, ou le réguler, voire lui substituer un pôle public du médicament ?
Le même choix s'impose à nous beaucoup plus généralement dans la société.
Pour faire face à la crise de l'agriculture, nous avions proposé il y a sept ans déjà d'instaurer des prix planchers. Le Gouvernement avait refusé, car cela aurait porté atteinte à la logique de marché. Qu'a-t-on fait à la place ? Des accords-cadres et des états généraux de l'alimentation qui ont abouti à des trucs incompréhensibles et difficiles à mettre en œuvre.
Le même débat existe pour le marché de l'électricité. Faut-il en sortir, ou bien maintenir l'électricité dans un marché qui est devenu complètement fou, avec des prix régulés qui ont augmenté de 45 % en deux ans – sans parler des prix non régulés, qui peuvent être multipliés par dix ?
De la même manière, pense-t-on que l'on va sortir de la crise du logement en confiant ce dernier au marché, ou considère-t-on qu'il est du ressort de l'action publique de construire là où c'est le plus essentiel ?
Le débat que nous avons sur les médicaments et sur les stocks planchers est en fait le symptôme d'un marché beaucoup plus général qui ne marche plus. Deux réponses opposées peuvent y être apportées.
Monsieur Ruffin, il n'y a en effet plus de marché pour certains médicaments, car il ne reste plus qu'un seul fournisseur.
Comment en est-on arrivé là ? Parce que la clause de sauvegarde qui figure dans les lois de financement de la sécurité sociale aboutit à faire baisser chaque année le prix des médicaments : lorsqu'ils ne sont plus rentables, on ne les fabrique plus, il n'y a plus de marché et il ne sert à rien de taper sur le seul producteur restant.
Par ailleurs, à quoi doit-on le nombre relativement bas des contrôles : l'ANSM manque-t-elle de moyens ? Pourquoi seulement huit sanctions, alors que les ruptures de stocks sont manifestes ?
L'amendement AS50 est retiré.
La commission adopte l'amendement AS57 et l'article 2 est ainsi rédigé.
En conséquence, les amendements AS25 de M. Pierre Dharréville, AS31 de Mme Caroline Fiat, AS27 de M. Yannick Monnet, AS25 de M. Pierre Dharréville, AS28 de M. Yannick Monnet et AS44 de M. Sébastien Peytavie tombent.
La réunion est suspendue de quinze heures quarante à dix-sept heures.
Après l'article 2
Amendement AS35 de M. Hendrik Davi
Cet amendement vise à renforcer la sécurité d'approvisionnement des MITM en posant comme conditions aux financements publics de la recherche pharmaceutique l'approvisionnement du marché français et le respect des obligations incombant aux industriels en matière de gestion des stocks.
Si les laboratoires pharmaceutiques bénéficient de dizaines de milliards d'aides, sous forme de subventions à la recherche et à l'innovation mais aussi sous forme de crédit d'impôt, comme le crédit d'impôt recherche (CIR), il n'existe aucune condition portant sur les médicaments développés grâce à ces aides. Les industriels sont donc parfaitement libres de privilégier la rentabilité sur l'efficacité. Comme le souligne le rapport de la commission d'enquête du Sénat « Pénurie de médicaments : trouver d'urgence le bon remède », en refusant de poser de telles conditions, le CIR finance « la recherche pharmaceutique indispensable à des médicaments dont la production est ensuite délocalisée ».
Nous en avons la preuve puisque Sanofi, qui a bénéficié de 150 millions par an pendant plus de dix ans grâce au CIR, a supprimé 135 postes sur les sites d'Aramon et de Sisteron et arrêté la production de treize principes actifs depuis l'été 2023. En 2021, Sanofi avait déjà supprimé 350 postes dans la R&D, en pleine crise du covid.
Il n'est pas tolérable qu'autant d'argent public profite à des groupes principalement préoccupés par les dividendes versés à leurs actionnaires sans que l'État n'exige des comptes.
Cet amendement contraint donc les bénéficiaires du CIR à rembourser les aides perçues pour la recherche, le développement et la fabrication de médicaments dès lors qu'ils n'assurent pas un approvisionnement du marché français répondant aux besoins de la population.
Je suis favorable à l'idée de conditionner le CIR et je l'ai défendue à plusieurs occasions. Lorsque j'étais rapporteure générale de la commission des finances, j'avais même procédé à des contrôles sur pièces et sur place pour obtenir des précisions entreprise par entreprise, puisque ces informations sont couvertes par le secret fiscal.
En revanche, en l'espèce, je ne suis pas certaine que l'on puisse relier le recours au CIR à la question des stocks ou à la sécurité des approvisionnements : le CIR finance la recherche, alors que les pénuries touchent essentiellement des médicaments matures.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Article 3 (nouveau) : Interdiction de la publicité pour les médicaments en rupture et risque de rupture de stock
Amendement AS52 de Mme Stéphanie Rist
Cet amendement vise à interdire la publicité pour les médicaments lorsqu'ils sont en rupture ou en risque de rupture de stock.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission adopte l'amendement.
Après l'article 2
Amendement AS30 de Mme Caroline Fiat
Cet amendement demande un rapport au Gouvernement sur les moyens humains dont dispose l'ANSM. Nous en avons déjà largement parlé. Avis favorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La commission examine la proposition de loi visant à toucher sa retraite dès le premier jour (n° 2058) (Mme Mélanie Thomin, rapporteure).
Au 31 décembre 2023, 25 313 de nos concitoyens attendaient encore le versement de leur pension par le régime général d'assurance vieillesse alors même que la date de leur départ en retraite était passée, parfois depuis plusieurs mois.
À ces 25 313 salariés s'ajoutent près de 7 500 agriculteurs et 3 300 fonctionnaires qui, malgré une vie de labeur, ne bénéficient pas de leur pension de retraite à la date souhaitée alors qu'ils ont cessé leur activité professionnelle.
Intolérables, ces ruptures de ressources alimentent une défiance envers notre système de retraites par répartition – défiance qui croît depuis plusieurs années. Selon un sondage Odoxa d'octobre 2023, les non-retraités sont à peine 39 % à avoir confiance dans le système de retraite.
Le débat qui s'est tenu à l'occasion de la réforme des retraites a largement contribué à accroître l'inquiétude de nos concitoyens. Outre le report de deux ans de l'âge de départ et l'accélération du calendrier d'allongement de la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein, auxquels s'oppose une grande majorité de Français, de nombreuses mesures dites d'accompagnement n'ont pas encore produit leurs effets – soit que les décrets d'application tardent à être pris, soit qu'ils ne correspondent pas aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Ainsi, alors que la réforme promulguée en avril dernier prévoyait une revalorisation des pensions des retraités les plus modestes dès le 1er septembre 2023, un nombre encore important d'entre eux attendent encore les versements correspondants, six mois plus tard.
Méconnaissant les conclusions de la mission « flash » menée par Paul Christophe et Arthur Delaporte en décembre 2022, le Gouvernement a décidé, par voie réglementaire, de ne pas prendre en compte les trimestres validés par les personnes qui ont été employées dans le cadre de travaux d'utilité collective (TUC) pour déterminer l'éligibilité au dispositif de départ anticipé pour carrières longues.
De même, les sapeurs-pompiers volontaires attendent la parution du décret permettant la prise en compte de leurs années de service sous la forme de trimestres supplémentaires pour leurs droits à la retraite.
Enfin, malgré un vote à l'unanimité à l'Assemblée nationale et le vote conforme du Sénat dès la première lecture, la loi du 13 février 2023 subit déjà les tentatives du Gouvernement d'enterrer la réforme visant à prendre en compte les vingt-cinq meilleures années pour le calcul des retraites agricoles. Le rapport remis en application de la « loi Dive » écarte en effet les scénarios qui seraient les plus bénéfiques aux agriculteurs pour en privilégier d'autres par construction moins favorables.
En tant qu'élue d'un territoire rural, je me dois de rappeler que les agriculteurs continuent de percevoir des pensions près de deux fois plus faibles que celles du reste de la population, en dépit des difficultés qu'ils connaissent et que personne dans cette commission ne peut contester.
Dans ce contexte de défiance, il me semble urgent de réintroduire une forme de sérénité dans le moment si particulier et si important qu'est le passage à la retraite. Tel est l'objectif de la proposition de loi que j'ai l'honneur de présenter, qui vise à permettre aux retraités de toucher leur pension dès le premier jour.
À l'image de notre système de retraite, le calcul des droits à la retraite est une opération complexe. Elle suppose de reconstituer la carrière de l'assuré pour définir le montant précis de la pension à laquelle il peut prétendre. Cette opération est d'autant plus délicate qu'un nombre croissant de Français sont désormais polypensionnés, c'est-à-dire qu'ils ont été affiliés successivement ou simultanément à plusieurs régimes de retraite.
Cette complexité justifie que le traitement des demandes de départ prenne du temps aux caisses de retraite. Au régime général, le délai de traitement moyen des demandes est de soixante-dix jours, mais certains dossiers complexes prennent plusieurs mois. En tout, ce sont près de 15 % de l'ensemble des dossiers en cours de traitement au régime général qui présentent un retard de paiement. Si la Mutualité sociale agricole n'a pas été en mesure de nous indiquer le délai de traitement des dossiers déposés par ses adhérents, les auditions ont toutefois permis de révéler que plus de 50 % des dossiers de départ à la retraite des agriculteurs font l'objet d'un paiement après la date souhaitée de départ !
Deux causes principales expliquent ce phénomène.
La première raison réside dans la complexité de certains dossiers, particulièrement aiguë pour les assurés polypensionnés, les invalides qui demandent une reconnaissance médicale, les assurés aux carrières hachées ou ayant exercé une partie de leur carrière à l'étranger.
La seconde raison réside dans le fait qu'un certain nombre de futurs retraités déposent encore leur demande de départ tardivement, dans des délais qui ne leur permettent pas de bénéficier de la garantie de versement créée par le décret du 19 août 2015. Ce dispositif impose aux caisses de retraite de procéder au versement de la pension des assurés ayant déposé leur demande au moins quatre mois civils avant la date de liquidation dès le mois suivant leur départ à la retraite. Il ne s'applique toutefois ni aux fonctionnaires, ni aux exploitants agricoles.
Certes, les caisses de retraite ont pris des mesures pour faciliter le traitement des dossiers et pour les ruptures de ressources des nouveaux retraités. Nous nous en réjouissons. Outre les démarches de communication ciblées et le développement des échanges inter-régimes, elles procèdent de plus en plus à des liquidations provisoires, avec un calcul « en l'état » fondé sur les informations dont elles disposent. Cette procédure, qui concernait un peu plus de 13 % des demandes du régime général en 2021, a été appliquée à près de 20 % des dossiers en 2023. Elle n'est toutefois encadrée par aucun texte législatif ou réglementaire et exclut de fait un certain nombre de nos concitoyens.
Face à ce constat, le texte que nous nous apprêtons à examiner propose d'instaurer un bouclier social pour la retraite, sous la forme d'une pension temporaire versée aux retraités dont la demande de liquidation, déposée au moins un mois civil avant la date effective de départ à la retraite, n'aurait pas été traitée dans les délais souhaités.
Cette proposition revêt deux intérêts principaux.
D'une part, elle limite les situations de rupture de ressources en permettant à l'assuré de toucher une partie de sa pension dès le mois suivant son départ à la retraite, et ce même si sa demande de liquidation n'a pas été définitivement traitée par les caisses de retraite.
D'autre part, elle renforce la confiance des assurés envers ces caisses, qui doivent traiter un nombre toujours plus important de dossiers malgré les constantes suppressions de postes qu'elles subissent.
Le bouclier social pour la retraite protégerait la grande majorité de nos concitoyens, qu'ils aient été salariés, indépendants, fonctionnaires ou agriculteurs. Ainsi, parmi les 875 000 assurés ayant liquidé un droit direct en 2021, 98 % étaient affiliés à au moins l'un des régimes concernés.
Grâce au dispositif prévu par l'article 1er, certains assurés, qui ne sont pas éligibles à la garantie de versement au motif qu'ils n'ont pas suffisamment anticipé le dépôt de leur demande de liquidation, pourront au moins bénéficier d'une pension temporaire le temps de l'instruction de leur dossier. Cela permet de couvrir les personnes qui ont le plus de difficultés à accéder aux informations sur leurs droits à la retraite et les procédures de liquidation.
En pratique, le montant de la pension temporaire serait calculé par référence aux documents transmis aux assurés par les caisses de retraite, dans le cadre de leur droit à l'information. Je veux lever une ambigüité qui a fait l'objet de débats lors des auditions : l'estimation indicative globale sur laquelle se fonde ce calcul n'est pas une simple simulation faite par un assuré curieux de connaître ses droits en fonction d'hypothèses qu'il pourrait modifier à sa guise. Il s'agit d'un document dont la transmission est une obligation légale et que les caisses de retraite produisent sur la base des informations figurant dans le relevé de situation de l'assuré. Remettre en cause la fiabilité de l'estimation indicative globale revient à remettre en cause la qualité des renseignements dont disposent les caisses de retraite et, plus largement, la pertinence des outils d'information à destination des assurés.
Une fois le montant de la pension définitivement arrêté, la différence avec celui de la pension temporaire perçue ferait l'objet d'une régularisation, avec la possibilité d'échelonner le remboursement en cas de trop-perçu.
Les travaux préparatoires m'ont permis d'identifier plusieurs possibilités d'amélioration. Il s'agit notamment des risques d'indus ou de la situation particulière des personnes qui, pensant à tort avoir atteint l'âge de partir à la retraite, voient leur demande de départ refusée. J'aurai l'occasion de revenir sur ces sujets lors de l'examen des amendements que j'ai déposés.
Le texte que je vous propose vise à répondre à une question simple mais cruciale : accepte-t-on, en 2024, que plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens attendent chaque mois le début de versement de leur retraite, ce droit acquis après une vie de travail, une vie à cotiser pour assurer le financement de la sécurité sociale ?
Pierre Laroque disait : « La sécurité sociale répond [...] à la préoccupation fondamentale de débarrasser les travailleurs de la hantise du lendemain. » Près de quatre-vingt ans après la création de la sécurité sociale, je crois que cette proposition de loi participe, modestement mais concrètement, à cette œuvre ambitieuse.
Cette proposition de loi nous rappelle la situation très délicate dans laquelle se trouvent en effet des dizaines de milliers de salariés chaque année, qui partent à la retraite sans toucher leur pension dès le premier jour. Pour le régime général, ils sont 25 000, soit environ 3 %. Mais, comme l'a rappelé le directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) lors de son audition, c'est 25 000 de trop.
Pour répondre à cette situation, la proposition de loi prévoit rien de moins que de verser une pension temporaire à toutes les personnes qui en feraient la demande jusqu'à un mois seulement avant leur départ à la retraite.
Les auditions ont souligné que cette mesure entraînerait des indus considérables, mettant en difficulté les bénéficiaires eux-mêmes. Elle risque en outre d'inciter nos concitoyens à ne plus anticiper suffisamment leur passage à la retraite, alors que quatre à six mois au moins sont nécessaires. Enfin, ce texte engendrera une surcharge de travail pour les caisses de retraite, avec le risque certain de dégrader le service apporté au 800 000 autres Français partant chaque année à la retraite.
S'étant rendu compte de toutes ces difficultés, la rapporteure propose pas moins de vingt-huit amendements pour réécrire son texte. Soit. Mais même avec cette nouvelle rédaction, le texte comporterait selon nous encore trop d'imprécisions et de risques.
En fait, le véritable intérêt de cette proposition est d'avoir permis de rappeler l'existence du décret du 19 août 2015, qui prévoit déjà une garantie de versement de pension pour tous les retraités du régime général et dont 300 000 retraités bénéficient chaque année. Cette proposition est donc en partie satisfaite par ce décret – qui pourrait sans doute être amélioré et dont la portée mériterait d'être étendue à d'autres régimes de retraite.
Enfin, lors des auditions, les caisses de retraite se sont engagées à réduire encore le nombre de retraités qui ne touchent pas immédiatement leur pension – lequel diminue d'ailleurs chaque année. Il nous revient d'inviter le Gouvernement à fixer des objectifs encore plus ambitieux.
En dépit de ses bonnes intentions, cette proposition insuffisamment préparée serait très difficile à appliquer, et créerait davantage de complexité pour les futurs retraités que nous rencontrons dans nos permanences. Par conséquent, nous voterons contre.
Si nous en restions simplement au titre de cette proposition de loi, un consensus serait acquis immédiatement. Tout le monde souhaite que chaque citoyen ayant cotisé toute sa vie jusqu'à 64 ans puisse toucher sa retraite immédiatement. Mais nous avons été élus pour légiférer, et lorsqu'on lit le dispositif de cette proposition, on se rend compte qu'il n'est pas adapté.
La pension temporaire telle qu'elle est conçue présente plusieurs défauts.
Premièrement, elle est calculée sur les derniers mois de salaire et sera donc évidemment surévaluée, ce qui implique que les retraités devront ensuite assumer un remboursement potentiellement lourd.
Deuxièmement, les auditions ont fait apparaître que si le salarié démissionne alors qu'il n'a pas encore acquis tous ses droits à la retraite, il devra tout rembourser. En cas de difficultés de remboursement, les conséquences se feront sentir aussi bien en termes de dégradation des finances publiques que d'endettement des personnes.
Il est intéressant de relever que les membres du groupe Socialistes et apparentés tentent avec ce texte de revenir sur une disposition adoptée sous la présidence de M. Hollande. Car c'est bien le gouvernement de M. Valls qui a instauré le dispositif qui prévoit que les Français bénéficient de la garantie de paiement des pensions seulement le mois suivant la date d'entrée en jouissance, à condition qu'ils aient déposé leur demande de départ quatre mois auparavant.
En l'état, mon groupe s'abstiendra car la rédaction actuelle du texte met financièrement en danger les futurs retraités.
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre n'a pas daigné évoquer la situation déplorable des 17,3 millions de retraités – et on le comprend : c'est le chaos absolu, avec des retards inacceptables de versement des pensions de retraite. Une partie des gens n'auront d'ailleurs jamais de retraite digne à cause de l'actuel gouvernement. La moitié des retraités vivent avec un revenu en dessous du Smic et, depuis 2017, ils ont en moyenne perdu l'équivalent de trois mois de pension en raison de l'inflation.
Même faire valoir ses droits à la retraite est difficile. La liquidation d'une retraite se fait dans de mauvaises conditions. Les futurs retraités doivent déposer leur dossier dans un délai de quatre mois et l'assurance retraite doit les traiter en soixante-quinze jours. Sauf que, pour cette année, les décrets de la dernière réforme des retraites sont parus le 22 août pour une application au 1er septembre. Rien n'était prêt, évidemment.
Des dizaines de milliers de personnes sont concernées par des retards qui dépassent parfois six mois. En effet, les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) sont insuffisamment dotées. Comme d'autres services publics, elles subissent les attaques néolibérales des gouvernements français depuis des décennies. D'après les représentants du personnel que j'ai rencontrés, notamment dans ma circonscription, cela se concrétise par une baisse des effectifs et le non-remplacement des départs à la retraite, mais aussi par la fermeture de guichets d'accueil. La dernière convention d'objectifs et de gestion prévoyait une baisse de 1 000 salariés à l'échelon national et de 100 pour la seule Carsat Sud-Est.
Pour pallier ces baisses d'effectifs, la productivité a été augmentée, notamment avec un accroissement des démarches faites à distance. Or un rapport de la Défenseure des droits publié en octobre 2021 a révélé qu'un quart des personnes de plus de 65 ans rencontrait des difficultés pour effectuer des démarches administratives. On comprend mieux pourquoi il y a un problème pour faire valoir ses droits. Actuellement, 75 % des demandes de pension déposées de manière dématérialisée ne peuvent pas être liquidées car il manque des documents.
Cette proposition va dans le bon sens grâce à la pension temporaire. Elle limite ainsi les situations de rupture – comment vivre sans revenus lorsque l'on vient de prendre sa retraite ? Nous la voterons donc, et nous la défendrons.
En 2022, sur 820 000 dossiers de demandes de pension, 25 000 ont été traités en retard, selon les chiffres officiels de l'administration. Ce sont autant de nouveaux retraités qui attendent pour toucher leurs premières pensions. Ces difficultés concernent surtout les plus modestes, car ce sont le plus souvent eux qui ont alterné périodes d'activité et de chômage et qui n'ont pas d'épargne.
La Cnav regrette ces retards mais fait valoir que la situation n'est pas nouvelle. Les syndicats, eux, vont plus loin : les retards seraient sous-évalués. Selon eux, un dossier de retraite sur cinq serait concerné – et cela ne va pas s'améliorer.
Plusieurs raisons expliquent ces retards de paiement des pensions, à commencer par le manque de personnel pour traiter les dossiers. Depuis dix ans, les effectifs des agents en CDI de la sécurité sociale subissent une baisse continue, qui n'est pas compensée par la hausse marginale des effectifs en CDD. En effet, pour gérer 16 millions de dossiers de retraités, les caisses de retraite de sécurité sociale et celles des indépendants employaient 14 800 salariés en 2017 ; ils n'étaient plus que 13 700 en 2021. Or le nombre d'assurés qui liquident leur droit à la retraite est passé, tous régimes confondus, de 741 000 en 2012 à 875 000 en 2021. À cela s'ajoute la complexité grandissante des dossiers. En effet, les carrières sont de moins en moins linéaires.
Si l'intention de cette proposition de loi va dans bon sens, son dispositif n'est pas adapté. Ne serait-il pas temps de renforcer les moyens alloués par l'État aux caisses de retraite pour leur permettre de traiter les dossiers dans des délais raisonnables ?
À première vue, comment ne pas être d'accord avec l'intitulé de cette proposition de loi : qui ne souhaite pas toucher sa retraite dès le premier jour ? Mais en regardant le texte dans les détails, on déchante.
Ainsi, l'ensemble des assurés seraient éligibles à ce que vous appelez un bouclier social pour la retraite, estimé par les caisses de retraite sur la base d'une pension à taux plein. Il faudrait en formuler la demande au moins un mois avant le départ en retraite.
Cette forme de retraite provisoire mettrait sous grande tension les personnels chargés de liquider les pensions. Le délai d'un mois est trop court et présenterait des risques élevés de fraude, d'erreurs ou d'indus – particulièrement douloureux à rembourser.
Mais pour notre groupe, le principal écueil réside dans le fait qu'on veuille résoudre un problème administratif de gestion de dossiers par une loi – encore une ! Au lieu d'améliorer les choses, vous rendriez les procédures plus complexes et plus pénibles, au détriment des personnes que vous souhaitez aider, celles qui s'occupent trop tard de leur départ en retraite.
Ce texte a le mérite de mettre en lumière les retards de paiement de pensions, qui peuvent être particulièrement douloureux pour les plus précaires de nos concitoyens au moment de leur départ en retraite. Mais, plutôt que de complexifier le corpus législatif, notre majorité souhaite en améliorer la lisibilité pour assurer un meilleur passage à la retraite. C'était tout le sens de l'instauration d'un système de retraite par points, à laquelle le groupe Socialistes et apparentés s'est opposé lors du quinquennat précédent. Ce système aurait permis d'anticiper facilement la fin d'activité et de disposer à tout moment des informations nécessaires, notamment financières. Elle aurait aussi permis d'harmoniser les droits familiaux entre régimes, qui sont une des sources majeures de complexité.
Pour résoudre les difficultés, mieux vaut s'interroger sur la complexité du système plutôt que s'en tenir à des incantations. C'est pourquoi nous voterons contre cette proposition de loi.
« Je suis né en octobre 1988 et je travaille depuis l'âge de 16 ans. J'ai grandi dans une famille où il fallait travailler et dès que je suis sorti du système scolaire, j'ai passé mon CAP Métallier. J'ai enchaîné les emplois : TUC, stages d'initiation à la vie professionnelle, vendanges... Avant la réforme des retraites, je pouvais partir à 60 ans et cinq mois, mais on nous demande maintenant de travailler plus longtemps. J'ai le dos et les cervicales usés. J'ai également une reconnaissance MDPH [maison départementale des personnes handicapées] pour des problèmes respiratoires, mais cela ne permet pas de partir plus tôt. Je pense avoir une carrière professionnelle remplie et j'espère pouvoir bénéficier d'un départ à la retraite à 60 ans, ce qui me semble bien mérité. »
Des messages semblables à celui de Frédéric, nous en recevons tous les jours. Réforme de l'assurance chômage, réforme des retraites, réforme du RSA, matraquage social, pointage des pauvres, Libération s'est penché sur votre bilan : vous n'avez fait que détricoter notre modèle social. Alors oui, madame la rapporteure, ce texte est évidemment plus que bienvenu. Il représente un filet de sécurité indispensable pour les pensionnés.
Comment expliquer que 20 403 personnes ayant demandé la liquidation de leur pension de retraite restent aujourd'hui en attente de la validation de son paiement ? La rupture de ressources qui en résulte peut avoir des conséquences dramatiques. Elles viennent nous dire, dans nos permanences, à quel point cela les bloque, les pénalise, voire met leur vie en danger. Les agriculteurs sont particulièrement touchés. C'est un peu la double peine pour ces travailleurs dont on connaît la situation difficile.
Ce texte de justice sociale profitera en particulier aux anciens bénéficiaires des TUC, souvent pénalisés par les errements du Gouvernement. Ainsi Sylvie, qui a fait sa déclaration en passant par le site dédié de l'assurance retraite et à qui on a expliqué qu'elle devait continuer à attendre...
Le titre accrocheur de cette proposition de loi pourrait induire en erreur les personnes qui nous suivent. Aussi, je tiens à préciser que depuis l'entrée en vigueur, le 1er septembre 2015, du droit opposable au versement de la retraite, les caisses de retraite disposent d'un délai de quatre mois pour traiter un dossier complet – je dis bien complet. À défaut, le versement de la première pension est débloqué de façon automatique à l'expiration de ce délai. Selon la Cnav, ces retards concernent environ 21 000 dossiers sur plus de 820 000 en 2021. Ce système a été instauré dans le but de protéger les nouveaux retraités contre la précarité dans laquelle ils pourraient se trouver après avoir perdu toute autre source de revenus.
Ce sont les inquiétudes à cet égard qui ont motivé, me semble-t-il, le dépôt de cette proposition de loi et son inscription à l'ordre du jour de la journée d'initiative parlementaire du groupe socialiste. Mais, si nous convenons que ces retards doivent cesser, nous pensons que ce texte complexifierait les choses, alors que des solutions adaptées existent déjà. Pour le groupe Horizons et apparentés, il convient avant tout de renforcer les moyens des administrations de sécurité sociale pour leur permettre d'absorber toutes les demandes de dossiers, d'autant plus nombreuses que la population vieillit. La pension temporaire que vous proposez ne saurait être attribuée si l'on ne veille à donner suffisamment de temps pour traiter les dossiers et à responsabiliser les assurés, afin d'éviter des retards pour cause de documents manquants. Et que se passerait-il si l'assuré ne régularisait jamais sa situation ?
Je salue, en revanche, l'initiative de la Carsat des Hauts-de-France, qui a lancé des centres itinérants qui vont à la rencontre des habitants. Les assurés peuvent ainsi recevoir au plus près de chez eux l'aide des conseillers de la Carsat ainsi que de l'Agirc-Arrco pour compléter leur dossier.
À ce stade, la proposition de loi pose beaucoup de questions, comme en attestent les nombreux amendements que vous avez déposés. Elle ne sert pas bien votre ambition et sur un tel sujet, nous devons rester précautionneux.
Après une carrière professionnelle, le grand jour arrive : enfin la retraite. Mais, là encore, il faut se battre pour faire appliquer ce qui est pourtant un droit. En effet, l'État ne dégage pas les moyens suffisants pour garantir à chacun le versement de sa retraite dès qu'il peut y prétendre. On touche son salaire, puis, du jour au lendemain, plus rien, et il peut être impossible d'avoir quelqu'un au téléphone ou de se rendre à la caisse de retraite pour essayer de débloquer la situation. Les services croulent sous un nombre croissant de dossiers de départ à la retraite – 3 % de plus tous les ans, du fait du papy-boom. Par ailleurs, les dossiers sont de plus en plus complexes, en raison de carrières moins linéaires qu'auparavant, ce qui implique un nombre croissant d'employeurs et de régimes, et d'une complexification des règles d'octroi de la retraite. La logique voudrait, pour que cela ne soit pas préjudiciable aux assurés, que les effectifs des caisses augmentent en parallèle. Ils ont connu au contraire une baisse continue depuis dix ans à la sécurité sociale – 6 % de moins entre 2012 et 2022 pour les agents en CDI.
Des collectifs de défense des services publics nous alertent sur l'augmentation du nombre d'assurés dont les dossiers ne sont pas traités et qui sont privés de ressources. Le rapport d'activité de la Défenseure des droits pour l'année 2022 signale, par ailleurs, un taux de réclamations de 23 % pour ce qui est de l'octroi des pensions de vieillesse. Les ruptures de ressources affectent en premier lieu les ménages les plus modestes, dont l'épargne n'est pas suffisante pour faire face. C'est pour ces personnes que nous devons garantir un paiement provisoire, sans rupture, des pensions de retraite. Nous voterons donc pour l'instauration du bouclier social proposé par nos collègues socialistes.
Je pensais vraiment que ce texte ferait l'objet d'un consensus et je suis très surpris par les arguments invoqués depuis le début de cette réunion, notamment par la droite. Tout le monde fait le constat d'un dysfonctionnement, et personne ne s'intéresse à ses conséquences. La baisse du nombre de salariés en poste à la sécurité sociale, nous la connaissons depuis longtemps ; les retards de paiement des retraites, nous en parlons à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale ; mais personne ne bouge le petit doigt.
Je pensais donc que tout le monde soutiendrait cette proposition de loi de bon sens, que nous serions tous d'accord pour régler la question des retards de paiement des retraites, qui sont insupportables. Imaginez que les indemnités de parlementaires soient versées avec deux ou trois mois de retard : ce serait compliqué, nous ne l'accepterions pas, à juste titre ! C'est exactement pareil pour les retraites.
Je ne comprends donc pas les arguments de nos collègues, et je n'ai pas confiance dans les engagements qu'ils pourraient prendre pour remédier à la situation. Il n'y a qu'à voir la question de la retraite des pompiers, que Mme la rapporteure a évoquée : des engagements ont été pris par le Président de la République, dont j'ai cru comprendre que vous considériez les propos comme sacrés ; ils ont été repris par le Premier ministre – il était alors question d'une bonification pour l'ensemble des pompiers volontaires ; mais il n'y a toujours pas de décret, et l'on commence à nous dire que seules les carrières incomplètes étaient concernées !
Je pense que vous avez un vrai problème avec la question des retraites. Nous ne croyons pas à vos engagements en la matière et nous voterons pour cette proposition de loi qui permettra de résoudre le problème des retards de paiement.
Alors que le pouvoir d'achat est la priorité de nos concitoyens, on observe un angle mort : celui des jeunes retraités, particulièrement les plus modestes, à qui l'on fait l'injustice de ne pas pouvoir disposer immédiatement de leur pension. Non seulement ils se retrouvent brutalement avec de faibles ressources, mais ils doivent faire face à une administration parfois injoignable, débordée, dématérialisée.
Le problème est loin d'être nouveau, mais il a été renforcé par des réformes successives d'ampleur. Celle de 2023, en particulier, a été adoptée dans la précipitation : au-delà de notre position quant au fond, nous avions sévèrement contesté la forme et signalé que les caisses de retraite n'étaient pas prêtes à mettre en œuvre les évolutions prévues. Leur entrée en vigueur n'en a pas moins été fixée au 1er septembre 2023 au lieu du début de l'année civile suivante, alors même que le système de liquidation n'était pas calibré en conséquence.
Le problème des retards de pensions est un exemple parmi de nombreux autres des difficultés d'accès au droit de nos concitoyens. Les carrières étant de moins en moins linéaires, les dossiers sont de plus en plus complexes. Toutefois, les retards ne sont pas seulement du fait des caisses : du côté des assurés, la question des pièces manquantes se pose aussi, d'où le besoin d'un renforcement de l'information et de la proximité.
Notre groupe soutient ce texte, qui constituera un réel progrès pour tous les nouveaux retraités, surtout les plus modestes, même si nous avons une interrogation quant à la surcharge de travail que cela occasionnera. Nous proposons que les assurés soient systématiquement informés, d'une manière anticipée, du montant de la retraite provisoire qui leur serait versée si le calcul de leur retraite définitive devait prendre un certain temps.
S'agissant de la forme, plusieurs d'entre vous s'étonnent, ou s'offusquent, du nombre d'amendements – vingt-huit – que j'ai déposés en ma qualité de rapporteure. Je compte sur votre expérience de parlementaires pour comprendre qu'avec vingt-deux amendements rédactionnels, il n'en reste que six de fond, qui visent à renforcer la qualité et la viabilité du texte. Il n'y a là rien d'excessif : c'est un travail tout à fait légitime de consolidation du texte, en toute tranquillité.
Sur le fond, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, les auditions que nous avons menées, notamment celles des directions des caisses de retraite et de la direction de la sécurité sociale (DSS), ainsi que les contributions de certains représentants syndicaux des agents des caisses, ont montré que certains éléments méritaient des précisions ou une consolidation. Je l'assume sans difficulté et il est possible d'introduire des garanties dans le texte, qui a pour mérite de simplifier l'accès de nos concitoyens au droit.
Pourquoi avons-nous été élus députés ? Est-ce pour suivre, accompagner l'administration, ou pour fixer des priorités et des garde-fous qui permettent de garantir les droits de nos administrés ? Travaillons-nous au profit des directions des caisses ou de nos concitoyens ? Il y a un équilibre à trouver dans nos différents arguments.
Monsieur Le Gac, vous avez évoqué le risque que ceux qui prétendent bénéficier de leur droit à la retraite se voient refuser leur dossier. Le problème a été soulevé lors des auditions, auxquelles vous avez participé, par les directeurs des caisses. Nous en avons pris conscience et avons déposé un amendement pour sécuriser la proposition de loi. Il tend tout simplement à préciser que la pension temporaire ne pourra être versée qu'après un examen de la recevabilité de la demande de liquidation – qui est une phase essentielle.
Vous avez exprimé, en outre, la crainte d'une surcharge de travail pour les caisses. Quand on réforme les retraites, il en résulte effectivement une surcharge de travail – tout le monde se souvient de la promulgation de la dernière réforme, en avril dernier. Le texte que je propose demandera, selon les caisses elles-mêmes, des ajustements opérationnels. Si l'on souhaite réellement alléger la charge des caisses de retraite, une idée à suivre serait de cesser de réduire constamment leur personnel. De nouveaux schémas d'emplois permettraient de recruter de nouveaux agents pour aider les caisses à gérer toutes les démarches nécessaires – en tout cas si l'on accepte de prendre en compte la démographie vieillissante de notre pays et l'afflux dans les parcours de retraite.
Enfin, vous avez évoqué le risque de déresponsabilisation ou de changement de comportement des assurés si on leur donne un droit supplémentaire. Rien n'établit qu'il en sera ainsi. En l'occurrence, ce droit supplémentaire, c'est un bouclier social contre des situations dangereuses. Il sert à protéger les plus fragiles – des polypensionnés, des carrières hachées, des gens en rupture avec l'administration. Il s'agit d'éviter les ruptures de ressources pour des personnes qui se trouvent souvent dans des situations précaires et dont les dossiers sont, de fait, complexes. La mesure que nous proposons est tout à fait adaptée pour accompagner ces assurés et non, comme vous le sous-entendez, pour déréguler à outrance notre système de retraite.
Madame Loir, vous avez exprimé la crainte que cette proposition de loi mette en danger les retraités. Il s'agit, au contraire, d'accompagner les plus fragiles, en travaillant à hauteur d'assuré, en remettant de l'humain, de la proximité et du pragmatisme dans notre système de retraite. Ce texte permettra d'offrir une pension provisoire à ceux qui ont cotisé toute leur vie, qui ont travaillé dur mais qui, au moment fatidique et symbolique où ils devraient jouir pleinement d'une retraite bien méritée, se retrouvent sans ressources. Ce texte, loin de pénaliser qui que ce soit, est un outil d'accompagnement, qui consolide les dispositions du décret de 2015, dans une logique de simplification des démarches des assurés, lesquels se trouvent parfois dans une situation difficile face à l'administration.
Monsieur Turquois, vous avez exprimé des craintes au sujet du mode de calcul de la pension temporaire. Nous examinerons un amendement qui permettra d'éclaircir cette question. J'y ai travaillé à la suite des auditions, d'où sont ressorties quelques préconisations. Ce que nous avions proposé à l'origine n'était pas tout à fait adapté, je l'assume parfaitement. Nous avons donc décidé d'affiner le dispositif par voie d'amendement, dans une logique constructive, au service des assurés, car tel est le sens de notre travail de législateur. Nous proposons de ne pas se fonder sur des simulations réalisées à taux plein, mais sur une estimation indicative globale en fonction de l'âge effectif du départ à la retraite, afin que le montant versé soit plus adapté aux droits de l'assuré.
Article 1er : Instauration d'une pension temporaire dès le mois suivant l'entrée en jouissance de la pension
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS20 et AS21 de Mme Mélanie Thomin.
Amendement AS15 de Mme Mélanie Thomin.
Je vous propose de fixer le délai minimal entre le dépôt de la demande de liquidation et la date de départ à la retraite non plus à un mois, mais à deux mois civils. Cet amendement, issu des travaux préparatoires, est complémentaire de l'amendement AS14, qui tend à donner aux caisses la possibilité de vérifier si les conditions d'éligibilité au départ à la retraite sont respectées. Il s'agit d'éviter les risques d'indu pour une catégorie très spécifique de personnes qui peuvent penser à tort qu'elles sont en droit de bénéficier d'un départ anticipé à la retraite, pour carrière longue ou inaptitude par exemple, et qui se voient opposer un refus de liquidation de leur pension. Allonger le délai prévu n'est absolument pas un renoncement, mais une condition pour que le bouclier social que nous vous proposons d'instaurer s'applique de façon satisfaisante.
Pourquoi choisir un délai de deux mois, plutôt que trois ou quatre ? Notre ambition est inchangée : il s'agit de limiter le plus possible les situations de rupture de ressources que subissent, je le rappelle, plusieurs dizaines de milliers de retraités. Il faut pour cela prévoir un délai aussi court que possible. Selon la Cnav, le délai moyen de traitement des dossiers s'élève à soixante-dix jours. Un délai de deux mois signifie donc que la plupart des dossiers, en tout cas les plus simples, auront pu être traités avant le début du versement de la pension et que les personnes concernées toucheront donc leur pension définitive.
Nous recentrerons ainsi la pension temporaire sur son cœur de cible, c'est-à-dire les dossiers complexes et ceux ne pouvant pas bénéficier de la garantie de versement. Une autre raison est d'ordre technique : selon la DSS, le délai moyen dans lequel les agents des caisses de retraite vérifient la recevabilité des demandes est compris entre un et deux mois. Cet amendement donnera donc aux caisses de retraite tout le temps nécessaire pour réaliser leur contrôle de recevabilité dans des conditions satisfaisantes.
Notre groupe est défavorable à cet amendement. Nous n'avons pas dû entendre la même chose, lors de l'audition des organismes de retraite. Tous nous ont dit qu'un délai raisonnable serait de quatre à six mois et qu'une telle proposition de loi enverrait aux Français un très mauvais signal, alors que les caisses de retraite communiquent depuis longtemps sur la nécessité d'anticiper au maximum.
Hier encore, vous nous disiez que tout Français qui en ferait la demande pourrait obtenir une retraite provisoire un mois seulement après fait sa demande. Aujourd'hui, vous proposez deux mois. C'est toujours insuffisant. Je rappelle que le décret de 2015, qui a été pris par un gouvernement socialiste et qui est un bon texte, prévoit que la demande de liquidation doit avoir été déposée au moins quatre mois civils avant la date d'entrée en jouissance. Un délai de deux mois ne serait pas raisonnable.
Je m'interroge également sur ce délai. Il faut que les dossiers soient complets : des demandes sont refusées parce que les personnes ne remplissent pas les conditions. Ne pensez-vous pas qu'on risque de créer une confusion ? D'après ce que m'a dit la Carsat des Hauts-de-France, un délai de quatre mois semble préférable pour apporter une réponse appropriée aux administrés. Rien ne serait pire que s'imaginer pouvoir jouir de sa retraite, quitter son travail et, après examen du dossier, s'entendre signifier un refus et se retrouver dans la situation inextricable de ne plus avoir de salaire et pas encore de retraite.
Je rejoins M. Christophe : c'est exactement ce que les représentants de la Cnav nous ont dit. La personne qui pose sa démission mais n'a en réalité pas encore le droit de prendre sa retraite se retrouvera sans aucune indemnité.
J'entends l'idée que la liquidation de la retraite devrait se faire le plus rapidement possible, mais c'est une décision qu'on ne prend normalement qu'une fois dans sa vie. Tous ceux qui, dans mon entourage, ont pris leur retraite ont fait leurs démarches plusieurs mois à l'avance, pour réfléchir à la date et éventuellement au montant qu'ils percevraient – dans ce domaine, on est plus souvent déçu qu'agréablement surpris. Inviter les gens à anticiper, faciliter leur information pour qu'ils fassent leur choix en toute connaissance de cause, me paraîtrait plutôt une bonne idée. Raccourcir le délai risque, au contraire, de les envoyer dans un corner dont ils ne pourront peut-être pas sortir. Au lieu de faciliter les choses, ce que vous proposez peut conduire à un danger dans certaines situations. Enfin, pourquoi demander à l'administration de rattraper le retard pris par la personne dans sa déclaration ? Pourquoi ne pas demander plutôt aux gens d'anticiper ? On pourrait ainsi concilier les démarches personnelles avec les impératifs de traitement des dossiers et de vérification de l'administration. Je voterai contre cet amendement.
Avec cet amendement, quelqu'un qui déposerait son dossier deux mois avant la date de départ souhaitée aurait le droit de toucher une pension temporaire. Selon la DSS, la durée moyenne de traitement des dossiers est de deux mois. Ça colle !
C'était effectivement notre réflexion.
Il faut bien distinguer deux choses. S'agissant de la recevabilité des dossiers d'abord, le délai moyen de traitement est actuellement de soixante-dix jours. Les caisses ont l'objectif de passer à soixante-cinq, et la DSS indique que cet examen prend, en moyenne, entre un et deux mois. La question du calcul du montant de la pension, c'est autre chose. Il peut prendre davantage de temps dans certains cas. C'est là que la pension provisoire que nous proposons prend tout son sens : dès lors que l'on a garanti à la caisse de retraite que le dossier était recevable, c'est-à-dire que la personne peut bien partir à la retraite, on peut légitimement enclencher le processus de versement d'une pension provisoire. Cela laisse à la caisse de retraite le temps de procéder au calcul du montant de la pension.
Par ailleurs, nous partons du principe que les assurés sont, dans une très large majorité, responsables : ils préparent leur départ à la retraite, ils anticipent un minimum. C'est le principe de la confiance républicaine, et cela n'a rien de contraire à ce que nous proposons.
Se pose, malgré tout, la question de la complexité de certains dossiers, contre laquelle on ne peut pas lutter même si on a anticipé son départ à la retraite. Des personnes qui ont fait une partie de leur carrière à l'étranger seront victimes de cette injustice qui consiste à ne pas pouvoir toucher sa pension dès le premier jour, parce qu'il faut du temps pour tout compiler et mettre en ordre le dossier avant de pouvoir évaluer le montant de la pension.
À cela s'ajoute la question des dépôts tardifs, au sujet de laquelle je dois dire que nous avons eu quelques difficultés à collecter des chiffres précis. Les dossiers concernés correspondent, dans une grande majorité, à des publics fragiles : ce sont des gens qui vivent dans la précarité, qui ont eu des carrières hachées, qui ont très certainement des revenus modestes ou qui sont en situation de rupture avec l'administration. Je considère qu'il est de notre responsabilité, en tant que parlementaires, de proposer des solutions pour donner plus de garanties à cette partie de la population qui, sinon, ne demandera pas à bénéficier de ses droits et restera, sans aide concrète, dans le trou noir de la précarité. Le dispositif que nous proposons a une utilité dans ce contexte précis.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel AS22 de Mme Mélanie Thomin.
Amendement AS14 de Mme Mélanie Thomin
Cet amendement sera également très utile. Il vise à répondre à une interrogation légitime qui a été formulée par les caisses de retraite lors des auditions. Selon les données fournies par la Cnav, 9 % des dossiers déposés en 2023 ont abouti à un refus de liquidation, principalement car les personnes concernées avaient tort de penser qu'elles pouvaient partir à la retraite. L'application du dispositif de pension temporaire à ces assurés conduirait à un risque d'indu élevé, qui se traduirait par une obligation de remboursement de sommes parfois importantes. Pour neutraliser ce risque, dont nous sommes bien conscients, l'amendement précise que le bénéfice de la pension temporaire n'est ouvert qu'aux assurés qui remplissent effectivement les conditions permettant le départ à la retraite.
Les caisses procéderont en priorité à l'examen de la recevabilité des demandes. Une fois la recevabilité établie, la personne concernée pourra bénéficier de la pension temporaire, dans l'attente du calcul du montant de la pension définitive. Selon la DSS, je l'ai dit, il faut en moyenne un ou deux mois pour procéder à l'examen de la recevabilité, et c'est la raison pour laquelle nous avons proposé un délai adéquat.
Le principal problème, je l'ai déjà dit, ce sont les dossiers incomplets. Si un dossier est complet et recevable, pourquoi prévoir de verser une pension temporaire, et non pas la pension effectivement due ?
Vous avez parlé d'un délai de soixante-dix jours, mais il s'agit de jours ouvrés : ce sont donc plutôt trois mois et demi que deux mois. Puisque l'administration vous dit qu'il lui faut ce délai pour traiter un dossier, comment voulez-vous qu'elle le fasse en un ou deux mois ? Votre intention est louable, mais le dispositif que vous proposez me semble inopérant. Encore une fois, un dossier incomplet ne donnera pas droit à la pension temporaire que vous proposez, et un dossier complet entraîne le versement de la pension définitive.
Effectivement, les caisses de retraite continueront d'avoir besoin d'un dossier complet pour juger de la recevabilité des demandes. Si le dossier est complet, elles pourront liquider la pension ; quant aux dossiers incomplets, ceux qui posent problème actuellement, ils ne seront toujours pas traités. On aura donné l'impression d'avoir créé un droit mais, dans les faits, on aura juste rendu le système encore plus complexe.
C'est exactement cela : on donne l'impression de créer un droit, mais on complexifie le système. Vous écrivez dans votre exposé sommaire, madame la rapporteure, que 9 % des dossiers sont rejetés parce que les personnes concernées n'ont pas atteint l'âge de la retraite, mais ce n'est pas ce qu'a dit la Cnav ! Elle nous a dit que ces 9 % de gens qui pensent pouvoir partir à la retraite n'y ont en fait pas droit, pas forcément à cause de leur âge : ils peuvent n'avoir pas travaillé assez longtemps, ou sans avoir été déclarés. Vous détournez les propos de la Cnav. Ce que vous proposez n'est rien d'autre que ce qui existe déjà : il faudra toujours reconstituer leur carrière, et deux mois n'y suffiront pas. Nous ne sommes pas favorables à cet amendement.
Il faut distinguer l'examen de la recevabilité de la demande et le calcul de la pension : ce sont deux choses différentes, qui ne prennent pas le même temps. Par ailleurs, les chiffres de la Cnav que j'ai évoqués m'ont été transmis par écrit et ne sont pas contestables.
L'examen de recevabilité permet de vérifier si la personne est éligible à un départ en retraite. Pour prendre l'exemple du régime général, toute personne est fondée à demander sa retraite dès lors qu'elle respecte la condition d'âge, qu'elle a validé ne serait-ce qu'un trimestre et qu'elle cesse son activité professionnelle. Toute personne qui a travaillé dans sa vie a le droit de demander sa retraite, peu importe le nombre d'années travaillées et le montant de la pension. Le directeur de la Cnav nous a bien dit que, même si une personne ne doit toucher que 7,60 euros, cette somme lui est due.
Le calcul de la pension définitive, quant à lui, est beaucoup plus complexe, car il faut s'assurer que l'on a tous les éléments permettant de reconstituer la carrière des assurés. C'est une autre opération, plus longue et plus complexe que l'examen de recevabilité.
Mon amendement permet d'écarter les risques d'indus tout en conservant l'intérêt du bouclier social introduit par cette proposition de loi.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS13 de Mme Christine Loir
Nous proposons de limiter le versement de cette pension temporaire à 70 % de l'estimation de son montant, afin d'éviter à tout prix que les retraités s'endettent. Il est évident qu'en ne prenant en compte que les derniers mois de salaire, le montant de la pension sera surestimé.
Votre proposition veut répondre à un problème soulevé lors des auditions, à savoir le risque d'indus qui existe si le montant de la pension temporaire est surestimé, voire si elle est versée à des personnes qui ne sont pas éligibles au départ en retraite. Toutefois, votre amendement ne règle pas ce problème à la source mais cherche simplement à en diminuer les effets. Ce n'est pas l'option que nous avons choisie.
Avec l'amendement AS14, qui permet de vérifier la recevabilité de la demande de liquidation avant de verser la pension temporaire, celle-ci ne pourra plus être versée aux personnes qui pensaient à tort pouvoir partir à la retraite et dont la demande de liquidation est refusée. Pour prendre en compte la situation des personnes qui partent avec une décote, je présenterai un amendement dans quelques instants qui modifie la base de calcul du montant de la pension temporaire et qui supprime la référence au taux plein.
Pour ces raisons, je suis défavorable à votre amendement.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS16 de Mme Mélanie Thomin
Les caisses de retraite ont appelé notre attention sur le risque d'indus liés à la surestimation du montant de la pension temporaire par rapport à celui de la pension définitive. Dans la rédaction actuelle du texte, le montant de la pension temporaire est calqué sur la pension définitive que l'assuré pourrait toucher à condition d'avoir le taux plein. Les personnes qui partent avec une décote pourraient donc avoir à rembourser des indus, ce qui aurait un effet déceptif.
Mon amendement vise à affiner les modalités de calcul de la pension temporaire pour la rapprocher le plus possible de la pension définitive. Concrètement, la pension temporaire serait basée sur les estimations correspondant à l'âge auquel l'intéressé procède à sa demande de liquidation. De ce fait, la pension temporaire ne serait plus basée sur l'hypothèse d'un départ au taux plein : si la personne part à la retraite à 64 ans, on prendra pour référence le montant estimé de sa retraite à cet âge, pareil si elle part à 65 ans, et ainsi de suite. En supprimant la référence au taux plein, on limite drastiquement les risques d'indus.
Lors de l'examen du projet de loi instituant un système universel de retraite, nous nous sommes aperçus qu'il n'y a pas 1 % des Français qui sont capables de calculer le montant de la pension de retraite qu'ils vont toucher. C'est un scandale. On devrait au moins avoir un ordre de grandeur. Notre système comporte des régimes différents, des modes de calcul par points et par trimestres, des décotes...
Or votre amendement va ajouter une couche de complexité. On va aboutir à des montants que personne ne comprendra et qui susciteront certainement des tensions. Et je pense qu'il n'évitera pas les indus. Il faut simplifier notre système de retraite, faire en sorte qu'un travail et un salaire donnés ouvrent des droits homogènes et clairement identifiés. Ce qui crée de la défiance chez nos concitoyens, c'est qu'ils ne comprennent pas les règles de calcul, parce qu'elles sont totalement absconses, y compris pour nous qui avons travaillé des semaines et des semaines sur le sujet !
C'est vrai, monsieur Turquois, notre système de retraite est particulièrement complexe, mais il n'est pas tout à fait exact que les assurés n'ont aucune idée du montant de la pension qu'ils toucheront, puisqu'une estimation indicative globale leur est adressée – c'est une obligation légale.
La fixation du montant de la pension temporaire nécessitera certes un ajustement opérationnel pour les caisses, mais l'essentiel, pour nous, c'est d'éviter que certains de nos concitoyens se retrouvent sans ressources, au moment où ils pourraient jouir de leur retraite.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS6 de M. Laurent Panifous
Le passage de la vie active à la retraite est souvent synonyme de fragilité et de précarité, surtout pour nos concitoyens les plus modestes. Cette proposition de loi va donc dans le bon sens. Afin d'adoucir encore cette période de transition, je propose que les futurs retraités soient informés à l'avance du montant de la pension temporaire qui leur sera versée.
Il paraît effectivement très important que les assurés soient informés du montant de leur future pension temporaire. Un peu plus de la moitié des nouveaux retraités n'évaluent pas, ou mal, le montant de leur pension. Cela s'explique par la complexité de notre système de retraite, mais aussi par l'insuffisance des dispositifs de droit à l'information des assurés. Votre amendement me semble très pertinent et complémentaire de celui que je défendrai un peu plus tard, qui vise à renforcer le droit à l'information des assurés grâce à l'estimation indicative globale.
Avis favorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle rejette successivement les amendements rédactionnels AS23, AS24, AS25 et AS26 de Mme Mélanie Thomin.
Amendement AS5 de M. Hadrien Clouet
Plusieurs de nos collègues nous ont dit vouloir davantage de simplicité : voilà un amendement qui va les satisfaire.
On l'a dit, parce que les caisses de retraite manquent de moyens et de personnel, elles ont bien du mal à traiter toutes les demandes qui leur sont adressées dans les temps. Actuellement, en cas de retard, il faut saisir la commission de recours amiable de la Cnav, qui met elle aussi beaucoup de temps à traiter les dossiers. Nous proposons qu'un assuré n'ayant pas reçu sa pension temporaire dans un délai de deux mois après la date d'entrée en jouissance puisse saisir le juge judiciaire en référé. Passer par le juge judiciaire permettrait de trancher ces décisions beaucoup plus vite. Je pense qu'une telle disposition est de nature à rassurer tous nos collègues quant à cette proposition de loi dont nous soutenons et l'esprit et la lettre.
Votre amendement me semble apporter une garantie supplémentaire intéressante. La procédure de référé que vous proposez me semble répondre à des conditions d'éligibilité satisfaisantes. Elle ne serait ouverte que deux mois après la date prévue d'entrée en jouissance, ce qui laisse aux caisses le temps de procéder au versement de la pension temporaire.
Avis favorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle rejette successivement les amendements rédactionnels AS27, AS28, AS29, AS30, AS31, AS32 et AS41 de Mme Mélanie Thomin.
Amendement AS17 de Mme Mélanie Thomin
Cet amendement, comme celui qui suit, a pour objet d'améliorer la fiabilité de l'estimation indicative globale sur deux points essentiels.
Premièrement, il prévoit une obligation de conservation de l'estimation indicative globale par les caisses de retraite. Il s'agit de ne plus faire porter à l'assuré la responsabilité de fournir ce document qui lui a été transmis par la caisse de retraite. C'est une mesure de simplification, qui doit également empêcher toute falsification de ce document.
Deuxièmement, l'amendement propose de réduire le délai de mise à jour des estimations indicatives globales de cinq à deux ans. Avec un tel délai, une personne qui déciderait de partir à la retraite à 64 ans pourrait voir le montant de sa pension temporaire calculé sur la base d'une estimation datant d'un an seulement, contre près de quatre ans aujourd'hui. Tout en renforçant le droit à l'information de l'assuré, une telle évolution réduirait le risque d'indu lié à une surestimation du montant de la pension temporaire. En effet, plus l'estimation est proche du départ, plus elle est fiable.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS19 de Mme Mélanie Thomin
Il s'agit de préciser le contenu de l'estimation indicative globale, qui doit présenter à l'assuré les montants de retraite estimés pour un départ chaque année, jusqu'à l'âge d'annulation de la décote. Par exemple, si l'estimation indicative globale est établie pour un assuré qui a 64 ans, alors elle devra présenter le montant de retraite estimé pour chacune des hypothèses d'un départ à 64 ans, 65 ans, 66 ans ou 67 ans, âge d'annulation de la décote. Cet amendement vise simplement à consolider ce qui se fait actuellement, mais qui est uniquement prévu par voie réglementaire.
L'estimation indicative globale, que l'on peut par exemple obtenir sur le site info-retraite.fr, est calculée sur la base des éléments qui sont connus des caisses de retraite. Si ces éléments ne sont pas transmis au préalable, l'estimation n'est plus valable. On ne peut pas s'appuyer sur ce document, sous peine de mettre tout le système en difficulté. C'est un non-sens et je suis absolument défavorable à cet amendement.
Je rappelle que les caisses de retraite ont l'obligation légale de transmettre cette évaluation indicative globale aux assurés. Il est donc tout à fait naturel que cette information parvienne à l'assuré en bonne et due forme.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle rejette successivement les amendements rédactionnels AS33, AS34, AS35, AS36, AS37, AS38, AS39 et AS40 de Mme Mélanie Thomin.
Elle rejette ensuite l'article 1er.
Après l'article 1er
Amendement AS18 de Mme Mélanie Thomin
Cet amendement répond à une demande formulée par les caisses de retraite. L'article 99 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoyait un dispositif permettant aux organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale, du recouvrement des cotisations de sécurité sociale ou du service des allocations et prestations sociales, aux caisses assurant le service des congés payés, à Pôle Emploi – devenu France Travail – et aux administrations de l'État de se communiquer les renseignements, données ou documents nécessaires pour assurer aux personnes le bénéfice de leurs droits ou pour permettre le versement de prestations sociales.
Il s'agissait plus particulièrement de permettre la transmission de coordonnées bancaires, telles que le relevé d'identité bancaire, élément indispensable au versement des pensions de retraite. Cet article, porté par le rapporteur général de la commission des affaires sociales de l'époque, a été censuré par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier social. Il est proposé de l'intégrer à cette proposition de loi, dont il permet de renforcer l'opérationnalité.
La commission rejette l'amendement.
Article 2 : Gage de recevabilité
La commission rejette l'article 2.
La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l' ensemble de celle-ci est rejeté.
La séance est suspendue de dix-huit heures vingt-cinq à dix-huit heures trente.
La commission examine ensuite la proposition de loi visant à instaurer la semaine de quatre jours pour les bénévoles (n° 2065) (M. Bertrand Petit, rapporteur).
Alors que notre pays a fait face à de multiples crises au cours des dernières années, les associations ont joué un rôle essentiel dans la préservation du lien social et l'aide aux personnes en difficulté, en complément de l'action publique. Avec près de 1 300 000 associations actives, la France a besoin de bénévoles pour faire vivre un tissu riche et essentiel à la vie de tous nos territoires. Aujourd'hui, ce sont plus de 13 millions de Français qui s'engagent. Malgré un net recul de ce chiffre pendant la crise sanitaire, le nombre de bénévoles est revenu à son niveau de 2019 et ne constitue pas une source d'inquiétude pour le mouvement associatif, notamment grâce à une hausse de l'engagement des jeunes. En revanche, on observe un net recul de la participation bénévole des plus de 65 ans, en baisse de 13 points depuis 2010, et de celle des personnes âgées de 50 à 64 ans, en recul de 7 points. C'est d'autant plus dommageable que les retraités fournissent bien plus d'heures que les actifs. Cela pourrait conduire, à terme, à la disparition de certaines associations.
Dans le même temps, il apparaît – et cela a été largement confirmé lors des Assises du travail – que nos concitoyens cherchent à donner du sens à leur vie, dans le cadre du travail et à côté. Tout le monde s'accorde ainsi sur la nécessité de repenser nos organisations de travail, ce qui peut se traduire, pour certains, par la mise en place d'une semaine de quatre jours. D'après un récent sondage, 77 % des actifs se disent d'ailleurs favorables à une organisation de travail à temps plein sur quatre jours.
Si des expérimentations ont déjà lieu dans des entreprises, des structures associatives ou des collectivités publiques, il n'existe pas de cadre juridique uniforme au niveau national pour inciter les employeurs à libérer du temps pour leurs salariés. Pourtant, là où la semaine de quatre jours a été introduite, ceux qui en bénéficient utilisent le temps libéré notamment pour s'engager bénévolement. Ce constat très clair nous a été fourni par la métropole de Lyon, qui a adopté une telle organisation pour ses salariés.
Notre rôle de législateur est d'accompagner cette volonté forte d'adapter le travail et de permettre sa conciliation avec un engagement en faveur du lien social ou d'une cause. L'objectif de la proposition de loi que je vous présente n'est pas de remettre à plat les règles concernant la durée et l'organisation du travail. Ces principes découlent de lois anciennes, au fondement de notre droit du travail, et leur modification mérite une réflexion approfondie. Mais je crois que nous pouvons nous accorder sur l'urgence qu'il y a à soutenir le monde associatif, aux côtés de l'action de la puissance publique.
L'exercice de missions bénévoles ne bénéficie que d'une reconnaissance limitée dans le code du travail. Le congé d'engagement associatif constitue le principal dispositif pour libérer du temps aux salariés qui participent à la vie d'une association. Il apparaît cependant trop restreint : il s'adresse uniquement aux responsables associatifs – qui plus est, pour les seules associations d'intérêt général – et n'octroie aux salariés qu'un congé de six jours par an, éventuellement fractionnable en demi-journées. Au demeurant, sauf accord collectif plus favorable, ce congé n'est pas rémunéré. Il en va de même pour les agents publics.
La proposition de loi visant à soutenir l'engagement bénévole et simplifier la vie associative, rapportée par Quentin Bataillon au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, apporte quelques avancées, mais sa portée demeure trop limitée. Il est temps de prendre une mesure forte en faveur de nos associations qui ont avant tout besoin de s'assurer de l'engagement de leurs bénévoles, pour des missions qui répondent à leur quête de sens au quotidien.
La présente proposition de loi ne bouleverse ni les règles actuelles en matière d'organisation du travail, ni la relation entre l'employeur et le salarié.
Il est aujourd'hui possible, à l'image d'entreprises comme LDLC ou de collectivités comme la métropole de Lyon, d'introduire par accord d'entreprise, pour tous les salariés qui le souhaitent, la semaine de quatre jours, avec ou sans réduction du temps de travail. Il est également possible pour les branches de négocier sur ce sujet, mais force est de constater qu'aucune d'entre elles, selon la direction générale du travail, ne l'a fait.
En dehors de la négociation collective, réservée essentiellement aux entreprises de plus de cinquante salariés, le droit actuel peut apparaître très complexe pour des très petites, petites et moyennes entreprises qui n'ont pas la capacité de négocier un accord collectif relatif à la semaine de quatre jours. Il est en effet impossible pour l'employeur, à l'exception de rares secteurs où des dispositions réglementaires le prévoient, de mettre en place unilatéralement, même à la demande des salariés, la semaine de quatre jours.
Par ailleurs, la proposition de loi ne cherche pas à déstabiliser des organisations. La meilleure des solutions reste toujours la recherche d'un compromis entre nécessités liées à l'entreprise et volonté du salarié de libérer du temps. Néanmoins, la création d'un droit nouveau pour le salarié permettra de mettre à l'ordre du jour des négociations une nouvelle organisation du travail.
L'article 1er ouvre en effet un droit opposable à la semaine de quatre jours pour les salariés exerçant des missions de bénévolat. Sont concernés les salariés bénévoles et volontaires dans des associations et des fondations d'utilité publique déclarées depuis au moins un an. Je vous proposerai dans la discussion de limiter aux seuls bénévoles le bénéfice de ce dispositif, dès lors qu'il n'est pas dans l'intention du texte de favoriser le cumul d'un emploi salarié et d'un contrat de bénévolat.
En application de ce nouveau droit, le salarié éligible peut demander un aménagement de son temps de travail jusqu'à une organisation en quatre jours, qui constitue une borne maximale. La définition de cette organisation résultera d'une discussion avec l'employeur. Pour de nombreux salariés, une simple flexibilité de quelques heures d'un jour à l'autre suffira à mieux concilier vie professionnelle et engagement bénévole. Un amendement précisera ce point, tout comme la nécessité pour le salarié de présenter un justificatif à son employeur. Au cours de nos auditions, notamment avec les représentants de l'administration, il est en effet apparu qu'un formalisme, même limité, serait à même de sécuriser davantage le dispositif.
J'entends cependant les craintes des organisations syndicales quant aux risques pour la santé des salariés et il me semble important de préciser dans la loi que les services de prévention seront associés à la bonne mise en œuvre de la semaine de quatre jours.
L'article 2 reprend pour l'essentiel ces dispositions pour les agents publics en les adaptant au droit régissant l'organisation de leur travail, à une exception notable : la demande du salarié pourra être refusée pour assurer la continuité du service. C'est à la fois par nécessité de préserver le service public et par souci de se conformer au principe constitutionnel de sa continuité que cette précision me semble essentielle. En outre, je me félicite qu'un travail plus large sur la semaine en quatre jours puisse être entrepris dans la fonction publique : c'est la preuve que le dispositif que je défends est adapté à la situation actuelle.
Alors que nous nous retrouvons tous sur la nécessité de faire vivre notre tissu associatif, l'heure est venue d'engager une politique volontariste en faveur de son développement. J'espère que nous pourrons nous rejoindre sur cette proposition de loi, qui marque une étape importante dans la recherche d'une meilleure conciliation entre vie professionnelle et engagement associatif. Elle nous donne l'occasion d'envoyer un signal fort à ceux dont nous reconnaissons tous qu'ils sont indispensables à la vie et à l'attractivité de nos communes, petites ou grandes. Ne tremblons pas, soyons au rendez-vous pour eux.
Votre proposition d'instaurer la semaine de quatre jours pour les bénévoles part d'un bon sentiment. Vous voulez soutenir l'engagement des personnes actives en leur permettant de concilier vie professionnelle et action bénévole. Nous sommes tous convaincus du rôle essentiel que joue le secteur associatif dans notre pays et des bienfaits de l'engagement associatif pour nos concitoyens. Le monde associatif irrigue l'ensemble de notre territoire, favorise la participation citoyenne et l'action collective.
Depuis 2017, le Gouvernement et la majorité ont pris des mesures significatives en faveur du monde associatif, telles que la protection juridique des dirigeants et la forte augmentation des moyens dédiés au fonds pour le développement de la vie associative. La proposition de loi Quentin Bataillon, adoptée récemment en première lecture, propose d'élargir le compte d'engagement citoyen, qui offre aux salariés la possibilité de prendre des jours de congé pour exercer leur fonction bénévole quand ils exercent une fonction de direction, et demande au Gouvernement de rendre un rapport analysant, entre autres, la possibilité d'instaurer une semaine sur quatre jours pour les salariés bénévoles.
Au-delà de la question du bénévolat, c'est une réflexion beaucoup plus globale sur la réorganisation du travail qui fait son chemin en France, entre bien-être des salariés et attractivité des entreprises. En février 2023, Gabriel Attal, alors ministre des comptes publics, a introduit la semaine sur quatre jours dans son ministère. Il a remis ce sujet sur la table lors de sa déclaration de politique générale et demandé à l'ensemble des ministres de faire le test dans leur administration centrale et déconcentrée. Des collectivités territoriales et des institutions publiques mènent une expérimentation de leur côté, dont la métropole de Lyon, que vous avez auditionnée. La directrice générale des services a d'ailleurs recommandé de prendre du temps pour l'évaluation : elle envisage un premier bilan fin 2024. Une mission d'information vient par ailleurs d'être confiée par l'Assemblée nationale à Stéphane Viry et Paul Christophe sur ce thème.
Attendons le résultat des évaluations des différentes expérimentations et le rapport de la mission. Parce que nous manquons de données et que votre proposition paraît un peu prématurée, le groupe Renaissance votera contre ce texte.
Dans chaque ville, les associations et les bénévoles œuvrent dans l'ombre pour apporter soutien, réconfort et assistance à ceux qui en ont le plus besoin. Ces personnes, poussées par un sentiment profond de solidarité, forment le socle de la vitalité de nos territoires et incarnent les principes les plus nobles de la République. Je pense que nous sommes d'accord sur ce constat, tout comme sur le besoin de leur venir en aide, notamment en leur permettant de concilier au mieux leur engagement associatif et leur vie professionnelle.
Toutefois, je suis convaincu que les solutions que vous avancez ne constituent pas le meilleur moyen d'atteindre cet objectif. Ma réserve se fonde principalement sur deux motifs.
D'abord, votre texte impose des contraintes excessives aux employeurs. L'instauration d'un droit opposable pour le salarié de réduire sa semaine de travail à quatre jours, sans possibilité de refus par l'employeur et en ne laissant à celui-ci qu'un mois pour adapter l'organisation du travail, est irréaliste. Remplacer un employé ou réorganiser un service demande plus de temps – une réalité qui semble être méconnue dans ce texte. Ces mesures sont encore plus contraignantes pour les très petites entreprises (TPE) et illustrent parfaitement la déconnexion de la proposition de loi d'avec le fonctionnement réel de ce type d'entreprises. Comment expliquerez-vous à un artisan ou à un commerçant qui emploie une poignée de salariés qu'il sera désormais contraint de se passer d'une partie d'entre eux un jour par semaine ?
Ensuite, outre créer des contraintes, vos mesures ouvrent la porte à des abus en tous genres. Demain, tout salarié pourrait rejoindre une association et imposer à son employeur la semaine de quatre jours sans que ce dernier puisse refuser ni même contrôler la légitimité de sa demande. Ce n'est ni acceptable, ni souhaitable. De surcroît, cela risquerait d'inciter à une discrimination à l'embauche à l'encontre des personnes engagées dans le bénévolat, aggravant un peu plus le clivage entre l'engagement associatif et la vie professionnelle.
En l'état, ce texte crée trop de risques et de contraintes pour être sérieusement envisagé. Il devra profondément évoluer lors de ces débats pour obtenir les voix du groupe Rassemblement national.
À première vue, on ne peut que soutenir un texte proposant la semaine de quatre jours : travailler moins, c'est le sens de l'histoire. Mais en se penchant sur le détail, on comprend qu'il s'agit surtout de comprimer la semaine en quatre jours, avec des journées de neuf heures, afin de promouvoir le bénévolat. C'est bien différent !
En clair, cette proposition ne vise pas à réduire le temps de travail des salariés. Elle implique de lourdes conséquences pour les travailleurs : intensification des rythmes, hyperconnexion, risques psychosociaux, autant de menaces pour la santé et la sécurité des salariés. Elle impose aussi une organisation du travail difficilement compatible avec une vie familiale, en particulier pour les femmes puisque, hélas, une grande part du travail domestique leur incombe. L'expérimentation de la semaine en quatre jours proposée aux agents de l'Urssaf de Picardie n'a convaincu qu'une poignée de salariés, et pour cause : elle supposait des journées de neuf heures. Ce fut un flop, seuls trois agents sur deux cents ayant accepté.
Plutôt que la semaine de quatre jours sans réduction de travail, nous défendons les 32 heures sans perte de salaire, grâce à l'augmentation du taux horaire. Alors que les gouvernements ne cessent de s'attaquer au temps libéré, autorisant le travail le dimanche ou repoussant l'âge de la retraite à 64 ans, il est temps de réduire véritablement le temps passé au travail. Pour cette raison, nous défendons la retraite à 60 ans, la fin du détournement de la durée légale par la braderie des heures supplémentaires et la sixième semaine de congés payés.
La réduction du temps de travail est une mesure émancipatrice, gage d'une meilleure répartition de l'emploi, et une mesure écologique. Tel n'est pas le cas de la proposition de loi qui nous est soumise. Celle-ci nous donne toutefois l'occasion d'ouvrir un débat dont nous nous réjouissons.
L'engagement associatif change : en baisse chez les seniors, il est plus vivace chez les jeunes, bien que plus ponctuel – en somme, il évolue avec la société. Vous semblez penser qu'un meilleur engagement des bénévoles passerait nécessairement par un aménagement du temps de travail. Je m'interroge donc sur l'activité à laquelle vous donnez la priorité : travail, ou bénévolat ? Sur ce plan, je trouve que votre idée est discutable car elle concourt au délitement progressif du rapport au travail que l'on observe. Un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle est important, mais cela doit-il conduire à déposséder l'employeur de son rôle de chef d'entreprise par la création d'un droit opposable aux entreprises ?
La semaine « en » quatre jours, expression qui correspond mieux à ce dont vous parlez que la semaine « de » quatre jours, nécessite, comme tout autre aménagement du temps de travail, des changements d'organisation qui peuvent être difficiles à déployer selon les équipes et les secteurs d'activité. Les diverses expérimentations de la semaine en quatre jours n'étant pas toujours concluantes, l'automaticité ne peut pas être la règle. De plus, comment s'adapteraient les entreprises dont l'activité s'appuie sur une forte interdépendance entre les salariés, ou qui comptent très peu de salariés ?
Un autre aspect de votre texte me dérange : on ne peut décemment mettre sur le même plan le président d'une association de dix membres sans aucun salarié et celui d'une association de 500 membres avec plusieurs sections. Ce n'est clairement pas la même charge.
Plus que d'une question de temps, le désengagement ou l'absence d'engagement peut provenir d'un manque de connaissance des réseaux, des compétences à mobiliser, de ce qu'implique un engagement et même parfois de confiance en soi. Avant d'adopter vos mesures, nous devons améliorer l'existant en faisant connaître le congé d'engagement associatif et en donnant plus de consistance au compte d'engagement citoyen, que seules 340 000 personnes utilisent, soit 2,13 % des bénévoles en France.
Le groupe Démocrate ne peut pas soutenir votre proposition de loi.
Depuis 2017, le nombre de bénévoles associatifs est en chute libre. La suppression des contrats aidés ainsi que les différentes réformes menées par les gouvernements successifs ont plongé le monde associatif dans l'abîme. La dernière en date, la réforme des retraites, risque de fragiliser encore les associations, alors qu'elles sont un pilier essentiel de notre société.
Afin de répondre aux besoins croissants des associations, Bertrand Petit propose de créer un droit opposable à un aménagement du temps de travail pour les bénévoles. Ces derniers représentent 90 % des effectifs des associations et près de 600 000 équivalents temps plein. Une telle mesure permettrait de libérer jusqu'à une journée par semaine pour les salariés souhaitant s'engager dans une association. Ce dispositif devra garantir l'accompagnement des salariés et des entreprises, afin que ces dernières puissent conserver leur activité habituelle et se réorganiser en tenant compte de ce nouveau facteur.
L'objectif de ce texte est de favoriser l'engagement associatif. Nous sommes persuadés que notre pays a besoin de libérer du temps pour le bénévolat de ses citoyens, afin d'assurer une plus grande cohésion sociale. Nos associations en bénéficieront et les citoyens y sont favorables.
Plus largement, les associations, sur le terrain, doivent faire toujours plus avec des moyens humains et financiers en baisse constante. Donnons-leur l'oxygène dont elles ont tant besoin en leur permettant d'attirer plus de bénévoles : notre société en sortira gagnante.
Je ne peux vous cacher mes réflexions sur les enjeux liés à la semaine de quatre jours, étant moi-même missionné par la commission des affaires sociales, avec Stéphane Viry, pour en étudier les mythes et les réalités, les avantages et les inconvénients.
Le monde du travail a été bouleversé par l'évolution numérique et le sera davantage encore par l'intelligence artificielle. Au-delà des outils que nous utilisons, c'est notre rapport au travail qui a changé, nos concitoyens souhaitant que leur vie professionnelle et leur vie privée s'équilibrent mieux.
Avec la généralisation du télétravail, un fossé s'est creusé entre ceux qui peuvent le pratiquer, le plus souvent les cadres, et ceux qui ne le peuvent pas. La semaine de quatre jours est l'une des options possibles afin de permettre aux salariés de réaménager leur temps de travail. En France, plusieurs entreprises fonctionnent ainsi. Les expérimentations se multiplient, dans le public comme dans le privé, et sont même encouragées par le Premier ministre.
Votre proposition de loi aurait pour conséquence de créer un droit opposable à l'aménagement de son temps de travail pour le salarié exerçant des fonctions bénévoles. Si je comprends l'objectif de soutenir et valoriser l'engagement associatif, je m'interroge sur le moyen choisi. En effet, rien ne s'oppose aujourd'hui à ce qu'un salarié demande à son employeur un changement d'organisation de la sorte. Par ailleurs, je considère que la voie de la négociation collective est toujours la plus adaptée, pour les salariés comme pour les employeurs. Je ne voudrais pas que votre proposition réfrène certaines entreprises proches de passer le cap de l'expérimentation discutée et planifiée avec leurs salariés, d'autant que chacun reconnaît un besoin d'encourager et d'accompagner sur ce sujet, et donc de ne pas contraindre par la loi.
Aussi, monsieur le rapporteur, si je partage votre volonté de soutenir le mouvement associatif, je m'interroge sur le mode opératoire que vous proposez et les fragilités induites, que vous avez d'ailleurs partiellement identifiées à en juger par les amendements que vous avez déposés. À ce stade, j'émets donc un avis réservé sur ce texte.
Le groupe socialiste nous propose d'ouvrir la possibilité aux salariés du secteur privé d'aménager leur temps de travail afin de consacrer du temps à l'association dans laquelle ils sont bénévoles. Un salarié à temps plein pourrait ainsi concentrer ses 35 heures par semaine sur quatre jours.
Les associations sont un élément essentiel de notre tissu social ; 15 millions de bénévoles y travaillent. Je ne peux que rejoindre l'objectif du rapporteur de leur faciliter la vie, même si cela passe avant tout par des financements pérennes. En effet, comme l'a souligné notre collègue Jean-Claude Raux dans un rapport budgétaire sur la vie associative, « les souffrances des Français sont également les maux des associations » : crise sanitaire, inflation, prix de l'énergie, c'est sur cela qu'il nous faut agir prioritairement.
Le bénévolat a constitué l'angle mort de la réforme repoussant l'âge de départ à la retraite, car les seniors contribuent par bataillons entiers au mouvement associatif. Retarder de deux années le bénévolat des seniors a causé une grande perte pour les associations et pour notre société. Il faut libérer du temps pour aider, pour s'investir dans les associations mais aussi pour s'occuper de ses enfants, de ses parents, de ses proches, et de soi-même.
Or cette proposition de loi ne libère pas de temps : elle ne fait que concentrer le travail sur quatre jours au lieu de cinq. Les risques psychosociaux ont été dénoncés à plusieurs reprises par les syndicats. Pour ma part, je défendrai dans un amendement une véritable baisse du temps de travail, car c'est le sens de l'histoire : après la fin du travail des enfants, le dimanche chômé, les congés payés et la retraite, l'augmentation de la valeur produite grâce à quarante années de développement informatique et technique aurait dû aboutir à une libération du temps ou a minima à une augmentation des salaires.
La baisse du temps de travail est également une nécessité climatique : il nous faut réduire les temps de transports et développer des activités non productives. Nous refusons donc cette proposition de loi qui, en surchargeant les journées, risque d'aggraver la qualité des conditions de travail, déjà bien mal en point.
Nous partageons le constat : le bénévolat est en déclin. Une raison en est la difficulté de plus en plus prégnante de concilier, pour les travailleurs, vie privée et vie professionnelle. L'intensification du travail, soulignée par de nombreuses études depuis une trentaine d'années, en est une des causes principales.
Il est indéniable que les rythmes et les contraintes imposés par le travail s'intensifient. Les 35 heures sont loin d'être effectives : en 2022, l'ensemble des actifs à temps plein ont travaillé en moyenne 37 heures par semaine. Cette durée était encore de 39 heures en 2018 pour les seuls salariés. Et que dire des cadres, dont près de la moitié sont au forfait jour, avec plus de 46 heures de travail par semaine en moyenne ? Que dire des heures supplémentaires, que des salariés pourtant déjà épuisés acceptent uniquement parce que les salaires sont trop bas ? En 2023, 1,3 milliard d'heures supplémentaires ont été effectuées, soit l'équivalent de 800 000 équivalents temps plein.
La conclusion que nous pouvons donner à ces données n'est certainement pas d'intensifier encore le travail, alors que les effets dévastateurs sur la santé des travailleurs en sont bien connus – augmentation des risques psychosociaux, d'épuisement professionnel, de dépression et d'anxiété, de maladies cardiovasculaires et même de suicide. Votre proposition s'inscrit à contresens de la dénonciation de l'intensification du travail et de la revendication de sa juste reconnaissance, notamment à travers une véritable prise en considération de la pénibilité. Votre texte met à la charge exclusive du travailleur la question cruciale de l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle, quand il nous semble que cette responsabilité incombe aussi à l'employeur.
Le tissu associatif, que ce soit en milieu urbain ou dans nos campagnes, pour la culture, le sport ou les loisirs, est souvent décrit comme étant en perdition. Il est pourtant essentiel dans une société qui glisse doucement vers un individualisme généralisé. Cet engagement libre et généreux, qui pallie souvent l'absence et les carences des pouvoirs publics, ne relève finalement que du plaisir de vivre ensemble et de partager, qui n'appelle pas forcément de contrepartie. Pourtant, aussi importante soit-elle, cette forme d'engagement est peu reconnue alors qu'elle est complémentaire du travail et de la famille – il n'est pas question de les opposer.
Notre groupe défend la possibilité pour les bénévoles de demander à leur employeur un aménagement horaire. Nous soutenons cette proposition de loi dans son esprit, avec toutefois quelques interrogations sur les contraintes qu'elle pourrait faire peser sur les employeurs. Car, si l'engagement bénévole doit être soutenu et même renforcé, et si ce texte n'entraîne pas de réduction de temps de travail effectif ni de surcoût, la question de sa compatibilité avec le fonctionnement d'un service ou d'une entreprise demeure. Nous serons donc attentifs à maintenir un équilibre. L'exemple du secteur médico-social, où la quasi-totalité des salariés demandent à réaliser leur semaine en trois jours et demi, dix heures par jour, soutenus en cela par les syndicats, tend cependant à me rassurer, même si ce n'est qu'un secteur parmi beaucoup d'autres.
Une autre de nos interrogations concerne la façon dont les salariés peuvent justifier de leur engagement auprès de leur employeur pour bénéficier de ce droit nouveau. Nous proposerons qu'ils puissent remettre une attestation formelle, délivrée par l'association.
Pour conclure, si la valeur travail doit être remise au cœur de tous nos choix politiques, le bénévolat, l'engagement associatif qui fait vivre nos territoires et relie les plus isolés d'entre nous, doit l'être aussi.
Merci pour toutes ces contributions. Je comprends parfaitement certaines de vos observations, notamment sur la semaine « en quatre jours » plutôt que « de quatre jours » – je crois toutefois que l'on joue sur les mots.
J'aimerais resituer cette proposition de loi dans son contexte. Les multiples auditions que nous avons menées nous ont confirmé qu'elle était très attendue par le mouvement associatif. Il s'agit bien d'un aménagement, et non d'une réduction du temps de travail. Cette mesure sera plutôt facile à appliquer dans les entreprises de plus de cinquante salariés, qui peuvent, après négociations et dans le cadre d'accords de branches, autoriser des aménagements du temps de travail pour permettre à un salarié de se libérer.
Il sera en revanche plus compliqué, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, de définir les conditions dans lesquelles l'employeur peut l'appliquer. La loi permettra de libérer entre une heure et une journée par semaine. Je suis persuadé que la majorité des salariés qui feront valoir ce droit auprès de leur employeur ne demanderont que quelques heures, et non une journée entière.
Dans la mesure où il n'existe pas de cadre juridique uniforme pour inciter les employeurs à libérer du temps pour les employés, la meilleure solution reste la recherche d'un compromis. L'aménagement de la semaine de travail sur quatre jours, qui est le maximum permis pas ce texte, semble être le meilleur moyen de favoriser l'engagement associatif du salarié.
Certains textes, comme celui qui a été défendu par Quentin Bataillon, ont déjà fait progresser les choses. Toutefois, le congé d'engagement associatif reste peu connu, peu sollicité et ses effets sont très limités puisqu'il ne concerne que les personnes exerçant des fonctions de responsables dans des associations d'intérêt général. En outre, il ne permet de libérer que six jours ouvrables par an, fractionnables. Le temps est donc véritablement venu de pousser le curseur un peu plus loin. Le présent texte le permet, et même si cela ne ressort pas manifestement de ses dispositions, cela se fera de manière concertée avec l'employeur, notamment dans les plus petites entreprises.
Article 1er : Création d'un droit opposable à un aménagement du temps de travail pour le salarié exerçant des missions de bénévolat
Amendement de suppression AS13 de M. Pierre Dharréville
Un vrai débat est nécessaire sur ce sujet. En effet, les désaccords exprimés ne portent pas sur les mêmes points : c'est sans doute que nous n'avons pas tout à fait le même rapport au travail, ni la même conception du marché du travail et de l'emploi.
Monsieur le rapporteur, évoquer une semaine « en quatre jours » plutôt que « de quatre jours », ce n'est pas qu'une question de sémantique. Réduire la semaine à quatre jours, c'est libérer du temps pour les associations ; compresser la semaine en quatre jours, cela ne libère rien. Je considère, comme vous, que c'est dans les petites entreprises que cela sera le plus compliqué à appliquer. Toutefois, c'est également là que le dialogue social fonctionne le plus : elles n'ont donc pas forcément besoin d'une loi pour permettre à l'employeur et au salarié de s'organiser. À l'inverse, dans les grandes entreprises, cette mesure peut générer une certaine flexibilité du travail qui, étant donné l'inégalité des rapports de force, joue rarement en faveur des salariés. Le débat est donc bienvenu.
Nous avons déposé un amendement de suppression parce que votre proposition de loi nous a un peu désarçonnés. Néanmoins, nous voulons saisir cette occasion pour ouvrir un véritable débat sur le marché du travail et les raisons réelles de la baisse de l'engagement bénévole – je pense qu'elles sont à regarder de près. Nous retirons donc cet amendement, même si nous ne sommes pas encore prêts à soutenir le texte.
Que vous ayez déposé des amendements de suppression m'avait surpris, car nous nous retrouvons sur la nécessité d'encourager l'engagement associatif, ce que réalise cette proposition de loi ciblée sur les actifs.
Concernant les petites entreprises, il n'existe actuellement aucun dispositif juridique incitant l'employeur à libérer du temps pour son salarié. Le présent texte crée un droit au bénéfice du salarié, qui trouvera sa concrétisation dans le cadre de la négociation avec l'employeur. Celle-ci aura pour objet de déterminer si l'entreprise a la possibilité de répondre à la demande du salarié en le libérant quelques heures par semaine, voire une journée entière.
L'objectif de cette proposition de loi n'est donc pas d'instaurer la semaine en quatre jours – je défendrai un amendement pour préciser ce point. Elle repose sur une démarche volontaire du salarié, qui pourra aménager son temps de travail pour une durée d'une journée maximum. Elle ouvre un droit aux salariés des petites structures, des services et des commerces, là où aucun accord de branche n'est possible. Je vous remercie d'avoir retiré votre amendement de suppression.
L'amendement est retiré.
Amendement AS18 de M. Victor Catteau
Alors que 15 millions de personnes sont engagées dans le milieu associatif, imaginez les répercussions de votre dispositif sur l'organisation des entreprises et des services publics ! Tous les membres d'une association ne peuvent en bénéficier. Beaucoup ne sont que de simples adhérents. Il faut aussi différencier les associations selon leur organisation. Ainsi, une association sportive peut compter cinq ou dix dirigeants pour 400 ou 500 membres : nous ne pouvons évidemment pas permettre à ces 400 ou 500 adhérents de recourir à ce dispositif. Nous proposons donc de le limiter aux seuls dirigeants et membres du comité de direction des associations.
Vous souhaitez en fait limiter le bénéfice de la proposition de loi aux actuels bénéficiaires du congé d'engagement associatif, ce qui dénaturerait complètement l'objectif poursuivi.
D'une part, le congé d'engagement associatif rencontre un faible succès, parce qu'il est trop restreint. Il me semble d'ailleurs que vous avez soutenu, en adoptant la proposition de loi de Quentin Bataillon, son élargissement. D'autre part, les associations ne vivent pas qu'au travers de leurs dirigeants, elles fédèrent toute une équipe de bénévoles. Les dirigeants ne sont pas les seuls à devoir mobiliser du temps : les fonctions plus discrètes sont tout aussi utiles à l'association.
L'objectif du texte étant d'encourager les salariés à s'engager, il serait dommage de restreindre le droit opposable à un nombre restreint de personnes.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS35 de M. Bertrand Petit
Il s'agit de limiter le dispositif aux seuls bénévoles. Les volontaires associatifs bénéficient en effet, dans le cadre de leur mission, d'un contrat et d'une rémunération. L'objet de la proposition de loi ne doit pas s'étendre aux salariés qui relèvent d'autres dispositifs de soutien public.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS19 de M. Victor Catteau
Cet amendement vise à allonger la durée d'existence de l'association requise pour pouvoir bénéficier de ce dispositif. En effet, si je crée demain une association, quelle que soit son activité, je pourrai passer à la semaine de quatre jours au bout d'un an. Étendre la durée d'existence à trois ans permettrait de dissuader ceux qui envisageraient d'abuser de ce dispositif.
Il ne s'agit pas d'un abus, mais de la possibilité offerte à des salariés qui sont déjà engagés de tout leur cœur de continuer à s'investir dans de meilleures conditions.
Il est étonnant de vouloir allonger à trois ans la durée requise alors que vous avez adopté la proposition de loi de Quentin Bataillon qui visait justement à réduire cette durée à un an pour le congé d'engagement associatif. Par ailleurs, pourquoi une association créée depuis un an et rassemblant de nombreux bénévoles serait-elle moins légitime qu'une autre ? Je pense au contraire qu'il faut toucher le public le plus large possible.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS39 de M. Bertrand Petit
Le présent amendement vise à préciser l'aménagement prévu. En fonction de l'intensité et de la nature de l'engagement bénévole du salarié, il ne sera pas toujours nécessaire de mettre en place la semaine en quatre jours : il pourra s'agir d'une réorganisation limitée des horaires quotidiens. Certains salariés n'ont besoin que de quelques heures. L'idée est de renvoyer à la négociation entre l'employeur et le salarié.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS14 de Mme Marie-Charlotte Garin
Nous défendons la nécessité d'une réduction du temps de travail. Mais il faut rappeler que les 35 heures ont été créées dans un modèle de société différent, avec un homme qui va au travail et une femme qui s'occupe du foyer. Aujourd'hui, on demande à tout le monde d'aller travailler, sauf que ce sont encore bien souvent les femmes qui s'occupent du foyer et en assument la charge mentale – des femmes qui forment le gros des situations de temps partiel en entreprise.
Que tout le monde diminue un peu son temps de travail et passe à la semaine de quatre jours serait bon pour l'égalité femme-homme. Chacun et chacune pourrait prendre sa juste part. Ce serait aussi un moyen d'augmenter le bien-être au travail, comme le montrent toutes les expérimentations. Et ce serait bénéfique pour le climat, puisque cela permettrait de réduire les activités polluantes.
La productivité ayant augmenté ces dernières années dans notre pays, il semblerait logique que l'on puisse avoir plus de temps à consacrer à des associations, à ses proches ou juste pour soi. Il est grand temps de libérer du temps pour des activités non productives et non marchandes, mais qui sont essentielles pour la société.
Votre amendement vise à aménager le temps de travail des salariés en 32 heures sur quatre jours. Cette formule a déjà été instaurée avec succès par des sociétés comme LDLC. Les entreprises qui le souhaitent peuvent le faire dans le cadre d'accords de branche.
En revanche, même si je n'y suis pas défavorable dans son principe, la semaine de 32 heures est une question qui dépasse très largement le cadre de cette proposition de loi. Une véritable réflexion doit être menée, notamment pour savoir comment accompagner les entreprises et les administrations dans cette transformation. Je serai d'ailleurs favorable au rapport proposé par un de nos collègues à ce sujet.
S'agissant des risques pour la santé des salariés, j'y suis tout à fait sensible et je proposerai d'adopter un amendement en ce sens.
Avis défavorable.
Je soutiens cet amendement. D'abord, il est important que nous ayons un débat sur la question du temps de travail. Gabriel Attal a annoncé la semaine en quatre jours dans les ministères, mais sans préciser si nous en discuterons.
La réduction du temps de travail va dans le sens de l'histoire, parce que le progrès technique et l'amélioration de la formation augmentent la productivité. Et puis, le pays connaît tout de même une vague de chômage ! Certes, on compte entre 350 000 et 600 000 emplois vacants, selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, mais aussi près de 6 millions de personnes qui sont au chômage. Vous n'allez pas créer 6 millions d'emplois en un claquement de doigts, ni augmenter encore la productivité alors que la planète se réchauffe et que nous devons nous interroger sur notre rapport à la consommation.
Beaucoup de personnes se demandent si elles travaillent pour vivre ou si elles vivent pour travailler. (Exclamations.) J'aimerais bien vous y voir, si vous deviez vivre avec un Smic en élevant trois enfants et en prenant les transports tous les matins ! En général, les gens font beaucoup plus que 35 heures, et mal rémunérées.
Diminuer le temps de travail améliore la qualité de vie, fait baisser le chômage et va dans le sens de l'histoire. Je sais que ça vous fait mal aux oreilles, mais l'avenir s'écrira sans vous – comptez sur nous pour réduire le temps de travail et bâtir une société plus juste et plus écologique !
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS21 de M. Victor Catteau
L'alinéa 10 prévoit que « les jours travaillés sont choisis par le salarié, en accord avec l'employeur ». Cette rédaction laisse penser que la décision appartient au salarié alors qu'il faut privilégier la concertation pour aboutir à un arrangement qui convienne aux deux parties. Le présent amendement vise à écrire que les jours travaillés sont choisis « d'un commun accord entre le salarié et l'employeur ».
La précision rédactionnelle ne me paraît pas utile – il faut deux parties pour trouver un accord. L'intention est de créer un droit pour que le salarié puisse négocier une adaptation avec son employeur.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS17 de M. Laurent Panifous et sous-amendement AS41 de M. Bertrand Petit
Je suis un peu surpris de ce que j'entends contre la semaine en quatre jours. Je viens du secteur médico-social et j'ai travaillé dans le privé, le public et l'associatif. On y est presque unanime : quasiment toutes les employées – le secteur est essentiellement féminin – demandent à travailler en trois jours et demi, en alternant les semaines de quatre et de trois jours de dix heures. Elles sont fermement soutenues par les syndicats. Certes, ce n'est qu'un secteur et qu'une expérience personnelle, mais les arguments qui ont été développés ici ne s'y appliquent pas du tout.
Je suis favorable au texte car je crois profondément qu'il faut soutenir le secteur associatif, en particulier le bénévolat. Je ne pense pas que cette mesure provoquerait de troubles, puisqu'elle est appliquée dans mon secteur et très demandée.
Quant à l'amendement, il vise à prévoir une attestation de l'association.
Je suis d'accord, les employeurs ont besoin d'un document justifiant l'engagement du salarié. Toutefois, les auditions ont montré qu'il ne fallait pas alourdir le processus. Le sous-amendement vise donc à alléger le dispositif et à le rendre plus conforme à l'esprit du texte.
Avis favorable, en particulier si le sous-amendement est adopté.
Monsieur Panifous, vous avez développé un exemple intéressant, mais prenons celui d'un employé de rayon : la pénibilité du métier est telle qu'il ne peut l'exercer neuf heures par jour. C'est aussi le cas de beaucoup d'autres.
Vous voulez que l'employé fournisse une attestation. Mais certains demanderont ensuite de justifier de la validité de l'attestation ! Nous avons de plus en plus de mal à trouver des solutions, d'abord parce que le texte ne pourra profiter aux employés de tous les métiers, ce qui est injuste, maintenant parce qu'il est difficile de prouver la réalité d'un engagement bénévole. Mais nous sommes tous d'accord sur le constat : il faut libérer du temps. Il faut donc poser la question de la semaine de 32 heures.
Oui, si vous voulez. Vous pouvez même prendre la parole en commission, ça nous changera !
On ne peut pas regarder de haut le débat sur la réduction du temps de travail, elle a trop d'implications. Ne vous embêtez pas à faire des attestations, ni des propositions de loi qui ne concernent pas tout le monde, faites les 32 heures !
La commission rejette successivement le sous-amendement et l'amendement.
Amendements AS22 et AS23 de M. Victor Catteau (discussion commune)
Il s'agit d'allonger le délai dans lequel l'employeur doit concrétiser l'aménagement du temps de travail, en le portant respectivement à trois mois et à deux mois. Un mois, c'est un peu court pour qu'une petite entreprise s'organise, par exemple pour remplacer l'absence du salarié. En laissant un peu plus de souplesse, il sera possible d'aider des personnes à s'investir dans le domaine associatif sans affecter les entreprises.
Tous les responsables d'associations et d'entreprises que nous avons auditionnés ont estimé que le délai était suffisant. Je le répète, le planning du salarié peut faire l'objet d'une négociation avec l'employeur. Par ailleurs, il ne s'agira pas forcément d'une journée entière, mais souvent d'une ou deux heures seulement.
Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS24 de M. Victor Catteau
L'amendement vise à porter le délai à six mois pour les cadres, qui peuvent avoir des missions ou des responsabilités spécifiques.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS20 de M. Victor Catteau
L'employeur d'une entreprise de moins de vingt salariés doit pouvoir refuser la demande d'aménagement. Les TPE – entre un et dix-neuf salariés – ne peuvent pas toutes assumer l'absence d'un salarié : imaginez un maçon qui travaille avec un seul employé !
Tout l'intérêt du texte consiste à permettre aux employés des TPE et PME, pour qui c'est difficile, de concilier leur vie privée et leur engagement associatif. Le dialogue s'établira nécessairement entre le salarié et l'employeur.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS11 de M. Yannick Monnet
Cet amendement vise à permettre au salarié de revenir en arrière. Pour moi, le recul de l'engagement bénévole n'est pas lié à l'organisation du travail. Le rapport au travail a changé à cause d'une incertitude générale. La crise du covid a modifié les projets de vie ; la réforme des retraites y a également contribué : plus les événements sont incertains, moins on se projette dans l'avenir et plus on aspire à profiter du présent.
La possibilité ici offerte pourrait se révéler un leurre. Il faut donc que le salarié puisse rapidement revenir à cinq jours de travail.
La commission rejette l'amendement.
Amendements AS34 de M. Bertrand Petit et AS12 de M. Pierre Dharréville (discussion commune)
Ces amendements visent tous les deux à associer les services de prévention et de santé au travail en cas d'application du texte afin d'assurer un accompagnement des salariés, comme cela nous a souvent été demandé lors des auditions. Je suggère aux auteurs de l'amendement AS12 de le retirer au profit du mien, dont la rédaction est plus complète.
C'était un amendement de repli. Nous devons nous préoccuper des secteurs en tension. Certes, il y a huit fois plus de demandeurs d'emploi que d'emplois disponibles, mais certains métiers souffrent d'un manque de personnel. C'est parfois la conséquence d'une maltraitance, mais c'est aussi le résultat d'une évolution du rapport au travail.
Puisque le texte ne sera pas voté, je retire mon amendement – cela ne changera pas grand-chose.
L'amendement AS12 est retiré.
La commission rejette l'amendement AS34.
Puis elle rejette l'article 1er.
Après l'article 1er
Amendement AS7 de Mme Pascale Martin
Attention aux âmes sensibles : je vais parler du partage du temps de travail et de l'instauration des 32 heures. Depuis 1980, la productivité en France a été multipliée par trois. Allons-nous produire toujours plus, alors que le dérèglement climatique, enjeu du siècle, nous oblige à nous interroger sur la consommation, ou allons-nous réfléchir à l'organisation du travail ? Le présent amendement vise à demander un rapport sur le sujet, pour ouvrir un débat. Il est malheureux de ne pas en discuter, puisque du temps de travail dépend l'organisation de toute la vie de nombreuses personnes. Or depuis six ans, la politique du Gouvernement ignore cette dimension.
J'ai plusieurs fois répété que j'entendais la question. De nombreuses réflexions ont été engagées sur le sujet. Par exemple, Paul Christophe et Stéphane Viry corapporteront les travaux de la mission d'information sur la semaine de quatre jours.
Avis favorable.
Ne nous trompons pas de débat. Celui sur le rapport au travail et son organisation viendra en son temps. J'attends le rapport de Paul Christophe et de Stéphane Viry, qui s'intéresseront notamment aux expérimentations menées en Belgique, au Portugal et en Nouvelle-Zélande, en plus de la France. Je voterai donc contre le texte, même si je ne suis pas défavorable à l'engagement associatif – bien au contraire. D'après ce que j'ai lu, les gens choisissent moins la semaine de quatre jours pour s'engager bénévolement que pour profiter de leur famille, en particulier quand ils s'occupent de leurs enfants ou qu'ils sont aidants de leurs parents. Attendons d'avoir davantage d'informations pour organiser d'autres débats.
La commission rejette l'amendement.
Article 2 : Création d'un droit à un aménagement du temps de travail pour l'agent public exerçant des missions de bénévolat
Amendement de suppression AS10 de M. Yannick Monnet
L'amendement est retiré.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement AS25 de M. Victor Catteau.
Amendement AS36 de M. Bertrand Petit
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS26 de M. Victor Catteau et amendements identiques AS37 de M. Bertrand Petit et AS27 de M. Victor Catteau (discussion commune)
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS40 de M. Bertrand Petit
La commission rejette l'amendement.
Amendement AS28 de M. Victor Catteau et amendements identiques AS38 de M. Bertrand Petit et AS29 de M. Victor Catteau (discussion commune)
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS16 de M. Laurent Panifous et sous-amendement AS42 de M. Bertrand Petit
La commission rejette successivement le sous-amendement et l'amendement.
Puis, suivant l'avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements en discussion commune AS30 et AS31, ainsi que l'amendement AS32, de M. Victor Catteau.
Elle rejette ensuite l'article 2.
La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l'amendement AS9 de M. Pierre Dharréville au titre de la proposition de loi tombe et l' ensemble de celle-ci est rejeté.
La réunion s'achève à dix-neuf heures quarante-cinq.
Présences en réunion
Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Farida Amrani, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, M. Louis Boyard, M. Elie Califer, M. Victor Catteau, M. Pierre Cazeneuve, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Laurence Cristol, M. Hendrik Davi, M. Pierre Dharréville, Mme Ingrid Dordain, Mme Karen Erodi, Mme Caroline Fiat, M. Thierry Frappé, M. Philippe Frei, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, M. Philippe Juvin, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Christine Loir, M. Didier Martin, M. Damien Maudet, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, M. Laurent Panifous, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, M. Bertrand Petit, Mme Maud Petit, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, Mme Valérie Rabault, Mme Angélique Ranc, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, Mme Mélanie Thomin, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry
Excusés. – M. Perceval Gaillard, Mme Justine Gruet, Mme Sandrine Josso, M. Olivier Serva
Assistaient également à la réunion. – M. Mickaël Bouloux, M. Pierre Cordier, M. Arthur Delaporte, M. Kévin Mauvieux, Mme Sandra Regol, M. Benjamin Saint-Huile