Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 15h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à quinze heures trente-cinq.

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Chers collègues, nous poursuivons nos travaux consacrés aux hypothèses économiques et sociales qui ont justifié le choix de recourir à l'autoroute A69 en vue d'améliorer la liaison entre Toulouse et Castres.

Je souhaite la bienvenue à monsieur Yves Crozet, économiste spécialisé dans l'économie des transports et maire de Saint-Germain-la-Montagne (Loire) et à monsieur Marc Ivaldi, professeur d'économie à l'École d'économie de Toulouse (Toulouse school of economics) et à l'Institut des hautes études en sciences sociales. Messieurs, je vous remercie de votre présence devant cette commission.

L'autoroute A69 a été conçue sur des hypothèses économiques et sociales qui ont fait l'objet de la pièce G du dossier d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique (DUP). Ce document a procédé à l'analyse des secteurs d'activité du bassin de Castres-Mazamet, des flux qui le traversent, de l'offre de transport, du réseau urbain, avant de conclure sur les effets d'un aménagement autoroutier ; s'y ajoutent des calculs socio-économiques. Une partie de ces hypothèses est reprise dans l'annexe 14 de la convention de concession.

Cette audition sera pour nous l'occasion de saisir le regard que vous portez sur le projet en tant qu'économistes des transports. Monsieur Ivaldi, vous avez d'ailleurs rédigé une tribune favorable à l'A69, que nous avons transmise à nos collègues de la commission d'enquête.

Pour analyser les hypothèses économiques et sociales avancées par l'État, nous aurions besoin, avec votre aide, de dégager les idées et principes reconnus par la science économique quant à l'impact d'une grande infrastructure routière sur un territoire, en essayant de l'allier au maximum à l'exigence de notre temps, à savoir parvenir à aménager notre territoire tout en décarbonant notre économie.

Je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le portail de l'Assemblée nationale.

Messieurs, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire « je le jure ».

(MM. Marc Ivaldi et Yves Crozet prêtent successivement serment)

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Yves Crozet, économiste, maire de Saint-Germain-La-Montagne

Avant toute chose, je me dois de déclarer deux niveaux de conflit d'intérêts.

Le premier conflit d'intérêts est qu'en 2020, la société NGE Concessions m'a approché pour obtenir des conseils sur les aspects économiques de cette autoroute, notamment pour savoir si l'épisode pandémique de l'époque était de nature à faire évoluer leurs hypothèses de travail et les conditions économiques de l'activité d'une telle infrastructure. Nous avons alors rédigé, avec M. Émile Quinet, trois notes que je pourrai vous transmettre : la première note portait sur l'impact potentiel du télétravail, la deuxième sur les nouvelles mobilités (électriques et covoiturage) et la troisième sur les perspectives de croissance économique.

Le second conflit d'intérêts tient au fait que j'ai habité le Tarn de l'âge de 10 ans jusqu'à 40 ans, que j'y ai fait mes études secondaires et y ai fondé une famille. J'ai traversé ce département à pied, en moto, en mobylette et en voiture. Encore étudiant, je me rendais à Toulouse par une nationale en 2 CV et je me rappelle avoir apprécié un peu plus tard, dans les années 1980, l'arrivée d'une route à quatre voies.

Je me rappelle aussi qu'Albi était la ville bourgeoise, à l'image du nombre absolument fantastique de médecins par habitant, probablement l'un des plus élevés de France, tandis que Castres était la ville ouvrière. J'ai compris, dès cette époque, que les choix d'infrastructures n'étaient pas nécessairement liés à l'activité économique.

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Je vous invite effectivement à nous envoyer les notes que vous avez citées. Madame la rapporteure, je vous cède la parole.

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Merci, monsieur le vice-président, merci à messieurs Crozet et Ivaldi de leur présence devant notre commission d'enquête.

L'A69 constitue une réponse de l'État à la demande des élus locaux de dynamiser le bassin d'emploi de Castres-Mazamet, qui avait souffert d'une lourde désindustrialisation, à la suite du déclin des industries textiles.

Nos auditions sur la genèse de cet ouvrage ont montré qu'un élargissement de la route nationale, la RN126, avait d'abord été souhaité par ces élus locaux, mais que faute de crédits budgétaires, ils avaient finalement pris acte de la décision de l'État de recourir à une concession autoroutière ; la charge de son utilisation basculant ainsi sur l'usager, au lieu de reposer sur la solidarité nationale au travers du budget.

Monsieur Ivaldi, vous vous souvenez certainement que vos trajets vers Toulouse en 2 CV étaient gratuits, comme c'est encore le cas. Demain, il vous faudra payer pour vous y rendre.

Nous sommes donc en présence d'une autoroute subie plutôt que désirée et je dirais même qu'elle a été « subie et non combattue » par ces mêmes élus locaux, sur les points environnementaux, sociaux et financiers. Pour cause, tous ceux qui ont tenté d'alerter sur ces sujets n'ont reçu aucune réponse aux multiples questions que se pose également cette commission d'enquête, au motif que le contrat de concession serait couvert par le secret des affaires.

Ainsi, toutes les projections qui ont pu être établies, à commencer par le bilan socio-économique, reposent uniquement sur des éléments consultables sur internet, mais en aucune façon sur les éléments contractualisés entre l'État et la société Atosca. C'est uniquement en vertu de nos prérogatives officielles, en tant que membres de la commission d'enquête, que nous disposons désormais de ce contrat et de ses annexes. Sur cette base, nous avons pu élaborer différents questionnaires en tenant compte des éléments concrets et factuels du contrat de concession et en dehors de tout ce qui avait été écrit jusqu'à présent.

Les opposants à l'A69 n'ont pas eu de réponses à leurs questions et ceux qui y sont favorables n'ont tout simplement posé aucune question et l'ont mise en œuvre.

Je tenais à le rappeler, car dans les années 1980-1990, une sorte de mantra circulait encore dans l'administration française, à savoir qu'une autoroute apporte systématiquement de la prospérité, en vertu du principe d'élasticité dégagé par les économistes. Ce mantra n'aura toutefois résisté ni aux analyses économiques et sociales, ni aux statistiques de l'Insee. La prospérité d'un territoire repose avant tout sur un projet dont une infrastructure routière n'est qu'un élément et non une condition première.

L'A66 reliant Toulouse à Pamiers en est la parfaite illustration, tout comme le barreau de Pau-Langon, combattu en son temps et qui se révèle finalement être déficitaire, si bien qu'on se retourne évidemment vers les usagers, puisqu'elle n'est pas gratuite. Albi, Tarbes et Perpignan sont quelques exemples parmi d'autres de villes desservies par des autoroutes alors que le PIB par habitant n'y est guère élevé (ceux de Tarbes et de Perpignan étant significativement moins élevés que celui de Castres).

Par votre audition, nous aimerions connaître le dernier état des réflexions des économistes sur l'apport des infrastructures routières à un territoire donné. L'économie n'étant pas une science exacte, il va de soi que nous ne nous attendons pas à la vérité absolue. Il s'agit de nous faire part de vos réflexions, qui nous permettront de donner une orientation prospective à ce rapport, en vue d'éviter que ne se renouvellent les mêmes erreurs comme celles que nous avons déjà commencées à révéler grâce à cette commission d'enquête.

Parmi ces erreurs, je ne citerai que celles relatives aux contrats conclus en 2006 par M. Dominique de Villepin, qui arriveront à terme en 2031 et dont on sait désormais très bien qu'ils ont été conclus selon des conditions qui ne sont aucunement au bénéfice des usagers et de l'État, au point que le Gouvernement, au titre du projet de loi de finances pour 2024, a mis en place une taxation des concessions autoroutières afin de compenser le manque à gagner de l'État pendant des années.

Par ailleurs, la notion du temps est particulièrement importante dans ce dossier, à l'image de son argument récurrent : « on va gagner du temps » ; argument que monsieur Ivaldi a d'ailleurs repris pour soutenir le projet de l'A69 dans une tribune de presse.

Il se trouve que les organismes publics ne sont pas vraiment d'accord sur le temps réellement gagné. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) d'Occitanie l'estime à quinze minutes, le contrat de concession à trente-cinq minutes, là où l'arrêté départemental du 1er mars 2023 évoque vingt-cinq minutes.

Que vaut ce gain de temps aujourd'hui, socialement et économiquement, face à la part grandissante du télétravail dans les activités tertiaires et sachant que la vitesse provoquera des émissions de gaz à effet de serre dans un département où les revenus moyens ne permettront pas, dans l'immédiat, un passage massif à la voiture électrique ?

Y a-t-il un sens économique à gagner du temps si ce gain provoque des externalités négatives qui, in fine, se retrouveront à la charge de la société, des usagers, de la biodiversité et, 55 ans après, à la charge du contribuable ?

Le questionnaire que je vous ai adressé a été communiqué à l'ensemble de mes collègues, afin que tous aient le même niveau d'information quant au sens que je souhaite donner à votre audition. Vous pouvez y répondre ultérieurement par écrit, mais il peut tout à fait servir de fil conducteur à vos réponses de ce jour, en ajoutant tout élément utile qui vous semblera intéressant de porter à la connaissance de cette commission.

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Yves Crozet, économiste, maire de Saint-Germain-La-Montagne

Madame la rapporteure, sans prétendre à l'exhaustivité, je me propose de résumer vos questions comme suit.

Quels sont les effets des infrastructures sur le développement local ? Existe-t-il un lien de corrélation entre les gains de temps et la croissance et si oui, quels exemples pourraient l'étayer ? Que peut-on en déduire dans le cadre du projet d'autoroute entre Castres et Toulouse ? Finalement, quels pourraient en être les effets ?

En réponse sur les gains de temps, que les économistes appellent « gains d'accessibilité », je vous propose de faire un rapide détour théorique en rappelant les travaux bien connus de l'ingénieur des ponts, Jean Poulit, lequel a longtemps défendu l'idée que les gains de temps pouvaient potentiellement générer des gains de PIB. Son raisonnement était le suivant. Sur une ville comme Paris, le nombre d'emplois accessibles en quarante minutes est très élevé, tout comme le PIB par habitant. Sur une ville un peu plus isolée, comme Guéret, le nombre d'emplois accessibles en quarante minutes est relativement faible, ainsi que le PIB par habitant. De ce constat, Jean Poulit a établi le lien de causalité suivant : l'augmentation du nombre d'emplois accessibles à Guéret, par la construction d'une autoroute par exemple, augmenterait automatiquement son PIB. Autrement dit, il suffirait d'augmenter l'accessibilité d'un territoire, sur une certaine durée, pour en augmenter la productivité et le niveau de vie. Telle est la base de cette croyance, qui mérite aujourd'hui d'être relativisée.

Les données publiées par l'Insee sur l'évolution du nombre d'actifs par zone, pour la période 1999-2019, montrent bien que, dans la vague de croissance économique de la région toulousaine, et comme le soulignait madame la rapporteure, la ville de Castres a plutôt été oubliée. En approfondissant néanmoins ce point, on s'aperçoit que certaines communes situées autour de Castres ont tout de même gagné des actifs, surtout sur la partie Nord-Ouest où se trouve l'autoroute qui rejoint Albi. On observe effectivement des impacts très nets sur les communes situées le long de l'autoroute entre Albi et Toulouse et un peu moins sur la ville d'Albi.

Le premier enseignement à en tirer est que les infrastructures de transport ont tendance à provoquer des déménagements au sein d'un territoire, sans forcément que ce soit un jeu à somme positive.

Je vous en livre quelques exemples.

Il y a une vingtaine d'années, nous avions mené une étude sur l'A75, toujours dans la suite des travaux de Jean Poulit. Là encore, il apparaissait clairement que l'autoroute avait créé de l'activité à sa proximité. Des entreprises s'étaient installées de part et d'autre de l'autoroute sur une bande de vingt kilomètres de large, mais en élargissant la bande à 60/70 kilomètres, on constatait que ces entreprises venaient en réalité d'une bande plus large. En somme, il n'y a pas vraiment eu création d'activité, mais déplacement des activités.

Un constat similaire avait été effectué autour de la gare TGV de Reims et de nombreuses autoroutes au demeurant. Tel fut le cas de l'autoroute A49, autre exemple, qui avait développé l'emploi à Grenoble et Valence, alors qu'au milieu, c'était plutôt l'implantation de quartiers résidentiels qui s'était développée. De la même manière, l'arrivée du TGV Est, dans les années 2010, n'a pas impacté le nombre d'emplois d'une ville comme Metz, où il a d'ailleurs baissé, alors que celui de Nancy était resté stable. Je n'épiloguerai pas sur la gare Meuse-TGV, qui s'est avérée être une catastrophe. Enfin, une étude norvégienne de 2022, menée sur dix lieux différents, a également démontré que les autoroutes n'aboutissaient pas automatiquement à des niveaux de croissance soutenus.

Le constat est donc assez général. Une infrastructure de transport, quelle qu'elle soit, impacte les localisations sans que ces impacts puissent automatiquement être traduits en gains de produit intérieur brut, car il s'agit souvent de relocalisations.

J'en viens plus précisément à Castres et à votre région.

Les élus et ceux qui les conseillent adoptent souvent un raisonnement en termes de vases communicants, avec un vase de Castres qui serait peu rempli et un vase de Toulouse qui le serait abondamment. Selon la théorie des vases communicants, le vase peu rempli est censé attirer des éléments de celui qui l'est davantage. Or cette théorie n'est valable que si la pression est identique des deux côtés. Le vase de Castres est peu rempli, car la pression y est plus faible, c'est-à-dire que cette zone se caractérise par une plus faible capacité à créer de la productivité et de l'emploi. En conséquence, le risque est celui d'un mouvement de déménagement dans le territoire, avec un pôle d'emploi d'un côté (la région toulousaine en l'occurrence) et un pôle résidentiel de l'autre (autour de Castres). Le choix de s'intéresser au nombre d'actifs permet justement de mesurer ce type de mouvements.

La « zone d'emploi », au sens de l'Insee, regroupe plusieurs dizaines de communes autour de Castres, d'Auch et d'Albi. Depuis l'ouverture de l'autoroute vers Albi, il y a une trentaine d'années, le dynamisme observé à Albi est beaucoup moins net que celui de Castres. Depuis 2002, cependant, le dynamisme de l'emploi à Albi apparaît très faible, tout comme à Auch et à Castres. Autrement dit, une infrastructure, autoroutière ou ferroviaire, modifie le paysage, crée un certain nombre de choses, certes, mais de manière temporaire. Ainsi que je l'indiquai, la différence de pression et les dynamiques propres à chaque ville (Auch, Albi ou Castres) font que certains secteurs ne gagnent pas d'emploi. Statistiquement, la ville de Castres a globalement perdu des emplois, celles d'Auch et d'Albi se sont un peu mieux défendues, mais sans commune mesure avec Toulouse, où l'emploi a bondi de 50 %.

Tels sont les enseignements essentiels et de ce point de vue, il n'y a pas de miracle à attendre d'une infrastructure de transport.

Madame la rapporteure indiquait que les gains de temps et leurs effets pouvaient être discutables. Lorsque l'on gagne du temps, on a en réalité tendance à se déplacer plus loin. Les gains de temps dilatent en fait l'espace accessible.

Dans une étude de mai 2023, sur la distance domicile/travail des actifs de la région, pour la période 1999-2019, l'Insee a mis en lumière que la périurbanisation s'était effectuée à distance de Toulouse, à un peu plus de 25 kilomètres de cette ville. Du côté de Castres, les actifs ont plutôt choisi de s'installer en périphérie, notamment le long de l'autoroute, ce qui laisse à penser qu'ils y ont été incités par la mise en place d'une autoroute ou d'une route à deux fois deux voies.

En 2012-2013, lors de la commission Mobilité 21 à laquelle j'ai participé, nous avions fait la revue de tous les projets du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT). Je me souviens très bien qu'il était déjà question d'améliorer la qualité de la liaison Toulouse-Castres, avant tout pour limiter les traversées des petites villes par la route nationale et pour des raisons évidentes de sécurité. Il s'agissait donc de régler des problèmes de contournement, sans que la solution d'une autoroute ait été préconisée. La carte de l'Insee montre bien que, depuis 1999, de nombreux actifs se sont installés sur le trajet de la route nationale 126, que ce soit pour travailler dans la région de Castres ou dans la région de Toulouse, ce qui traduit le souci de se rapprocher d'une route qui avait effectivement été améliorée. Sur cette région, l'impact essentiel des gains de temps a été la nouvelle diffusion de l'habitat sur le territoire.

En l'occurrence, l'amélioration de la liaison routière entre Castres et Toulouse créera évidemment des bénéfices en gains de temps pour les usagers (qu'ils soient de quinze ou de vingt-cinq minutes). Des entreprises vont aussi y gagner, notamment des entreprises de Castres qui auront la possibilité de rejoindre plus facilement le marché toulousain, d'y trouver une nouvelle manne de salariés ou de se rapprocher physiquement de Toulouse en demandant à leurs salariés de suivre le mouvement. Cela s'est largement observé dans la région lyonnaise, après la mise en place de la section de l'autoroute entre Lyon et Balbigny. Plusieurs entreprises de Cours-la-Ville (commune située dans les monts du Lyonnais) se sont rapprochées de l'autoroute sans forcément créer des emplois, mais principalement pour bénéficier d'un accès plus rapide à la région lyonnaise. Les impacts de l'autoroute sur l'emploi ont donc été modestes.

Certains actifs de Castres pourraient vouloir trouver un emploi plus proche de Toulouse et ils gagneront du temps. Certains actifs de Toulouse, à l'inverse, pourraient envisager un rapprochement vers Castres, puisqu'il y aura un bout d'autoroute et certains propriétaires fonciers en bénéficieront.

Il y a toujours des gagnants à ce type d'opérations, mais les gains individuels ne peuvent être généralisés et transformés en croissance du PIB, car ce sont essentiellement des relocalisations qui auront lieu.

Enfin, madame la rapporteure, je vous rejoins entièrement sur l'idée d'encourager d'autres mobilités et sur l'objectif de décarbonation, tout comme sur la nécessité de mesurer le degré d'artificialisation des sols dans les communes qui longeront l'autoroute.

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Marc Ivaldi, professeur d'économie à la Toulouse School of Economics

Monsieur le vice-président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation.

Sans être un spécialiste de la relation entre infrastructures et développement économique, je répondrai d'abord aux questions 1 à 4 du questionnaire, d'un point de vue strictement théorique.

D'où viennent les bénéfices attendus d'un investissement autoroutier ? Les bénéfices sont les gains monétaires qui sont, en fait, des gains de temps, des gains de sécurité, de confort et de fiabilité. Ces gains de temps se traduisent, selon la situation, en suppléments de déplacements et/ou en extensions de zones de logement, par des gains de productivité et des créations d'emplois lorsque, précisément, ils entraînent des changements de localisations et des externalités d'agglomération.

L'amélioration des communications permet une meilleure information des entreprises (sur les procédés de production et sur les technologies à disposition), ce que l'on appelle des « effets de réseau ». Un représentant qui vient visiter un client potentiel, en supportant les frais de transport, apporte finalement au client, même si ce dernier n'achète pas, des informations sur le marché et les nouveaux produits ; et lui-même retire de ce contact infructueux des informations sur le marché. Ces effets de réseau, qui sont donc importants, passent aussi par d'autres mécanismes, à commencer par l'augmentation de la taille des marchés sous l'effet des économies d'échelles.

Pour résumer, il existe deux types d'effets d'une infrastructure de transport : des effets directs en termes de gain de temps et des effets indirects, extrêmement importants, appelés « effets d'agglomération » et sur lesquels les économistes ont récemment travaillé. Il existe désormais toute une littérature sur ces éléments.

J'ai personnellement travaillé sur les effets d'agglomération dans la région toulousaine, qui sont de trois ordres. Une concentration d'activités plus grande facilite le partage des infrastructures et des biens publics, facilite l'appariement entre les offres et les demandes d'emploi et permet un apprentissage beaucoup plus rapide des technologies et des informations.

Les économistes traduisent techniquement ces effets en établissant une relation entre la productivité du travail et la densité des emplois. Ainsi, pour une densité des emplois augmentant de 1 %, l'élasticité a été déterminée à 3 % : 1 % d'augmentation de la densité des emplois augmente la productivité du travail de 3 %. Je précise que cette relation n'a de sens que s'il existe une vraie accessibilité aux zones d'emploi, ce qui complique extrêmement l'analyse.

Ces effets d'agglomération, au-delà de raisons plus anthropologiques, expliquent la concentration des activités. C'est ce qui fait dire aux économistes de l'économie urbaine et de l'espace que, si la plupart des activités peuvent être installées n'importe où, peu d'activités sont représentées partout. Cela se vérifie aisément à l'échelle nationale où une très petite partie du territoire français (la région Île-de-France en l'occurrence) produit la majorité du PIB. Les effets d'agglomération augmentent la probabilité d'avoir un emploi. Très concrètement, on a plus de chances de trouver un emploi à Paris qu'à Toulouse ou à Castres.

L'équilibre entre les activités économiques est le résultat de ces forces entre ces effets d'agglomération et les gains de temps et/ou les baisses de coûts de transport. Cet équilibre est donc très délicat.

Il faut ajouter à cela deux effets d'importance. Les individus privilégient généralement les déplacements courts aux déplacements longs (gains de temps), comme ils préfèrent avoir plus que moins d'espace. En d'autres termes, il est préférable de vivre à Toulouse pour trouver un emploi, mais au prix d'un espace plus petit : un logement plus petit et beaucoup plus de temps passé dans la congestion sur les rocades toulousaines. C'est aussi se heurter à des problèmes d'artificialisation plus importants. Il peut être est préférable, a contrario, de vivre à Castres pour bénéficier de plus d'espaces, mais avec un risque plus grand de chômage et un coût de transport direct peut-être plus élevé.

Quelle est la conclusion ?

Tout le monde s'entend pour dire qu'il n'existe pas de loi intangible en matière d'économie spatiale. Une décision publique ne peut se baser que sur une analyse coûts/bénéfices des impacts d'une infrastructure. C'est en ce sens que l'on peut dire qu'il n'existe pas de relation automatique entre le transport et le développement économique ; je dirais plutôt qu'il n'existe pas de relation causale unidirectionnelle entre les deux. Les infrastructures de transport contribuent au développement économique, parce que le développement économique permet les infrastructures de transport. Il ne faut pas oublier les deux sens de cette causalité.

L'audition est suspendue de seize heures et dix minutes à seize heures et trente minutes.

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Marc Ivaldi, professeur d'économie à la Toulouse School of Economics

Ce qui ressort de la littérature économique est que la présence des effets d'agglomération est un vecteur essentiel des décisions en matière d'infrastructures et de transport.

Selon mes collègues Bénos et Taulelle, la condition sine qua non de la réussite tient à la maturité de la coordination entre les acteurs d'un territoire. Sans estimer pour ma part qu'elle est sine qua non, il est vrai que les effets d'agglomération supposent une certaine coordination entre les acteurs et une capacité à échanger autour d'un projet de territoire partagé.

S'agissant des chiffres présentés par Yves Crozier, je pense qu'on n'a pas tué Lyon avec le TGV, pas plus que Marseille ou Bordeaux. En même temps, Toulouse, qui n'a pas de TGV, est une des zones où l'emploi industriel s'est le plus développé dans les années récentes. Il est très probable qu'à la suite de l'arrivée hypothétique du TGV, Toulouse perde moins d'emplois que Bordeaux, en raison de la dynamique et des effets d'agglomération de cette ville. En revanche, je peux prédire que l'arrivée du TGV dans une ville comme Dax n'occasionnera pas un bénéfice comparable à la liaison entre Paris et Londres, laquelle s'est évidemment avérée très profitable.

Les bassins d'emploi d'Albi et de Castres sont similaires sur de nombreux aspects : l'un est relié à Toulouse par une autoroute (en grande partie gratuite) et l'autre non. L'équipe de rugby d'Albi évolue dans le championnat national et celle de Castres est dans le top 14.

Faut-il en déduire que l'A69 serait inutile ? Pour répondre précisément à la question, il faudrait savoir ce qu'aurait été le bassin d'emploi de Castres s'il avait bénéficié d'une autoroute depuis 40 ans. C'est bien l'intérêt de réaliser des DUP et des analyses socio-économiques que de poser cette question. Les représentations géographiques sont intéressantes, mais ne donnent pas nécessairement d'explications sur les dynamiques de situations à venir.

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Je m'adresserai en premier lieu à M. Crozet, d'abord pour le remercier d'avoir confirmé, par ses graphiques, ce que nous avions déjà constaté sur la base des graphiques disponibles de l'Insee. Nous avons fait les mêmes constats et les mêmes prospectives, à l'instar d'ailleurs des membres du commissariat général à l'investissement qui, en 2016, sans disposer de cartes actualisées, avaient abouti aux mêmes projections quant à la présence d'une infrastructure et à ses conséquences sur un territoire.

Vous avez bien pris la peine de préciser, monsieur Crozet, que cette infrastructure peut aussi être une route aménagée ou une infrastructure ferroviaire. C'est bien tout le sujet de ce dossier. À aucun moment, l'État n'a pris en compte toutes les possibilités d'intermodalité pour des transports plus décarbonés, notamment la liaison ferroviaire.

Vous évoquiez en outre les effets positifs et négatifs selon l'existence ou non d'un projet de territoire. Il se trouve que la ville de Castres, de par le nombre de ses entreprises et hormis le creux ayant suivi la désindustrialisation du textile, affiche toujours un PIB plus élevé que celui d'Albi, ainsi qu'un tissu industriel et de PMI-PME plus important.

Sur le sujet des gains de temps, hautement controversé, il se trouve que plusieurs organismes publics ont évoqué des gains très différents, allant de quinze à trente-cinq minutes. Cela pose question.

La question de la valorisation est également essentielle dans le cadre de ce dossier. La valeur actualisée nette socioéconomique (VAN-SE), évaluée à environ 500 millions d'euros par Atosca, a finalement été abaissée à 91 millions d'euros par la contre-expertise de 2016, ce qui a rendu le dossier particulièrement fragile. La hausse des tarifs qui est à prévoir pourrait porter les usagers à limiter leur usage de l'autoroute.

Selon vous, eu égard à cette différence de valeur socio-économique, les effets socio-économiques resteront-ils toujours aussi positifs et significatifs ?

Est-il possible que la révision à la baisse des perspectives de rendement impacte le contribuable ?

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Yves Crozet, économiste, maire de Saint-Germain-La-Montagne

La question des gains de temps est effectivement centrale en ce qu'elle sert de base au calcul des gains pour la collectivité.

Du point de vue économique, les gains de temps font partie de ce que l'on appelle le « surplus du consommateur » et ne sont donc pas inclus dans le PIB. Ce sont deux choses bien différentes, ce qui invite à une certaine prudence lorsqu'on entreprend de transformer ces gains de temps en gains de PIB.

Par exemple, nous avons tous bénéficié de gains de surplus lorsque les prix des téléphones portables ont baissé, c'est-à-dire que cette baisse a généré des gains de temps et d'argent. Le problème est celui de transformer des gains de temps en gains de PIB et d'un point de vue théorique, il me semble assez difficile de le faire automatiquement.

Les travaux sur les économies d'agglomération (ou wider economic benefits ) se sont récemment développés en Angleterre, comme en France d'ailleurs, pour la raison simple qu'on ne pouvait plus justifier les grands projets par les seuls gains de temps.

Prenons l'exemple bien connu du Grand Paris Express, dossier que je connais bien dans la mesure où le commissariat général à l'investissement m'a demandé d'en faire la contre-expertise. Selon les études économiques réalisées, les gains de temps ne représentaient finalement que la moitié du coût du projet. Il a donc fallu trouver de nouveaux arguments. C'est à ce moment que sont intervenus les wider economic benefits sur la base desquels on nous a expliqué que le Grand Paris Express générerait finalement des gains d'emploi et des gains de productivité. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que ces gains étaient à l'évidence exagérés, mais il fallait bien justifier le projet.

Deux collègues anglais, Tom Worsley et Gerard de Jong, ont justement travaillé sur les wider economic benefits. Selon ces derniers, bien que la création de nouvelles infrastructures engendre indéniablement des effets d'entraînement et d'agglomération, il convient toutefois de ne pas les surestimer. Selon une étude hollandaise, pour un gain de temps de 100, il n'est pas possible d'ajouter plus de 30 % de gains d'agglomération. Pour une croissance inférieure à 1 % par an, Tom Worsley estime qu'il n'y a pas d'effet d'agglomération. Si tel est le cas, le Grand Paris Express n'aurait pas dû être lancé.

Voilà l'essentiel. La transformation des gains de temps en gains de PIB est aujourd'hui fortement relativisée par de nombreux économistes, notamment anglais. Sans écarter la nécessité d'investir dans les transports, il ne faut plus en déduire des gains mécaniques de PIB et d'emplois, car ceux-ci sont essentiellement liés aux fluctuations macroéconomiques. En effet, les évolutions positives de l'emploi à Auch et à Albi, dont je parlais plus haut, s'expliquent plutôt par la phase de contre-chocs pétroliers, à la fin des années 1990 et par une croissance particulièrement dynamique, mais c'est moins le cas depuis.

Une étude ministérielle est d'ailleurs en cours sur la juste manière de valoriser les gains de temps dans le futur. Dans la nouvelle circulaire en préparation, les experts (dont je fais partie) recommandent de moins valoriser les gains de temps, qui ne sont pas finalement si importants pour les individus.

C'est donc un changement complet de paradigme. D'ailleurs, dans toutes les villes de France, le message est plutôt de dire aux passagers qu'ils perdront plus du temps en voiture, du fait de nouvelles limitations de vitesse et des réductions de voiries ; les gains de temps s'adressant désormais aux cyclistes.

Ce changement de paradigme est fondamental pour comprendre pourquoi le calcul économique ayant tout misé sur les gains de temps est aujourd'hui mis à mal, pour des sommes tout de même considérables. Le cas de l'A69 est très intéressant de ce point de vue, car il apparaît comme la dernière manifestation d'un mode de calcul aujourd'hui totalement remis en cause.

Sur la question de savoir pourquoi le ferroviaire n'a pas été valorisé, je rappellerais enfin que le peu de CO2 qu'il fait économiser ne pèse rien par rapport aux gains de temps.

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Je poursuis le raisonnement, en vous remerciant de vos réponses très documentées.

Je me propose de vous lire l'avis de Louis Schweitzer sur la contre-expertise d'octobre 2016. Dans sa note de synthèse, en date du 5 octobre 2016, il nous dit la chose suivante : « Au total, en ligne avec les recommandations du rapport de contre-expertise, le CGI considère que la nécessité d'une amélioration de la liaison Toulouse-Castres est établie depuis longtemps. Mais la réponse à ce besoin par une autoroute de deux fois deux voies, reposant sur une concession avec un péage élevé, expose fortement au risque d'un trafic moindre qu'espéré. À court et moyen terme et pour le même engagement financier de l'État et des collectivités locales, un simple aménagement routier procurerait des gains de temps substantiels en maintenant une gratuité pour les usagers de la route. Mais cette solution n'est plus envisagée, car elle a été trop longtemps annoncée sans être suivie d'effets au niveau de l'État. »

À l'appui, je me suis livrée à une étude de l'évolution du trafic journalier entre 2019 et 2022. Il apparaît que, sur la partie Castres-Melou-Chartreuse, le trafic est passé de 17 692 à 17 437 (- 1,44 %), de 8 422 à 6 977 sur la déviation de Soual (-17 %), de 8 570 à 7 897 sur Puylaurens (- 7 85 %) et de 8 621 à 8 064 sur Verfeil (-6 46 %).

Ces éléments sont-ils de nature, monsieur Crozet, à renforcer les propos que vous teniez ? Il me semble que tel est le cas.

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Yves Crozet, économiste, maire de Saint-Germain-La-Montagne

Je dirais oui et non.

Je rappelle au passage que, lors de la contre-expertise du Grand Paris Express, Louis Schweitzer a très clairement dit que les études autour du Grand Paris Express avaient eu raison de valoriser les gains de temps, mais qu'ils n'étaient maîtres des effets d'agglomération, qu'il convenait de traiter différemment. Je rejoins tout à fait Louis Schweitzer pour dire que les différents aménagements, pour contourner les villages, auraient dû privilégier des routes à deux fois deux voies et que le choix d'une autoroute à péage fut une solution de dernier recours.

En réponse sur les baisses du trafic que vous évoquez, il faut se souvenir que l'année 2022 s'était caractérisée par une forte hausse des prix des carburants. J'attire aussi votre attention sur le fait que l'électrification grandissante des véhicules aboutira à diviser le coût de fonctionnement par cinq. Il est à prévoir que l'électrification génère une forte baisse du coût de la mobilité automobile et consécutivement une hausse de l'usage des routes de tous types.

Le couple télétravail/voiture électrique se présente donc comme un facteur extrêmement puissant de développement de la mobilité individuelle, car si vous télétravaillez deux jours par semaine, vous pouvez très bien choisir d'habiter dans la région de Castres et de vous rendre à Toulouse en voiture électrique, ce qui vous coûtera nettement moins cher qu'une voiture thermique, avec ou sans péage.

Contrairement à ce que l'on croit, les facteurs de croissance du trafic automobile dans les années à venir sont relativement forts.

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Certes, mais à la condition d'être en mesure de s'acheter un véhicule électrique.

Monsieur Ivaldi, l'un de vos articles, publié dans la presse, s'intitule : « Il n'y a pas d'alternative à l'A69 ». Je ne sais pas si vous en êtes l'auteur du titre, un brin provocateur, ou si c'est le journal qui l'a choisi, l'article en lui-même étant plus nuancé. Vous y indiquez néanmoins la chose suivante : « En faisant gagner 20 minutes de temps, l'autoroute diminue le coût économique du trajet de 4,80 euros ; ce chiffre est à rapporter au tarif plein du péage, qui sera de 6,77 euros, hors coût du péage d'entrée de Toulouse. Autrement dit, le coût économique net est de 1,93 euro pour l'usager. »

Je m'interroge d'abord sur la provenance de ces chiffres, sachant que les formules actuelles de calcul ne permettent pas d'établir un coût en 2025. D'où viennent-elles ces vingt minutes ? Aussi, les 78 kilomètres évoqués valent pour la liaison entre L'Union et Castres et aucunement jusqu'à Toulouse. Ce n'est pas du tout le nombre de kilomètres que vous indiquez.

Par ailleurs, un volume de circulation par l'autoroute inférieur aux prévisions aurait évidemment une incidence sur le tarif, puisque la valorisation des poids lourds a été fixée à 85 % alors que toutes les études démontrent le contraire.

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Marc Ivaldi, professeur d'économie à la Toulouse School of Economics

Je m'emploierai naturellement à vous répondre, mais je tenais d'abord revenir sur la déclaration d'utilité publique (DUP).

Je n'ai pas connaissance des différents exemples dont vous parlez à la question n° 5. Les effets d'une infrastructure peuvent aboutir au déplacement des activités et il peut effectivement arriver qu'une grosse agglomération finisse par aspirer toute l'activité d'une plus petite.

De nombreuses questions portent sur la notion d'enclavement et pour ma part, je ne connais pas de définition économique d'une telle notion. Je sais qu'il en existe une définition légale, mais substantiellement différente de celle qui serait utilisée en économie. Si l'enclavement est perçu comme un manque de développement, on peut alors dire que la zone de Castres-Mazamet n'est pas particulièrement enclavée, et ce, pour plusieurs raisons. Le taux de chômage se situe plutôt dans la moyenne, la population augmente légèrement, le territoire héberge une entreprise comme Frayssinet (l'une des plus importantes sur les ensemencements) et une équipe de rugby du top 14.

En somme, il existe beaucoup d'activités sur cette zone et un projet de territoire, de mon point de vue, justifie l'infrastructure qui en est le moteur.

Le problème est que les effets d'agglomération n'ont pas été calculés sur le bassin d'emploi ; ils sont approximatifs et ne sont apparemment pas négligeables. Si je peux tout à fait admettre une possible surévaluation des gains de temps dans les études socio-économiques, il est aussi clair que les effets d'agglomération sont importants. Pour avoir effectué un travail de recherche sur les effets d'agglomération de la troisième ligne de métro de Toulouse, il me semble qu'une augmentation de 30 % des gains de temps, par effets d'agglomération, est loin d'être négligeable. C'est un point important.

Sur la DUP, au-delà du chiffre de 500 millions d'euros, je tenais ici à rappeler l'existence des pages 100 et 101 de l'annexe G, sur l'analyse socio-économique, qui font état de tests de sensibilité. Il existe une hypothèse plus pessimiste, en PIB et en gain de temps, soit 100 millions d'euros. Aussi le CGI n'a-t-il pas procédé à une contre-expertise à proprement parler, mais a plutôt rendu un avis considérant que cette hypothèse pessimiste était la meilleure. De surcroît, la DUP va beaucoup plus loin en évoquant le risque d'un coût de projet de 15 % supérieur et une VAN-SE à 67 millions d'euros. En considérant une baisse de 20 % de la valeur du temps, la VAN-SE ne serait plus que de 19 millions d'euros, soit 0,70 euro à 2,03 euros de VAN-SE par euro investi. Les analyses de sensibilité sont donc cruciales en termes d'analyse socioéconomique.

Le CGI a donc indiqué que l'hypothèse de PIB était trop élevée et qu'il valait mieux se situer à 100 millions d'euros, estimant que les hypothèses les plus pessimistes de la DUP devaient être privilégiées. C'est ainsi que je le comprends du moins, tout en sachant que le CGI n'a pas refait tous les calculs. Mon propos est de dire que la DUP avait bel et bien envisagé des hypothèses inférieures de croissance. Je constate simplement que les experts ont du mal à sortir une VAN-SE négative, et c'est bien tout ce que je peux dire sur ce point.

C'est pourquoi je pense qu'il faut faire attention à ne pas négliger le travail préparatoire à la DUP, qui me paraît très honnête en ce qu'il indique bien que la VAN-SE pourrait se situer entre 19 et 500 millions d'euros. Ensuite, il revient aux politiques, à vous, d'apprécier le réalisme des différents scénarios.

Concernant vos questions sur les tarifs et sur l'article de presse, dont je vous confirme ne pas être l'auteur du titre, mon calcul a évidemment été effectué entre Castres et L'Union, car je considère qu'après L'Union, tout le monde paie et que la plupart du temps, il faut payer pour entrer dans Toulouse.

Je me suis donc basé sur les prix annoncés par la concession (16 euros) et sur un prix de l'essence à deux euros le litre, ce qui n'est pas sous-évalué. Ce prix devrait d'ailleurs être beaucoup plus élevé. Si toutes les taxes portant sur l'utilisation de l'essence, comme la taxe carbone, avaient été appliquées, on serait certainement sur des prix beaucoup plus élevés, mais le choix a été fait de ne pas prendre en compte les coûts du carbone. Il ne s'agit évidemment que d'ordres de grandeur, mais qui montrent tout de même que l'autoroute ne va pas être si chère et je m'étonne d'entendre dire l'inverse ; si on voulait vraiment lutter contre le carbone, elle devrait être beaucoup plus chère.

J'ajoute qu'en cas d'incitations à l'utilisation de la voiture électrique, comme les concessionnaires risquent de le faire, l'autoroute ne sera pas si chère.

Pour toutes ces raisons, je pense que mon calcul est assez honnête.

Vous m'interrogiez par ailleurs sur l'opportunité de calculer la valeur du temps en se basant sur le salaire médian et je dirais que c'est une façon assez classique d'y procéder. Cette mesure sous-estime la valeur du temps. Je rappelle néanmoins que le temps libre (pour récupérer ses enfants à l'école, ne plus être pressé, avoir plus de temps pour lire un livre) peut être valorisé beaucoup plus que le temps de travail, qui est un temps contraint. En conséquence, je dirais que ma valorisation du temps, en se basant sur le salaire médian, se situe plutôt en dessous du gain réel.

Je ferais enfin remarquer que ma tribune évoquait aussi le train, bien que je sois quelque peu dubitatif sur ce qu'il sera possible d'effectuer par ce biais, surtout dans le cadre des futurs services express régionaux et en raison des difficultés inhérentes à ce mode de transport.

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Je vous rejoins entièrement sur la nécessité de redéfinir complètement les indicateurs du PIB, pour ne plus en faire une simple valeur économique, mais également une valeur de bien-vivre.

Vous disiez avoir calculé les temps de trajet jusqu'à L'Union, alors que votre article précise bien que le calcul a été effectué entre les centres-villes de Toulouse et de Castres. La différence n'est pas anodine et change significativement les choses. Pour l'avoir personnellement effectué pendant des années, je puis vous assurer que le trajet entre L'Union et la place du Capitole prend un certain temps.

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Marc Ivaldi, professeur d'économie à la Toulouse School of Economics

Je confirme que mon calcul a été effectué de centre à centre et je précise que les journalistes m'ont fait retirer certains détails, dont le prix de l'autoroute entre L'Union et le centre de Toulouse.

Sur le temps de trajet, eu égard aux congestions, je suis tout à fait d'accord avec vous et nous pouvons en parler.

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Avant de passer aux questions des députés, je cède la parole à notre président, M. Jean Terlier.

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Je remercie messieurs Ivaldi et Crozet de leurs explications.

Je suis le député de la troisième circonscription du Tarn et pour résider à Lavaur, je connais bien l'avantage de se trouver à proximité d'une infrastructure autoroutière. N'étant pas d'origine tarnaise, je m'y suis installé il y a 20 ans. Je travaillais alors au barreau d'Albi et mon épouse à Toulouse et voilà comment deux non-Tarnais ont choisi de s'installer à Lavaur plutôt qu'à Puylaurens, parce que Lavaur était à proximité d'une infrastructure autoroutière et que Puylaurens n'offrait aucune solution pour se rendre rapidement en métropole toulousaine.

Il me semble, monsieur Ivaldi, que vous avez bien fait de rappeler un point de méthode, notamment sur la DUP, récemment confirmée par le Conseil d'État. Dans le cadre de l'étude d'impact, la DUP avait effectivement analysé les différentes solutions alternatives pour finalement conclure à leur manque de pertinence et à la possibilité, dès lors, de déclarer le projet autoroutier d'utilité publique.

Je parle de projet autoroutier, bien que ce soit actuellement un chantier pour lequel, comme indiqué par le concessionnaire, 50 % des crédits ont déjà été engagés.

L'un des éléments de DUP est l'étude socio-économique ; il se trouve qu'elle a également été validée par le Conseil d'État.

Le chiffre de vingt-deux minutes découle en réalité des éléments de comparaison possible. Dans le cadre de la DUP, le gain de parcours a été estimé à trente-trois minutes. La contre-expertise a évoqué vingt-deux minutes et le Conseil d'État, par un arrêt entérinant définitivement la DUP, a indiqué que ces différences n'étaient pas de nature à fausser l'appréciation portée sur l'opportunité économique du projet.

Il faut se dire les choses très clairement. Dans le cadre de cette commission d'enquête, d'aucuns essaient de « rejouer le match » si je puis dire, alors même que la DUP a été rendue définitive par l'arrêt rendu par le Conseil d'État le 5 mars 2021. Les éléments de la contre-expertise, également analysés par le Conseil d'État, n'ont pas changé la donne.

En conséquence, le dossier n'est aucunement fragile comme j'ai pu l'entendre, mais il est bel et bien solide, validé par une DUP et confirmé par le Conseil d'État.

Votre étude de projet évoque très justement le Castres olympique, dont on peut se féliciter de la présence, tout comme d'autres entreprises d'importance pour ce bassin d'emploi. À ce titre, vous donniez l'exemple très juste de l'entreprise Frayssinet auquel j'ajouterais, pour ma part, la présence du huitième régiment de parachutistes d'infanterie de marine. Dans le contexte que nous vivons, il me semble que la présence de ce régiment d'infanterie parachutiste de grande qualité constitue également un élément d'attractivité du territoire. Je citerais enfin l'aéroport de Castres-Mazamet, sur lequel peuvent se poser des avions militaires comme civils.

Vous avez évoqué plusieurs apports possibles d'une infrastructure autoroutière. Monsieur Crozet le rappelait, des villes comme Saint-Sulpice-la-Pointe ou Lavaur, désormais desservies par des sorties d'autoroutes, ont bénéficié à plein de l'installation de nouveaux arrivants sur leur territoire. L'infrastructure autoroutière a effectivement permis une meilleure répartition de l'activité. Aujourd'hui, plusieurs villes entourant cette infrastructure (Gaillac, Saint-Sulpice-la-Pointe, Lavaur, Lisle-sur-Tarn ou Rabastens) se sont développées et peut-être un peu au détriment, pour un temps, de la métropole albigeoise. Il reste que la métropole toulousaine s'agrandit manifestement et que cet essor aboutit, sur une ville comme Saint-Sulpice-la-Pointe, à une augmentation de 250 habitants par an. Les choses se desserrent progressivement et in fine, la ville d'Albi en bénéficiera tout autant.

Au moment de ma prise de fonction comme élu local, il y a sept ans, les entreprises du Sud du Tarn me parlaient moins de développement économique que de survie économique. Aujourd'hui encore, une société comme IMS Networks (cyber sécurité), du fait de ses difficultés à mobiliser des ingénieurs sur Castres, a dû délocaliser une partie de son activité afin de capter cette manne de salariés qualifiés.

Pour illustrer mon propos, je prendrais encore l'exemple du service public de la justice. Il existe deux tribunaux judiciaires sur notre territoire, un premier à Castres et un second Albi, pour un volume d'activité quasiment similaire. Sur l'ensemble des avocats issus de l'école de Toulouse, cinquante ont choisi de s'inscrire au barreau de Castres et plus de cent au barreau d'Albi. Autrement dit, un avocat sortant de l'école des avocats de Toulouse préfère s'installer à Albi plutôt qu'à Castres, ce qui nous informe sur l'attractivité réelle au sein du territoire.

Et ce qui vaut pour le service public de la justice vaut dans tous les autres domaines.

Le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet, autre exemple, éprouve les plus grandes difficultés à recruter des médecins. Du point de vue du monde soignant (pompiers, médecins, infirmiers), qui transfère régulièrement des patients du centre hospitalier de Castres-Mazamet vers le centre hospitalier universitaire de Purpan, un simple gain de temps de vingt minutes serait purement et simplement de nature à sauver des vies ; et les soignants m'exhortent quotidiennement à encourager l'aboutissement du projet d'autoroute.

Telles sont les conséquences d'un déficit d'attractivité et ma conviction est que ce déficit sera comblé, au moins partiellement, par cette infrastructure routière qui ouvrira une desserte de l'agglomération Castres-Mazamet. J'aimerais donc vous entendre sur cet aspect.

Je souscris entièrement à ce que vous disiez sur les gagnants de l'infrastructure. Des villes comme Castres ou Puylaurens, qui étaient relativement sinistrées d'un point de vue de l'attractivité immobilière, perçoivent déjà les effets de l'arrivée prochaine de l'autoroute. On ne trouve aujourd'hui que très peu de biens à vendre à Puylaurens, en raison de l'effet d'annonce de la création de l'autoroute.

Je vous rejoins également sur l'utilisation des véhicules électriques dont l'augmentation sera nécessairement un stimulus, a fortiori lorsque le concessionnaire prévoit de faire la part belle aux véhicules électriques en diminuant les abonnements de près de 50 %, qu'il propose une autoroute sans barrière de péage, des aires de stationnement équipées de recharges en bornes électriques et des aires de covoiturage. C'est bien une autoroute des plus modernes dont il s'agit et non une autoroute du passé. La bonne prise en compte de l'arrivée des véhicules électriques, de nature à modifier profondément les mobilités, l'illustre bien.

Voilà les éléments de perception et de ressenti que je voulais apporter, en tant que député de la troisième circonscription du Tarn et j'aimerais tout particulièrement vous entendre, messieurs, sur cet aspect difficilement quantifiable de l'attractivité d'un territoire.

L'audition est suspendue de dix-sept heures et vingt-et-une minutes à dix-sept heures et quarante-cinq minutes.

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Yves Crozet, économiste, maire de Saint-Germain-La-Montagne

J'habite pour ma part dans le département de la Loire où mon député se bat pour obtenir le doublement de la nationale 7 (au Nord-Ouest du département). C'est dire, monsieur Terlier, que je comprends bien votre raisonnement, qui s'apparente finalement à un appel au secours de tous ces territoires de facto marginalisés par les métropoles et qui n'arrivent plus à attirer des médecins, des ingénieurs et autres personnels qualifiés.

L'autoroute servira à un certain nombre d'acteurs et il est évident qu'elle occasionnera des gains, ici ou là. Toutefois, je vous invite à consulter le bilan de la loi d'orientation sur les transports intérieurs (Loti) de l'autoroute A65 Pau-Langon. Ce bilan démontre bien la relative fragilité du projet, notamment si la croissance économique n'est pas au rendez-vous, mais aussi que le trafic ne sera pas aussi élevé que prévu. On le voit aujourd'hui avec Pau-Langon. Il se trouve que ceux qui avaient lancé l'autoroute A65 ont eu la chance de bénéficier de fortes baisses des taux d'intérêt pour refinancer leurs dettes.

Le deuxième enseignement de l'autoroute A65 est que les gains sont très localisés. Ceux qui prennent l'autoroute Pau-Langon (en payant très cher, au demeurant) y trouvent une utilité, ce qui est très bien, mais le gain collectif reste relativement mince.

En tant qu'économistes, nous nous intéressons justement aux gains collectifs qui, dans ce type de projet, sont souvent relativement minces.

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Marc Ivaldi, professeur d'économie à la Toulouse School of Economics

Sur Pau-Langon, je suis totalement d'accord.

La situation est totalement différente en Aquitaine, où deux autoroutes se concurrencent, sans que des camions puissent les emprunter, ce que je trouve incompréhensible. De surcroît, un TGV entre Bordeaux et Dax est en cours de construction. La situation n'a vraiment rien à voir, en termes de coûts notamment.

Je reviens sur la notion d'attractivité, que monsieur Terlier a bien décrite. Un régiment militaire, un aéroport ou un hôpital, ont évidemment un impact sur l'activité, en plus d'avoir un effet d'entraînement sur la vision que le territoire a de lui-même. Ces éléments, certes importants, restent insuffisants.

Pour créer des effets d'agglomération, il faut naturellement densifier les emplois, ce qui n'est possible que s'il existe de l'attractivité et de l'accessibilité, lesquelles sont évidemment liées au niveau de productivité. Si vous ne créez pas un marché dans une ville donnée, vous n'aurez pas besoin d'une route. En d'autres termes, ce n'est pas la route qui crée le marché, mais le marché qui crée la route. Pour couper le nœud gordien dans la relation entre le transport et le développement économique, il conviendrait plutôt d'appréhender les choses de ce point de vue.

J'aurais une dernière précision à l'intention de madame Arrighi. Dans mon article, réduit par les journalistes des Échos, j'ai pris l'hypothèse d'un gain de temps de vingt minutes, ce qui n'est pas l'hypothèse haute.

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Ma première question s'adressera à Monsieur Crozet.

En mars 2023, vous évoquiez la question de la rente autoroutière dans les colonnes du journal Ouest France, estimant que plusieurs milliards d'euros par an partaient dans les caisses des sociétés concessionnaires. Si vous vous opposiez à une renationalisation des autoroutes françaises, vous pointiez néanmoins des précautions à suivre pour les prochains contrats, dont celle de faire des contrats plus courts ou encore que ces contrats « rémunèrent les investissements dans les infrastructures routières tout en faisant baisser les prix des péages ».

J'aurais voulu connaître votre point de vue sur ce projet de l'autoroute A69, d'autant que le contrat entre l'État et Atosca a effectivement été passé pour une durée de 55 ans. De même, les estimations des coûts de péage ne cessent de croître, d'un aller-retour initialement facturé à 16 euros, pour un véhicule léger, à près de 20 euros aujourd'hui.

Quel est votre point de vue sur le coût du péage et peut-il, selon vous, être un frein ?

Par ailleurs, dans un entretien au journal Libération, concernant le Pass rail, vous disiez que la voiture resterait dominante, mais vous incitiez à penser au partage de la voirie. Vous n'ignorez pas que l'A69 est parallèle à une route nationale déjà existante et qui aurait dû être réaménagée. Sur cette question du partage de la voirie, l'association La Voie est libre a justement travaillé à une alternative citoyenne impliquant un réaménagement de la route nationale, mais aussi une meilleure valorisation du train (notamment par l'augmentation des fréquences de passages), ainsi qu'une vélo-route permettant d'effectuer les liaisons modales entre les différentes sections.

Que pensez-vous de ce type de solutions alternatives à l'autoroute ?

Monsieur Ivaldi, je voulais revenir sur le calcul repris dans votre tribune aux Échos. Vous partiez d'un prix de péage annoncé par Atosca, soit 6,77 euros à l'époque. Or les estimations actuelles avoisinent 19,50 euros, soit 9,75 euros pour un simple aller, ce qui s'avère largement supérieur aux chiffres que vous évoquiez. Pourtant, en refaisant les calculs, je suis arrivée à un coût total de l'ordre de 14,55 euros, à la différence des 11,53 euros de votre calcul final. Vous disiez que l'autoroute n'était pas chère, au motif qu'une prise en compte des émissions de CO2 aurait abouti à des tarifs été largement plus élevés. Cela me pose une question, au point de me demander si cette autoroute n'est justement pas la mauvaise solution. On parle du possible développement de la voiture électrique, mais pour l'instant, nous n'y sommes pas. Dès lors, ne vaudrait-il pas mieux valoriser le train ?

Dans ce même article, vous avanciez que le train ne serait pas une solution satisfaisante au motif que les billets les plus avantageux ne seraient réservables qu'à des heures convenant aux seuls étudiants. À l'heure où la politique publique s'oriente plutôt dans le sens d'une valorisation du train, il me semble tout à fait possible de franchir un tel obstacle.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, continuez-vous à penser que l'autoroute apporterait un gain économique réel ?

De manière tout à fait pragmatique, ne pensez-vous pas que l'augmentation du prix du péage sera un frein matériel à l'utilisation de l'autoroute par les usagers ?

Nonobstant le possible gain de temps, sur lequel les estimations fluctuent d'ailleurs, ne pensez-vous pas que ce coût puisse être un véritable frein ?

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Yves Crozet, économiste, maire de Saint-Germain-La-Montagne

Sur la rente autoroutière, il est possible de parler de rente lorsque, sur un marché donné, les consommateurs sont prêts à payer très cher. Un actionnaire de LVMH, par exemple, bénéficie d'une rente de par le fait que des touristes étrangers sont prêts à attendre des heures sur les Champs-Élysées et à payer des centaines d'euros pour acheter des sacs, de très bonne qualité au demeurant, en plus de créer de l'emploi en France.

Que s'est-il passé avec les autoroutes ? Depuis 2006, le péage par véhicule, au kilomètre, a augmenté deux fois plus vite que l'inflation. Les autoroutes ont pu procéder ainsi justement parce que les clients étaient prêts à payer, notamment les poids lourds. Bien sûr, tel n'est pas le cas de l'intégralité de la population française.

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l'État retire une grande partie de cette rente. Je rappelle que les privatisations (d'abord initiées par la gauche, puis par la droite du temps de Dominique de Villepin) ont rapporté 22 milliards d'euros à l'État. Le tarif du péage comprend le remboursement de ces 22 milliards d'euros, en plus des intérêts et l'impératif de remboursement de cette somme donnée à l'État explique l'obligation pour les concessionnaires de dégager de 40 à 60 milliards de profits sur 25 ans.

Aujourd'hui, l'État récupère annuellement 40 % du chiffre d'affaires des concessionnaires. C'est pour cette raison, madame Arrighi, que je ne puis vous rejoindre sur le sentiment que l'État a fait une mauvaise affaire. Je ne vous dis pas qu'il fallait privatiser, étant personnellement hostile à la privatisation.

Pourquoi ce choix a-t-il été fait ? Tout simplement parce qu'il constitue la solution de facilité pour l'État. Même si la réponse n'aura pas l'effet d'une baguette magique, l'État se garantit des recettes pour les années suivantes, en espérant évidemment que le concessionnaire ne fasse pas faillite. L'idée d'un rachat des concessions par l'État induirait l'idée que les concessionnaires puissent être des voleurs et impliquerait de les indemniser à hauteur de 20 ou 30 milliards d'euros, ce qui serait assez mal perçu par les électeurs et les usagers.

Comme je l'indiquais à l'Assemblée nationale en 2015, la renationalisation est un rêve, sauf à considérer de nationaliser sans indemniser, ce qui poserait quelques problèmes constitutionnels.

En revanche, en fin de concession, il ne faudra assurément pas renouveler le système actuel. C'est un système qu'il faut modifier, en évitant surtout une gratuité qui porterait à trouver des milliards d'euros à d'autres endroits. Certains acteurs, notamment les poids lourds, ont une réelle disposition à payer et il faut maintenir cette disposition, mais organiser les choses différemment. Sur ces aspects que je ne développerai pas, je vous renvoie aux travaux menés par l'association TDIE.

Je reviens sur la question du ferroviaire. Si la solution de la concession autoroutière est à mon sens datée, c'est parce qu'il convient de prendre en compte l'évolution actuelle de l'ensemble du réseau routier français, à l'échelle des départements et des métropoles. Ce n'est pas le temps des individus qui est le bien le plus rare, aujourd'hui, mais l'espace collectif de circulation. Sur cet espace, il faut faire passer des camions, des voitures, si possible du covoiturage, des vélos et des autocars et c'est toute cette gestion de la route qui est en train de changer. Par exemple, la gestion des autocars a été privilégiée sur la nationale 4, si bien qu'à chaque fois que vous entrez dans un village, vous devez désormais laisser passer l'autocar que vous aviez doublé quelques minutes auparavant. Ce changement très important s'accentuera d'autant plus que la pression sur les routes augmentera du fait du télétravail et de la voiture électrique.

Parallèlement, le train présente un double-problème. Le premier est que là où l'autoroute rapporte de l'argent à la collectivité, le train en coûte ; il y a donc un sujet de financement. Tout le monde dit qu'il faudrait investir 100 milliards d'euros sur le ferroviaire. Voilà une très bonne idée, que les ressources financières actuelles sont loin de permettre. Pour financer le Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest, il faudrait créer de nouvelles taxes sur des personnes qui n'utiliseront jamais le TGV.

Le second problème du ferroviaire est qu'il n'est pas un substitut pertinent à la voiture, sauf pour l'infime partie de la population habitant près d'une gare et travaillant près d'une autre. Aujourd'hui, les déplacements sur Toulouse, Lyon ou Marseille, ne se font pas de centre à centre, mais de périphérie à périphérie et les transports collectifs ont beaucoup de mal à s'adapter à cette réalité.

À mon sens, les années qui viennent présentent plutôt un risque de thrombose sur les routes, d'où la nécessité de les gérer différemment. Tel est changement principal. On rêve beaucoup du développement du ferroviaire. Il faut assurément le faire et investir, mais cela ne changera pas fondamentalement les choses.

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Marc Ivaldi, professeur d'économie à la Toulouse School of Economics

Je n'aurais pas que peu de choses à ajouter aux propos de monsieur Crozet, auxquels je souscris globalement.

Sur l'estimation du coût, mon chiffre est donc de 6,77 euros, mais il peut évidemment être plus élevé. Dans mon article, j'ai voulu souligner l'importance d'exclure le coût du temps de mon calcul ; le coût de l'autoroute est celui du péage, moins le gain en temps. Je ne pense pas avoir surévalué le temps, puisque je n'ai pris que vingt minutes. Évidemment, une éventuelle augmentation des prix pourrait aboutir à une diminution du trafic et dans ce cas, le chiffre d'affaire du concessionnaire baissera consécutivement, avec le risque qu'il se désengage de la concession.

Je pense que l'autoroute est finalement une bonne solution, notamment parce que l'État n'a pas vraiment les fonds pour investir. En revanche, et nous sommes peut-être tous d'accord, le contrat de concession peut avoir été mal conçu, en particulier si l'on se base sur ceux qui ont été élaborés à l'époque de la privatisation, sous le gouvernement de M. Dominique de Villepin.

Mon école, la Toulouse School of Economics, est connue dans le monde entier pour l'analyse des relations contractuelles entre un concessionnaire et une autorité ; Jean Tirole a d'ailleurs reçu un prix Nobel pour ce travail précis. Il serait donc appréciable que, de temps en temps et avant de signer des contrats de concession, les décideurs politiques s'appuient sur les savoirs existants. Il est assurément possible de réduire les durées de contrats de concession, mais ceux-ci me semblent constituer la bonne solution pour développer des infrastructures.

S'agissant des alternatives ferroviaires, je rejoins tout à fait Yves Crozet. Le problème du train est d'abord celui de la rigidité des horaires. Si vous avez des enfants, vous ne pouvez pas vous rendre par le train à votre travail sur Castres. Un usager prenant le train utilise souvent sa voiture pour se rendre à la gare, puis un autre véhicule, lorsqu'il arrive à Castres ou Toulouse, pour se rendre à l'endroit souhaité. Du fait de ces changements de modes de transport, le temps de transport en train est finalement très élevé.

On peut tout à fait augmenter les fréquences, à condition de les augmenter de manière significative. Il faut d'ailleurs se demander pourquoi cela n'a pas été fait, car rien ne l'empêche. Depuis 20 ans, la région Occitanie dépense environ un milliard d'euros sur le train, pour une part de marché ayant finalement augmenté d'environ 8 ou 9 % à 11 ou 12 %. C'est quand même beaucoup d'argent public dépensé pour un effet très faible.

Le train est une technologie complexe en ce qu'elle nécessite un marché important. C'est un mode très peu flexible, à la différence de la voiture, a fortiori si la voiture électrique se développe et supprime les problèmes de pollution.

L'un des avantages d'avoir des infrastructures adaptées, comme une route à deux fois deux voies, est d'augmenter la fréquence des services de cars qui jouent alors le rôle de transports en commun. L'autoroute devrait le permettre et il faudrait la développer. Ce type de recommandations pourrait être demandé aux concessionnaires, avec une tarification qui serait fonction de l'utilisation du car.

En conclusion et à mon sens, ne pas faire l'autoroute aujourd'hui revient, à coup sûr, à créer des situations de congestion dans 20 ou 30 ans et à prendre le risque, lorsque surviendra cette congestion, de ne plus avoir le temps de bâtir l'autoroute. Telle est l'équation de la décision actuelle.

Il y a de fortes chances que les personnes continuent d'utiliser massivement des véhicules individuels, des bus ou des cars.

Je rappelle enfin que la technologie progresse, au prix d'investissements considérables. La France travaille déjà sur la technologie de l'autoroute électrique (par induction) et même sur des véhicules électriques volants qui apparaîtront très probablement dans très peu de temps.

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Je me permettrais ici de reprendre un mot de monsieur Crozet : « Le monde des transports est bien un monde de chimères. »

Je ne doute pas que des véhicules volants nous conduiront un jour à Castres en beaucoup moins de temps. Dans l'attente, des rapports du GIEC nous alertent dès aujourd'hui sur le dérèglement climatique et peut-être le technosolutionnisme que vous semblez invoquer, monsieur Ivaldi, n'est-il pas la solution. Une solution serait peut-être à rechercher dans le triptyque « Éviter/Réduire/Compenser » et éviter serait effectivement un bon début.

Selon monsieur Crozet, l'État aurait fait une bonne affaire en se ménageant 22 milliards d'euros de redevances. C'est sans compter les coûts induits en termes d'aménagement du territoire, de rupture de la biodiversité et de prise en compte de tous les effets néfastes sur le plan environnemental – et qui, pour l'heure, n'ont pas été suffisamment mis en lumière. À mon sens et sachant l'importance du volet environnemental, on ne peut donc pas uniquement raisonner en termes financiers.

Sur l'idée qu'il y aurait des gagnants à cette autoroute et bien qu'on lui confère une raison impérative d'intérêt public majeur, je rappelle que nous parlons d'une autoroute à desserte locale et dont le trafic supposé a été estimé par le concessionnaire lui-même. Des négociations ont d'ailleurs eu lieu sur l'éventualité de créer des sorties supplémentaires, afin de desservir l'ensemble des villages alentour. C'est donc une autoroute à desserte locale et non une autoroute de point à point, à l'instar du barreau entre Pau et Langon, ce qui ne fait qu'aggraver la question du trafic : 17 000 passages estimés sur la partie de Castres et uniquement 6 000 à partir de Soual.

La question des transports est aussi passionnante que cruciale. Le choix de ne pas agir plus fermement pour des transports décarbonés, malgré les 32 % de gaz à effet de serre, ne fera qu'accentuer le dérèglement climatique.

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Chers collègues, je vous remercie. Merci à messieurs Crozet et Ivaldi d'avoir éclairé les travaux de cette commission d'enquête.

Je vous informe que notre prochaine audition se déroulera demain, jeudi 11 avril, à partir de dix heures.

La séance s'achève à dix-huit heures et quarante-cinq minutes.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Christine Arrighi, M. Frédéric Cabrolier, Mme Karen Erodi, Mme Sylvie Ferrer, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean Terlier