Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mercredi 9 mars 2022 à 14h30

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La réunion

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Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 9 mars 2022

La réunion est ouverte à 14 h 45.

Examen du rapport sur la « science ouverte » (Laure Darcos, Pierre Ouzoulias et Pierre Henriet, rapporteurs)

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. – Après la présentation par nos collègues Pierre Henriet et Pierre Ouzoulias, il y a juste un an, du rapport « Promouvoir et protéger une culture partagée de l'intégrité scientifique », qui répondait à une saisine de la commission de la culture du Sénat, nous avions jugé que le sujet de la science ouverte méritait d'être approfondi. Aussi, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a été de nouveau saisi par la commission de la culture du Sénat pour examiner cette question. Nos collègues sénateurs Laure Darcos et Pierre Ouzoulias et notre collègue député Pierre Henriet nous présentent aujourd'hui leur travail qui viendra éclairer les choix à venir.

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. – Le présent rapport s'inscrit en effet dans le prolongement du rapport sur l'intégrité scientifique, que nous vous présentions, Pierre Ouzoulias et moi‑même, il y a un an. Rejoints par Laure Darcos, nous avons voulu cette fois nous interroger, de manière plus large, sur l'environnement de la recherche, en nous penchant sur la question de la science ouverte.

Qu'entend‑on par là ? Selon le Comité pour la science ouverte (CoSO), il s'agit de « la diffusion sans entrave des publications et des données de la recherche ». Cette démarche doit permettre une meilleure accessibilité de la recherche, l'amélioration de la transparence et une plus grande reproductibilité des travaux. Mais nous avons découvert que cette volonté affichée relève malheureusement parfois du simple mot d'ordre militant.

De tout temps, la diffusion de la science a été étroitement associée à la science elle‑même, au point qu'on peut dire qu'elle participe de son essence. Par exemple, le Journal des sçavans, plus ancien périodique scientifique d'Europe, voit le jour à Paris en 1665, c'est‑à‑dire un an avant la création de l'Académie royale des sciences. La diffusion de la science précéderait donc presque la science elle‑même. En somme, nous nous préoccupons toujours autant de la charrue que du foin…

Comme le démontre Gaston Bachelard dans Le Nouvel Esprit scientifique, toute théorie est en fait une pratique : toute nouvelle pratique engendre une nouvelle théorie scientifique, qui conduit elle‑même à une nouvelle philosophie de la science. Autrement dit, à chaque virage épistémologique, la diffusion de la science subit une force centrifuge qui l'oblige à repenser son modèle de diffusion.

La révolution numérique est le dernier exemple en date de cette dynamique. Elle s'est accélérée à la fin des années 1990, et a totalement bouleversé les modalités de l'accès à la science. Les progrès de l'informatique, du stockage de ressources numériques et surtout des réseaux de communication tels qu'Internet, ont profondément transformé le rapport à la connaissance du point de vue tant de son accès que de sa diffusion et, plus généralement, de sa représentation.

Dès sa mise en place, l'essor d'Internet a d'ailleurs été accompagné d'une mobilisation associative et politique en faveur des logiciels libres et de la libre circulation de l'information.

L'informatique et Internet ont bouleversé les modes de publication et de diffusion des revues et des monographies, notamment avec l'émergence de l' open access, dans le même temps où l'édition scientifique intégrait de nouveaux processus, rendus possibles par l'informatisation et la numérisation.

Cette transformation a affecté le rôle des divers acteurs – éditeurs, universités et organismes de recherche, sociétés savantes, collectifs scientifiques, autorités publiques… De nouveaux usages se sont imposés : les bases de données, l'indexation, la bibliométrie, les plateformes d'articles ou de revues numériques, ou encore les licences de type Creative Commons, qui ne protègent, au libre choix des auteurs, que certains aspects des droits relatifs aux œuvres et sont des solutions de remplacement au copyright et au droit d'auteur.

De nouveaux modèles économiques plus adaptés à la diffusion sur les réseaux numériques ont émergé.

L'histoire de la science ouverte est ainsi celle des étapes de son élargissement. Dans sa recommandation de novembre 2021 pour la science ouverte, l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) désigne par ce vocable un ensemble de connaissances scientifiques ouvertes dont la principale manifestation est le libre accès aux publications scientifiques. Mais il faut aussi penser aux données de recherche, aux métadonnées, aux ressources éducatives libres, aux logiciels et aux codes sources. L'idée consiste à pouvoir faire bénéficier tous les acteurs de ces ressources, de manière immédiate ou aussi rapidement que possible, et ce gratuitement.

Ces innovations vont jusqu'aux pratiques, avec les notions de « sciences participatives » et de « sciences citoyennes », et toute une variété de potentialités que nous évoquons dans notre rapport.

Dès avant cette récente recommandation de l'Unesco, les initiatives se sont multipliées en faveur de la science ouverte.

En France, des bibliothécaires, scientifiques et professionnels de l'information scientifique et technique ont initié plusieurs projets : le portail revues.org, créé en 1999 puis remplacé par OpenEdition, la plateforme Persée, plus patrimoniale – son fonds est surtout constitué de numéros de revues antérieurs à 2001 –, ou encore une autre plateforme, principalement initiée par des acteurs privés du monde de l'édition, qui a rencontré un grand succès : Cairn. L'année 2000 a été celle de l'initiative de Budapest pour l'accès ouvert. Il faudrait parler aussi de la déclaration de Berlin sur le libre accès à la connaissance, en 2003, ou de celle de San Francisco sur l'évaluation de la recherche, en 2012. En février dernier, des journées organisées à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne ont débouché sur l'adoption de l'Appel de Paris sur la science ouverte et l'évaluation de la recherche.

Cette impulsion est aussi constatée par les institutions internationales et européennes. J'ai déjà évoqué la recommandation de l'Unesco de novembre 2021, mais les institutions européennes se sont elles aussi révélées actives.

Dès juillet 2012, la Commission européenne invitait chaque État membre à définir une politique nationale de science ouverte, en fixant l'objectif d'atteindre 100 % de libre accès en 2020. Pour autant, aucun texte juridiquement contraignant n'a été adopté par l'Union européenne en matière de science ouverte. Le texte de référence demeure cette simple communication de la Commission européenne.

Enfin, les pouvoirs publics ne sont pas en reste en France en matière de science ouverte. La loi pour une République numérique de 2016 a repris l'idée de la communication de la Commission européenne en matière d'embargos courts sur les articles scientifiques : six mois pour les sciences, techniques et médecine (STM) et douze mois pour les sciences humaines et sociales (SHS).

À l'exception de ce texte de loi, il n'y a pas à ce stade de dispositions contraignantes en faveur de la science ouverte, ni en France, ni dans l'Union européenne, ni même dans le reste du monde.

Récemment, un plan national pour la science ouverte 2021‑2024 a été établi par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri). Il vise notamment, à travers douze mesures, à faire de la science ouverte le mode de publication par défaut de la production scientifique.

Disons seulement que le taux d'ouverture des publications des chercheurs français est déjà passé, selon le ministère, de 41 % en 2017 à 56 % en 2019. Ces taux s'élèvent même, en 2019, à 69 % pour la biologie fondamentale, et jusqu'à 75 % pour les mathématiques.

Ces taux élevés sont dus, sans conteste, à une forte adhésion des chercheurs à l'idéal de la science ouverte.

Mais on constate que, selon l'établissement de rattachement, les approches peuvent être différentes. La situation est préoccupante dans certains établissements français, comme l'université de Nantes, où il est exigé des chercheurs qu'ils publient de manière ouverte, ce qui conduit à des contentieux.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Je le répète avec force, nous ne faisons pas le procès de la science ouverte, qui est une idée généreuse à laquelle on ne peut qu'adhérer : nous ne contestons pas que le plus grand nombre doit pouvoir profiter de la recherche publique.

En revanche, nous trouvons qu'il est peut‑être préjudiciable pour la recherche que cette politique soit systématiquement mise en œuvre, et qu'elle obéisse à des présupposés quelque peu dogmatiques et mécaniques. Si le Mesri continue à appliquer son plan, cela peut mettre en péril certains domaines de l'édition. Le ministère nous répond que ces derniers seraient marginaux – ce qui reste à voir –, qu'on ne ferait pas d'omelette sans casser des œufs et qu'il faudrait en passer par là.

Nous pouvons prendre l'exemple concret d'une revue à laquelle j'ai participé, Histoire et sociétés rurales. Elle prolongeait l'action d'une association qui avait pour objectif de relancer au niveau universitaire les études sur la ruralité et les techniques agricoles, tombées en désuétude après que de grands noms comme Marc Bloch ou Fernand Braudel les avaient lancées. Derrière une telle revue, il n'y a que des acteurs publics : des chercheurs, des enseignants‑chercheurs, l'université de Caen, une association. Son modèle économique est simple : une moitié des ressources provient des abonnements, l'autre des revenus tirés de la vente au numéro et, surtout, de la publication des articles sur le portail Cairn.

Si demain la science ouverte est appliquée de façon brutale et que les chercheurs se retrouvent obligés de publier sous forme ouverte, le modèle économique de cette revue n'existerait plus et celle‑ci devrait fermer. Tout un pan de la recherche française sur l'histoire rurale serait par là même privé d'un vecteur de diffusion exceptionnel, lui permettant d'être lu à l'étranger à proportion de l'intérêt que ces questions peuvent susciter.

L'enjeu est là : comment, en maintenant les principes de la science ouverte, maintenir la bibliodiversité des publications ? Les revues de niche vivent d'un modèle qui va être détruit par la science ouverte.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice‑président de l'Office

. – Cet éloge de la propriété me va droit au cœur !

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Le Mesri nous renvoie à un modèle « Diamant », où l'essentiel des frais de publication serait à la charge de l'État. En simplifiant, dans l'ancien modèle, les lecteurs payaient la publication. Un autre modèle est ensuite apparu, où l'auteur prend lui‑même en charge les frais de publication. Il s'agirait alors d'une troisième évolution, où l'État prendrait à sa charge l'essentiel du coût économique des publications.

Cette étatisation de la recherche publique pose évidemment un énorme problème, tant économique et moral que démocratique.

Alors qu'a lieu la guerre d'Ukraine, que savons‑nous aujourd'hui de la pérennité de nos institutions démocratiques ? Avons‑nous le droit de donner à l'État l'entière possibilité de décider ce qui peut être publié et sous quelle forme ? L'enjeu démocratique est très fort. Disons‑le, cela n'a pas été perçu par le Mesri.

Par ailleurs, dans un référé de juillet dernier, la Cour des comptes a noté que la politique gouvernementale en matière de bibliothèques universitaires, d'information et de publications est un enchevêtrement incompréhensible de différents dispositifs parfois antagonistes. Une trentaine de politiques à vocation nationale ont été recensées et ne sont pas coordonnées, les opérateurs eux‑mêmes s'ignorent les uns les autres : le Comité pour la science ouverte (CoSo), le Comité d'orientation du numérique, le Comité stratégique de la transition bibliographique, etc. Personne ne peut se repérer dans cet empilement stratigraphique, qui pourrait presque faire plaisir à l'archéologue que je suis.

Par manque de temps, nous n'avons pas traité le problème de la pérennisation des données publiques. Dans l'activité du chercheur, il faut distinguer les données de la recherche et la publication qu'il tire de ces données. La publication est soumise à son autorité en tant qu'artiste : sa production est une œuvre, et obéit à une législation particulière. En revanche, les données publiques restent la propriété des organismes qui le payent. Il faudrait regarder quels sont les moyens pour les chercheurs de pérenniser ces données dans des bases de données informatiques.

En tant que représentants de la Nation, nous avons noté que le Parlement a été tenu à l'écart de toutes ces décisions en faveur de la science ouverte, notamment des plans nationaux. Or il s'agit d'une matière qui touche à un droit fondamental reconnu par la Constitution : l'indépendance des chercheurs et les libertés académiques. Il faut absolument que le Parlement réinvestisse ce champ.

De manière générale, le thème de la science ouverte rejoint la question du pluralisme de la pensée, des libertés académiques et du droit d'auteur dans le domaine spécifique des chercheurs.

Il nous a semblé que le Mesri – en fait, il s'agit surtout d'une seule personne, responsable de la science ouverte – avançait parfois de façon très volontaire, en oubliant un certain nombre de questions éthiques ou constitutionnelles. Il faut absolument remettre ces politiques à plat et approfondir le travail.

En la matière, le Gouvernement souffre du syndrome de Pénélope : il défait la nuit ce qu'il a fait le jour. La loi de 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information organise un régime dérogatoire pour les chercheurs et les enseignants‑chercheurs concernant les droits d'auteur. La science ouverte le remet en question de façon insidieuse, au moyen de textes qui ne sont ni législatifs ni réglementaires. Il s'agit souvent de circulaires internes imposées par les opérateurs employant les chercheurs. Ces derniers se retrouvent obligés de renoncer à leurs droits d'auteur et de les confier au seul opérateur, qui se réserve la possibilité de dire quelle forme doivent prendre les publications.

Pierre Henriet a cité le recours fait par un enseignant‑chercheur de l'université de Nantes, dont le conseil d'administration, par un texte interne, obligeait à publier en format ouvert toutes les productions alors qu'il en est le propriétaire légitime.

Cette étatisation de la production scientifique est contraire à l'esprit académique. Cet accaparement par l'État est très discutable, voire condamnable. Le Parlement, après l'Office, doit s'en saisir pour demander au Gouvernement une réflexion plus attentive. C'est l'un des enjeux du rapport.

Par ailleurs, le livre est un objet complètement oublié des politiques de la science ouverte. Il n'est plus reconnu comme vecteur de publication scientifique, pour la simple raison que, contrairement aux revues, il n'est pas évalué par les « grandes agences de notation », dont, comme la finance, la science dispose. En effet, l'évaluation d'un livre peut seulement être qualitative et non quantitative : pour évaluer un livre, il faut le lire et le soumettre à une critique. Une bonne partie des productions de sciences humaines et sociales sort ainsi de toute évaluation, y compris de l'évaluation budgétaire du Parlement. Si l'on regarde les bleus budgétaires, les critères d'évaluation de la science concernent essentiellement les sciences dures et très peu les sciences humaines, pour la bonne raison que le livre n'y figure pas.

Pourtant, les éditeurs nous disent qu'à la suite de la crise de la Covid‑19, ce qui marche le mieux, ce sont les ouvrages de sciences humaines, car nos concitoyens, en quête de sens, vont chercher des repères dans des livres d'histoire, de géographie ou d'autres sciences sociales. L'histoire mondiale de la France, ouvrage dirigé par Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, est ainsi un livre important qui rencontre un vrai succès de librairie.

Dans la politique de la science ouverte et en matière d'évaluation, il faut réintroduire les livres. Nous en avons parlé à Thierry Coulhon, président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), qui est convenu qu'il était très important d'identifier discipline par discipline les vecteurs de diffusion de la science, en reconnaissant les spécificités propres aux sciences humaines et sociales, et, à l'intérieur de celles‑ci, entre chaque discipline – on ne publie pas de la même manière en histoire et en économie. Nous avons besoin de ce niveau de détail afin de permettre une évaluation au plus près des pratiques des chercheurs.

Notre rapport arrive après celui que le professeur Jean‑Yves Mérindol a remis en 2020 à la ministre. Nos conclusions sont proches : il y a un consensus sur un certain nombre de points, sur lesquels ma collègue Laure Darcos reviendra. Il faut une prise de conscience. Le Parlement doit réinvestir ce champ, pour éviter qu'une partie de la recherche française ne soit amenée à traverser de grosses difficultés.

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Laure Darcos, sénatrice, rapporteure

. – Il me revient de vous présenter les huit propositions que nous nous sommes efforcés de formuler au regard des problèmes rencontrés.

Premièrement, nous pensons qu'il faut définir et mettre en œuvre, dans une logique réellement interministérielle, une politique équilibrée et concertée de la science ouverte et de l'édition scientifique, en assurant un soutien aux petits éditeurs. Ce n'est pas un hasard si l'Office a été saisi de ce sujet par la commission de la culture, qui se préoccupe de l'édition française.

Tout se passe comme si la science ouverte était, en définitive, le seul déterminant logique de l'action du Mesri, et plus largement de l'action du Gouvernement en la matière. Cela ne peut plus durer.

Les services du ministère de la culture compétents pour l'édition et le droit d'auteur sont totalement marginalisés aujourd'hui. Ils devront être associés plus étroitement, notamment en ce qui concerne l'économie du livre et la promotion de la lecture.

Le plan de soutien à l'édition portant sur la période 2017‑2021 est resté insuffisant et constituait en grande partie un trompe‑l'œil. Voici l'occasion de lancer pour la période 2022‑2025 un véritable plan pluriannuel de soutien à l'édition scientifique, axé sur les petits éditeurs et les sciences humaines et sociales, dans le cadre d'une politique interministérielle concertée de la science ouverte et de l'édition scientifique qui prenne en compte tous les enjeux en présence.

Deuxièmement, il convient en effet de faciliter le dialogue entre toutes les parties prenantes. Pour être effective et équilibrée, la politique interministérielle de la science ouverte et de l'édition doit faire l'objet d'une véritable concertation : cela implique de faciliter le dialogue entre tous les acteurs concernés, de faire travailler ensemble toutes les parties prenantes, de mieux articuler les acteurs publics et privés, les petits et les grands, pour progresser pragmatiquement vers le libre accès et la science ouverte.

Concrètement, il est proposé de réformer l'Observatoire de l'édition scientifique, pour en faire une instance interministérielle permanente de dialogue, et de le rapprocher du Médiateur du livre et du Comité pour la science ouverte, qui s'appuie aujourd'hui sur le coordinateur pour la science ouverte.

Troisièmement, nous prônons un respect accru de la liberté académique, de l'indépendance des chercheurs, de la liberté de divulgation et du droit d'auteur. Les incitations à l'ouverture immédiate ne doivent pas se transformer en obligations : il s'agit de facultés offertes aux enseignants‑chercheurs. Par principe, la publication dans des revues payantes ne doit pas pouvoir être interdite, directement ou indirectement.

Quatrièmement, nous estimons préférable de favoriser la voie du pluralisme par la bibliodiversité, plutôt que de programmer l'hégémonie du modèle « Diamant », dont Pierre Ouzoulias vient de parler. Il faut abandonner la perspective d'une voie unique, bientôt hégémonique, poussant à l'uniformisation et à la généralisation d'un seul modèle, synonyme d'étatisation de l'édition scientifique. Dans l'intérêt de la science et de la société, nous avons en effet besoin de diversité, de pluralisme et surtout pas d'un scénario de domination unique du modèle « Diamant ». Les archives ouvertes ne doivent pas devenir la voie unique non plus. Les livres, les revues et les plateformes payants n'ont pas vocation à disparaître.

Cinquièmement, il faut mieux évaluer les effets de la politique de la science ouverte et conditionner toute mesure nouvelle à des études d'impact approfondies. Les investissements engagés pourront ainsi mieux s'inscrire dans une démarche équilibrée, durable et cohérente.

Par exemple, s'il est décidé de réduire davantage la durée des barrières mobiles issues de l'article 30 de la loi pour une République numérique, il faudra le faire en étant armé d'un bilan rigoureux de l'impact des dispositions en vigueur, et identifier préalablement les effets induits par un nouveau raccourcissement des durées d'embargo.

Sixièmement, nous voulons joindre le geste à la parole en prônant un renforcement du rôle du Parlement en matière de science ouverte.

Sur un plan juridique comme sur un plan démocratique, il appartient au Parlement de définir le cadre légal de la science ouverte et de l'édition scientifique. Il n'appartient pas aux agences de financement comme l'ANR (Agence nationale de la recherche) ou aux établissements publics de recherche, comme le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) ou l'Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) d'imposer des mesures contraignantes et restrictives allant au‑delà de la loi.

Ces acteurs publics ont en effet eu tendance, avec l'appui du Gouvernement via le CoSO, à rendre obligatoire l'accès ouvert immédiat et à restreindre la liberté de publier, par exemple dans les revues hybrides. Or la seule disposition législative aux effets normatifs adoptée en faveur de la science ouverte est bien l'article 30 de la loi pour une République numérique. Aucune des dispositions de la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020 (LPR) n'a d'effet normatif sur le sujet, puisque cette dernière loi se contente d'inscrire une référence à la science ouverte dans les missions des enseignants et des enseignants‑chercheurs.

Dans ce cadre, le respect de la loi, de la liberté académique et du principe constitutionnel de l'indépendance des enseignants‑chercheurs doit prévaloir, y compris dans leur activité de publication. C'est pourquoi les directives d'ouverture immédiate adressées aux chercheurs doivent être évitées, dans la mesure où des incitations respectant la liberté académique sont préférables à des obligations sans fondement législatif.

Le renforcement du rôle du Parlement en matière de suivi de la science ouverte, de l'édition scientifique et de sa transition numérique passera aussi par des remises périodiques de rapports au Parlement, à l'occasion desquelles un débat pourrait être organisé par l'Office.

Septièmement, afin de réduire la pression à la publication, il convient de réviser les modalités d'évaluation des chercheurs, au profit de critères plus qualitatifs. L'évaluation par les pairs et les approches qualitatives doivent primer. Il faut sortir d'une évaluation reposant exclusivement sur la bibliométrie et les publications dans des revues à facteur d'impact élevé, comme d'une course folle motivée par l'alternative « publier ou périr ».

Huitièmement, nous proposons d'offrir des formations aux enjeux de la science ouverte dans tous les milieux de la recherche. Il convient d'agir communauté par communauté, en veillant à l'échange de bonnes pratiques et en cherchant à développer les compétences en termes d'information, de publication et de documentation.

La formation des doctorants, nouvelle génération de chercheurs, est aussi essentielle. Le passeport pour la science ouverte est un guide conçu pour accompagner les doctorants à chaque étape de leur parcours de recherche, quel que soit leur champ disciplinaire. Il propose une série de bonnes pratiques et d'outils directement activables. Un guide à l'usage des écoles doctorales vise également à former à la science ouverte tout au long de la thèse. Ces documents sont intéressants, mais ils présentent une vision parfois militante du sujet et pourront avantageusement être enrichis dans le sens des orientations du présent rapport.

En conclusion, nous tenons à souligner que la science ouverte, pour être effective, doit être réaliste, équilibrée et respectueuse de la liberté académique. La Realpolitik de la science ouverte prônée dans notre rapport s'oppose à l'instrumentalisation de la science ouverte. Celle‑ci ne saurait servir de supplément d'âme à des institutions de l'enseignement supérieur en manque d'inspiration ainsi qu'à un monde de la recherche en perte de repères. Il faut se rappeler la formule de Samuel Johnson, pour qui « l'enfer est pavé de bonnes intentions ». C'est pourquoi, de mot d'ordre politique incantatoire, la science ouverte doit devenir un projet plus réaliste, conditionné par une approche consensuelle et équilibrée.

En vue de garantir durablement le pluralisme essentiel pour notre culture et la vitalité de la démocratie, une attention vigilante doit être portée à la diversité du monde de l'édition, tout particulièrement en sciences humaines et sociales. Plus qu'un enjeu propre aux chercheurs, il s'agit d'un choix de société quant à la diversité intellectuelle et à la place accordée au savoir dans notre temps.

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. – Mes chers collègues, je vous remercie de cette présentation vivante et profonde. J'aurai de nombreuses questions à vous poser sur ce sujet qui m'était familier quand j'étais chercheur, et qui me reste cher. Qui souhaite se lancer dans le débat sur la présentation de ce rapport ?

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice‑président de l'Office

. – En écoutant nos rapporteurs, j'ai mesuré leur joie d'explorer ces sujets de société, qui sont des questions extrêmement politiques demandant des prises de position courageuses allant à l'encontre des solutions de facilité.

Le sujet est subtil. Dans la propriété intellectuelle, on retrouve une relation qui s'apparente à celle entre le metteur en scène et le preneur d'images. Les données constituent un bien appartenant à la structure qui permet de les collecter, et l'agencement des données et les leçons que l'on en tire appartiennent aux auteurs. Je suis d'accord avec les rapporteurs quant à l'importance du livre : les sciences humaines et sociales reposent sur des ouvrages, peut‑être plus faciles à lire que les articles de revue.

Collecter des données est en soi un travail qui fait parfois appel à la science ouverte. Cela demande des enquêtes et des compilations éventuellement réalisées à l'aide d'algorithmes, et parfois l'achat de données par un organisme de recherche.

Est‑il alors aisé de distinguer ce qui revient à chacun ? Le point me semble délicat. Il donne parfois lieu à des contentieux juridiques interminables dans les entreprises, où le scientifique peut à juste titre considérer avoir un droit de propriété sur son travail. À quel point peut‑on distinguer ce qui revient à la structure de ce qui revient à l'auteur ? Le problème se retrouve en littérature, où certains écrivains ne travaillent que lorsqu'ils sont financés par des éditeurs.

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Laure Darcos, sénatrice, rapporteure

. – La science ouverte a profité d'un système pernicieux. Dans les sciences humaines et sociales, les contenus sont peut‑être plus pérennes que dans les sciences dures, où les choses évoluent plus rapidement.

Il y a en effet une énorme différence entre un auteur, romancier ou essayiste, et un scientifique. Un auteur veut vendre des livres pour être rémunéré en droits d'auteur. Un scientifique veut surtout que ses travaux lui permettent d'être reconnu par ses pairs.

Pendant longtemps, on a oublié que le travail d'un éditeur scientifique ou universitaire était aussi important que celui d'un éditeur littéraire. On a eu tendance à confondre ces travaux, en se disant que la solution de facilité était de mettre l'information à la disposition de tous le plus rapidement possible.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – La question me semble être celle de la répartition de la valeur. Comment est‑elle créée, qui en profite, comment peut‑on la gérer ? Bien évidemment, elle est créée à la fois par le recueil des données et par la production scientifique.

De plus en plus, notamment dans les sciences dures, les articles sont publiés par des auteurs collectifs – on compte parfois 300 signataires. En sciences humaines et sociales, il y a de plus en plus de coécritures, et il n'est pas toujours facile de distinguer entre les auteurs. Ne nous voilons pas la face, il y a aussi des formes d'accaparement de la production scientifique, notamment dans certaines disciplines où les directeurs de recherche signent systématiquement les travaux de leurs étudiants, parce qu'ils estiment qu'il s'agit d'une manière de récompenser leur encadrement.

Le problème recoupe la crise de l'intermédiation que nous avons déjà abordée à l'Office. Nos sociétés reconnaissent de moins en moins la valeur apportée par les intermédiaires, y compris dans le domaine politique. En tant que représentants de la Nation, nous sommes des intermédiaires entre le peuple et les pouvoirs publics, et nous avons du mal à faire valoir notre rôle et notre investissement.

Dans les sciences humaines et sociales, le travail des éditeurs, le récolement des textes, les corrections syntaxiques, typographiques et orthographiques, la mise en forme, la relecture par des tiers ainsi que la valorisation de la revue ne sont pas perçus. Ils ne l'ont jamais vraiment été, du reste : derrière les œuvres de Victor Hugo, on oublie que des ouvriers typographiques relisaient les textes et les mettaient au propre. Dans une œuvre littéraire ou artistique, il y a toujours un travail d'atelier.

Aujourd'hui, ce travail a du mal à être valorisé. On a tendance à croire que la relation entre le lecteur et l'auteur pourrait être immédiate, et que l'auteur pourrait directement mettre en ligne son travail, comme dans les réseaux sociaux. Il faut absolument redonner de la valeur à ce travail de médiation, ce que les éditeurs privés n'ont probablement pas assez su faire.

Par ailleurs, dans les sciences dures, d'autres éditeurs, comme Nature ou Science, se contentent de vendre une marque afin de permettre aux auteurs de profiter du rayonnement de la revue. Comme les marques du luxe, ces marques ont des rendements faramineux tout à fait immoraux.

Ce vol de la production scientifique ne doit pas faire oublier que, dans certains domaines de la production, un apport important de la part des éditeurs risque d'être mis en péril par la science ouverte. Tel est l'objet de notre rapport.

La difficulté est d'aller à l'encontre de l'idée généreuse selon laquelle, puisque la science appartient à tout le monde, elle doit être libre tout de suite. L'application de cette idée généreuse peut produire des désastres.

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. – Nous devons trouver des critères qui correspondent à chaque discipline et notamment celles des sciences humaines et sociales.

Le travail doit se poursuivre, car nous voyons les limites du modèle qui pourrait être mis en place. Le but est de pouvoir atteindre l'objectif de la science ouverte, mais l'on voit de plus en plus de travaux transdisciplinaires, qu'il faut prendre en compte dans l'élaboration des critères d'évaluation et des critères normatifs qui pourraient être mis en place.

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. – Un auteur tire sa rémunération de la vente d'ouvrages et d'un contrat passé avec l'éditeur. Un scientifique, d'habitude, tire sa rémunération de son laboratoire et de ses subventions, quel que soit le nombre d'articles publiés. Dans le premier cas, c'est de la foule des lecteurs que vient la rémunération, et le processus est démocratique. Dans l'autre, il est méritocratique : les pairs du scientifique, réunis en instances et en panels, vont juger la production de l'auteur, lui assurant une promotion et une progression dans sa carrière.

Si elle varie d'une science à l'autre, la stratification des revues est très forte selon le domaine scientifique. Les membres du jury du prix Nobel de littérature doivent lire les livres des auteurs pour se faire un avis. Dans un jury scientifique ou un comité de sélection recrutant un universitaire en sciences exactes, pour évaluer un dossier, à moins d'être exactement dans le domaine de spécialité du candidat, il est impossible de lire les articles : on ne comprendrait pas les travaux.

En revanche, tout le monde peut regarder dans quelles revues les articles ont été publiés, et compter leur nombre. Et c'est ce qui est fait. Le classement des revues propose un modèle pour l'évaluation des carrières, qui varie d'une discipline à l'autre.

Les évaluations varient d'une science humaine et sociale à l'autre, mais également d'une science exacte à l'autre. Par exemple, malgré la proximité des disciplines, les publications des informaticiens et des mathématiciens sont évaluées de manière très différente. Les conférences ne valent rien en mathématiques, alors qu'elles sont très valorisées en informatique. Pour cette raison, il est important de porter un regard disciplinaire sur le sujet, par exemple à travers le Conseil national des universités (CNU) ou le CNRS.

Il y a une spécificité des sciences humaines et sociales par rapport aux sciences dures, mais il n'est pas aisé de saisir l'interface et la zone grise entre les deux domaines. Avec éloquence, vous avez défendu l'importance de protéger de petits éditeurs attaqués par le modèle de la science ouverte, notamment la plateforme Cairn. En mathématiques, la situation est différente : David est représenté par les chercheurs et les bibliothèques universitaires, Goliath par Springer et Elsevier. Régulièrement, le monde universitaire est secoué de mouvements de boycotts envers ces deux acteurs – Springer ayant meilleure réputation qu'Elsevier, parce que sa ligne est de publier des ouvrages très respectés, ce qui vient pardonner la manière dont ils perturbent le modèle économique des revues. Je ne doute pas cependant que les représentants des intérêts d'Elsevier auront soin de sélectionner les bons passages de votre rapport, en coupant sans doute certaines parties, pour montrer qu'eux aussi doivent être protégés contre le rouleau compresseur de la science ouverte.

Le domaine de l'édition scientifique connaît des marges financières énormes. Il a énormément profité de la numérisation, car le travail d'édition et de mise en page, qui était fait par les revues, est désormais fait par les auteurs, qui envoient des articles prêts à être publiés ; pour autant, le coût de l'abonnement aux revues n'a pas baissé. Les revues ont par ailleurs développé des pratiques commerciales très efficaces, comme le bundling (regroupement).

Certains phénomènes sont inouïs : des revues prédatrices sans aucune valeur scientifique sont financées par les auteurs, permettant à ces derniers de gonfler leur CV ; leurs titres, bien choisis, sont très proches de ceux de revues respectées, pour semer la confusion dans l'esprit des évaluateurs. Un auteur a réussi à faire accepter par l'une de ces revues un article écrit par une intelligence artificielle reposant sur des mots‑clés. Mais l'expérience la plus incroyable est peut‑être celle de cet auteur qui, ayant transmis à une revue prédatrice un article ne comprenant qu'une seule phrase répétée des centaines de fois – « Get me off your fucking mailing list » –, s'est vu répondre que son article était intéressant et qu'il devait envoyer un paiement pour le publier.

Le gonflement du nombre des articles participe à l'engorgement général du système, où les intérêts économiques sont plus que jamais florissants.

Vous avez indiqué qu'il importait de creuser la question des modèles économiques. Je souhaiterais que nous abordions la taxonomie complexe entre le modèle « Diamant » et les voies vertes et dorées. Parfois, un « double deep » fait que les revues bénéficient à la fois de la contribution des auteurs et des contrats passés avec les bibliothèques qui souscrivent les abonnements. Elsevier indique tout faire pour éliminer cela, mais le système est si difficilement lisible qu'il ne serait pas surprenant que des anomalies persistent.

Je remarque, en guise de clin d'œil, que le rapport mentionne une alliance paradoxale entre les libertariens opposés à l'État et les partisans du tout État en matière d'édition, la grande rivalité entre communistes et anarchistes semblant ainsi s'effacer. Le sujet est donc riche tant politiquement qu'économiquement.

Certains domaines connexes au sujet n'ont pas été approfondis dans le rapport, en particulier celui des bases de données en libre accès comme le Health Data Hub. Vous n'avez qu'esquissé la question des logiciels libres et les débats récents autour de la propriété intellectuelle des logiciels et de l'accord relatif à une juridiction unifiée des brevets (JUB). Notre collègue Ronan Le Gleut était rapporteur du projet de loi transposant la directive européenne en la matière. Des associations engagées pour le logiciel libre m'ont récemment expliqué, arguments à l'appui, que la JUB telle qu'elle est prévue emportait le risque, sous couvert de juridiction spécialisée, de voir validés des brevets qui devraient être interdits par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Compte tenu de l'absence de lien organique entre la JUB et la CJUE, il serait impossible, dans le cas d'un conflit, de faire appel.

Les mécanismes inscrits dans la loi, censés permettre de sortir par le haut des conflits au sujet des brevets, seront‑ils ou non opérants ? Le sujet est technique, et nous devrons prendre le temps de l'examiner précisément. On ne dépose pas une demande de brevet pour une œuvre littéraire ou pour une idée. Les droits d'auteur ne sont pas la même chose qu'un brevet. On ne dépose pas davantage de demandes de brevet pour un algorithme ou un logiciel, car, par nature, les algorithmes ou les logiciels ont vocation à être copiés puis recopiés, ne nécessitent pas de capitaux importants, ne se fabriquent pas, et aucun plan ne peut être déposé à l'Office des brevets.

Mais le domaine connaît manifestement une tension, car certains, pour des intérêts économiques, cherchent à définir le plus largement possible ce qui peut être breveté. Aux États‑Unis, des trolls sont chargés de déposer des brevets sur des logiciels dans certains États où cela est possible, pour ensuite attaquer en justice les entreprises proposant des solutions proches. Une start‑up de ma connaissance a dû dépenser une très grosse somme pour payer des avocats et éviter un procès.

Le rapport pourrait peut‑être mentionner de façon plus explicite que ces sujets connexes, liés aux données et à la propriété intellectuelle, ne sont pas couverts, mais mériteraient un examen approfondi de la part de l'Office dans les temps à venir.

Je voudrais revenir un instant sur les modèles économiques de l'édition évoqués dans une partie dédiée du rapport. Il n'y a pas si longtemps, une pratique courante consistait à publier un article dans une revue éventuellement payante, mais en même temps à en déposer le preprint sur une archive ouverte ou une page web personnelle. Bien souvent, l'éditeur fermait les yeux sur cette pratique, considérant qu'il s'agissait d'une soupape de sécurité permettant la diffusion des idées – parfois, cette pratique était même encouragée, car elle ne nuisait pas aux ventes. Cette pratique pouvait aussi être de mise pour des ouvrages : à une époque, l' American Mathematical Society recommandait de publier les livres, tout en les mettant parallèlement en accès libre. Il y avait des débats sur ce sujet. Je me souviens que certains auteurs craignaient une diminution de leurs droits d'auteurs, et qu'au contraire d'autres étaient ravis.

Nous avons beaucoup parlé de la France, mais qu'en est‑il des politiques européennes et internationales ? Il y a, selon mon expérience, une vraie fracture entre le monde continental et le monde anglo‑saxon. Dans la tradition anglo‑saxonne, le scientifique est un entrepreneur comme un autre, qui doit débourser pour se faire connaître, car sa carrière en dépend. Dans la tradition française, le scientifique offre un cadeau à la société avec sa production, et il n'a aucune raison de payer pour cela ; au contraire, c'est la société qui doit le rémunérer. L'incompréhension a donc pu être profonde entre ces deux cultures. Maintenant que les Britanniques ont quitté l'Union européenne, cela change‑t‑il quelque chose ?

Enfin au sujet de vos recommandations, je vais les prendre dans l'ordre que vous avez suivi.

Premièrement, je suis très favorable à la définition d'une politique interministérielle, mais quel ministère serait alors le chef de file ?

Deuxièmement, vous parlez de rapprocher les trois acteurs que sont l'Observatoire de l'édition scientifique, le Médiateur du livre et le Comité pour la science ouverte, mais j'ai compris qu'il y avait d'autres acteurs dans cette comitologie complexe. Qu'en faisons‑nous ?

Troisièmement, concernant la liberté académique et l'indépendance des chercheurs, vous avez parlé de l'université de Nantes, mais y a‑t‑il d'autres exemples de ce phénomène ? S'agit‑il d'un avertissement, ou cette réalité est‑elle en train de s'affirmer ?

Je suis entièrement d'accord avec vos cinquième et sixième recommandations.

Septièmement, j'ai en revanche un petit doute sur la révision des modalités d'évaluation des chercheurs au profit de critères plus qualitatifs, car cela risque de contredire votre troisième recommandation. Le politique ne doit pas donner aux chercheurs des consignes concernant la manière dont ces derniers s'évaluent entre eux. Il faut nuancer : le politique peut demander l'évaluation des missions d'enseignement et de recherche, car la société rémunère les enseignants‑chercheurs ; en revanche, les scientifiques sont compétents en matière d'évaluations individuelles qualitatives et quantitatives et pourraient demander de quel droit le politique se mêle de ce qui ne le regarde pas. Les scientifiques doivent garder les manettes concernant la définition des critères de l'évaluation de la recherche. Je suis de tout cœur avec vous sur le principe d'éviter le « publish or perish », et je pense d'ailleurs que le facteur d'impact a été une régression terrible pour la recherche en général. Mais je crains qu'on ne nous reproche de dicter aux chercheurs la loi dans leurs domaines.

Je ferai une dernière remarque connexe. Si un président d'université impose à ses enseignants‑chercheurs de publier en open access, il enfreint les libertés académiques ; le devoir de l'État est alors de protéger l'indépendance des chercheurs. Mais si le conseil d'administration d'une université décide que la bibliothèque universitaire ne passera des contrats qu'avec des revues de science ouverte, ou s'il décide de boycotter tel ou tel acteur, nous n'avons rien à redire.

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Laure Darcos, sénatrice, rapporteure

. – Concernant la septième recommandation, le Hcéres a insisté sur le fait qu'il faut évaluer la recherche de manière plus qualitative que quantitative – cela correspond d'ailleurs à ce qui a été dit lors des débats sur la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. La qualité des productions peut d'ailleurs être assurée par le fait que, pendant une durée de six à douze mois, les éditeurs privés peuvent vendre leur revue.

Concernant le rapport entre les grands et les petits éditeurs, j'ai toujours eu un souci avec le fait que ces deux types d'acteurs se retrouvent dans un même syndicat. Dans le monde du roman ou de l'essai, la situation est similaire : dans un même syndicat d'édition, on trouve par exemple Hachette, Editis et les Éditions de Minuit ! Je les ai souvent questionnés à ce sujet, dans une vie antérieure, et les syndicats me disaient assumer ces différences, les gros éditeurs étant ainsi obligés de revoir leur copie. Un exemple de cela est donné par le consortium Couperin, réunissant l'ensemble des bibliothèques universitaires notamment pour mener leurs achats, qui a pu obliger Elsevier à baisser ses tarifs.

C'est aussi en regardant les petits – les PUF, La Découverte, Armand Colin, etc. – que l'on trouve de bons exemples. Peut‑être que les gros acteurs ne retiendront du rapport que ce qui les intéresse, mais nous voulions marquer cette singularité.

Quand on voit les fluctuations budgétaires concernant la LPR, notamment lors des deux premières années, le fait de se retrouver dans un modèle « Diamant » abondé par Bercy peut faire craindre le pire pour les prochaines années. Même si certains éditeurs privés sont un peu gourmands, ils doivent demeurer un vrai pendant de ce financement public.

Nous avons laissé de côté la question des logiciels, car nous avons toujours gardé à l'esprit le fait que nous répondons à une saisine de la commission de la culture. Ce qui était intéressant pour l'Office, c'était de porter un regard « culturel » sur ces enjeux de science ouverte.

L'Observatoire de l'édition scientifique n'a jamais pris en compte le fait que le ministère de la culture devait être partie prenante dans ces discussions. Au Mesri, la personne chargée de la science ouverte nous a dit que la situation des éditeurs privés concernait le ministère de la culture et pas son ministère.

Début février 2022, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, une grande conférence sur la science ouverte a été organisée à Paris. Elle a vu l'expression d'un front commun des petits éditeurs, privés et publics, contre l'imposition du modèle « Diamant » souhaitée par le Mesri. Le cabinet de la ministre s'est rendu compte au dernier moment de cette catastrophe annoncée, un peu comme le gouvernement l'avait fait lors de la loi pour une République numérique en 2016.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – On peut apporter des nuances sur de nombreux éléments.

Les grands éditeurs trouveront peut‑être dans ce rapport de la matière pour justifier l'existence de leur modèle économique, mais l'outil de la science ouverte ne permettra pas de démanteler les monopoles qui ont été constitués, parce que ces grands éditeurs sont déjà en train de faire évoluer leur modèle.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Elsevier et Springer ont créé des monopoles titanesques grâce aux publications, mais ils passent maintenant à la gestion des données. Ce qui intéresse aujourd'hui ces grands éditeurs, c'est de capter la donnée au plus près de la production scientifique, directement dans les laboratoires, pour constituer des bases de données permettant de répondre aux expertises demandées par les États.

Ébranler le modèle économique fondé sur la publication et l'abonnement ne posera donc pas de problème aux grands éditeurs, qui sont déjà partis dans un autre domaine sur lequel nous devrions travailler. Aujourd'hui, ils font le tour des chercheurs en leur proposant des solutions clés en main pour l'archivage des données, et les chercheurs ne comprennent pas forcément le modèle économique qui sous‑tend l'application qu'ils utilisent.

La taxonomie des modèles est évidemment complexe, mais on peut dire qu'il y a trois grands modèles. L'important est de savoir qui paye. Soit c'est le lecteur, et il s'agit de l'ancien modèle ; soit c'est l'auteur ou le laboratoire auquel celui‑ci est rattaché, et c'est le modèle dont nous sommes en train de sortir ; soit, selon le nouveau modèle, ce sont les États. Il y a ensuite des nuances avec des panachages de ces trois modèles.

On voit donc une évolution majeure des formes de financement de la production scientifique. Pendant des siècles, le lecteur a financé la publication ; aujourd'hui, c'est de moins en moins le cas, sauf dans des secteurs de niche.

Sur le problème de la diffusion rapide, l'auteur qui diffuse le texte mis en forme par l'éditeur en amont de l'embargo ne rencontre pas de contentieux.

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. – Le dommage de réputation serait plus grand, et cela ferait un teasing.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Absolument. Lorsque les marges sont aussi importantes, on ne va pas chercher l'auteur.

Les choses sont similaires pour les livres : beaucoup d'ouvrages, notamment en sciences humaines, sont totalement financés : l'auteur arrive avec un plan de financement intégral, et l'éditeur ne prend de risque que lors de la vente, sur laquelle il fait 100 % de marge, ce qui est particulier…

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – En effet, même sans vendre aucun ouvrage, l'éditeur est à l'équilibre budgétaire, et tout le reste représente un bénéfice. Qu'un ouvrage finisse en accès libre ne représente donc pas un problème.

Au niveau international, nous avons eu une audition organisée avec le concours de l'ambassade de France aux États‑Unis, lors de laquelle un panel de chercheurs américains de haut niveau nous a pris complètement à rebrousse‑poil, en nous disant que la France était à la pointe du progrès pour la science ouverte au niveau mondial, et que nous devions défendre cela. Nous étions un peu embarrassés devant ce discours militant nous demandant de casser les reins des grands éditeurs, avec l'idée que Springer et Google menaient le même combat…

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Laure Darcos, sénatrice, rapporteure

. – Comme si nous étions dans le wokisme de la science ouverte !

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Nous avons su garder notre calme.

À l'échelon européen, nous avons notamment eu une audition avec la Représentation française auprès de l'Union, qui ne connaissait absolument pas le sujet, ce qui est inquiétant.

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Laure Darcos, sénatrice, rapporteure

. – Nous avons parlé avec nos deux représentants scientifiques, qui découvraient le dossier. La direction compétente à la Commission européenne nous a semblé tout autant dépassée.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Pour répondre au sujet du contentieux avec l'université de Nantes, c'est le premier recours dont nous avons eu connaissance. Nous ne pouvons pas savoir s'il y en a d'autres. Si la réponse du tribunal administratif était favorable à l'annulation de l'acte du conseil d'administration, la jurisprudence serait forte.

Concernant les problèmes d'évaluation, les dispositions de la loi de programmation de la recherche sur l'intégrité scientifique sont puissantes. Elles montrent bien quel cap politique le Parlement souhaite suivre, mais les modalités restent du ressort des disciplines et des organismes. Nous ne voulons pas être trop normatifs.

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. – Émanation de la communauté scientifique qui organise l'évaluation, le Hcéres a une légitimité incontestable.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Nous avons voulu anticiper le reproche selon lequel nous serions en train de défendre les petits éditeurs contre les gros. Il y a une concentration du monde de l'édition, mais les petites maisons ont encore une autonomie éditoriale très forte. Travailler avec Le Seuil ou La Découverte n'est pas travailler directement avec le groupe Bolloré.

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. – Il peut aussi se créer de nouveaux acteurs. Récemment, dans le domaine de la vulgarisation scientifique, Science et Vie a disparu en raison de son absorption par un grand groupe, et un excellent magazine, Epsiloon, est né de ses cendres.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Tant que l'indépendance éditoriale de ces petites maisons est préservée, le chercheur bénéficie de garanties qu'il n'aurait pas avec des acteurs plus importants.

La Découverte fait ainsi un travail exceptionnel dans le domaine des sciences humaines et sociales. Il n'y a pas de censure, mais une ligne éditoriale construite autour du respect de la loi et de la probité scientifique, et cela même si nous savons bien qu'il y a souvent des grands groupes derrière.

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Laure Darcos, sénatrice, rapporteure

. – Les revues Esprit ou Commentaire sont concernées. Ce sont des éditeurs indépendants. Elsevier et le directeur de la revue Esprit sont traités à égalité !

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Un certain Emmanuel Macron possédait des parts dans la revue Esprit jusqu'en 2017. Lorsque je l'ai dit au Mesri, il n'a plus été question de les ennuyer !

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. – Quel modèle de diffusion dominera dans cinquante ans ? La pratique des jeunes chercheurs le montre : le mode de diffusion a vocation à évoluer au fil du temps.

En tant que doctorant, je peux en témoigner : le hacking – le libre accès illégal – se diffuse. Je comprends que le rapport évoque rapidement le sujet sans l'approfondir : par définition, il est difficile d'avoir des données consolidées. La France semble cependant être le pays où cette pratique est la plus fréquente, au regard de sa population et du nombre de ses chercheurs, comme nous l'indiquons.

Je le vois au quotidien : la conception de la propriété des données évolue. Beaucoup de jeunes chercheurs ne voient aucun problème au bouleversement de ces cadres. À nous de faire des propositions pour trouver une alternative au hacking.

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. – Effectivement, certains sites russes et chinois mettent en ligne systématiquement des ouvrages scannés. On peut le comprendre pour des ouvrages rares, introuvables. On peut imaginer que le thésard, qui n'a pas les moyens et dont le laboratoire n'a pas les moyens de payer un abonnement, y ait recours. Mais il ne faudrait pas que cela fragilise encore plus des maisons déjà fragiles et réduise les maigres droits d'auteur des scientifiques.

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Laure Darcos, sénatrice, rapporteure

. – Avec le data mining, il est devenu facile d'extraire des paragraphes complets d'articles ou de livres. Un petit malin peut extraire la totalité d'un texte.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Il ne faudrait pas avoir une vision manichéenne, dans laquelle il y aurait les méchants et les bons, les derniers étant favorables à la science ouverte et les premiers y étant défavorables. En tant que chercheur, lorsqu'un collègue m'a demandé un article ou un ouvrage, je le lui ai toujours envoyé. Je pense que le président de l'Office ne dirait pas autre chose.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – La diffusion se fait donc aisément dans le milieu le plus intéressé. L'humanité attend peut‑être avec impatience la parution de votre prochain article, monsieur le président, mais je doute que ce soit le cas pour le mien… Nous devons donc éviter les caricatures et prétendre que la science ouverte changera tout.

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. – Effectivement, d'autant que les universités ont mis en place de longue date un système de prêt entre bibliothèques, où il suffit d'un e‑mail pour obtenir l'image scannée de l'article dont vous avez besoin.

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. – Dans une politique d'ouverture scientifique, il faut être vigilant à un élément capital : la question de l'accaparement des résultats de recherche. Décider de ce que l'on diffuse ou non est un vrai questionnement de la démocratie scientifique.

Autre question, celle du client de la recherche – j'utilise ce terme à dessein. Vous avez en effet beaucoup axé votre réflexion sur les chercheurs, mais il ne faut pas oublier les clients. La question que vous avez étudiée est celle de l'interface entre des communautés scientifiques et la société, interface dans laquelle les utilisateurs sont divers : citoyens, entreprises, collectivités, associations… Ne faudrait‑il pas rechercher le moyen d'ouvrir les laboratoires scientifiques non pas uniquement au moment du résultat, mais en amont ?

Vous décrivez un marché avec des clients, des fournisseurs, des coûts de production et une rémunération par le prix d'accès au produit. Vous poursuivez une logique d'ouverture de ce marché. Qui utilisera les données ? Les règles de l'art pour l'interprétation des données brutes ne sont pas connues de tout le monde. Il y a clairement un lien à faire avec la culture scientifique de l'ensemble des clients.

La possibilité d'une science ouverte ne diffère‑t‑elle pas selon les modèles de recherche ? Dans des domaines où elle est itérative, le résultat est utile surtout pour les autres scientifiques, qui l'utilisent pour leur propre recherche. Dans le cas d'une recherche plus appliquée, le résultat peut être utilisé directement par le client. Le degré d'ouverture ne peut pas être le même.

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. – Il y a actuellement tout un débat, en particulier en médecine, sur le thème : si la recherche a été financée par les impôts, il faut que tout le monde puisse bénéficier de ses résultats, et pas seulement un aréopage de chercheurs faisant écran. La réaction des chercheurs, plutôt sur la défensive, consiste à dire : attention, les résultats bruts de recherche ne sont pas forcément faciles à interpréter. Ce à quoi les associations rétorquent : nos membres sont très bien formés et passent leur vie à lire des articles… Comment vous positionnez‑vous dans ce débat ?

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Laure Darcos, sénatrice, rapporteure

. – C'est pour cela que nous avons inscrit l'esprit scientifique dans la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030.

Avec la Covid‑19 sont apparus en France 65 millions d'experts de l'hydroxychloroquine. Et on nous demandait à nous, parlementaires, de prendre parti. Même sur les groupes WhatsApp de militants, tout le monde se prenait pour un spécialiste…

Il semble que les équipes de recherche sont très organisées : des comités de chercheurs identifiés décident à quel moment on peut basculer vers le grand public et la publication définitive. C'est heureux, car la publication d'un résultat en chimie, par exemple, pourrait mettre aux yeux de tout le monde des sujets inflammables, dans tous les sens du terme ! Ne peut être publié que ce qui est acquis, et dont la répercussion industrielle est connue.

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Pierre Ouzoulias, sénateur, rapporteur

. – Le premier client des publications, ce sont les bibliothèques. Ce sont elles qui achètent pour les étudiants et les chercheurs et ce sont elles, d'ailleurs, qui ont le plus mal vécu l'augmentation des tarifs. Certaines bibliothèques universitaires ont ainsi dû se désabonner, faute de moyens.

Ensuite viennent les chercheurs, puis les entreprises. Mais nous n'avons pas de chiffres à disposition.

Se pose le problème plus général de la valorisation du travail de recherche. Au moment de la Covid‑19, tous les éditeurs ont mis en ligne gratuitement les articles, nous le rappelons dans le rapport. Cela a eu un effet évident sur la recherche. La valorisation a été intense et évidente.

Une autre forme de valorisation peut être la participation des sciences humaines et sociales à la construction du débat politique. Nos concitoyens achètent en masse des ouvrages d'histoire. L' Histoire mondiale de la France, par exemple, que j'ai déjà évoquée, enseigne que l'identité de la France doit être regardée de l'extérieur pour être comprise. C'est un ouvrage passionnant qui pourrait même contribuer au débat de la campagne électorale en cours… Or cette participation n'est pas quantifiable. Trop souvent, quand on parle de valorisation, on pense aux brevets, jamais à l'émancipation des esprits. C'est tout le problème des sciences humaines et sociales.

En outre, le Mesri se penche peu sur ce qu'on pourrait appeler la science ouverte rétroactive, autrement dit toutes les revues qui, quoique tombées dans le domaine public, ne sont pas pour autant disponibles. C'est le cas pour l' Année épigraphique, revue de référence depuis 1888 pour les inscriptions latines. Nous avons interrogé la plateforme Persée, qui nous a répondu ne pas avoir les moyens d'être exhaustif. Il est dommage qu'on ne s'en préoccupe guère, alors qu'il serait simple d'améliorer les choses dans ce domaine.

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. – Il arrive encore qu'un problème mathématique soit résolu à l'aide d'une technique du passé. Une équipe russe a ainsi récemment utilisé la numérisation d'un article de Gaston Darboux du XIXe siècle jamais traduit en aucune langue, mais disponible sur Internet, pour résoudre un problème de géométrie des surfaces.

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André Guiol, sénateur

. – La soumission de la carrière des chercheurs au seul critère des publications m'a toujours donné le vertige. Merci à vous de m'avoir éclairé sur cette situation qui doit être très difficile à vivre.

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. – Ce travail de facture remarquable prend des positions nuancées mais fermes, et ouvre de nombreuses pistes. Nos remarques appellent de très légères modifications. À titre personnel, ce sujet me tient énormément à cœur. C'est, je crois, avec beaucoup d'enthousiasme que l'Office se joint à moi pour vous féliciter et autoriser à l'unanimité la publication de votre rapport.

L'Office autorise à l'unanimité la publication du rapport sur la science ouverte.

La réunion est close à 16 h 20.

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mercredi 9 mars 2022 à 14 h 45

Députés

Présents. - M. Philippe Bolo, M. Pierre Henriet, M. Cédric Villani

Sénateurs

Présents. - Mme Laure Darcos, M. André Guiol, M. Ludovic Haye, M. Gérard Longuet, M. Pierre Ouzoulias

Excusés. - Mme Sonia de la Provôté, Mme Michelle Meunier, Mme Angèle Préville, M. Bruno Sido