Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 17 février 2022

La réunion est ouverte à 10 h 10.

Réunion avec le conseil scientifique, sur le thème : « La culture scientifique et l'éducation à la science »

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‑ Chers collègues, chers membres du conseil scientifique, je vous souhaite la bienvenue. Certains d'entre vous sont présents dans la salle, d'autres sont connectés en visioconférence.

Il nous a paru important de réunir le conseil scientifique juste avant la fin de la législature. Je remercie ses membres pour leur disponibilité et pour le soutien qu'ils apportent aux travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

La réunion pourrait être organisée autour de deux temps forts. D'une part, nous souhaitons échanger sur un sujet très présent récemment dans les débats politiques et scientifiques, qui a aussi été au cœur de la dernière réunion commune entre l'Office, l'Académie des sciences et l'Académie nationale de médecine : l'enseignement des sciences, la culture scientifique, les moyens d'acculturer et de former nos jeunes pour qu'ils soient préparés à affronter les défis du monde, aussi bien en tant que citoyens qu'en tant qu'acteurs de ces évolutions à travers leur activité professionnelle.

D'autre part, nous souhaitons faire le point avec vous sur les travaux de l'Office, ceux que nous avons bien menés, ceux que nous avons moins bien menés, ceux que nous aurions dû mener. Nous souhaitons donc entendre vos conseils et vos recommandations. À l'occasion d'un tour de table, nous pourrons parler de la composition du conseil scientifique et de vos compétences variées. Ceux qui le souhaitent peuvent bien sûr présenter leurs réflexions sur le mode de fonctionnement du conseil scientifique. Celui-ci consiste à vous réunir de temps à autre pour faire le point, pour évoquer des sujets et pour faire des évaluations, et à vous impliquer individuellement dans les rapports et travaux en cours quand vos spécialités s'y prêtent. Préconisez-vous un mode de fonctionnement différent, renforcé ou allégé ? Nous serons heureux de vous entendre.

Un bilan des travaux menés par l'Office depuis la dernière réunion du conseil scientifique, le 10 septembre 2020, vous a été communiqué. Depuis cette date, nous avons connu une crise sanitaire, mais nous aurions probablement dû vous réunir au moins une fois dans l'intervalle.

La liste des travaux réalisés comporte quatre études longues : un rapport de Philippe Bolo et Angèle Préville sur la pollution plastique, un rapport de Pierre Henriet et Pierre Ouzoulias sur l'intégrité scientifique, un rapport de Stéphane Piednoir et Thomas Gassilloud sur l'énergie nucléaire du futur – qui analysait l'abandon du projet de réacteur nucléaire de quatrième génération « Astrid » – et un rapport de Jean-Luc Fugit et Angèle Préville sur les relations entre la Covid-19 et la pollution de l'air.

L'Office a aussi adopté deux rapports en lien avec la pandémie de Covid-19 : un rapport sur la stratégie vaccinale qui a été mis à jour à deux reprises déjà et un rapport sur les aspects scientifiques et techniques de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Nous venons par ailleurs d'être saisis par le Sénat d'une étude sur les effets secondaires de la vaccination contre la Covid-19, en réponse à une pétition citoyenne adressée au Sénat. Cette étude sera conduite dans les semaines qui viennent ; nous sommes en train de nous organiser à cet effet.

Depuis la dernière réunion du conseil scientifique, nous avons aussi adopté onze notes scientifiques. Ce sont des notes de quatre pages assorties d'une bibliographie. Elles portent sur l'exposome, sur la phagothérapie – les phages et les virus des bactéries –, sur les enjeux sanitaires et environnementaux de la viande rouge, sur les modes de production de l'hydrogène, sur le biomimétisme, sur les outils de visioconférence – leurs risques et opportunités –, sur le stockage d'informations numériques sous forme d'ADN, sur le déclin des insectes, sur les équilibres psychosociaux à l'épreuve de la Covid‑19, sur les neurotechnologies et leurs défis scientifiques et éthiques, sur le microbiote intestinal. Cette dernière note a été présentée la semaine dernière par Philippe Bolo.

L'Office a organisé quatre auditions publiques, suivies de conclusions. L'une a porté sur l'impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d'élevage, sous la direction de Philippe Bolo. Une autre sur la recherche française en milieu polaire – avec le sous-titre « Revenir dans la cour des grands » a été présentée par Huguette Tiegna et Angèle Préville. Une troisième audition a été organisée par Loïc Prud'homme et Catherine Procaccia sur les nouvelles techniques de sélection végétale en 2021, leurs avantages, leurs limites et leur acceptabilité. La quatrième audition s'est intéressée au financement et à l'organisation de la recherche en biologie santé, organisée par votre serviteur et par le premier vice‑président, Gérard Longuet.

Quelques travaux sont en cours d'achèvement : une étude menée par Pierre Henriet, Laure Darcos et Pierre Ouzoulias porte sur la science ouverte. Un rapport est préparé par Émilie Cariou et Bruno Sido sur l'évaluation du fameux Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) dont le retard sans cesse prolongé finit par être une running joke au Parlement. Les conclusions d'une audition publique organisée par Huguette Tiegna sur les avancées technologiques en matière de prise en charge du handicap sont en cours de rédaction, ainsi que celles d'une audition publique sur les aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative de l'eau, organisée par Philippe Bolo et Gérard Longuet conjointement avec la Délégation sénatoriale à la prospective. Enfin, une nouvelle étude prolonge celles précédemment réalisées sur les aspects scientifiques et techniques de la lutte contre l'épidémie de Covid-19.

Voici, chers collègues et chers invités, l'état des lieux des travaux menés au cours des dix-huit mois qui se sont écoulés depuis notre dernière réunion.

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Robert Barouki

‑ Je suis professeur à la faculté de médecine de l'université de Paris et je dirige une unité de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Je m'intéresse aux liens entre environnement et santé. Je retrouve assez bien les thématiques de mes travaux dans un certain nombre de notes de l'Office.

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Patrick Netter

‑ Je suis professeur à la faculté de médecine de l'université de Lorraine. J'ai été doyen de cette faculté et directeur de l'Institut des sciences biologiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Actuellement, je suis conseiller expert à la Cour des comptes.

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Virginie Courtier-Orgogozo

‑ Je suis directrice de recherche au CNRS. Mon équipe de recherche est à l'Institut Jacques Monod dans le 13e arrondissement. Nous nous intéressons à la génétique de l'évolution en utilisant les mouches drosophiles. En plus de ce travail de paillasse et dans la nature, nous réfléchissons aussi aux risques associés à la nouvelle biotechnologie de forçage génétique (gene drive). Depuis quelque temps, je m'intéresse aussi à l'origine de l'épidémie de Covid-19.

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Frédérick Bordry

‑ J'ai été directeur des accélérateurs et de la technologie au Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN), dont je suis désormais membre honoraire. Je suis actuellement chercheur invité à l'Université de Stanford. Je réside donc en Californie avec neuf heures de décalage horaire.

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Catherine Cesarsky

‑ Je suis astrophysicienne et conseiller scientifique au CEA. J'ai participé à des travaux théoriques, puis à la construction d'instruments opérant dans l'espace et au sol. J'ai travaillé ces dernières années, entre autres, sur l'évolution des galaxies. Aujourd'hui, je préside le grand projet international de construction du plus grand réseau de radiotélescopes au monde, nommé SKA .

(Square kilometer array)

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Raja Chatila

‑ Je suis professeur émérite à la faculté des sciences et d'ingénierie de Sorbonne Université. Je suis spécialiste en intelligence artificielle, robotique, informatique. J'ai dirigé l'Institut des systèmes intelligents et de robotique à Sorbonne Université, un laboratoire d'excellence sur les interactions humain-machine. Je participe également à un certain nombre de comités, par exemple au comité d'éthique de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), ainsi qu'au conseil scientifique d'Orange et à son conseil d'éthique sur la data et l'intelligence artificielle (IA). Je suis aussi membre du comité national pilote d'éthique du numérique (CNPEN) qui a déjà produit un certain nombre de documents, d'avis et de rapports sur divers aspects de l'éthique du numérique. Je pense que nous aurons l'occasion d'y revenir.

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‑ Ce comité a été établi dans sa forme « pilote » juste à côté du comité consultatif national d'éthique (CCNE).

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Claudie Haigneré

‑ Ayant été astronaute dans une première vie puis ayant exercé d'autres fonctions aussi bien au niveau de la recherche, de l'Europe et de la culture scientifique et technique qu'au sein d'Universcience, je suis aujourd'hui en retraite active, membre de l'Académie des technologies. J'y participe notamment à une mission qui travaille sur le problème du genre et de l'attractivité des carrières scientifiques pour les femmes et les jeunes filles. Je suis très présente sur les sujets concernant l'espace et l'exploration. Un grand sommet spatial, en présence du Président de la République, a rappelé hier à quel point l'incarnation et les visions d'exploration peuvent être inspirantes pour la jeunesse et l'épanouissement de ses talents.

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Jean-Luc Imler

‑ Je suis professeur en biologie cellulaire à l'université de Strasbourg. Je dirige un institut du CNRS qui travaille sur la biologie moléculaire et cellulaire des infections au sens large. Ma spécialité, à titre personnel, est l'immunité des insectes.

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Hélène Lucas

‑ À l'origine, je suis biologiste végétale et je suis actuellement présidente du centre Bretagne-Normandie de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).

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Hélène Olivier-Bourbigou

‑ Je suis chimiste de formation. Mon domaine d'expertise concerne la catalyse pour l'énergie et la chimie, la transformation des ressources fossiles et des ressources renouvelables. Je travaille actuellement à IFP Énergies nouvelles (IFPEN, anciennement Institut français du pétrole) et je coordonne l'ensemble de la recherche fondamentale dans le domaine de la transition énergétique, écologique et environnementale. Je suis également membre de l'Académie des technologies et du conseil scientifique du CNRS.

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Didier Roux

‑ Je suis physicochimiste. Ma carrière de chercheur s'est faite autour des matériaux et de la physique statistique. J'ai créé une start-up dans les années 1990 et j'ai été pendant douze ans le directeur de la recherche et de l'innovation du groupe Saint-Gobain. Je suis membre de l'Académie des technologies et aujourd'hui je m'occupe de divers sujets, dont les start-up mais aussi l'enseignement des sciences à l'école primaire et au collège. Je suis vice-président de la fondation La main à la pâte.

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François-Joseph Ruggiu

‑ Je suis professeur d'histoire à la faculté des lettres de Sorbonne Université. Je suis un spécialiste de sciences sociales et j'ai dirigé jusqu'en 2021, sous la présidence d'Antoine Petit, l'Institut des sciences humaines et sociales du CNRS. Je suis intéressé par les thématiques sociétales en général et j'aurais peut-être une suggestion à faire en ce qui concerne le fonctionnement du conseil scientifique. J'ai été très intéressé par la liste des actions que vous avez rappelées, monsieur le président, mais ne pourrions-nous pas être sollicités systématiquement, quel que soit le sujet à traiter, à charge pour nous de vous indiquer rapidement si nous avons ou non les compétences requises pour participer par une contribution au rapport ou à la note en préparation ? Cela permettrait peut-être une association plus systématique et plus régulière de notre conseil aux travaux extrêmement intéressants conduits par l'Office.

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‑ Je prends le point, qui pourra lancer la discussion sur le fonctionnement du conseil.

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Virginie Tournay

‑ Je suis directrice de recherche au CNRS, basée au centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF. Je m'intéresse aux rapports entre sciences et société, entre sciences et décision publique, avec une prédilection pour tout ce qui a trait à la matière vivante. J'ai par ailleurs rejoint le comité scientifique de La main à la pâte et je suis également membre de la Red Team Defense, une initiative lancée par l'Agence Innovation Défense qui consiste à réfléchir, avec des experts et des auteurs de science-fiction, aux formes que pourraient prendre les conflits en 2030 ou 2060.

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Sophie Ugolini

‑ Je suis immunologiste, directrice de recherche à l'INSERM. Je dirige une équipe au centre d'immunologie de Marseille-Luminy, qui s'intéresse au rôle du système nerveux dans la régulation de l'immunité, en particulier des pathologies inflammatoires. J'ai été membre du conseil scientifique de l'INSERM et je suis actuellement membre du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche médicale.

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Guy Vallancien

‑ Je suis professeur de chirurgie honoraire et membre de l'Académie nationale de médecine. J'ai fondé et je préside la Convention on health analysis and management (CHAM) qui regroupe la totalité des décideurs en santé, qu'ils soient publics ou privés. L'an dernier, nous avons reçu le Président de la République, le président du Sénat, trois ministres de la santé, de l'agriculture et de l'environnement, deux commissaires européens et Esther Duflo. Le thème était One Health et j'ai pu constater combien le monde de la santé en France était ignare sur le sujet. Il reste un sacré travail à faire ! J'aimerais aussi intervenir sur le rôle et le fonctionnement du conseil parce que, pendant un an et demi, je n'ai été tenu au courant de rien, dans un moment capital. Sur les vingt-six travaux que tu as cités, mon cher Cédric, trois concernent la Covid. Que fait le conseil ? C'est ma vraie question.

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‑ Je te remercie, cher Guy, d'avoir relancé la discussion avec l'énergie qui te caractérise. Je propose donc de lancer le débat sur le fonctionnement du conseil.

Ce fonctionnement mobilise trois catégories de personnes : les experts que vous êtes, les parlementaires qui endossent la responsabilité des rapports et le secrétariat scientifique, composé d'administrateurs du Parlement et de quelques scientifiques qui travaillent à temps plein pour l'Office et qui instruisent les sujets. Nous devons réfléchir aux interactions entre ces trois catégories. N'hésitez pas à adopter un ton un peu rugueux et à mettre les pieds dans le plat, en particulier si vous estimez que nous ne vous avons pas utilisés autant qu'il aurait fallu. Les parlementaires sont habitués à recevoir des critiques et les prennent d'autant mieux qu'elles sont justifiées.

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Didier Roux

‑ Je crois que les membres du conseil partagent une certaine frustration et le sentiment de ne servir à rien. C'est peut-être habituel d'avoir des conseils qui ne servent à rien mais, dans le cas présent, je pense que tout le monde a eu l'impression d'être un peu inutile. Certains d'entre nous ont été consultés à titre individuel, dans certaines occasions, mais le conseil en tant que tel n'a pas été mobilisé.

J'ai deux suggestions. La première est que tous les rapports nous soient envoyés suffisamment tôt avant leur publication pour que les membres du conseil compétents sur le sujet puissent y réagir. Cela permet à la fois de nous informer mais aussi de tirer parti de notre rôle de conseillers. La deuxième suggestion est que, plutôt que des réunions plénières – sauf peut-être pour les thèmes transversaux –, il faudrait nous réunir dans un format de sous-commissions, constituées notamment autour des sujets traités par l'Office. Elles pourraient participer au travail d'élaboration du rapport sous forme de conseils.

Je pense que nous y trouverons notre utilité et que vous y trouverez un appui et une aide qui devraient être notables.

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Raja Chatila

‑ Je croyais être le seul à ne pas avoir été sollicité mais je vois que la parole se libère. J'ajoute ma voix à celles qui se sont déjà exprimées sur l'intérêt de nous solliciter plus souvent. Je me demande aussi si nous ne pourrions pas proposer des sujets. Nous en avions proposé lors de la réunion de septembre 2020, mais depuis, beaucoup d'autres sujets intéressants sont apparus et il ne semble pas exister de canal pour proposer des sujets nouveaux.

Enfin, je vais prêcher pour ma paroisse, le numérique et l'informatique. Je salue le travail de l'Office, que montre tous les documents qui ont été publiés, et je vois que son activité a été intense ; cependant, je n'ai pas vu grand-chose sur le numérique, à part le sujet du stockage sur l'ADN. Or, ce sujet est extrêmement important et évolue très rapidement. Il a de multiples facettes. Pour le dire de façon relativement anodine, je suggère que l'Office a peut-être une marge de progrès quant à son intérêt pour les sujets concernant le numérique.

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‑ Merci beaucoup pour cette remarque qui me fait découvrir que j'ai oublié de mentionner l'audition publique qui portait sur la stratégie quantique de la France. Elle couvrait à la fois les sujets d'algorithmique quantique, d'ordinateur quantique, de cryptographique quantique et postquantique et également de capteurs quantiques pour lesquels notre collègue Alain Aspect a été fortement impliqué. Elle aurait dû figurer dans l'énumération que je vous ai donnée tout à l'heure. J'espère ainsi tempérer la critique, justifiée par ailleurs.

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Hélène Lucas

‑ J'ai été également un témoin frustré. Je suis donc du même avis que certains autres membres du conseil scientifique.

En dehors de la participation active aux travaux déjà suggérée, je pense que ce ne serait déjà pas mal de nous informer en temps réel. Il est exact que beaucoup de choses ont été faites ; nous pourrions regarder l'agenda de l'Office mais nous ne le faisons pas parce que nous sommes pris par d'autres occupations. Des notifications seraient aussi utiles pour nous permettre de suivre les auditions quand elles sont publiques.

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Catherine Cesarsky

‑ J'appuie complètement ce que Didier Roux a dit sur un mode de fonctionnement qui pourrait être organisé plutôt par petits groupes autour de sujets identifiés. Une réunion plénière annuelle serait suffisante. Nous pourrions ainsi apporter une véritable contribution aux travaux de l'Office.

J'ai entendu que des discussions importantes ont eu lieu hier sur le spatial. Cela m'aurait intéressée de le savoir à l'avance afin de pouvoir échanger. En effet, le monde scientifique du spatial est très inquiet actuellement parce qu'il semble que la tendance soit à créer des start-up et à essayer des projets semblables à ce qui se pratique dans d'autres pays, au détriment de la science spatiale qui est quand même l'un des grands succès de la France et de l'Europe depuis plusieurs années. Cela m'aurait donc beaucoup intéressée de participer à une discussion préalable à cette réunion d'hier.

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Je précise que la réunion qu'évoquait Claudie Haigneré n'était pas organisée par l'Office. Si cela avait été le cas et que nous ayons structuré une sorte de « communauté Office-Conseil scientifique » pour la diffusion des informations, elle aurait pu être mentionnée.

Ceci dit, il est vrai que, voici un peu plus de deux ans, une audition publique a été organisée par Jean-Luc Fugit et que le sujet du new space, comme on dit, c'est-à-dire l'implication des start-up et des entreprises dans le champ de l'activité proprement spatiale, a été abordé au cours d'un petit déjeuner. L'espace s'est également invité au Parlement lorsque le nouveau directeur général du Centre national d'études spatiales (CNES), Philippe Baptiste, a été auditionné. Nous aurions pu être plus proactifs pour faire circuler ce type d'information.

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Guy Vallancien

‑ J'ai été très déçu – je le dis en toute franchise – par l'absence du conseil scientifique dans la discussion nationale et internationale sur l'épidémie de Covid-19. Le Président de la République a créé son conseil à lui, trop médicalisé au départ et qu'il a modifié. Il a eu raison de l'élargir à d'autres responsables et acteurs connaissant leur métier mais qu'avons-nous fait de notre côté pendant près de deux ans ? Rien ! Nous aurions dû éclairer les sénateurs et les députés.

Je regarde la « vieille » académie de médecine dont je fais partie. Elle a été active. Elle a créé un groupe d'urgence qui, régulièrement, produisait des petits textes qui ont été très repris dans le débat public. Nous n'avons servi à rien, à rien, et j'en suis extrêmement déçu. Je suis tout prêt à travailler, à prendre beaucoup de temps pour travailler à une refondation du conseil, de son rôle, de son mode d'action et de son organisation globale. Nous ne pouvons pas continuer ainsi.

Pour moi, la participation au conseil scientifique de l'Office n'est pas un titre. Je vois vraiment celui-ci comme un lieu d'action pour éclairer la représentation nationale, de façon à ce qu'elle soit de plus en plus en phase avec la population.

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Virginie Tournay

‑ Je souscris à tout ce qui vient d'être dit. Je pense de plus que montrer la nécessité démocratique de l'Office est vraiment essentiel, même si les travaux de l'Office n'ont pas vocation à contribuer au débat public et sont directement destinés aux parlementaires. L'image publique de cette instance devrait être davantage popularisée. Cela pourrait passer par exemple par des formes de médiation en ligne.

Il serait très intéressant et important d'écrire collectivement, de façon prospective, à la fois l'évolution organisationnelle et politique de l'Opecst et les problématiques d'intégration des données de la science dans la décision publique.

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‑ Je suis complètement d'accord et nous y reviendrons.

Participer au débat public fait aussi partie des missions de l'Office. Certaines auditions sont publiques et interactives, et les internautes ont la possibilité de poser des questions. Lorsque nous avons auditionné des personnalités comme Jean-François Delfraissy ou Valérie Masson-Delmotte, nous avons eu de nombreuses questions de la part des citoyens.

D'autre part, le fait que ce soit nous qui instruisions la pétition publique envoyée au Sénat sur les effets secondaires du vaccin montre bien que notre rôle d'acteur du débat public se renforce. C'est la première fois que nous avons à instruire une pétition.

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Claudie Haigneré

‑ Je ne reprends pas tout ce qui vient d'être dit car je le partage. À qui sont diffusés tous les travaux dans lesquels nous aurions souhaité être davantage impliqués ? Pouvez-vous, monsieur le président, préciser l'impact de ces travaux ?

Pour répondre brièvement à Catherine Cesarsky, l'importance de la recherche fondamentale et de l'exploration du système solaire – et au-delà – est, je crois, un message qui est bien passé jusqu'au Président de la République. Dans son discours d'hier, il a consacré beaucoup d'énergie et de conviction à ce sujet, à côté des sujets géopolitiques et économiques que nous connaissons tous. La façon dont il a insisté sur ce que vous aviez porté dans cette tribune, intéressante pour interpeller sur un point important, a été remarquée.

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Hélène Olivier-Bourbigou

‑ Je souscris à tout ce qui a été dit quant à la nécessité de renforcer les sollicitations, l'information et le partage avec le conseil scientifique.

Je m'interroge sur l'interaction entre ce que nous faisons et ce qui est fait dans les milieux académiques, par exemple au conseil scientifique du CNRS. J'y participe personnellement mais nous participons aussi à beaucoup d'autres missions de conseil scientifique. Je me demande comment favoriser le partage et la cohérence de tout ce que nous faisons et de toutes les recommandations que nous formulons.

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Robert Barouki

‑ J'ai personnellement été sollicité comme expert pour certaines études que le président Villani a mentionnées. Sollicité ponctuellement comme expert ou en petit comité, chacun peut effectivement jouer un rôle mais pour des problématiques très transversales, le conseil scientifique, en formation plénière, peut faire un effort de prospective, de vision et de conseil, sur le moyen et long terme.

Par exemple, le numérique a été cité. Le numérique intéresse évidemment toutes les spécialités et je pense que nous y sommes tous impliqués. C'est aussi le cas de l'impact de l'environnement sur la santé ou des écosystèmes de santé humaine. Ce sujet est assez transversal. Nous parlerons aussi de la culture scientifique.

Je pense donc que nous pouvons distinguer deux types de sujets : d'une part des sujets très transversaux intéressant l'ensemble du conseil avec une vision prospective et de conseil à moyen et long terme, d'autre part des questions plus ponctuelles à aborder par petit groupe ou par expert.

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Virginie Courtier-Orgogozo

‑ Je rejoins tous les membres du conseil scientifique qui se sont exprimés. Je trouve que nous n'avons pas assez participé aux activités de l'Office et nous aimerions tous participer plus.

Je suggère que nous ayons la liste des auditions auxquelles nous pourrions assister. Pour nous, c'est intéressant et cela peut nous servir dans notre travail en général. Si, en plus, nous pouvons aider au moment de l'audition ou après elle, en contactant les rapporteurs, cela peut aussi être pour nous une occasion de participer.

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Patrick Netter

‑ Étant ici l'un des représentants de l'Académie nationale de médecine, je ne reviens pas sur tout ce qui a été dit. L'Académie a beaucoup travaillé sur le financement et l'organisation de la recherche en biologie-santé et publié deux rapports, actuellement très repris par toutes les instances concernées. Dans cet exemple, l'Office nous a auditionnés et nous avons présenté nos propositions sur l'évolution de scénarios futurs en fonction des organismes. Le travail réalisé avec l'Office est lui aussi repris par les différentes instances. Ce n'est pas parfait mais c'est quand même un exemple de ce qui pourrait être fait dans les autres domaines. Nous avons été très contents que tout ce travail réalisé à l'Académie de médecine ait un tel impact.

Pour mettre une note positive, un autre point me paraît intéressant : il s'agit des questions de formation. Les petits déjeuners qui ont été organisés avec les parlementaires de l'Office et l'Académie des sciences sur la formation et l'enseignement des sciences dans le secondaire, vraiment très faible, ont été extrêmement intéressants et je crois que ce sont des acquis importants de nos réflexions communes.

Dans une démarche positive, nous pourrions peut-être proposer un certain nombre de thèmes interdisciplinaires. En effet, l'une des caractéristiques les plus intéressantes du conseil scientifique est de réunir des partenaires intervenant dans des champs disciplinaires différents. C'est d'ailleurs ce que nous essayons de faire à l'Académie de médecine, en associant des physiciens, des biologistes, des chimistes. Nous pourrions ainsi définir des thèmes interdisciplinaires à aborder dans le conseil.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

‑ J'ai écouté avec une attention extrême les observations, remarques et propositions des membres du conseil scientifique.

Je crois que le premier problème auquel j'ai été confronté lorsque j'exerçais les fonctions de président de l'Office est que l'on parle d'un conseil scientifique alors que cette terminologie n'est pas judicieuse : il s'agit plutôt d'un ensemble de conseillers scientifiques. C'est un choix, nous pouvons en parler maintenant et il est très important d'essayer de définir une orientation pour les années à venir.

J'ai vécu mes relations avec les conseillers scientifiques avec beaucoup de facilité, soit parce que nous nous connaissions directement, soit parce que nos collaborateurs de l'Office les connaissaient. Nous avons, en tant que de besoin, mobilisé des conseillers pour obtenir des informations sur des sujets que l'Office devait étudier.

Je confesse ne pas avoir réfléchi suffisamment à la synergie d'un conseil dans son acception plénière tant la recherche est transversale, comme dans l'exemple du numérique évoqué par M. Chatila. Je conçois que vous puissiez ressentir une grande frustration à ne pas participer à un travail auquel vous auriez pu amener une expertise puisqu'en général, au sein du conseil, une « tête de pont » est sollicitée pour une étude et que la convergence que vous souhaitez ne se fait pas.

Je plaide donc coupable, avec la circonstance atténuante que nous vivons dans un univers politique, c'est-à-dire un univers où nos travaux résultent d'une commande. Une part relève de notre initiative mais une part bien plus importante relève des demandes des instances de l'Assemblée nationale et du Sénat, essentiellement les commissions permanentes et les groupes politiques. Ce sont d'ailleurs des commandes ambiguës ; je veux dire par là que les commissions nous demandent de travailler sur un sujet ou que les groupes politiques nous font comprendre qu'il faudrait travailler sur tel ou tel sujet, mais qu'aucun n'a pour autant envie de s'en dessaisir. Nous étudions donc un sujet mais nous ne pouvons pas garantir au conseil scientifique une fonction collective parce que nous répondons à une demande qui nous encadre.

J'ai vécu cette situation comme rédacteur d'une note courte sur la production de l'hydrogène. Au départ, la demande émanait de la commission des affaires économiques du Sénat, qui voulait savoir ce que le parlementaire de base doit retenir des modes de production d'hydrogène. Nous avons donc réalisé un travail de vulgarisation et non un travail de recherche. Nous avons rassemblé dans une note courte ce qu'il fallait savoir et comprendre, en mettant en évidence le fait que l'hydrogène n'est pas une source d'énergie à proprement parler – sauf l'hydrogène naturel qui est marginal – mais un vecteur.

Nous aurions pu mobiliser le conseil ; nous avons sollicité un ou deux conseillers pour savoir qui entendre et avec qui parler de ce sujet mais, je le confesse, nous n'avons pas fait un travail collectif mobilisant par exemple ce qu'on aurait pu appeler un sous-groupe « énergie » du conseil scientifique. Nous ne l'avons pas fait parce que nous avions une commande et un délai court.

Nous avons toujours un scrupule à mobiliser des gens d'une très grande qualité. Je veux d'ailleurs à cette occasion vous remercier d'avoir accepté cette mission, qui ne vous rapporte rien d'autre que le bonheur de participer à l'action collective française. Cela prend du temps et le temps est le seul bien rare. Soyez donc remerciés de nous consacrer un peu de temps mais nous avons aussi une approche assez utilitaire du temps.

Je ne sais pas comment notre président vit aujourd'hui cette situation. Il est vrai que je n'ai pas ressenti le besoin de faire vivre le conseil en tant que groupe mais simplement en tant que réservoir de compétences et sans doute en oubliant d'ailleurs des compétences mobilisables.

Il existe en France beaucoup de comités sur tous les sujets et des institutions remarquables. Nos relations avec l'Académie nationale de médecine, l'Académie des technologies et l'Académie des sciences sont des relations assez suivies, assez fortes. Pour le coup, nous travaillons dans un cadre très collectif, c'est-à-dire que l'académie entière nous dit « nous vous recevons et voilà le sujet que nous avons envie d'évoquer ». Nous n'avons pas ces mêmes relations avec le conseil scientifique de notre propre organisme. C'est un peu paradoxal mais cela s'explique par le fait que, jusqu'à présent, il était vu comme un vivier de compétences que nous utilisions au cas par cas plus que comme un forum de travail collectif.

Je bats ma coulpe. Par exemple, Guy Vallancien a évoqué le concept One Health. C'est un sujet qui apparaît dans certaines de nos études et que j'ai découvert d'ailleurs à l'occasion de celles-ci. Nous n'avons pas réuni le conseil sur ce concept alors que nous aurions sans doute pu le faire. J'en prends bonne note.

Ma dernière remarque est que vous êtes formidables de vouloir vous impliquer ainsi. J'ai un peu mauvaise conscience et j'éprouve une petite gêne à vous dire que, sur les trente-six membres de l'Office, le noyau dur représente entre 30 et 40 %. J'en profite d'ailleurs pour remercier les parlementaires qui participent activement aux travaux de l'Office et qui assistent à ses réunions, et m'attrister de ceux qui sont des candidats actifs mais qui oublient ensuite d'honorer leur engagement alors que l'Office est l'un des lieux de rencontre les plus passionnants du Parlement. Toutefois, électoralement, cela ne rapporte pas grand-chose à Cricquebœuf-le-Petit ou à Cricquebœuf-le-Grand.

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‑ Je remercie le premier vice-président pour son franc-parler.

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Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office

‑ Je voudrais mettre en perspective ce que peut donner un rapport. Certes, vous l'avez dit, un rapport parlementaire permet d'éclairer les autres parlementaires. Cela a été le cas du rapport que j'ai réalisé avec Philippe Bolo sur la pollution plastique. Mais le rapport a ensuite une deuxième vie. J'étais très impliquée sur le sujet de la pollution plastique et j'avais très à cœur que notre rapport soit davantage diffusé. J'ai d'abord publié des articles dans la presse locale. Ensuite, j'ai été beaucoup invitée à divers colloques et cela m'a étonnée.

Par exemple, j'ai été invitée très récemment par des étudiants de l'université de Lyon qui organisaient un travail sur la pollution plastique. J'ai donc rencontré des étudiants des facultés de droit et de sciences et des étudiants ingénieurs. Je suis venue avec plusieurs rapports que je leur ai remis. J'ai aussi été invitée à un colloque dans mon département, le Lot, pour parler du rapport et c'était très intéressant, cela a eu beaucoup de succès.

Comme je suis allée au One Ocean Summit la semaine dernière, j'en ai profité pour offrir mon rapport au maire de Brest, au président du conseil départemental du Finistère et à l'un des directeurs de l'Océanopolis de Brest, tout en prenant un peu de temps pour en parler avec eux. J'ai également offert plusieurs exemplaires du rapport à des associations qui font du ramassage des déchets plastiques ; elles étaient très contentes, m'ont remerciée et m'ont demandé si elles pouvaient acheter mon « livre » – entre guillemets. J'ai bien sûr indiqué que c'est un document téléchargeable sur les sites du Sénat et de l'Assemblée nationale.

J'ai donc vu beaucoup d'enthousiasme. Les rapports de l'Office ont en fait une seconde vie parce que nous sommes évidemment très impliqués sur ces sujets. Nous avons à cœur d'en parler de maintes façons. Par exemple, en tant que sénatrice, je suis membre du comité de bassin Adour-Garonne. J'interviendrai dans un colloque sur les micropolluants que le comité organise prochainement. De multiples canaux existent pour diffuser encore plus largement nos rapports.

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‑ Je partage beaucoup de ce qui a été dit, y compris par nos « conseillers experts » – je ne sais pas comment vous appeler et, pour moi, cette expression n'est pas du tout péjorative. Avant d'être député, j'étais un modeste enseignant-chercheur de chimie, donc je comprends la frustration que certains parmi vous peuvent ressentir.

Je vous livre ce qu'est ma vision au terme de ce mandat. Je me suis très bien retrouvé dans les propos de Gérard Longuet, à savoir que nous voyons peut-être trop le conseil scientifique comme une sorte d'ensemble d'experts. Ceci ne permet pas d'explorer toutes les façons de fonctionner. Par exemple, l'un d'entre vous a parlé des liens entre l'environnement et la santé. Or le dernier rapport auquel j'ai contribué avec Angèle Préville, qui porte sur la pollution de l'air et le Covid – je préside par ailleurs de manière bénévole le Conseil national de l'air – aborde effectivement certains de ces liens et je confesse bien volontiers que je n'ai pas pensé à solliciter le conseil. Je le dis avec la franchise que chacun me connaît : nous n'avons pas pensé à vous consulter.

Ceci m'amène à m'interroger sur notre pratique et je me dis que, même si ce n'est peut-être pas facile, nous pourrions réfléchir à ce que, dès que l'Office lance une étude, les rapporteurs organisent systématiquement un échange avec les membres du conseil scientifique compétents sur le thème abordé, en tout cas suffisamment proches, pour que nous puissions d'entrée de jeu les associer à l'élaboration du programme des auditions et des rencontres. Il faut peut-être nous inscrire dans la co-construction avec vous, plutôt que dans l'action. Après tout, il faut apprendre de ses erreurs et de ce qui a mal fonctionné.

Par ailleurs, je voulais dire que les rapports sont un peu comme un mandat politique : d'une certaine manière, on en fait ce qu'on a envie d'en faire. Comme tous les collègues, j'ai essayé de les diffuser au maximum, avec parfois de bonnes surprises.

Par exemple, le sénateur Roland Courteau et moi-même avons présenté en juillet 2020 un rapport sur l'agriculture face au défi de la production de l'énergie. On m'a demandé cette semaine si j'acceptais d'animer un plateau de télévision sur le sujet lors du prochain Salon international de l'agriculture parce que, entre-temps, grâce au rapport, j'ai rencontré pas mal de personnes. Ce plateau réunira des représentants du secteur agricole et de l'INRAE, donc je pense que ce sera intéressant. J'ai évidemment accepté, car c'est aussi une manière de faire vivre les rapports, de montrer que le Parlement se saisit de ce type de sujet. Le Parlement est parfois le lieu de débats vigoureux portant sur des sujets surprenants ; ce type de débat a un impact médiatique que n'ont pas les travaux de l'Office et je le regrette.

Je sollicite aussi vos idées sur la façon de mieux faire connaître l'Office. Celui-ci est composé de trente-six parlementaires, chacun s'y investissant à des degrés divers. En fait, la communication de l'Office n'est pas toujours évidente au sein même de nos assemblées respectives, sa production n'est pas toujours visible. Je la diffuse systématiquement, y compris les travaux des autres membres, à nombre de mes collègues députés, en espérant qu'ils les lisent. Par exemple, j'ai diffusé largement la note récemment élaborée par notre collègue sénateur Ronan Le Gleut sur l'impact des outils de visioconférence parce que je suis convaincu qu'il faudrait que tout le monde la lise.

Voici quelle est ma vision. Je suis d'accord avec l'idée qu'il faut sûrement travailler différemment. J'y suis prêt… si j'ai la chance de revenir en saison 2 bien entendu !

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Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office

‑ Jean-Luc Fugit et Gérard Longuet ont dit l'essentiel de ce que je voulais dire. Je crois que nous devons changer nos méthodes pour mettre en place un système qui nous permette de davantage collaborer et, systématiquement, vous informer des travaux que nous lançons pour que vous puissiez réagir.

Je fais partie de l'Office depuis bientôt seize ans. Les remarques que vous formulez aujourd'hui en tant que conseil scientifique sont, hélas, des remarques que j'ai entendues avec plus ou moins d'acuité chaque fois que nous avons fait ce genre de bilan. Comme le disait le président, nous devons nous interroger sur ce que nous voulons faire du conseil scientifique et sur la façon de mieux travailler avec vous.

Le président a voulu intégrer au sein du conseil scientifique des spécialités qui n'y étaient pas représentées, mais c'est aussi une difficulté parce que, plus vous êtes nombreux, plus il est difficile d'associer le conseil en tant que tel. En tout cas, sur le plan des principes, il faut que le secrétariat de l'Office vous envoie systématiquement notre programme de travail, à charge pour vous de réagir et à charge pour nous de modifier nos façons de travailler avec vous.

Personnellement, je commence une nouvelle étude sur la chlordécone. J'auditionnerai des scientifiques connus pour travailler sur la chlordécone. N'hésitez pas à revenir vers moi si certains d'entre vous sont concernés par ce sujet.

Tout ce que vous avez dit est un peu dur pour nous mais je pense que vous avez raison de le dire. Lorsque l'Office sera renouvelé, après les élections législatives, il faut que nous revoyions notre façon de travailler avec vous.

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‑ Je m'associe à beaucoup de remarques de mes collègues et je comprends aussi le bien-fondé de ce que vous nous avez dit.

La question des sciences est abordée, du point de vue des parlementaires, un peu comme dans l'opinion publique. Les rapports de l'Office sont diffusés. Les rapports pour lesquels les commissions nous ont sollicités, qui font suite à des saisines, sont globalement bien exploités puisque des auditions sont organisées par ces commissions pour que les rapporteurs puissent présenter leur travail devant elles. De plus, les rapports sont utilisés dans les territoires. Cependant, l'Office n'est pas une commission permanente et ceci l'empêche peut-être de communiquer de la même façon que celles-ci.

Je trouve que nos travaux sont très utiles, très sérieux, mais que leur visibilité dans la presse nationale n'est pas forcément suffisante. Souvent, ce ne sont pas des thèmes qui font la une de l'actualité et, de ce point de vue, il faut peut-être inventer une autre façon de les faire connaître.

Les rapporteurs de l'Office sont régulièrement invités à des tables rondes. J'ai ainsi participé avec mon collègue sénateur Stéphane Piednoir à une table ronde sur l'arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques. Nous avons été plusieurs fois invités sur des plateaux pour parler des mobilités du futur.

Les notes scientifiques sont très intéressantes. Elles sont diffusées à nos collègues mais bien souvent, quand elles ne traitent pas d'un sujet d'actualité, ça traîne un peu. Elles reviennent dans le débat lorsque leur thème revient dans l'actualité du Parlement. Par exemple, pour la note que j'ai réalisée sur le biomimétisme – un sujet très intéressant puisqu'il relève aussi de la souveraineté française et du développement durable –, la diffusion a été un peu compliquée car nos collègues députés n'étaient pas forcément sensibilisés à cette thématique. Je continue à porter ce thème aujourd'hui et j'espère que les membres du conseil scientifique concernés pourront continuer avec nous à l'approfondir.

Quant à l'objectif d'une meilleure collaboration entre l'Office et le conseil scientifique, il est exact que vous travaillez avec nous sur les thématiques que nous devons ou souhaitons traiter et qui sont approfondies par vous, les experts. Peut-être faut-il regarder comment l'on pourrait vous solliciter plus régulièrement. Toutefois, j'ai aussi envie de dire que vous faites du bénévolat et que vous avez besoin de garder du temps pour la recherche, qui est le cœur de votre activité. Il faut trouver un juste milieu mais il sera de toute façon difficile de vous utiliser à plein temps.

Pour l'avenir, peut-être pourrions-nous inviter les experts qui ont participé à une étude à prendre la parole le jour où celle-ci est présentée devant l'Office. Votre participation pourra ainsi être valorisée, même si vous êtes cités dans le rapport ; la présence de l'expert permettra peut-être de mieux faire émerger le travail dans l'espace public.

J'ai un petit regret : en début de législature, nous devions travailler sur le sujet de la féminisation de la science. Quelques travaux ont été réalisés mais nous n'avons pas approfondi le sujet et j'espère que l'Office l'abordera à nouveau, car il est devenu très important. La présence des femmes scientifiques commence à s'affirmer ; nous étions optimistes mais, avec les décrochages observés dans le domaine des mathématiques, c'est un sujet qu'il faudra continuer à porter.

Pour finir, je tiens à remercier le conseil scientifique pour sa présence à nos côtés, qui conforte nos travaux. Nous devons aller de l'avant et peut-être nous réinventer un peu pour faire émerger les solutions scientifiques aux problèmes d'aujourd'hui et surtout les intégrer dans l'action publique.

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Guy Vallancien

‑ Je remercie Gérard Longuet parce qu'il a insisté sur des points tout à fait importants. Au-delà du travail de fond qui peut être fait par le conseil, nous devrions pouvoir répondre beaucoup plus rapidement aux sujets d'actualité, en termes clairs, en français, aux députés et aux sénateurs, qui pourraient relayer ces informations vers les populations. Je considère que c'est peut-être le meilleur moyen de parer aux fake news.

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‑ Ce premier tour de table a été très riche et il convient d'abord que le Parlement batte sa coulpe, pour reprendre l'expression de Gérard Longuet, et que nous reconnaissions collectivement que nous ne vous avons pas assez sollicités. En tant que président, j'endosse la responsabilité de ce fait.

Évidemment, nous avons cherché des excuses en mettant en avant le fait que nous avons consulté le conseil lorsque le thème de notre travail correspondait exactement à la spécialité de tel ou tel. Je me souviens d'avoir vu dans les références de certaines notes scientifiques : « membres du conseil scientifique consultés ». Toutefois, nous avons été loin de généraliser ceci à toutes les thématiques dont nous étions saisis, surtout au regard du caractère interdisciplinaire de certaines d'entre elles et du fait que le conseil est plus représentatif de la diversité des thématiques scientifiques, ce qui avait été délibérément recherché lors du dernier renouvellement. Nous aurions donc pu anticiper.

Comme le disait très bien Gérard Longuet, le conseil scientifique n'est pas seulement un ensemble de conseillers qui peuvent être consultés sur tel ou tel sujet. Il s'agit d'un organe qui doit pouvoir vivre, dans lequel les discussions doivent pouvoir s'établir. Il est de notre devoir d'élargir la dimension du conseil à cet horizon et de remédier à ce que Catherine Procaccia décrivait comme une difficulté récurrente.

De façon générale, la mise en place d'une communauté et l'établissement de relations suivies sont un travail de longue haleine ; nous devons progresser pour ce qui est du conseil scientifique de l'Office. Vous êtes un certain nombre à vous rappeler que nous avons œuvré les uns et les autres pour renforcer les liens avec les Académies de médecine et des sciences par l'organisation de rencontres régulières.

Au passage, je me permets de rappeler que nous étions convenus avec le bureau de l'Académie des sciences que, régulièrement, celle-ci inviterait le président Longuet et moi-même, voire des membres du bureau de l'Office, à participer à ses déjeuners de bureau qui ont lieu régulièrement. C'était en octobre. Je ne crois pas que ceci a été suivi d'effet. Cela fait aussi partie de ces habitudes qu'il faut ancrer pour que les liens entre institutions soient renforcés et actifs.

Concrètement, je propose d'abord de créer une boucle d'information qui nous regroupe tous et sur laquelle nous pourrons échanger régulièrement des informations et nouer des discussions. Il faut notamment que, sur cette boucle, le secrétariat de l'Office envoie le programme de travail à tous les membres du conseil scientifique, quelle que soit leur spécialité. Il est important de rappeler que l'Office n'a pas la maîtrise des études longues et que, pour celles-ci, il fonctionne uniquement sur saisine du Parlement, c'est-à-dire du bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat, ou bien sur demande d'une commission permanente ou d'un président de groupe politique. En tout cas, envoyer le programme du travail complet, donc avec les études longues ainsi que les notes courtes et les auditions publiques – pour lesquelles nous avons plus de marge de manœuvre – permettra au conseil de s'en emparer. Plutôt que nous déterminions qui est le spécialiste qui sera peut-être sollicité, chacun pourra dire « ceci est un sujet que je suis prêt à suivre » ou « je souhaite recommander des experts » ou « je suis intéressé à m'associer à la construction et à la présentation de la note ».

Pour ce qui est de l'étape finale, une fois la note élaborée, l'audition préparée ou le projet de rapport rédigé, il me semble difficile d'introduire une étape formelle de soumission préalable au conseil avant la présentation devant l'Office, du fait des délais contraints dans lesquels nous sommes amenés à travailler. En revanche, un projet de rapport est toujours soumis aux parlementaires un peu avant son examen en séance plénière et c'est au cours de celle-ci que le rapport est adopté, éventuellement sous réserve de corrections. On peut donc envisager que, en même temps que le projet de rapport est diffusé aux parlementaires, il le soit aussi à l'ensemble du conseil scientifique, permettant à celui-ci d'y porter un regard et de suggérer des modifications.

Je propose donc trois actions partagées sur cette boucle de travail avec le conseil scientifique :

Vous avez évoqué les réunions de l'Office et du conseil, qui sont utiles mais ne sont pas le plus important. Une réunion plénière par an suffirait et le plus important est de faire vivre au fur et à mesure, au fil de l'eau si je puis dire, les relations entre le conseil scientifique et l'Office.

Reste-t-il des critiques qui ne sont pas prises en compte et sur lesquelles il faut encore revenir ? Il me semble que nous approchons d'une résolution.

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Guy Vallancien

‑ Tout a été dit. C'est exactement ce qu'il faut faire et je suis prêt à m'y donner, comme beaucoup d'autres ici présents.

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‑ Voici donc quelque chose d'acquis. Continuons l'ordre du jour avec un échange sur le fond des sujets abordés par l'Office et les manques éventuels.

Vous avez déjà évoqué la place insuffisante du numérique, appréciation qu'il faut tempérer par le fait que j'avais oublié de mentionner l'audition publique, assez longue, sur la stratégie quantique de la France. Le principe de cette audition avait été demandé par le coordinateur national de la stratégie quantique lui-même, ce qui montre qu'un regard critique exigeant des instances parlementaires est toujours utile pour guider l'exécutif.

Suggérez-vous d'autres thèmes ? Pensez-vous qu'il manque un sujet, qu'il faut traiter un point de toute urgence ou qu'il existe un biais dans les traitements de l'Office ?

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Didier Roux

‑ Avec le risque d'être hors sujet, je commence à être préoccupé par le financement des start-up. L'un des grands enjeux est le financement du « deuxième tour », le moment où la start-up a fait sa preuve de concept et où il faut augmenter les capitaux investis. Il est désormais possible de mobiliser en France des montants assez impressionnants par rapport à ce qu'il se passait voici dix ou quinze ans, même si cela reste faible en comparaison des pays anglo-saxons.

Le problème un peu technique que je souhaite soulever concerne les pactes d'actionnaires, notamment la façon dont les sociétés de capital risque interviennent dans le capital de ces start-up. Ils me semblent inclure bien souvent des clauses dites « de ratchet » léonines, quelquefois extrêmement inquiétantes ; le risque est d'épuiser les actionnaires du premier tour, souvent des business centers ou des fonds que l'on peut dire bienveillants. Pour présenter la situation de façon un peu caricaturale, les clauses de ratchet qu'exigent les sociétés de capital risque consistent en quelque sorte à « rincer » les premiers investisseurs si le développement de la start-up ne se passe pas comme il faut.

Je suis désolé que ce sujet soit si technique. Toutefois, il devrait préoccuper nos législateurs en raison du risque de voir le financement de l'innovation bloqué par des conditions léonines. J'insiste sur le fait que, très souvent, ces investisseurs bénéficient de fonds publics ou de dispositifs de défiscalisation, ce qui, de mon point de vue de citoyen, rend les choses encore plus critiques.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

‑ Le Sénat vient de lancer une mission d'information sur le sujet dont Vanina Paoli-Gagin, sénatrice de l'Aube, est la rapporteure. Elle s'intéressera à cette question des start-up et de la traversée de la « vallée de la mort », qui est la préoccupation essentielle des nouveaux entrepreneurs. Je ferai en sorte, cher Didier Roux, que vous soyez entendu par la mission d'information.

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Didier Roux

‑ J'ai été auditionné par une mission d'information du Sénat sur l'innovation et sur les raisons pour lesquelles la France innove moins que d'autres pays. Je ne sais pas si c'est celle à laquelle vous faites allusion. Je m'y suis exprimé très brièvement sur ce thème parce que ce n'était pas le centre de mon intervention. En tout cas, je suis tout à fait prêt à intervenir sur ce sujet.

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‑ Je signale aussi, du côté de l'Assemblée nationale, une mission d'information menée par Maud Gatel et Didier Quentin sur l'autonomie stratégique de l'Union européenne, qui a été amenée à aborder le sujet du financement de l'innovation et l'a identifié comme l'un des points de tension ou de manque par rapport à cet objectif d'autonomie stratégique.

Ce thème n'est pas dans le cœur de métier de l'Office puisqu'il s'agit d'analyser l'innovation moins sous l'angle des progrès des sciences et des technologies que sous celui de l'économie, mais ce n'est pas une raison pour ne pas y être associés. Nous serons donc attentifs à suivre ce sujet comme le préconisait Gérard Longuet et à mettre Didier Roux dans la boucle du travail en cours au Sénat.

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Raja Chatila

‑ Je remercie les membres de l'Office pour leurs réactions à notre cahier de doléances. J'ai bien compris que c'est le Parlement qui saisit l'Office et que celui-ci ne peut pas s'autosaisir de certains sujets. C'est peut-être insuffisamment réactif pour avoir une vision d'ensemble un peu plus cohérente. C'est bien dommage.

Le sujet qui me vient à l'esprit, peut-être marginal pour l'Office, est celui de l'utilisation de l'intelligence artificielle dans les services publics, par exemple celui de la justice. L'IA peut avoir des impacts importants, voire fondamentaux sur la manière dont les services publics fonctionnent et la manière dont les citoyens y ont accès.

Dans le cas de la justice, des questions très sensibles se posent sur la façon dont une machine, un logiciel ou un système d'IA pourrait être utilisé pour aider à prendre des décisions de justice, voire plus comme cela se passe dans certains autres pays. Ce sujet à la fois technique et sociétal me semble important pour l'avenir des services publics.

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‑ Pour préciser ce que je disais sur l'autosaisine, l'Office n'a pas le pouvoir de s'autosaisir d'une étude longue : ce sont des prérogatives dont les présidences de commission ou de groupe politique n'entendent pas se dessaisir à notre profit. C'est très clair.

Nous pouvons cependant nous saisir de travaux plus légers que les rapports. C'est le cas pour les notes scientifiques ; elles ont beau être courtes, elles peuvent pourtant avoir un impact important si nous faisons ce qu'il faut pour. C'est également le cas pour les auditions publiques ou les auditions d'actualité ; il s'agit alors d'entendre simultanément, en général sur une demi-journée, un certain nombre d'acteurs.

Pour ce qui est de l'intelligence artificielle dans les services publics, une mission a été confiée à Yannick Scalzotto, sous-préfet à la relance pour les départements du Finistère et des Côtes d'Armor. Celui-ci est donc chargé d'instruire le sujet, de mener des auditions et de réfléchir à l'organisation qu'il faudrait mettre en place. Je serais ravi de mettre Raja Chatila en contact avec lui. Il serait d'ailleurs naturel que l'Office travaille sur ce thème dont les aspects sont divers et qui est très délicat, pas seulement dans sa dimension technique, mais aussi dans sa dimension humaine, dans la façon dont les expérimentations se mettent en place.

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Raja Chatila

‑ Merci beaucoup pour cette réaction ; j'aimerais bien être mis en contact avec Monsieur Scalzotto.

Un autre sujet, tout à fait différent, porte sur les liens entre le numérique et le changement climatique. L'impact du numérique sur le changement climatique est à la fois positif et négatif. Le numérique peut aider, notamment grâce à l'IA, à optimiser et à réduire les émissions. Il a aussi un impact négatif parce qu'il consomme de l'énergie, donc contribue à ces mêmes émissions. Il existe de nombreuses études sur ce sujet, mais elles ne sont pas toujours très claires car nous manquons de métriques pour évaluer ce phénomène de façon pertinente. Je pense que ce peut être un sujet transversal sur un plan scientifique puisque cela implique le climat et, bien sûr, le numérique ainsi que plusieurs aspects de la vie quotidienne.

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‑ C'est tout à fait exact. Un demi-chapitre y était consacré dans mon rapport sur l'intelligence artificielle de 2018. Le chapitre consacré à l'environnement abordait les effets positifs potentiels, les effets négatifs avérés, ainsi que les questions de gestion des ressources puisque nous n'avons que quelques décennies de réserves de cuivre prouvées, une quinzaine d'années de réserves d'indium – qui est l'élément le plus en tension pour ce qui est des terres rares – et bien d'autres secteurs pour lesquels la question de la pénurie se posera à brève échéance.

En 2018, ce point était encore peu traité ; il n'existait guère à l'époque que les estimations du Chief project de Carbon Cart que nous avions pu mettre à contribution. Je suis complètement d'accord sur le fait que, dans certains cas, les modes de calcul ne sont pas complètement clairs et des polémiques régulières s'en font l'écho, y compris publiquement avec Gilles Babinet. Il serait bon d'approfondir le sujet.

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Robert Barouki

‑ Pour aller dans le même sens, un nouveau concept assez proche de One Health apparait, celui de la « santé planétaire ». Par rapport à One Health, il insiste plus sur les limites de la planète, mais en s'intéressant à l'impact de ces limites sur la santé humaine, la santé des animaux et la santé des écosystèmes. Cela fait écho à ce qu'a dit Guy Vallancien tout à l'heure et je pense que c'est un sujet extrêmement transversal, qui fait le lien entre les problématiques de limites et les problématiques de santé humaine et de bien-être. Il peut être intéressant d'explorer ce thème.

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‑ L'Office a élaboré une note sur l'exposome en appui à une commission d'enquête sur la santé environnementale.

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Robert Barouki

‑ La santé planétaire est un thème un peu différent, car il fait le lien avec ce que ce qui vient d'être dit sur les limites. Évidemment, les pollutions participent des limites parce que la présence de plastiques dans l'océan, la mauvaise qualité de l'eau ou de l'air ont un impact évident sur la santé des êtres humains, des animaux et des écosystèmes.

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‑ Je suis complètement d'accord. Je note également les hochements de tête appuyés de Jean-Luc Fugit, qui a beaucoup travaillé sur la pollution de l'air, et d'Angèle Préville, qui a fourni un travail extraordinaire sur la pollution plastique avec Philippe Bolo. Nous prenons donc cette suggestion avec enthousiasme.

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Robert Barouki

‑ J'ai coordonné un programme européen pour proposer à la Commission un programme de recherche sur l'environnement, le climat et la santé dans les années à venir. Cela peut-il être partagé avec le conseil scientifique ? C'est assez général, ce n'est pas très spécialisé mais cela peut faire partie de petits rapports, des liens que nous pouvons partager entre nous pour faire avancer la réflexion.

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‑ Je n'y manquerai pas, dès que nous créerons cette boucle. Il faut simplement récupérer les contacts des uns et des autres ; nous mettrons ce sujet au nombre de ceux qui pourront susciter des discussions impliquant les membres du conseil qui le voudront bien.

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Claudie Haigneré

‑ Deux sujets me viennent à l'esprit. L'un a déjà été évoqué : il s'agit de la place des femmes et des jeunes filles dans les carrières scientifiques et techniques. La société civile s'en empare, bien évidemment, les entreprises également, mais je pense que le monde politique lui aussi doit s'en emparer et ceci pourrait donc être un sujet intéressant pour l'Office. Je viens de participer à la Journée internationale des femmes et des filles de science, le 11 février. Je sais à quel point il reste des problèmes. Nous commençons tout juste à soulever un peu le voile.

Le deuxième sujet est la géoénergie, dont je n'entends parler dans aucune des discussions actuelles sur le mix énergétique. J'ai eu l'occasion de rencontrer une start-up issue de Schlumberger, Celsius Energy, qui fait de la géoénergie en forage très peu profond pour les nouveaux bâtiments et même pour les bâtiments anciens. Nous ne voyons jamais apparaître cette composante de la géoénergie alors que nous avons des pépites en ce domaine. Je me demandais si nous ne pourrions pas donner de la visibilité à ce sujet.

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‑ C'est un thème que ma collègue Delphine Batho aime à rappeler sans cesse et je sais que cela ferait plaisir à certains de nos collègues que l'Office approfondisse cette question. La géoénergie, il est vrai, est assez peu présente dans le débat technique public, si je puis dire.

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Patrick Netter

‑ Parmi les sujets intéressants, je mentionne la science ouverte, qui fait l'objet d'un rapport de l'Office mais mériterait certainement une discussion dans le conseil scientifique. Les outils disponibles pour analyser la science sont essentiels, et ils sont en train de changer : les études bibliographiques étaient classiques alors que se développent maintenant tous ces travaux en science ouverte. Ce sujet pourrait être abordé, peut-être à l'occasion du rapport sur lequel vous travaillez. C'est un sujet majeur qui change complètement la donne scientifique dans tous les domaines.

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‑ Le rapport sur la science ouverte sur lequel travaillent actuellement Laure Darcos, Pierre Ouzoulias et Pierre Henriet s'inscrit dans le prolongement du rapport sur l'intégrité scientifique de Pierre Ouzoulias et Pierre Henriet. Il a vocation à saisir une évolution importante au confluent de plusieurs problématiques : les données ouvertes, les sciences participatives et citoyennes et l'évolution des pratiques scientifiques. Il fait partie de ce genre de travail pour lequel l'Office doit veiller à associer le conseil – mais dans le cas d'espèce, les rapporteurs sont sur le point d'achever leurs travaux.

J'aimerais qu'en cette fin de réunion, nous abordions la question de l'enseignement des sciences, aussi bien la culture scientifique que l'enseignement des sciences en tant que telles. Au-delà des débats houleux qui ont eu lieu ces dernières semaines sur la réforme du baccalauréat et ses conséquences en matière d'enseignement des mathématiques, débat sur lequel j'ai été sollicité à maintes reprises, nous souhaitons recueillir votre sentiment et vos recommandations. C'était le thème du petit déjeuner virtuel que nous avons eu récemment avec l'Académie des sciences et l'Académie de médecine et auquel participait notre collègue Didier Roux.

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Didier Roux

‑ J'ai participé en tant qu'académicien à cette réunion avec l'Office et je réitère la remarque que j'ai faite à cette occasion, qui est très générale. De multiples rapports convergents – les rapports internationaux PISA et TIMMS, des rapports nationaux de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) et de multiples rapports dont ceux auxquels Cédric Villani a contribué comme le rapport sur les mathématiques avec Charles Torossian – montrent une réelle inquiétude sur la capacité de la France à disposer d'un système éducatif à la hauteur des ambitions d'un grand pays, en tout cas d'un grand pays européen, bien que le pays y consacre des sommes non négligeables.

Il y a un vrai problème dans la mise en œuvre des réformes. Chacun peut faire le constat, sur le terrain, de l'incapacité historique du système de l'éducation nationale à se réformer. Ceci dure depuis plusieurs dizaines d'années, pour des raisons que je considère être fortement politiques. C'est un système qui, de mon point de vue, est autobloquant, c'est-à-dire que, dès que l'on essaie de changer quelque chose, tout le système se met en route pour bloquer. C'est extrêmement dangereux sur un plan politique. C'est parce que les réformes sont difficiles à appliquer que les ministres successifs se trouvent toujours dans des positions difficiles.

On peut accuser le ministre, le ministère, les enseignants, les syndicats ou qui on veut. Ce que je constate c'est la très grande difficulté à réformer le système. Il y a quelquefois des maladresses évidentes de la part des uns ou des autres mais la réalité montre que, quelles que soient les bonnes volontés et les réflexions sur la façon dont le système pourrait être réformé, il ne se réforme en fait pas ou les réformes conduisent à des catastrophes comme la mise en place des troncs communs en première et en terminale. Une telle réforme aurait pu être une bonne chose mais sa mise en en œuvre a été catastrophique et elle n'a pas atteint les objectifs au départ louables qui lui étaient assignés.

Ma réflexion ne vise pas à répondre à la question « que faut-il faire pour améliorer l'enseignement des sciences dans l'éducation nationale ? » – cela ne conduirait qu'à un rapport de plus… – mais à une question plus générale : « que faut-il faire pour qu'une réforme de l'éducation nationale aboutisse ? ».

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‑ Gérard Longuet était je crois rapporteur pour la commission des finances du Sénat sur la mise en œuvre des recommandations de mon rapport sur l'enseignement des mathématiques et il avait bien insisté sur cette dimension de l'effectivité des réformes.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

‑ Malgré mon grand âge et mon expérience interminable de la vie publique, je reste optimiste et confiant. Le problème consiste justement à identifier les difficultés.

À la demande de la commission des finances du Sénat, j'ai travaillé sur l'enseignement des mathématiques. Pourquoi le système a-t-il peu de productivité ? Nous avons identifié deux difficultés incontestables et une troisième plus incertaine.

La première difficulté incontestable est que 80 % des professeurs des écoles ont une formation littéraire au sens large et ne sont pas à l'aise dans les enseignements scientifiques en général et les enseignements mathématiques en particulier. Or, les professeurs des écoles interviennent en primaire ce qui crée, dès le départ, un premier décrochage. Il faut donc se demander pourquoi diable 80 % des candidats au concours de professeur des écoles sont des littéraires, des sociologues ou éventuellement des historiens mais jamais des scientifiques.

Pourtant, de nombreuses actions sont menées et, le rapport de Charles Torossian et Cédric Villani formulait des propositions très concrètes. Certaines ont été mises en œuvre mais avec une grande inertie du fait de la loi des très grands nombres puisque nous parlons de dizaines de milliers d'emplois. 850 000 ou 900 000 enseignants travaillent dans l'enseignement public ; c'est énorme et déplacer la moindre virgule est d'une complexité effrayante. C'est la raison pour laquelle j'ai une certaine admiration pour l'administration de l'éducation nationale car arriver à gérer un « truc » aussi massif est une performance.

La deuxième difficulté incontestable touche à la rémunération des professeurs de mathématiques – et sans doute de sciences, mais je connais moins les sciences – dans le secondaire. Ces emplois sont en compétition avec des débouchés rémunérateurs. Je ne parle pas uniquement des traders mais tout simplement des informaticiens. Quand on est confronté à des perspectives salariales dans ce genre de métier qui sont de 50 % à 100 % supérieures à celles de l'enseignement, il est évidemment difficile de recruter.

Or, la rémunération dans la fonction publique est structurée sur une grille unique. Que vous soyez capésien en gymnastique, en mathématiques ou en histoire, vous avez le même traitement en fonction de la même ancienneté. C'est contrebattu par la loi de l'offre et de la demande puisque l'offre de professeurs de gymnastique est plus élevée que l'offre de professeurs de mathématiques.

La troisième difficulté, heureusement incertaine aujourd'hui, est que les mathématiques ont trop été une condition d'accès aux bons enseignements depuis la grande démocratisation de l'enseignement secondaire, c'est-à-dire depuis les années 1960. Les mathématiques ont toujours été le critère privilégié de classement.

Ceci n'a certes pas que des inconvénients, mais dans les professions médicales, par exemple, la question s'est toujours posée de savoir si les mathématiques n'étaient pas « surpondérées » dans l'appréciation de ce que doit être un bon médecin, les dimensions humaines étant moins considérées. Je suis incapable de trancher. Je relève simplement qu'estimer des dimensions humaines est assez compliqué alors que noter un exercice mathématique est relativement plus facile.

La situation s'inverse actuellement : la sélection des élèves doit tenir compte de toute une série de critères, dont les performances scolaires, mais celles-ci comptent de moins en moins. En un mot, je n'entrerais pas aujourd'hui au lycée Henri IV alors que, en 1962, je n'ai eu aucun problème. J'habitais le quartier, j'avais fait des études dans une école secondaire assez moyenne et assez modeste mais ça passait.

Nous voyons un mouvement de balancier entre l'hypersélection et, par réaction, l'ouverture sur des critères variés. Je pense que c'est un « petit problème » parce que de plus en plus d'élèves auront des stratégies d'évitement et des stratégies d'accès à l'enseignement supérieur en fonction des règles de sélection appliquées, ce qui n'est pas intellectuellement satisfaisant.

Il faut néanmoins se concentrer sur les deux premiers aspects : comment faire en sorte que les scientifiques soient candidats au concours des professeurs des écoles et comment mieux rémunérer les enseignants de mathématiques ? Le vivier est déjà étroit mais, si, en plus, ils vont tous vers la banque ou l'informatique, il n'y aura plus de bons professeurs de mathématiques.

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Et les difficultés seront encore plus sérieuses que maintenant.

J'ai été fasciné par l'expression « système autobloquant » employée par Didier Roux. J'imagine qu'elle vise l'éducation nationale en tant que système administratif mais aussi tout ce qui va avec, c'est-à-dire la communauté qui comprend les enseignants, les établissements, les collectivités locales, les syndicats et la société en général avec son regard sur l'éducation. Est-ce bien cela ?

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Didier Roux

‑ Je le confirme. Il faut comprendre que j'étais plutôt un mauvais élève, qui – disons – s'en est sorti. Ensuite, j'ai eu une carrière de scientifique et d'industriel et j'ai redécouvert le monde de l'éducation nationale sur le tard, en m'investissant dans la fondation La main à la pâte. J'ai trouvé un système d'une extrême complexité, bien sûr, mais qui, globalement, a toujours eu des tas de raisons pour ne rien changer. D'une façon ou d'une autre, tout changement est perçu comme une agression par une partie de la communauté éducative. Je ne parle pas que des enseignants, cela concerne aussi le ministère et d'autres intervenants.

Le système a toujours tendance à rejeter les réformes. Je décris souvent de façon très sévère la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) comme un système à broyer les réformes. On entre les réformes par le haut et il en sort des tableaux Excel qui donnent l'impression d'avoir agi mais, sur le terrain, rien n'a changé. De plus, la réaction des enseignants, de tout temps, est de dire que les ministres arrivent et font passer des réformes, qu'il suffit d'attendre le prochain ministre pour que ces réformes soient défaites, et donc qu'en ne faisant rien on arrivera au même résultat. Je suis volontairement caricatural et négatif mais il me semble que le système lui-même est un système bloqué et bloquant.

La seule façon de débloquer un système énorme, très centralisé, est de donner le plus possible d'autonomie au niveau local. Cela a été inscrit dans le programme de plusieurs candidats, y compris l'actuel Président de la République dont le programme contenait l'autonomie des établissements. Pour moi, c'était très bien mais cela n'a absolument pas été mis en œuvre, tout au contraire, à part la récente expérience de Marseille qui a suscité des résistances, des levées de boucliers. Je donne cet exemple pour montrer que l'autonomie des établissements, qui est un élément clé, très important, est extrêmement difficile à mettre en œuvre.

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‑ Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec la situation de l'enseignement supérieur, où l'évolution vers l'autonomie était indispensable. Pourtant, quinze ans après la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), nous ne sommes toujours pas sortis des débats, nous ne sommes toujours pas réellement dans une situation d'autonomie complète et le sujet est resté extrêmement sensible au plan politique ainsi que du côté des universitaires.

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Didier Roux

‑ C'est exact mais je crois que c'est encore pire pour l'éducation nationale.

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‑ Peut-être qu'en un demi-siècle, nous arriverons à quelque chose…

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Raja Chatila

‑ L'enseignement est marqué depuis assez longtemps par l'absence de culture épistémologique sur la formation des savoirs scientifiques et leur histoire. Quand les élèves vont en classe, ils ont un cours de mathématiques, un cours de physique mais on leur assène en quelque sorte des vérités qui semblent absolues ; on ne les fait pas étudier comment ces vérités ont été acceptées et admises. Ceci favorise la remise en question de la science, avec des mouvements variés qui nient un certain nombre de vérités scientifiques – je ne vais pas revenir sur les problèmes de la vaccination, mais il y en a d'autres et il faudrait beaucoup trop de temps pour les énumérer.

Je me demande s'il ne faut pas faire une place à l'épistémologie, à l'histoire des sciences et ne pas se limiter à un enseignement des sciences en elles-mêmes, organisé comme un savoir déjà distillé, tout prêt, qu'il faut juste ingurgiter voire apprendre par cœur. Cela permettrait de mieux comprendre les incertitudes et les raisons pour lesquelles les scientifiques ne sont pas toujours d'accord entre eux. Ce sujet n'est pas assez, voire pas du tout, traité dans les lycées et les collèges alors qu'il me semble important.

Par ailleurs, il y a en France un manque flagrant de communication du savoir scientifique en direction du grand public. Organiser une fois par an une fête de la science n'est pas suffisant, même si à cette occasion nos laboratoires sont bondés, ce qui montre l'intérêt du public. La communication doit avoir lieu au quotidien. Il faut trouver un moyen de le réaliser, même si je n'ai pas de proposition concrète. Nous pouvons engager un effort collectif pour chercher un moyen d'amener la science vers les citoyens de manière à ce que, en permanence, quelque chose se passe à proximité de chez eux. De nombreux événements sont organisés ; j'ai participé par exemple à des projections de films de science-fiction suivies d'un commentaire, notamment celles organisées par l'Institut Henri Poincaré. Je pense cependant qu'il faut agir à un niveau plus large, peut-être avec des « maisons des sciences » ouvertes au grand public, où des événements pourraient être organisés localement.

Le vivier d'enseignants en activité ou jeunes retraités qui pourraient contribuer à ces échanges avec le grand public et organiser de tels événements est énorme. Nous avons grand besoin que nos concitoyens soient mieux sensibilisés à ce qu'est la science et sachent comment elle fonctionne.

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‑ Excellent ! Après vos prises de parole, nous ferons le tour des réponses et réactions des parlementaires à vos très pertinentes suggestions.

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Virginie Tournay

‑ Pour identifier les difficultés à développer la culture scientifique, je considère qu'il faut tenir compte de certains enjeux fondamentaux en termes de pédagogie formelle et des conditions de sa mise en œuvre. Je partage ce qui vient d'être dit sur les blocages institutionnels de l'éducation nationale. Il est également important de ne pas réduire le problème de la culture scientifique aux seules questions d'inégalité d'accès à la connaissance ou de vulgarisation, même si ces aspects ne doivent pas être négligés.

Nous sommes en effet confrontés à un problème de fond, celui de la confiance sociale. Les sondages montrent clairement que les Français restent attachés à la culture scientifique mais cela ne signifie pas que l'autorité sociale, l'autorité institutionnelle de la culture scientifique est forte aujourd'hui dans notre société. La crise sanitaire a montré que l'abondance de rhétorique scientifique n'a pas donné une légitimité accrue à la science. Par exemple, la vaccination n'apparaît pas plus qu'avant comme un principe civique d'immunité collective. Je rappelle que seule la moitié des Français adhéraient pleinement à la vaccination en avril dernier. Les études du baromètre de confiance politique du CEVIPOF montrent que les réfractaires à la vaccination ont un très faible niveau de confiance dans les institutions politiques et que plus de 70 % d'entre eux n'ont plus le sentiment d'appartenir à l'État-nation. À travers les problématiques de culture scientifique, c'est en fait notre rapport au politique et aux institutions qui est directement interrogé.

Le problème de la culture scientifique – et tous les problèmes rencontrés en matière de vulgarisation – est que celle-ci n'est plus aujourd'hui associée à une conception républicaine de l'intérêt général. Elle n'apparaît plus comme un élément qui pourrait réunir les citoyens autour d'un patrimoine culturel partagé. Notre société semble n'avoir plus du tout la conscience du caractère cumulatif des connaissances. Il faut donc trouver le moyen de redonner une sorte de cohérence institutionnelle et des repères matériels, institutionnels, aux citoyens.

Un autre point est propre à la communication politique de la science et la pandémie nous a donné à cet égard une leçon exemplaire. Comment peut-on communiquer sur les situations d'incertitude liées à un état de connaissance ? La pandémie est un phénomène qui n'est absolument pas prévisible, elle relève de l'aléa naturel. Or, vous le savez bien, le politique ne peut donner à la population les moyens de se protéger qu'au regard des connaissances qu'il a à sa disposition. C'est toute la difficulté du passage de l'expertise scientifique à la prescription politique. Dans la problématique du renforcement de la culture scientifique, le politique a une énorme responsabilité, qui consiste à mettre en avant l'idée de doute raisonnable.

Par exemple, je pense que la suspension au niveau européen du vaccin AstraZeneca a été une catastrophe en termes de confiance des citoyens dans la science. On a toujours tendance à focaliser son attention sur les risques très improbables de l'action en matière d'innovation, sans prêter suffisamment d'attention au risque certain de l'inaction. C'est vraiment un problème et je ne sais pas du tout comment inverser cette tendance, qui est devenue structurelle.

Mon troisième point est que toutes les disciplines scientifiques n'ont pas le même risque de politisation ou le même risque de susciter des controverses sociales. Je pense à tout ce qui a trait au domaine du nucléaire, de l'alimentation, des biotechnologies ou des préoccupations écologiques. Ces champs scientifiques ne sont pas du tout comme les autres. Aujourd'hui, l'astrophysicien qui travaille sur le boson de X est beaucoup plus tranquille que le chercheur qui travaille dans le domaine du génie génétique. C'est lié au fait que la perception sociale de la cumulativité des connaissances n'est pas du tout la même selon les champs disciplinaires. Il faut comprendre mieux la façon de réfléchir et appréhender la culture scientifique en fonction des disciplines et de leurs particularités épistémologiques.

Enfin, j'ai le sentiment que la culture scientifique doit à tout prix s'accompagner d'une prospective scientifique éclairée. Nous vivons une rupture brutale, une rupture de fond dans notre société. Des pans entiers de professions et de pratiques technologiques modifieront la société dans les dix ans qui viennent. Je pense au télétravail, à la télémédecine, etc. S'il est un message important à transmettre en matière de culture scientifique, c'est que les citoyens doivent avoir conscience des changements brutaux en cours aujourd'hui et qu'ils doivent être en mesure de les inscrire dans l'histoire longue de nos sociétés. Le moment est vraiment très particulier et il faut que les jeunes aient conscience de ces bouleversements numériques, de toutes ces innovations, du fait que nous sommes entrés dans un basculement radical de nos manières de vivre.

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Catherine Cesarsky

‑ Je suis très impressionnée par ce que je viens d'entendre mais je reviendrai à quelque chose de plus simple, la formation des enfants. Didier Roux a dit quelque chose de bien senti mais il n'a pas tellement parlé du rapport sur l'enseignement des sciences de l'Académie des sciences, paru en novembre 2020 et dont il était co-auteur.

Il est bon de rappeler que la France dispose d'un conseil supérieur des programmes (CSP), dont j'ai fait partie. À ce conseil, nous faisons la liste de ce qu'il faudrait faire et nous pouvons élaborer de très bons textes. C'est le cas du texte actuel. Il faut ensuite s'assurer que c'est bien ce qui est enseigné dans les écoles. En ce qui concerne les sciences, comme le dit le rapport de l'Académie, ce n'est absolument pas le cas : les sciences ne sont pas abordées dans les écoles de la façon préconisée par le CSP. C'est comme deux lignes parallèles qui ne se rencontrent jamais – et je crois que c'était pareil dans le passé.

Tout ceci vient au premier chef de la formation des enseignants : dans leur grande majorité, ils n'ont pas de bonnes bases scientifiques, d'où l'importance d'actions comme La main à la pâte ou les Savanturiers de la recherche… Il faut à la fois leur donner des bases scientifiques – ce que fait par exemple le CERN – et leur apprendre à enseigner les sciences. En effet, il ne s'agit pas d'apprendre une série de faits mais plutôt d'apprendre à réfléchir et à comprendre la méthode scientifique. C'est de loin le plus important.

Je vais donner un exemple rapide. En 2006, je suis devenue présidente de l'Union astronomique internationale au beau milieu du débat sur Pluton : Pluton est-il ou non une planète ? Peut-être vous souvenez-vous de la raison pour laquelle nous avons décidé que Pluton n'est plus une planète. Nous savions déjà que Pluton est très différent des autres planètes et d'autres objets similaires à Pluton ont été découverts. Soit l'on continuait à augmenter sensiblement le nombre de planètes dans le système solaire, soit l'on disait que Pluton est le prototype d'un autre type d'objets, dits transneptuniens. Cela a fait grand bruit et nous avons alors invité les écoles du monde entier à en discuter.

De nombreux professeurs nous ont suivis et ont expliqué le sujet aux enfants. Nous avons évidemment donné les arguments sur lesquels ce changement se fondait. Ceux qui étaient contre nous disaient : « mais la tradition, ce qu'on nous a enseigné, est beaucoup plus importante que les faits », les faits étant la découverte d'objets similaires à Pluton, qui montre bien que l'on ne peut plus mettre Pluton dans la même catégorie que les autres planètes.

Cette discussion a eu lieu dans de très nombreuses écoles dans le monde. La démarche appelait à faire voter les élèves et, dans 75 % des cas, les élèves ont voté pour que Pluton ne soit plus une planète. Géographiquement, les votes sont distribués de façon très inhomogène, c'est très intéressant.

Un grand nombre de professeurs nous ont écrit pour dire à quel point cette discussion était utile pour que les enfants comprennent comment une découverte scientifique peut amener un changement. Nous ne disposons pas d'un champ établi de choses connues mais la science avance à travers des découvertes. J'espère que cette génération d'enfants a compris cela et je me demande combien de gens en France le savent.

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‑ Cette anecdote est fascinante pour quiconque a grandi avec la liste des planètes telles qu'on les voyait encore quand j'étais à l'école primaire !

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Frédérick Bordry

‑ J'en profite pour rebondir sur ce que vient de dire Catherine Cesarsky et pour parler du CERN. Un grand nombre de députés et de sénateurs ont visité le CERN ; je leur ai dit à ces multiples occasions que nous avons un programme pour les professeurs de physique du secondaire, mais que la nation la moins représentée dans ce programme est la France. C'est quand même assez troublant alors que le CERN se situe à la frontière franco-suisse… Nous n'arrivons pas à faire venir des professeurs du secondaire français, ou très peu, bien moins en tout cas que de Pologne, du Portugal ou d'autres pays. Ils ne viennent pas parce que ce programme se déroule en juillet-août, ou pour diverses raisons, mais les faits sont là.

Je souhaite aussi rebondir sur ce qu'a dit Catherine Cesarsky à propos de Pluton. Je pense que c'est le rôle des instituts de recherche et surtout des industries et de l'entreprise que d'expliquer comment les découvertes scientifiques peuvent changer l'état de la science. J'ai eu des enfants et j'ai maintenant des petits-enfants. Quand je vais voir leurs enseignants, la façon dont ils décrivent la science, en particulier la science privée, dans l'industrie, dans les entreprises, me fait frémir. La notion de ce qu'est la recherche industrielle, et même de ce qu'est la recherche dans les grands instituts, pose problème.

Je n'ai pas de recette mais je pense que les grands instituts de recherche et les acteurs de la recherche industrielle devraient aider à l'enseignement. 85 % des enseignants du primaire ont une formation non scientifique, ceci a été dit et je l'ai lu par ailleurs. Quelle aide pourraient apporter les grands instituts et l'industrie ? Il est important d'intéresser les jeunes à l'industrie et de leur montrer que l'on n'est plus dans le monde d'Émile Zola, que l'industrie n'est pas seulement quelque chose qui pollue et qui fabrique des chômeurs comme je l'ai entendu dire par un professeur de physique de ma fille.

Je réside actuellement à Palo Alto ; j'ai bien sûr été invité à l'université pour parler de mon métier et parler de la science, mais je l'ai été aussi dans des écoles secondaires, ce qui n'avait jamais été le cas en trente-cinq ans de carrière au CERN. Il me semble absolument nécessaire de réfléchir aux relations entre les industries, entreprises ou instituts, et l'enseignement, y compris l'enseignement primaire.

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Robert Barouki

‑ Ce qui manque beaucoup dans l'éducation, au début en tout cas, est d'apprendre aux enfants à observer. Des initiatives existent mais je ne suis pas sûr que l'on apprenne suffisamment l'observation en science – il peut s'agir d'observer des plantes, des étoiles, etc. L'idée serait d'apprendre à observer et de tenter ensuite de conceptualiser et de formaliser l'observation. Dans la démarche scientifique telle qu'on l'enseigne, l'étape de l'observation reste en retrait ; on a plus tendance à apprendre aux enfants à faire des choses précises, à calculer, à lire, etc.

Le deuxième manque, visible surtout par référence à une tradition anglo-saxonne, concerne l'apprentissage de l'expression : oser exprimer une opinion, quelle qu'elle soit, sur ce que l'on voit et savoir comment l'exprimer. Dans mon expérience, au fur et à mesure que les jeunes grandissent, ils ont de plus en plus de difficulté à exprimer une opinion. Observation et expression manquent un peu dans notre système.

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Hélène Lucas

‑ Il faudrait aussi apprendre aux scientifiques à expliquer leur démarche, ce qui n'est pas évident pour un certain nombre d'entre eux, et ne pas laisser la médiation scientifique devenir un marché où vont s'exprimer des écoles de pensée dans un espace concurrentiel. Ceci nécessite un travail important auprès de la communauté scientifique, notamment dans les organismes nationaux de recherche.

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Jean-Luc Imler

Je rebondis sur ce que disaient Robert Barouki et Didier Roux. Des changements se produisent tout de même à l'éducation nationale, mais parfois pas dans le bon sens…

Je suis moi aussi convaincu que l'observation est très importante et, surtout, qu'il faut « faire », c'est-à-dire faire des expériences. Les élèves doivent voir par eux-mêmes les résultats des expériences. Le niveau baisse dans ce domaine. On doit acter l'existence d'un problème du côté des enseignants et donc leur apporter un soutien. Je suis optimiste, comme Gérard Longuet, mais cela nécessite des moyens ; je pense en particulier aux préparateurs, pas seulement au lycée mais aussi au collège, pour aider à mettre en place les expériences. C'est important.

Pour revenir sur la question de la communication, il est clair que, même à l'université, arriver à ce que les gens s'expriment est compliqué. Ceci renvoie à l'une des réformes récentes, la mise en place du grand oral, qui s'est faite au détriment du travail personnel encadré (TPE). Le TPE avait pour moi une grande valeur parce qu'il mettait en avant des points essentiels pour comprendre ce qu'est la science : la pluridisciplinarité puisqu'il comportait au moins deux thèmes, le travail d'équipe et les échanges. Il a été remplacé par une présentation de cinq minutes où, très clairement, la forme est privilégiée par rapport au fond.

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Virginie Courtier-Orgogozo

‑ Nous avons beaucoup parlé de différents aspects de la culture scientifique. Pour moi, les changements doivent aussi concerner les scientifiques eux-mêmes. Dans le grand public, la confiance envers les scientifiques, envers les institutions et les instances scientifiques est aujourd'hui faible. Je pense que, par contre, le public n'a pas perdu confiance en l'approche scientifique. Ce sont plutôt les personnes ou les institutions qui portent l'approche scientifique qui ont des problèmes de communication ou qui, de temps en temps aussi, n'ont pas respecté l'intégrité scientifique ou ont présenté des conclusions biaisées.

Une façon d'agir serait d'être plus tolérant, d'essayer de mieux comprendre les critiques qui peuvent être opposées à la science. Ce ne sont pas des critiques sur l'approche scientifique, mais sur la façon dont la science est conduite concrètement, et beaucoup de scientifiques ne les acceptent pas. Nous pouvons travailler sur ce sujet.

Une autre question se pose aussi : comment, en tant que scientifique, essayer de mieux exprimer ce qu'on a compris du monde, d'améliorer la communication et d'améliorer le travail des journalistes ? Comment développer les interactions entre les journalistes scientifiques et les scientifiques ?

Agir au niveau des enfants est important, mais il reste beaucoup à faire au niveau des adultes.

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‑ Vos remarques ont abordé de nombreux thèmes.

Le premier concerne la grande difficulté à modifier les actions d'éducation sur le terrain ; je m'y suis aussi heurté dans le rapport produit avec Charles Torossian en février 2018. On peut changer les programmes, les directives, les instructions, etc., on gesticule en fait pour rien s'il n'y a pas de relais humain mobilisable sur le terrain pour organiser les formations, conseiller et inspecter.

Charles Torossian et moi nous sommes bien rendu compte que ce relais humain n'existe pas, que les actuels conseillers pédagogiques ne peuvent pas s'en charger et qu'il faut donc commencer par reconstituer un réseau de référents en mathématiques, donc en recruter. Nous pensions bien que ce serait long et frustrant, et ce le sera peut-être encore plus que ce que nous pensions. Ce travail indispensable avance cependant et je pense qu'il est à peu près aux trois quarts achevé maintenant.

Quand j'écoute Catherine Cesarsky, je ne peux m'empêcher de me rappeler que les enseignants de mathématiques qui m'ont le plus marqué, ceux auxquels je pense le plus lorsque je réfléchis à ma carrière et à ma vocation, sont ceux qui suivaient le moins le programme. Il ne faut surtout pas oublier cet aspect, le fait que le contact et la façon de faire de l'enseignant, son enthousiasme et sa fierté, comptent certainement plus que sa faculté à suivre des instructions.

Il faut pourtant agir sur tous les leviers. Parfois, les instructions venant d'en haut sont une tentative pour aller dans le sens de davantage de communication et d'enthousiasme chez l'enseignant. On est alors confronté à toutes les complications liées au pilotage de ce système complexe, autobloquant, qu'évoquait Didier Roux tout à l'heure avec beaucoup de talent.

Sur la culture scientifique, vous avez largement évoqué le fait que les grands débats, la remise en question de faits scientifiques et les contestations que l'on a vues sur les vaccins ne résultaient pas, en général, d'un défaut de culture mais d'un défaut de confiance. Des contestations ont d'ailleurs été émises par des personnalités on ne peut plus qualifiées. Beaucoup d'autres que moi ont fait la même expérience : les personnes résolument antivax de mon entourage, de ma famille élargie, sont des profils CSP+, qui appartiennent à un milieu éduqué, qui ont monté leur entreprise, qui ont une formation d'ingénieur, qui connaissent certaines disciplines scientifiques bien mieux que moi ; pour autant, ils se retrouvent résolument antivax. Ce n'est pas un problème de culture scientifique, c'est bien une question de confiance, en l'occurrence de confiance dans les institutions et de confiance dans le discours public.

L'Office a travaillé sur le fameux épisode du retrait d'AstraZeneca et sur la façon dont il fallait réagir aux alertes. L'analyse était très compliquée parce que cela ne se passait pas du tout dans un mode normal, où les instances scientifiques font une proposition, avec un rapport suivi de prises de décisions. Cela se passait dans une quasi-hystérie continuelle, où chaque étape se trouvait prisonnière d'un débat extraordinairement intense, complètement déséquilibré par le jeu médiatique, aussi bien numérique que classique. Il est très difficile d'arriver à faire fonctionner les institutions dans un tel contexte.

Lorsqu'en plus, comme c'est le cas sur le Covid et sur bien d'autres sujets, interviennent une myriade de conseils et d'institutions censés donner leur avis sur une partie de la stratégie, les choses sont encore plus compliquées. Nous-mêmes avons eu les plus grandes difficultés à comprendre quel conseil était actif, quel conseil avait été en lien avec tel autre, quel conseil avait disparu. Il y bien sûr le conseil scientifique Covid-19 et le comité analyse, recherche et expertise (conseil Care), mais il faut y ajouter le comité vaccins constitué autour de Marie-Paule Kieny, le conseil d'orientation de la stratégie vaccinale d'Alain Fischer et le conseil de citoyens tirés au sort, sans compter la Haute Autorité de Santé et son collège des usagers, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'Académie nationale de médecine et ses conseils toujours avisés, et deux ou trois autres institutions comme Santé publique France.

Chaque fois qu'une nuance apparaissait entre les uns et les autres, les médias se faisaient un malin plaisir de l'écarteler le plus possible ; on l'a vu à propos des divergences apparues sur la stratégie des masques et à propos des méthodes de décompte de la maladie. Des débats publics passionnés se sont déployés sur des points de détail montés en épingle. Tout ceci rend extraordinairement complexe la perception de l'état des connaissances et la décision politique.

Dans ce contexte, je rejoins tout à fait ce que disait Virginie Courtier-Orgogozo : ceci ne relève pas d'une perte de confiance en la démarche scientifique. En fait, dans ce genre de polémique, tout le monde se réclame de la démarche scientifique et c'est interprétation de chiffres contre interprétation de chiffres. En revanche, il peut y avoir une perte de confiance envers les institutions ou les acteurs scientifiques. Pour une part, c'est donc eux qui doivent parvenir à s'améliorer, à mieux communiquer et à mieux expliquer leur rôle, y compris celui de la fabrication du consensus scientifique.

Ce que disait Frédérick Bordry tout à l'heure est assez amusant : « En trente-cinq ans au CERN, on ne m'a jamais demandé de raconter ce que je faisais à des enfants, à des scolaires. J'arrive à Palo Alto et là, on me le demande. » C'est exactement ce que j'ai vécu, même si je n'ai pas trente-cinq ans de carrière. Lorsque j'étais en résidence à l' Institute for Advanced Study à Princeton, je me suis trouvé dès mon arrivée face à des classes de scolaires venant visiter l'institut avec leurs maîtres et venant interroger directement les chercheurs sur ce qu'ils faisaient, dans le hall où se trouve le buste d'Albert Einstein, ce qui vous donne plein d'occasions de parler aux gamins. Cette démarche systématique de rencontre avec les acteurs scientifiques, mais aussi d'autres acteurs de la société, est un point sur lequel notre système d'éducation n'est pas très bon.

Nous avons parlé d'apprendre à observer et à s'exprimer. Je n'ai pu m'empêcher de penser à Henri Poincaré qui a poussé le travail de communication avec le grand public tellement loin qu'il a écrit des ouvrages pour enfants, une initiation à la science pour les enfants. Il aimait bien répéter que la chose la plus importante que les parents peuvent enseigner à leurs enfants est la faculté d'émerveillement devant le monde. Nous avons à coup sûr beaucoup à faire sur ce sujet.

Nous vivons pleinement, très régulièrement, à l'Office tout ce que disait Virginie Courtier-Orgogozo sur les grands débats qui dépassent le cadre scientifique pour devenir des débats de société. Le nucléaire, l'alimentation, les biotechnologies, etc. sont un peu notre pain quotidien. Je peux témoigner que, durant mes cinq ans de mandat, le sujet le plus difficile que l'Office ait eu à instruire a été celui des nouvelles techniques de sélection génétique pour les végétaux, les NBT ou les « OGM 2.0 », comme ils sont parfois appelés. Ce fut le plus difficile au sens où Gérard Longuet et moi-même avons dû, tels des casques bleus, nous interposer entre les rapporteurs pour organiser le débat et rédiger les conclusions en négociant chaque phrase, pour être bien sûr que les deux rapporteurs qui défendaient des points de vue différents s'accordent sur ce qui pouvait être écrit. À la fin, les rapporteurs ont pu tomber d'accord sur presque toutes les recommandations, sauf une, liée à l'étiquetage, sur laquelle leurs positions étaient irréconciliables. L'Office a alors pris acte de ce que les deux positions existent et a donné les arguments qui les rendent l'une et l'autre légitimes. Nous avons donc poussé l'exercice aussi loin que nous pouvions le pousser sans aller sur le terrain des valeurs et du choix politique parce que la question d'étiquetage n'est pas tant une question scientifique qu'une question de décision politique.

Il a fallu beaucoup de patience. Le sujet des nouveaux OGM a d'ailleurs causé l'explosion interne puis la fin officielle du Haut Conseil des biotechnologies (HCB). Je regrette à titre personnel que le HCB n'ait pas été maintenu. Il n'est pas parvenu à prendre de décision sur un sujet comme celui-ci mais, au moins, il offrait un espace de débats, quand bien même ce pouvaient être des débats tendus, et notre société a besoin d'organiser de tels débats.

Chers amis, nous allons prendre le temps de faire la synthèse de nos échanges. Tout ce que vous avez dit est cohérent avec ceux que nous avons eus avec l'Académie des sciences et l'Académie nationale de médecine sur l'enseignement des sciences, Didier Roux le confirmera. Vous êtes par ailleurs allés beaucoup plus loin sur la question de la culture scientifique. Ceci fait bien sûr partie des missions de l'Office. Notre rôle premier est d'informer le Parlement pour établir les éléments scientifiques et techniques qui lui permettent de trancher. Comme « Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques », ce n'est pas nous qui effectuons ces choix, mais nous les évaluons et ce faisant, nous pouvons également évaluer le système d'enseignement supérieur et de recherche, ainsi que certains sujets plus spécifiques comme les évolutions scientifiques et techniques dans le bâtiment ou le nucléaire, pour lesquels nous sommes institutionnellement investis par la loi.

Le rôle de l'Office consiste aussi à animer le débat public. Nous tâchons d'y répondre, nous aimerions être plus visibles, et nous serions ravis que vous nous aidiez à être plus visibles. C'est dans cette perspective, pour être plus en phase avec l'actualité, que nous avons développé ces dernières années des actions telles que les auditions publiques et interactives et les publications de format plus réduit que sont les notes scientifiques.

Le Parlement montre qu'il nous fait confiance en nous confiant des missions sensibles comme l'évaluation de la stratégie vaccinale et maintenant l'évaluation des effets secondaires des vaccins contre la Covid-19. Ceci montre bien que la visibilité de l'Office progresse, donc son influence politique. La saisine de la commission des affaires sociales du Sénat sur ce dernier sujet justifie d'ailleurs le fait de confier cette évaluation à l'Office par sa tradition reconnue quant au respect du contradictoire et sa capacité à faire entendre la diversité des voix scientifiques et politiques qui s'expriment sur un sujet.

Chers amis, comme nous nous y sommes engagés au début de notre réunion, vous serez tenus informés de tout ceci. Nous commencerons par mettre en place la boucle qui nous permettra d'échanger régulièrement. Comme la législature arrive à son terme, les décisions prises aujourd'hui et les recommandations qui ont été formulées seront aussi mises en œuvre par les députés qui seront prochainement élus. Les sénateurs feront de toute façon la jointure. En tout état de cause, il était important de faire le point sur les évolutions souhaitables du conseil scientifique et la façon dont nous allons demain perfectionner nos modes de travail pour remplir au mieux nos missions.

Permalien
Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

‑ Je remercie notre président pour sa conclusion exhaustive qui me permet de me taire alors que les propos de Virginie Tournay sur l'autorité sociale et la confiance politique sont au cœur de mes préoccupations d'élu.

Je reviens très brièvement sur les observations de Didier Roux. Je pense que seule la décentralisation, dont il faut reconnaître que la contrepartie est l'inégalité de traitement sur le territoire, permettrait de débloquer un système d'éducation nationale qui a eu l'immense mérite de porter la quasi-totalité de nos jeunes à un niveau considéré comme satisfaisant, même s'il est discutable, mais qui s'épuise aujourd'hui sur une bureaucratisation et une paralysie absolue. Je forme le vœu que le travail scolaire continue de payer quoi qu'il arrive. Il n'est pas déshonorant.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

‑ Merci beaucoup. Chers collègues, chers membres du conseil scientifique, je vous remercie pour votre présence ce matin et votre grande disponibilité, et je vous dis : à très bientôt pour une nouvelle aventure collective.

La réunion est close à 12 h 30.

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 10 heures

Députés

Présents. - Mme Émilie Cariou, M. Jean-Luc Fugit, Mme Huguette Tiegna, M. Cédric Villani

Sénateurs

Présents. - M. Ludovic Haye, M. Gérard Longuet, Mme Michelle Meunier, Mme Angèle Préville, Mme Catherine Procaccia, M. Bruno Sido

Excusés. - Mme Laure Darcos, Mme Sonia de la Provôté