Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du jeudi 13 juin 2019 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PPE
  • biomasse
  • chaleur
  • renouvelable
  • électricité
  • éolien
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

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L'audition débute à neuf heures dix.

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Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, dans le cadre de cette mission d'information relative aux freins à la transition énergétique – une mission qui touche à son terme, puisque M. le rapporteur va rendre son rapport dans une dizaine de jours, le 24 juin.

Tout au long de cette mission, nous nous sommes efforcés d'identifier les freins à une transition énergétique efficace, qui sont nombreux et portent sur des domaines variés. À l'heure où le projet de loi relatif à l'énergie et au climat a commencé à être examiné en commission du développement durable, et le sera par la commission des affaires économiques la semaine prochaine, avant d'arriver en séance publique, nous souhaitons savoir dans quel état d'esprit vous abordez les discussions de ce projet de loi, et dans quelle mesure nous pourrions profiter de ce véhicule législatif pour lever une partie des freins que nous avons identifiés.

Nous avons auditionné plus de 130 personnes, nous avons effectué des déplacements au Danemark, à Bruxelles et à Berlin, afin de voir comment font les autres pays pour mettre en œuvre la transition énergétique et de porter un regard sur l'acceptation sociale dont elle fait l'objet, ce qui a été l'occasion de constater que nous n'avons pas forcément les mêmes pratiques que nos voisins. Il paraît souhaitable de faire des efforts en France pour clarifier la vision du mix énergétique et de la gouvernance dans ce domaine, ainsi que pour améliorer l'acceptabilité sociale et pour réduire les délais liés aux nombreuses études d'impact nécessaires – sans doute ces études pourraient-elles être davantage effectuées en parallèle afin de perdre moins de temps.

M. le rapporteur va maintenant nous rappeler les grands thèmes abordés dans le cadre de cette mission, ainsi que ses enjeux. Vous aurez ensuite la parole pour un exposé liminaire, madame la secrétaire d'État, avant que nous ne procédions à un échange de questions et réponses avec les députés présents.

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Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je serai très bref.

Nous avons reçu énormément de sollicitations, ce qui nous a incités à ouvrir une consultation internet, dans le cadre de laquelle nous avons recueilli 5 000 contributions et 21 000 votes.

Pour ce qui est du cadre de la mission, nous avons dès le début organisé nos discussions autour de sept thèmes.

Le premier thème était le manque de vision sur les mix de consommation, d'utilisation et de production, qui fait que nous avons du mal à savoir ce que sera le paysage énergétique de la France dans dix ans, dans vingt ans et dans trente ans.

Le deuxième thème était assez classique, puisqu'il s'agissait du développement de toutes les filières d'énergies renouvelables.

Le troisième thème était celui des économies d'énergie et de l'efficacité énergétique.

Le quatrième thème était celui de la mobilité.

Le cinquième thème portait sur la capacité des grands groupes de l'énergie à se transformer – en d'autres termes, comment ils se voient dans vingt ou trente ans.

Le sixième était celui de la capacité des territoires à prendre en compte cette transition, qui devrait correspondre à un schéma où on produit localement et on consomme localement.

Enfin, le septième et dernier thème était évidemment celui du financement et de la fiscalité.

Présidence de M. Julien Dive, président de la mission d'information

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Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je rappellerai au préalable que nous agissons dans le cadre du plan climat, qui place la France parmi les trois pays européens les plus ambitieux en matière de lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, si notre action vise la transition écologique et énergétique, à la fois dans son enjeu économique, technologique et en termes de filières, comme vous l'avez rappelé, nous nous efforçons évidemment de ne pas perdre de vue l'enjeu social, l'accompagnement des territoires, et en particulier celui des ménages en situation de précarité.

L'un de nos objectifs est de travailler le plus possible avec les acteurs des différentes filières de la transition énergétique pour se donner des objectifs les plus clairs et les plus précis possibles, ainsi que la feuille de route pour les atteindre. Priorité est évidemment donnée aux économies d'énergie et à la réduction des énergies fossiles. Pour ce qui est des énergies renouvelables (EnR), un effort particulier est réalisé sur les filières déjà compétitives ou proches de l'être, c'est-à-dire la chaleur renouvelable, le solaire et l'éolien. Par ailleurs, nous assistons à l'émergence des filières nouvelles que sont l'éolien en mer, le biogaz et le froid renouvelable.

Les moyens mis en œuvre sont très significatifs. Ainsi, pour l'électricité renouvelable, le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui sera prochainement adopté – en même temps que la loi relative à l'énergie et au climat – prévoit 5 à 8 milliards d'euros de dépenses annuelles, avec des calendriers d'appels d'offres précis, à la fois pour les ENR électriques et pour le biogaz. Le fonds chaleur, qui était doté de 200 à 250 millions d'euros, a été porté à 307 millions d'euros et atteindra 350 millions d'euros en 2020. Globalement, sur la période de la PPE, il y aura 30 milliards d'euros de nouveaux engagements pour les ENR électriques et 8 milliards d'euros sur le gaz renouvelable. Enfin, il me paraît important de souligner que la filière arrive progressivement à maturité, puisque les nouveaux projets d'électricité renouvelable seront près de dix fois plus compétitifs que les projets disponibles quand nous avons commencé à soutenir cette filière.

Nous travaillons beaucoup avec les parties prenantes de chaque filière, afin d'essayer de trouver les mesures les plus concrètes et les plus opérationnelles. Intervenant à la suite de Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès de Nicolas Hulot, j'ai repris les groupes de travail existants sur l'éolien, sur le photovoltaïque et sur la méthanisation, et j'en ai moi-même créé un récemment sur les réseaux de chaleur et de froid renouvelable. Tout ce travail a abouti à la constitution d'un plan de libération des énergies renouvelables présenté au premier semestre dernier et comprenant dix mesures opérationnelles pour l'éolien, quinze propositions pour la méthanisation, et une quarantaine de propositions pour le solaire ; quant aux mesures relatives aux réseaux de chaleur et de froid, elles sont en cours de construction avec les acteurs concernés, notre objectif étant de les consolider avant la trêve estivale.

Pour ce qui est de la rénovation visant à l'amélioration de l'efficacité énergétique, qui est aussi un sujet très important, nous avons déjà mis en œuvre un nombre assez significatif d'actions, qu'il s'agisse de l'accélération de la mobilisation des certificats d'économie d'énergie ou du plan de rénovation énergétique du bâtiment, et nous sommes en train de travailler au renforcement de cette mobilisation, en particulier pour les passoires thermiques et pour la lutte contre la précarité énergétique. C'est là typiquement un sujet qui pourra donner lieu à des amendements et à des actions concrètes dans le cadre de la loi énergie-climat qui sera en discussion en commission des affaires économiques la semaine prochaine après son examen par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire saisie pour avis – nous avons l'intention de proposer des mesures particulières pour l'immobilier de l'État et les bâtiments des collectivités territoriales – et, par ailleurs, nous allons travailler en étroite concertation avec les collectivités territoriales dans le cadre de la mobilisation nationale pour l'emploi et la transition écologique et numérique lancée par le Premier ministre.

Les territoires jouent un rôle absolument essentiel dans les actions de transformation énergétique et, plus largement, écologique. La transformation énergétique et écologique se fait d'abord grâce à l'impulsion nationale donnée par l'État à la fois sur les normes, sur les financements et sur la vision. Elle se fait ensuite avec les collectivités territoriales, qui sont à la manœuvre pour faire aboutir les projets. Enfin, elle se fait avec les citoyens : l'un des enseignements du grand débat, c'est que, même s'ils sont parfois un peu compliqués, les sujets de la transformation énergétique et écologique ne concernent pas que les techniciens, et qu'en la matière nous avons vraiment besoin de partager la vision, les enjeux et les actions avec nos concitoyens. De ce point de vue, je trouve très intéressante l'idée d'une consultation telle que vous l'avez réalisée, dont vous parliez en introduction.

Notre objectif est de trouver la bonne articulation entre les dispositifs nationaux – à savoir la PPE et, plus globalement, la stratégie nationale bas carbone – et ceux relevant d'une gouvernance locale – c'est-à-dire les grands outils de planification des collectivités que sont les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) pour les régions et les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) pour les collectivités. Nous allons approfondir le travail visant à la mise en cohérence des différents dispositifs.

Les contrats de transition écologique – lancés par Sébastien Lecornu, et que je m'efforce actuellement de développer – constituent l'un des principaux outils du ministère. Nous avons pour le moment dix-neuf territoires en cours d'expérimentation. Une petite dizaine de contrats a été signée ou est en cours de signature, mais nous avons surtout lancé un nouvel appel à manifestation d'intérêt, avec plus de 120 territoires qui se sont déclarés candidats, et nous espérons en retenir 40, voire davantage si les dossiers le permettent.

Dans tous les cas, ces contrats de transition écologique sont une démarche de co-construction à partir d'un projet de territoire. Il ne s'agit pas d'imposer à un territoire de travailler sur tel ou tel sujet, mais de demander aux communes, aux communautés de communes, aux communautés d'agglomération et parfois même aux départements – c'est le cas pour la Corrèze, avec qui je vais signer un contrat demain – sur quels sujets ils ont envie de travailler, en fonction de l'ADN du territoire. Ces projets de développement économique et écologique peuvent porter sur l'énergie, sur la transition agricole, en matière de transport ou de nouveaux modes de vie – je pense par exemple au développement des tiers-lieux.

Une fois que le projet est à peu près défini, les collectivités, l'État et les acteurs de l'État – je pense à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), mais aussi à la Banque des territoires – travaillent ensemble pour rendre les projets possibles dans le double volet ingénierie et mobilisation des financements de droit commun. La question qui se pose à nous maintenant est de savoir comment ces contrats peuvent trouver toute leur place dans des stratégies associant niveau intercommunal et niveau régional, et dans une contractualisation avec l'État simplifiée.

L'un des enjeux de la mobilisation territoriale lancée par le Premier ministre consiste à trouver l'articulation entre ces contrats et la vision industrielle, ainsi que la vision d'innovation – avec l'appel à projets qui a été lancé pour les territoires d'innovation. Plus globalement, il s'agit de savoir comment, pour le volet transition écologique, des contrats plus globaux pourraient être passés avec l'appui de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui va se mettre en place. En d'autres termes, nous cherchons à travailler le moins possible en silos et le plus possible en faisant des contrats le volet écologique d'une contractualisation plus globale. Ce faisant, nous devons veiller à ne jamais opposer écologie, économie et solidarité, car le projet est forcément global : c'est aussi un projet d'emplois, souvent un projet de formation et toujours un projet au service des territoires.

Nous continuons également à travailler sur des points très précis constituant des freins à lever. Je voudrais d'abord évoquer la réhabilitation des friches, un sujet qui est revenu très fréquemment dans le cadre du grand débat. Le sort des friches, industrielles ou autres, est une question à la fois économique, écologique et souvent énergétique. Les friches sont parfois le bon endroit pour implanter du photovoltaïque. Ce sont aussi des terrains sur lesquels les acteurs locaux ont envie d'avancer, parce qu'il n'est jamais bon de laisser trop longtemps un terrain à l'état de friche. Travailler sur les friches permet de ne pas artificialiser de nouvelles terres, ce qui constitue un bel objectif à la fois en termes de lutte contre le réchauffement climatique et de protection de la biodiversité, en ce que cela permet de laisser intactes des terres agricoles ou des terres naturelles. Cela dit, la réhabilitation des friches est parfois compliquée en raison des usages antérieurs qui ont été faits du terrain concerné : en effet, certains usages industriels nécessitent parfois des opérations de dépollution qui peuvent se révéler coûteuses, ce qui implique de trouver un modèle économique adéquat. La réhabilitation des friches nous a donc paru constituer un bon sujet transversal, qui a d'ailleurs été cité explicitement par le Président de la République lors du dernier conseil de défense écologique.

Un groupe de travail sur cette question a été lancé il y a quelques jours, avec des associations de collectivités territoriales, des associations environnementales, des aménageurs publics et privés, ainsi que les services de l'État. Les premiers échanges ont mis en évidence à la fois une connaissance insuffisante du gisement national des friches, qui est estimé en gros à 2 400 pour l'ensemble du territoire, et une grande complexité des procédures administratives. Quatre sous-groupes de travail ont été mis en place : nous attendons leurs premières conclusions en septembre et une feuille de route opérationnelle d'ici la fin de l'année.

Je vais maintenant revenir aux énergies renouvelables, énergie par énergie. Pour le solaire, la PPE prévoit la multiplication par cinq de la puissance installée pour atteindre 40 gigawatts, ce qui va nécessiter une accélération. L'opération de mobilisation appelée « Place au soleil », lancée en juin 2018, repose sur quatre grands leviers : les installations solaires chez les particuliers – avec l'augmentation du soutien de l'État au dispositif thermo-solaire –, les installations chez les professionnels – avec l'élargissement du périmètre de l'autoconsommation collective qui vient d'être voté dans la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) –, les installations dans le monde agricole – avec le doublement du volume d'appels d'offres pour les installations solaires innovantes et l'augmentation du volume d'appels d'offres de photovoltaïque sur les petites toitures et les toits agricoles – et, globalement, les installations sur le territoire – avec l'exonération de la taxe foncière lorsque le domaine public est équipé de panneaux solaires. Des travaux spécifiques sont poursuivis, et il est tout à fait possible, et sans doute souhaitable, de faire la jonction entre ces travaux techniques et la loi énergie, afin de déterminer si quelques dispositions pourraient éventuellement trouver leur place dans cette loi.

En matière d'éolien terrestre et offshore, la PPE vise une production d'éolien terrestre multipliée par 2,5 pour atteindre 35 gigawatts. Le groupe de travail sur l'éolien terrestre a permis des mesures d'amélioration de l'acceptabilité des projets sur chaque territoire, notamment la réduction des flashs nocturnes, le développement du financement participatif, l'intéressement fiscal des communes d'implantation des projets, et la simplification de mesures administratives. Par ailleurs, comme vous le savez, nous avons supprimé un niveau de juridiction pour le traitement des contentieux, avec comme objectif de diviser par deux la durée de montage d'un projet d'éolien terrestre.

Sur ce sujet, la quasi-totalité des mesures annoncées a été réalisée. J'entends évidemment les préoccupations sur l'acceptabilité de l'éolien terrestre. Il me semble que tous les travaux autour du financement participatif vont dans la bonne direction et que c'est aussi par la discussion sur les territoires qu'on y arrivera – en tout cas, nous sommes prêts à continuer à travailler sur les questions d'acceptabilité.

Pour ce qui est de l'éolien offshore, la renégociation des six premiers champs d'éolien en mer permettra d'économiser 15 milliards d'euros sur l'ensemble de la durée de vie des contrats. Nous allons lancer au moins six nouveaux champs, dont deux – en Bretagne et en Méditerranée – seront flottants. Le ministère a déjà lancé le débat public pour le prochain appel d'offres éolien offshore dans la Manche, et nous sommes en fin de discussion avec la filière pour voir s'il est possible de relever un peu les objectifs de l'éolien offshore. Le Premier ministre a annoncé hier, dans son discours de politique générale, une ambition permettant d'aller à 1 gigawatt supplémentaire pour l'éolien offshore.

Enfin, en ce qui concerne le biogaz, nous avons un objectif ambitieux en volume, mais aussi une contrainte assez forte sur la baisse de coût, qui fait actuellement l'objet d'une discussion avec la filière. Évidemment, le biogaz est un sujet très important, parce que c'est à la fois une énergie renouvelable et une belle opportunité de revenus complémentaires pour les agriculteurs – en ce sens, c'est un vecteur de nature à concourir vraiment à la transition agricole. La discussion en cours avec la filière de méthanisation, qui touche à sa fin, a pour objet de chercher à infléchir un peu la trajectoire de baisse de coût inscrite dans la PPE, qui porte déjà un effort de 8 milliards d'euros au cours des dix prochaines années.

Nous travaillons aussi à la simplification de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et de la réglementation relative à la loi sur l'eau, à la baisse des coûts de raccordement des installations de méthaniseur au réseau de gaz naturel, à la facilitation de l'accès au crédit, au renforcement des démarches de qualité, à la finalisation du dispositif du droit à injection, prévu dans la loi issue des états généraux de l'alimentation, qui permettra d'accroître les possibilités d'injection. Par ailleurs, le projet de loi d'orientation sur les mobilités prévoit de créer un dispositif de soutien au biogaz non injecté, par exemple celui qui est utilisé comme gaz naturel pour les véhicules.

Enfin, nous visons 34 % à 38 % de chaleur renouvelable en 2030, dont 15 % de chaleur renouvelable dans le neuf en 2020, avec l'augmentation que j'ai évoquée tout à l'heure des crédits accordés au fonds chaleur, et une simplification des règles du fonds chaleur. Pour aller au-delà du simple soutien par le fonds chaleur, j'ai lancé le groupe de travail sur les réseaux de chaleur et de froid que j'ai évoqué précédemment, qui s'est déjà réuni en mars et en mai, et dont nous attendons une vingtaine de pistes de propositions, en cours de co-construction, pour la fin juillet.

Au terme de ce panorama un peu rapide, axé sur la dimension territoriale et sur la dimension « filières », je veux insister sur le fait que nous travaillons à la fois sur la vision, avec les volumes et les montants financiers, et sur les freins opérationnels et la contractualisation territoriale, afin que la vision soit soutenue par des moyens, que les leviers techniques puissent être actionnés, et que nous puissions ainsi atteindre les objectifs de la PPE que nous nous sommes collectivement fixés.

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Madame la secrétaire d'État, je voudrais commencer par évoquer la notion de vision. Aujourd'hui, quand on parcourt la synthèse de la PPE, la première chose qui saute aux yeux est son manque de lisibilité. Depuis que notre mission a commencé ses travaux, il y a neuf mois, j'ai passé beaucoup de temps à lire cette synthèse de PPE, ce qui est très compliqué car il est question tantôt de production d'énergie, tantôt de consommation, et les unités utilisées ne sont jamais les mêmes ! Moi qui suis ingénieur de formation, je peux vous dire que je suis obligé d'avoir constamment à disposition un fichier Excel qui me permet de convertir facilement les unités afin de pouvoir disposer d'une vision globale des choses…

Je rappelle que l'un de nos sept thèmes est la capacité des grands groupes à se transformer et à s'imaginer dans vingt ou trente ans. D'un point de vue stratégique, la PPE ne devrait pas raisonner uniquement en termes de production d'énergie, mais aussi de consommation. Aujourd'hui, on consomme 1 800 térawattheures (TWh). Du point de vue des utilisateurs, l'origine de l'énergie consommée se répartit ainsi : plus de 60 % d'énergies fossiles, 20 % d'énergie nucléaire et 20 % d'énergies renouvelables.

Si on demande aujourd'hui à nos concitoyens quelle est la proportion d'énergie nucléaire dans notre mix, certains vont dire 70 % parce que c'est 70 % de l'énergie électrique produite, d'autres vont dire 40 %, parce que c'est 40 % de l'énergie produite. Or, l'énergie consommée n'est en fait qu'à 20 % d'origine nucléaire.

Ce que je veux dire, c'est que le manque de clarté sur ce sujet a pour conséquence de faire dériver la discussion sur le nucléaire, ce qui n'est pas grave en soi – je n'ai pas de problème avec l'objectif de 50 % de production d'électricité nucléaire –, mais nous fait perdre de vue un autre objectif, consistant à faire disparaître 60 % d'énergies fossiles et à les remplacer par autre chose.

En analysant les données dont on dispose, on se rend compte que, sur les 1 800 TWh consommés, 270 TWh sont dédiés à la mobilité. Si l'objectif était que tous les véhicules particuliers roulent à l'électricité – ce qui n'est pas le cas –, il nous faudrait ajouter 250 TWh aux 450 TWh actuellement produits, ce qui ferait 700 TWh.

Le mix actuel, comprenant les réacteurs nucléaires, ne permet de produire que 50 % de ce besoin, ce qui signifie que l'augmentation à venir de la consommation d'électricité va rendre impossible une réduction du nombre de réacteurs nucléaires.

Mon objectif n'est pas d'aligner les chiffres, mais d'essayer d'avoir une idée de ce que sera le mix de consommation à différents horizons – en 2035, en 2050, etc. – et de la façon dont nous voulons organiser l'énergie consommée. Un TWh d'électricité produite par le nucléaire, ce n'est pas la même chose qu'un TWh produit par l'éolien ou par le solaire. J'estime qu'en l'état actuel des choses, la PPE ne permet pas aux Français de voir facilement où nous allons et ce dont nous avons besoin – et je suis également assez frustré par le projet de loi énergie-climat, comme j'ai eu l'occasion de le dire en commission du développement durable.

Pour réussir une transition, il faut trois choses. Premièrement, il faut savoir pourquoi on change. Sur ce point, il n'y a aucun problème : quand on voit le résultat des élections et quand on voit les jeunes qui sont dans la rue, on sait pourquoi on change !

Deuxièmement, il faut savoir où on va, et là aussi, nous avons fait du bon boulot, notamment avec les objectifs de neutralité carbone à l'horizon 2050.

Troisièmement, il faut savoir comment on y va, et c'est là que, de mon point de vue, il nous manque quelque chose. Toutes les mesures que vous avez énoncées sont très bien, madame la secrétaire d'État, mais il nous manque un certain niveau de détail indiquant de combien d'énergie nous allons avoir besoin, quel est le chemin pour y arriver, combien de temps cela va nous prendre, et quelles économies nous allons pouvoir réaliser. À mon sens, tous ces renseignements nous font défaut – aussi bien dans la PPE que dans le projet de loi – et c'est ce que je voulais vous dire aujourd'hui, au terme de ces neuf mois de travail.

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Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

J'aime bien votre façon de présenter les choses au moyen de ce triptyque – pourquoi on change, où on va et comment on y va – et je vous rejoins pour dire qu'on sait très bien pourquoi on change, même si cette première question n'est en fait pas si simple que ça. Vous avez raison de souligner qu'on parle peut-être un peu trop du mix électrique alors qu'on devrait s'intéresser davantage à la consommation globale d'énergie. Le mix électrique est un concept important, mais qui conduit très vite à évoquer la part du nucléaire – or, si on cherche à réduire la part du nucléaire, ça n'est pas pour réduire les gaz à effet de serre puisque, par définition, le nucléaire n'en émet pas.

Si nous devons changer, c'est aussi et surtout parce que notre modèle de consommation énergétique n'est pas adapté aux grands enjeux environnementaux : nous consommons trop d'électricité globalement, mais aussi trop d'électricité provenant d'énergies fossiles : nous devons donc changer pour aller vers un autre modèle de production. En fait, comme l'a très bien dit le Premier ministre hier et comme le dit très régulièrement le Président de la République, c'est un nouveau modèle économique que nous cherchons à construire. Notre modèle de croissance économique a trop longtemps considéré que les sujets d'externalités environnementales n'étaient finalement pas très importants, et nous devons aujourd'hui inventer un nouveau modèle économique, dans lequel on sait produire, consommer et vivre différemment, en respectant la planète et en n'épuisant pas ses ressources, tous types de ressources confondus.

Je suis d'accord aussi quand vous dites que les choses sont claires pour ce qui est de savoir où on va : on a une ambition « zéro émission nette de carbone » en 2050, inscrite dans l'accord de Paris, et que l'on retrouve à l'article 1er du projet de loi climat-énergie. Sur ce point, il y a des débats sans fin car, dès qu'on évoque un objectif en net, cela implique l'idée d'une certaine compensation, ce qui conduit certains à craindre que l'on réduise moins pour compenser davantage. Or, on passe d'une division par quatre à une division par au moins six de la consommation d'énergies fossiles : l'objectif est donc très clair !

Pour ce qui est du reste, ce sera techniquement de la compensation – nationale, je le précise, car il n'est pas question de déplacer le problème en allant faire de la compensation ailleurs. En la matière, le secteur agricole va être amené à jouer un grand rôle, ce qui est une bonne chose, car ce n'est pas le secteur qui a été le plus mis en valeur dans les périodes précédentes. Si le secteur agricole est partiellement à l'origine du problème – il est émetteur de gaz à effet de serre, notamment du fait de l'élevage – il fait aussi partie de la solution, parce qu'il peut massivement séquestrer du carbone, comme le secteur forestier, et nous nous efforçons de trouver des moyens de développer cette capacité-là. Pour ce qui est de savoir où on va, la cible à moyen terme est donc claire, très ambitieuse et cohérente avec l'accord de Paris.

Enfin, en ce qui concerne la façon d'atteindre notre objectif, je partage votre constat mais je vous trouve un peu dur : selon moi, la PPE donne quand même les grands équilibres et explique bien qu'un travail sur la consommation elle-même est accompli dans tous les secteurs – les transports, le bâtiment, l'agriculture, l'industrie et le mix énergétique.

Cela dit, c'est vrai que la PPE est pleine de chiffres, qu'il y est question tantôt de consommation primaire, tantôt de consommation finale, et à la fois de consommation et de production, ce qui fait qu'on a parfois du mal à s'y retrouver. Je veux tout de même saluer l'énorme travail qui a été fait par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) – j'en profite pour remercier Virginie Schwarz, qui est à mes côtés – pour réaliser une synthèse courte et claire de la PPE qui, je le rappelle, est à l'origine un document de plusieurs centaines de pages.

Peut-être faut-il envisager de faire maintenant une synthèse de la synthèse, en simplifiant encore pour obtenir un document de deux pages en entonnoir, comme vous le proposez, faisant apparaître la totalité de la consommation par grands secteurs et l'impact qui en résulte. Une telle démarche est compliquée à réaliser car, en la matière, nous avons affaire à des vases communicants : si on décarbone les transports, on aura plus d'électricité dans la consommation d'énergie dédiée aux transports, ce qui va nous ramener à la production électrique, etc.

Il doit cependant être possible de faire encore mieux en matière de simplification et d'explicitation des efforts, ce qui va d'ailleurs nous faire revenir aux fondamentaux. En l'occurrence, il faut décarboner les transports, car c'est là qu'on utilise le plus d'énergies fossiles – ce qui implique de redéfinir la place de la voiture, mais aussi la voiture elle-même. Il faut également décarboner le bâtiment et, comme l'a dit le Premier ministre, passer à la vitesse supérieure sur la rénovation des bâtiments, y compris des bâtiments publics – aussi bien ceux de l'État que ceux des collectivités territoriales – et du tertiaire. Sur ce dernier point, le décret tertiaire, attendu depuis très longtemps, va bientôt venir poser l'obligation de réduction de la consommation dans les bâtiments tertiaires. J'ai évoqué cette question très récemment avec la DGEC et je sais que les choses avancent, puisque le décret est actuellement au Conseil d'État. Enfin, il faut aussi réduire la consommation dans les logements, qu'il s'agisse du logement social, du logement privé, des copropriétés, etc.

Nous pouvons probablement aller plus loin dans la simplification pour rendre notre vision encore plus lisible. En commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, nous avons comparé les objectifs législatifs et ceux de la PPE qui est réglementaire. Rappelons que la PPE est réglementaire parce que le législateur – celui de la législature précédente – l'a voulue ainsi. L'ambition se lit dans la somme des textes : la loi de transition énergétique, les modifications apportées par la loi énergie et la PPE. J'accepte tout à fait l'invitation à aller vers un discours encore plus simple qui permette à chacun de comprendre quelle est sa place dans la transition, en tant que citoyen, en tant qu'usager et acteur des transports, en tant qu'habitant d'un logement, etc.

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Merci madame la secrétaire d'État, c'est rassurant. Si nous avons un message plus simple, les parlementaires que nous sommes pourront s'en emparer et embarquer tout le monde dans cette direction. Nous devons aussi débattre au Parlement de toutes les questions qui se poseront alors en cascade, notamment sur la part que doivent représenter l'éolien et le photovoltaïque et sur les lieux d'implantation des installations.

Je passe maintenant la parole à notre collègue Nathalie Sarles qui est rapporteure pour avis de notre commission sur le projet de loi relatif à l'énergie et au climat.

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Madame la secrétaire d'État, à partir de ce texte qui est maintenant sur la table, il nous importe de raconter une histoire qui soit compréhensible et crédible pour nos concitoyens. Je vous avoue que nous avons eu un peu de mal à le faire jusqu'à présent parce que ce projet de loi prend les choses de façon morcelée en résolvant des questions techniques, ce qui fait que le principal sujet – l'article 1er qui pose le cadre – est un peu noyé dans la masse d'objectifs de production que personne ne peut comprendre.

Même si je ne suis que rapporteur pour avis, j'essaie de travailler dans ce sens : faire un récit accessible dans lequel nos concitoyens et aussi les territoires peuvent se retrouver en tant qu'acteurs de la transition écologique. Nous avons essayé de lister les sujets clés qui ont été soulevés lors de la mission que nous avons menée pendant neuf mois. Nombre d'entre eux étaient plus d'ordre réglementaire que législatif et il est toujours difficile d'articuler les travaux effectués dans cette commission et les amendements proposés.

Vous avez évoqué l'articulation avec les territoires par le biais des SRADDET et des PCAET. C'est un sujet que nous avons tordu dans tous les sens sans vraiment trouver la solution si ce n'est celle de passer par les travaux du Haut Conseil pour le climat. Je ne reviens pas sur la simplification dont vous avez parlé. Nous avons essayé d'introduire le sujet du logement et nous avons bien fait si j'en juge par le discours de politique générale du Premier ministre ou par les déclarations de Pascal Canfin. C'est un domaine qui nous permettra de donner du sens pour nos concitoyens. Nous devons cependant veiller à éviter les mesures punitives et à privilégier des mesures proactives : nos concitoyens doivent se sentir acteurs de cette transition par la façon dont nous les accompagnons. La question des mobilités est essentielle mais celle du logement est vraiment très concrète pour nos concitoyens et ils doivent pouvoir s'en saisir.

Le projet de loi relatif à l'énergie et au climat ne traite pas de la méthanisation alors que les agriculteurs attendent des dispositions en la matière, qu'il faudrait peut-être introduire par le biais d'amendements. En tout cas, il faut donner un sens à ce texte pour le monde agricole. Nous nous sommes aussi intéressés aux réseaux de chaleur, à la manière dont il est possible de les privilégier comme sources d'énergie renouvelable et d'impliquer nos concitoyens dans des réseaux de collectivités.

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Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

. Vous avez raison : nous devons réussir à mieux « raconter cette histoire ». C'est la bonne manière de le dire. Mais l'histoire que nous voulons raconter couvre la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015, le texte en préparation qui rénove certains objectifs, et la PPE qui fixe des objectifs précisément chiffrés. L'histoire couvre donc toute cette vision dont nous parlions. Nous devons la raconter de la manière la plus claire et synthétique possible et, pour ce faire, nous devons améliorer rapidement notre capacité à simplifier.

Vous avez aussi raison de dire que les freins sont surtout réglementaires. C'est tout le travail des groupes qui existent sur le solaire, l'éolien, la méthanisation, les réseaux de chaleur et de froid. Un autre groupe pourrait d'ailleurs être créé sur la mobilisation de la biomasse, sujet transversal important qui se situe un peu en amont des réseaux de chaleur. Tous ces groupes proposent en général des mesures qui sont plutôt d'ordre réglementaire. C'est le rôle du Gouvernement de s'assurer que les propositions sont claires, qu'elles sont reprises, et de suivre la sortie des décrets. Il y a un quelques mesures législatives mais, finalement, peu nombreuses.

À mon avis, il ne faut pas se dire que l'introduction d'amendements dans le projet de loi relatif à l'énergie et au climat est la bonne manière de donner de la visibilité et une réponse à tous ces secteurs. Ceux-ci sont importants et ils contribuent tous à la transition énergétique, que ce soit le biogaz, la biomasse, les réseaux de chaleur, la géothermie et autres. Ils ont leur place dans la PPE mais on ne va pas réintroduire la PPE par morceaux dans le projet de loi. Il faut trouver le point d'équilibre car tout n'est pas législatif.

Quant à la rénovation de bâtiment, nous nous accordons tous à penser que c'est l'une des actions potentiellement les plus puissantes car elle contribue fortement à la décarbonation tout en ayant des effets sur la qualité de vie et le pouvoir d'achat de tous les ménages, en particulier de ceux qui sont les plus modestes et qui vivent souvent dans des passoires thermiques. La rénovation de bâtiment devrait donc être une priorité. Il reste à trouver le bon équilibre entre des mesures incitatives et des signaux donnés au marché pour s'adapter.

Pour résumer, il y aura beaucoup de mesures réglementaires et organisationnelles consistant à mettre de l'huile dans les rouages du système. Il y aura un peu de législatif et notamment des mesures pour simplifier la prise de décision dans les copropriétés, dans le cadre d'une habilitation à légiférer par ordonnances qui découle de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). L'idée est d'obtenir des résultats le plus rapidement possible.

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Madame la secrétaire d'État, j'aimerais revenir sur le modèle économique que nous devons inventer dans un contexte de transition énergétique visant à la neutralité carbone à l'horizon 2050. Il ne faudrait pas oublier toutes les opportunités économiques qui se présentent à nous.

Prenons l'exemple du photovoltaïque. Il me semble que nous avons vraiment raté le coche dans ce domaine alors qu'il offrait pourtant des opportunités que n'ont pas manqué de saisir l'Allemagne ou la Belgique, des pays où l'ensoleillement n'est pas meilleur qu'en France. Le développement du photovoltaïque est dix fois plus important en Belgique et quarante ou cinquante fois plus important en Allemagne qu'en France. C'est un exemple de rendez-vous manqué pour l'industrie de notre pays.

Prenons maintenant l'exemple de la mobilité. J'ai l'impression que nous sommes en train de nous enfermer quasi exclusivement dans une mobilité électrique, au risque d'oublier d'autres opportunités comme les biocarburants. Nous avons quelques évolutions par petites touches dans le projet de loi de finances ou dans le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) autour des biocarburants. Je pense notamment au flex-fuel. Des constructeurs français vendent ces technologies à l'étranger, notamment dans des pays d'Amérique du Sud comme le Brésil, mais pas en France. On oublie tout un pan de développement économique qui offrirait des débouchés à l'industrie automobile mais aussi, en amont, à l'agriculture.

L'agriculture a un rôle essentiel à jouer, notamment dans le stockage de carbone, dites-vous. Je suis entièrement d'accord avec vous. Je pense néanmoins qu'il ne faut pas tomber dans une caricature et qu'il faut faire très attention dans ce domaine. Avec deux co-rapporteurs, Jean-Luc Fugit et Jean-Baptiste Moreau, j'anime une mission d'information de trois ans sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate en France. Nous avons mené de nombreuses auditions et nous avons effectué des déplacements, notamment dans mon département de l'Aisne.

De nombreux agriculteurs nous disent qu'ils pratiquent l'agriculture de conservation des sols, c'est-à-dire le non-labour. Cette technique permet de réduire l'empreinte carbone et les émissions de gaz à effet de serre puisqu'elle limite les allées et venues de tracteurs fonctionnant au fioul rouge. Le fait de ne plus retourner la terre depuis des années permet aussi de stocker l'énergie. Ce sont néanmoins des fermes destinées à produire, par exemple, des céréales.

Les agriculteurs expliquent qu'ils sont parfois obligés d'utiliser des herbicides pour éviter une concurrence entre les végétaux et éliminer les adventices. Ils ont compris qu'ils allaient devoir se passer du glyphosate mais ils se demandent comment ils vont faire. Les chimistes n'ont pas sorti un autre produit qui serait beaucoup plus vertueux ; les solutions mécaniques ne sont pas toujours adaptées à leur territoire et aux surfaces qu'ils cultivent. Ils sont volontaires pour faire un pas, mais ils ont besoin de le faire intelligemment et d'être accompagnés. En tant qu'agriculteurs, ils ont conscience d'avoir une clef, une solution pour la réduction de l'empreinte carbone. Ils font un effort mais ils ont parfois le sentiment qu'on leur met des bâtons dans les roues.

Sans tomber dans une caricature, je dirais que les objectifs fixés dans différentes politiques peuvent être contradictoires. Nous sommes parfois schizophrènes et nous mettons en difficulté ceux qui pourraient être la solution aux problèmes que nous devons résoudre.

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Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

. Cette transformation assez profonde des modes de production – industriels et agricoles – représente aussi une opportunité économique à prendre telle quelle. Le Commissariat général au développement durable (CGDD) a fait des travaux sur les emplois verts. Dans une étude publiée récemment, il recense à peu près 470 000 emplois verts en France, un nombre en hausse de plus de 40 % par rapport à 2010 et qui pourrait doubler dans les années à venir. Nous devons donc saisir les opportunités, c'est la raison pour laquelle notre ministère s'est beaucoup rapproché du ministère de l'industrie. Nous travaillons avec Philippe Varin, président de France Industrie et vice-président du Conseil national de l'industrie pour que la décarbonation soit aussi abordée par les différents comités stratégiques de filière (CSF) comme une opportunité pour faire émerger des champions.

Sous l'égide de François de Rugy, nous avons signé un contrat du comité stratégique de la filière « industries des nouveaux systèmes énergétiques » avec Isabelle Kocher et Sylvie Jéhanno, respectivement présidente et vice-président de ce CSF. Isabelle Kocher est la directrice générale du groupe Engie, et Sylvie Jehanno est présidente-directrice générale de Dalkia. Signé il y a quelques jours, ce contrat est très ambitieux, y compris pour le développement de champions nationaux.

Dans le photovoltaïque, le sujet n'est pas tellement la concurrence entre la France et l'Allemagne car, en réalité, c'est la Chine qui a gagné la totalité du marché mondial des panneaux solaires, à quelques niches près. Cette expérience doit nous inciter à agir sur le droit de la concurrence communautaire avec les nouvelles instances européennes. Nous devons remettre de la valeur locale dans tous les appels d'offres, nous devons faire en sorte que ce soit possible dans le droit de la concurrence.

Le biocarburant est un sujet important mais nous devons être clairs sur les conflits d'usage de la biomasse – doit-elle servir à fabriquer des biocarburants ou du chauffage ? À un moment où la biomasse va devenir rare comme intrant, nous devons mener une vraie réflexion sur ce sujet. Les dispositifs de soutien à la décarbonation sont les plus neutres possibles sur le plan technologique. Nous soutenons tout type de dispositif dédié aux énergies renouvelables, notamment le biogaz. Il existe aussi un plan hydrogène que je n'ai pas eu le temps de mentionner. Pour les véhicules, particuliers ou lourds, nous envisageons les différentes options possibles et pas seulement l'électricité.

Dans le domaine agricole, nous avons l'opportunité de revoir assez fondamentalement le modèle à la faveur de la discussion qui s'engage sur la politique agricole commune (PAC) et son financement. C'est vraiment un moment historique. Comment voulons-nous accompagner l'agriculture et vers quoi ? C'est le moment d'y réfléchir.

S'agissant du glyphosate, le Gouvernement s'est donné un objectif : en finir avec l'utilisation de cet herbicide dans un délai de trois ans. Si cette sortie programmée a donné lieu à beaucoup de débats au moment de l'adoption de la loi issue des états généraux de l'alimentation, elle n'est pas un objectif législatif. Nous avons dit que la sortie se ferait au fur et à mesure de l'élaboration de solutions de remplacement. Vous connaissez probablement aussi bien – voire mieux – que moi tout le travail qui est effectué, filière par filière, afin de trouver des solutions de remplacement et de mener à bien cette transition. L'idée est de ne pas laisser des exploitations sans solution.

J'en viens à l'agriculture de conservation des sols. Il y a exactement deux jours, j'ai eu une discussion sur ce sujet avec Philippe Mauguin, le président-directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). Je lui ai demandé comment est-ce que l'INRA travaillait à l'accompagnement de la sortie du glyphosate et, plus généralement, de la réduction de l'usage des pesticides. Rappelons que nous avons pour objectif de réduire l'utilisation des pesticides de 25 % d'ici à 2020 et de 50 % à l'horizon 2025, ce qui est également très ambitieux.

Philippe Mauguin m'a répondu que l'agriculture de conservation des sols pose un problème particulier qu'il va falloir résoudre car les agriculteurs continuent à utiliser du glyphosate en petite quantité – 10 % à 15 %. Pour sortir de l'impasse, plusieurs solutions sont envisagées : rechercher des molécules de remplacement au glyphosate ; travailler mieux sur les cultures des couverts, certaines productions ayant moins besoin d'herbicide que d'autres ; développer le griffage plutôt que le labour. Comme je ne suis pas agricultrice, je vais m'arrêter là dans la démonstration technique.

Le président-directeur général de l'INRA m'a indiqué que des expérimentations étaient en cours en Picardie avec l'Association pour la promotion d'une agriculture durable (APAD). Je ne sais pas si c'est chez vous ou pas loin.

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Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

. C'est typiquement un cas pour lequel il faut un accompagnement à la fois technique et scientifique avec l'INRA, peut-être professionnel avec les chambres d'agriculture, afin de trouver le nouveau modèle de l'agriculture de conservation des sols qui tende vers la sortie du glyphosate à trois ans ou peut-être un peu plus.

Nous avons toujours dit que l'objectif était une sortie en masse du glyphosate en trois ans, c'est-à-dire pour les filières principales. Il restera les quelques derniers pourcents correspondant à des filières particulières ou à des types d'agriculture particuliers. Nous devons avoir une vision globale de chaque modèle agricole. Or l'agriculture de conservation des sols présente énormément de points positifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de préservation des sols, c'est-à-dire de leur capacité à stocker du carbone. Nous devons éviter qu'un objectif soit contradictoire avec un autre.

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Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a parlé de l'hydraulique. Pour la mission, nous sommes allés au Danemark et en Allemagne. Le Danemark donne son excédent d'électricité éolienne à la Norvège qui s'en sert pour faire remonter ses barrages. Quand le Danemark n'a pas assez d'électricité, il en achète à la Norvège. En Allemagne, à certains moments de l'année, la seule énergie éolienne suffit à la consommation électrique du pays mais il n'y a aucun moyen de stockage et d'équilibrage. Quand on leur demande comment ils vont réguler leur énergie éolienne, les Allemands invoquent le réseau européen : quelque part ailleurs en Europe, un pays affichera un excédent d'électricité qu'ils pourront l'utiliser.

En France, nous avons ce qu'il faut. Le nucléaire et l'hydraulique permettent de compenser les variations de la production d'électricité éolienne et solaire. C'est vraiment un point fort. Cela étant, l'hydraulique ne va fonctionner que si l'on considère tous les grands barrages comme un seul système. Quand on entretient un barrage, il faut le vider complètement. Un autre barrage doit prendre le relais pour que nous soyons sûrs d'avoir l'énergie nécessaire. Il faut aussi travailler à la construction des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), afin d'avoir des rétentions basses et des rétentions hautes pour remonter l'eau quand on a un excédent d'électricité. Sans nouveaux barrages, nous avons encore la capacité d'augmenter la production de 30 %.

C'est un vraiment un atout pour la France. Le Premier ministre l'a reconnu dans son discours. En revanche, il a indiqué que nous respecterions la réglementation européenne, ce qui implique une mise en concurrence lors du renouvellement des concessions. La manière dont nous allons gérer cela n'est pas encore très claire dans notre esprit, alors que c'est un point essentiel dans notre futur mix électrique et que nous sommes plutôt bien placés si nous savons nous y prendre.

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Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

. Le Premier ministre a reconnu très clairement l'importance de l'hydroélectricité pour le mix électrique mais aussi pour l'aménagement du territoire, des vallées, des montagnes. Il a dit qu'il n'accepterait pas le morcellement de notre hydroélectricité. Il a ainsi posé les grandes lignes des enjeux.

L'hydroélectricité est absolument indispensable dans notre mix d'énergies renouvelables. C'est d'ailleurs notre première source d'électricité renouvelable. Les STEP constituent, en effet, l'un des modes de stockage les plus simples des énergies intermittentes. Ce réseau hydraulique d'hydroélectricité joue aussi un rôle plus global en matière de protection de la nature et de gestion de l'eau. Il se trouve que j'anime la deuxième phase des Assises de l'eau. Je n'ignore pas le rôle important que jouent les barrages dans la régulation de l'eau et l'optimisation de ses usages.

Nous sommes mobilisés sur ce sujet. Il reste à réengager des discussions avec la Commission européenne pour trouver le bon point d'équilibre. Quoi qu'il en soit, je peux vous assurer de la vigilance du Gouvernement qui appréhende le système hydroélectrique dans sa globalité que ce soit dans le système de production d'énergies ou dans l'aménagement du territoire.

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J'aimerais revenir sur la biomasse. Notre président est très pointu sur les biocarburants mais de nombreuses questions restent en suspens en ce qui concerne la concurrence des usages. Dans le cadre de cette mission, nous avons essayé de quantifier : quelle biomasse est disponible sans attaquer les terres agricoles alimentaires ? La question est complexe mais nous avons besoin de visibilité pour tenir un discours clair aux agriculteurs : la biomasse doit venir des résidus de productions agricoles ou agroalimentaires.

Dans ma circonscription, certains agriculteurs m'annoncent qu'ils vont se lancer dans la méthanisation. Je suis très favorable à la méthanisation sauf s'ils me disent qu'ils vont planter du maïs pour s'en servir comme intrant. Il doit être clair dans la tête de chacun qu'il faut utiliser une certaine biomasse. Ensuite, on peut arbitrer entre biocarburants, biogaz, etc. Nous n'avons pas cette vision globale. Nous n'avons pas, non plus, progressé en ce qui concerne l'utilisation de la biomasse solide, fibreuse, pour faire les carburants de deuxième génération. Nous manquons de visibilité.

Nous avons aussi du retard, notamment par rapport aux Allemands, dans le domaine des carburants de synthèse.

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Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

. Le ministère a déjà travaillé sur ce sujet. Il a produit quelques éléments dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et, surtout, il y a deux ans, dans la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse (SNMB). Nous pouvons partager ces données avec vous, même si elles sont sans doute insuffisamment précises et connues.

Nous envisagions de lancer un groupe de travail sur deux aspects : la biomasse liée à l'exploitation raisonnée des forêts et aux multiples usages du bois – énergie, meubles, construction ; la biomasse agricole et ses usages.

La PPE ferme l'usage de la biomasse pour la production d'électricité et pour la cogénération. Pour des raisons d'efficience, il vaut mieux utiliser la biomasse pour la chaleur et pour les carburants que pour la production d'énergie. C'est pourquoi nous refusons toute nouvelle tranche électrique à la biomasse, y compris dans le cadre de la reconversion des centrales à charbon. Nous pourrions faire une exception pour maintenir en activité la centrale de Cordemais dans le cas où nous en aurions besoin pour des raisons de sécurité d'approvisionnement à la marge.

Nous ne lancerons plus d'appels à projets cogénération à la biomasse car ce n'est finalement pas le meilleur usage d'une ressource rare. Nous pourrions aller plus loin dans la biomasse agricole pour la méthanisation et pour les carburants, des points que nous pouvons préciser.

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Merci beaucoup, madame la secrétaire d'État. Nous attendions beaucoup de cet entretien et, personnellement, j'en suis très satisfait.

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Pouvez-vous nous dire si des parlementaires sont impliqués dans le groupe de travail sur la chaleur ?

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Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

. Dans tous les groupes de travail, des parlementaires sont sollicités pour faire la jonction.

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Nous penserons à solliciter M. le rapporteur. Merci, madame la secrétaire d'État.

L'audition s'achève à dix heures quinze.

Membres présents ou excusés

Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du jeudi 13 juin 2019 à 9 heures

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Julien Dive, M. Bruno Duvergé, Mme Véronique Riotton, Mme Nathalie Sarles

Excusé. - M. Christophe Bouillon