Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du mardi 4 mai 2021 à 10h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • professeur
  • pédagogique
  • souveraineté
  • éducation
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  MoDem    UDI & indépendants  

La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de MM. Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire, et Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducation nationale, directeur du numérique pour l'éducation (ministère de l'Éducation nationale).

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président de la mission d'information.

La séance est ouverte à dix heures dix.

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Nous auditionnons M. Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire, accompagné de M. Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducation nationale et directeur du numérique pour l'éducation.

Notre échange s'inscrit dans nos réflexions sur les enjeux de formation aux compétences numériques. La souveraineté numérique ne saurait être envisagée sans une bonne compréhension de ce que recouvre le monde des nouvelles technologies.

Nous souhaitons échanger avec vous sur la façon dont notre système d'enseignement a pris le virage du numérique pour enseigner de nouveaux savoir-faire, doter les personnels d'outils efficaces de conception récente et, enfin, évaluer les pratiques pédagogiques.

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Je voudrais évoquer trois sujets à titre liminaire.

Le premier concerne votre approche de la notion de souveraineté numérique. Il s'agit là d'une question rituelle lors de nos auditions, qui procède de la grande diversité des définitions données à cette notion. J'aimerais en connaître votre propre conception, d'une part, et d'autre part, savoir comment l'enseignement des compétences numériques, tel qu'il se pratique, en France, en 2021, intègre cette notion. Je souhaiterais, à cette occasion, que vous nous rappeliez les principaux dispositifs mis en place et que vous reveniez sur la manière dont l'Éducation nationale a eu recours au numérique afin d'assurer une continuité pédagogique au bénéfice des élèves durant la crise sanitaire.

Mon second point portera sur la transformation numérique de l'Éducation nationale. Pourriez-vous nous présenter les principaux projets destinés à l'accompagner ? En quoi le choix des outils utilisés par les personnels du ministère prend-il en compte la problématique de la souveraineté numérique ?

Je me demande également comment l'Éducation nationale entend se positionner par rapport à l'ouverture des données. La crise sanitaire nous a amenés à mesurer l'importance de cette question, notamment dans le domaine de la santé, où des efforts significatifs ont été menés. Je voudrais connaître les intentions du ministère à ce sujet.

Enfin, je souhaiterais échanger sur les causes et les conséquences des difficultés rencontrées lors de la mise en place de l'enseignement à distance, avant d'aborder la question de la sécurité des infrastructures numériques éducatives, dont celles du Centre national d'enseignement à distance (CNED).

Pour terminer mon propos liminaire, j'aimerais prendre un peu de champ afin d'évoquer la souveraineté numérique d'un point de vue européen. Concrètement, comment la France se positionne-t-elle par rapport aux pays voisins en termes d'enseignement des compétences numériques ? Dans quelle direction pourrions-nous progresser, selon vous ? Je voudrais, en somme, analyser, en les comparant, les bonnes pratiques en la matière, en Europe.

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

La thématique de la souveraineté numérique revêt une grande importance pour le ministère, qui s'est beaucoup penché sur ce sujet.

Notre audition intervient dans un contexte de forte sollicitation numérique du ministère. En mars 2020, celui-ci a mis en place une continuité pédagogique pratiquement immédiate et globalement réussie. L'outil « ma classe à la maison » existait déjà avant la crise sanitaire. La création d'un tel service avait en effet été ordonnée, suite au cyclone Irma, dans l'hypothèse où des établissements ne pourraient accueillir les élèves. Nous ne pensions évidemment pas, alors, que douze millions d'entre eux devraient y recourir un jour.

Lors du confinement, nous avons mis en place un éventail de services d'une ampleur inédite, dont les Espaces numériques de travail (ENT) et les cours Lumni en ligne et à la télévision. À ma connaissance, aucun autre pays n'a réagi aussi vite ni de manière aussi extensive. Nous avons en outre été parmi les premiers à lancer une alerte sur le mirage du numérique, signalant que les outils numériques, à l'appui des professeurs, ne sauraient en aucun cas les remplacer. La circulaire du 28 février 2018 indiquait ainsi que le professeur assurait la continuité pédagogique au moyen de dispositifs lui servant d'appui.

Il convient de le souligner, car cela rejoint votre première question sur ce que recouvre la notion de souveraineté numérique et ce que nous sommes en droit d'en attendre en matière éducative. Au risque d'enfoncer une porte ouverte, je dirai que j'entends, par souveraineté, la capacité à décider de sa destinée, ce qui suppose à la fois la capacité d'exercer un jugement libre et une volonté non contrainte, que ce soit au niveau d'un pays, d'un peuple ou d'un individu, et celle d'agir en conséquence en construisant cette destinée. Deux aspects se conjuguent ici : le jugement et l'action.

En ce qui concerne le jugement, le principe de la souveraineté, appliqué à la sphère éducative, à l'ère numérique, recouvre l'enjeu de former des citoyens, ce qui passe par la formation des professeurs autant que des élèves. Il faut inculquer à ceux-ci l'esprit critique, la capacité de distanciation et la connaissance des outils numériques, tels que l'Intelligence artificielle ou les algorithmes, pour qu'ils comprennent comment le monde se modélise et comment leur volonté peut s'en trouver influencée. En somme, ils doivent parvenir, si ce n'est à se détacher des paramètres pesant sur leurs choix, au moins à en prendre conscience. Si vous le permettez, je glisserai ici une référence à Auguste Comte : il faut savoir pour prévoir et prévoir pour pouvoir.

Chaque futur citoyen doit se doter d'une culture numérique. L'univers numérique suppose des modalités particulières d'exercice de l'esprit critique. La question des moyens de traduire nos valeurs dans le monde numérique se pose au quotidien. Chacun détient, en tant qu'utilisateur, un pouvoir, certes asymétrique mais toutefois réel, qu'il exercera comme il se doit, pour peu qu'il ait reçu une formation adaptée. Nous en revenons dès lors à la formation au numérique des élèves, qui suppose aussi bien une éducation aux médias d'information, via la lutte contre les fausses nouvelles, par exemple, qu'une formation plus technique.

Je distinguerai à présent trois champs de la souveraineté, en ce qu'elle touche à la capacité d'action.

La souveraineté juridique équivaut à la capacité de faire appliquer son droit sur son territoire. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen en fournit un exemple abouti. Aujourd'hui, ce RGPD, extrêmement novateur lors de son instauration, protège les données de tout ressortissant de l'Union européenne, y compris lorsqu'elles circulent à l'étranger. J'estime ce point fondamental.

La souveraineté technique repose sur le recours à des outils qui nous appartiennent en propre. J'emploierais plus volontiers à ce propos la notion d'autonomie stratégique. Elle correspond à la capacité d'assurer un service de masse à tous, ainsi qu'à en limiter la vulnérabilité face à des menaces ou des paramètres extérieurs.

Enfin, j'assimile la souveraineté des usages à la capacité d'inculquer à chacun les compétences nécessaires pour agir dans l'univers numérique en maniant avec aisance les outils correspondants.

Je distinguerai deux champs d'application à cette souveraineté des usages. Commençons par nous pencher sur la pratique des métiers au quotidien. Nous avons tout à l'heure souligné le caractère essentiel de la formation des professeurs. Depuis un an, 200 000 d'entre eux se sont formés, via Canopé, notre plateforme de formation continue, aux usages du numérique et à l'enseignement à distance. S'appuyer sur le numérique ne se limite pas à faire la classe en mode virtuel, mais implique d'utiliser l'ensemble des outils numériques pour faciliter l'apprentissage des élèves.

Le programme Pix certifie le niveau des élèves en fin de troisième et de terminale, de manière à ce qu'ils puissent évoluer, au quotidien, dans l'univers numérique en y exerçant leurs droits et devoirs et, partant, une forme de souveraineté. Veiller à la protection de ses propres données rend capable d'exercer une influence déterminante sur le cours numérique de son existence.

À cette dimension quotidienne de la souveraineté des usages s'ajoute un enseignement de spécialité visant à former des élèves et des professeurs experts en numérique. La spécialité Numérique et sciences informatiques (NSI), créée en 2018 à l'occasion du nouveau baccalauréat, est aujourd'hui assez prisée, puisque 9,5 % des élèves la suivent en première. Elle a donné lieu à la création d'un Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) NSI, que suivra, en 2022, une agrégation NSI. Les professeurs déjà employés par l'Éducation nationale qui réussiront ce concours de haut niveau recevront de surcroît un diplôme interuniversitaire, élaboré avec 22 institutions partenaires d'enseignement supérieur en France. J'estime très intéressant de pouvoir former des spécialistes du numérique représentant près de 10 % d'une génération de lycéens généraux, dans la mesure où nous construisons ainsi une capacité d'action, de création et de développement autonomes pour l'avenir.

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

La question de la souveraineté ne saurait être envisagée hors du contexte historique propre à notre pays. Rappelons le rôle de premier plan joué par la France dans le déploiement du RGPD, mais aussi la loi Informatique et libertés de 1978, sur laquelle repose en grande part ce RGPD. La logique suivie par la France l'amène à axer sa souveraineté sur l'enjeu de la protection des données et de leur usage possible en regard des libertés individuelles. Voilà pourquoi mon intervention s'intéressera beaucoup à l'approche des données et à la capacité à les protéger.

Le ministère de l'Éducation nationale est aujourd'hui amené à collecter les données de 12 millions d'élèves et d'1,2 million d'agents. Le RGPD nous fournit heureusement les outils nécessaires pour répondre aux enjeux de la protection de ces données. Le ministre de l'Éducation, lors de l'université d'été du numérique pour l'éducation en 2018, a insisté, dans son discours, sur l'enjeu de la protection et de la valorisation des données. Je reviendrai sur notre capacité à les ouvrir et les mettre à disposition. Notre action s'inscrit en tout cas dans cette optique, selon laquelle le ministère élabore, depuis trois ans, sa stratégie numérique.

M. Édouard Geffray a indiqué les outils mobilisés pour la continuité pédagogique. N'oublions pas les ENT, qui constituent une spécificité. Des difficultés ont surgi la semaine du 6 avril, liées à l'usage désormais quotidien de ces outils par l'ensemble de la communauté éducative. La quantité de connexions en ce début de mois nous a surpris. Nous escomptions une augmentation de 20 % par rapport à l'année dernière, or c'est à une véritable explosion à laquelle nous avons assisté, la première semaine d'avril. La souveraineté s'inscrit aussi dans la capacité à construire des outils. La mise en place des ENT découle d'une politique datant de 2004. Leur usage s'est progressivement imposé. Le ministère en partage la responsabilité avec les collectivités territoriales. Ont pris part à leur élaboration des acteurs souverains des nouvelles technologies, sans lesquels nous n'aurions pu intégrer ce type d'outils dans le paysage éducatif français. En somme, la souveraineté se construit à travers une complémentarité d'outils. Je tenais à le souligner.

Concernant les enjeux de la souveraineté en termes d'enseignements, je rappellerai d'abord que Pix, la plateforme de certification européenne à laquelle contribue le ministère, repose sur un référentiel de compétences numériques européen. L'UNESCO l'a sélectionnée pour répondre à des enjeux de certification des compétences au-delà de nos frontières. La construction de notre souveraineté passe par un outil comme celui-là également.

Je rappellerai en outre que l'enseignement en Sciences numériques et technologie (SNT), en seconde générale, procure une vision exhaustive des enjeux du numérique dans la vie quotidienne. Une certification en fin de troisième évalue les compétences numériques des élèves. Des cours de SNT leur sont ensuite proposés, puis de NSI, avant un nouveau test en fin de terminale. Leurs compétences numériques s'inscrivent ainsi dans la continuité de leur parcours, universitaire ou professionnel. L'action du ministère en matière de numérique trouve sa place dans une dynamique d'ensemble. Les classes de SNT abordent bien sûr les enjeux liés aux données et à la cybersécurité.

Pour répondre aux enjeux de protection et d'anonymisation des données, le ministère travaille étroitement avec l'ensemble de l'écosystème numérique éducatif. Nous terminons en ce moment de rédiger, en accompagnement des acteurs de la filière, un code de conduite, outil du RGPD permettant à un secteur d'activité de définir des règles spécifiques. Nous espérons qu'il entrera en vigueur à la rentrée de septembre. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) doit au préalable lui donner son aval, puis le proposer à ses homologues européens, puisqu'il pourrait intéresser aussi les secteurs éducatifs d'autres pays européens. À la différence des données de santé, celles de l'éducation ne sont pas considérées comme sensibles.

Depuis plusieurs années, le ministère a mis en place un autre outil : le GAR (Gestionnaire d'accès aux ressources), qui constitue un véritable tunnel d'usage autour de la ressource au sein des ENT. Concrètement, les élèves peuvent accéder, via ces ENT, à un centre géant comportant plus de 12 000 ressources, dès lors que leur établissement s'y est abonné. Nous garantissons, à travers ce tunnel, l'anonymisation des données de manière à renforcer la confiance, dans une visée de souveraineté.

Nous déployons par ailleurs un autre dispositif d'authentification propre à l'Éducation nationale, inspiré de FranceConnect, toujours par souci de garantir la sécurité des usagers. Baptisé EduConnect, il permettra à chaque parent de donner à ses enfants accès à des ressources, dans le respect, entre autres, du code de conduite et des principes du RGPD. Là encore, ce dispositif s'intègre pleinement dans notre stratégie de souveraineté.

Le ministère avait par ailleurs préconisé, au-delà des lois et réglementations existantes, la mise en place d'un comité d'éthique de la donnée d'éducation. Ce comité a remis un rapport sur la continuité pédagogique lors du premier confinement, s'attachant aux enjeux de souveraineté, dont l'éthique constitue un pilier dans le domaine du numérique éducatif.

J'insisterai sur une dernière dimension de la souveraineté. Un acteur majeur avait développé un outil de vie scolaire pour le second degré : INDEX-ÉDUCATION. Un rapport de l'inspection générale en 2018 sur les données numériques à caractère personnel au sein de l'Éducation nationale a identifié un risque que des acteurs étrangers s'emparent de ces données à travers cet outil. Docaposte et La Poste ont récemment racheté l'acteur concerné afin de garantir la souveraineté sur les données qu'il traitait.

À l'aube de révolutions numériques majeures, en lien avec l'Intelligence artificielle, nous avons de surcroît développé des partenariats de l'innovation avec des acteurs industriels et des laboratoires de recherche, de manière à garantir notre capacité à peser sur les enjeux de l'Intelligence artificielle liés à l'éducation.

Enfin, GAIA-X, en tant que cloud souverain européen, devrait donner lieu à une réflexion sur la mise à disposition de l'ensemble des données. Preuve de notre attitude proactive, nous sommes le seul ministère européen de l'Éducation à siéger à son conseil d'administration en vue de développer l'ensemble des cas d'usage autour de la donnée d'éducation.

J'aurai sans doute l'occasion de revenir sur la plateforme Education Data-hub. Elle doit mettre les données d'éducation à disposition de l'ensemble des acteurs, tout en fournissant l'occasion d'une réflexion sur cette même mise à disposition.

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Cette audition compte beaucoup pour nous. Le sujet de l'éducation a été soulevé lors de toutes les précédentes auditions en raison de son importance majeure. Nous ne saurions concevoir de souveraineté, de technologie, ni même d'entreprises numériques sans étudiants appelés à devenir des citoyens, des ingénieurs ou des dirigeants de sociétés. L'éducation apparaît donc comme un besoin fondamental.

Je propose d'évoquer d'abord les trois catégories de population auxquelles vous avez affaire, au ministère : les élèves ou étudiants, les professeurs et les parents. Estimez-vous aujourd'hui que les élèves, à la fin de leur scolarité, ont acquis une maîtrise suffisante du numérique ? Je ne songe pas seulement à la capacité d'utiliser des outils numériques mais à la connaissance de leur fonctionnement, qui passe notamment par la compréhension de la notion d'algorithme. La plupart des parents et des professionnels du secteur estiment que ce n'est pas le cas. Je manque sans doute de diplomatie en vous relayant leur impression. Ceux qui commencent à recruter des « digital natives » leur reprochent de ne pas toujours être en phase avec la réalité du monde numérique actuel. Reçoivent-ils une formation assez poussée ? Les jeunes ne quittent-ils pas le système scolaire sans avoir acquis toutes les connaissances que le ministère souhaitait leur transmettre ?

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

Je distinguerai le processus dans sa continuité et ce qu'en montre un arrêt sur image. Les dispositifs, à mesure que nous les mettons en place, toucheront une cohorte plus ou moins tardivement. À ce jour, toutefois, la construction de la compétence numérique m'apparaît assez complète.

Un élève arrivant en primaire bénéficie, dès le cycle 2 (CP, CE1, CE2) et, a fortiori, en cycle 3 (CM1, CM2, sixième) d'une initiation au code dans l'enseignement des mathématiques.

Au collège, en cycle 4 (correspondant aux classes de cinquième, quatrième et troisième), les notions d'algorithmique sont traitées lors des cours aussi bien de mathématiques que de technologie. La programmation est également enseignée, via divers logiciels, dont le plus connu reste Scratch.

En parallèle, la pratique d'outils numérique, certes non obligatoire, devient de plus en plus fréquente. Il n'est plus rare que des professeurs donnent des devoirs sur des outils en ligne, tels calcul@TICE développé par l'académie de Lille. Des centaines de milliers d'élèves l'ont utilisé lors du premier confinement.

La compréhension globale du numérique, encore inexistante voici quelques années, s'étend en tout état de cause. Ceux qui ont des enfants séparés par un écart d'âge conséquent s'en rendront compte au travers de l'évolution des programmes.

Tous les élèves de seconde suivent désormais, suite à la réforme du lycée, un enseignement commun en sciences numériques et technologie (SNT) d'une heure et demie par semaine. La spécialité NSI est ensuite proposée à raison de quatre heures hebdomadaires en première et six en terminale. Le programme de cette matière fournit une approche assez complète du numérique, allant de la technologie (le code) à l'éthique (le traitement des données personnelles) en passant par la compréhension globale de cet univers. La première cohorte à avoir suivi cette spécialité obtiendra son baccalauréat cette année.

En somme, considérer la situation avec plus ou moins de recul livrera l'impression que les élèves ont acquis plus ou moins d'expertise. Quoi qu'il en soit, une comparaison internationale poussée a révélé que la France se situait largement en tête des autres pays pour ce qui est de la profondeur des apprentissages numériques de la spécialité NSI.

La plateforme Pix, élaborée à partir d'un référentiel européen, participe de ce dispositif d'enseignement du numérique. Elle permet de sanctionner un niveau acquis à l'issue de préparations à des tests, à la fois en fin de collège et de lycée. Les évaluations, via Pix, auraient eu lieu pour la première fois cette année, si la crise sanitaire n'avait pas contraint à suspendre leur caractère obligatoire, au moins en terminale.

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

Dès la fin de l'école primaire, en CM2, a lieu une première évaluation, renouvelée en sixième, des compétences numériques de l'élève, notamment dans leur dimension algorithmique. Ces compétences sont en résumé testées tout au long de la scolarité.

L'éducation au numérique touche à de nombreux enjeux abordés dans l'enseignement moral et civique, qui vise à développer l'esprit critique de l'élève et sa capacité à identifier des sources d'information. L'éducation aux médias et à l'information comporte également une dimension numérique.

L'acquisition d'une culture numérique repose autant sur une approche culturelle que sur l'appropriation d'outils, la capacité à coder, ou la compréhension de la nature et du fonctionnement d'un algorithme. L'ensemble des enseignements abordent dorénavant ces deux facettes de la question, de sorte qu'une telle approche transversale englobe tous les enjeux actuels du numérique.

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Comment expliquez-vous que la pratique du numérique d'une partie des collégiens, malgré les dispositifs mis en place dès le primaire, confine au harcèlement ou relève d'un mésusage des réseaux sociaux ? Certains ne possèdent toujours pas les réflexes qu'ils devraient pourtant avoir acquis, aussi bien en position de victime que d'agresseur. Quel regard le ministère porte-t-il sur la situation ? Comment compte-t-il fournir, dès le primaire, bien au-delà de la simple sensibilisation aux fausses nouvelles, une sorte de mode d'emploi de ces comportements déviants ? Surtout, comment s'assurer que le message sera bien assimilé ? Des principes éthiques devront en effet guider nos concitoyens tout au long de leur vie d'adulte. Les aléas de la vie politique le démontrent assez. Autrement dit, quelles mesures prenez-vous pour préparer les élèves à l'avenir ?

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

La question revêt en effet une importance majeure.

J'aborderai d'abord le cadre général de l'enseignement, puis son application pratique au harcèlement. Le ministre a défini comme aptitudes à acquérir à l'issue de l'école primaire : la lecture, l'écriture, la capacité à compter et le respect d'autrui. Ce respect d'autrui présente de multiples dimensions. Dans le domaine de la santé, il passe par l'éducation à la sexualité. L'élève de primaire apprend à respecter le corps d'autrui et à se faire lui-même respecter dans son corps, ce qui implique notamment la prévention des violences sexuelles ou familiales, mais aussi l'apprentissage du rapport à l'autre, de la vie de classe et de la résolution des conflits. Ces valeurs se traduisent, elles aussi, directement dans l'univers numérique.

Le lancement volontariste du programme « non au harcèlement » remonte à l'année scolaire 2018/2019. Assez exhaustif, puisqu'il inclut des formations, il va se généraliser dès la rentrée à l'ensemble des académies, et donc des établissements. Rappelons que les académies disposent toutes de référents « harcèlement ». Des ambassadeurs du programme, accompagné par des campagnes de sensibilisation, seront choisis parmi les élèves de chaque établissement.

À l'origine, le prix « non au harcèlement » récompensait les réalisations sous forme d'affiche ou de vidéo de collégiens ou de lycéens soucieux de sensibiliser leurs condisciples à ce problème. Depuis deux ans maintenant, des élèves de primaire peuvent concourir dès le CP. Certaines attitudes se mettent en effet très tôt en place. La difficulté liée aux violences surgit dans ce cas également : ces comportements s'expliquent aussi par des sollicitations échappant en partie à l'institution scolaire. Le ministre a rendu un formidable service aux jeunes en interdisant le téléphone portable au collège, leur offrant ainsi un espace où ils échappent enfin, pour un temps, aux sollicitations numériques. La prévention du mauvais usage du numérique dépasse le cadre scolaire. Certains environnements incitent les jeunes à prendre des risques en diffusant par exemple par SMS leurs photos intimes qui, deux ou trois mois plus tard, pourraient bien échouer entre de mauvaises mains.

Une action globale doit être menée. L'Éducation nationale y travaille. Tout ce qui peut participer à la prise de conscience des dangers du numérique mérite qu'on l'encourage. Le ministère œuvre avec les parents mais aussi la CNIL et le collectif « éducation au numérique ». La CNIL doit assumer un rôle particulier pour diffuser le message selon lequel des données personnelles ne se partagent pas, ou du moins pas n'importe comment. Il faut qu'au-delà du ministère, l'écosystème entier prenne part à l'éducation au numérique et inculque des notions de prudence de base.

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

Soulignons l'enjeu du continuum pédagogique entre temps scolaire et hors scolaire. Nous devons travailler avec l'ensemble de l'écosystème, y compris la CNIL et les collectifs associés. Le ministère intègre dans ses politiques éducatives l'éducation au numérique, au-delà de sa dimension purement scolaire. Nous construisons une approche globale afin d'accompagner les parents aussi. Nous avons développé, à la suite des premiers confinements, des projets baptisés « territoires numériques éducatifs ». Deux expérimentations ont eu lieu, dans l'Aisne et le Val-d'Oise, intégrant pleinement la formation des familles, de manière que les parents puissent à leur tour accompagner leurs enfants.

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Venons-en justement aux parents, au rôle essentiel. Comment percevez-vous leur appréciation des enjeux numériques et leur capacité d'encadrer leurs enfants ? Les parents actuels appartiennent aux cohortes n'ayant bénéficié d'aucun apprentissage scolaire du numérique, qu'ils ont apprivoisé eux-mêmes, au fur et à mesure.

La fracture numérique se manifeste-t-elle aussi dans l'accompagnement des enfants ou dans le suivi de leur scolarité ? Tous les parents peuvent-ils accéder aux outils mis à leur disposition par le ministère, comme le logiciel PRONOTE, pour mieux suivre les progrès et l'attitude en classe de leur enfant ?

Sur quelles problématiques particulières liées au numérique les parents incitent-ils l'Éducation nationale à se pencher ? Vous adressent-ils des prescriptions ? Vous signalent-ils des lacunes dans la culture numérique de leurs enfants ? Préconisent-ils de renforcer certains enseignements ? Sous quel angle abordent-ils le numérique et comment ?

J'ai conscience de vous poser beaucoup de questions, mais j'envisage difficilement de parler de l'acculturation au numérique des enfants sans évoquer celle de leurs parents.

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

Nous allons nous efforcer de vous apporter une réponse la plus complète possible.

Un cinquième de la société française, en comptant à la fois les élèves et le personnel de l'Éducation nationale, franchit quotidiennement les portes des établissements dépendant du ministère. Si nous leur ajoutons les parents d'élèves, nous nous retrouvons face à un très large éventail de la population, où coexistent, comme chez le reste de nos concitoyens, des sensibilités diverses et où l'on note de grandes disparités en termes d'équipement. Le champ du numérique ne saurait s'exonérer de cette diversité.

Je distinguerai les actions déjà mises en œuvre par le ministère, à l'intention des parents, de celles qui restent à mener.

Nous nous efforçons de mettre à la disposition des parents des ressources pour qu'ils s'approprient certains outils ou usages du numérique, ou encore certains enjeux relatifs à l'éducation de leurs enfants, tels que la protection des données et informations sensibles. Dans une logique d'accompagnement de la parentalité, le site web la « Mallette des parents » recense des dispositifs, de manière à ce que les parents puissent engager des discussions informées avec leurs enfants adolescents. À cet âge compliqué se crée en effet une distance nécessaire vis-à-vis des parents. Il convient d'éviter sa démultiplication par l'enjeu des écrans.

Nous travaillons avec les parents d'enfants, même en bas âge, sur le rapport à l'écran. Un dispositif baptisé « la famille Tout-Écran », développé avec le Centre pour l'éducation aux médias et à l'information (CLEMI), vise à promouvoir, de manière très pédagogique, une approche pondérée de l'usage du numérique. Il décline un ensemble d'outils conviviaux, faciles d'appropriation, permettant d'assimiler rapidement des règles et de prendre conscience de points de vigilance dans l'éducation des enfants.

Un autre enjeu, technique celui-là, a trait à la capacité pour les parents de se former eux-mêmes aux usages du numérique afin d'en améliorer leur pratique. Le projet « Territoires numériques éducatifs » se déploie déjà dans deux départements, l'Aisne et le Val-d'Oise. D'autres en bénéficieront prochainement.

Disposer de tablettes ou d'ordinateurs dans les salles de classe ne suffit pas. L'équipement doit s'articuler avec, aussi bien les ressources numériques, en termes essentiellement de logiciels, qu'avec la formation, pour éviter que les tablettes ne rendent pas tous les services qu'on est en droit d'en attendre. Les deux volets ne relevant pas directement de l'équipement priment en réalité, car l'acculturation collective au numérique dépend d'eux. Le ministère s'occupe de former les parents qui le souhaitent aux usages et aux pratiques du numérique avec des associations partenaires. La pédagogie des outils ne saurait en effet avancer indépendamment de celle des usages.

Ces projets de fonds, structurels, s'inscrivent enfin dans une dimension conjoncturelle.

Celle-ci a trait à la possibilité des parents de suivre la scolarité de leurs enfants, via les outils numériques. Elle renvoie également aux questions soulevées par la continuité pédagogique. Comment s'assurer que les familles, en dépit de leur situation parfois difficile, maintiennent un lien avec l'école, via les outils numériques ? Nous en revenons aux enjeux de la fracture numérique. Tout le territoire français n'est pas encore couvert par Internet. Certaines familles résidant en zone blanche ne peuvent pas s'y connecter depuis leur domicile. Certains établissements scolaires recourent certes à d'autres modes d'échange plus classiques avec les parents. Une telle situation n'en préoccupe pas moins le ministère, qui se heurte là à une contrainte géographique et non purement matérielle.

Se pose aussi la question de l'équipement des familles. Le suivi de celles-ci s'est renforcé durant la période que nous venons de traverser. Plusieurs dizaines de milliers de tablettes ont été distribuées. Saluons à ce propos l'engagement des collectivités locales. Je préciserai, à titre d'illustration de l'agilité du ministère, que celui-ci s'est doté d'une équipe nationale numérique, en mesure de mettre à disposition, dans un délai de 24 à 48 heures, 10 000 ordinateurs et plusieurs centaines de kits de connexion 4G. Ce dispositif s'est activé à l'occasion des coulées de boue dans les Alpes-Maritimes, ayant contraint certains collèges et lycées à fermer durant plusieurs semaines en décembre. 400 ordinateurs assortis d'un kit de connexion ont été acheminés, en moins de deux jours, aux élèves dans le besoin, pour qu'ils continuent à suivre leurs cours à distance. Les aléas, climatiques ou autres, augmentent le risque de perdre un contact, avec les élèves ou leurs familles, difficile à renouer ensuite.

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Au-delà des problèmes d'équipement, qu'est-ce que les trois confinements et les deux grands épisodes d'enseignement à distance ont révélé de la relation au numérique des parents ? Quelle leçon convient-il d'en tirer ? Le maintien d'une relation à distance entre l'Éducation nationale et les parents s'annonce-t-il impossible ou du moins non souhaitable ? Avez-vous noté une différence entre milieux urbains et ruraux ?

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

La question de la relation aux parents soulève évidemment le problème de la fracture numérique. Dès la rentrée de septembre, nous avons cherché à mieux identifier les familles dans l'incapacité de suivre la scolarité de leurs enfants via des outils numériques, afin que les établissements mettent en place un accompagnement spécifique à leur bénéfice.

Se pose ensuite la question de la place de la classe virtuelle dans la continuité pédagogique. Les parents n'imaginent pas l'enseignement à distance hors de ces cours virtuels. Un hiatus apparaît toutefois, car il n'est pas envisageable de donner des leçons à distance tout le temps que dure en principe une journée d'école. Les parents éprouvent malgré tout le besoin de se raccrocher à la présence de l'enseignant et à sa capacité d'accompagner chaque élève.

Nous avons travaillé sur le renforcement du lien entre enseignants et élèves, via les classes virtuelles mais aussi en mobilisant tous les outils de communication disponibles, et même des outils d'évaluation des compétences à distance. Des formations ont favorisé l'instauration d'un lien privilégié avec chaque élève, pour que les enseignants identifient mieux ceux qui risquaient, à un moment ou un autre, de décrocher. La continuité pédagogique implique la possibilité pour les enseignants de contacter les parents. La classe virtuelle ne saurait en constituer l'alpha et l'oméga, d'autant que tous les élèves n'y assistent pas.

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Passons au troisième groupe dont s'occupe le ministère : les enseignants. Là encore, je m'en veux de mon manque de tact, mais de nombreuses personnes nous ont signalé l'éloignement du numérique de nombreux enseignants, encore que la situation s'améliore. Les remarques ponctuelles qui nous sont parvenues ne correspondent sans doute pas à votre vision globale, que j'aurais donc besoin de connaître. Êtes-vous en mesure d'évaluer les enseignants sur leur connaissance du numérique, leur compréhension de la notion d'algorithme mais aussi leur utilisation des outils technologiques les plus courants, et ce, de manière à ce qu'ils y forment au mieux les enfants ?

Existe-t-il des formations professionnelles continues spécialisées dans ce domaine pour les enseignants, y compris ceux de matières a priori éloignées du numérique comme le dessin ou le latin ?

Enfin, quelles leçons tirez-vous de la pandémie et de l'enseignement à distance (EAD) ? Des questions que vous croyiez réglées se sont-elles imposées à votre attention ? À l'inverse, certaines difficultés que vous pensiez devoir affronter n'auraient-elles en fin de compte pas surgi ?

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

Vos questions nous sont précieuses, car elles entrent en résonance avec celles que, nous-mêmes, nous nous posons.

Je vous livrerai une réaction spontanée fondée sur une impression d'ensemble. Nous avons relevé deux points intéressants.

D'abord, l'an dernier, la continuité pédagogique s'est immédiatement mise en place via l'enseignement à distance, alors même que, jamais encore, la totalité des écoles de France n'avait dû fermer. Mes homologues d'autres pays m'ont indiqué que deux à trois semaines de congés avaient été accordées aux professeurs et aux élèves avant d'envisager des mesures possibles. Il en a résulté un décrochage élevé chez certains de nos voisins européens. En France, de mémoire, l'annonce du confinement a eu lieu un vendredi et, le lundi matin suivant, les élèves ont continué l'école à domicile, malgré les quelques difficultés techniques qui ont surgi.

Ensuite, nous avons observé un mécanisme de conversion au numérique. Il s'est d'ailleurs traduit par les chiffres relevés la semaine du 6 avril. Le taux d'usage des outils éducatifs numériques a alors doublé par rapport au pic du mois de mai 2020. Chaque jour, au début d'avril 2021, 2 à 3 millions de visiteurs uniques se sont connectés à la plateforme du CNED, qui n'est pourtant pas le seul outil de classe virtuelle disponible. 200 000 professeurs, soit un sur quatre, ont par ailleurs, d'eux-mêmes, cherché à se former au numérique sur Canopé. Cette proportion témoigne d'une conversion massive au numérique, que nous étions certes en droit d'espérer, mais sur laquelle nous ne tablions pas pour autant, compte tenu de la diversité existant au sein du corps professoral. Des différences subsistent en effet entre générations, car si l'on trouve des professeurs férus de nouvelles technologies de tous âges, les plus jeunes s'avèrent dans l'ensemble plus à l'aise avec le numérique que leurs aînés. Notons que beaucoup se forment d'ailleurs auprès de leurs collègues.

Se pose dès lors la question de la consolidation des formations au numérique. Comment s'assurer que les professeurs acquièrent une culture numérique aboutie, adaptée à leur usage des nouvelles technologies et à ce qu'il leur revient de transmettre à leurs élèves ? L'Éducation nationale n'a pas besoin d'un million d'informaticiens mais d'enseignants forts d'une culture générale du numérique.

Un premier axe de travail a porté sur la formation initiale des professeurs, réorganisée depuis septembre 2020. Suite à la loi pour une école de la confiance et aux travaux parlementaires sur le numérique à l'école, le numérique, sujet désormais incontournable, figure dans le référentiel de formation des professeurs. Je m'occupe en ce moment des procédures d'accréditation des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPE). Tous dispensent des formations au numérique de qualité, des plus intéressantes à mon sens, adossées à un référentiel commun garantissant un certain niveau de compétences.

Concernant la formation continue, des dispositifs existent, pour l'heure essentiellement en ligne, du fait de la crise sanitaire, mais, dès que les circonstances le permettront, ils se dérouleront également en présentiel. Signalons que le numérique figure parmi les cinq priorités, aux côtés de l'école inclusive et de la promotion des valeurs de la République, du schéma directeur de la formation continue des personnels de l'Éducation nationale.

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

Lors de la transformation numérique de tout secteur d'activité, prévaut la règle des trois tiers : pour un premier tiers, les acteurs s'impliquent et s'efforcent de saisir les enjeux, pour un autre tiers, ils peinent à se situer et s'interrogent, tandis qu'un dernier tiers se montre particulièrement réfractaire. Au sein de l'Éducation nationale, 25 % à 30 % d'enseignants, déjà très investis dans le numérique, possédaient d'importantes compétences en la matière, 50 % hésitaient à recourir aux nouvelles technologies dans la pratique de leur métier et 20 % à 25 % s'y disaient hostiles.

Dans la dynamique des états généraux du numérique pour l'éducation, le ministère a sollicité plusieurs laboratoires de recherche pour l'aider à analyser les changements apportés par la crise sanitaire. Une étude du laboratoire malouin de recherche, attaché à l'université de Rennes et spécialisé dans le numérique et l'éducation, a comparé des données recueillies avant et après le premier confinement. Au lendemain de celui-ci, plus de 50 % des enseignants se déclaraient prêts à utiliser le numérique dans leur classe. Il relève de notre mission d'accompagner ces professeurs qui y voient un levier dans leur pratique pédagogique.

De fait, le confinement a obligé à se saisir à bras-le-corps de la question du numérique. Il appartient au ministère de mettre en place tous les outils nécessaires à sa valorisation. Nous travaillons à la formation et à la certification des compétences numériques, outre des élèves, des enseignants. Nous avons ainsi développé, sur la plateforme Pix, des modules spécifiques proposant aux professeurs des tests autonomes de positionnement, dans l'idée d'encourager, tout en la suivant, l'évolution de leurs compétences numériques tout au long de leur carrière. Nous comptons aussi utiliser Pix pour certifier les compétences numériques des enseignants à l'issue de leur formation initiale. La plateforme M@gistère de formation à distance ambitionne enfin de former 250 000 enseignants chaque année, à la fois au numérique et par le numérique.

Nous avons déjà évoqué l'approche développée par Canopé et sa plateforme CanoTech durant le confinement. Le repositionnement de l'opérateur en matière de formation continue renforce l'accompagnement de l'enseignant à la pratique du numérique tout au long de sa carrière.

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Ma dernière question à propos des enseignants nous donnera l'occasion d'aborder plus directement l'institution que vous représentez. Les établissements d'enseignement disposent-ils d'équipements numériques suffisants ou du moins assez récents pour permettre une bonne appropriation du numérique ? Qu'en est-il des enseignants eux-mêmes, à leur domicile ? Quelles leçons avez-vous tirées du confinement ? Je ne m'interroge pas seulement sur la disponibilité des ordinateurs mais aussi des tablettes ou des tableaux numériques. Les élèves doivent se familiariser avec les futures évolutions du numérique. Les enseignants vous semblent-ils capables de les anticiper ?

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

La question de l'équipement numérique des collèges et lycées se pose avec beaucoup moins d'acuité depuis ces dernières années. La plupart des établissements disposent du matériel nécessaire, malgré des disparités entre territoires. Le projet « territoires numériques éducatifs » ambitionne d'ailleurs de cibler les établissements désavantagés afin de renforcer leur dotation, selon les trois axes évoqués tout à l'heure. Aux enjeux d'équipement proprement dit s'ajoutent en effet ceux de la formation et de l'accès aux ressources.

À la faveur du confinement, le primaire est apparu comme le parent pauvre de l'éducation en matière de numérique. Je songe ici à la disponibilité de tableaux blancs interactifs mais aussi à ce que tout le numérique peut apporter en termes de travail collaboratif ou d'évolution de ce que nous appelons la forme scolaire au sein des écoles. Les enjeux liés à l'enseignement du premier degré s'avèrent pourtant cruciaux, car structurants.

Dans le plan de relance, le ministère a lancé un appel à projets doté de 105 millions d'euros, accordant aux communes des subventions pour renforcer leur socle numérique de base, conformément à la recommandation émise par la Cour des comptes dans son rapport de 2019. Les collectivités territoriales se sont associées, ensemble, au ministère pour mener à bien ce travail. Lors des états généraux du numérique pour l'éducation, le ministère s'est appuyé sur l'idée de ce socle numérique de base, à établir en partenariat avec les communes ou regroupements de communes gérant les établissements de primaire, avant de lancer l'appel à projets du plan de relance. La mobilisation des communes a été garante du succès de cette démarche, par laquelle le ministère a démontré sa capacité d'améliorer l'équipement des établissements scolaires.

Notre stratégie s'est en réalité surtout concentrée, depuis trois ou quatre ans, sur l'enseignement du premier degré et les enjeux de l'équipement des écoles primaires. Nous avons réattribué, au bénéfice des territoires ruraux, les crédits subsistant du Deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA2). Nous nous penchons maintenant sur le socle numérique de base du second degré en cherchant à identifier les établissements et collectivités territoriales qui accusent un retard dans leur équipement, en vue, bien sûr, d'y remédier. Le projet de « territoires numériques éducatifs » s'inscrit dans cette stratégie.

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Les professeurs de technologie, de mathématiques ou encore de sciences physiques tracent-ils, devant les lycéens des filières spécialisées dans le numérique, des perspectives sur l'avenir des nouvelles technologies ? Sont-ils capables d'anticiper leurs évolutions futures ? Parviennent-ils à répondre aux questions qui agitent notre mission, comme, à titre d'exemple, celles relatives aux usages d'une constellation de satellites en basse altitude ? Comment les enseignants intègrent-ils les réflexions qu'elles suscitent dans l'orientation de leurs élèves après le baccalauréat ? La continuité est-elle assurée entre enseignement secondaire et supérieur ?

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

Vous nous interrogez en somme sur la dimension prospective de l'enseignement.

D'abord, des partenariats noués avec des entreprises permettent aux jeunes de se projeter dans un univers professionnel au fait des dernières évolutions du numérique. La filière numérique en général, et cybersécurité en particulier, connaît, parmi les formations professionnelles actuelles, une forte croissance. De nombreux jeunes réussissent brillamment leur baccalauréat professionnel numérique pour intégrer ensuite des formations de type Brevet de technicien supérieur (BTS) ou autre. Un projet comme celui des écoles P-tech, dont j'ai visité un exemple en région parisienne, crée un pont entre les entreprises du secteur industriel numérique et les lycées professionnels. Les élèves effectuent des stages dans les sociétés partenaires, sous la tutelle d'un mentor. Ils y découvrent les évolutions les plus récentes du numérique en l'abordant sous son versant « recherche et développement », entrant ainsi de plain-pied dans leur futur milieu professionnel.

À cette première dimension s'ajoute celle de l'actualisation des connaissances et de la formation de pointe. La formation continue s'avère d'autant plus indispensable dans des disciplines comme le numérique, à l'évolution rapide et incessante. Encore faut-il qu'elle enseigne l'usage des outils les plus récents pour garantir l'insertion sur le marché du travail.

Enfin, n'oublions pas les enseignants. Voici un an et demi, a été créé un dispositif de formation des professeurs déjà en poste, désireux d'enseigner la spécialité NSI, apparue dans les programmes en 2019, comme annoncé l'année précédente. Pour la première fois depuis 1980, me semble-t-il, un nouveau CAPES a été instauré dans une discipline autre que les langues : le NSI. Face à l'impossibilité manifeste de recruter 2 000 enseignants à l'issue d'une seule session de concours, nous avons décidé de préparer les personnels de l'Éducation nationale les plus férus d'informatique, qui le souhaitaient, à enseigner le NSI.

Deux options s'offraient dès lors au ministère. La première, traditionnelle, consistait en une formation interne. Nous avons finalement choisi la seconde en créant un diplôme interuniversitaire avec 22 établissements partenaires d'enseignement supérieur (universités et grandes écoles) spécialisés dans le numérique et l'informatique, selon la démarche prospective que vous évoquiez. La dissémination de ces établissements partenaires sur tout le territoire français garantit à tout professeur la possibilité de mener à bien sa formation, d'une durée de dix-huit mois, même en cas de mutation. Nous tablions sur 1 000 à 1 200 candidats, 2 400 se sont finalement présentés. Nous en avons formé 2 000 et ouvert une nouvelle session l'année suivante.

Les types de formations que je viens de décrire présentent l'intérêt de s'adosser à la recherche tout en transmettant des connaissances techniques fondamentales sans lesquelles la dimension prospective du numérique demeurerait inintelligible.

Un effort soutenu de formation doit être maintenu tout au long de la vie pour éviter que les compétences acquises perdent de leur valeur et, surtout, pour que l'éducation nationale dispose de professeurs à la pointe des évolutions technologiques et des interrogations que celles-ci suscitent.

Le programme de la spécialité NSI ne prévoit pas seulement l'acquisition de connaissances. Sa dimension proactive, en lien avec l'éthique du numérique, oblige l'élève à se poser des questions sur les évolutions technologiques encore à venir. Peu importe que nul ne soit pour l'heure capable d'y répondre, l'important reste la capacité du lycéen à mener une réflexion techniquement informée et à penser l'avenir du numérique.

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Passons aux questions concernant le ministère proprement dit. Je vais sans doute, là encore, manquer de diplomatie, mais un rapport de l'Inspection générale de l'éducation nationale (IGEN) a signalé des risques pesant sur les données éducatives. Le rachat, par Docaposte, de la société en cause vous a visiblement rassurés.

On nous indique par ailleurs régulièrement que l'Éducation nationale a recours à des plateformes et des logiciels édités par Google, Amazon, Facebook, Apple ou Microsoft (les GAFAM). Compte tenu du mode de fonctionnement de ces entreprises, l'utilisation de leurs outils présente une menace pour notre souveraineté. Qu'en pense le ministère ? Quelles mesures comptez-vous prendre ?

Cette situation renvoie à la question des logiciels libres et à l'utilisation de données ouvertes. La présence des GAFAM au sein de l'Éducation nationale, dont j'aimerais que nous parlions, soulève des questions auprès des spécialistes du numérique, mais aussi des syndicats d'enseignants et des associations de parents.

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

Le ministère a certes essuyé des critiques par rapport à certains marchés publics passés avec des entreprises comme Microsoft. Il convient de prendre en compte le contexte historique : à ce jour, la totalité des ordinateurs du ministère fonctionne grâce à des systèmes d'exploitation de la société Microsoft. La dimension administrative de la question que vous abordez repose en grande part sur ce socle numérique déjà en place.

Il me semble toutefois pertinent de distinguer ce versant administratif du problème de celui relatif à la continuité pédagogique. Celle-ci a été assurée entre autres grâce à des outils numériques conçus par les GAFAM. Cependant, le ministère a proposé quantité d'autres dispositifs, comme les ENT ou « ma classe à la maison », alors que, dans d'autres pays européens, ce n'était pas le cas. Nous estimions en effet de notre responsabilité d'offrir une alternative aux GAFAM, dans un environnement plus souverain garantissant le respect de certaines réglementations.

Vous avez insisté sur les logiciels libres. Lors des états généraux du numérique pour l'éducation, il a été proposé d'en généraliser l'usage. Nous comptons mettre en place un véritable plan d'action au service de cet objectif. Notons que les serveurs de l'Éducation nationale reposent essentiellement sur des logiciels libres. Nous nous engageons à promouvoir leur utilisation accrue dans un cadre pédagogique, de manière à renforcer notre souveraineté. Une feuille de route est en cours d'élaboration en ce sens.

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Cette feuille de route tiendra-t-elle compte des propositions du comité d'éthique au sujet des données éducatives et de la plateforme Education data-hub ?

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

Je tiens à préciser que nous avons dû développer, à l'occasion du premier confinement, un service disponible à l'adresse apps.education.fr. Ce site met à la disposition de la communauté éducative un certain nombre d'outils sous licence libre, de partage de ressources, de plateforme de vidéos ou encore de microblogging. Il offre en somme un panel de solutions, surtout adaptées à l'enseignement du premier degré, qui ne disposait pas d'ENT. Nous avons notamment développé un outil de visioconférence du nom de BigBlueBotton, qui s'appuie lui aussi sur un logiciel libre. La feuille de route repose sur la mise à disposition de tels outils.

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Nous avons consacré beaucoup d'auditions aux données de santé, considérées comme sensibles, supposant que ce qui s'appliquait à ce type de données valait aussi, éventuellement, pour les données éducatives et scolaires, relatives à des enfants et donc à des mineurs au regard de la loi. Une polémique a surgi à propos de la plateforme des données de santé (ou Health data hub, HDH), confiée à un cloud étranger. Revenons à la plateforme Education data-hub évoquée lors de vos propos liminaires. Sera-t-elle bien hébergée par GAIA-X et donc par un cloud souverain ?

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

Nous allons héberger un certain nombre d'éléments de notre Education data-hub sur GAIA-X mais nous nous appuierons aussi sur une plateforme dédiée en tenant compte des questions que soulève l'hébergement des données. De tels enjeux relèvent de toute façon de la stratégie cloud portée par l'État et la Direction interministérielle du numérique (DINUM), loin de méconnaître leur dimension de souveraineté.

Concrètement, l'hébergement de notre Education data-hub sur GAIA-X ne semble pas envisageable avant deux ou trois ans, or nous souhaiterions que ce projet aboutisse plus tôt. Il n'est donc pas exclu que nous recourions à une autre option, éventuellement provisoire, et de toute façon en accord avec notre stratégie souveraine.

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J'attirerai votre attention sur deux points. D'abord, il faudra éviter qu'une polémique de même nature que celle qui a entouré la plateforme HDH n'atteigne l'Éducation nationale.

Ensuite, j'aimerais un éclaircissement sur les propos, qui ont beaucoup agité l'écosystème numérique, tenus par le ministre de l'Éducation nationale, la première semaine du confinement. À l'en croire, une partie des enseignements à distance n'a pu avoir lieu en raison de cyberattaques et de l'incendie de l'entreprise OVH à Strasbourg. Que s'est-il réellement passé ? Entreposez-vous aujourd'hui certaines de vos données dans un cloud et, si oui, lequel ? Les systèmes informatiques de l'Éducation nationale ont-ils été surpris par des cyberattaques d'ampleur supérieure à ce qu'ils prévoyaient ? Ces attaques ont-elles révélé des failles de sécurité dans les dispositifs d'enseignement à distance ?

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

Votre question comporte de multiples dimensions. Comprenez d'abord que, dans une audition publique, nous ne pouvons apporter que des informations limitées sur les mesures de sécurisation des services informatiques du ministère, en tout état de cause confidentielles. Notre ministère dispose d'un réseau spécifique, le Réseau national de télécommunications pour la technologie, l'enseignement et la recherche (RENATER), équipé de dispositifs suffisants pour déjouer toutes les attaques par déni de service (ou DDoS) dont il a jusqu'ici fait l'objet.

Le ministère s'appuie par ailleurs sur un certain nombre de dispositifs portés par ses partenaires. Il nous est plus difficile d'obtenir une vision précise des menaces qui les visent. Nous pouvons malgré tout affirmer que d'authentiques attaques les ont touchés la première semaine du confinement. Nul ne saurait objecter que l'éducation est de plus en plus ciblée par les pirates informatiques.

Je citerai l'exemple récent du logiciel malveillant Emotet, auquel l'Éducation nationale n'a pas échappé. Aussi bien dans les rectorats qu'au sein de l'administration centrale, nous avons toutefois réussi à le contrer ou, du moins, à éviter qu'il n'endommage durablement nos systèmes d'information.

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Permettez-moi de revenir sur l'émoi de l'écosystème face à l'attribution à l'incendie d'OVH d'une partie des difficultés rencontrées par les dispositifs de l'Éducation nationale. Je me fais l'écho de ces réactions, ayant reçu de nombreux messages sur ce sujet, en lien avec les questions de souveraineté qui nous occupent. La question du soutien à une entreprise française du cloud, une rareté dans ce secteur dominé par les GAFAM, malgré les problèmes qu'elle affrontait, a été soulevée.

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

L'incendie d'OVH n'a impacté qu'un outil spécifique des ENT parmi d'autres. Par ailleurs, nous avons essuyé quelques déconvenues à propos d'apps.education.fr, dont certains services étaient hébergés par OVH. Il nous a été très difficile de récupérer l'ensemble des données stockées sur ce cloud.

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Vous avez évoqué des partenariats avec des entreprises pour vous aider dans votre transformation numérique. Ces sociétés y trouvent-elles également leur intérêt ? Saisissent-elles ainsi une occasion de vérifier qu'elles ont développé leurs services à une échelle suffisante ? Réalisent-elles, ce faisant, une preuve de concept avant de se lancer à l'assaut du marché commercial ? Des laboratoires d'université vous apportent-ils de l'aide, en profitant en même temps pour s'aguerrir ? Des start-up vous démarchent-elles spontanément dans un but purement lucratif ? Travaillez-vous avec des start-up d'État, à savoir des émanations de l'administration visant à développer des outils à l'usage d'autres ministères aussi ?

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

Il me semble que vous vous référez aux partenariats de l'innovation évoqués plus tôt. Il s'agit en réalité d'une nouvelle forme de marchés publics se déroulant en trois temps. Notre ministère a été parmi les premiers à y recourir.

Après une première étape de recherche et développement de plusieurs mois, passant par une sélection des sociétés, durant laquelle il convient de s'assurer que la solution envisagée répond à certaines attentes, celle-ci est ensuite déployée dans un grand nombre d'établissements qui la testent. Enfin, sans devoir passer de marché, et sous réserve que les deux précédentes phases aient été concluantes, la solution se généralise, sachant qu'à tout moment, le projet peut s'interrompre, puis reprendre ultérieurement. Cette procédure innovante permet d'accompagner durablement des sociétés, en particulier des start-up, amenées à travailler spécifiquement sur des enjeux d'Intelligence artificielle.

Nous réfléchissons, dans le Quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA4), au lancement de nouveaux partenariats de l'innovation pour accompagner des sociétés amenées à mettre au point des outils répondant aux attentes des enseignants dans leur pratique pédagogique.

Nos relations avec les start-up respectent strictement les règles de passation des marchés publics. Plusieurs initiatives ont impliqué des start-up d'État. L'une d'elles a proposé une solution relative aux classes de CP à douze élèves. D'autres expériences n'ont pas abouti, du fait de la complexité de nos systèmes d'information, confrontés à des enjeux de transformation majeurs.

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Quelle place envisagez-vous pour le numérique dans l'Éducation nationale, à moyen et long terme, à la fois dans le contenu des enseignements, la manière d'enseigner et la gestion du ministère ?

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

Nous assistons à une véritable recomposition du paysage de la pratique pédagogique des enseignants. Dans le même temps, il faut bien garder en tête que les outils numériques ne sauraient en aucun cas se substituer aux professeurs. La période que nous traversons l'a amplement montré. Tout le monde en a fait l'expérience, plus ou moins cruelle.

Néanmoins, nous n'en sommes encore qu'à l'orée des possibilités qui s'offrent aux enseignants d'utiliser des outils numériques en complément d'un cours au déroulement classique, aussi bien à des fins de ce que nous appelons la remédiation, autrement dit, pour aider un élève à surmonter des difficultés ou mieux comprendre un point spécifique d'une leçon, que pour, tout simplement, lui proposer des révisions plus ludiques, via des dispositifs proches de l'environnement quotidien de ce même élève, comme calcul@TICE.

Par ailleurs, le numérique peut aider à surmonter certaines contraintes géographiques. Je songe au dispositif « devoirs faits », qui se heurte parfois aux horaires du transport scolaire des collégiens. Nous déployons des solutions innovantes comme « e-devoirs faits » (cette fois, à la maison et non plus dans l'établissement scolaire), selon des modèles pédagogiques différents. Ainsi, trois professeurs, dans une même salle, peuvent répondre aux questions posées par des élèves depuis leur domicile, voire à certaines interrogations des parents, ce qui crée avec eux une relation, autour des devoirs, complètement différente. Nous n'assistons pas là à une révolution technologique mais bien à une évolution des usages.

Les enseignants innovent en outre d'eux-mêmes, or nous souhaitons valoriser leurs initiatives, une fois leur efficacité prouvée, plutôt que de leur en imposer par la voie hiérarchique. Tout part en somme de la pratique pédagogique du professeur. Quoi qu'il en soit, il me semble probable que l'usage du numérique s'étende dans les champs que je viens d'indiquer.

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Jean-Marc Merriaux, inspecteur général de l'Éducaton nationale, directeur du numérique pour l'éducation

Revenons un instant aux enjeux liés à l'évolution du numérique. Nous avons constaté, pendant le confinement, que la technologie numérique servait surtout au transport de contenus, ainsi acheminés jusqu'à l'élève. Le potentiel pédagogique des nouvelles technologies, pour faciliter la mémorisation des leçons par leur répétition, notamment, reste encore à exploiter. Le numérique a certainement un rôle à jouer dans les enjeux de différenciation des apprentissages afin d'aider au mieux chaque élève.

Au-delà de ces questions, sur lesquelles ont porté les partenariats de l'innovation, le pilotage du ministère revêt une dimension numérique prégnante. Soulignons que nous utilisons des systèmes d'information grevés par de lourdes dettes techniques. Un travail de fond reste à mener pour améliorer la mise à disposition des données et la gestion des flux de données. Ce chantier considérable n'aboutira probablement pas avant un certain nombre d'années.

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Ma dernière question établira le lien avec l'enseignement professionnel, que vous évoquiez plus tôt. La plupart des entrepreneurs du numérique nous ont confirmé un besoin d'ingénieurs de haut niveau, dont la France dispose déjà, mais aussi de techniciens compétents, aux qualifications intermédiaires. Les jeunes issus de formations en apprentissage sont donc très attendus sur le marché du travail. Je vous confirme qu'ils ont suivi là une filière d'excellence et d'avenir.

Venons-en à l'enseignement supérieur. Comment se déroule la collaboration des établissements et du ministère ? Comment celui-ci s'assure-t-il de pourvoir en étudiants les universités et les grandes écoles ? Comment veille-t-il à la cohérence des apprentissages ? Nous poserons quoi qu'il en soit ces questions aux représentants de l'enseignement supérieur lorsque nous les auditionnerons. La confiance n'exclut pas le contrôle.

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

Notons pour commencer qu'il existe un continuum de formations. Beaucoup de titulaires d'un baccalauréat professionnel « cyber » s'inscrivent ensuite en BTS « cyber ». Des lycéens ayant opté pour la spécialité NSI entreront dans des classes préparatoires aux grandes écoles également spécialisées dans le numérique. Nous menons un travail avec les universités et les grandes écoles autour des compétences acquises par les élèves du secondaire, dans les lycées professionnels aussi bien que généraux.

Un label « campus des métiers et des qualifications d'excellence » a été créé. Des campus se sont construits autour d'une logique territorialisée d'intégration étroite de l'enseignement scolaire et supérieur. Même si aucun d'eux n'est exclusivement dédié au numérique, certains abordent ce domaine, comme le campus aéronautique à Toulouse, où est dispensé un enseignement, en informatique, de haut niveau.

L'élaboration des programmes de l'Éducation nationale et la formation des professeurs associent l'inspection générale, des enseignants eux-mêmes et, dans le cas des NSI, des universitaires, des ingénieurs et des chercheurs de grandes écoles. Ceux-ci contribuent ainsi à la construction d'un écosystème, dont ils connaîtront les tenants et les aboutissants.

Rappelons enfin que la formation des professeurs se déroule à l'université. Le fait qu'elle comporte des cours obligatoires de sciences numériques et d'informatique prouve bien la hauteur de notre niveau d'exigence.

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Souhaiteriez-vous aborder des sujets que nous aurions laissés de côté ?

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Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale)

Nous venons de brosser un tour d'horizon qui me semble assez complet.

L'audition s'achève à midi.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du mardi 4 mai à dix heures dix

Présent. – MM. Philippe Latombe, Jean-Luc Warsmann

Excusée. – Mme Frédérique Dumas