Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du mardi 27 avril 2021 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • bancaire
  • blockchain
  • crypto-actifs
  • monnaie
  • souveraineté
  • technologie
  • écosystème
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  En Marche    MoDem    UDI & indépendants  

La réunion

Source

Audition, ouverte à la presse, de M. Simon Polrot, président, et Mme Faustine Fleuret, directrice stratégique et relations institutionnelles, de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN).

La séance est ouverte à dix heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'ADAN (association pour le développement des actifs numériques) est une association professionnelle, créée en 2020, qui vise à fédérer les acteurs du secteur des crypto-actifs et de la blockchain pour faire de la France et de l'Europe des leaders dans ce domaine. Il nous a semblé important de vous entendre alors que nous cherchons à approfondir le sujet de la blockchain sous le prisme de la souveraineté numérique. Nous avons auditionné la semaine dernière la fédération française des professionnels de la blockchain, et nous nous réjouissons de vous entendre aujourd'hui.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaiterais évoquer avec vous trois sujets liminaires. Le premier concerne votre approche de la notion de souveraineté numérique. Il s'agit d'une question rituelle de cette mission, qui procède de la grande diversité des définitions existantes. J'aimerais savoir, d'une part, comment vous définissez cette notion, et d'autre part, comment la blockchain peut être un levier de souveraineté pour la France et l'Europe. À cette occasion, j'aimerais que vous nous rappeliez en quelques mots le principe de cette technologie, ses cas d'usage et son niveau de maturité, puisque cette audition est publique et ouverte à toutes les personnes pouvant s'intéresser à ce sujet.

Mon deuxième point porte sur le développement en France d'un écosystème blockchain performant. En un sens, c'est l'objet de votre association : rassembler et professionnaliser un secteur technologique en cours de construction. Comment jugez-vous l'action des pouvoirs publics dans ce domaine, alors qu'une stratégie nationale blockchain a été lancée à l'initiative du gouvernement et des acteurs de votre secteur ? Où en sommes-nous de cette stratégie aujourd'hui et quelles sont vos attentes ? J'aimerais, enfin, que vous évoquiez le sujet des crypto-actifs pour connaître le cas échéant vos propositions concernant l'évolution de leur réglementation.

Enfin, je souhaiterais que nous échangions sur la dimension européenne de la blockchain et des actifs numériques. Comment la France se situe-t-elle par rapport à ses voisins européens dans ce domaine ? Que pensez-vous de l'action de l'Union européenne en la matière ? Ceci nous permettra d'évoquer au passage l'enjeu de la force probante de la blockchain, qui est une question juridique importante, pour laquelle le législateur doit se mobiliser.

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

Notre association compte à peu près soixante-dix membres, tous dans le domaine des crypto-actifs. Nous avons donc un angle particulier, autour de la représentation de valeurs sur la blockchain. C'est le domaine dans lequel nous constatons le développement d'une réelle industrie ad hoc, avec beaucoup d'enjeux liés au développement économique, à la compétitivité de la France et à la souveraineté. Nous souhaitons que la France devienne un acteur très compétitif dans le domaine des crypto-actifs – domaine qui est en train de se développer de façon exponentielle depuis maintenant quelques années. Nous en parlons beaucoup en ce moment, mais c'est le résultat de nombreuses années de travail.

La souveraineté dans le domaine du numérique, et plus particulièrement dans celui des crypto-actifs, peut se définir comme la maîtrise par la France de son destin à l'heure du numérique, ce qui suppose de garder une forme de contrôle, de comprendre et d'anticiper les enjeux (et d'abord les enjeux numériques mondiaux), de construire une position stratégique permettant d'assurer la compétitivité économique de la France ainsi que la liberté et la sécurité des citoyens dans le cyberespace, c'est-à-dire dans l'espace numérique dans lequel citoyens et entreprises interagissent. Avoir une souveraineté numérique, c'est, à la fois, en tant qu'État, assurer une compréhension et une présence, et assurer aussi à ses citoyens une forme de protection et de liberté dans ce monde numérique.

Dans le domaine des crypto-actifs, et de la valeur numérique en particulier, les grands enjeux de souveraineté sont :

– la connaissance des technologies et des usages par les différents services de l'État, une maîtrise qui permet ensuite d'agir ;

– l'existence, l'émission d'une ou plusieurs valeurs souveraines (c'est toute la question de l'euro numérique, sous différentes formes de représentation) ;

– le déploiement d'outils publics à destination des citoyens et des entreprises sur ces réseaux publics que constituent les blockchains, qui sont un peu similaires à Internet ;

– et une régulation adaptée des usages, qui permet une protection et favorise l'innovation sur ces réseaux.

Les crypto-actifs présentent des intérêts intrinsèques du fait de leur sous-jacent technologique. Ils sont à la fois traçables, transparents, « auditables ». Il est possible d'automatiser leur transfert via les smart contracts. Il existe des enjeux de liquidité. D'autres États ont pris la mesure des avantages de ces crypto-actifs dans le système économique, et sont en train d'inciter très fortement au développement de ces cas d'usage. Il existe donc un enjeu de compétitivité lié à ces actifs. Dans une vision souveraine de ces actifs, il convient de les évaluer de façon experte, compte tenu des différentes caractéristiques qui peuvent varier selon la technologie, les niveaux de décentralisation du protocole, les règles de confidentialité, de gouvernance, de résilience, etc.

Il est très important de ne pas confondre souveraineté et technologie nationale. J'y reviens dans le contexte d'une technologie de rupture comme les crypto-actifs, en faisant le parallèle avec Internet. L'erreur qui a été faite en France fut de vouloir recréer un Internet national, de faire une version centralisée et française d'un réseau public d'échanges de données, et donc de créer le Minitel, ce qui était une mauvaise stratégie à long terme, puisque Internet a pris le dessus et que nous ne nous y sommes pas positionnés en tant que fournisseurs de cas d'usage – pas suffisamment tôt, en tout cas, et pas suffisamment fortement.

Dans le numérique, nous accusons aujourd'hui un retard sous différents aspects. Notre message consiste à dire que la blockchain est un peu comme Internet, mais pour la valeur. Ce sont des réseaux publics, accessibles, ouverts, open source. La tentation de créer une blockchain française, selon nous, est mauvaise. Nous avons déjà des réseaux qui fonctionnent et qui sont plus ou moins résilients en fonction de leurs différentes caractéristiques. Il existe un enjeu de maîtrise, mais il convient aussi de ne pas « réinventer la roue ». Utiliser les réseaux ouverts qui existent et déployer des cas d'usage sur ces réseaux nous semble être la meilleure façon de contribuer et de fournir aux citoyens des services qui leur sont réellement utiles, puisque c'est là que se situent l'attraction et l'activité économique dans ce secteur. Les blockchains publiques existantes (Bitcoin, Ethereum, Tezos, Cosmos, Volcano) doivent être regardées. Parler de blockchain nationale, à ce niveau-là, n'a pas vraiment de sens. La souveraineté sur les réseaux publics comme Internet ou les blockchains passe essentiellement par le développement de cas d'usage, la maîtrise des technologies et des réseaux existants, de leur gouvernance, et non par la création d'un nouveau réseau français. Ce serait mal diriger les efforts que de vouloir diriger un équivalent franco-français des réseaux publics qui existent aujourd'hui.

S'agissant des actifs, en revanche, les enjeux ne sont pas les mêmes. Quand on a des actifs qui sont émis par des personnes, il est important d'avoir une certaine maîtrise sur eux, et notamment de posséder des actifs souverains (l'euro numérique, par exemple). Cela fait partie des enjeux très importants en matière de représentation de valeurs. La recommandation générale est d'envahir ces réseaux plutôt que d'en créer de nouveaux.

Permalien
Faustine Fleuret, directrice stratégique et relations institutionnelles de l'ADAN

Les technologies blockchains sont un ensemble très vaste de technologies, avec des caractéristiques de décentralisation des règles de protocole qui peuvent être très différentes d'une blockchain à l'autre. Cependant, il existe des caractéristiques communes et intéressantes, notamment quant à la souveraineté numérique : la transparence, la traçabilité, l'auditabilité, qui est un aspect souvent méconnu et mal interprété de ce que sont les blockchains et les transactions sur crypto-actifs. Il est très facile de retracer les parcours des crypto-actifs sur les blockchains et d'arriver à auditer facilement ces transactions. L'automatisation par les smart contracts permet aussi, de façon très intéressante, de conditionner ce que peuvent être ces transferts dans le cas de politiques liées à des cas d'usage, mais aussi dans le cas d'une réglementation, ce qui apporte une sécurité juridique supplémentaire, grâce à la technologie.

La technologie – la façon dont sont réalisés les transferts et les transactions, la possibilité de pouvoir fractionner les actifs – apporte une certaine liquidité. Le fait que l'accès à ces actifs soit également facilité par la technologie apporte une profondeur de marché à ces crypto-actifs, qui peut parfois manquer pour certains instruments, dans le monde financier traditionnel.

L'industrie française s'est déjà très bien saisie de ces caractéristiques pour essayer de développer des cas d'usage des entreprises. Aujourd'hui, l'écosystème français des crypto-actifs se compose de 150 à 200 entreprises spécialisées dans ce domaine. Notre association compte une soixantaine de membres actifs, dont l'activité principale est liée aux crypto-actifs, tandis que d'autres membres s'y intéressent de façon périphérique. Ces soixante membres actifs représentent environ un tiers de l'écosystème global. Leur relative jeunesse et leurs effectifs relativement réduits constituent la caractéristique commune aux entreprises dont l'activité principale est liée aux start-up – on parle plus souvent de TPE, et un peu de PME. Cet écosystème est donc en maturation.

Si je dois donner quelques exemples de membres de l'ADAN et des activités que représente l'écosystème des crypto-actifs en France, ce sont bien sûr des conservateurs, des plateformes d'échange, des fournisseurs de liquidités pour ces plateformes, sur l'aspect plutôt financier, en soutien technologique des fournisseurs de solutions technologiques, d'informations, mais aussi de services de ménage que l'on voit se développer, et des produits basés sur la blockchain, mais pas nécessairement financiers, comme le transfert de capacités de calcul et de stockage grâce à la blockchain.

Nous représentons cette industrie assez hétérogène. Si l'on doit la comparer avec l'industrie américaine, nous sommes en retard de quelques cycles de marché, ce qui s'explique principalement par le fait qu'en termes de financement, il existe une énorme différence entre ce qui se passe aux États-Unis, avec une structure de financement largement occupée par les marchés, et ce qui se passe en France et en Europe, où le financement bancaire prévaut. Finalement, ce financement est beaucoup plus important dans l'industrie blockchain et crypto-actifs qu'il ne l'est en Europe, ce qui a permis le développement plus rapide de l'industrie américaine. Aujourd'hui, elle est un peu plus établie que l'industrie européenne. La maturité générale du marché américain est plus avancée. Par exemple, l'une des plus importantes plateformes crypto américaine, à savoir Coinbase, est valorisée à 40 milliards de dollars, avec 500 millions de dollars investis. La plateforme d'échange française Paymium représente 1,1 million de dollars investi, soit 0,1 % de ce que l'on voit sur Coinbase. L'ordre de grandeur est donc très différent, et explique cette différence de maturation et de maturité entre l'écosystème français et l'écosystème américain.

Pour nous montrer plus positifs en ce qui concerne l'écosystème français, nous avons pu voir, durant l'année 2020, que cette industrie se renforce, gagne en visibilité et en reconnaissance. La crise de la Covid-19 explique aussi cette croissance, avec une démocratisation plus importante des technologies blockchain et des actifs numériques durant cette période. La croissance perdure malgré le contexte. L'industrie est établie en France grâce à son cadre légal, une expertise, une ingénierie largement reconnue, ainsi que la structuration autour de l'association afin de lever quelques obstacles au développement de l'écosystème.

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

La France est un peu en retard en termes de cycles de marché, mais c'est une réalité européenne. Le marché européen est assez morcelé. L'essentiel des acteurs et des volumes sur le territoire européen, au sens large, sont localisés au Royaume-Uni et en Suisse. Finalement, parmi les pays membres de l'Union européenne et situés en Europe continentale, il y a assez peu d'acteurs significatifs. Il existe quelques exceptions de taille moyenne, des plateformes d'échange, des conservateurs. En France, Ledger est tout de même un acteur important en taille, qui a largement dépassé les autres acteurs de l'écosystème. Une des spécificités du marché européen est de se concentrer sur la fourniture de liquidités et sur les brokers.

Le marché européen est réglementairement très morcelé. Chaque pays a son approche différente, ce qui va jusqu'à une différence d'approche juridique des crypto-actifs, que certains assimilent à des actifs financiers, d'autres à des biens. D'autres encore ont créé des régimes ad hoc, comme la France avec la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (loi PACTE) – ce qui crée des distorsions assez importantes pour un acteur souhaitant aborder l'ensemble du marché européen, et qui devra mener des analyses juridiques pays par pays, ce qui constitue un vrai obstacle aujourd'hui.

Pour faire un peu de prospective, le projet de Règlement européen sur les crypto-actifs MICa (Markets in crypto-assets) et le Pilot Regime for market infrastructures based on distributed ledger technology (régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués) sont des initiatives très positives qui viennent compléter les initiatives déjà réalisées en France. MICa est très inspiré du régime français. Il s'agit d'un régime ad hoc, qui accorde un statut particulier aux crypto-actifs et aux acteurs. En tant qu'association, nous avons quelques remarques à faire sur le régime, mais son principe est très positif. Il va permettre de construire un marché unique européen des crypto-actifs, et aux acteurs européens d'aborder immédiatement l'ensemble du marché, ce qui va dans la bonne direction.

Les faiblesses du marché portent sur le financement, et sont dues à des blocages institutionnels, qui sont à la fois culturels et fonctionnels. Pour les acteurs des crypto-actifs, par exemple, il est quasiment impossible de créer des comptes bancaires, les acteurs bancaires ne souhaitant pas s'engager sur le marché des crypto-actifs. Ce refus va jusqu'au refus d'ouvrir un compte. Ce n'est pas seulement qu'ils ne souhaitent pas accompagner, c'est qu'il est impossible pour les acteurs de réaliser une activité économique en France. Les acteurs français sont obligés d'ouvrir des comptes à l'étranger pour réaliser leurs activités, ce qui pose un certain nombre de problèmes en termes d'accès au financement, d'accès à la clientèle – il est beaucoup plus difficile d' onboarder des clients quand vous avez un RIB allemand ou luxembourgeois. Un certain nombre de problèmes fonctionnels sont liés à l'accès au compte. Il est important de le dire.

Cela dit, la France possède des atouts. Ledger, par exemple, représente une belle success story. Les acteurs ont eu l'intelligence, compte tenu des problématiques locales, de se tourner très vite vers l'international. Les entreprises françaises réalisent des volumes importants avec des acteurs étrangers. Nous avons une industrie dont quelques acteurs sont assez connus dans l'écosystème crypto-actifs, en dehors de la France.

Nous ne parlons que des crypto-actifs car nous sommes concentrés sur ces cas d'usage. On y voit l'industrie se développer ainsi que les grands enjeux de souveraineté pour le futur. Les grands groupes industriels s'intéressent également à la blockchain, ce qui est positif. Nous espérons que cet intérêt pour les crypto-actifs va se généraliser, puisque, selon nous, c'est là que se situent les enjeux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous une opinion sur la force probante de la blockchain, ou des recommandations à faire ?

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

Parlez-vous de l'admissibilité de la preuve devant le juge ?

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

Pour nous, la preuve blockchain est une preuve de droit commun – je ne crois pas que la loi ait évolué. La preuve est admissible devant les tribunaux en fonction de critères de fait. La problématique de la preuve sur la blockchain est profondément liée aux enjeux de compréhension de la technologie sous-jacente, car les blockchains ne sont pas égales. Une blockchain est une technologie. La façon dont elle fonctionne, sa gouvernance, son degré de résilience et de fiabilité vont forcément avoir un impact sur la valeur de la preuve qui sera inscrite. Elle dépend de la robustesse du réseau. Plus le réseau est distribué, public, plus on a de garanties quant à la résilience et au fait qu'il n'a pas été altéré et plus l'inscription sur le réseau aura une force importante.

En outre, la blockchain ne valide pas la véracité d'une information, mais la validité de l'inscription qui a été réalisée, qui peut être la preuve d'une opération réalisée, la preuve d'existence d'un document, la preuve d'une authentification réalisée par un tiers. Tous ces éléments doivent être traités de façon ad hoc, car il s'agit de cas d'usage différents. Nous parlons beaucoup d'identité décentralisée et d'identité numérique. Un réseau blockchain public peut être le support de ce type d'authentifications, lesquelles permettent ensuite d'utiliser des preuves pour faire état de son identité, qui aurait été vérifiée sur une blockchain. Tout cela nécessiterait des ajustements, à la fois sur les modalités de détermination de l'identité et sur le caractère probant de ces preuves sur la blockchain. Nous n'avons pas encore beaucoup travaillé sur le sujet en tant qu'association, mais nous venons de constituer cette semaine un comité juridique au sein de l'ADAN. C'est un des sujets dont nous allons nous saisir cette année pour faire des propositions concrètes d'ajustement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La loi PACTE a eu un effet sur les crypto-actifs. Depuis cette loi, y a-t-il eu des régressions, des choses qui ont empêché le développement des crypto-actifs en France ? Que faudrait-il défaire, refaire ou modifier pour que l'on puisse avoir un développement important, sachant que l'un des enjeux du Brexit était de transformer la place de Paris en place financière importante. Ne sommes-nous pas en train de passer à côté de quelque chose sur les crypto-actifs ? N'existe-t-il pas deux voies parallèles, ou deux objectifs différents qui ne se rejoignent plus ?

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

La loi PACTE a été un signal très positif pour le développement de l'écosystème. Elle a encouragé de nombreux entrepreneurs à se lancer. en 2018 et 2019. Un peu moins d'un tiers des membres de l'ADAN ont été créés durant ces deux années, ce qui est un signal positif. La mise en place du régime a été et reste compliquée. Cela prend du temps. Dans un secteur innovant, il est compliqué de mettre en place une régulation nouvelle. Les régulateurs doivent s'adapter, se former. Les acteurs doivent aussi se former, car les exigences de régulation sont parfois mal comprises. Les acteurs ne viennent pas du monde bancaire et financier et les obligations sont adaptées de ces mondes-là.

La période d'ajustement, qui est toujours en cours, a été très difficile pour le secteur. Quelques acteurs ont dû fermer boutique car ils ont perdu trop d'argent pendant la période durant laquelle ils ont dû arrêter de travailler. Depuis le 18 décembre, tous les acteurs qui ne sont pas enregistrés ont interdiction d'exercer en France. Ceux qui n'ont pas eu le temps de ou qui n'ont pas réussi à s'enregistrer avant cette date ont dû de facto cesser leur activité. Pour certains d'entre eux, cela a été fatal à l'activité. Ces difficultés de mise en place peuvent se comprendre, mais il est dommage que nous n'ayons pas pu mieux anticiper. Peut-être la responsabilité est-elle partagée dans l'industrie avec les régulateurs, mais le résultat est qu'il y a eu des effets de bord plutôt négatifs de la réglementation.

Pour autant, ce qui manque est plutôt l'effectivité complète de ce régime. Le régime encadre les acteurs. Il faudrait que le reste de l'industrie, et notamment l'industrie bancaire, en prenne la pleine mesure, et qu'il y ait un droit effectif au compte, qui permette aux acteurs de se développer et à l'industrie d'avoir accès aux crédits, à des instruments bancaires performants, etc. C'est aujourd'hui un fort blocage dans le secteur. Il serait important de renforcer le soutien public de l'industrie aux crypto-actifs.

Des enjeux de souveraineté s'attachent à l'existence d'une infrastructure de marché des crypto-actifs en France. Cet enjeu n'est pas encore identifié par les décideurs. On voit se dessiner une infrastructure financière de demain, qui le sera au moins partiellement sur la base des crypto-actifs. Le fait d'avoir une maîtrise, une visibilité, une surveillance possible des flux – que ce soit les flux qui concernent les citoyens ou les entreprises – nous semble essentiel. C'est un enjeu de souveraineté très important.

Pour que cette industrie fonctionne et que l'on puisse rattraper le retard par rapport aux équivalents européens et asiatiques, l'un des axes serait de renforcer le soutien du secteur public aux crypto-actifs. Nous avons constaté que le soutien du secteur public portait davantage sur la technologie. Il est évidemment très important de maîtriser la technologie, mais le cas d'usage le plus important des crypto-actifs est souvent mis de côté, un peu mal vu : son importance est diminuée et on le voit comme quelque chose d'annexe. Nous parlons beaucoup blockchain mais pas crypto-actifs, blockchain mais pas bitcoins, etc., ce qui est pour nous une erreur stratégique, car ces marchés concentrent des enjeux de souveraineté majeurs pour le futur. Voilà les éléments que je voulais évoquer : le soutien public à l'industrie, que ce soit par les financements ou par des accès à des marchés, et le droit effectif au compte bancaire, qui permettrait aux acteurs de se développer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourquoi les banques – je ne parle pas seulement des établissements bancaires, mais aussi des banques centrales, comme la Banque centrale européenne – sont-elles aussi frileuses en ce qui concerne les crypto-actifs ? Qu'est-ce qui le justifie selon vous ? Quels sont les freins qu'il faut lever – et pas seulement juridiquement, comme dans le cas du droit au compte, que vous demandez ? Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui il n'y a pas de confiance, et qu'il y a même une méfiance à l'égard des crypto-actifs, d'où une impossibilité d'y recourir pour un certain nombre d'établissements bancaires ?

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

Les crypto-actifs se sont créés en dehors du monde financier traditionnel. C'est un outil technologique qui a été créé par des technophiles. Cela a été construit – et c'est toujours le cas aujourd'hui – par des acteurs qui ne font pas partie du monde des acteurs financiers traditionnels. Dès le départ, cela a été quelque chose d'un peu marginal. C'est d'abord un support technologique sur lequel s'est construite une valeur. Ensuite, c'est à partir de l'usage, de la création de produits autour de ce support technologique que s'est créée une industrie. C'est un phénomène inédit dans la création de la valeur – en tout cas depuis bien longtemps. Le monde financier est un monde extrêmement réglementé. Quand elles arrivent dans le secteur, même les fintechs sont déjà intégrées aux réglementations existantes. Elles demandent parfois des extensions ou la possibilité de réaliser des choses nouvelles. Des progrès sont réalisés de façon incrémentale dans la réglementation financière, mais les crypto-actifs sont disruptifs par rapport à cette industrie, puisqu'ils se construisent en parallèle. Cela s'est construit, dans un premier temps, dans une absence de réglementation, dans un vide juridique, puisque cela était complètement nouveau et que ce n'était pas capté par la réglementation existante.

Les caractéristiques particulières des crypto-actifs, qui les rapprochent beaucoup plus de biens physiques, comme l'or, que d'une monnaie telle qu'on la connaît aujourd'hui, ont entraîné beaucoup d'incompréhension. Les communautés crypto-actifs et les communautés financières se sont assez mal comprises. Elles employaient les mêmes mots, sans désigner les mêmes choses. Dans l'historique de développement du bitcoin, il y a des usages liés au marché noir, au financement d'activités illicites, etc. Il y a donc un historique un peu compliqué dans la création de ces actifs, qui a entraîné une méfiance du secteur bancaire traditionnel, et même une forme de mépris pour cet outil de geek, de technophile, qui n'était pas sérieux. C'est souvent le cas des innovations de rupture : on les considère au début comme ridicules et marginales, avant que cela ne devienne quelque chose d'important.

Une vraie transformation s'est produite dans certains secteurs d'activités, et ces usages entrent. Une collision entre le monde financier traditionnel et le monde des crypto-actifs se fait un peu dans la douleur. Nous avons une normalisation progressive de ces activités, qui sont maintenant complètement encadrées. S'agissant de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, il existe des guidances internationales et des implémentations spéciales en France. Certains acteurs sont supervisés par l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), et leurs dispositifs de lutte contre le blanchiment sont validés avant que l'activité puisse démarrer. Certains établissements « cryptos » deviennent des banques : cela devient assez régulier aux États-Unis, où de telles annonces sont effectuées tous les quinze jours. Des acteurs du paiement traditionnel s'intéressent aux crypto-actifs. Des initiatives mènent à une convergence, et finalement une utilisation de ces crypto-actifs en conservant l'intérêt de leurs caractéristiques essentielles : la possibilité de pouvoir appréhender directement l'actif, de pouvoir l'échanger de pair à pair, d'utiliser des cas d'usage innovants, etc., tout en ayant des acteurs réguliers, qui permettent de construire une infrastructure de confiance autour de ces crypto-actifs.

Le problème est le passage de la construction de tous ces outils à leur prise en compte effective par l'industrie bancaire et financière. Nous constatons un retard, qui peut être lié à de nombreuses raisons, des blocages culturels, des positions fortes prises par les acteurs bancaires ces dernières années, qui se sont prononcés contre les crypto-actifs et peuvent difficilement se dédire. Pour nous, ce n'est qu'une question de temps. Nous souhaitons accélérer ce mouvement afin que la confiance se reconstruise. Il s'agit aujourd'hui vraiment d'un problème de confiance des acteurs bancaires, difficile à appréhender, parce que nous manquons de ressorts en dehors d'envoyer des messages positifs et de montrer des gages de sérieux.

Nous constatons tout de même une assez mauvaise volonté d'un certain nombre d'acteurs dans l'industrie pour se pencher sur ce sujet sensible. Nous espérons que ce type d'initiatives – notamment ce rapport, mais d'autres également – enverront des messages plus positifs autour du développement de l'industrie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le fait que battre monnaie est l'une des caractéristiques de la souveraineté d'un État ou d'une fédération d'États, n'est-il pas en contradiction avec ce que sont des crypto-actifs, situés en dehors de cette notion ? Cela fait le lien avec la souveraineté dans notre mission d'information. Le Libra en est un exemple, initiative d'un GAFAM, qui, s'il ne s'appellera plus Libra, arrivera en 2022, si les annonces sont suivies. N'est-ce pas la raison de la crainte et de l'opposition ? On ne parvient pas à faire le lien entre crypto-actifs et souveraineté, et on va même jusqu'à opposer les deux.

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

Il existe une incompréhension des enjeux de souveraineté. Nous parlons beaucoup de monnaies privées pour désigner les crypto-actifs. C'est une erreur fondamentale, parce que les crypto-actifs natifs, comme le bitcoin, sont des monnaies communes, créées par des initiatives, mais n'appartenant pas à une personne en particulier. Des distinctions doivent être faites entre un projet privé comme le Libra et un projet d'initiative privée qui devient un commun, puisqu'une blockchain publique est par nature une open source : chacun peut l'exécuter, participer au réseau et devenir acteur du développement du réseau. C'est une grande distinction, qui n'est pas suffisamment faite. Le niveau de connaissance n'est pas suffisamment important sur cette distinction fondamentale. On confond souvent dans une même catégorie le Libra et le bitcoin. C'est une erreur très significative, en termes de concept.

Le Libra est un projet d'initiative privée de la part d'une Big Tech américaine, sur le sujet fondamental de la monnaie, puisque ce projet s'est constitué avec un objectif monétaire : une monnaie mondiale, qui serait plus ou moins stabilisée avec des paniers de devises. Effectivement, la réaction a été assez naturelle et logique de voir cette nouvelle monnaie comme une menace à la souveraineté monétaire des États. Nous rejoignons les conclusions des institutions sur cette menace : il est tout à fait cohérent de penser qu'une entreprise privée qui créerait une nouvelle monnaie mondiale n'est probablement pas quelque chose de souhaitable. Si cela se fait, il faudra que ce soit dans des cadres extrêmement stricts qui permettent de contrôler le développement de ces initiatives.

Aujourd'hui, le Libra qui s'appelle Diem a été complètement abandonné, en tout cas pour l'instant. Le projet qu'il souhaite lancer en 2022 sera juste un stablecoin dollar, c'est-à-dire un actif qui représentera un dollar. Les enjeux ne sont plus les mêmes : il s'agit d'une monnaie collatéralisée par un dollar, il n'y a même pas de création monétaire. On collatéralise en banque un dollar, et on représente le dollar sur blockchain. Cela pose tout de même des questions d'encadrement, pour être sûr qu'il existe bien un dollar derrière. D'ailleurs, la réglementation européenne prévoit un début de cadre à ce propos, même si elle est très protectrice – un peu trop, à notre sens.

Nous nous trompons en pensant que le bitcoin et ce type d'actifs sont des menaces similaires pour la souveraineté monétaire des États. Dans les faits, sur les blockchains publiques, il y a une très forte demande pour les représentations de monnaies fiduciaires, qui se développent de plus en plus. Plusieurs dizaines de milliards de dollars sont représentés sur la blockchain publique – les stablecoins. Il s'agit de dollars USDT (Tether), USDC (USD Coin), qui sont des représentations de dollars sur la blockchain publique. Nous n'avons malheureusement pas ou très peu d'équivalent européen pour des raisons de clarté réglementaire, de développement du marché. Il s'agit donc aussi d'un enjeu de compétitivité.

Nous portons des messages très ambitieux pour le développement d'une représentation d'euros sur blockchain publique qui doit se faire probablement suivant une initiative publique-privée en Europe, ou a minima avec le soutien des pouvoirs publics. Ce sont des enjeux différents. Un bitcoin ou un ethereum ne vont pas remplacer un euro. Ce n'est ni le même usage, ni la même problématique. Le rôle fondamental de ces crypto-monnaies, comme tezos, est de faire fonctionner un réseau public, et de servir de représentation de valeurs sur ces réseaux. Ce n'est pas vraiment un objectif de monnaie d'échange. Certains le souhaitent, mais ce n'est pas du tout l'usage constaté. Dès qu'il est question des monnaies d'échange, on retombe sur des stablecoins, c'est-à-dire des représentations de dollars ou d'euros, et les enjeux ne sont plus les mêmes. Il s'agit plutôt de garantir que ces représentations sont suffisamment contrôlées et matures. Nous ne sommes pas du tout face à des menaces à la souveraineté monétaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ne pourrait-on pas trouver un autre mot que celui de « monnaie » pour éviter cette confusion, ou cette opposition systématique ? Pour certains, les crypto-actifs ressemblent à des actions et peuvent avoir un cours qui fluctue, pour d'autres il s'agit d'une cryptomonnaie. Cela génère de la confusion. Le cadre européen, très protecteur, est peut-être lié au fait que nous ne savons pas exactement ce dont il s'agit, ni comment le définir. Ne faudrait-il pas utiliser un mot quasiment unique et le définir de façon claire ? N'est-ce pas le rôle d'une association comme la vôtre ?

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

Nous avons fait ce travail. Il existe tout de même plusieurs catégories d'actifs. Il est donc difficile de ne retenir qu'un seul terme. Le terme le plus large est « crypto-actifs » ou « actifs numériques ». Ce sont les termes que nous utilisons de façon interchangeable pour désigner tous ces actifs.

Ensuite, nous entrons dans le détail, en distinguant :

– d'une part, des tokens de protocole qui sont ce qu'on appelle couramment les cryptomonnaies, les tokens qui sont là pour faire fonctionner le protocole, qui sont nés du protocole, et qui sont nécessaires au fonctionnement de celui-ci ;

– et d'autre part, tous les autres crypto-actifs, créés à l'initiative d'une ou plusieurs personnes privées ou publiques pour un cas d'usage déterminé : le stablecoin qui a vocation à représenter un euro ; le security token qui a vocation à représenter un titre financier ; l' utility token, qui peut représenter plusieurs formes de services ou de biens sur une blockchain publique ; les non fongible token (NFT), dont on parle beaucoup, qui représente des objets numériques.

Nous avons créé une taxonomie, que nous pourrons bien sûr vous faire parvenir et qui est disponible sur notre site Internet, pour clarifier cette variété d'actifs et la variété de cas d'usage qui en découlent. Je vous rejoins sur la confusion entretenue autour de la notion de cryptomonnaie. Il existe toujours ce fameux débat sur le thème de : « est-ce une monnaie ? » Pour nous, cela passe complètement à côté du sujet.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous serons preneurs d'une contribution écrite sur ces éléments. Quelles modifications estimez-vous nécessaires pour permettre le développement des crypto-actifs et de leur place en Europe ou en France, et pour quelles raisons ? Devrait-on effectuer ce changement au niveau national ou au niveau européen ?

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

L'axe le plus simple et le plus évident est le financement de l'infrastructure, l'objectif étant d'avoir des entreprises de taille suffisante. Nous sommes déjà dominés économiquement, mais il s'agirait de contrebalancer cette domination par des acteurs de taille importante. Il faudrait régler ce problème d'accès au financement, problème à la fois privé et public, puisqu'il n'y a pas de financement public dans l'écosystème des crypto-actifs et que le financement privé est complètement « à la traîne », dans la mesure où il n'y a pas de connaissance fine de la part des investisseurs. Ces problématiques ne concernent pas les seuls crypto-actifs, mais sont particulièrement fortes à leur égard, car ceux-ci n'ont pas du tout accès au financement bancaire, les banques étant hostiles au secteur. Si l'on ne devait choisir qu'une action, ce serait celle-là. Il y a aussi la réglementation, mais il existe déjà des initiatives dans ce sens.

Permalien
Faustine Fleuret, directrice stratégique et relations institutionnelles de l'ADAN

Pour ma part, j'évoquerais la dichotomie qui existe traditionnellement entre la blockchain et les crypto-actifs, et à laquelle il conviendrait de mettre un terme. Il s'agirait d'avoir globalement une image plus positive et une compréhension plus fine de ce que sont ces crypto-actifs, qui sont souvent tous mis « dans le même panier », ce qui provoque des réticences du côté de l'industrie bancaire, l'approche réglementaire des institutions européennes, l'approche de la BCE.

Manque aussi peut-être, et ce qui est sous-jacent de l'ensemble, un souffle plus positif de la part des décideurs, qui permettrait une meilleure compréhension des enjeux des crypto-actifs pour la souveraineté numérique, pour l'économie et la transformation de la finance en général, et de l'ensemble des innovations que portent ces crypto-actifs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les investisseurs n'ont pas forcément une connaissance fine des crypto-actifs, ce qui complique l'investissement. Des filières d'ingénieurs, de financiers commencent-elles à se créer pour les crypto-actifs – filières, à terme, porteuses d'excellence et d'emploi ? Sinon faut-il créer ces filières ? S'agit-il d'un effet collatéral de ce que vous demandez pour les financements ?

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

Il existe des initiatives privées, des écoles privées qui ont identifié un secteur porteur et qui ont créé des filières spécialisées. Il manque peut-être une vision stratégique de la part de l'État quant à des formations dans les écoles publiques et au-delà des filières d'excellence. Avoir une formation générale sur les crypto-actifs et leurs enjeux serait extrêmement important. Il serait intéressant que l'État soit moteur d'une démarche stratégique de formation aux crypto-actifs. Nous avons des filières d'excellence, d'ingénieurs, etc. Sur le plan technique, une blockchain n'est pas incompréhensible. Un bon ingénieur français qui s'intéresse culturellement au secteur, qui a une appétence particulière, progresse très vite et peut être très bon. De nombreux Français participent aux projets en vogue dans les crypto-actifs – ce ne sont pas des projets français, mais ils travaillent pour eux. Il y a une place pour des filières d'excellence, et aussi pour une meilleure culture générale de ce secteur. Une stratégie de formation un peu construite par l'État sur ces aspects serait bienvenue.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment envisagez-vous les crypto-actifs ? Quelle est leur place à moyen et à long termes ? Les établissements bancaires et financiers ont peur de se faire détrôner, de disparaître à cause de la technologie des crypto-actifs. Est-ce une crainte justifiée ? Cela pourrait-il arriver, ou les deux vont-ils cohabiter, et cela pour longtemps ? Quelle est la place du secteur à terme ? Je vous demande votre vision. Comment cela peut-il se passer, en fonction des différentes plaques géostratégiques, si l'Europe est très en retard, que les États-Unis se développent très fortement, et qu'en réaction les Chinois en développent une, mais sous forme complètement publique ? Quels sont les éventuels écueils à éviter ?

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

Notre vision à moyen et long termes est que tout ou partie de l'industrie financière au sens large va se construire sur les crypto-actifs, sur des réseaux publics de valeurs, avec tous les cas d'usage innovants qui le permettent. Nous voyons déjà des signaux faibles de cette fusion, dans certains cas marginaux. Dans notre vision à dix ou vingt ans, l'industrie financière et l'industrie des crypto-actifs seront une même chose. Selon moi, la peur des banques s'assimile à la peur de l'industrie culturelle face à Internet. Il est inévitable que tout ou partie de la finance passe par les crypto-actifs dans les prochaines années. Toute velléité de freiner ou d'empêcher cette réalisation ne fera que provoquer un retard considérable de l'industrie bancaire et financière dans ce secteur. Elle va se trouver confrontée à des nouveaux géants qui la remplaceront, si elle ne devient pas compétitive.

Le premier signal extrêmement fort, qui est un tremblement de terre dans le système financier, est l'entrée en bourse de Coinbase ce mois-ci. Aujourd'hui, Coinbase est tellement « gros » qu'une banque ne peut pas le racheter. C'est un acteur qui offre des services sur un nouveau secteur complètement distinct du secteur bancaire, complètement parallèle. Du fait du refus d'aller dans ce secteur, un dépassement intervient déjà pour un certain nombre de cas d'usage – pas tous bien sûr. Ce signal doit être pris très au sérieux.

L'industrie bancaire et financière doit entrer de plain-pied dans ce secteur car elle est extrêmement puissante en Europe, très structurante dans l'économie et dans la manière dont l'économie peut fonctionner de façon efficiente. Si des acteurs américains acquièrent la domination sur toute l'infrastructure économique parce qu'ils sont allés vers cette économie, vers ces nouveaux actifs, alors que les Européens n'auront pas voulu le faire, nous allons nous retrouver dans un écosystème davantage dominé par d'autres pays. Nous sommes déjà complètement dominés économiquement, sur le plan des « autoroutes de l'information » d'Internet. Si l'on refait la même erreur pour les autoroutes de la valeur, nous ferons face à un vrai problème de souveraineté à long terme. Il convient de lever le plus vite possible les blocages de l'industrie bancaire et financière. C'est une urgence pour l'Europe, qui repose, beaucoup plus que les États-Unis, sur ces acteurs pour financer son économie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Y a-t-il un sujet dont nous n'avons pas parlé et que vous aimeriez mettre en lumière ?

Permalien
Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN)

Concernant l'infrastructure, des initiatives, notamment européennes ont vu le jour. Dans d'autres auditions, il a été question de l'EBSI (European blockchain services infrastructures), notamment pour l'infrastructure blockchain. Ces initiatives sont extrêmement positives. En tant qu'association, nous nous positionnons dans des réseaux publics ouverts. Nous pensons que ces réseaux vont fortement interagir avec des réseaux plus contrôlés, plus fermés (notamment l'EBSI), qui seront des réseaux hybrides, accessibles mais contrôlés par les institutions pour un certain nombre de points d'entrée et de cas d'usage.

Il nous semble essentiel d'utiliser des technologies ouvertes, connues et utilisées par le marché, afin d'assurer l'interopérabilité la plus forte. Porter des projets nationaux et internationaux d'infrastructures autour de la blockchain est extrêmement important, mais il faut s'assurer que ces projets sont compatibles avec les réseaux publics les plus importants, et qu'ils puissent créer des cas d'usage d'interopérabilité et qu'ils apportent quelque chose au marché. Le marché est déjà là. Il est en train de se développer sur ces réseaux publics. Il ne faut pas construire en « silo » une solution parallèle et séparée. Ce message vaut aussi pour les projets d'euro numérique de la Banque centrale européenne. Ces projets réellement importants sont complémentaires des initiatives privées, peuvent les porter vers l'avant et venir au soutien de l'industrie française. Ils doivent absolument se développer à l'écoute et en synergie avec les initiatives privées, pour qu'ils aient du sens pour l'industrie et pour les acteurs privés.

L'audition s'achève à onze heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du mardi 27 avril à dix heures

Présents. – MM. Éric Bothorel, Philippe Latombe, Pierre-Alain Raphan, Jean-Luc Warsmann