Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du jeudi 25 janvier 2018 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • climat
  • climatique
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  • mer
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  • océan
  • phénomène
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La réunion

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L'audition débute à onze heures quinze.

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Nous accueillons à présent pour cette seconde audition, ouverte à la presse, Mme Anny Cazenave, chercheur émérite au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS) et directeur pour les sciences de la terre à l'International Space Science Institute (ISSI), à Berne, et M. Éric Guilyardi, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d'Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN-IPSL) et à l'Université de Reading, en Grande-Bretagne, spécialiste des échanges océan-atmosphère et du rôle de l'océan dans le climat.

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Madame, monsieur, après nous avoir présenté les laboratoires au sein desquels vous travaillez, vous pourrez nous exposer les conséquences des changements climatiques sur l'océan – acidification, disparition des récifs coralliens, élévation des eaux par la dilatation liée au réchauffement des eaux et par la fonte des glaces.

Nous aimerions également savoir quel est l'impact des changements climatiques sur la formation, le développement, la fréquence et l'intensité des événements climatiques majeurs dans les zones littorales, comment vous analysez le lien entre le réchauffement des eaux de la mer et les événements climatiques majeurs, et quels sont les liens avec El Niño et La Niña.

Nous souhaitons que vous nous présentiez les connaissances actuelles sur le rôle de l'océan en tant que régulateur du climat mondial, grâce à ses échanges avec l'atmosphère. En particulier, avez-vous analysé les ouragans de cet automne, et en tirez-vous des conclusions particulières ?

Quelles seront à l'avenir les orientations prioritaires des travaux de vos laboratoires pour connaître ces phénomènes et identifier les vulnérabilités des zones côtières françaises face aux événements climatiques majeurs ?

Enfin, comment aller plus loin pour faire de l'océan une priorité dans le champ des problématiques traitées par les négociations climatiques, étant précisé qu'une résolution récente des Nations unies a ouvert la voie à la négociation d'un traité sur l'utilisation durable de la biodiversité en haute mer, les pourparlers devant débuter en septembre 2018 ?

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Anny Cazenave, chercheur émérite au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS) et directeur pour les sciences de la terre à l'International space science institute (ISSI)

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je fais de la recherche au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS), situé à Toulouse – une des sept unités de recherche de l'Observatoire Midi-Pyrénées. Employant un peu plus de cent personnes, dont une quarantaine de chercheurs, ce laboratoire a vocation à étudier l'océan, en particulier sa dynamique et son rôle dans le climat et la géochimie marine.

À l'exception de la géochimie marine, tous nos domaines d'études s'appuient essentiellement sur les données obtenues au moyen de satellites, en particulier les satellites dits altimétriques, à savoir TOPEXPOSEIDON et les satellites Jason – séries 1 à 3 –, tous développés conjointement par la France et les États-Unis, donc par le CNES et la NASA, depuis le début des années 1990. Les données obtenues au moyen de ces satellites nous fournissent des informations sur la circulation océanique, les courants, les vents de surface et les vagues, mais aussi sur l'élévation du niveau des mers résultant du réchauffement climatique.

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éric Guilyardi, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d'océanographie et du climat : Expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL) et à l'Université de Reading (Grande-Bretagne), spécialiste des échanges océan-atmosphère et du rôle de l'océan dans le climat

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, pour ma part, je travaille au sein du Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (LOCEAN-IPSL), basé à Paris, sur le site de Jussieu. C'est un des neuf laboratoires de l'Institut Pierre Simon Laplace. Bien que n'étant pas situé au bord de la mer, le LOCEAN est le plus gros laboratoire d'océanographie de France : il emploie environ 200 personnes, dont la moitié de permanents. Nous avons plusieurs tutelles : le CNRS, mais aussi l'Université Pierre-et-Marie-Curie – appelée Sorbonne Université depuis le 1er janvier 2018 –, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) – ce qui nous conduit à avoir de nombreux chantiers au Sud, en particulier dans les zones tropicales –, et le Muséum d'histoire naturelle.

Nos thématiques de recherche sont assez larges et certaines se recoupent avec celles du LEGOS, notamment lorsqu'il s'agit de comprendre la circulation de l'océan. Une grande partie de notre activité est constituée de campagnes d'observation en mer – essentiellement en milieu hauturier – destinées à comprendre le rôle de l'océan en matière climatique, mais nous effectuons également de la modélisation : le LOCEAN est le fer de lance de la modélisation européenne, avec le modèle NEMO (Nucleus for European Modelling of the Ocean), devenu plate-forme de modélisation numérique de l'océan servant pour de nombreuses applications, que ce soit en matière opérationnelle – avec Mercator Océan à Toulouse – ou en recherche fondamentale ; c'est un des cinq ou six modèles utilisés au niveau mondial pour effectuer les simulations répertoriées par le GIEC.

« L'océan, c'est la mémoire du climat » : cette phrase illustre bien le fait qu'en raison de son inertie extrêmement forte par rapport à celle de l'atmosphère, l'océan est un gardien des équilibres, mais aussi un acteur des variations lentes du climat. En effet, l'océan contient autant d'énergie dans ses deux ou trois premiers mètres de profondeur – sur une profondeur moyenne de 4 000 mètres – que toute la colonne atmosphérique. On sait aujourd'hui que 93 % du réchauffement additionnel lié à l'activité humaine est stocké dans l'océan, grâce à cette inertie.

L'océan contient des masses d'eau tenues éloignées de la surface durant de très longues périodes – on parle ici de centaines, voire de milliers d'années. En matière climatique, l'inertie de l'océan explique, entre autres, que les côtes océaniques bénéficient d'un climat plus doux en hiver : du fait de son inertie, l'océan est plus difficilement refroidi par l'hiver que ne le sont les continents.

L'océan fait partie du cycle naturel du carbone, qui comporte des échanges entre l'atmosphère et les surfaces continentales d'une part, l'atmosphère et l'océan d'autre part. La perturbation humaine, qui représente environ 10 milliards de tonnes de carbone émises chaque année, se répartit de la sorte : 25 % à 30 % sont absorbés par l'océan, 25 % à 30 % le sont par les continents – grâce aux forêts –, et ce sont donc environ 4 milliards de tonnes de carbone qui restent dans l'atmosphère, où ils sont responsables de l'augmentation de l'effet de serre et du réchauffement. Sans ce puits de carbone, cette pompe à carbone que constitue l'océan, le réchauffement serait donc bien supérieur.

La courbe du réchauffement global depuis 1880 – date à partir de laquelle on dispose d'observations qui commencent à être fiables – fait apparaître une augmentation très nette des températures depuis les années 1960, mais aussi des variations autour d'une moyenne glissante. Ces variations annuelles ou décennales s'expliquent par des variations impliquant l'océan – ainsi, une année avec un El Niño fort va correspondre à une augmentation de la température globale de la planète –, à une échelle moindre que celle de l'influence des activités humaines.

Le phénomène El Niño, « l'enfant terrible du Pacifique », se produit une fois tous les trois à sept ans. C'est un réchauffement de la partie est de l'océan Pacifique Sud, au niveau de l'équateur, considéré comme un dérèglement, durant un an, des échanges entre l'océan et l'atmosphère.

Sur une vue en éclaté du Pacifique tropical, on voit que les alizés poussent les eaux chaudes de l'équateur vers le Pacifique ouest, jusqu'à ce qu'une « piscine » d'eau chaude – à un peu plus de 30 °C, contre 25 °C pour le restant de l'océan – se constitue autour de l'Indonésie. Cette masse d'eau déplacée par les alizés est remplacée par des eaux froides venues des profondeurs, chargées en nutriments qui servent de nourriture aux poissons. La présence à l'ouest d'une masse d'eau beaucoup plus chaude que le reste de l'océan va se traduire par une différence de pression, qui va à son tour engendrer des alizés : le système s'auto-entretient. C'est ce qu'illustre le schéma qui correspond aux conditions normales dans le Pacifique tropical.Mais certaines années, ce mécanisme s'arrête, produisant ce que l'on appelle un événement El Niño. Les eaux chaudes qui étaient confinées dans l'ouest reviennent dans le centre, voire à l'est du Pacifique, et les zones de précipitations intenses qui se trouvaient au-dessus des eaux chaudes se déplacent en même temps, ce qui provoque l'apparition et le déplacement de cyclones.

El Niño se traduisant par des changements dans les mouvements de convection atmosphérique, il va avoir différents effets environnementaux, mais aussi sociétaux, sur les zones touchées. Ainsi, il va se traduire par des sécheresses en Indonésie et dans le nord de l'Australie, tandis que les côtes du Pérou seront très arrosées ; dans le sud de l'Afrique de l'Est, le climat sera sec et chaud, mais il pleuvra davantage en Californie – tous ces phénomènes étant liés par des connexions atmosphériques.

Les cyclones sont, vous le savez, des phénomènes d'origine spécifiquement tropicale, ainsi que le montre la carte ci-dessus.

Les deux ingrédients d'un cyclone sont, d'une part, la température de surface de la mer, qui doit être supérieure à 27 °C, d'autre part une atmosphère stable.

Pendant un événement El Niño, on va assister à un déplacement des zones où les cyclones ont lieu. Ainsi, en Atlantique, la stabilité de l'atmosphère devient plus problématique durant El Niño, ce qui a pour effet de rendre les cyclones plus rares dans cette zone. En revanche, dans le Pacifique, la proportion d'eaux dont la température est supérieure à 27 °C augmente durant El Niño, ce qui se traduit par une augmentation du nombre de cyclones. En 2015, la présence d'eaux très chaudes dans le Pacifique a eu pour conséquence un nombre record de cyclones – il y en a eu vingt-trois, alors que le précédent record était de dix-huit –, dont certains étaient extrêmement puissants. Patricia, qui a touché la côte ouest du Mexique en octobre 2015, a été le cyclone le plus puissant jamais mesuré, avec des vents soufflant à 320 kmh ; en octobre dernier, ce record a été battu avec Irma, qui a provoqué dans l'Atlantique des rafales mesurées à 360 kmh.

El Niño a un impact majeur sur la répartition des cyclones et sur les populations potentiellement exposées. Ainsi, la Polynésie française, où il n'y a pas d'ouragan en temps normal, peut être touchée par des épisodes cycloniques durant El Niño. Il peut exister deux liens entre El Niño et le changement climatique. D'une part, les impacts d'El Niño sont modifiés : dans la mesure où une atmosphère plus chaude contenant plus d'humidité, les pluies provoquées par ce phénomène, et les inondations qui peuvent en résulter, sont plus importantes. D'autre part, il est possible qu'El Niño lui-même soit modifié dans sa fréquence – il survient actuellement tous les trois à sept ans – et son intensité, mais les éléments dont nous disposons ne nous ont pas encore permis de l'établir avec certitude, et nous consacrons une part importante de nos recherches à cette question.

J'en viens aux coraux, des animaux marins caractérisés par leur exosquelette calcaire. Ils contribuent au cycle du carbone – comme je l'ai dit précédemment, les océans absorbent une part importante du carbone que nous émettons –, en représentant 20 % à 30 % du puits océanique. Ils peuvent également être considérés comme les « forêts » de l'océan en ce qu'ils constituent des écosystèmes extrêmement importants – environ 30 % de la biodiversité de l'océan est liée à la présence de coraux – qui représentent une ressource pour un quinzième de la population mondiale dans environ cent pays : comme on le voit, les coraux sont importants à la fois pour l'environnement et pour nos sociétés.

L'impact du changement climatique se produit en raison du réchauffement et de l'acidification des eaux. Le corail a besoin d'une eau comprise entre 25 °C et 30 °C ; si la température de l'eau reste durablement plus élevée, les algues unicellulaires vivant en symbiose avec le corail sont expulsées, ce qui provoque le blanchiment du corail et sa mort. C'est ce qui se produit durant les événements El Niño, mais les coraux ont généralement le temps de se reconstituer entre deux événements. Malheureusement, avec le réchauffement climatique, le temps de récupération dont ils disposent est de plus en plus court : ainsi, il est peu probable que les coraux ayant blanchi à la suite de l'important événement El Niño de 2015 aient le temps de se remettre avant le prochain El Niño, car celui-ci va survenir trop tôt.

L'absorption du carbone par les océans rend les eaux marines plus acides, ce qui gêne le développement de nombreux micro-organismes à coquille, les ptéropodes par exemple, qui ont besoin de carbonates pour former leur exosquelette composé de calcaire. Les zones où vivent ces micro-organismes vont se déplacer, ainsi que les poissons qui s'en nourrissent ; la conséquence pour l'homme, c'est que les zones de pêche vont à leur tour se trouver déplacées.

Les enjeux de recherche sur l'océan sont multiples, qu'il s'agisse de travailler sur les connaissances fondamentales – dans un instant, Anny Cazenave va vous parler du Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC) –, un domaine dans lequel il reste beaucoup à faire ; sur les réseaux d'observation – flotte océanique, satellites, bouées –, qu'il est important pour nous de rendre pérennes, car s'il y a des trous dans les séries de relevés, c'est comme si nous devenions myopes ; sur la modélisation et la puissance de calcul et de stockage – dont le caractère insuffisamment développé constitue actuellement un frein à certains progrès ; sur le recrutement de jeunes chercheurs – le signal actuellement adressé aux prochaines générations de chercheurs n'est pas bon, ce qui nous inquiète énormément – en effet, rien ne sert de disposer des meilleurs outils d'observation, si nous n'avons personne qui sache s'en servir.

Le rapport du GIEC intitulé « Océans et Cryosphère » montre que les impacts du changement climatique sur l'océan sont maintenant sur la table des négociations. Les services de prévision océanique, tels ceux que fournit le centre Mercator Océan, basé près de Toulouse, sont en plein développement. Les organismes de recherche ont entamé une concertation autour de l'observation du littoral, un secteur de recherche dans lequel l'Institut national des sciences de l'Univers (INSU) est particulièrement impliqué. Le paysage de la recherche en France présente la particularité d'être constitué de très nombreux instituts, dont la coordination n'est pas toujours simple : l'un des enjeux d'aujourd'hui consisterait à faire en sorte d'intégrer les différents acteurs clés. Enfin, je dirai que la France a une vocation maritime très claire et qu'il convient de faire le maximum pour que l'océanographie française conserve le leadership mondial dans ce domaine.

Mme Anny Cazenave. Je vais vous exposer l'une des conséquences du changement climatique, à savoir la hausse du niveau des mers. Comme vient de vous le dire Éric Guilyardi, la Terre se réchauffe, et la plus grande partie de l'excédent de chaleur est stockée dans l'océan : 93 % de la chaleur d'origine anthropique, c'est-à-dire due aux activités humaines, accumulée dans le système climatique depuis quarante ans, se trouve stockée dans l'océan, tandis que les 7 % restants réchauffent l'atmosphère et les continents, et font fondre les glaces.

À mesure que l'océan se réchauffe, il se dilate. Parallèlement, les glaces continentales – glaciers de montagne et calottes polaires de l'Antarctique et du Groenland – fondent, se transformant en une eau liquide qui constitue une autre cause d'élévation du niveau des mers. Ce sont les observations, réalisées par différents moyens, qui nous permettent de savoir que la mer monte et dans quelles proportions. Au XXe siècle, de 1900 à 1990, on a commencé à estimer la hausse du niveau des mers à partir d'instruments appelés marégraphes, initialement développés pour étudier les marées océaniques dans les ports. Le problème de ces instruments réside dans le fait qu'ils sont localisés le long des côtes continentales et sur les îles, ce qui ne permet pas de voir ce qui se passe en pleine mer. Par ailleurs, plus on remonte loin dans le passé, moins ces instruments sont nombreux, ce qui rend difficile la réalisation d'estimations précises. Cependant, on estime que le niveau des mers s'est élevé de 1,2 à 1,9 mm par an au cours du XXe siècle, autrement dit d'une quinzaine de centimètres.

Depuis le début des années 1990, on a également recours à l'observation spatiale, grâce à l'utilisation de satellites altimétriques. D'une part, cette technique rend possibles des mesures beaucoup plus précises, d'autre part, elle permet de couvrir la totalité des océans, au rythme d'une mesure tous les dix jours. On estime que, depuis 1993, la mer a monté de 3 mm par an en moyenne, soit deux fois plus vite que durant les décennies précédentes.

La courbe ci-dessus présente l'évolution du niveau moyen global de la mer depuis 1993. Nous disposons de données plus précises à partir de cette date suite au lancement par la France du satellite TOPEXPOSEIDON en août 1992.

Nous voyons que la mer monte, mais surtout que cette montée des eaux s'accélère. La courbe noire illustre cette accélération, et les petites oscillations correspondent aux phénomènes El Niño ou La Niña : pendant le phénomène El Niño, il y a plus d'eau dans l'océan et le niveau est un peu plus haut, pendant La Niña, c'est l'inverse.

Outre l'altimétrie spatiale, nous disposons d'autres systèmes d'observation – satellites, mesures in situ – qui permettent d'estimer la contribution relative des différents phénomènes à la hausse moyenne du niveau de la mer. Nous sommes ainsi capables de dire que l'accélération constatée est essentiellement due à une accélération de la perte totale de masse des deux calottes polaires, et en particulier du Groenland, que nous pensons liée au réchauffement.

Les satellites nous ont aussi permis de découvrir que la mer ne monte pas de façon uniforme. Dans certaines régions, elle monte plus vite que dans d'autres.

La carte montre, à chaque point de l'océan, la tendance entre 1993 et 2016. Nous voyons bien que dans l'océan austral, et en particulier dans l'Océan Pacifique tropical ouest, le niveau est monté beaucoup plus vite que la moyenne. On peut estimer que lors des vingt-cinq dernières années, pour lesquelles nous disposons de mesures précises, la hausse y a été de vingt-cinq centimètres, ce qui commence à faire beaucoup. Inversement, la mer est montée un peu moins vite en métropole.

Outre-mer, la Polynésie, comme la métropole, connaît une montée des eaux moins rapide que la moyenne. Ce n'est pas vrai en Nouvelle-Calédonie ou à La Réunion, où le niveau monte un peu plus vite que la moyenne. Aux Antilles, la hausse est conforme à la moyenne.

Mais il est important de mentionner que ces observations ne valent que pour les vingt-cinq années passées ; elles ne permettent pas d'extrapoler pour le futur.

À quelle élévation devons-nous nous attendre pour le futur ? Le dernier rapport du GIEC donnait une fourchette comprise entre 40 et 75 centimètres pour les deux scénarios extrêmes. Le scénario de la COP21, qui prévoit une élévation de la température limitée à deux degrés, entraînerait une hausse de 40 centimètres du niveau moyen des mers, tandis que dans le scénario pessimiste, selon lequel nous continuerions à émettre au même rythme qu'aujourd'hui, la hausse serait de 75 centimètres.

Ces deux scénarios correspondent à la zone grisée que vous voyez sur le graphique ci-dessous.

Cette courbe représente l'évolution du niveau moyen de la mer depuis 1800. En bleu, ce sont les données du XXe siècle, en vert les données des satellites des vingt-cinq dernières années. La zone grisée, qui correspond à peu près au dernier rapport du GIEC, est aujourd'hui considérée comme une limite inférieure ; autrement dit, elle est sous-estimée. Des études très récentes suggèrent que l'Antarctique, à lui seul, pourrait contribuer à une hausse de 1 mètre du niveau des mers en 2100. Ces résultats se fondent sur des instabilités dynamiques que nous n'observons pas encore aujourd'hui, mais qui sont possibles au cours des prochaines décennies. Au final, si l'on ajoute des autres facteurs tels que la contribution de la fonte des glaciers de montagne et la dilatation thermique de l'océan, nous arrivons à une fourchette comprise entre 1,5 et 2 mètres.

La carte montre ce que seraient les conséquences d'une hausse de 1 mètre du niveau de la mer, tout à fait plausible d'ici à la fin de ce siècle, sur la Camargue ; dont les zones visibles sur la carte seraient inondées de manière permanente.

Jusqu'à présent, nous avons parlé de la moyenne globale du niveau de la mer. Une variabilité régionale vient s'y superposer. À l'horizon 2100, cette variabilité ne sera pas déterminée par les mêmes phénomènes qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, elle est principalement liée à la variabilité naturelle interne du système climatique. Ce facteur continuera bien sûr de produire des effets dans le futur, mais s'y superposera une variabilité régionale due à d'autres phénomènes, négligeables aujourd'hui. En particulier, l'eau issue de la fonte des glaces va se répartir dans l'océan, et comme la Terre est solide, mais pas rigide, les bassins océaniques vont se déformer. Aujourd'hui, ce phénomène est minime, nous ne sommes pas capables de l'observer, nous ne pouvons que le prédire par la théorie ; mais comme davantage de glace va fondre dans le futur, nous nous attendons à ce qu'il devienne important.

La variabilité régionale va ainsi entraîner une amplification de la hausse de la mer dans les tropiques. Si la mer monte en moyenne de 1 mètre, cette hausse atteindra à peu près 1,30 mètre dans toute la zone tropicale. D'autres régions connaîtront une amplification identique, tandis que certaines connaîtront une hausse légèrement moindre.

Ce qui importe, ce n'est pas la moyenne globale ou la variabilité régionale, mais ce qui va se passer au niveau des zones côtières. D'autres phénomènes, dont je n'ai pas encore parlé, vont devenir déterminants. À la côte, ce qui compte est la variation totale du niveau de la mer, qui résulte de la hausse moyenne globale, de la variabilité régionale, des effets océanographiques locaux – liés aux courants côtiers, à l'effet des vagues – et des mouvements verticaux de la croûte terrestre. Or, dans beaucoup de zones côtières, le sol s'enfonce à cause des activités humaines, notamment du fait de l'extraction de l'eau des nappes phréatiques ou de l'extraction d'hydrocarbures offshore. Aujourd'hui, dans de nombreuses mégalopoles, notamment en Asie du sud-est, ce phénomène est bien plus important que la hausse du niveau des mers lié au réchauffement climatique. Tokyo, Bangkok ou Djakarta se sont enfoncées de plusieurs mètres au cours des dernières décennies à cause du pompage de l'eau dans les nappes aquifères. Le sol s'enfonce aussi dans les deltas des grands fleuves.

Les effets océanographiques locaux peuvent être dus à des processus naturels tels que les courants côtiers, l'effet des vagues, l'apport d'eau douce par les fleuves. Ils peuvent aussi être la conséquence d'activités humaines : la construction de barrages sur les fleuves diminue les apports sédimentaires à la côte, le dragage ou le rechargement en sable va modifier la bathymétrie, et ces modifications auront une incidence sur la hausse du niveau de la mer.

Tous ces phénomènes sont encore mal compris à grande échelle. Dans certaines zones, on commence à bien les observer, mais à l'échelle de la métropole ou de l'outre-mer, on ne comprend pas tous ces processus qui interagissent de façon non linéaire. Il y a un grand besoin d'observation et de modélisation, car in fine, l'élément essentiel de l'impact de la hausse du niveau des mers, c'est ce qui se passe à la côte.

Je terminerai en appuyant les propos de M. Éric Guilyardi : il est nécessaire d'observer les zones littorales avec différents systèmes d'observation, en utilisant le spatial et les mesures in situ, et surtout d'intégrer toutes les mesures. Actuellement, il n'existe pas de base de données intégrant les différentes observations utilisables pour vraiment comprendre l'évolution des littoraux, en particulier le rôle de la hausse de la mer à la côte.

Aujourd'hui, nous ne savons pas dire si la hausse de la mer dans les zones côtières est la même qu'au large. L'outil altimétrique est très bien adapté pour étudier l'océan hauturier, mais pour la bande de 10 ou 20 kilométriques le long de la côte, ces mesures sont inutilisables : les échos radar émis par le satellite, qui se réfléchissent à la surface de la mer, sont perturbés par les terres émergées. Tout un programme de recherches doit être mené pour exploiter ces mesures avec des méthodes de traitement radicalement différentes de celles utilisées pour le large. C'est une thématique émergente, de premiers efforts sont menés, mais ils ne nous permettent pas encore d'avoir des observations permettant de dire si la mer monte à la même vitesse à la côte qu'au large.

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Merci de ces présentations.

Lors du passage de l'ouragan Irma sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy, nous avons dû faire face pour la première fois à un effet de submersion de nos côtes. Allons-nous vivre ce genre de phénomène de plus en plus souvent ? C'est nouveau pour nous ; dernièrement, une « zone rouge », non constructible ou constructible en respectant certaines contraintes, a été définie.

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éric Guilyardi, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d'océanographie et du climat : Expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL) et à l'Université de Reading (Grande-Bretagne), spécialiste des échanges océan-atmosphère et du rôle de l'océan dans le climat

Effectivement, Robert Vautard le disait lors de l'audition précédente : avec une tempête de même force, le fait que le niveau de la mer soit monté de quelques dizaines de centimètres augmente le risque de submersion. Quelques dizaines de centimètres peuvent sembler peu, mais la différence va se remarquer lors d'événements extrêmes.

Il y a deux causes de montée de la mer pendant une tempête. Tout d'abord, il s'agit d'une dépression, et si la pression est plus basse dans la tempête, elle est plus haute ailleurs. L'air va appuyer sur l'océan dans d'autres endroits, et moins au coeur de la dépression : du coup, le niveau de la mer y monte. La submersion est aussi causée par les vagues.

Du fait de la hausse du niveau moyen des mers, les seuils de submersion seront plus facilement atteints, même avec des tempêtes de même force. Si l'on ajoute à cela que les ouragans sont de plus en plus puissants, en effet, le risque de submersion augmente. Les indications selon lesquelles il y aurait un peu moins d'ouragans à l'avenir, mais plus puissants, font encore l'objet de recherches.

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Anny Cazenave, chercheur émérite au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS) et directeur pour les sciences de la terre à l'International space science institute (ISSI)

Nous observons déjà une corrélation entre la hausse lente du niveau de la mer et l'élévation maximum lors des tempêtes. Plus la mer est haute, plus l'élévation maximum sera importante, et plus les terres seront frappées par des inondations.

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Monsieur, vous avez commencé votre présentation en parlant de l'océan, mémoire du climat.

Depuis 2015, à Saint-Pierre-et-Miquelon, une étude est en cours sur les fluctuations peu communes de la température de l'eau. On a pu mesurer des variations de dix degrés en vingt-quatre heures entre le fond et la surface. Les chercheurs de l'Université de Bretagne occidentale et du CNRS essaient d'expliquer ce phénomène.

Autre particularité, nos eaux sont peuplées par une coquille, le pétoncle noir d'Islande, qui peut vivre très longtemps : certaines ont atteint l'âge de 500 ans. La coquille de cet animal enregistre les fluctuations de l'environnement : qualité de l'eau, température, etc.

D'après les explications des chercheurs, ils sont capables de remonter presque à la minute pour connaître la qualité de l'eau à telle date précise de notre histoire, pratiquement à la minute près… Les études se poursuivent, avec l'idée d'utiliser le vivant comme sentinelle des fluctuations climatiques. Mme Cazenave parlait des différents systèmes d'information permettant de récolter un maximum d'informations sur la durée ; je voulais vous faire part de ces recherches en cours actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon.

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éric Guilyardi, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d'océanographie et du climat : Expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL) et à l'Université de Reading (Grande-Bretagne), spécialiste des échanges océan-atmosphère et du rôle de l'océan dans le climat

L'un des défis qui se posent à nous est de recueillir des observations sur le passé, quand nous n'avions pas les appareils de mesure dont nous disposons actuellement : thermomètres, satellites ou réseaux de bouées. Nous utilisons alors des mesures indirectes, comme celle dont vous venez de faire part, notamment le corail ou les coquilles. Je ne suis pas certain que nous arrivions à une précision à la minute près deux cents ans en arrière ; à l'année près, ce serait déjà bien ! Les cernes de croissance d'arbres ou les stalagmites peuvent également servir de thermomètres indirects pour nous renseigner sur le passé.

L'un des enjeux de recherche est de reconstruire les variations du climat passé, les dernières décennies, mais aussi les dernières centaines ou milliers d'années. C'est un gros enjeu de recherche.

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Madame Cazenave, vous disiez que la montée des eaux n'était pas égale selon les endroits. La carte que vous avez montrée laisse apparaître une différence en Méditerranée entre le Golfe du Lion et la mer Tyrrhénienne.

J'aurai souhaité en savoir davantage sur les côtes du littoral varois. L'augmentation du niveau de la mer y est-elle supérieure à la moyenne ?

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Anny Cazenave, chercheur émérite au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS) et directeur pour les sciences de la terre à l'International space science institute (ISSI)

Hélas, je ne suis pas capable de répondre à votre question car il n'y a pas eu d'étude fine.

Les variations régionales du niveau de la mer sont dues, pour l'essentiel, à la variation non uniforme de la dilatation thermique de l'océan. Ce sont des effets thermiques : là où il y a plus de chaleur stockée, la mer monte plus vite.

Le gros plan sur la France que je vous ai présenté montre seulement que la situation y est moins grave qu'ailleurs, le niveau de la mer monte mois vite que dans l'océan Pacifique tropical ouest. Beaucoup d'études ont été menées pour expliquer pourquoi l'eau monte trois fois plus vite que la moyenne dans cette zone, et nous savons que c'est lié à l'intensification des alizés lors des vingt-cinq dernières années, qui ont fait plonger la thermocline, la limite entre les eaux chaudes de surface et les eaux plus froides. Plus de chaleur étant stockée dans l'ouest du Pacifique que dans l'est, la mer y monte plus vite.

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éric Guilyardi, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d'océanographie et du climat : Expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL) et à l'Université de Reading (Grande-Bretagne), spécialiste des échanges océan-atmosphère et du rôle de l'océan dans le climat

Une bonne part de ces signaux locaux sont liés à la variabilité du climat. Ces cartes font état d'observations sur vingt ans, nous savons qu'il y a des variations de l'océan qui durent sur de telles périodes. Dans le Pacifique, nous avons constaté que l'accélération des alizés, qui s'est poursuivie pendant dix ou quinze ans, est maintenant terminée. Plus d'eau chaude s'est ainsi empilée dans l'ouest du Pacifique.

C'est pour cette raison que nous avons une grande incertitude au niveau local. Nous n'avons pas tous les éléments pour répondre à cette question.

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Anny Cazenave, chercheur émérite au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS) et directeur pour les sciences de la terre à l'International space science institute (ISSI)

L'altimétrie spatiale ne nous permet pas de savoir de combien la mer monte exactement à la côte ; nous faisons des extrapolations, mais au niveau de la côte varoise, nous ne pouvons pas répondre aujourd'hui.

De nouveaux programmes de recherche sont menés pour exploiter toutes les mesures d'altimétrie le long des zones côtières, et nous serons capables de répondre d'ici un an ou deux.

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Il serait peut-être utile que nous sollicitions de l'État des études, puisque nous sommes chargés d'étudier l'impact des événements climatiques sur nos littoraux.

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Anny Cazenave, chercheur émérite au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS) et directeur pour les sciences de la terre à l'International space science institute (ISSI)

Un programme soutenu par l'Agence spatiale européenne va bientôt démarrer d'ici à deux ou trois mois, précisément pour permettre d'avoir des observations interprétables au niveau des côtes, dans une bande littorale des dix kilomètres. Il va s'intéresser de manière prioritaire à l'Europe occidentale, la Méditerranée et l'Afrique de l'ouest. En Europe occidentale et en Méditerranée, nous avons beaucoup de marégraphes et nous savons donc de combien la mer a monté au cours des dernières années ; mais en Afrique occidentale, où se concentre une population considérable, il n'y en a qu'un seul entre le détroit de Gibraltar et le Golfe de Guinée, situé à Dakar. On ne sait donc absolument pas de combien la mer a monté à la côte entre le Sénégal et le Golfe de Guinée. Nous avons grand espoir de récupérer ces observations et de les rendre prochainement interprétables.

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L'acidification des océans est-elle une réaction thermodynamique réversible ou irréversible ? Si c'est réversible, cela obéit-il à un phénomène « tampon » ? Dans ce cas, quels facteurs naturels seraient de nature à enclencher le mouvement inverse ?

Vous avez, Madame Cazenave, montré l'élévation du niveau de la mer et de ses perspectives pour 2100. S'agit-il d'une augmentation exponentielle ?

Vous avez également évoqué l'insuffisance des moyens mis en oeuvre pour étudier le littoral. Je suis député du Calvados, où a été observé ces derniers temps un recul du trait de côte, parfois sur quatre mètres, parfois avec des excavations sur trois mètres d'un seul morceau, comme à Lion-sur-Mer. Cela prouve l'insuffisance des moyens et nécessiterait que l'État mette à disposition des outils pour appréhender cette réalité : on voit bien sur le terrain que le littoral recule.

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éric Guilyardi, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d'océanographie et du climat : Expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL) et à l'Université de Reading (Grande-Bretagne), spécialiste des échanges océan-atmosphère et du rôle de l'océan dans le climat

Si l'océan tenait dans un verre d'eau, on pourrait faire toute la chimie que l'on veut et rapidement… Le problème, est que son étude et ses évolutions font intervenir des contraintes de temps très longues. Dès lors que l'activité humaine commence à le perturber, que ce soit en acidification ou en excès de chaleur, c'est parti pour des centaines d'années. On voit de temps en temps émerger des idées d'apprenti sorcier, de géo-ingénierie, mais en réalité la solution la plus à notre portée est de réduire les sources d'acidification, c'est-à-dire les émissions de CO2. Et on sait que cela marche…

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C'est donc irréversible, c'est-à-dire que la réaction inverse, qui contribuerait à réduire l'acidité, n'a pas lieu naturellement ?

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éric Guilyardi, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d'océanographie et du climat : Expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL) et à l'Université de Reading (Grande-Bretagne), spécialiste des échanges océan-atmosphère et du rôle de l'océan dans le climat

Elle a lieu, mais à une échelle de temps de plusieurs centaines à plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d'années. La vitesse à laquelle l'océan s'acidifie n'a pas d'équivalent dans le passé ; il a existé des niveaux d'acidification bien plus élevés mais cela avait pris des centaines de milliers d'années pour y arriver et pour en sortir. Tout est réversible, mais tout dépend de l'échelle de temps considérée.

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Anny Cazenave, chercheur émérite au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS) et directeur pour les sciences de la terre à l'International space science institute (ISSI)

C'est vrai aussi pour le niveau de la mer : c'est réversible mais peut-être pas avant plusieurs siècles. Nos courbes s'arrêtent en 2100, mais nous pourrions les prolonger au-delà. L'allure de la trajectoire dépendra de l'évolution des émissions de gaz à effet de serre, que nous ne connaissons pas. Nous ne savons pas si nous allons vers le scénario de la COP21 ou si nous resterons dans le « business as usual » avec les mêmes niveaux d'émissions qu'aujourd'hui.

La surveillance des zones littorales est quelque chose d'extrêmement important. Il faut mettre en oeuvre des programmes de surveillance systématique ; ce n'est pas possible sur toutes les zones côtières du monde mais on peut le faire sur des zones considérées comme vulnérables, en métropole et dans les outre-mer français. L'impact de la hausse du niveau des mers sur les littoraux ne prend en considération qu'un phénomène, mais on veut connaître les différents facteurs de forçage qui agissent sur les côtes et sont responsables de l'érosion du littoral : les changements de la bathymétrie, la hausse du niveau des mers, le régime des vagues, les courants, les précipitations, les apports d'eau douce dans les estuaires… Les observations existent mais ne sont pas intégrées. Il faut recueillir des observations, depuis le sol mais aussi depuis l'espace, à la fois sur ces facteurs de forçage et sur la réponse du littoral à ces forçages : recul de la côte, érosion, modifications de la morphologie de la côte et de la topographie des fonds…, et toutes ces observations doivent être mises ensemble.

Je vous ai apporté quelques exemplaires d'un article que j'ai co-écrit et récemment publié dans un journal américain, à la suite d'un forum que j'avais organisé à Berne, en Suisse. L'article s'intitule « Monitoring Coastal Zone Changes from Space ». Nous montrons qu'il existe des observations qui pourraient, si elles étaient intégrées, nous apporter des éléments de réponse très importants sur l'évolution des littoraux… À ceci près que cette intégration est pour l'heure inexistante. Il faut mettre en oeuvre des programmes qui intègrent les observations, développer de nouvelles observations, pourquoi pas avec des drones dans certaines régions, où ils sont tout à fait adaptés, choisir des régions particulières et y développer des programmes pérennes pour comprendre l'évolution du littoral, les facteurs les plus déterminants, la façon dont ils interagissent. Nous sommes encore dans le brouillard aujourd'hui.

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Madame Cazenave, monsieur Guilyardi, vous travaillez sur les écosystèmes marins et les flux de CO2 avec une approche intégrée qui inclut des études de physiologie cellulaire, la caractérisation des processus biogéochimiques in situ et la modélisation biogéochimique aux échelles régionales et globales. Vous développez des outils numériques pour la modélisation, la résolution des modèles de biogéochimie marine. Ces outils vous permettent-ils aujourd'hui d'évaluer l'impact d'un cyclone sur les écosystèmes marins et leur temps de régénérescence ?

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éric Guilyardi, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d'océanographie et du climat : Expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL) et à l'Université de Reading (Grande-Bretagne), spécialiste des échanges océan-atmosphère et du rôle de l'océan dans le climat

La biogéochimie n'est pas directement mon domaine d'expertise, mais j'ai des collègues qui travaillent sur ces questions. La biogéochimie de l'océan est un système complexe qui n'est pas observé depuis longtemps dans toutes ses dimensions. Il faut représenter les différents flux de particules chimiques, et voir comment la biologie les utilise, les réservoirs de plancton et de phytoplancton, les échanges entre les différentes espèces et les nutriments. C'est un travail à part entière, quelque que soit l'échelle spatiale considérée. Ces modèles nous permettent d'avoir une idée de l'acidification de l'océan, de l'absorption de carbone au niveau global.

Au niveau local, des études se développent afin de mettre au point des modèles intégrés, océan, atmosphère, vagues et côtes, à l'échelle de quelques centaines de mètres, pour reproduire les échanges physiques : l'impact des vents sur l'océan, le retour de l'océan vers l'atmosphère, les vagues… Mais nous n'en sommes qu'au stade du développement, pas encore à y ajouter la partie biogéochimique. Ces modèles sur quelques centaines de mètres de résolution, comme en Nouvelle-Calédonie ou à La Réunion, exigent une puissance de calcul extrêmement importante ; s'il faut rajouter de la biogéochimie, avec une vingtaine d'espèces chimiques qui interagissent entre elles, cela accroît la taille informatique du modèle de façon considérable. À ma connaissance, cela ne se fait pas encore à l'échelle dont vous parlez.

L'audition s'achève à douze heures quinze.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 25 janvier 2018 à 11 h 00

Présents. - M. Bertrand Bouyx, M. Lionel Causse, M. Stéphane Claireaux, Mme Claire Guion-Firmin, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, M. David Lorion, M. Philippe Michel-Kleisbauer

Excusée. - Mme Maïna Sage