Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du jeudi 25 janvier 2018 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • atmosphère
  • climat
  • climatique
  • cyclone
  • intensité
  • modèle
  • vent
  • évolution
  • événement
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La réunion

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L'audition débute à neuf heures trente-cinq.

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Mes chers collègues, en l'absence de Mme la présidente Maina Sage, il m'incombe d'assurer la présidence et donc d'accueillir M. Robert Vautard, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE), M. Bernard Legras, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique à l'École normale supérieure (ENS), et Mme Ludivine Oruba, maître de conférences à l'Université Pierre et Marie Curie au Laboratoire atmosphères, milieux et observations spatiales (LATMOS). Je vous souhaite la bienvenue. Cette mission a un point d'entrée unique : l'impact des risques climatiques majeurs sur les zones littorales. Mais, on le voit dans son intitulé même, le champ des sujets d'étude est extrêmement vaste : prévention, information des populations, organisation des secours, indemnisation, etc. Nous avons logiquement débuté nos travaux par une approche scientifique, qui vise notamment à savoir si l'influence de l'activité humaine et le réchauffement climatique ont une incidence sur les cyclones et les tempêtes.

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Pouvez-vous nous présenter le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, le Laboratoire de météorologie dynamique à l'ENS et le Laboratoire atmosphères, milieux et observations spatiales ? Quelles sont vos recherches prioritaires en matière de prévision du temps et d'évolution du climat ?

Pourriez-vous nous présenter les différents événements climatiques majeurs pouvant affecter les zones littorales françaises, en hexagone et outre-mer ? Quels travaux réalisez-vous sur la formation, le développement, la fréquence et l'intensité des événements climatiques majeurs dans les zones littorales ? Quel est l'impact des changements climatiques sur ces événements ? Sur quels types de modélisation du climat appuyez-vous vos recherches ?

Comment analysez-vous le lien entre le réchauffement des eaux de la mer et les événements climatiques majeurs ? Quels sont les liens entre El Niño et La Niña ? Avez-vous analysé les ouragans de cet automne ? En tirez-vous des conclusions particulières ?

Quelles sont les zones littorales françaises les plus vulnérables aux événements climatiques majeurs ? Quelles sont, dans ces zones, les différentes caractéristiques de la vulnérabilité ? Quelles recommandations peut-on tirer de ces connaissances pour les décennies à venir ? Quelles seront les orientations prioritaires de la recherche ?

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Ludivine Oruba, maître de conférences à l'Université Pierre et Marie Curie, Laboratoire atmosphères, milieux et observations spatiales (LATMOS)

Avec mes collègues, nous nous sommes répartis vos questions en fonction de nos domaines de compétences et interviendrons donc à tour de rôle sur une thématique bien précise.

Mes activités de recherche concernent les mécanismes de formation et d'intensification des cyclones tropicaux. Je vais donc présenter ce que l'on sait de la physique de ces événements extrêmes, en me concentrant sur les aspects importants dans leur formation et leur intensification, sur les outils dont disposent les chercheurs pour essayer de les comprendre et sur les difficultés rencontrées par les scientifiques dans leur compréhension de ces phénomènes extrêmes.

Je mène mes recherches en tant que maître de conférences à l'université Paris VI, devenue depuis le 1er janvier 2018, Sorbonne universités. Dans le cadre de mes activités de recherche, je suis rattachée au Laboratoire des atmosphères, milieux et observations spatiales (LATMOS), unité mixte de recherche sous tutelle du CNRS, de l'université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et de Sorbonne universités.

Les activités de recherche de ce laboratoire portent sur les mécanismes physiques et chimiques dans l'atmosphère, sur les interactions entre l'atmosphère et la surface et sur l'étude d'autres objets du système solaire. Le LATMOS a une forte composante instrumentale puisqu'il conçoit et développe de nombreux instruments, pour des mesures in situ ou par satellite, en étroite collaboration avec le Centre national d'études spatiales (CNES). Son activité et son expertise sont reconnues dans l'analyse des observations spatiales.

Les cyclones tropicaux sont les événements climatiques majeurs dans les zones littorales des outre-mer. Ils concernent les territoires dans une bande tropicale située entre environ dix et trente degrés dans l'hémisphère nord et dans l'hémisphère sud. Du point de vue scientifique, les cyclones tropicaux présentent un grand nombre de problèmes non résolus. Ce sont des objets extrêmement complexes, nécessitant des conditions environnementales précises pour se développer. On connaît les conditions nécessaires à la formation d'un cyclone tropical, mais elles ne sont pas suffisantes : ce n'est pas parce qu'elles sont réunies qu'un cyclone tropical va se former.

Entre autres conditions, l'océan doit être suffisamment chaud – la température doit être supérieure à 26,5 °C dans les cinquante premiers mètres de l'océan – et les vents assez uniformes dans les dix premiers kilomètres de l'atmosphère : le cisaillement vertical doit être faible, inférieur à huit mètres par seconde. Dit autrement, le cyclone a besoin d'une structure verticale cohérente : il s'incline et donc s'affaiblit en présence de cisaillement. Évidemment, d'autres paramètres environnementaux sont importants, mais ces deux éléments sont essentiels.

Cet automne, l'océan Atlantique était particulièrement chaud – plus un à deux degrés par rapport à la moyenne saisonnière – et le cisaillement vertical du vent dans la région des Caraïbes particulièrement faible. Nous étions donc en présence de conditions extrêmement favorables au développement des ouragans – terme utilisé pour nommer les cyclones tropicaux dans les régions des Caraïbes.

Les paramètres de l'environnement, quant à eux, dépendent de la variabilité naturelle du système climatique et du changement climatique dû aux activités anthropiques. Mais il n'est pas du tout évident de distinguer ces deux effets. Mme Valérie Masson-Delmotte vous en a parlé la semaine dernière et mes collègues vont vous en parler dans quelques instants. Le phénomène El Niño, par exemple, relève de la variabilité naturelle du système climatique et a un effet sur la cyclogénèse tropicale : la Polynésie française est généralement peu sujette aux cyclones tropicaux – car protégée par un cisaillement vertical du vent. Mais ce cisaillement s'affaiblit pendant les épisodes El Niño et le risque cyclonique augmente. Dans le bassin des Caraïbes, c'est l'inverse : pendant un épisode El Niño, le renforcement du cisaillement vertical entraîne une diminution du risque cyclonique.

Cet exemple résume bien nos deux axes de recherche : le premier concerne la compréhension du phénomène en lui-même, dans un environnement donné, et le second concerne la prédiction de l'évolution du climat, et donc l'évolution des paramètres de l'environnement. J'interviens ici au titre du premier axe de recherche : la compréhension du phénomène en lui-même, dans un environnement donné. Il reste beaucoup de questions ouvertes sur les cyclones tropicaux, l'une des difficultés étant que les équations de la physique régissant ces phénomènes extrêmes sont dites « fortement non linéaires » à cause des vents forts du cyclone. Cela signifie que certains termes dans les équations de la physique, habituellement négligés, ne sont pas négligeables dans le cas des cyclones tropicaux. C'est ce qui rend la physique du phénomène compliquée.

Les mécanismes énergétiques sous-jacents à la formation des cyclones tropicaux sont aujourd'hui encore mal compris. On sait que le cyclone tropical puise son énergie dans l'océan, qui lui transmet de la chaleur et de l'humidité. Cet air chaud et humide est aspiré vers le haut. Il rencontre des masses d'air plus froides, ce qui provoque la condensation de l'eau qui passe de l'état de vapeur à l'état liquide. Au moment de cette condensation se produit un dégagement de chaleur latente. On sait que ce phénomène joue un rôle important dans la formation des cyclones tropicaux, mais les processus physiques et thermodynamiques sous-jacents sont encore mal compris.

Un autre exemple illustrera sans doute mieux mon propos. Il concerne la structure même du cyclone tropical. Les vents forts du cyclone entourent une région calme qu'on appelle « l'oeil du cyclone » ; vous avez sûrement tous déjà repéré cet oeil sur les images satellite diffusées dans les médias. Bien que ce phénomène soit largement connu par les scientifiques, comme par les non-scientifiques, les mécanismes de formation de cet oeil et sa dynamique intrinsèque lors de l'évolution du cyclone, et surtout son rôle dans l'intensification du cyclone, restent à comprendre.

Un autre pan des recherches actuellement menées concerne l'interaction entre l'océan et l'atmosphère, qui joue un rôle majeur dans la formation des cyclones tropicaux, puisque ces derniers puisent leur énergie dans l'océan. Les eaux sous les cyclones tropicaux sont refroidies lors du passage du cyclone, qui laisse un sillage froid. Le cyclone modifie donc l'océan et les modifications qu'il engendre rétroagissent en retour sur le cyclone. Cette interaction demeure un sujet ouvert et particulièrement important de recherches, puisque susceptible d'améliorer à terme la prévision opérationnelle des cyclones tropicaux.

Quand on pense à l'interaction océan-atmosphère, on pense également à l'action du cyclone sur la hauteur d'eau et aux vagues générées par cyclone tropical. En plus des vents violents, ce sont elles qui sont dangereuses pour les zones littorales. Dans notre jargon, l'élévation du niveau de l'eau à cause du cyclone s'appelle « l'onde de tempête ». Différents effets sont associés à ce phénomène : le vent du cyclone entraîne une accumulation des paquets d'eau, la dépression associée au cyclone aspire l'eau ; enfin, la topographie des fonds marins joue évidemment un rôle. Ainsi, l'un des objectifs de la recherche actuelle vise à mieux comprendre les mécanismes de génération, d'intensification et de dissipation des vagues de forte amplitude générées par les événements météorologiques extrêmes comme les tempêtes tropicales ou les cyclones.

Les chercheurs appréhendent toutes ces questions avec des outils différents et des démarches très complémentaires les unes des autres. L'un de ces outils est l'outil numérique ; il vous a été présenté la semaine dernière par Marc Pontaud et David Salas de Météo France. Les modèles numériques complexes – comme ceux de Météo France – sont des modèles complets, qui visent à reproduire au mieux les phénomènes atmosphériques, dont les cyclones tropicaux. Ils résolvent les équations de la physique en intégrant toutes les complexités de l'atmosphère, selon une grille qui correspond au découpage de l'espace et qui, dans les modèles régionaux, a une taille de l'ordre du kilomètre.

Ces modèles font face à plusieurs difficultés. L'une d'elles réside dans le fait qu'on doit modéliser une large gamme d'échelles, ce qui est numériquement compliqué. Ainsi, l'oeil d'un cyclone a un diamètre de quelques dizaines de kilomètres : si l'on veut comprendre ce qui se passe à l'intérieur de cet oeil, la résolution du modèle doit être assez fine, de l'ordre du kilomètre. Si l'on veut accéder au détail de ce qui se passe dans le mur de nuages qui entoure l'oeil, la résolution doit être encore plus fine ; mais le cyclone, lui, a une taille d'environ mille kilomètres. Par ailleurs, si l'on doit modéliser l'environnement qui entoure le cyclone, on a donc besoin de travailler sur une gamme importante d'échelles, ce qui est numériquement très coûteux.

La seconde difficulté est liée à la première et concerne les processus qui ont lieu à l'intérieur d'un élément de grille, c'est-à-dire les processus d'échelle inférieure au kilomètre. Ces processus ne peuvent être « vus » par le modèle : nous sommes donc obligés de les « paramétrer » – d'inclure artificiellement leurs effets dans les équations. Ces paramétrisations sont un sujet de recherche en soi. Elles sont loin d'être évidentes et loin d'être comprises. Pour les améliorer, on peut utiliser les observations : depuis l'avènement de l'air satellitaire dans les années soixante-dix, les observations satellites sont de plus en plus nombreuses et leur qualité ne cesse de s'améliorer. Les radars embarqués, l'imagerie visible et infrarouge, les sondeurs micro-ondes fournissent des informations auxquelles on n'avait pas du tout accès auparavant. Évidemment ces données sont entachées d'erreurs, à cause des conditions extrêmes du cyclone tropical, mais elles n'en restent pas moins une source précieuse d'information pour les chercheurs.

Les observations in situ, dans et sous le cyclone, sont également importantes. Vous vous en doutez, il est compliqué d'avoir accès à ce type d'informations à cause des vents et des précipitations. Ces données sont donc en nombre limité : on dispose par exemple de celles issues des vols aéroportés américains : les Américains font voler des avions à travers les cyclones et récoltent des données. La France a également des dispositifs très utiles pour l'étude des cyclones tropicaux : dans le cadre d'une étude que je mène sur la houle cyclonique, je travaille en collaboration avec le Centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement (CRIOBE), unité de recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) implantée sur l'île de Moorea, en Polynésie française. Le CRIOBE dispose d'un large réseau de sondes pour l'étude des écosystèmes marins, placées sur les tombants des récifs à profondeur fixée. Depuis plusieurs années, nous utilisons les mesures de pression réalisées par ces sondes pour accéder à des données sur les vagues générées par les tempêtes et les cyclones tropicaux. Ces mesures in situ seront ensuite combinées aux observations satellites des vagues et du vent de surface que pourra nous transmettre le satellite franco-chinois CFOSAT (Chinese-French oceanic satellite), qui sera lancé en septembre prochain.

Le développement de réseaux d'observations comme celui du CRIOBE est essentiel afin de mieux comprendre ces structures. La recherche ne peut progresser que par ce type d'effort soutenu sur le long terme.

Le troisième outil, que je privilégie dans mes recherches, est la modélisation numérique idéalisée : elle constitue une approche alternative et complémentaire aux modèles numériques complexes et aux observations dont je viens de parler. Les modèles numériques complexes sont évidemment utiles, mais il n'est pas évident d'en extraire des mécanismes physiques car ils incluent énormément d'effets via les paramétrisations dont je viens de parler. Notre approche consiste à simplifier le problème en excluant les ingrédients qu'on juge a priori non essentiels pour le mécanisme qu'on étudie. Les modèles ainsi construits ne sont pas des modèles de cyclones tropicaux – à cause de leur caractère simplifié – mais peuvent néanmoins apporter de précieuses informations sur les mécanismes sous-jacents aux cyclones tropicaux.

Récemment, l'Agence nationale de la recherche (ANR) a lancé un appel à projets « Ouragan 2017 », en réponse à l'épisode d'ouragans qui a frappé l'arc antillais cet automne. Cet appel était axé sur des recherches à entreprendre rapidement, avec une visée pré-opérationnelle. Il résonne tout à fait avec l'exigence d'immédiateté de la société d'aujourd'hui – on veut des résultats tout de suite. Mais, à l'opposé de cette urgence, je suis persuadée que la recherche fondamentale est la seule à même de permettre de réelles avancées dans la compréhension et la prédiction des événements dévastateurs que sont les cyclones tropicaux.

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Bernard Legras, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique de l'École normale supérieure (ENS)

Le Laboratoire de météorologie dynamique est un laboratoire situé non seulement à l'ENS, mais aussi à l'Université Pierre-et-Marie-Curie et à l'École Polytechnique. Il développe une grande gamme d'activités dans le domaine des sciences de l'atmosphère et du climat, qui vont de l'observation – notamment l'observation satellitaire, avec des instruments embarqués dans des satellites européens ou franco-indiens – à la modélisation. Le Laboratoire de météorologie est ainsi responsable de la composante « Atmosphère » du modèle de climat de l'Institut Pierre-Simon-Laplace, un des modèles de référence qui sert de base aux études du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). De ce fait, nous nous intéressons beaucoup à la dynamique de l'atmosphère.

Pour ma part, je suis spécialiste de la dynamique des fluides atmosphériques : j'étudie tous les objets intéressants de l'atmosphère, notamment les cyclones tropicaux. Actuellement, mes travaux portent sur l'influence des cyclones et de la convection en général, sur la composition de l'atmosphère, et sur son impact à grande distance en altitude, notamment à travers l'exemple de la mousson en Asie. La mousson est un phénomène qui se déroule l'été au-dessus de la région la plus polluée du globe ; l'influence très importante de la pollution y est particulièrement visible et se répercute en très haute altitude.

Les cyclones jouent un rôle dans ce phénomène. Ils sont très médiatisés en France sur l'Atlantique, mais il y en a aussi beaucoup sur l'ouest du Pacifique puisqu'ils atteignent les côtes des Philippines et de Chine. Des cyclones moins intenses se produisent également dans l'océan Indien et en baie du Bengale, mais historiquement, ce sont malheureusement ceux qui ont fait le plus de victimes. Ainsi, en 1970, un cyclone en a probablement fait environ 500 000 au Bangladesh. Plus récemment, un énorme désastre a eu lieu en Birmanie. Ces catastrophes sont généralement liées à des submersions, dans des zones extrêmement peuplées, où la gestion par les autorités est par ailleurs quelque peu défaillante.

Les observations satellitaires sont essentielles. Elles sont une source d'information essentielle dans la prévision du temps, notamment dans les zones où l'observation n'est pas réalisable depuis le sol – en Océanie par exemple, qui couvre 75 % de la planète. Ces observations par satellite sont maintenant très utilisées. Certains sondeurs sont capables de mesurer la vapeur d'eau ou de transmettre des informations sur les pluies grâce à des radars embarqués.

Néanmoins, ces instruments ne couvrent pas l'ensemble de la Terre en permanence. Par ailleurs, certaines données ne peuvent être acquises depuis l'espace, notamment la mesure du vent et, en particulier, celle du vent près de la surface de l'eau. C'est là qu'il est le plus intense lors des cyclones tropicaux, d'où le rôle extrêmement important des mesures in situ. Aux Antilles, les mesures réalisées par les avions américains de l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (national oceanic and atmospheric administration – NOAA) ou de la Marine américaine (Navy) sont fondamentales. Ces deux organismes n'envoient pas seulement des images spectaculaires d'avions qui passent à travers le mur des cyclones. Ils font aussi des mesures extrêmement importantes à bord de leurs avions et lancent des drop sondes, de petites sondes météorologiques qui, au lieu de monter sous un ballon, descendent sous un parachute, qui permettent d'avoir des relevés extrêmement précis de l'intensité du cyclone.

Ces mesures sont ensuite utilisées pour améliorer la prévision. Si le modèle du Centre européen – dont vous avez entendu parler – fait d'aussi bonnes prévisions sur les Antilles, c'est parce qu'il a de bonnes données fournies par les services américains. Dans le domaine météorologique, au niveau mondial, la règle est l'échange de données, ce que nous avons toujours fait, sauf bien sûr durant les deux conflits mondiaux.

On ne dispose pas d'observations de ce genre dans l'océan Indien, à l'île de la Réunion et Mayotte. La responsabilité de la prévision des cyclones dans cette région incombe également à Météo France, mais nous ne disposons pas de l'équivalent des mesures américaines pour aller sonder les cyclones avant qu'ils ne passent sur ces îles. De ce fait, les prévisions sont sensiblement moins faciles et moins bonnes dans cette région : on a pu le voir encore récemment, puisque l'oeil d'un cyclone risquait de passer sur l'île de la Réunion. On a ensuite prévu qu'il passerait un peu au sud et il est finalement passé un peu au nord, avec une intensité heureusement plus faible que ce qu'on avait initialement craint.

Cela donne une idée de la difficulté de prévoir. En fonction de l'alerte, la population sur place se mobilise. On a ainsi pu voir que les commerces de la Réunion avaient été dévalisés le week-end dernier, puisque l'alerte était sérieuse. Cet exemple met aussi en lumière la question de la gestion du risque : on est obligés de mettre en alerte plus fréquemment des zones par ailleurs plus vastes que celles où les dégâts vont réellement se produire. Il faut donc réduire cette incertitude vis-à-vis de la population : lancer trop souvent des alertes risque de nuire à leur crédibilité. Cela a aussi un coût.

Il est donc essentiel d'améliorer la prévision. Même si, scientifiquement, à l'échelle de la planète, une erreur de cent kilomètres sur la prévision de la trajectoire d'un cyclone n'est pas considérable, pour une île comme la Réunion, cela peut être très important.

L'amélioration des observations dans la zone de l'océan Indien aura un impact sur la qualité de la prévision des cyclones. Peut-être n'est-il pas nécessaire de déployer des instruments aussi coûteux que la flotte des avions américains ; il est en revanche possible d'encourager davantage certaines recherches afin de disposer de moyens de sondages moins coûteux, comme des drones ou des ballons dérivants. On a déjà expérimenté des ballons qui vont se nicher à l'intérieur de l'oeil, et qui continuent ensuite à voyager avec le cyclone en envoyant des mesures. Nous essayons de le développer en France, mais cela devrait sans doute être encouragé.

L'intensité des cyclones dépend de processus dynamiques que l'on ne comprend pas entièrement. C'est le cas du renouvellement de l'oeil : l'oeil est formé d'un mur de nuages, là où le cyclone a atteint son intensité maximale en précipitations ou en vent. Les cyclones tropicaux ont ceci de particulier que l'intensité du vent est maximale au niveau du sol, à l'inverse des tempêtes extra-tropicales où le vent est plus fort en altitude.

L'oeil n'est pas un objet parfaitement stable : il peut se déstabiliser. Cela conduit généralement à un affaiblissement temporaire du cyclone, mais cet affaiblissement peut être suivi d'une régénération, un nouvel oeil se formant. Selon les cas, cela peut conduire à un renforcement ou à un affaiblissement du cyclone. Irma, par exemple, a connu une bonne demi-douzaine de remplacements de l'oeil – c'est un peu sa spécialité ! – qui à chaque fois ont intensifié le cycle. Ce mécanisme est assez complexe et plusieurs explications ont été proposées. En tout cas, on a beaucoup de mal à le modéliser en détail, et encore plus à le prévoir. Or, pour prévoir correctement l'intensité des cyclones, il nous faut bien comprendre ce phénomène. En la matière, les tentatives de modélisation ont donné des résultats qui ne sont pas toujours directement exploitables : ainsi, un travail de test avait été réalisé à la Réunion et le meilleur modèle – le modèle à échelle limitée de Météo France – ne donnait pas une meilleure prévision que le modèle de plus grande échelle ARPEGE. L'idée que des modèles plus fins et de plus haute résolution fonctionnent automatiquement mieux que des modèles de plus basse résolution n'est pas toujours vérifiée dans la pratique. Cela est dû à des raisons complexes.

J'en viens à l'influence du réchauffement climatique. Il y a un certain consensus sur le fait que les précipitations extrêmes augmentent. Certains arguments thermodynamiques simples l'expliquent : à chaque fois que la température de l'atmosphère augmente d'un degré, sa capacité à retenir l'eau augmente de 8 %, ce qui accroît d'autant le volume de précipitations potentielles.

Tout porte à croire également que l'intensité maximale des cyclones risque d'augmenter dans le futur, pour une raison qui tient à la thermodynamique : les cyclones se nourrissent de la différence de température entre la surface et la haute atmosphère, où la chaleur monte.

Au cours du XXe siècle, ce signal fut pour une bonne part masqué par l'effet des aérosols, comme fut masqué le signal relatif au changement climatique lié aux gaz à effet de serre. Qui plus est, dans l'hémisphère Sud, le trou dans la couche d'ozone a eu aussi un effet masquant significatif : non seulement l'ozone antarctique a disparu, mais cela a eu aussi des effets sur la circulation de l'atmosphère, dont on ne s'est pas nécessairement préoccupé à l'époque où on analysait surtout la couche d'ozone. On n'avait d'ailleurs pas non plus les bons modèles ni les bons outils pour analyser ce phénomène.

Soit dit en passant, le trou dans la couche d'ozone est un phénomène qu'on a bien fait de résoudre. Les simulations actuelles, réalisées avec des modèles de chimie correspondant au dernier état de l'art – et dont on ne disposait pas il y a trente ans –, nous montrent ce qu'il se serait passé dans le futur si on n'avait rien fait : elles montrent qu'aux alentours de 2060, on aurait eu envoyé assez de chlore dans la stratosphère pour faire disparaître l'ensemble de la couche d'ozone, ce qui aurait eu pour conséquence fâcheuse de faire disparaître l'ensemble du règne végétal et de provoquer nombre d'inconvénients pour le règne animal, y compris pour nous-mêmes qui en dépendons.

L'atmosphère n'est donc pas nécessairement un système qui corrige et qui pardonne tout. Au contraire, elle peut s'ingénier à aggraver les perturbations qu'on lui inflige. Ce phénomène du trou d'ozone est, à mon avis, un exemple qu'il faut vraiment méditer. Nous sommes en train de résoudre le problème en faisant disparaître les émissions de chlorofluorocarbures (CFC), mais il faudra attendre le milieu du siècle pour qu'il soit totalement résolu.

J'en reviens à l'effet masquant des aérosols et de l'ozone sur le signal climatique. Ces effets sont en cours de résorption, malgré les rejets importants d'aérosols en Asie aujourd'hui, mais qui restent inférieurs à ceux de l'industrie du milieu du XXe siècle. Les index de réchauffement se recoupent ainsi de manière plus visible, notamment ceux qui sont liés aux cyclones.

Cependant, cette croissance liée aux effets thermodynamiques ne permet pas de prévoir, à une échelle rapide, les conséquences qui seront rapidement perceptibles. L'augmentation des vitesses maximales est de l'ordre d'un mètre par seconde et par décade, ce qui, en pourcentage, n'est pas considérable. En revanche, d'autres phénomènes peuvent jouer, comme l'évolution du cisaillement des vents liée au changement de la circulation atmosphérique.

Ces phénomènes aussi dépendent de la distribution des températures. Le faible cisaillement des vents a certainement joué un rôle dans la persistance de l'ouragan Irma cet automne. De même, le cyclone José a persisté un bon moment dans l'Atlantique et a menacé plusieurs fois les côtes américaines ; il ne les a heureusement jamais touchées, mais il est resté à tourner en rond, alors qu'il aurait dû être évacué en une huitaine de jours. Cela est certainement dû au faible cisaillement qui s'est produit au cours de cette période. La formation de l'ouragan Ophelia est liée aux mêmes causes.

Ces phénomènes de variation du cisaillement peuvent être liés à une conjonction de phénomènes : d'une part, le phénomène la Niña, qui s'observe dans le Pacifique, mais a pour effet de réduire les alizés dans l'Atlantique ; d'autre part, le jet subtropical, normalement situé un peu plus au Sud, avait déplacé sa position très au Nord pendant le mois de septembre.

La question est de savoir si ces circonstances seront plus ou moins fréquentes dans le futur. Ce sont des questions encore très discutées, sur la base des modèles conçus pour cela. À l'échelle décennale, se superposent au réchauffement climatique et à son effet, pour l'instant irréversible, les modes d'oscillation à terme des océans. Une étude récente va jusqu'à prévoir une diminution des cyclones dans l'Atlantique au cours de la prochaine décennie, ce qui ne correspond d'ailleurs pas à ce que les modèles prévoient pour l'instant.

Il faut donc moduler la prévision à long terme, liée au réchauffement climatique, avec une variabilité climatique à l'échelle décennale qui peut provoquer des résultats contrastés.

Tout le monde aura bien compris qu'il y a une grande différence entre les cyclones tropicaux et les perturbations des latitudes tempérées, même si elles peuvent aussi prendre parfois la forme de tempêtes très violentes. Les cyclones tropicaux se nourrissent de la différence de température entre la surface et la haute atmosphère ; ils tirent leur énergie de l'évaporation de l'eau et détestent le cisaillement du vent ambiant. C'est tout l'inverse pour les perturbations des latitudes tempérées : elles dépendent non du radiant vertical, mais du radiant horizontal entre la différence de température entre les zones chaudes au Sud et les zones froides au Nord. Elles intensifient localement cette différence lors de leur formation ; elles tirent leur énergie du flux de chaleur qui va du Sud vers le Nord. À la différence des cyclones tropicaux, elles adorent le cisaillement et s'en nourrissent.

Ce sont donc des phénomènes très différents. Les cyclones tropicaux de l'hémisphère Nord évoluent principalement dans une bande comprise entre les dixième et vingtième parallèles nord – cette bande se définissant de manière inverse dans le Sud. Dans l'Atlantique, lorsqu'ils sortent de cette bande vers le Nord, ils sont généralement happés par un flux d'ouest, et cisaillés, finissant ainsi par se dissiper. Ce n'est cependant pas toujours immédiat. Une partie des cyclones peuvent eux-mêmes servir de noyau au développement d'une tempête extratropicale, selon un système hybride : un coeur de cyclone, comportant des intensités de vents cycloniques, se trouve entouré d'une perturbation extratropicale en développement. Cela constitue une menace constante sur les côtes est américaines. Le cyclone Sandy, qui avait dévasté la côte du New Jersey et la partie sud de New York, appartenait à cette catégorie de systèmes hybrides.

Cette année nous a réservé cependant une nouveauté : l'ouragan Ophélia, après avoir atteint la force 3 et s'être développé au large des Açores, autrement dit dans une zone très proche des côtes européennes, est remonté vers le Nord pour atteindre l'Irlande où il a causé trois victimes, tandis qu'il contribuait de manière importante à attiser les feux de forêts qui s'étaient déclarés à cette époque au Portugal et au nord de l'Espagne. Dans tous les enregistrements connus, cet ouragan est celui qui s'est formé le plus à l'est dans l'océan Atlantique. Peut-être est-il le prototype d'une nouvelle menace sur nos côtes : s'il a atteint l'Irlande, un autre ne pourra-t-il en effet atteindre la Bretagne ? Voilà ce que prédisait en tout cas, en 2013, une étude néerlandaise qui se penchait sur l'évolution des trajectoires de cyclones dans l'Atlantique et prévoyait l'apparition de ces types de phénomènes de plus en plus fréquemment au cours du siècle.

Nous pouvons donc voir arriver sur nos côtes un nouveau type de tempêtes, c'est-à-dire ces systèmes hybrides qui mêlent à une intensité cyclonique de vents une perturbation extratropicale en cours de développement. Cela peut créer des contraintes, dans le futur, au niveau des côtes. C'est un sujet qui n'a pas été étudié à l'heure actuelle. Il faudra sans doute y consacrer des efforts.

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Robert Vautard, chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE)

Situé dans le Sud-Ouest de la région parisienne, le LSCE est un laboratoire du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'Université de Versailles-Saint-Quentin. Il fait également partie de l'Institut Pierre-Simon-Laplace, qui regroupe neuf laboratoires, dont les trois unités auxquelles les orateurs de ce matin appartiennent. L'Institut Pierre-Simon-Laplace a pour objectif d'étudier le climat, en incluant toutes ses composantes.

Le LSCE a trois spécialités : l'étude des grands cycles bio-géo-chimiques, notamment le grand cycle du carbone ; l'étude du climat aux grandes échelles de temps, en particulier l'étude des climats anciens et des variations climatiques qui se sont produites au cours du quaternaire ; la modélisation globale du climat, c'est-à-dire la représentation numérique du climat dans un modèle, développé avec d'autres laboratoires au sein de l'Institut Pierre-Simon-Laplace et connu comme le grand modèle du climat de ce même institut.

Au sein des activités de modélisation du climat, nous travaillons également beaucoup à la compréhension du changement et des évolutions climatiques à travers différents types de phénomènes, tels les événements extrêmes, en nous penchant sur le lien qu'ils peuvent entretenir avec le changement climatique. Il s'agit là de ma spécialité, qui fait le lien entre des événements extrêmes, tels que des cyclones, et le changement climatique. Science en développement, elle fait appel non seulement à des notions physiques de modélisation numérique, mais aussi à des notions mathématiques et statistiques assez développées.

Mon exposé sera bref : je voudrais opérer un retour méthodologique sur la façon dont on interprète un événement extrême dans le cadre du changement climatique. Comment peut-on dire qu'un événement, ou une classe d'événements, a un lien avec le changement climatique ? Cette question délicate donne souvent lieu à des exagérations, parfois relayées par les médias. Notre rôle consiste au contraire à la rationaliser au maximum.

Il y a deux intérêts principaux à comprendre le lien entre un événement extrême – un cyclone par exemple – et le changement climatique.

Le premier intérêt est que, si ce lien est avéré, nous nous trouvons en présence d'une manifestation concrète et d'une représentation du changement climatique, alors que celui-ci est considéré comme un phénomène d'évolution lente, peu susceptible d'être placé au premier plan et classé priorité absolue. Il s'agit donc d'un enjeu de communication et d'un enjeu pédagogique.

Le second intérêt est de rendre possible l'estimation des risques actuels et futurs liés à ces événements. Par exemple, on sait aujourd'hui, sans aucun doute, que l'augmentation de l'intensité et de la fréquence des vagues de chaleur est fortement liée, à peu près partout dans le monde, au changement climatique. Cela est en revanche beaucoup moins évident pour beaucoup d'autres événements extrêmes.

L'estimation des risques actuels est souvent calculée et obtenue à partir d'observations passées. Il est donc très important de comprendre que ces observations passées ne sont plus à jour et ne peuvent nous aider pour calculer ces risques. Car il faut prendre en compte le changement climatique, si on a démontré qu'il entre en jeu dans le type d'événements qu'on étudie.

Le changement climatique affecte tous les paramètres du climat. Le climat se définit comme l'ensemble des situations météorologiques possibles. On le compare souvent à un dé à six faces, dont les faces portant le chiffre un et portant le chiffre six correspondraient aux événements extrêmes. Le changement climatique aurait pour conséquence de piper le dé, ce qui fait que le six sort plus souvent.

En filant la métaphore, on pourrait dire que la météo correspond au tirage d'un dé qui serait le climat. Or ce climat change ; pour certains événements extrêmes, le dé sera donc modifié. Pour les zones littorales, le climat affecte les tempêtes tropicales ou extratropicales dans les latitudes tempérées, le niveau des mers, les pluies et les vents. Tous ces éléments induisent des changements de risque de catastrophe.

Mais comment fait-on pour estimer qu'un événement a un lien avec le changement climatique ?

La première étape est de cadrer la question : parle-t-on d'un cyclone, des vents d'un cyclone, des pluies, des dégâts ou des coûts ? Dans chacun des cas, la réponse peut être différente quant à l'influence du changement climatique.

Prenons l'exemple des inondations. Une inondation est généralement le fruit d'une pluie ou d'une fonte importante de neige et de la gestion du cours d'eau concerné. Bien sûr, si des changements s'observent dans la fréquence des crues ou des inondations, cela peut être dû soit à un changement des pluies, soit à un changement dans la gestion du cours d'eau. Pour caractériser le lien entre l'événement considéré et le changement climatique, à savoir la part des pluies dans cet événement, il faut donc s'entendre sur la définition de cet événement lui-même, la réponse variant en conséquence : l'événement est-il constitué par les pluies exceptionnelles ou par l'inondation ? La réponse sera potentiellement différente dans les deux cas. Mais, en tant que climatologues, nous nous intéressons plutôt aux changements des paramètres climatiques : les pluies, les vents, etc.

La deuxième étape est d'estimer les changements dans la probabilité de survenance d'un événement donné. Ce n'est pas si simple. Car il faut estimer la probabilité d'un événement comme Irma dans le climat actuel pour la comparer avec la probabilité de ce même événement dans un climat qui n'aurait pas été altéré par l'homme. Or nous n'avons qu'une planète à notre disposition.

À défaut de pouvoir nous fonder sur la seule observation, nous devons plutôt recourir à la simulation numérique : elle nous permet de simuler la planète actuelle avec tous ses éléments, y compris le monde vivant et les hommes qui la perturbent, en la mettant en regard avec une planète qui n'aurait pas été altérée par les activités humaines. Cela suppose des simulations longues et coûteuses, car les événements extrêmes sont par définition des événements rares. Nous sommes donc obligés de simuler de très longues périodes pour obtenir des statistiques fiables. Nous comparons ensuite les résultats entre les deux modèles, celui qui présente une altération et celui qui n'en présente pas.

Cela suppose une forte expertise. Car il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton pour lancer une simulation et analyser ensuite les résultats. Il faut au contraire toujours se demander si les modèles retenus sont vraiment aptes ou non à simuler les événements. Comme cela a été dit, cela nécessite des observations de long terme : nous avons besoin d'estimer des changements qui s'étalent sur des dizaines d'années et sur la base de relevés homogènes : l'idéal serait qu'ils soient enregistrés par le même capteur pendant des dizaines d'années, ce qui n'est bien souvent pas possible. Tout un travail doit donc être effectué pour homogénéiser les données, c'est-à-dire pour rendre les données passées cohérentes avec les données actuelles, mais aussi pour sauvegarder des données anciennes qui sont très utiles si nous voulons comprendre si des événements d'il y a deux ou trois siècles étaient de même nature qu'aujourd'hui. Absolument essentiel, ce travail de sauvegarde des données est mené partout et, dans notre pays, par Météo-France.

Si ces observations sont indispensables, nous devons cependant comprendre aussi la nature du résultat : comment comprendre les incertitudes qui entourent le chiffre obtenu ? Les événements extrêmes ont généralement une double origine : sur le plan thermodynamique, l'atmosphère peut contenir plus d'eau, de sorte qu'il pleut davantage, ou bien les surfaces de la mer dégagent une énergie plus importante, de sorte que l'énergie transférée par les flux dans le cyclone sera plus importante, ce qui entraînera des vents plus forts ; mais, en plus des facteurs thermodynamiques, la circulation de grande échelle joue aussi un rôle très important.

Or, si nous n'avons que peu d'incertitudes sur les phénomènes physiques de thermodynamique – on connaît les lois de Clausius-Clapeyron et autres – nous en avons en revanche beaucoup plus sur la façon dont les vents, notamment les vents de grande échelle, vont évoluer avec le changement climatique. D'où un déséquilibre entre les deux origines possibles des phénomènes extrêmes et le niveau d'incertitude qui les entoure, et qui doit nous inciter à la prudence.

Toutes ces questions se poseront à chaque fois que nous chercherons à lier un événement extrême avec le changement climatique : Les modèles sont-ils aptes ? Les observations disponibles sont-elles suffisamment longues ? L'origine du phénomène est-elle de type thermodynamique ou dynamique ? La mise en commun de ces questions va déterminer le degré de conviction au sein de la communauté scientifique.

Dans les tropiques, nous peinons à répondre aux questions posées, particulièrement pour ce qui touche aux phénomènes littoraux, car il n'existe pas aujourd'hui de modèle climatique global permettant de simuler l'oeil avec une résolution à dix kilomètres. En revanche, la physique nous oriente vers un certain type de réponses. Nous savons que, dans une atmosphère plus chaude, l'eau sera un problème ; nous savons aussi que le niveau des mers s'élève. Nous pouvons donc dire avec peu d'incertitude que les risques liés aux cyclones vont augmenter dans l'avenir – et particulièrement les risques littoraux.

Dans les latitudes tempérées, celles de la France métropolitaine, la question est encore plus délicate. Les tempêtes y sont le résultat de la turbulence atmosphérique, bien difficile à maîtriser et à comprendre. Nous savons que le « rail » des tempêtes se déplace légèrement vers le nord, mais cette évolution est très relative : nous n'avons pas de signal fort, voire aucun signal, d'une évolution marquée des tempêtes dans les latitudes tempérées, en termes de fréquence comme en termes d'intensité.

L'interprétation et la comparaison des événements extrêmes dans le cadre du changement climatique est une science en développement, qui fait appel à des sciences du climat, à des sciences physiques et à des sciences mathématiques. Elle est essentielle, tant pour la communication que pour l'évaluation des risques. Mais peut-être pourra-t-elle un jour aider à déterminer, au niveau juridique, la part des activités humaines dans les catastrophes dites « naturelles », auquel cas la notion de responsabilité pourrait intervenir.

En outre, lorsqu'un événement a un lien avéré avec le changement climatique, l'établissement de ce lien ne peut être exclusivement fondé sur les seules observations passées. Car les risques que nous calculons vont évoluer – ils ont même déjà commencé à le faire.

Au-delà de la difficulté liée aux observations, les facteurs limitants sont aussi de nature numérique : la compréhension des phénomènes extrêmes exige un nombre considérable de simulations et une énorme puissance de calcul. La puissance de calcul que la France offrira à sa communauté scientifique est donc essentielle pour que ses équipes de recherche puissent se placer au meilleur niveau mondial.

Notre rêve est de simuler, dans dix ans, le climat global avec un point tous les kilomètres. Voilà notre ambition pour la décennie à venir ; nous espérons bien y arriver.

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Madame Oruba, certains de vos collègues affirment que ce n'est pas la fréquence des cyclones qui va augmenter, mais leur intensité. Qu'en pensez-vous ?

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Ludivine Oruba, maître de conférences à l'Université Pierre et Marie Curie, Laboratoire atmosphères, milieux et observations spatiales (LATMOS)

C'est une question difficile.

Le réchauffement des océans va induire plus d'humidité dans l'atmosphère, ce qui signifie plus d'eau pour les précipitations. Mais il y a aussi le cisaillement vertical des vents, qui est un ingrédient extrêmement important dans le système, et prévoir la façon dont il évoluera est une affaire compliquée. Autrement dit, ce n'est pas parce que l'océan se réchauffe et qu'il y aura davantage d'humidité dans l'atmosphère qu'il y aura forcément davantage de cyclones ; cela fera davantage d'énergie disponible pour les cyclones, mais il ne faut pas oublier le rôle du cisaillement. Il convient donc d'être extrêmement prudent.

J'ajoute que pour comprendre comment ces phénomènes évoluent, les données dont nous disposons ne remontent qu'à une quarantaine d'années. C'est un temps extrêmement court par rapport à la variabilité naturelle du climat. Nous avons donc très peu d'éléments qui nous permettent de tirer des conclusions.

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Madame, messieurs, je vous remercie pour vos exposés.

Je suis député de l'île de La Réunion et maître de conférences en géographie à l'université de La Réunion. Effectivement, il y a un centre de recherches sur les cyclones tropicaux au sein du centre météorologique de La Réunion. Nos bulletins météorologiques ne sont pas aussi imprécis qu'on le dit, et même si le cas de Berguitta n'est pas le meilleur exemple en la matière, nous disposons de données relativement complètes sur l'ensemble des cyclones, notamment dans la zone de l'océan Indien.

La France a un domaine océanique très vaste, puisque c'est le deuxième du monde après les États-Unis ; elle possède des îles très nombreuses, notamment dans l'océan Indien, depuis l'île Tromelin jusqu'aux îles Kerguelen, en passant par les îles Crozet et l'ensemble les Terres australes et antarctiques françaises. J'estime que l'on n'exploite pas suffisamment l'ensemble des données qu'il est possible de récolter, notamment en surface, en équipant ces îles – c'était encore le cas il n'y a pas si longtemps à Tromelin. Ces zones ne font pas d'objet de suffisamment de recherches, notamment dans l'océan Indien.

L'évolution du réchauffement des océans va très certainement élargir la zone tropicale. La Réunion, qui situe à la limite de cet espace intertropical, entre 10 et 30 degrés de latitude, s'y trouvera bientôt intégrée beaucoup plus nettement. Quelle sera demain la dimension de cette zone intertropicale et quelles en seront les conséquences sur le nombre de phénomènes météorologiques attendus ?

Ma question est davantage une interrogation de géographe que de physicien. Vous nous avez beaucoup parlé de physique, de dynamique des fluides et de thermodynamique, et c'est bien normal puisque ce sont vos spécialités. Mais pour un homme politique, l'important est de savoir ce qui se passe lorsqu'un cyclone arrive sur les côtes habitées, qu'il s'agisse d'une île comme Maurice, La Réunion ou les Antilles ou une zone littorale comme à Madagascar. Actuellement, on classe les cyclones en privilégiant le paramètre de la vitesse des vents – au-dessus de 118 kilomètres-heure, de 135 kilomètres-heure, de 159 kilomètres-heure, etc. – et on lance des alertes correspondantes. Mais en réalité, lorsque le cyclone aborde les côtes, il ne fait pas que du vent, il se transforme littéralement et, au-delà des effets sur les habitations, les précipitations affectent l'ensemble de la couverture végétale et le régime hydraulique des ravines. Et lorsque les ravines arrivent au niveau de l'océan, il se produit un effet de surcote et elles débordent sur le littoral. Or, tous ces effets liés au cyclone ne sont pas appréciés dans le cadre des alertes, car l'alerte ne prend en compte que la vitesse des vents.

La semaine dernière, à La Réunion, le cyclone Berguitta a d'abord été classé en cyclone tropical intense avant d'être rétrogradé en alerte orange. Mais comme les pluies ont été extraordinairement abondantes alors que les bassins-versants étaient déjà gorgés d'eau, nous avons connu des inondations comme jamais auparavant. Or, comme nous n'étions plus en alerte rouge, il faut refaire un dossier de catastrophe naturelle avec les arguments nécessaires, mesurer ce qui s'est passé sur le terrain pour pouvoir bénéficier d'indemnités de la part des assurances et du fonds de catastrophe naturelle.

Ma question est simple : existe-t-il des outils permettant à Météo France de disposer de paramètres différents – l'intensité et le cumul des pluies notamment – selon que le phénomène a lieu en mer, c'est-à-dire là où il ne provoque pas beaucoup de dégâts, à l'approche des côtes, ou sur terre ? Cela permettrait que les alertes soient plus réalistes que lorsqu'elles se fondent sur le seul effet thermodynamique du cyclone.

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Bernard Legras, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique de l'École normale supérieure (ENS)

L'île de La Réunion peut recevoir des précipitations localisées extrêmement intenses : je crois savoir qu'il est tombé jusqu'à 800 millimètres d'eau…

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Davantage : 949 millimètres exactement en quarante-huit heures ! Pour vous donner un ordre d'idée, la pluviométrie à Paris est de 650 millimètres par an.

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Bernard Legras, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique de l'École normale supérieure (ENS)

C'est encore plus que ce que je pensais.

Il est particulièrement difficile d'avoir des prévisions extrêmement précises sur l'île de La Réunion à cause de son relief extrême. Il faut vraiment des modèles avec une résolution très fine si l'on veut prendre en compte les effets de parois très importants dans les cirques de La Réunion, et qui peuvent induire, de façon localisée, des précipitations très fortes avec un ravinement très marqué.

Comme je connais La Réunion, je vois bien quelles sont les difficultés. Nous y avons deux radars de précipitations qui, en prévision immédiate, peuvent aider à progresser dans la connaissance des précipitations et le lancement des alertes à court terme, et donc améliorer la gestion de la situation. Je crois que la zone du volcan de La Réunion est une des régions les plus pluvieuses du monde, même en temps normal, par le fait qu'elle est exposée au flux des alizés ; le sol y est généralement gorgé d'eau. Encore sortiez-vous d'une période un peu plus sèche qu'à d'habitude, en tout cas dans l'Ouest.

Si l'on veut faire de meilleures prévisions de ces situations, nous avons besoin d'observations de type radar qui permettent de contraindre les modèles, avec des relevés des précipitations en temps réel et des modèles extrêmement précis, à résolution très fine, comme Météo France essaie d'en développer à l'heure actuelle à l'échelle kilométrique.

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Merci de nous apporter votre expertise.

La mission spatiale Microcarb, prévue en 2020, est destinée à pallier le manque d'information des échanges de carbone entre l'atmosphère, les surfaces terrestres et les océans en cartographiant à l'échelle planétaire les sources et puits du principal gaz à effet de serre. Quels sont les objectifs attendus en matière de prévention des événements climatiques grâce aux nouvelles données qu'apportera la station Microcarb ?

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Robert Vautard, chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE)

La station Microcarb est destinée à surveiller le cycle du carbone, et plus précisément l'évolution des concentrations de CO2. Elle se situe de fait très en amont par rapport aux conséquences du changement climatique et des dérèglements. C'est un outil important qui permet d'avoir une vue de l'espace des émissions de CO2, mais aussi de comprendre comment le carbone et le CO2 sont gérés par la végétation et les océans. C'est donc une mission de surveillance du composant essentiel du changement climatique.

Les incidences de l'augmentation des concentrations de CO2 sur les événements extrêmes n'étant pas directes, Microcarb ne permettra pas nécessairement de mieux prévoir, à court terme en tout cas, les cyclones ; mais elle est essentielle pour permettre de comprendre les évolutions climatiques en général.

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Bernard Legras, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique de l'École normale supérieure (ENS)

Une autre mission européenne sera bientôt lancée, qui aura peut-être un impact sur la prévision des événements extrêmes : ADM-Aeolus permettra, pour la première fois, de mesurer les vents depuis l'espace grâce à un lidar Doppler. C'est donc une solution possible pour acquérir des données sur les vents depuis l'espace. Dans la mesure où il s'agit d'une mission expérimentale, personne ne sait si cela va parfaitement fonctionner. On sait en tout cas qu'il est très délicat de faire voler ce genre d'instrument dans l'espace : le satellite CALIPSO (Cloud-Aerosol Lidar Infrared Pathfinder Satellite Observations) a très bien fonctionné, mais pas le lidar 4 installé sur la station spatiale… Et c'est un nouveau modèle, qui sera encore plus compliqué, qui sera utilisé pour cette future mission. Si les informations qui seront récoltées sont utilisables par les modèles de prévision, cela améliorera certainement l'apport d'informations sur les précurseurs des événements extrêmes, et bien entendu sur les événements extrêmes eux-mêmes.

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M. Legras a évoqué l'absence des moyens américains dans l'océan Indien et M. Vautard l'opportunité d'une résolution kilométrique si nous voulons disposer de modèles plus pertinents. Tout cela pose en fait la question des moyens. Si je comprends bien vos explications, il reste sur la surface de notre globe des zones blanches, du moins des zones insuffisamment couvertes, alors qu'une meilleure couverture permettrait de donner plus de pertinence aux modèles de simulation.

Il faut se donner les moyens de disposer de données instantanées et de cartographier en temps réel les zones de présence probable des facteurs susceptibles de déclencher des cyclones. Il serait intéressant de pouvoir mettre en balance le coût d'une reconstruction après le passage d'un cyclone et celui de la mise au point de modèles prédictifs beaucoup plus pertinents. La France peut-elle apporter ces moyens, ou doivent-ils être recherchés à des niveaux bien plus élevés au travers de partenariats économiques, aussi bien européens qu'américains ?

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Bernard Legras, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique de l'École normale supérieure (ENS)

Il existe des partenariats d'observation : à La Réunion par exemple, nous avons un observatoire très bien équipé et qui héberge des instruments américains, belges qui font partie de réseaux internationaux qui collectent les données, les échangent et les diffusent. Cet observatoire de l'OPAR (Observatoire de Physique de l'Atmosphère de La Réunion) est d'autant plus important qu'il est situé dans une zone de l'hémisphère sud qui donne lieu à très peu d'observations, les terres émergées des pays riches se concentrant principalement dans l'hémisphère nord. Nos collègues étrangers apprécient la possibilité d'accéder à un site bien équipé pour réaliser des observations sur une longue durée, avec le soutien des autorités de La Réunion.

Il serait intéressant de placer des observatoires chargés de la prévision des cyclones et des événements extrêmes dans le canal du Mozambique, où ils sont susceptibles de se développer – la France dispose d'une ou deux îles dans cette région. En revanche, il est difficile de le faire au coeur de l'océan Indien où il n'y a pas d'île, et les observations par bateau météorologique qui se faisaient par le passé ont été abandonnées car beaucoup trop coûteuses. On cherche à les remplacer par des observations satellitaires, mais comme je l'ai indiqué, on ne peut pas tout observer par satellite. Peut-être pourra-t-on bientôt observer le vent, mais pour le moment c'est encore limité. En tout cas, on ne pourra pas observer le vent par des lidars à l'intérieur d'un cyclone tropical, puisqu'on sera bloqué par les nuages. On aura donc toujours besoin d'observations in situ.

À une certaine époque, les Américains ont utilisé des avions classiques. Les nouvelles technologies à base de drones permettent d'envisager de réaliser des observations du même type à des coûts plus abordables pour un pays comme la France qui n'a pas les mêmes moyens que les États-Unis. Je pense qu'il faut développer ces outils-là dans le futur. Des travaux sont menés dans cette perspective, notamment sur l'île de La Réunion.

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Robert Vautard, chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE)

Je souhaiterais revenir sur les calculs. Mais comme ce n'est pas ma spécialité, je n'entrerai pas dans le détail.

Actuellement, les modèles de prévision du temps tournent tous les jours, mais sur une période relativement courte – de quelques jours à un mois. Ils font des prévisions saisonnières à relativement haute résolution, en tout cas pour ce qui concerne les prévisions quotidiennes.

Mais pour ce qui est du climat, la résolution est pour l'instant de l'ordre de 100, 200 ou 300 kilomètres ; dans les années à venir, les points de résolution seront distants de quelques dizaines de kilomètres seulement. L'étude des phénomènes de climatologie peut se contenter d'une résolution de plusieurs centaines de kilomètres ; si l'on descend à quelques dizaines de kilomètres, on pourra encore rester à l'échelle de la climatologie, mais on verra mieux les phénomènes liés aux reliefs – aux grands reliefs s'entend : lorsqu'on prend un point tous les vingt-cinq kilomètres, on ne voit même pas encore complètement la vallée du Rhône par exemple, et l'île de La Réunion pas du tout… Il faudrait pouvoir descendre à un point tous les kilomètres, ce qui a deux avantages : non seulement c'est vraiment l'échelle pertinente pour mesurer les impacts des phénomènes extrêmes, mais cela permet aussi de représenter les grands nuages. Or l'on sait que, dans le système climatique, les grands nuages sont les vecteurs principaux des transports d'énergie dans l'atmosphère terrestre.

Aujourd'hui, ces grands nuages sont représentés, mais de façon indirecte parce qu'on ne peut pas représenter les vitesses verticales, etc. Grâce à la résolution kilométrique, on ira beaucoup plus loin et on fera certainement des découvertes. Si les capacités de calcul ne le permettent pas aujourd'hui, ce sera certainement possible dans la décennie qui vient.

Vous posez la question de la dimension géographique de l'effort à consacrer en matière d'observations. D'ores et déjà les groupes mondiaux s'organisent et de grands projets européens se structurent pour essayer d'échanger les logiciels, les technologies de représentation des données. Ainsi, une infrastructure mondiale s'est mise en place, qui distribue toutes les données de projections climatiques dans une démarche totalement bottom up. Les ingénieurs et les scientifiques se sont accordés au niveau mondial pour standardiser, homogénéiser la communication de ces données. C'est une réalisation remarquable puisqu'elle permet à tout le monde d'analyser ces projections climatiques.

Mais pour ce qui est du calcul et des ressources nécessaires pour calculer, c'est en encore la dimension nationale qui prédomine. Quelques organisations européennes mutualisent les moyens de calcul, mais l'effort dans ce domaine est encore très largement insuffisant.

Cela étant, pour la recherche, les moyens de calcul sur le climat sont partagés avec d'autres disciplines – la physique des particules, la biologie, etc. Et si l'on pense que la question du climat est très importante, un pays peut aussi décider d'y consacrer des moyens spécifiques. Mais cela suppose une décision politique.

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Ludivine Oruba, maître de conférences à l'Université Pierre et Marie Curie, Laboratoire atmosphères, milieux et observations spatiales (LATMOS)

Chez les Américains, toutes les données, qu'elles soient in situ ou issues des observations à partir de satellites, d'avions ou autres, sont disponibles : n'importe qui peut les récupérer sur Internet. En France, l'accès à des données peut se révéler très compliqué. C'est un élément sur lequel il faudrait se pencher.

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Bernard Legras, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique de l'École normale supérieure (ENS)

Je suis responsable scientifique du pôle de données Aeris, qui s'efforce justement de mettre cela en oeuvre au niveau français.

Les chercheurs européens et français sont encore un peu dans le modèle ancien où l'on ne distribue pas les données. Mais les mentalités changent rapidement, et notre objectif est de rendre accessibles toutes les données des réseaux d'observation et de parvenir à une certaine standardisation si nous voulons aboutir à une qualité des données climatiques homogènes : il ne faudrait pas que, dans un siècle ou deux, on s'interroge sur les billets instrumentaux comme on le fait actuellement avec les données recueillies il y a un siècle ou deux… Il est vrai qu'à l'époque, elles n'étaient pas récoltées pour en faire de longues séries climatiques ; reste qu'elles nous sont très utiles aujourd'hui. Nous essayons d'anticiper, de façon à qualifier la qualité des données, à les calibrer, à les traiter toutes avec des algorithmes similaires afin que nos successeurs puissent les utiliser en toute confiance.

Nous essayons aussi de rendre accessibles toutes les données des réseaux météorologiques de Météo France via un portail unique, en cours de développement.

Ce problème est donc en passe d'être résolu, même si je ne vous cache pas que la collecte nous pose encore quelques difficultés.

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Je souhaite vous poser deux questions. La première concerne le littoral provençal et la seconde pourrait peut-être éclairer mon éminent collègue de La Réunion.

Aux dires des populations mais aussi des praticiens de la mer comme les marins-pêcheurs ou les pêcheurs de gorgones, le mistral soufflerait moins, ou moins régulièrement. Les plongeurs estiment qu'ils trouvent les coraux à des profondeurs moins importantes qu'auparavant à cause de la turbidité des eaux. Pouvez-vous nous communiquer des éléments sur ce point ?

Ma seconde question est relative aux prévisions de coups de tabac. Un chercheur de Météo France, aujourd'hui à la retraite, avait créé une entité à part située dans ma circonscription et mis au point un modèle de calcul des houles et des tempêtes qui avait fait sa réputation dans le milieu de la recherche pétrolière, dans le golfe du Mexique ou au Gabon, et qui permettait aux foreurs de savoir s'ils devaient interrompre ou non leurs travaux de recherche selon les tempêtes qui s'annonçaient. Météo France a dû le reprendre. N'est-ce pas un moyen assez fiable dont pourraient servir nos camarades ultramarins, qui pourraient ainsi disposer d'une alerte suffisamment pointue afin de prendre à temps les mesures adéquates ?

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Robert Vautard, chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE)

Je ne pourrai pas malheureusement répondre à la seconde question, par incompétence si je puis dire, et je me limiterai au domaine que je connais.

Vous faites référence au mistral et à ce que l'on appelle les climats régionaux. Un travail de coordination des simulations à relativement haute résolution a été réalisé récemment, qui faisait suite à tout un travail en amont engagé depuis longtemps. Pour simuler les climats régionaux, on prend les simulations globales et on effectue un zoom sur une région particulière. C'est ce qui a été fait sur l'Europe avec le soutien de nos tutelles et de nos organismes de recherche, CNRS et autres, afin d'étudier la Méditerranée. Il s'agit des programmes HyMeX, Hydrological cycle in the mediterranean experiment, et MISTRALS, Mediterranean integrated studies at regional and local scales. Ces études ont porté sur des campagnes de mesures et des simulations numériques. La question des vents reste toujours extraordinairement complexe. On obtient des résultats assez évidents sur les températures. Quant aux précipitations extrêmes – les fameuses pluies méditerranéennes, parfois appelées pluies cévenoles –, on sait qu'elles ont augmenté de 20 % depuis le milieu du XXe siècle. Pour le moment, nous ne sommes malheureusement pas en mesure de répondre à votre interrogation sur le vent, sans doute parce que nous n'avons pas encore suffisamment travaillé sur le sujet. Cette question est très intéressante, mais force est de reconnaître que les observations et les simulations auxquelles il a été procédé jusqu'à présent ne nous ont pas encore permis de déceler sur ce point des signaux tout à fait clairs.

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Dans les départements du sud de la France, la question du vent a une importance particulière en ce qu'elle est liée à celle des incendies et de leur pouvoir destructeur ; on l'a encore vu tout récemment en Corse. Lorsque, après avoir été ravagée par un incendie, une forêt méditerranéenne subit un épisode de pluie de grande intensité – ce qui n'est pas rare, car les pluies sont de plus en plus fortes –, l'effet de ravinement des sols se trouve amplifié. C'est ainsi que le changement climatique produit, sous l'effet d'une véritable réaction en chaîne, des événements à caractère catastrophique.

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Robert Vautard, chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE)

Nous disposons aujourd'hui d'éléments relatifs aux températures, aux précipitations et aux périodes de sécheresse, mais l'étude des vents régionaux constitue un vaste champ de recherche que nous commençons tout juste à explorer ; mais nous sommes bien conscients de l'intérêt qu'elle présente.

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Bernard Legras, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique de l'École normale supérieure (ENS)

Même si les extrêmes peuvent être plus violents, les précipitations moyennes en région méditerranéenne risquent plutôt de diminuer, ce qui pourrait aggraver la désertification des zones concernées et augmenter de ce fait les risques d'incendie. C'est le cas dans le sud de la France, mais aussi en Italie, où il y a eu énormément d'incendies cette année, notamment en Toscane, en raison d'une sécheresse beaucoup plus intense que d'habitude.

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Mme Oruba nous a donné des éléments scientifiques très précis au sujet des événements cycloniques, et M. Vautard nous a indiqué qu'il ne fallait pas s'attendre, en France métropolitaine, à une évolution de la fréquence des tempêtes ni de leur intensité. Cependant, les événements récemment survenus sur la côte atlantique française – je pense en particulier au cyclone de l'automne dernier – sont-ils de nature à modifier l'appréciation des risques relatifs aux événements cycloniques ?

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Ludivine Oruba, maître de conférences à l'Université Pierre et Marie Curie, Laboratoire atmosphères, milieux et observations spatiales (LATMOS)

Le principal risque en France métropolitaine n'est pas lié aux cyclones tropicaux, mais aux tempêtes des moyennes latitudes. Or, comme l'a dit Robert Vautard, nous ne disposons pas encore de signaux clairs sur l'évolution du nombre et de l'intensité de ces tempêtes.

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Robert Vautard, chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE)

Effectivement, la côte atlantique de France métropolitaine est principalement exposée aux grandes tempêtes d'hiver, dont nous connaissons pratiquement chaque année un ou plusieurs épisodes d'une intensité plus ou moins marquée. Du fait de la montée du niveau marin, clairement lié au changement climatique, mais aussi des pluies plus importantes, les zones littorales de France métropolitaine se trouvent actuellement confrontées à un risque de submersion plus élevé : de ce point de vue, l'absence de signal clair en matière de tempêtes ne doit pas nous conduire à penser qu'il n'existe aucun risque.

Pour ce qui est du risque de voir arriver des cyclones tropicaux sur la côte atlantique métropolitaine, certaines études, extrêmement rares, tendent à montrer que des phénomènes de ce type pourraient survenir, mais plutôt dans le cadre d'une évolution climatique du milieu ou de la fin du siècle. Cependant, comme vous l'avez dit, un cyclone à trajectoire courte a bel et bien touché nos côtes cet automne. Si Ophelia n'était pas le premier cyclone à se diriger vers les côtes européennes, il présentait en revanche la trajectoire la plus à l'est jamais enregistrée depuis le début des observations.

À titre personnel, cela m'a beaucoup étonné de voir ce cyclone approcher autant les côtes européennes. Ce phénomène va faire l'objet d'études approfondies dans le cadre de nos modèles, mais je répète que nous ne disposions pas jusqu'à maintenant d'une résolution suffisante pour obtenir des données significatives sur ce type d'événements – heureusement, la récente amélioration des modèles devrait nous permettre de réaliser des progrès en la matière. Je suis désolé de ne pouvoir répondre de manière plus précise à votre question, mais il nous est impossible de faire mieux, en l'état de l'art.

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Madame, messieurs, nous vous remercions pour les informations que vous nous avez données, qui vont éclairer notre réflexion. Nous avons bien compris que subsistent encore, en matière d'évaluation des risques climatiques, des incertitudes liées au fait que les modèles actuels se fondent sur des observations réalisées sur une période relativement courte à l'échelle des phénomènes étudiés, et que les progrès de la science doivent permettre de réaliser prochainement des observations et des prévisions plus fines.

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Madame, messieurs, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation.

L'audition s'achève à onze heures dix.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 25 janvier 2018 à 9 h 30

Présents. - M. Bertrand Bouyx, M. Lionel Causse, M. Stéphane Claireaux, Mme Claire Guion-Firmin, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, M. David Lorion, M. Philippe Michel-Kleisbauer

Excusée. - Mme Maina Sage