Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 2 décembre 2020 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • SNCF
  • TGV
  • ferroviaire
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La réunion

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La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a procédé à l'audition, en application de l'article 13 de la Constitution, de M. Jean-Pierre Farandou dont la nomination est proposée par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général de la société nationale SNCF ( Mme Valérie Petit, rapporteure ).

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En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, nous auditionnons M. Jean-Pierre Farandou, que le Président de la République propose de reconduire aux fonctions de président-directeur général de la SNCF.

Je rappelle que cette audition est publique et qu'elle sera suivie d'un vote à scrutin secret effectué par appel nominal et en dehors de la présence de la personne auditionnée. Aucune délégation de vote ne sera possible. Le dépouillement du scrutin aura lieu après l'audition de M. Jean-Pierre Farandou, que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat vient d'entendre.

En application de notre règlement, nous avons nommé une rapporteure sur cette proposition de nomination, Mme Valérie Petit. Celle-ci a élaboré un questionnaire préalablement envoyé à M. Jean-Pierre Farandou, dont les réponses ont été publiées sur le site de l'Assemblée nationale et vous ont été transmises.

Monsieur le président-directeur général, la proposition de votre nomination intervient à un moment particulier. La SNCF doit en effet faire face à plusieurs défis : celui des conséquences de l'épidémie, qui ont un impact considérable sur son activité et ses ressources, celui de l'ouverture à la concurrence, celui du verdissement des transports et, enfin, celui du renforcement de l'activité de fret, que nous appelons tous de nos vœux.

Nous sommes conscients des difficultés auxquelles la SNCF doit faire face mais nous attendons aussi beaucoup de cet opérateur historique dont le rôle est essentiel pour les transports du quotidien. Les axes que vous souhaitez privilégier si vous êtes reconduit à vos fonctions seront donc déterminants.

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Notre pays entre dans l'ère des crises, sanitaire, économique voire sociale, mais aussi climatique et sécuritaire. La France doit non seulement faire face mais réfléchir à la façon dont elle peut s'y adapter sur le long terme.

La SNCF joue un rôle clé dans la vie quotidienne des Français, dans l'évolution de leur mode de vie et pour le soutien à l'activité. Je souhaite donc vous poser des questions très simples sur la façon dont l'entreprise, elle aussi, devra adapter son modèle économique pour participer, avec l'État et avec les Français, à cette vaste stratégie d'adaptation nationale à la « société des crises ».

Ma première question portera sur la crise sanitaire et la manière dont la SNCF se positionne aux côtés des Français dans le cadre des deux confinements et déconfinements, mais je la poserai sur un mode un peu humoristique, malgré la gravité de la situation.

Ce n'est pas encore Noël, mais je vais vous raconter un petit miracle : je suis parmi vous sans avoir pu prendre de train. Depuis six mois, comme beaucoup de Français, je voyage dans des trains bondés et je suis soumise à des horaires peu propices à la bonne organisation des journées de travail. Je parviens, vaille que vaille, à me débrouiller, au prix de quelques conséquences sur mon activité professionnelle et sur ma vie de famille. Bref, en tant qu'usager de la SNCF et, particulièrement, du TGV Lille-Paris, je n'ai pas le sentiment que l'on me facilite cette adaptation à la crise.

Vous avez affirmé dans vos réponses à notre questionnaire que vous placez la satisfaction du client au cœur de votre modèle et que vous êtes au rendez-vous du déconfinement. Or ce n'est pas un sentiment que partagent beaucoup de Français et d'usagers. Sur quels éléments vous fondez-vous pour juger ainsi de la satisfaction des usagers quant à votre gestion du confinement, du déconfinement, et à votre soutien à la reprise de l'activité ?

Le succès commercial du réseau TGV est décisif pour financer les trains d'équilibre du territoire (TET) et pour l'aménagement du territoire. Quelle a été votre action pendant la crise ? Quelle est votre feuille de route ?

Quid, précisément, des TET ? Un effort substantiel a été consenti dans le cadre du plan de relance avec un investissement de 620 millions d'euros. Le Gouvernement et la majorité ont pris des engagements forts auprès des Français sur les transports du quotidien, et je sais que vous travaillez avec l'ensemble des présidents de région. Quelles assurances pouvez-vous nous donner pour les années à venir ?

De plus, quelles actions la SNCF mène-t-elle pour assurer la sécurité des usagers et de ses agents ?

Je sais que vous avez de grandes ambitions en matière de fret. Le plan de relance, là encore, comprend des investissements importants et la Convention citoyenne pour le climat a quant à elle fait part de ses attentes. Quelle est votre feuille de route ?

Enfin, comme toutes les entreprises, la SNCF a été fortement touchée par la crise. En septembre, vous avez estimé que les pertes s'élevaient à 5 milliards d'euros. Comment comptez-vous assurer les équilibres financiers de l'entreprise dans un contexte qui, au-delà des crises, n'est pas simple, notamment en raison de l'ouverture à la concurrence ?

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Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

Depuis ma prise de fonction à la présidence du groupe SNCF, en novembre 2019, j'ai eu l'honneur de venir plusieurs fois m'exprimer devant la représentation nationale, dans le cadre de l'article 13 de la Constitution mais aussi, au printemps, pour faire le point sur l'épidémie. Je suis d'ailleurs tout à fait disposé à revenir devant vous chaque année pour évoquer la situation de l'entreprise.

Nous avons géré cette crise, ce qui n'a pas été facile, et nous sommes parvenus à engager la transformation de l'entreprise. J'ai toujours en tête la nécessaire préparation de la sortie de crise afin de répondre aux évolutions des attentes telles qu'elles se sont dessinées pendant cette longue période car la crise peut profondément modifier la façon dont les Français organisent leurs mobilités.

Lorsque je suis arrivé, la SNCF était en pleine ébullition et connaissait une forte tension sociale. Je pense avoir réussi à rétablir le dialogue social avec toutes les organisations syndicales ; le travail d'écoute et d'explication paie. J'ai une conviction forte : c'est avec les cheminots, et pas sans eux ou contre eux, que nous ferons la nouvelle SNCF.

Nous faisons aujourd'hui face à deux mutations importantes et concomitantes qui bousculent la SNCF.

La première mutation, c'est la crise épidémique, ses secousses, que l'on commence seulement à mesurer et qui seront peut-être plus fortes que prévu : nous observons une baisse inédite du trafic ferroviaire, en particulier pour le TGV qui fêtera ses quarante ans d'existence l'année prochaine – quarante ans d'une croissance continue et forte – et nous assistons à un changement des habitudes et des comportements des Français en matière de mobilité.

La seconde mutation, c'est l'imminence de l'ouverture à la concurrence puisque des lots seront attribués dès 2021 – dont certains, je l'espère, à la SNCF. Cela entraînera un changement dans le fonctionnement même du marché ferroviaire.

Ce contexte nous conduit à nous interroger sur le modèle du groupe et, plus globalement, sur le modèle du ferroviaire en France.

Notre ambition reste inchangée. Nous voulons garantir à chaque territoire un service public de haute qualité et continuer à être utiles au pays pour répondre à l'urgence sociale que vous avez évoquée – dont certains signes, que la crise sanitaire multipliera, se sont déjà manifestés – ainsi qu'à l'urgence climatique : le ferroviaire est en l'occurrence la solution, selon les recommandations même de la Convention citoyenne pour le climat et du Green Deal européen. Nous assistons à un « alignement des planètes » grâce auquel le train apparaît bien comme la colonne vertébrale d'une nouvelle mobilité pour les voyageurs comme pour les marchandises.

Le débat sur ce nouveau modèle est bien sûr au cœur de ma réflexion en tant que président du groupe et il anime toute l'équipe dirigeante qui m'entoure. J'ai la conviction que ce débat est également public, national, qu'il appartient de plein droit aux Français et que l'on ne doit pas le craindre.

La question financière est centrale car les sommes d'argent public en jeu sont considérables, tant en ce qui concerne les dépenses d'investissement que de fonctionnement.

L'équilibre même du pacte ferroviaire décidé en 2018 est soumis au choc de la crise sanitaire et nous sommes entièrement mobilisés pour construire la soutenabilité économique de l'entreprise. Au-delà, la question de la soutenabilité politique du modèle se pose toujours : quel ferroviaire voulons-nous pour notre pays ?

C'est pourquoi je souhaite partager avec vous notre diagnostic.

Malgré toutes les difficultés liées à la gestion de la crise, le cap stratégique est très clair et ma détermination intacte pour que l'entreprise devienne, d'ici 2030, un champion mondial de la mobilité durable des voyageurs et des marchandises, avec un cœur de métier – le ferroviaire – et un pays de référence – la France.

L'attention de l'État et des parlementaires vis-à-vis du groupe que j'ai honneur de présider a été décisive au cours de cette première année d'exercice : j'ai pu compter sur vous ! La période est rude, les risques s'accumulent, et nous sommes tous directement affectés. Je souhaite que la SNCF se tienne aujourd'hui plus que jamais aux côtés des Français et des territoires. Nous sommes une entreprise publique et nous avons un rôle à jouer pour faire face aux difficultés qui s'amoncellent.

Avant la crise sanitaire, nous avons connu une crise plus « classique » dans le secteur ferroviaire, puisque nous avons dû gérer deux mois de grève continue contre la réforme des retraites. À peine cette première épreuve était-elle terminée que nous avons dû embrayer avec la crise sanitaire.

L'activité ferroviaire a connu un coup d'arrêt brutal et inédit. Nous sommes passés de 15 000 à 3 500 trains par jour pendant le premier confinement et de 5 millions de voyageurs par jour à moins de 150 000, ce qui est logique puisqu'il importait de réduire les déplacements des Français afin d'éviter que l'épidémie ne se propage trop vite. Nous nous sommes préparés à une éventuelle réplique et… nous n'avons pas été déçus : le deuxième confinement constitue un nouveau choc opérationnel, financier, et même moral car il est peut-être plus difficile à vivre et à accepter que le premier, même s'il est moins rigoureux.

Je salue le travail collectif accompli par l'entreprise, qui a témoigné de sa promptitude, de sa souplesse et de sa capacité de mobilisation : les cheminots se sont mobilisés dans un climat social apaisé et responsable. La SNCF a su aussi se dépasser puisque, à la demande des autorités de santé publique, dix TGV sanitaires ont circulé pour soulager certains hôpitaux et faire en sorte qu'une centaine de malades soient soignés dans de meilleures conditions. Elle a ainsi témoigné de son attachement aux territoires et à l'intérêt général, valeur fondamentale des cheminots.

Symbole récent de cette utilité : une greffe du cœur et une vie sauvée grâce à l'acheminement d'un greffon à grande vitesse ferroviaire, dans la cabine d'un TGV, entre la Lorraine et Paris.

Cette entreprise fonctionne et continuera de fonctionner malgré les difficultés car elle est consciente des urgences auxquelles nous sommes confrontés.

Nous avons constaté l'importance du système de fret : les entreprises ont besoin du ferroviaire pour transporter des marchandises mais aussi des produits pétroliers et chimiques, par exemple pour le traitement de l'eau dans les grandes villes, des céréales – vidage des silos et transport vers de grands ports comme celui de La Rochelle.

Les cheminots ont travaillé alors même que les conditions sanitaires étaient précaires puisque nous n'avions pas encore de masques. Pendant cette période, nous avons su travailler avec les autorités organisatrices, les régions, Île-de-France Mobilités, pour assurer la continuité du service public.

L'urgence, ce sont aussi les catastrophes naturelles. Dans les Alpes-Maritimes, nous avons transformé en une nuit des TER en trains cargos de marchandises puisque les routes étaient détruites et que les hélicoptères ne pouvaient pas tout faire. Ce sont eux qui ont transporté de l'eau, des médicaments, des vivres dans la vallée des Merveilles, durement touchée par ces terribles inondations.

Nous avons également en tête l'urgence sociale. Nous avons ainsi été au rendez-vous de l'été en augmentant le nombre de trains et en baissant les prix : 4 millions de billets TGV à petits prix ont été vendus, de même que 1 à 2 millions de billets TER à prix très bas. Ainsi, par rapport à la même période de l'année dernière, 85 % de la clientèle est revenue.

La SNCF a très concrètement démontré sa capacité à répondre à la demande des Français, grâce au travail et à l'engagement des 140 000 cheminots. Nous pouvons être fiers de cette grande entreprise et de ses personnels !

Sur le plan économique, la baisse de la fréquentation des TGV est importante. Si les voyages de loisirs se maintiennent à peu près, les déplacements professionnels sont lourdement affectés par la crise : télétravail, téléréunions, annulation des salons professionnels, tous les grands « générateurs » de trafic sont à l'arrêt, ce qui nous prive quasiment de la moitié de notre clientèle « affaires » et donc, de revenus importants. En septembre et en octobre, avant le deuxième confinement, le chiffre d'affaires TGV avait diminué de 50 % environ : 40 % de volume et 10 % d'effets tarifaires en moins.

Avant l'annonce du second confinement, les pertes de chiffre d'affaires s'élevaient à 5 milliards d'euros. La situation s'aggravera encore d'ici la fin de l'année : ce choc économique, là encore, est d'une ampleur inédite, malgré les économies qui ont été réalisées – 1,8 milliard d'euros en 2020 – grâce au report des investissements, au système de chômage partiel dont nous avons pu bénéficier grâce au Gouvernement et à la réduction des frais de fonctionnement.

Si, en 2018, l'État a désendetté le système ferroviaire à hauteur de 35 milliards d'euros, nous avons également bénéficié des 4,7 milliards du plan de relance. Merci au Gouvernement d'avoir répondu présent ! Dans une logique d'investissement, d'activité et de rénovation du système ferroviaire et non de désendettement, cette somme sera consacrée au réseau, dont 600 millions d'euros pour les lignes de desserte fine du territoire.

Pour la première fois, nous sortons d'une ambiguïté historique concernant ces petites lignes et leur devenir : qui les finance, entre État, régions et SNCF ? L'initiative gouvernementale permettra de clarifier les rôles de chacun à travers des protocoles entre l'État et la région comme, par exemple, Auvergne-Rhône-Alpes, autour de l'aménagement des lignes de voyageurs et de fret.

Deuxième grande ambition du plan de relance : le fret. Par rapport à la route, il ne représente que 9 % du marché, ce qui est inférieur à la moyenne européenne – entre 15 % et 18 % – et bien éloigné de la Suisse et de l'Autriche – au-delà de 30 %. Ces deux pays, alpins, bénéficient de politiques volontaristes. L'Autriche est le meilleur élève de l'Europe parce qu'elle bénéficie de véritables systèmes d'aides, notamment aux wagons isolés. Je remercie le Gouvernement d'en avoir institué pour la première fois : nous pourrons ainsi, dans un premier temps, stabiliser cette activité puis, je l'espère, la développer.

Les trains de nuit étaient en perte de vitesse suite au développement du TGV, puisque des trains de jour s'y étaient substitués. Le Gouvernement a décidé de relancer deux liaisons supplémentaires : outre le Paris-Briançon et le Paris-Latour-de-Carol, le Train bleu reliera Paris à Nice, et la Palombe bleue, qui reliait Paris à Hendaye via Bordeaux, desservira désormais Toulouse, Tarbes et Pau. Pourquoi d'ailleurs ne pas envisager d'autres trains de nuit, notamment européens ?

À propos du modèle économique, j'insiste sur la péréquation, typique du système ferroviaire à la française mais hélas fragilisée par la crise.

Première péréquation : avant la Covid-19, une ligne de TGV sur deux n'était pas rentable. Le coût des péages est en effet bien plus élevé qu'il ne l'est par exemple en Espagne ; une rame de TGV coûte 30 millions d'euros et doit être amortie, à quoi s'ajoutent les coûts de fonctionnement, de personnels, de l'énergie, etc. Lorsque les lignes rentables étaient prospères, la péréquation permettait d'irriguer le reste du territoire – hormis la Normandie, l'Auvergne et le Limousin, qui ne sont malheureusement pas desservis par le TGV.

Deuxième péréquation : le TGV finance les TET à travers la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires (TREF) et la contribution de solidarité territoriale (CST). Cela soulève quelques interrogations : est-ce normal que le ferroviaire finance le ferroviaire, d'autant plus que ce secteur ne va pas bien ? Est-ce normal que la SNCF finance des lignes qui pourraient être attribuées à la concurrence ? Peut-être faudra-t-il qu'avec les parlementaires et le Gouvernement, nous examinions le bien-fondé de ce système.

Troisième péréquation, qui date de 2018 et qui est très saine puisque l'argent reste au sein du système ferroviaire : le bénéfice dégagé par les activités ferroviaires, dont le TGV, finance la régénération du réseau à travers un fonds de concours. Mais encore faut-il qu'il y ait des bénéfices. Or nous risquons d'être confrontés à un problème d'équilibre, dont il faudra là encore parler avec le Gouvernement et les parlementaires.

Je suis conscient des défis stratégiques auxquels l'entreprise doit répondre. Nous avons lancé à cette fin le projet « Tous SNCF ».

Le premier défi est environnemental. Le train doit être le gagnant de la sortie de crise sanitaire. Or, aujourd'hui, la voiture est plutôt mieux placée. Il convient donc de créer les conditions pour que le train soit le mode de transport de voyageurs et de marchandises le plus utilisé. Si vous ne deviez retenir qu'un chiffre, c'est celui-ci : le ferroviaire émet en moyenne vingt fois moins de CO2 que les autres modes – les transports étant responsables de 25 % à 30 % des émissions. Le report modal de la voiture et de l'avion vers le ferroviaire doit donc être impérativement encouragé. C'est l'alpha et l'oméga d'une politique environnementale.

Le deuxième défi est socio-économique. Nous avons recruté 3 700 personnes en contrats à durée indéterminée (CDI) cette année, malgré la crise, et nous en recruterons 2 500 l'année prochaine. Nous réalisons des efforts importants en direction de la jeunesse avec 7 000 contrats d'alternance, à quoi s'ajoutent 2 500 contrats d'insertion : près de 10 000 jeunes ont ainsi la possibilité de trouver une place, une formation et de s'intégrer dans le monde du travail avec la SNCF. Une grande entreprise comme la nôtre se doit de soutenir les politiques publiques en faveur de l'emploi et des jeunes.

Le troisième défi est territorial. La SNCF, dont la politique a été trop centralisatrice ces dernières années, doit retrouver le sens des territoires. Il y a une stratégie nationale, certes, mais il y a aussi des stratégies régionales. Les besoins ferroviaires doivent être évalués depuis la Bretagne, les Hauts-de-France, la Nouvelle-Aquitaine, l'Occitanie, etc. Nous avons besoin de ce regard territorial pour comprendre les besoins et les enjeux, ce à quoi je m'emploie à travers la nomination de coordinateurs régionaux. J'ai également rencontré l'ensemble des présidents de région afin de discuter avec eux de ces questions. Je souhaite que la SNCF devienne un partenaire des collectivités pour répondre aux enjeux de cohésion sociale, d'emploi, de transition énergétique.

Je suis convaincu que le ferroviaire a de l'avenir. La crise que nous traversons dure mais ce secteur est le grand mode d'avenir de la mobilité. J'ai confiance en la SNCF, en dépit de la concurrence, car elle a des atouts à faire valoir. Certes, nous perdrons quelques marchés mais nous saurons garder la confiance des autorités organisatrices.

Depuis que je suis à la tête de l'entreprise – j'espère que vous me ferez confiance pour continuer mon mandat ! – je souhaite que la SNCF porte haut les ambitions de la France en matière de mobilité. Pour nous, le mot-clé est « utile ». Nous devons être utiles en période de crise, utiles aux territoires, aux voyageurs et aux chargeurs, utiles pour répondre à l'urgence climatique – Green Deal, Convention citoyenne pour le climat, impulsions politiques données par le Gouvernement en matière de transition écologique –, utiles sur le plan social et économique – je songe à l'égalité femmes-hommes qui, avec la jeunesse, fait partie des grandes causes défendues par l'entreprise. Je souhaite que, pendant mon mandat, nous avancions sur toutes ces questions.

Le « monde d'après » a déjà commencé dans la tête des décideurs politiques ou économiques. Vous aurez compris que nous cherchons à en appréhender les caractéristiques pour que la SNCF et la mobilité ferroviaire soient une solution en sortie de crise et que nous sortions renforcés de la période difficile que nous traversons.

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Je répète ma question. Pour que le ferroviaire sorte gagnant de cette crise et que la SNCF sorte gagnante de l'ouverture à la concurrence, la meilleure façon consiste à conquérir les cœurs des usagers. Pourriez-vous donc nous donner les éléments permettant de distinguer entre le sentiment d'insatisfaction, que nous percevons sur nos territoires, et la réalité du service fourni ? Ainsi, nous pourrons travailler, en toute objectivité, à l'amélioration du service et faire de la SNCF le fleuron que nous attendons tous.

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Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

Nous devons parvenir à trouver un équilibre. Les usagers souhaitent avoir le plus grand nombre possible de TGV à leur disposition, à tous les horaires possibles, et c'est bien normal. Nous y sommes parvenus avant la crise avec, par exemple, plus de vingt allers-retours quotidiens entre Paris et Lille. Le cercle vertueux d'une offre et d'une demande importantes était donc enclenché, mais la crise est passée par là.

La logique sanitaire a imposé une réduction de la mobilité. La mobilité inter‑régionale n'a d'ailleurs été possible que dans le cadre de dérogations et d'attestations, les pouvoirs publics n'ayant en rien encouragé les déplacements d'une région à l'autre pendant le confinement. Nous avons donc réduit l'offre.

De plus, la demande s'est effondrée. Lors du premier confinement, 1 % du trafic était assuré contre 12 % à 13 % lors du second, même si des variations sont possibles en fonction des lignes. La baisse est donc sensible. Il n'est pas question de faire circuler des trains vides, même si ces derniers ne doivent pas être trop remplis – peut-être que des corrections doivent être d'ailleurs apportées, ce que nous sommes prêts à faire.

Enfin, sur un plan économique, c'est le TGV qui « tient » toute l'entreprise. Lorsqu'il va bien, elle va bien ; lorsqu'il va mal, nous allons tous mal, la SNCF et au-delà, car tout l'équilibre économique ferroviaire est affecté.

Le taux d'occupation est l'une des clés de la soutenabilité du modèle TGV. Les coûts sont fixes : que le TGV soit plein ou vide, le coût du péage est le même, de même que celui de l'amortissement du matériel, en capital et en maintenance. Pour couvrir les coûts engagés, l'occupation doit être supérieure à 60 %. En deçà, chaque TGV qui circule perd de l'argent, ce qui ne peut pas durer très longtemps : les péréquations que j'ai évoquées voleraient en éclat.

La seule manière de retrouver l'équilibre est d'avoir des taux d'occupation convenables, donc, d'ajuster l'offre à la demande. Celle-ci baissant, il n'est pas anormal de diminuer celle-là. Est-on allé trop loin dans certains endroits ? C'est possible. Nous sommes prêts à en discuter avec les élus – certains, dans les territoires septentrionaux, ont fait savoir qu'un ajustement serait nécessaire. Nous y travaillons avec l'ensemble des élus et nous augmenterons l'offre en janvier. Nous veillerons également à la desserte TGV des villes moyennes : si nous nous fiions uniquement à la demande, nous serions tentés de réduire davantage encore le trafic mais nous ne le ferons pas.

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Je salue le dévouement et le travail du personnel de la SNCF, cheminots et contractuels, de même que votre détermination et le volontarisme dont vous faites preuve face à cette crise inédite.

Un peu plus d'un an après votre nomination, votre reconduction proposée par le Président de la République s'inscrit dans le contexte particulièrement difficile de la crise sanitaire, avec des conséquences économiques dramatiques pour la SNCF et, plus largement, pour notre économie, notamment pour le secteur des transports publics.

Avant la crise, le groupe ferroviaire s'inscrivait dans une trajectoire d'amélioration structurelle de sa performance économique mais, aussi, de sa gouvernance, fort du pacte ferroviaire que nous avons voté et de réformes que vous avez entreprises avec vos équipes dans un laps de temps très court.

La crise sanitaire continue d'avoir des conséquences financières importantes, avec plus de 5 milliards d'euros de pertes cette année. L'État et les contribuables sont au rendez-vous puisque 4,7 milliards d'euros ont été alloués au secteur ferroviaire par le plan de relance, mais le groupe La République en Marche souhaite vous entendre sur les nouvelles économies que vous envisagez pour retrouver un équilibre financier, d'ailleurs prévu par le pacte ferroviaire. Vous avez récemment annoncé une revue de portefeuille, notamment la vente de certaines filiales. Pouvez-vous nous en dire plus sur les pistes d'économies à l'étude ?

En outre, il importe de retrouver la confiance des usagers, fortement mise à mal pour toutes les mobilités collectives. Le PDG de SNCF Voyageurs a déclaré que la SNCF devait se réinventer pour reconquérir ses usagers. Pouvez-vous annoncer des pistes concrètes ?

Enfin, des engagements ont été pris dans le cadre du pacte ferroviaire et de la loi d'orientation des mobilités. Nous réaffirmons que le ferroviaire doit être, demain, le principal levier des transports du quotidien et que cette crise ne saurait remettre en cause les engagements en faveur de la rénovation et de la sécurisation du réseau, de l'aménagement du territoire, avec les petites lignes, les trains de nuit, le fret, les TET, et de la transition écologique, avec l'électrification des lignes et le train à hydrogène.

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L'élue normande que je suis nourrit de fortes attentes vis-à-vis de la SNCF. Or, le service rendu aux usagers n'est pas du tout à la hauteur de ce que doit être un service public, notamment sur la ligne Caen-Paris-Cherbourg. Je citerai quelques exemples, qui pourraient prêter à sourire, s'ils ne révélaient des problèmes d'organisation internes à la SNCF : attente du conducteur, qui se trouve dans un autre train ; locomotive non attachée ; gare fermée car la personne détenant les clés ne s'est pas réveillée, et j'en passe… J'espère que votre premier mandat vous aura permis de cerner les difficultés, et que le second vous offrira l'occasion d'y remédier.

De quelle manière les crédits accordés dans le cadre de la relance viendront-ils alimenter la SNCF ? Les quelques chiffres que j'ai vus montrent que les sommes en question sont très nettement inférieures aux pertes de la SNCF.

Par ailleurs, les tarifs des péages que SNCF Réseau fait supporter aux autorités organisatrices évoluent très fortement, par application du contrat de performance liant l'État à SNCF Réseau. Ce mécanisme n'est pas soutenable dans la durée et posera rapidement de réelles difficultés aux régions. Quelles propositions comptez-vous faire à l'État pour trouver d'autres variables d'ajustement ?

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Je voudrais revenir sur plusieurs enjeux que la SNCF devra continuer à affronter dans les années à venir. Je dirai un mot, tout d'abord, de l'effet de la crise sanitaire sur le groupe SNCF. Comptez-vous sur une nouvelle aide de l'État ? Vous avez établi un calendrier de retour à l'équilibre en 2022 pour le groupe et en 2024 pour SNCF Réseau, mais ces objectifs ne sont plus tenables. Quelles sont vos nouvelles échéances ? Vous avez aussi évoqué les nouvelles manières de travailler consécutives au confinement, notamment le télétravail, qui se traduisent par une baisse de la clientèle et une diminution des revenus. Craignez-vous un détournement durable de la clientèle professionnelle ? Si tel est le cas, comment comptez-vous vous y adapter ?

Quelles sont les perspectives en ce qui concerne l'ouverture à la concurrence ? Il a été indiqué récemment que vous êtes la seule entreprise à avoir répondu à l'appel d'offres lancé sur les trains Intercités Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux. Quelles conclusions en tirez-vous ?

S'agissant du fret ferroviaire, le Gouvernement s'est engagé à doubler sa part d'ici à 2030 par la fiabilisation du réseau, la réduction du prix des péages et le soutien au wagon isolé – des mesures qui vont dans le bon sens. Peut-on croire enfin à une réelle accélération du fret ferroviaire en France ? Le concours au lotissement attend le feu vert de la Commission européenne. Où en est-on ?

J'évoquerai un dernier sujet, qui me tient particulièrement à cœur, et sur lequel je vous avais interrogé il y a un an : l'accessibilité des gares. En effet, il faut être attentif à tous les usagers. Aujourd'hui, on le sait, la loi de 2005 n'est toujours pas appliquée dans de nombreuses gares qui ne sont pas accessibles à tous. Je vous repose la question : quelles sont vos ambitions en la matière ? Quelles actions comptez-vous engager pour rendre les gares accessibles le plus rapidement possible ?

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Non sans vous avoir remercié pour votre présentation, monsieur le président-directeur général, je voudrais à mon tour, à travers vous, saluer l'ensemble des cheminots de notre opérateur ferroviaire historique.

Je souhaiterais vous interroger sur des sujets qui font la vie quotidienne des usagers en même temps qu'ils marqueront l'avenir de la SNCF. Le premier d'entre eux est le prix des billets, en particulier pour les grandes lignes. Vous avez évoqué les circonstances financières extrêmement complexes que le groupe doit affronter, ce dont nous avons tous conscience. Cela étant, l'offre Ouigo a rencontré du succès parce que c'est une offre peu chère et populaire. Quelles sont vos réflexions et vos orientations pour les mois et les années à venir ? La question du prix est décisive si on veut rendre la mobilité accessible à tous.

J'en viens, deuxièmement, aux petites lignes. Le rapport de M. le Préfet François Philizot précise que, si on veut moderniser l'ensemble de nos lignes, en particulier les plus fragiles, il faudra investir 700 millions d'euros par an jusqu'en 2028. Or, le plan de relance affecte 300 millions d'euros sur deux ans à la rénovation des lignes fragiles. Nous, socialistes, avions demandé un moratoire sur la fermeture des petites lignes. Je voudrais vous entendre sur le niveau d'intervention que vous prévoyez en faveur de ces dernières.

Troisièmement, qu'en est-il de l'accès aux billets de la SNCF lorsque des guichets ont été fermés ? Dans mon département, en Mayenne, on ne compte plus qu'un seul guichet, à Laval. Au cours des dernières années, des guichets ont fermé dans de petites villes, comme Évron. On nous dit que les commerçants pourront vendre des billets, y compris pour le TGV, mais on sait très bien que ce ne sera pas suffisant, alors qu'on bascule vers le tout numérique. Que prévoit la SNCF pour accompagner les usagers dans la révolution digitale et numérique ? Comment fait-on pour que les plus âgés et les plus fragiles aient accès au train ? Nous attendons une réponse très concrète de votre part.

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Avant la crise, nous avions beaucoup de questions et de doutes sur l'application des engagements pris : je pense notamment au rapport de M. Philippe Duron. Nous demeurons assez dubitatifs après l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2021 et du plan de relance qui, hélas, ne nous semblent pas encore à la hauteur des enjeux. Ainsi, le montant de 5 milliards d'euros alloué au ferroviaire semble bien faible face à la dette croissante de la SNCF et à l'ampleur des objectifs répétés ces derniers mois par le Gouvernement : régénération des voies, sauvegarde des petites lignes, relance du fret. N'oublions pas, en outre, que le plan de relance ne nous permet pas de nous projeter au-delà de 2022, ce qui est un peu court.

La rénovation des petites lignes passe, en amont, par la régénération de notre réseau. Lors de l'examen du PLF, le ministre délégué chargé des transports, M. Jean-Baptiste Djebbari, nous a expliqué que les 4,1 milliards d'euros consacrés au soutien de la SNCF serviraient essentiellement à régénérer le réseau et à disposer, à l'horizon 2030, d'un réseau de bonne tenue. Ces échéances sont-elles, à vos yeux, tenables ? Je rappelle que SNCF Réseau estimait à 7 milliards d'euros le coût de la rénovation de nos petites lignes. Par ailleurs, les régions, malgré leur bonne volonté patente, ne pourront pas dépasser leurs limites financières et certaines seront freinées par le montant considérable des investissements à engager. Combien de petites lignes risquent d'être condamnées par le manque de moyens mis sur la table ? L'État pourra-t-il sauver nos 9 000 kilomètres de petites lignes, comme il le dit ?

Nous sommes aussi dans le flou total en matière de fret. Là aussi, les inquiétudes sont grandes. Les spécialistes évaluent à 15 milliards d'euros les besoins du secteur, là où le budget pour 2021 en prévoit 170 millions. Par ailleurs, les atermoiements au sujet de la ligne Perpignan-Rungis ne nous rassurent pas. Comment comptez-vous, concrètement, assurer l'avenir du fret dans notre pays, selon quel modèle et à quelle échéance ?

Quid, par ailleurs, des trains de nuit ? Le Gouvernement a annoncé la réouverture de deux lignes, Paris-Nice et Paris-Tarbes, et dit avoir l'ambition d'en ouvrir d'autres. Aura-t-on les financements nécessaires, alors que notre matériel roulant est vétuste et en nombre insuffisant ?

Je soulignais la valeur ajoutée du train en matière environnementale. Où en est le développement du train à hydrogène – énergie que je soutiens fortement ?

Je voudrais dire un mot de votre gestion foncière. Sur mon territoire, beaucoup de terrains appartenant à la SNCF sont à l'abandon. Avez-vous estimé ce qu'il vous reste à vendre et ce que cela pourrait rapporter à votre société ?

Je conclurai sur une note positive, en soulignant – contrairement à ce que dit Mme Valérie Petit – un bien meilleur respect des horaires et une plus grande fiabilité sur la ligne que j'emprunte régulièrement, entre Paris et Saint-Quentin. C'est un vrai plus pour notre territoire et je tenais à vous en féliciter.

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Le train représente seulement 0,3 % des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur du transport et rejette jusqu'à quarante fois moins de CO2 qu'une voiture. Pour atteindre la neutralité carbone, l'État s'est fixé l'objectif d'augmenter de 79 % le trafic ferroviaire d'ici à 2050, preuve qu'il constitue le mode de transport de l'avenir.

Je ne vous envie pas, monsieur Farandou, car vous êtes l'homme chargé d'appliquer cet ambitieux programme avec un plan de relance du ferroviaire qui couvre à peine les pertes de la SNCF liées à la Covid-19. Les 5 petits milliards d'euros prévus seraient à peine suffisants, par ailleurs, pour remettre en état les lignes vétustes de la seule région Nouvelle-Aquitaine. Il ne manque pas moins de 3 milliards d'euros par an pour donner une réelle chance de relancer le ferroviaire en France. Les petites gares et les lignes du quotidien continuent de fermer les unes après les autres. En Gironde, élus et usagers se battent sans relâche pour la réouverture de la ligne entre Blaye et Bordeaux, qui permettrait à des milliers de gens de laisser leur voiture au garage pour aller travailler. Rappelons que la pollution de l'air est responsable de 48 000 morts prématurées, chaque année, en France.

Pensez-vous encore que l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs est une solution viable, alors que nombre de nos voisins européens en reviennent en urgence ? Comment allez-vous relancer le transport de marchandises par le train, en chute libre depuis son ouverture à la concurrence, alors que la SNCF s'apprête à vendre sa filiale de wagons Ermewa, qui dispose de 42 000 wagons de fret ? Comment entendez-vous reconquérir la part du wagon isolé, alors que vous ne dites pas un mot de la concurrence des camions de Geodis, filiale de la SNCF, et que, par ailleurs, votre groupe a, par le passé, méthodiquement poussé les clients du fret dans les bras du transport routier ?

Monsieur le président-directeur général, je n'attends pas un cours de comptabilité analytique. Les enjeux sont trop essentiels et urgents pour ne pas mettre des moyens financiers en face de belles paroles et de grands objectifs. J'attends des réponses concrètes sur les orientations stratégiques et, surtout, sur les moyens dont vous disposerez sur chacun des points que j'ai évoqués.

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Au nom du groupe Libertés et territoires, nous sommes tous frappés par les efforts considérables qu'a entrepris la SNCF au cours de la crise. La chute considérable de son chiffre d'affaires a été compensée par l'État. Nous serons attentifs à la façon dont vous aborderez les prochains exercices, notamment ceux de 2021 et de 2022, dans un contexte, sans doute, d'évolution de votre clientèle. Comment ne pas être frappé par les incidences du télétravail, du changement dans l'organisation de notre vie quotidienne ? Tout cela marquera vraisemblablement les activités de la SNCF. Par-delà les efforts substantiels consentis par l'État, comment envisagez-vous l'avenir ? Le nouveau contexte nécessitera-t-il une réorientation de votre modèle et un changement dans les interventions et les participations de l'État et des collectivités ?

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Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

Les questions sur la soutenabilité de notre modèle m'amènent à revenir sur les pertes et le plan de relance. Nous subissons des pertes d'activité qui touchent la substance du chiffre d'affaires. Les recettes sont décalées parce que la mobilité accuse une diminution pour des raisons tenant à la crise sanitaire et à des changements de comportement. Du fait de l'ambiance économique dégradée, il y a beaucoup moins d'activité. Au cours des mois de septembre et d'octobre derniers – assez révélateurs, car nous n'étions pas confinés –, le chiffre d'affaires du TGV a été divisé par deux. À côté de cela, il y a un ensemble de coûts qu'il n'est pas aisé de faire varier, à l'image de la masse salariale ou des rames de TGV. Les coûts variables représentent une faible proportion.

L'équation n'est pas simple à résoudre. La solution, comme toujours, réside dans le volume. La seule manière d'assurer la soutenabilité financière durable du ferroviaire est d'avoir un niveau élevé de fréquentation des voyageurs et un plus grand nombre de marchandises dans les wagons. Cela ne nous dispense pas d'assurer un pilotage un peu plus serré, de mener une gestion plus rigoureuse au cours de cette période. Nous partageons la conviction profonde que le train doit jouer un rôle important dans la mobilité de demain. On n'imagine pas une mobilité durable qui ne s'appuierait pas sur le ferroviaire. Les objectifs stratégiques existent : il faut parvenir à les concrétiser.

La perte est constituée, à ce jour, par un décalage de 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, qui devrait augmenter d'ici à la fin de l'année. La perte financière s'est élevée à 2,5 milliards d'euros au premier semestre ; on verra ce qu'il en sera au second semestre. La SNCF a cherché des financements sur les marchés financiers, ce qui se traduira par un accroissement de la dette de la société. La dette structurelle a été très fortement réduite par la reprise de 35 milliards d'euros par l'État, en deux temps : 25 milliards ont déjà été pris en charge, 10 milliards le seront en 2022. Fort heureusement, ce nouveau mouvement d'endettement ne nous fera pas revenir au niveau de 35 milliards d'euros.

L'aide de 4,7 milliards d'euros avait pour objet de permettre la poursuite de l'activité économique de l'entreprise et non son désendettement. Le soutien de l'État donne à la SNCF les moyens de continuer ses investissements. Il faut, en particulier, poursuivre dans la durée la régénération du réseau, en faveur de laquelle nous engageons un gros effort. Trop de retards se sont accumulés, pour la raison que l'on sait. Il faut évidemment saluer les quarante ans de développement du TGV, dont nous sommes tous fiers. Toutefois, au cours de cette période, la SNCF a beaucoup investi dans la construction des lignes à grande vitesse et l'argent a manqué pour la maintenance du réseau, qu'il soit structurant ou capillaire. La situation de départ est donc difficile.

Je veux rendre hommage au Gouvernement qui a pris le problème à bras-le-corps. Il a d'abord sécurisé une somme comprise entre 2,8 et 2,9 milliards d'euros par an pour assurer la maintenance du réseau structurant. Il faudra engager cet effort pendant plusieurs années. C'est l'objet du contrat de performance en cours de négociation entre l'État et SNCF Réseau, qui accordera à ce dernier, pendant dix ans, les moyens de poursuivre le travail de régénération. Le plan de relance est venu boucher le trou d'air subi du fait de la crise.

S'agissant des petites lignes, que vous avez tous évoquées, il me semble que pour la première fois, une clarification est opérée en matière de répartition des rôles et des financements. L'ambiguïté a longtemps régné ; l'État et les régions se renvoyaient un peu la balle. La SNCF, au milieu, était le mauvais élève qui n'en faisait pas assez. Il faut être très clair : la SNCF agit à proportion des moyens qu'on lui donne. Il n'y a pas de génération spontanée d'argent à la SNCF. Les financements viennent principalement de l'État et des régions. Au début de l'année, le ministre des transports a pris une initiative – que le plan de relance a sécurisée –visant à définir, région par région, un plan de modernisation des lignes de voyageurs et de marchandises. J'ai à l'esprit des exemples très concrets : dans les régions Grand Est, Centre-Val de Loire et Auvergne-Rhône-Alpes, l'exécutif régional et l'État ont signé un pacte ferroviaire qui précise les choses. Le plan de relance comprend une première enveloppe de 300 millions d'euros en vue de la recapitalisation et une seconde enveloppe du même montant au titre des crédits budgétaires. Ces 600 millions d'euros seront versés à SNCF Réseau, qui accompagnera ces opérations. Le montant de 600 millions d'euros ne représente donc pas la totalité de la somme engagée, mais la participation de SNCF Réseau aux programmes de rénovation des lignes de desserte fine du territoire. J'espère que cela sera à nouveau concrétisé dans le contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau et dans les contrats de performance liant l'État aux régions.

Dès cette année, nous avons réalisé 1,8 milliard d'euros d'économies. C'est un effort substantiel, que nous allons poursuivre. L'année 2021 sera marquée par un budget de rigueur économique, pour ajuster l'offre à la demande. Nous allons adapter le niveau des investissements, à l'exception de ceux consacrés au réseau, qui sont sanctuarisés.

Nous procéderons parallèlement à des cessions. Je veux être clair sur ce point, car des rumeurs ont circulé : nous gardons Geodis et Keolis, la décision ayant été validée par notre actionnaire – l'État. Nous avons en effet besoin de ces sociétés. En revanche, j'ai accepté le principe de la cession d'Ermewa. Il n'est pas anormal qu'une société acquière et cède des actifs – cela fait partie de la vie des entreprises. On se trouve, qui plus est, dans un contexte particulier, qui nous contraint à atténuer l'effet de la crise de la Covid-19 sur la dette. J'ai donc donné mon accord à la cession de cette belle société, qui loue des wagons en Europe. Cette activité ne constitue pas tout à fait notre cœur de métier. Nous ne sommes pas obligés, d'un point de vue stratégique, de détenir Ermewa, à qui nous pourrons continuer de louer des wagons. Les opérations techniques de cession interviendront début 2021 et la vente interviendra dans le courant de l'année. C'est un enjeu important, puisqu'on parle d'un objectif de 2,5 milliards d'euros, somme qui atténuera l'effet de la crise sur la dette.

Je suis sensible au thème de la confiance, qui est la clé du retour de la fréquentation. Or, la confiance est en partie liée à la dimension sanitaire. On sait qu'une partie de la population – j'ai entendu le chiffre de 30 % – est inquiète à l'idée de revenir dans les trains ou les transports en commun. Je crois que cela concerne essentiellement les bus et les métros, mais c'est tout de même loin d'être négligeable. Je le redis devant vous : le transport en train est sûr. Il n'y a pas de problème sanitaire. Les trains sont désinfectés quotidiennement et nettoyés plusieurs fois par jour, au sol et à bord. La propreté y est irréprochable. Par ailleurs, tout le monde y porte le masque. Les Français ont manifesté un grand esprit civique et ont répondu à la demande que nous leur avions faite de porter le masque dans les gares et les trains. Les personnels de la SNCF y veillent et cela fonctionne. Les études du ministère de la santé montrent que le secteur des transports publics ferroviaires, au sens large, est à l'origine de moins de 1 % des contaminations. Il n'y a quasiment pas de cluster dans le ferroviaire. Enfin, l'air à bord des trains est ventilé toutes les trois minutes. On fait entrer de l'air frais, comme si l'on ouvrait la fenêtre, ce qui nous distingue du transport aérien – puisqu'à bord d'un avion, l'air doit être retraité. Il n'y a donc aucun problème sanitaire dans les trains : il faut le dire et le redire.

J'en viens à l'accessibilité tarifaire. Il y a une trentaine d'années est apparu le yield management, une technique qui venait du secteur aérien, que l'on a utilisée pour optimiser le remplissage des trains. Aujourd'hui, la situation a complètement changé car, pour la première fois, la demande est inférieure à l'offre. On doit à présent conquérir la clientèle. Le yield management demeure peut-être pertinent, mais selon une logique complètement différente. Vous avez raison : il n'existe plus de petits prix, à l'heure actuelle, quand on part au dernier moment. Deux à trois jours avant le départ, on ne trouve plus que les prix maximaux, qui sont très élevés. Ceux qui ne peuvent partir qu'au dernier moment ont le sentiment que c'est toujours cher. Nous devons changer cela et proposer des prix accessibles. Le train ne doit pas casser son image de transport populaire. Ouigo est une vraie réussite, qui doit nous inspirer.

Un débat est en cours, mais, pour ma part, je serais assez favorable à un prix psychologique maximal, au moins en seconde classe. Dans la tête des Français, il n'est pas raisonnable de payer plus qu'un certain montant. Il faut les écouter, à l'instar des associations de consommateurs. Nous allons mener un travail très précis sur la tarification et l'accessibilité des trains. À côté de la tarification que nous proposons aux jeunes dans les TGV et les TER, qui donne de bons résultats, je pense qu'il faut améliorer notre offre à destination des jeunes retraités actifs. Au-delà de la carte traditionnelle, peut-être faudrait-il proposer à ces derniers plus de services, d'offres combinées, de bout à bout. On a des choses à faire pour conquérir ou reconquérir des gens qui privilégient la voiture, qui est notre rivale. Je souhaite des politiques commerciales beaucoup plus conquérantes, à même de convaincre un plus grand nombre de Français de prendre le train.

S'agissant des politiques environnementales, la grande préoccupation de la SNCF est la sortie du diésel. Voilà encore un héritage de l'histoire : près d'une ligne sur deux, en France, n'est pas électrifiée – heureusement, seul 20 % du trafic est concerné. Cela touche beaucoup les petites lignes. Il ne serait pas raisonnable de les électrifier, car cela entraînerait des coûts très élevés. Les solutions résident dans l'adaptation du matériel. À court terme, on peut utiliser des trains hybrides qui utilisent leur moteur électrique, par exemple, à l'entrée dans les villes. Cela permet de se passer de la motorisation diésel sur certaines parties du parcours. On va aussi lancer des trains à batteries, entre Marseille et Aix-en-Provence. Les batteries, placées sur le toit du train, peuvent être utilisées sur certains tronçons.

À long terme, je crois à l'hydrogène. Les moteurs et les piles à hydrogène existent. On sait déjà stocker de l'hydrogène, en employant certaines précautions. L'enjeu consiste à en fabriquer de grandes quantités, à un prix raisonnable, ce que s'emploient à réaliser les énergéticiens. Avec Alstom, on a la chance d'avoir un fabricant disposant d'une certaine avance sur ce marché. Notre objectif est de recevoir des commandes de trains à hydrogène en France ; j'espère que, d'ici à la fin de l'année, quatre régions joueront le jeu avec nous. Il y a des commandes en Allemagne, une est en cours en Italie. Il faut absolument qu'en France, on arrive à concrétiser ce prototype pour amorcer le processus. Il s'agit de démontrer que l'hydrogène constitue une grande part de la solution pour assurer une mobilité ferroviaire pleinement écologique sur l'ensemble de nos lignes.

Compte tenu de la crise, les objectifs financiers 2022-2024 ne seront en effet pas faciles à atteindre, mais je n'entends pas baisser les bras aussi facilement. L'enjeu est la maîtrise du coût pour le pays. La question est de savoir si le ferroviaire coûtera indéfiniment beaucoup d'argent au pays, aux contribuables. On n'a pas envie de répondre par l'affirmative. La réforme de 2018 avait pour objet de lancer un cycle vertueux en désendettant SNCF Réseau pour parvenir, grâce aux efforts de la SNCF, à maîtriser l'économie du système ferroviaire. Il ne faut pas renoncer à l'objectif, même si on a subi une secousse. La clé sera le retour du TGV. Si on a la chance de voir l'épidémie se terminer à l'été, grâce aux vaccinations – même si l'on s'en tient, pour l'heure, à des conjectures –, et si les Français ont envie de reprendre le train, nous serons tout près d'y arriver. Le TGV, qui nous met dans la difficulté, peut nous sauver en repartant. Ce sera la variable principale. Si l'épidémie durait et que le TGV ne repartait pas, il serait difficile d'être au rendez-vous. À ce stade, ce n'est pas encore totalement perdu et on se bat pour atteindre l'objectif.

Je sais ce qu'est la concurrence, pour avoir été patron de Keolis pendant sept ans. Tous les secteurs – ou presque – de l'économie française y sont soumis. Je l'accepte – ce sont les règles du jeu européennes – même si je reconnais que c'est un choc pour l'entreprise. La concurrence n'est pas chose anodine pour une société en situation de monopole. On s'y adapte, on s'y prépare, mais c'est difficile sur le plan culturel. Un cheminot qui est entré à la SNCF il y a vingt ou vingt-cinq ans n'envisage pas de gaieté de cœur d'être transféré dans une entreprise qui n'est pas la sienne. Il faut se mettre à la place d'un salarié qui apprend que, si la SNCF perd un appel d'offres, il devra travailler dans une autre société. Tout en prenant en compte cette dimension humaine, on va s'engager dans cette voie et se battre. Le calendrier des régions ne connaît qu'un léger retard : la région Sud s'ouvrira à la concurrence l'été prochain, les Hauts-de-France et le Grand Est ne devraient pas tarder à s'y engager. Les Pays de la Loire y pensent. Le calendrier d'Île-de-France Mobilités s'étale davantage dans la durée, mais le mouvement est impulsé.

Comme vous l'avez indiqué, un appel d'offres a été lancé concernant les trains d'équilibre du territoire, pour les lignes Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux. Il semblerait que nous soyons les seuls à avoir répondu, ce dont je ne suis pas responsable. Les concurrents, d'ailleurs, mettent en avant la Covid-19 et les risques liés à l'exploitation des lignes, mais n'imputent pas leur décision à la SNCF. Nous avons beaucoup travaillé sur cet appel d'offres ; nous avons dépensé 2 millions d'euros pour y répondre. J'entends que certains auraient l'idée de le déclarer infructueux. C'est possible, juridiquement, mais j'en serais un peu marri. Nous avons fait l'effort qui était attendu de nous, nous avons démontré notre volonté de répondre, nous avons des propositions pour améliorer le service. Pourquoi ne choisirait-on pas la SNCF ? Quand j'étais président de Keolis, il m'est arrivé d'être seul à répondre à un appel d'offres, par exemple à Lyon ou à Orléans. Je comprends que la collectivité puisse être un peu embêtée, mais ce sont des choses qui arrivent. Pourquoi ne pas aller au terme de la discussion avec celui qui a eu le courage, la patience, l'énergie d'y mettre les moyens et de faire des propositions ? Je serais heureux qu'on poursuive la discussion avec le ministère des transports pour mener cette démarche à son terme et pour que la SNCF se voie attribuer ces lignes.

S'agissant du fret ferroviaire, l'objectif, difficile à atteindre, est de doubler la part de marché en dix ans, au niveau européen comme à l'échelle française. Un premier pas est fait avec le plan de relance. Pour la première fois, notre pays va se doter d'un système d'aide aux wagons isolés, dont la survie était en jeu. Nous suivons le modèle autrichien. Un wagon et un camion ont un tonnage comparable, de l'ordre de 30 à 35 tonnes, mais le wagon doit être acheminé dans l'entreprise, à l'aide d'un locotracteur, pour être chargé, puis il faut revenir le chercher, l'incorporer à un train, le faire transiter par une gare de triage avant de le remettre à l'entreprise par un locotracteur. Cela demande quatre jours ! Pendant ce temps, le camion a fait plusieurs allers-retours. S'il n'est pas soutenu, le wagon isolé ne peut rivaliser avec le transport routier. Je remercie le Gouvernement d'avoir décidé de lui accorder une aide, qu'il faut accompagner par des investissements dans les infrastructures, les triages, les voies de service, etc. Nous avons du travail devant nous, mais le mouvement est lancé.

Vous avez raison de souligner le manque d'accessibilité des gares, domaine dans lequel nous sommes en retard. Le dossier a glissé au fil du temps, et la Covid-19 a encore reporté l'échéance de quelques mois. Notre schéma directeur national indique que, sur 160 gares nationales, 100 doivent encore être rendues accessibles. On s'est donné l'objectif de terminer les travaux d'ici à la mi-2025 et on se met en condition d'y parvenir aux niveaux national comme régional. Il faut rendre possible l'accès au train aux personnes en situation de handicap, d'abord pour se conformer à la loi, ensuite parce que cela correspond à la philosophie de l'intérêt public dans laquelle je souhaite inscrire l'action de la SNCF.

Nous discutons beaucoup de la présence des guichets avec les régions, car la question se pose essentiellement dans les gares régionales. Il y a un équilibre à trouver. Il faut de la présence humaine, mais lorsque l'on ne vend que deux billets en huit heures, il y a un petit problème… Je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'il ne faut pas vendre seulement sur internet. Il convient au moins d'offrir un service téléphonique – en l'occurrence, le 36 35. Les solutions avec les commerçants locaux méritent d'être explorées. On a de belles réussites, à l'image des initiatives lancées sur les marchés où des camionnettes se transforment en guichets. Cela marche très bien, car cela s'inscrit dans la vie sociale des campagnes. Nous utilisons une palette de solutions.

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Quelle est la politique de la SNCF en matière de démantèlement du matériel roulant ? Nous voyons tous des matériels anciens immobilisés le long des voies. Il me semble important qu'une entreprise publique soit vertueuse en ce domaine, surtout à l'heure où on parle du cycle de vie des produits. Il en va aussi de son image.

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Dans votre réponse à la question de notre rapporteure sur la stratégie de la SNCF concernant les trains de nuit, vous évoquez, comme en 2019, des coûts très élevés et une attente insuffisante. Ces propos contrastent singulièrement avec l'espoir né des engagements de Mme Élisabeth Borne et de M. Jean-Baptiste Djebbari de développer des trains de nuit de nouvelle génération, peut-être à motorisation hydrogène, plus confortables et plus attractifs. Les départements du Massif central – au premier rang desquels le Cantal, distant de Paris de plus de six heures trente par le train, en optimisant les correspondances – peuvent-ils nourrir l'espoir de bénéficier d'une expérimentation sur les trains de nuit ou doivent-ils se résoudre à faire le deuil d'un service ferroviaire digne de ce nom ?

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Je reviens sur la question de l'hydrogène, en ma qualité de coprésident du groupe d'études qui est consacré à ce vecteur d'énergie à l'Assemblée nationale. Quelle est la répartition des rôles entre l'État, la SNCF et la région ? L'État a engagé 7 milliards d'euros – quasiment 10, si l'on compte le transport aérien – mais plusieurs régions bloquent et ne vont manifestement pas s'engager dans cette voie. À mes yeux, le train à batteries que vous avez évoqué est une hérésie : il n'y a pas de comparaison possible entre un train utilisant une batterie d'une ou deux tonnes pour parcourir 80 kilomètres et un train qui, à l'aide de l'alimentation à l'hydrogène, pourra rouler sur 500 kilomètres avec un temps de recharge nettement réduit. Qui est décisionnaire ? Pourquoi la SNCF ne pourrait-elle mettre en service un ou deux trains à hydrogène dans chaque région ? Les Allemands en ont déjà quatorze et en ont commandé quarante. Nous allons encore être à la traîne, avec une douzaine de rames.

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Rapporteur spécial du programme budgétaire « Infrastructures et services de transport », je souhaite souligner la qualité du climat social au sein de l'entreprise SNCF. Les remontées que j'en ai, en tant qu'ancien cheminot, sont plutôt excellentes. Vous avez su insuffler un esprit girondin dans une organisation qui était trop centralisée.

Je souhaite évoquer la suppression possible de la TREF et de la CST. Cette dernière, qui repose sur l'activité des TGV, représente 9 % du prix des billets. Avec l'ouverture à la concurrence, ces prélèvements sont vécus comme une injustice par la SNCF. Au lieu d'alimenter le budget général, le produit de ces taxes – respectivement de 226 millions et de 16 millions d'euros – pourrait être utilement investi dans le matériel ou dans SNCF Réseau. Où en êtes-vous des négociations avec le Gouvernement ?

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Vous nous avez rassurés sur les perspectives de régénération du réseau. Mais hier, j'ai été interpellé par le directeur de l'entreprise Vossloh Cogifer et par le maire de Fère-en-Tardenois, où elle est installée. Cette entreprise de 100 salariés voit son client historique, la SNCF, réduire de manière drastique ses commandes de rails et d'aiguillages, ce qui aura des répercussions sur le chiffre d'affaires et l'emploi. N'est-ce pas incohérent avec la logique du plan de relance et du pacte ferroviaire ?

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Ambassadrice de France Mobilités, et intervenant à ce titre dans le cadre du comité de ligne TER Arcachon-Bordeaux, je souhaite évoquer le problème de la place des vélos dans les compartiments des trains. L'offre de la SNCF ne correspond pas à la demande qui va croissant, dans le cadre du développement des mobilités douces. La ministre de la transition écologique vient d'annoncer la prolongation de la prime « Coup de pouce vélo » jusqu'au 31 mars 2021 et le lancement du programme « Objectif employeurs pro-vélo », afin de développer l'usage du vélo pour les trajets domicile-travail. Que prévoit la SNCF pour mieux répondre à la demande des usagers et augmenter la capacité d'accueil des vélos, notamment sur les lignes TER qu'ils empruntent pour se rendre au travail ?

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C'est une année noire pour la SNCF qui doit faire face à une baisse historique du trafic ferroviaire, notamment sur le TGV. Alors que les voyages de loisirs se maintiennent tant bien que mal, les déplacements professionnels s'effondrent. La tentation pourrait être de faire évoluer l'offre commerciale, en la transférant des TGV InOui vers les TGV Ouigo. Cette hypothèse est-elle envisagée ? Si c'est le cas, quelle réponse apporter aux abonnés qui ne peuvent pas emprunter les trains Ouigo – c'est le cas des navetteurs du Mans, qui sont plusieurs centaines à relier Paris chaque jour ?

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Je souhaite saluer l'engagement et l'esprit d'équipe des cheminots qui ont fait face, ensemble, dans cette période de crise. Ma question concerne les trains sanitaires, qui ont permis de désengorger le système hospitalier. Combien de trains avez-vous fait rouler et quel coût cela a-t-il représenté pour la SNCF ?

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Le plan stratégique présenté en décembre 2019 par SNCF Réseau-Normandi, prévoit notamment de pérenniser les lignes secondaires et d'améliorer la desserte de la métropole normande. Toutefois, en Seine-Maritime, la gare de Virville a fermé en 2018 ; les arrêts de Foucart-Alvimare, Bolbec-Nointot et Saint-Martin-du-Vivier ont été supprimés cette année. Cela ne va pas dans le sens d'une mobilité décarbonée, d'autant qu'un rapport du conseil économique, social et environnemental régional (CESER) de Normandie montre que 80 % des trajets domicile-travail sont effectués en voiture, faute d'alternative. La baisse de la fréquentation est souvent invoquée pour justifier la fermeture des gares, mais a contrario, avez-vous déjà entrepris des plans de revitalisation pour en augmenter la fréquentation ? Enfin, les gares devraient pouvoir offrir des services élémentaires : malgré des démarches entreprises il y a trois ans, la gare de Bréauté-Beuzeville, qui accueille 515 000 voyageurs par an, est toujours dépourvue de sanitaires !

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« Loin des yeux, loin du cœur », les usagers des lignes Bayonne-Paris et Dax-Paris ont le sentiment d'être oubliés depuis des années. Je me réjouis que le Gouvernement souhaite relancer les trains de nuit. Avec les députés Mme Florence Lasserre et M. Vincent Bru, nous vous avons sollicité pour que la Palombe bleue, qui ira d'Hendaye à Paris, puisse passer par Biarritz, Bayonne, Dax et Bordeaux. Qu'elle relie Tarbes et Toulouse n'a aucun intérêt pour nous ! S'il vous plaît, n'oubliez pas les Landes, et pensez au sud de l'Aquitaine !

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Je vous serais reconnaissante de faire part aux cheminots de ma profonde gratitude pour leur mobilisation ; nous avons plus que jamais besoin d'un service public efficace, innovant et mobilisé.

En tant que députée de Paris, je souhaite vous interroger sur un projet qui me tient à cœur, celui du réaménagement de la gare du Nord – première gare en Europe avec 700 000 voyageurs quotidiens, une vitrine pour Paris et la France. Les enjeux sont importants, notamment dans la perspective des Jeux olympiques de 2024. Après de longs et douloureux débats avec la Ville de Paris, un accord semble avoir été trouvé le 23 novembre. Quelle est la philosophie de ce projet ? Quelle est l'ambition de la SNCF ? Quelles seront les modalités opérationnelles ? Comment le projet sera-t-il financé ?

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Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

La SNCF comprend une filière industrielle de démantèlement des vieux matériels. Les process ont été modifiés car nous récupérons désormais beaucoup de matériaux pour les recycler et les réinjecter dans l'économie. Nous prêtons beaucoup d'attention et de rigueur à cette activité. Certes, il existe encore des endroits où les vieux matériels sont entreposés et visibles, mais si vous observez bien, les stocks décroissent très régulièrement.

Je me suis peut-être mal fait comprendre : je n'ai rien contre les trains de nuit. Ce que j'ai voulu expliquer, c'est que la plupart des trajets de nuit se font depuis Paris vers la province ; il y a très peu de liaisons transversales. L'extension du réseau TGV a réduit les temps de parcours et a rapproché la province de Paris.

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Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

C'est vrai, certaines zones sont un peu oubliées. L'État a souhaité, au nom de la logique d'aménagement du territoire, maintenir les deux TET qui relient Briançon et Latour-de-Carol. Sur cette dernière ligne, une branche vers le Cantal pourrait se greffer à nouveau.

(Sourires.)

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Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

Nous pourrons examiner ce souhait.

Il est vrai que le matériel roulant est assez ancien. Là encore, il revient aux pouvoirs publics de définir, dans la fameuse convention de service public entre l'État et la SNCF, les trains et les matériels souhaités.

L'État nous demande de relancer deux autres lignes qu'il financera au travers du plan de relance : Paris-Nice et Paris-Hendaye. Le tracé de cette dernière peut sans doute être encore discuté. J'entends et prends bonne note que les habitants des Landes préféreraient que le train passe par Bordeaux.

L'impulsion est donnée et nous allons faire rouler les trains, répondant ainsi sans doute à la demande des jeunes qui ont moins envie de prendre l'avion et souhaitent voyager en train de nuit pour les longues distances. On assiste ailleurs à un renouveau des trains de nuit, notamment en Autriche. Dans ce pays plus petit, la donne est différente car les trains qui partent de Vienne sont internationaux et la clientèle n'est pas la même. Nous sommes aujourd'hui en discussion avec les chemins de fer fédéraux autrichiens pour acquérir leurs matériels roulants, afin d'améliorer la qualité de service à bord.

Je vous l'ai dit, je suis un fervent partisan de l'hydrogène. Je pense qu'une fois que l'hydrogène sera produit massivement et à des prix raisonnables, il ne sera pas très compliqué, technologiquement parlant, d'équiper les trains de moteurs à hydrogène. Tout l'enjeu, aujourd'hui, est de créer une véritable filière, et c'est précisément l'un des objets du plan de relance. Le travail de l'État consiste à encourager les industriels à se lancer dans cette aventure. Je crois savoir que EDF, Total ou encore Air liquide, ces grandes entreprises de l'énergie, souhaitent emprunter cette voie, ce qui est une bonne nouvelle. De son côté, la SNCF travaille avec les quatre régions qui se sont déclarées intéressées par un prototype de train à hydrogène. J'espère que nous conclurons cette commande d'ici la fin de l'année.

Je ne peux qu'être d'accord avec les orientations dessinées par M. Benoît Simian concernant la TREF et la CST, taxes que la SNCF subit depuis maintenant dix ans. Elles pouvaient sembler légitimes lorsque l'entreprise était en situation de monopole et plutôt en bonne santé économique ; elles paraissent moins équitables dans le contexte économique actuel. Par ailleurs, il est quelque peu paradoxal que l'on prélève sur le chiffre d'affaires de la SNCF de quoi financer sa mise en concurrence. Les discussions sont engagées avec le Gouvernement et les parlementaires auront sans doute à s'emparer du sujet dans les mois qui viennent. Je forme le vœu qu'il soit traité dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.

Nous sommes conscients que la SNCF est un donneur d'ordres important pour le tissu industriel français et qu'elle a affaire à des PME de qualité. Bien que soumis aux règles de la commande publique et à la réglementation européenne, nous pourrions regarder, toutes précautions juridiques prises, comment faire en sorte que les entreprises françaises trouvent leur part dans ces marchés. Plusieurs d'entre vous seront certainement amenés à défendre des entreprises installées dans votre circonscription : n'hésitez pas à nous en parler le plus en amont possible car il est difficile de revenir sur une opération de marché lorsque les choses sont trop engagées.

Si vous me permettez le mot, le train et le vélo sont dans le même bateau… celui des mobilités douces. La philosophie est la même ; d'ailleurs, les usagers du train se déplacent aussi à vélo. Notre objectif commun est que moins de gens prennent la voiture. Offrir plus de place aux vélos dans les trains va donc dans le sens de l'histoire. Une solution consisterait à prévoir plus d'emplacements pour les vélos. Pour leurs nouveaux matériels roulants, les régions peuvent d'ores et déjà opter pour des voitures offrant jusqu'à vingt places, ce qui n'est pas si mal. Il conviendrait aussi d'encourager la location de vélos à l'arrivée, même si les usagers préfèrent emporter leur matériel. Enfin, il faut veiller à travailler sur la fluidité des échanges car s'il faut dix minutes pour débarquer l'ensemble des vélos, cela aura des retentissements sur la régularité des trains.

Je ne dis pas que l'offre Ouigo écrasera l'offre InOui : il faut conserver les deux gammes car elles ont leur logique propre, mais rendre les trajets en TGV InOui plus accessibles. Dans la mesure où ces trains seront moins empruntés par la clientèle d'affaires, nous pourrions envisager de réduire à deux le nombre de voitures de première classe dans les rames TGV de nouvelle génération, actuellement mises au point avec Alstom. Du côté des tarifs, il faudra s'assurer que les abonnés puissent accéder plus facilement à l'ensemble des trains.

Nous sommes très fiers d'avoir participé à l'effort national : les dix TGV sanitaires ont permis d'évacuer une centaine de malades depuis les hôpitaux de l'est et du nord vers ceux de l'ouest et du sud-ouest. Transformer un train en hôpital demande un effort logistique important. Cela suppose de démonter les sièges, d'équiper les voitures avec du matériel d'oxygénation et des groupes électrogènes, d'installer des brancards médicalisés pouvant accueillir des personnes placées en coma artificiel. Les trajets ont été sécurisés au maximum : trois fois plus de conducteurs que d'ordinaire étaient requis afin de parer à toute éventualité ; les gendarmes gardaient les passages à niveau. Les cheminots se sont pleinement engagés, fiers de faire rouler ces trains. De mémoire, le coût de cette opération a été de 100 000 euros par circulation, soit 1 million d'euros. La SNCF a souhaité en faire cadeau à la collectivité.

Nous avons déjà évoqué le sujet sensible des fermetures de guichets. La relation humaine doit être préservée. Il est important que chaque usager, quelle que soit sa situation, puisse avoir accès à la SNCF, comme à tout service public. Nous devons conserver une offre par téléphone et garder un peu de présence humaine dans les gares, quitte à ce que les équipes tournent. Mais il faut bien voir aussi qu'un cheminot qui ne vend que deux billets dans une journée entière de travail finit par s'ennuyer et à se sentir sous-utilisé, ce qui n'est pas une bonne chose. Nous cherchons à déployer un éventail de solutions, comme la présence sur les marchés ou l'installation d'autres activités dans les gares, ce qui suppose un travail de préparation en amont avec les élus locaux et les associations : l'imagination est au pouvoir.

Sur le projet de la gare du Nord, nous ne sommes pas passés loin de la catastrophe. La Ville de Paris avait les moyens juridiques et opérationnels – en n'autorisant pas la circulation des engins de travaux ou l'installation des grues, par exemple – de bloquer le chantier. De vous à moi, je ne trouve pas anormal de discuter avec une municipalité lorsqu'il s'agit de travaux aussi importants, qui ont de telles répercussions sur le tissu urbain. Les problèmes rencontrés sont sans doute nés d'un manque de dialogue. Ceux qui me connaissent le savent, j'aime écouter et discuter, et j'estime nécessaire de prendre en compte les revendications lorsqu'elles sont légitimes. Je pense avoir réussi à renouer le dialogue. Nous sommes ainsi parvenus à une convergence de vues et les travaux vont pouvoir démarrer prochainement – avec du retard, certes, mais l'essentiel sera achevé pour les Jeux olympiques de 2024.

Quels sont les éléments de cet accord ? Les critiques portaient sur la hauteur des bâtiments et sur l'emprise des commerces ; nous avons supprimé un étage et demi et réduit le nombre de magasins. La Ville de Paris fera partie d'une commission chargée de déterminer la nature des commerces – avec plus d'enseignes bio et équitables – afin de mieux répondre à la demande locale. Le projet a été verdi – ce n'est pas du green washing – avec l'agrandissement du jardin suspendu qui couvrira la superficie de la gare et sera accessible à tous. Le parking réservé aux vélos, le plus grand en France, comprendra 3 000 places. Le parvis sera dédié aux piétons et aux cyclistes, les taxis accéderont à la gare en sous-sol. Enfin, une demande ancienne des riverains sera satisfaite puisqu'une passerelle au nord reliera la gare au quartier de la Chapelle. L'accord que nous avons trouvé avec la Ville de Paris a permis d'améliorer le projet et je m'en réjouis. Si tout va bien, nous pourrons attaquer les travaux dès le début de l'année prochaine.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur, je vous remercie pour vos réponses. Nous espérons vous accueillir à nouveau dans notre commission.

Après le départ de M. Jean-Pierre Farandou, il est procédé au vote sur la proposition de nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs d'âge étant MM. Damien Pichereau et Jean-Marc Zulesi.

Les résultats du scrutin qui a suivi l'audition sont les suivants :

Nombre de votants

21

Abstention, bulletins blancs ou nuls

1

Suffrages exprimés

20

Pour

20

Contre

0