Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 14h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information

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Professeur, je vous remercie de vous être rendu disponible pour cette audition, malgré les circonstances. Elle a pour objet de revenir sur plusieurs points qui appellent encore des précisions et d'évaluer les évolutions qui sont intervenues depuis votre première intervention.

Avant de vous laisser la parole, je dois vous demander, en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

( M. Jérôme Salomon prête serment. )

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Jérôme Salomon

Le 16 juin dernier, lorsque vous m'avez auditionné, nous en étions à la fin de la première vague, un mois après la sortie progressive du confinement. Le déconfinement a été particulièrement accompagné, grâce à l'implication de nombreux acteurs, que je remercie.

Les leçons ont été tirées des multiples retours d'expérience issus de professionnels de santé et du terrain. Nous avons considérablement renforcé notre capacité de tests grâce à une intense mobilisation des professionnels et la levée de tous les obstacles : prescription non exigée, prise en charge complète, augmentation du nombre de personnes habilitées à prélever et, bien, sûr, priorité aux malades et aux cas contacts. Nous avons renforcé nos stocks de protections individuelles et fait travailler l'ensemble des sociétés savantes et des experts pour préparer la rentrée.

Dès le 14 juillet, le Président de la République a indiqué l'importance d'observer, individuellement comme collectivement, l'ensemble des gestes barrières et de porter un masque, en particulier dans les lieux clos et bondés. Je profite de ma présence ici pour rappeler, à vous qui avez perdu un collègue, des amis, des membres de votre famille et qui avez été nombreux à être contaminés, comme vos collaborateurs et des fonctionnaires, que la transmission manuportée est la plus fréquente, la plus dangereuse et la plus sournoise.

Alors même que nous ne connaissons plus de tensions sur la disponibilité des masques, la contagion n'a jamais été aussi élevée. Les consignes sont de mieux en mieux respectées sur le territoire, notamment celles relatives au port du masque dans les lieux fréquentés, les centres-villes, les lieux fermés, les établissements recevant du public, les lieux de travail, les collèges et les lycées. Plus de 50 millions de masques ont été distribués gratuitement aux personnes précaires et une deuxième campagne de distribution est programmée pour la mi-novembre.

Quatre mois après le début de la pandémie, la situation a changé : nous disposons de davantage de protections individuelles, de tests et surtout de plus de connaissances thérapeutiques. Une deuxième vague européenne, dont l'évolution n'est plus maîtrisée et dont la cinétique s'accélère de jour en jour, touche l'ensemble du territoire national et se traduit par de très nombreuses contaminations. Le bilan actuel de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) fait état de 44 millions de cas confirmés dans le monde, 2,8 millions de nouveaux cas se déclarant chaque semaine. La France est au cinquième rang mondial des pays les plus touchés, avec 1,2 million de cas. L'ensemble des pays européens est concerné ; l'European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) met tous les jours en ligne des données actualisées.

Lors de la première vague, nous avons dénombré 150 000 cas confirmés, 100 000 hospitalisations et déploré 29 000 décès. Après le déconfinement, entre le 1er juin et le 1er septembre, ces chiffres ont augmenté respectivement de 136 000 pour le nombre cas, le portant à 286 000, de 12 000 pour les hospitalisations et de 1 600 pour les décès.

L'été a été marqué par une très forte diffusion du virus chez de jeunes adultes. Cette épidémie a, fort heureusement, été quasiment silencieuse, avec peu d'hospitalisations et de formes graves. Nous avons eu aussi à nous battre en Mayenne, après l'apparition de clusters importants, notamment dans des abattoirs et des centres d'hébergement de populations précaires. La population s'est fortement mobilisée avec succès : la Mayenne est parvenue à juguler l'épidémie au mois de juin. Nous avons ensuite soutenu la Guyane qui a lutté contre une épidémie très sévère, avec un couvre-feu de plus en plus dur. Là encore, les mesures de freinage ont porté leurs fruits. Plus récemment, nous avons aidé la Guadeloupe à affronter une vague de diffusion importante, avec le soutien des professionnels de santé de la métropole et de l'armée.

Pendant plus de neuf mois, nous avons eu à gérer une crise sanitaire majeure et inédite, liée à la pandémie massive et meurtrière de la covid-19. Depuis le début de l'épidémie, en France, 20 millions de tests RT-PCR ont été réalisés ; plus de 1,6 milliard de masques chirurgicaux, plus de 215 millions de masques FFP2 et plus de 12 millions de masques chirurgicaux pédiatriques ont été distribués. Le stock stratégique national de Santé publique France (SPF) est à son objectif d'un milliard de masques. Mes équipes sont pleinement mobilisées et travaillent en collégialité avec les professionnels de santé de terrain, les sociétés savantes, les experts, les autres directions du ministère, le centre de crise interministériel qui pilote les opérations depuis plusieurs mois, avec le soutien des armées, de l'assurance maladie, des agences sanitaires nationales – en particulier l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et Santé publique France – et, bien sûr, avec le soutien des Agences Régionales de Santé (ARS).

Cette maladie émergente, inconnue il y a dix mois, poursuit sa progression dans le monde. L'ensemble de l'Europe est le nouvel épicentre de la pandémie, frappé par une deuxième vague, particulièrement intense et très rapide, marquée par une croissance exponentielle du nombre de cas. Ainsi, à midi, ce jour, le taux d'incidence s'établissait à 1 448 cas pour 100 000 personnes en quatorze jours en République tchèque, à 1 424 cas en Belgique, et à 650 cas en France. Les chiffres évoluent très vite partout, en Espagne, au Royaume-Uni, en Italie et même en Allemagne, qui enregistre une explosion du nombre de malades. La Suisse est très fortement frappée par l'épidémie, avec un tracing désormais hors de contrôle.

Nous devons rester humbles et modestes. Nous n'avons pas tous pris les mêmes décisions ni opéré les mêmes choix. Certains pays comme la Suède n'ont pas déployé les mêmes mesures que nous et sont aussi confrontés à une épidémie tout à fait significative.

Avec 1,2 million de cas confirmés, la France est le pays le plus touché en Europe ; elle occupe la cinquième place du classement mondial. L'épidémie s'étend à tout le territoire, le nombre de cas augmentant de façon exponentielle, avec une progression de 60 % en une semaine. Tous ces indicateurs, que nous suivons depuis plusieurs semaines, confirment qu'une très forte extension épidémique nationale est en cours. J'insiste sur le fait que tous les départements sont touchés – en ce moment, le département de la Loire est par exemple le théâtre d'une mobilisation majeure. Toutes les métropoles sont concernées, mais il ne faut surtout pas commettre l'erreur de les opposer aux territoires ruraux : beaucoup de nos concitoyens travaillent en ville et vivent à l'extérieur de celle-ci, et, inversement, au sein des EHPAD et dans les territoires ruraux interviennent des professionnels venant de la ville. Gardons-nous donc d'opérer une distinction trop facile entre les métropoles et le reste du pays : l'ensemble du territoire national est touché.

Dimanche dernier, le nombre de contaminations quotidiennes a atteint un record, avec 52 000 nouveaux cas. Malheureusement, un record a également été établi cette semaine au regard du nombre des admissions à l'hôpital, avec 12 000 hospitalisations en sept jours et près de 2 000 admissions en réanimation.

Le profil des patients qui arrivent à l'hôpital, en particulier en réanimation, est désormais bien connu. Ce sont certes des personnes âgées – l'âge a un effet majeur : plus il est élevé, plus le risque d'admission à l'hôpital et de décès l'est aussi –, mais les personnes atteintes de pathologies chroniques, telles qu'une obésité importante, un diabète ou une insuffisance rénale, ainsi que ceux de nos citoyens qui vivent dans les conditions les plus précaires sont aussi les victimes de la covid.

La part de malades graves en réanimation représente désormais 60 % des capacités initiales de réanimation en France. Ce poids sur l'activité hospitalière est encore plus important dans certains départements : 76 % en Auvergne-Rhône-Alpes, 65 % en Île-de-France, 61 % dans les Hauts-de-France. Hier soir, nous comptions près de 19 000 malades hospitalisés et 2 918 malades en réanimation – les pics enregistrés le 10 avril étaient de 32 000 hospitalisations et de 7 148 malades en réanimation. Les malades graves en réanimation présentent le même profil que ceux admis en avril. La virulence du virus n'a pas changé ; celui-ci n'a pas muté. La mortalité en réanimation est d'environ 35 %. L'admission dans de tels services est donc très préoccupante, spécialement pour les patients qui présentent des facteurs de comorbidité.

Parmi les faits importants à retenir de la situation actuelle, 18 % des malades graves sont âgés de 40 à 60 ans, 30 % des personnes en réanimation sont des sexagénaires et 72 % des malades sont des hommes – ce taux est extrêmement stable. Le nombre de décès augmente nécessairement de manière décalée, pour atteindre actuellement plusieurs centaines par jour.

L'ensemble des professionnels de santé, auxquels je rends hommage, est mobilisé autant en ville que dans les établissements de santé. Sans doute avez-vous entendu parler de déprogrammations et de plan blanc. Les évacuations sanitaires entre établissements, tant publics que privés, ont commencé, de même que les transferts entre départements et entre régions, comme au mois d'avril. Dix-neuf évacuations sanitaires interrégionales sont déjà intervenues, notamment depuis l'Auvergne-Rhône-Alpes vers des régions opérant en soutien, comme la Nouvelle-Aquitaine ou la Bretagne. Je tiens ici à remercier particulièrement les équipes médicales et celles des ARS qui rendent ces transferts possibles, dans un bel élan de solidarité interrégionale et nationale.

Depuis le 1er septembre, la deuxième vague a provoqué 850 000 cas, 40 000 hospitalisations et plus de 4 000 décès. À ce jour, le bilan, malheureusement provisoire, de la pandémie est de près de 1,2 million de cas en France, 156 939 hospitalisations et 35 541 décès.

De la première vague, nous avons tiré des leçons que je souhaite préciser devant vous.

Tout d'abord, je dois faire état d'une remarquable prise en charge des patients et d'une formidable capacité d'adaptation de nos professionnels de santé, que les Français ont applaudis à leur juste valeur. Le système de santé a su s'adapter à toutes les situations, avec créativité. Dans le Grand Est, notamment, la mobilisation de l'ensemble des professionnels a été extraordinaire, tant dans les établissements de ville que dans les institutions. Le niveau historique de 7 027 lits de réanimation occupés par des malades de la covid a été atteint le 7 avril. En six semaines, nous avons réussi la prouesse de doubler le nombre de lits, le faisant passer de 5 000 à 10 705.

En matière d'évacuations sanitaires, nous avons développé un modèle qui constitue un autre élément de fierté pour les professionnels et nous est même envié à l'extérieur : 658 patients en réanimation ont été transférés, intubés et ventilés, par avion, hélicoptère, TGV, ambulance, par bateau même entre la Corse et le continent.

Une logistique considérable s'est mise en place, avec une chaîne d'approvisionnement permettant de livrer 1,6 milliard de masques chirurgicaux, 250 millions de masques FFP2 et 12 millions de masques pédiatriques ; le déploiement d'un énorme effort de développement de la recherche clinique, avec 321 vaccins candidats en cours de développement et plusieurs essais en phase 3, sans parler des innovations thérapeutiques et des médicaments ; la mise en place en un temps record d'outils numériques : le SIDEP, le système d'informations de dépistage qui recense quotidiennement l'ensemble des tests réalisés et les cas positifs, Contact Covid, StopCovid et désormais l'application TousAntiCovid, bien utile pour obtenir des informations en épidémiologie et des conseils ; la mobilisation quotidienne des agences, des ministères, des ARS et des professionnels ; et la réalisation de 20 millions de tests, un Français sur trois ayant bénéficié d'un RT-PCR.

Je retiens également des événements la richesse des échanges que nous avons eus, très souvent le soir, la nuit et le week-end, avec l'ensemble des professionnels de santé. J'ai reçu beaucoup de médecins généralistes, d'infirmiers, de sages-femmes et de pharmaciens, qui sont des professionnels de santé de terrain et de proximité, ainsi que des représentants des sociétés savantes.

Le contact tracing, qui a pu être critiqué, mobilise des plateformes de milliers de personnes pour appeler les cas et les cas contacts. Avec 120 000 appels par jour, l'effort est totalement inédit. Les cas positifs reçoivent un appel et font l'objet d'un suivi, au même titre que les cas contacts. La bascule du contact téléphonique vers l'utilisation des e-mails et des SMS est en cours. J'insisterai ici sur trois messages importants à partager avec nos concitoyens : se faire tester au moindre doute, s'isoler immédiatement et prévenir soi-même les personnes, proches ou collègues de bureau, avec qui on a été en contact. Je sais que beaucoup de Français le font et c'est une excellente chose.

Nous avons une coopération interministérielle d'exception. Nous avons fait le choix de la transparence, et l'ensemble des données de santé est disponible sur les sites du Gouvernement, de Santé publique France, du ministère et sur Géodes. Beaucoup de journalistes utilisent ces données. De très bons articles se fondent sur des informations françaises.

Évidemment, je le dis avec beaucoup de modestie et d'humilité, de nombreux points sont à améliorer. Nous y travaillons avec l'ensemble des acteurs.

En tant qu'enseignant, je crois beaucoup à la pédagogie. Nous devons utiliser tous les vecteurs – ambassadeurs de terrain, élus, associations, collectivités locales – pour diffuser les messages adaptés, car, par définition, les messages ne peuvent pas être les mêmes selon le public, l'âge ou le terrain.

Le partage des expériences est fondamental, qu'il passe par la communication interministérielle ou internationale, ou par le parangonnage des performances. Au niveau régional, l'ARS de Bretagne communique beaucoup, celle du Grand Est a pris de très belles initiatives. Pourquoi ne pas reprendre les procédés qui ont fonctionné avec succès ?

La chaîne logistique peut certainement être encore améliorée pour mieux répondre à une crise majeure quelle qu'elle soit – nous avons récemment vécu des drames étrangers à la covid – par la mobilisation du ministère de l'intérieur, de celui des armées, de la sécurité civile, des pompiers et des dispositifs de santé.

Enfin, nous avons tous contracté une très grande dette envers notre système de santé et ses professionnels. L'hôpital, la médecine et la santé de demain doivent être rendus plus attractifs et donc être valorisés à la hauteur de leur implication et de leur abnégation. Nous travaillons avec l'OMS pour mieux répondre aux urgences de santé publique et avec l'ECDC, car nous avons besoin d'une réponse européenne. Le dispositif fonctionne : nous avons des collaborations en matière de lits et de matériel.

Enfin, s'agissant de la surveillance des populations, l'automatisation du recueil de données, la dématérialisation du certificat de décès établi par toutes les communes doivent être déployés de sorte que nous soyons informés en temps réel, non seulement des décès, mais aussi de leurs causes. Il s'agit d'une information fondamentale. Nous devons également rechercher le moyen de mieux intégrer les patients et la démocratie sanitaire à nos décisions.

Aujourd'hui, je le dis en tant que directeur général de la santé et surtout en tant que spécialiste des maladies infectieuses et de santé publique, il y a des choses que nous savons et d'autres que nous ne savons pas. Nous avons beaucoup appris, la recherche ayant accompli d'immenses avancées, mais il faut avouer avec simplicité que beaucoup d'inconnues subsistent sur ce virus, que de nombreuses notions sont encore l'objet de débats.

« Je crois invinciblement que la science triomphera de l'ignorance », disait Pasteur. Conservons cette phrase à l'esprit pour éclairer, analyser et encourager à la prévention. Je crois fondamentalement que nos concitoyens peuvent être des acteurs majeurs de la lutte, pourvu qu'ils aient des explications. De même qu'ils sont légitimes à les demander, de même nous sommes en droit de leur dire que, parfois, nous ne savons pas répondre, que sur certaines notions complexes, les réponses arriveront plus tard.

À l'ultracrépidarianisme, cette mode consistant à donner son avis sur tout à la télévision et sur les réseaux sociaux sans justifier d'une compétence démontrée, j'oppose la rationalité, la rigueur scientifique, le temps de la recherche et l'humilité de la médecine – les sachants et experts, souvent, travaillent et se taisent. Il faut absolument éviter le corporatisme et les querelles inutiles. Entre les alarmistes et les « rassuristes », je soutiens plutôt les humanistes. C'est encore Pasteur qui disait : « Les conceptions les plus hardies, les spéculations les plus légitimes ne prennent un corps […] que le jour où elles sont consacrées par l'observation et l'expérience. »

Je sais que les temps médiatique, politique, judiciaire et scientifique ne sont pas les mêmes, mais je suis vraiment volontaire pour identifier avec vous les défaillances et les dysfonctionnements systémiques. Nous devons à nos concitoyens d'améliorer notre organisation.

Je répète à celles et ceux qui nous écoutent de limiter autant que possible leurs contacts sociaux et le nombre de personnes avec lesquelles elles baissent la garde, tous les moments où elles ne portent pas de masque, où elles ne se lavent pas les mains et où elles évoluent en proximité et en densité. Chacun connaît par cœur les désormais dix mesures barrières, dont le fameux chiffre de six à table et la nécessité d'aérer pour assurer la qualité de l'air intérieur – ce qu'il me paraît difficile de faire s'agissant de la pièce où nous nous trouvons. Je vous encourage évidemment à télécharger et à faire télécharger l'application TousAntiCovid, car il s'agit d'un outil indispensable pour maîtriser l'épidémie.

Si vous êtes positif ou cas contact, faites confiance à votre médecin traitant et à vos professionnels de santé de proximité : appliquez la septaine d'isolement. C'est bien peu à l'échelle d'une vie lorsqu'il s'agit d'en sauver d'autres.

Il y a quelques jours, j'en ai appelé au sens des responsabilités des jeunes, non pas pour les stigmatiser – il y a des personnes de moins de 30 ans en réanimation –, mais parce qu'ils ont aussi le désir de préserver leurs proches, d'agir et de devenir, eux aussi, la solution. Ma crainte est très grande de voir de très nombreuses personnes fragiles, précaires, vulnérables, malades chroniques, âgées de plus de 65 ans – ce qui n'est pas vraiment un grand âge aujourd'hui – être très fortement affectées par cette maladie ou y succomber. Nous sommes confrontés à une situation totalement inédite, mais nous avons la possibilité, je le crois, d'inverser la tendance et d'infléchir la courbe épidémique, pourvu que nous nous persuadions que nous sommes collectivement la solution.

Comme je suis profondément et sincèrement admiratif de notre personnel de santé, de toutes celles et ceux qui œuvrent au quotidien, partout en France, pour lutter contre cette pandémie meurtrière et totalement sans précédent, j'achèverai mon propos par une citation un peu optimiste d'Albert Camus, tirée de La Peste : « Ce que l'on apprend au milieu des fléaux, c'est qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. »

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Merci pour cette note d'optimisme.

Les conclusions intermédiaires du rapport Pittet ont pointé des problèmes de capteurs de détection. Ces capteurs de détection ont-ils été déployés pendant l'été, alors que le virus se propageait à bas bruit ?

J'aimerais connaître la vision que vous partagez avec vos contacts scientifiques sur les modes de contamination. Y a-t-il des modes de contamination qui nous échappent, des zones ou des foyers qui nous restent inconnus ? Dans le département de la Loire, que vous avez évoqué, j'ai récemment interrogé les réanimateurs et urgentistes du centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne : ils sont incapables de dire d'où provient la deuxième vague, alors qu'au cours de la première, un cluster avait été très nettement identifié autour des Monts-du-Forez, au-dessus de Montbrison. Sur ce point, a-t-on progressé du point de vue scientifique ?

S'agissant du système de soin, quelles leçons ont été tirées de la première vague, au regard notamment de la dotation en lits de réanimation et de leur réarmement ? Combien sont disponibles à ce jour ? Le nombre de personnes âgées hospitalisées en réanimation aurait diminué. Quelle lecture faîtes-vous de ces chiffres ?

Où en est le téléchargement de l'application TousAntiCovid ? Quelles explications peuvent être avancées sur le relatif échec de StopCovid ?

Je m'intéresse particulièrement à la vaccination contre la grippe. Dans certaines zones, on manque de vaccins. Avez-vous des indications à nous fournir quant au réapprovisionnement et à l'organisation des vaccinations ?

Quelle vision avez-vous de l'utilisation des tests antigéniques rapides, du point de vue de la stratégie et du protocole ? Quel est l'état des stocks ?

Comment votre collaboration avec Santé publique France se manifeste-t-elle ? Comment appréhendez-vous les difficultés de l'Agence, notamment celles qu'elle a rencontrées pour s'acquitter de sa mission d'approvisionnement ? Le temps qu'elle met à répondre à une sollicitation interpelle. Interrogée, par exemple, sur les antiviraux en 2016, elle avait donné une première réponse en 2018. Grégory Emery nous a indiqué que vous aviez reçu très récemment une note relative aux protocoles d'administration et de stockage les concernant mais peut-être pourriez-vous nous dresser un état des lieux des réponses thérapeutiques disponibles. De même, lorsqu'il s'est agi d'évaluer l'état des stocks de masques, il a fallu attendre un certain temps pour en connaître le niveau et la qualité. Quelle est votre position à ce sujet et quelles actions avez-vous déployées ?

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Jérôme Salomon

En matière de traitements thérapeutiques, nous avons accompli d'importants progrès. D'abord, nous nous sommes employés à ce que les dispositifs d'accord pour l'engagement de recherches cliniques soient les plus rapides possible. Ainsi avons-nous pu garantir aux Français la rapidité de l'accès à l'innovation.

Il y a eu de nombreux essais français et européens. Certains ont débouché sur des innovations sur la réponse à l'interféron, sur la place des antirétroviraux, sur celle du remdesivir et sur les immunomodulateurs – qui sont peut-être une piste d'avenir. Des essais menés à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) sur le tocilizumab ont ainsi fait l'objet de publications récentes.

Peu à peu, nous comprenons mieux les facteurs péjoratifs de l'évolution de cette maladie, qui est très nouvelle. Nous découvrons chaque jour des atteintes particulières liées au virus, qu'elles soient neurologiques, cardiaques, respiratoires, digestives ou rénales. Il s'agit vraiment d'une maladie générale au sein de certaines sous-populations, qui s'explique probablement par des facteurs génétiques : groupe sanguin, fragilités du récepteur à l'interféron ou encore chromosomes – les hommes étant beaucoup plus touchés que les femmes, les recherches s'orientent également vers les chromosomes sexuels. Tous ces points sont à l'étude, et les généticiens, les immunologistes et les infectiologues sont au travail.

C'est dans la prise en charge concrète des malades que les progrès ont été très importants, plutôt à l'hôpital mais parfois aussi en ville. C'est pourquoi j'insiste beaucoup sur la nécessaire coordination entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. À cet égard, j'ai reçu à plusieurs reprises des médecins généralistes qui sont au cœur de la prise en charge de cette deuxième vague. La prise en charge s'organise en trois axes. L'alimentation en oxygène, notamment à haut débit, a été observée comme pouvant rendre de grands services aux malades hospitalisés. Pour les malades graves, la dexaméthasone, un équivalent corticoïde, empêche l'inflammation, et les anticoagulants se sont révélés utiles dans les complications liées à des microembolies pulmonaires, cérébrales ou coronaires.

Les médecins traitants, les généralistes disposent désormais d'un profil de risque. Ils peuvent identifier les personnes susceptibles de développer une forme grave, celles qui doivent être particulièrement surveillées, dépistées et traitées et celles qui doivent aller rapidement à l'hôpital. À l'hôpital, précisément, les sociétés savantes ont défini des protocoles de prise en charge pour savoir quand proposer de l'oxygène, des anticoagulants ou de la dexaméthasone. Ce week-end encore, des réanimateurs m'ont expliqué que les cliniciens avaient bien identifié les facteurs pronostiques précoces permettant de détecter les malades dont l'état nécessite de les transférer en réanimation afin d'éviter des développements beaucoup plus graves.

Peut-être doit-on voir dans toutes ces avancées l'explication de la perception erronée des annonces faites dans la presse au cours de l'été, selon lesquelles la pandémie s'était éteinte, il n'y avait plus de cas graves, le virus avait dû muter et perdre sa virulence. Or, cet été, l'épidémie s'est poursuivie de façon silencieuse chez les jeunes, essentiellement porteurs et sans cas graves déclarés. L'extension des tests avait beau révéler davantage de cas, dès lors que parallèlement, l'admission en réanimation et le nombre de décès ne connaissaient pas d'augmentations, d'aucuns en ont tiré des conclusions. En fait, il ne s'agissait que de la conjonction de la jeunesse des personnes touchées, qui n'avaient aucune raison de développer une forme grave, et sans doute aussi des conditions météorologiques. Cet été, il a fait très beau ; les gens étaient beaucoup dehors.

Nous ne maîtrisons pas encore ce potentiel facteur météorologique qui explique probablement ce qui se passe en Europe actuellement : le refroidissement et l'humidité favoriseraient la diffusion du virus. En revanche, nous prenons mieux en charge les patients en ville, ce qui permet une légère diminution du nombre d'hospitalisations. En cas d'hospitalisation, les patients sont mieux pris en charge, notamment ceux envoyés par les EHPAD, ce qui témoigne d'une importante amélioration des relations entre ces établissements et l'hôpital. L'hôpital gère mieux les malades, la prise en charge précoce contribuant aux moindres transferts des patients des services de médecine vers la réanimation. Enfin, on teste davantage à l'hôpital. Une femme enceinte venant accoucher a par exemple le droit de bénéficier d'un test à son entrée à la maternité.

Avons-nous manqué de capteurs pendant l'été ? Je ne le crois pas. Les statistiques ont été publiées en toute transparence, Santé publique France effectuant des points quotidiens sur l'évolution du nombre de cas. Nous n'avons pas rencontré de difficultés pour objectiver la situation. De son côté, le Conseil scientifique a partagé les inquiétudes qu'il nourrissait pour la rentrée, compte tenu des personnes contaminées pendant les vacances qui allaient reprendre le travail, de la rentrée scolaire, que nous souhaitions la plus réussie, et de la rentrée universitaire.

Cette analyse de l'arrivée d'une deuxième vague était partagée par tous. Personne ne pouvait en dater la survenue, mais il s'agissait d'un développement logique. D'une part, dans les émergences virales, plusieurs vagues se succèdent jusqu'au moment où l'immunité collective est atteinte ou jusqu'à ce qu'une prévention efficace, d'ordre vaccinal, soit disponible. Le virus circule tant qu'il trouve un hôte sensible ; il s'éteint lorsqu'il n'en trouve plus. D'autre part, l'aspect météorologique est toujours source d'inquiétude pour les virologues et les infectiologues. C'est en ce moment la pleine saison de diffusion des virus : gastroentérite, virus respiratoire syncytial, grippe – dont aucun cas n'est enregistré, pour l'instant, au niveau national.

Cette deuxième vague avait donc été anticipée, mais tous les spécialistes européens ont été frappés par sa brutalité et peut-être sa précocité. Les indicateurs météorologiques font état d'une vague de froid en septembre en Europe, particulièrement dans les pays les plus touchés aujourd'hui. A-t-elle eu pour effet de modifier le comportement du virus ? Le comportement humain, lui, s'est modifié, avec un repli vers l'intérieur. En tout cas, ces vagues de froid sont intervenues quelques jours seulement avant l'augmentation brutale du nombre de cas.

S'agissant de la vision que nous avons des modes de contamination, la règle « ABCD » que le ministre a présentée par un moyen mnémotechnique reste totalement valable. Les personnes les plus affectées sont les plus « À » risque. Nous faisons donc très attention aux EHPAD, qui totalisent plus de 500 clusters. Nous avançons sur un chemin de crête entre la fermeture totale de ces institutions, avec tout ce que cela a d'inhumain pour ces personnes totalement isolées qui n'auraient plus aucun contact, et le maintien d'une ouverture totale, ce qui reviendrait à laisser entrer le virus avec les visiteurs et les personnels mobilisés autour de nos aînés. Les lieux particulièrement porteurs de risque sont les lieux « B »ondés, les lieux « C »los et dans lesquels on reste longtemps. Nous sommes d'ailleurs dans cette configuration : une salle mal aérée, où de nombreuses personnes restent plusieurs heures, même en portant un masque, cela a été scientifiquement démontré, est un facteur de transmission. Et puis, bien sûr, les moments où les mesures barrières et les « D »istances ne sont pas respectées sont à haut risque. Ni le restaurateur ni le propriétaire du bar ne sont en cause. Simplement, passer une heure et demie avec des amis à déjeuner autour d'une même table sans masque – par définition, il n'est pas possible de manger avec un masque – est un moment de propagation virale.

Sur ce sujet, il y a des publications nationales et internationales, et des travaux sont en cours, conduits notamment par l'équipe d'Arnaud Fontanet. Les clusters font aussi l'objet d'études, mais leur poids est très faible par rapport à l'immensité de l'épidémie. De plus, par une sorte de biais de sélection, l'attention se porte plus particulièrement sur ceux qui sont critiques. On sera très attentifs à ceux qui se constituent dans une école, un hôpital, une clinique ou un EHPAD ; on le sera moins aux clusters familiaux. On a vu pourtant, cet été, d'importants clusters liés à des activités plus ou moins festives, comme des mariages, des anniversaires ou des enterrements, riches en moments où les proches se serrent les uns contre les autres et abandonnent les gestes barrières, donc potentiellement contaminants. Certains patients interrogés savent aussi parfaitement à quel moment ils ont été contaminés – un déjeuner avec un ami qui s'est ensuite déclaré positif –, et retracent eux-mêmes leur contamination.

Ce qui sort aujourd'hui du champ de l'analyse, ce sont les moments pendant lesquels on abaisse la garde – l'heure que l'on passe avec ses enfants et petits-enfants. Nous sommes conscients de la difficulté pour un grand-père ou une grand-mère de ne pas serrer ses petits-enfants dans ses bras. Il nous est difficile de leur conseiller de garder leurs distances, mais ces moments sont probablement de ceux qui favorisent la transmission. Une image est très intéressante du point de vue pédagogique, celle des tranches de gruyère successives qui montre qu'il n'y a aucune solution unique. Le masque, le lavage des mains, l'aération, pris séparément, ne suffisent pas, mais, cumulées, ces mesures permettent de réduire au maximum les contacts à risque.

Une autre prescription difficile est de réduire le nombre d'interactions. N'accepter qu'une invitation sur deux, n'inviter que deux amis au lieu de plusieurs, ne déjeuner qu'avec deux collègues plutôt qu'avec quatre, tout cela peut représenter des sacrifices dans sa vie quotidienne, mais toute réduction du nombre de contacts est bonne à prendre.

Le directeur général de la santé n'est pas en charge de l'offre de soins. Il reste que, dans les grandes lignes, nous avons été très attentifs à l'équipement des professionnels, et surtout à leur formation. Un important effort a été consenti par l'ensemble des établissements de santé, publics et privés, pour améliorer la formation des professionnels et les accompagner. Ceux-ci ont été affectés, touchés, personnellement et dans leur famille, ainsi qu'émotionnellement au quotidien. La première vague a été pour eux un traumatisme. Ils se sont activement formés et sont probablement mieux armés pour faire face à cette deuxième vague, même si nous sommes totalement conscients de la difficulté particulière qu'ils éprouvent.

Les équipements de protection individuelle, masques et surblouses, ont été renforcés, de même que les stocks de médicaments et de matériels nécessaires à la réanimation. Nous disposons de beaucoup plus de lits, grâce à notre stratégie de transformation. Il s'agit d'un modèle tout à fait français ; les Anglo-saxons n'ont pas cette distinction entre lit de réanimation, lit de soins intensifs et lit de soins continus. On surveille mieux les patients en soins continus, on peut accepter une défaillance vitale en soins intensifs et la réanimation est pour les malades les plus graves, qui peuvent présenter deux, trois ou quatre défaillances vitales. Un malade de ce type pèse lourdement sur les équipes soignantes, les infirmières, les aides-soignants et les médecins, et nécessite des moyens humains et techniques très conséquents.

Grâce à cet énorme effort sur les lits, nous pourrons prendre en charge plus de 11 000 malades en réanimation, ce qui est une performance remarquable au regard du point de départ. Beaucoup disent que nous pourrions avoir deux ou trois fois plus de lits de réanimation. Je le dis à mots choisis tant le sujet est délicat, c'est pour moi une hantise que d'imaginer que nous ayons trois fois plus de malades en réanimation. Cela signifierait que nous ne serions pas parvenus à empêcher les formes graves et que nous nous autoriserions à prendre en charge 20 000 ou 30 000 malades graves, sachant que la mortalité en réanimation est, de manière stable, supérieure à 30 %. Ce serait terrible d'envoyer les patients en réanimation avec un tel pronostic vital !

De surcroît, c'est peut-être moins connu de nos concitoyens, un séjour en réanimation est terriblement traumatisant psychologiquement et laisse des séquelles : on perd ses muscles, on souffre souvent de troubles neurocognitifs qui durent des mois et de troubles respiratoires, on a besoin de rééducation motrice. Ce n'est pas un séjour à l'hôtel. Les familles et les malades le racontent : le séjour en réanimation transforme et le retour à la vie normale est très compliqué. Du point de vue médical, la réanimation est une discipline de très haute technicité. Il faut dix à douze ans pour former un médecin réanimateur, et plusieurs années pour former une infirmière de réanimation parfaitement compétente. Il en va de même pour les aides‑soignants. Les procédures sont extrêmement lourdes.

La deuxième vague pourrait être plus puissante que la première. Ce dimanche, les statistiques font état de 52 000 personnes positives, des gens qui ont été testés il y a deux jours, mais contaminés une semaine plus tôt. En fait, nous regardons dans le rétroviseur, et c'est une première difficulté.

Or, et c'est une deuxième difficulté, nous avons besoin d'anticiper. Les personnes âgées, fragiles, obèses testées positives aujourd'hui présentent une très forte probabilité de devoir aller à l'hôpital, voire en réanimation, mais seulement dans plusieurs jours, lorsque leur état respiratoire s'aggravera. D'où la nécessité d'anticiper les besoins hospitaliers. Et c'est un point très important : le nombre de cas aujourd'hui nous permet de prédire le nombre de malades de demain et d'après-demain ainsi que son incidence en termes d'admissions, de transferts en réanimation et de décès. Nous nous livrons à cet exercice d'anticipation avec les hôpitaux, tandis que certains médias, relevant que les capacités sont loin d'être saturées, ne comprennent pas, sur cette base, pourquoi tout le monde s'affole. Précisément, nous anticipons une augmentation du nombre des admissions. Nous savons que cette courbe va repartir à la hausse mathématiquement, mécaniquement, car certains des malades déclarés verront leur état s'aggraver.

Reste que nous ne devons pas oublier les autres malades. Les cancers, les pathologies chroniques, les urgences médicochirurgicales, les urgences vitales, y compris en pédiatrie et en psychiatrie, font aussi partie de nos priorités de santé publique et de déprogrammation.

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Monsieur le directeur général, nous vous retrouvons aujourd'hui certes pour évoquer cette seconde vague qui nous préoccupe et à propos de laquelle vous avez exprimé votre crainte avec des mots très forts, mais aussi pour obtenir un éclairage sur les éléments recueillis depuis votre précédente audition.

Nous sommes notamment interpellés au plus haut point par la gestion des stocks stratégiques. Pour ma part, j'ai été extrêmement surpris par les propos de Mme Agnès Buzyn et de son conseiller santé, M. Grégory Emery, qui nous ont tous deux indiqué, de façon convergente, que la question des stocks stratégiques n'a jamais été prioritaire ; à aucun moment durant les trois ans d'exercice ministériel de Mme Buzyn, l'évaluation du niveau des stocks stratégiques n'a été évoquée. On a beaucoup parlé du stock stratégique de masques, mais Santé publique France gère d'autres stocks d'éléments importants, comme les antibiotiques, passés de 86 millions à 12 millions entre 2015 et 2019, les antidotes, passés de 141,5 millions à 96 millions sur la même période, et même à 75 millions en 2018, ou les antiviraux, tombés de 303 millions à 51 millions.

On a le sentiment que tout s'est joué entre vous et Santé publique France, notamment à travers un courrier que François Bourdillon, directeur général de SPF, vous a adressé le 26 septembre 2018. Cette lettre vous informe, d'une part, qu'une étude épidémiologique dirigée par le Pr Stahl considère qu'il faut environ un milliard de masques pour protéger la population en cas de pandémie grippale. Vous avez repris ce chiffre dans votre propos liminaire en nous annonçant que le stock stratégique est aujourd'hui à l'objectif d'un milliard de masques, confirmant comme tel ce chiffre, qui a parfois été contesté devant notre mission.

Santé publique France vous alerte, d'autre part, sur l'étude du cabinet belge Centexbel estimant obsolète et périmée la quasi-totalité des masques chirurgicaux à disposition de SPF. Par une lettre du 30 octobre de la même année, vous répondez en indiquant la nécessité d'acquérir 50 millions de masques chirurgicaux et, éventuellement, 50 autres millions, si les moyens financiers le permettent. Ces 100 millions d'unités devaient être acquises et mises à disposition des établissements de manière étalée dans le temps, jusqu'au début de l'année 2020, soit après l'apparition de la crise sanitaire.

Il y a là, pour nous, un important motif d'interrogations. Je vous le demande solennellement : le cabinet de la ministre, la ministre ou son directeur de cabinet n'ont-il jamais été informés de l'évaluation du stock stratégique ? S'ils ne l'ont pas été, considérez-vous que vous avez commis une erreur ou une faute en ne transmettant pas cette information ou, au contraire, considérez vous qu'il s'agit d'une faute ou d'une erreur de la ministre et de son cabinet de ne jamais s'être enquis du niveau de ce stock ?

Je souhaite que nous nous attardions quelques instants sur cette question qui motivait, à mon sens, votre retour devant nous ce jour pour obtenir des précisions sur cette gestion chaotique du dossier. Vous aviez alerté, avec un sens certain de la prospective, le futur président de la République Emmanuel Macron du fait que la France n'était pas prête et qu'il convenait de se prémunir contre un risque majeur. Or nous constatons que les stocks stratégiques ont fondu à vue d'œil sans que cela suscite de véritable réaction, de sorte que nous nous sommes retrouvés, début 2020, quasiment dépourvus d'équipements de protection. Je souhaite avoir votre éclairage sur ces points.

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Jérôme Salomon

C'est évidemment un sujet très important, et vous avez noté combien j'ai été attentif à ces enjeux de préparation. Pour reprendre l'historique, vous le savez mieux que moi, nous avons tiré les leçons de 2009 ; nous avons compris qu'il existait des enjeux de réponse aux urgences sanitaires.

Je ne citerai pas tous les rapports, mais ils énoncent unanimement que la solution n'est probablement pas dans la constitution d'un stock dormant, qu'il vaut mieux, au contraire, constituer un stock tournant et utilisé, avec des stocks tampons et des précommandes. On parlait même de mobiliser les fabricants français. Ce sujet est tellement antérieur à mon arrivée aux responsabilités que cette proposition apparaît dans plusieurs rapports parlementaires, en lien même avec la création de Santé publique France, agence issue, je le rappelle, de la fusion de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), de l'Institut de veille sanitaire (INVS) et de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). À la clé, il y avait un enjeu d'optimisation de l'utilisation de la ressource publique, car les sommes étaient tout de même importantes. Il s'agissait de savoir comment faire tourner ces stocks, comment ne pas passer de commandes qu'il faudrait jeter.

Deux points fondamentaux sont confirmés par le fonctionnement même du ministère. À son arrivée, le ministre se voit remettre le « dossier ministre », dans lequel le DGS lui présente la préparation globale du système de santé aux menaces terroristes, aux attentats et à tous les risques majeurs – avant moi, trois directeurs généraux de la santé ont successivement été mobilisés par la crise : Didier Houssin, Jean-Yves Grall et Benoît Vallet, ces deux derniers étant aujourd'hui directeurs généraux dans des ARS difficiles. Le dossier mentionne également le pilotage des agences et toutes les questions que vous vous posez, notamment sur les stocks stratégiques. Le « dossier ministre » de 2017 les envisageait déjà selon des modèles agiles avec réservations de doses et gains d'efficience pour l'ensemble du système de santé. Car le stock stratégique est certes constitué en haut, au niveau national, mais il est complété par des stocks tactiques en CHU et en établissements. Il y en a même en maisons de santé, auprès des professionnels. Les chantiers métiers, la clarification sur les systèmes d'information, le cadre d'emploi des stocks stratégiques et la manière d'en dynamiser la gestion figuraient donc déjà dans le « dossier ministre » de 2017.

Deuxième point très important, c'est à la demande du directeur général de la santé que l'état des stocks est établi. Benoît Vallet l'a demandé début 2017, avant même l'arrivée d'Agnès Buzyn, et la réponse de Santé publique France ne nous est parvenue qu'en septembre 2018. Une étape très importante a été marquée par la signature du contrat d'objectifs et de performance (COP) entre Santé publique France et Agnès Buzyn. Ce document, que vous avez en votre possession, me semble-t-il, mentionne très clairement des stocks tournants et des stocks tampons, des précommandes et des procédures pour dynamiser ce stock.

Pour être très clair, la réponse de François Bourdillon annonçant ces centaines de millions de masques périmés constituait à mes yeux, non pas une alerte, mais une très mauvaise nouvelle pour tous les acteurs concernés par la réponse aux crises. J'ai réagi très vite – vous l'avez d'ailleurs noté –, d'abord en passant des commandes pour constituer un stock minimal d'avance, mais également en passant des précommandes et en mobilisant les producteurs français. Or, en janvier, ce dispositif censé fonctionner par précommandes, en flux tendus et par roulement permanent des stocks a pâti de la tension mondiale sur les masques, que personne n'avait prévue, sans parler de l'allongement des délais de livraison du fait de difficultés d'approvisionnement, de logistique et de livraison aux territoires.

À mon sens, il ne s'agissait pas d'une alerte, mais d'une mauvaise nouvelle. Nous étions totalement dans la réflexion engagée depuis des années et écrite par la DGS consistant à préférer des stocks tournants beaucoup plus fluides et des livraisons régulières ou ponctuelles aux établissements, petits comme grands. J'ignore si le directeur général de SPF a alerté le ministre, s'il a demandé un rendez-vous, mais, pour moi, il n'y avait pas d'alerte. On revoit les choses comme cela aujourd'hui, en lui prêtant des inquiétudes pour les commandes. Moi-même, j'étais très triste à l'idée de devoir jeter ou détruire ces centaines de millions de masques périmés. Vous noterez que la commande a été livrée en 2019 et 2020, selon un processus classique, et que je n'ai pas identifié de commande urgente ou impérieuse.

Le courrier en question pourrait certes être interprété aujourd'hui comme une alerte, mais je pense, à l'inverse, que ce signalement était totalement conforme à la doctrine proposée ainsi qu'au COP signé par Agnès Buzyn et François Bourdillon, prévoyant de travailler sur des stocks tournants, précommandés et en flux tendus, fournis par des producteurs français, dont certains avaient même été approchés. Il s'agissait vraiment de tirer les leçons de 2009, de convenir que nous ne pouvions pas nous permettre de constituer des stocks qui ne serviraient à rien et devraient finalement être jetés. Il me semble plutôt de bonne doctrine que de chercher un système mettant en œuvre un flux constant en amont, par des commandes régulières dont profiteraient les producteurs français, et fluide en aval pour approvisionner régulièrement les grands établissements plus particulièrement.

Les stocks d'antiviraux sont très élevés à l'heure actuelle et ne comptent pas de lots périmés. Nous faisons évoluer nos stocks en fonction de l'actualité des menaces, multiples, qui pèsent sur notre pays. Malheureusement, notre territoire est également régulièrement victime d'attaques terroristes. Nous nous efforçons d'adapter nos efforts à nos expériences, en tenant compte de la disponibilité des molécules. Certaines molécules antibiotiques peuvent être accessibles sur d'autres sites, en pharmacie ou à l'hôpital, tandis que des réponses plus spécifiques sont adaptées à l'évaluation de la menace par les services spécialisés.

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Vous n'avez pas précisément répondu à ma question. Vous vous réunissez, je crois, chaque semaine avec le cabinet de la ministre, un peu moins souvent avec les opérateurs et notamment Santé publique France : jamais, au cours de ces réunions ni dans vos échanges avec M. Emery, cette question du niveau des stocks stratégiques n'a été évoquée ? Cela me semble ahurissant s'agissant d'un point aussi important. Cela vous paraît-il concevable ?

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Jérôme Salomon

Effectivement, une réunion hebdomadaire se tient tous les mercredis avec l'ensemble des agences sanitaires : l'Agence nationale de sécurité sanitaire et alimentaire (ANSES), l'ANSM, Santé publique France, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ou encore l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Des comptes rendus sont à chaque fois établis. Je rencontre donc au moins une fois par semaine le directeur général de Santé publique France, sachant que Grégory Emery n'était pas en poste au moment où ce point a été discuté.

À vous entendre, on croirait que la direction générale de la santé est confinée dans une tour d'ivoire et n'échange jamais avec le ministère. En réalité, j'ai des rapports, parfois pluriquotidiens, avec les membres du cabinet, le directeur de cabinet, la ministre du temps d'Agnès Buzyn et désormais le ministre Olivier Véran. Les relations avec le directeur de cabinet, le cabinet et la ministre sont très fluides. Pour moi, toute alerte majeure remonte donc au ministre.

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Cette alerte est-elle remontée ? Si oui, à qui ?

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Jérôme Salomon

Non, car, pour moi, ce n'était pas une alerte.

Les stocks stratégiques, compte tenu de la sensibilité déjà évoquée, sont des points spécifiques abordés plutôt en conseil d'administration restreint, en bilatéral entre le directeur général de SPF et le directeur général de la santé ou entre le directeur général de SPF et le ou la ministre. Pour moi, il n'y a pas eu de demande spécifique d'alerte. Il s'agissait d'une mauvaise nouvelle, mais nous demeurions dans le cadre d'un fonctionnement normal, d'où ma réponse au directeur général de Santé publique France – celle, je pense, que vous avez en votre possession – prescrivant de relancer les stocks tournants, les précommandes et les fournisseurs. D'ailleurs, SPF n'a pas non plus passé de commande d'urgence puisque, vous le noterez, les livraisons sont intervenues en 2019 et 2020.

Il s'agit donc, à mon sens, d'une réinterprétation. Toute alerte importante remonte, en effet, au cabinet ministériel, voire à la ministre ou au ministre, à qui je n'hésite pas du tout à faire part de tels sujets. En l'espèce, le fonctionnement était conforme au dossier du ministre et au COP signé. Il s'agissait même, pour moi, d'une occasion encore plus nette de mettre en place les stocks tournants, la doctrine de précommandes et la fameuse mobilisation de la production française.

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Aucune autre personne entendue par notre commission n'a évoqué cette notion de stocks tournants ; vous êtes le seul à utiliser cette notion. D'où vient-elle ? Vous évoquez une doctrine : à quelle date et ou est-elle apparue ?

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Jérôme Salomon

Dès les premiers rapports parlementaires après la crise de 2009 et au moment de la création de l'EPRUS, l'idée est apparue qu'il fallait réfléchir à cette inefficience que d'avoir des stocks qui ne servent pas – on a parlé de stocks dormants par opposition à l'instauration de flux. Constituer un stock, cela implique de trouver un fournisseur qu'on ne sollicitera plus pendant cinq ou dix ans, mais aussi de ne pas écouler sa marchandise auprès de « clients », les hôpitaux, ignorant l'existence d'un tel stock, s'approvisionnant de leur côté. Tous les rapports, notamment parlementaires, consacrés au sujet ont proposé de faire évoluer la pratique ; le dossier ministre évoque la gestion des stocks stratégiques en mentionnant la nécessité de questionner l'intérêt du recours systématique à des stocks physiques pour aller vers des modèles plus agiles de réservation de doses, afin de gagner en efficience – ce que j'appelle stocks tournants. Dynamiser la gestion des stocks correspond à une demande des parlementaires depuis plusieurs années, l'idée étant, et nos concitoyens peuvent le comprendre, qu'acheter pour jeter ne procède pas forcément de la meilleure gestion.

À mes yeux, il ne s'agissait pas vraiment d'un changement de doctrine ni d'une décision individuelle. Il s'agissait de s'inscrire dans un mouvement de sollicitation des producteurs français, qui le demandaient, pourvu qu'ils connaissent les besoins et soient saisis de commandes régulières leur permettant d'installer les chaînes de fabrication nécessaires. Je ne pense pas avoir inventé le terme de stocks tournants et je n'en revendique pas la paternité. En tout cas, il correspond à l'idée qu'il est à la fois plus utile et plus efficient du point de vue financier d'avoir des stocks dynamiques. Dans un modèle où chaque euro compte devant les citoyens, acheter des produits de santé pour ne pas les utiliser me paraît choquant. Fournir des masques, des tests et des médicaments aux professionnels de santé, c'est bien ma priorité absolue. Constituer des stocks pour les enfermer dans des hangars en sachant qu'ils seront périmés dix ans plus tard, c'est un problème. Ces conclusions ont été formulées à plusieurs reprises et c'est ce qui est écrit dans le COP – il me semble que le mot « tournant » y figure. Je n'ai pas signé ce document, n'étant pas encore en place lors de sa rédaction et de sa validation par le conseil d'administration. Celui-ci s'est réuni fin 2017 et je ne suis arrivé qu'en janvier 2018. En tout cas, je me souviens très bien de la signature du COP par Agnès Buzyn et François Bourdillon, directeur général de Santé publique France.

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Vous avez rappelé qu'un stock important existait en 2012, mais, jusqu'en 2018, aucun renouvellement annuel, comme l'avait prévu le conseil d'administration de l'EPRUS, n'est intervenu. En 2018, informé du manque de masques, vous avez commandé un rapport au Professeur Stahl, lequel a évoqué un besoin d'un milliard de masques pour l'ensemble du pays. Qu'est devenu ce rapport entre sa réception par vos soins et l'annonce, début 2020, d'Olivier Véran devant l'Assemblée nationale que nous ne disposions que de 117 millions de masques chirurgicaux et d'aucun masque FFP2 ? Pourquoi n'a-t-on pas réagi à ce rapport entre 2018 et 2020 ?

Selon vous, quel est l'avenir de l'EPRUS ?

Au mois d'août, vous avez affirmé sur France Inter que nous étions très préparés à une deuxième vague. Or, aujourd'hui, l'hôpital tremble sur ses fondations, par manque de personnel, de médecins et, globalement, de soignants. La Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) vous a proposé, il y a quelques jours d'associer aux lits de réanimation publics quelque 4 000 à 5 000 lits de réanimation de toutes les cliniques de France, personnel compris. Quelle réponse allez-vous apporter à cette proposition qui permettrait de porter le nombre de lits disponibles de 5 000 à près de 10 000 ?

Quelque chose me chagrine s'agissant des certificats de décès. J'ai repris les statistiques de l'INSEE sur les neuf premiers mois de l'année, du 1er janvier au 30 septembre. Les décès dénombrés étaient de 481 400 en 2018, de 480 360 en 2019 et de 481 700 en 2020. La question se pose de savoir comment les décès liés au covid sont renseignés. Des études épidémiologiques seront-elles engagées dans les mois à venir pour établir exactement la réalité de la situation ?

Enfin, que répond le directeur général de la santé aux interrogations d'un ancien ministre de la santé – que je ne nommerai pas mais qui fait la une des journaux –, qui a qualifié de « grand fiasco » l'organisation de la réponse à cette crise sanitaire ?

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La dernière commande de masques date du 30 octobre 2018 et M. Emery nous a dit avoir pris ses fonctions le 1er octobre. Il était donc aux responsabilités. Il nous a dit aussi : « Entre octobre 2018 et le 23 janvier 2020, je n'ai pas été destinataire d'une information sur le stock stratégique de masques », alors même qu'il est investi de la fonction de conseiller sanitaire. Pouvez-vous nous redire, comme vous venez de le faire à M. Ciotti, que vous n'avez pas porté à la connaissance de la ministre l'information transmise par le directeur de Santé publique France ? Pouvez-vous nous confirmer que, pendant le mois d'octobre 2018 et par la suite, vous n'avez pas porté à la connaissance de M. Emery, alors en fonctions, l'état du stock ?

Un article du code de la santé publique dispose que la commande de masques intervient « sous signature » du ministre. À ma connaissance, c'est vous qui avez commandé ces masques – dans le cas contraire, faites-le-moi savoir et je retirerai mes propos immédiatement. Si tel est bien le cas, comment l'expliquez-vous, alors que cela relevait de l'autorité de la ministre ? Si ce n'est pas vous qui avez passé la commande, comment se fait-il que la ministre ait passé la commande sans que, en parallèle, personne ne l'informe que le pays était confronté à un déficit de masques ni ne porte à sa connaissance la lettre de M. Bourdillon ?

Vous avez répondu très rapidement, le 26 septembre – ce qui est un délai de réponse raisonnable –, au courrier de Francois Bourdillon. Dès le 30 octobre 2018, vous avez commandé 50 millions de masques, envisageant l'achat de 50 millions d'unités supplémentaires si les moyens le permettaient. Or, ces 100 millions de masques, ce que vous appelez les stocks tournants, correspondent aux besoins des soignants, pas à ceux de la population dans son ensemble, que le rapport Stahl a établis à un milliard – au passage, je rectifie les dates citées par Jean-Pierre Door : la commission Stahl a rendu ses conclusions en 2018, mais a été installée en 2016. Dès lors, pourquoi, pendant près de deux ans, entre le 30 octobre 2018 et le 31 janvier 2020, n'y a-t-il eu aucune commande de masques en France ?

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Jérôme Salomon

S'agissant de l'EPRUS, il y a certainement des leçons à tirer des difficultés logistiques que nous avons rencontrées, et nous y travaillons. Il s'agit de revoir la logistique d'État au regard de l'organisation des services de santé, de la sécurité civile et des armées. C'est un travail très particulier, qui relève de spécialistes de métier, que d'organiser le sourcing, les ponts aériens et les ponts maritimes qui ont été mis en œuvre au mois d'avril et après.

Le rapport commandé au Professeur Jean-Paul Stahl portait sur la grippe, et ses préconisations concernaient très largement les vaccins et les antiviraux, mais aussi les masques. J'ai compris de la lecture attentive de son rapport, et il me l'a confirmé, qu'il avait en tête un enjeu populationnel, d'ailleurs similaire à ce que nous vivons aujourd'hui, concernant les masques. L'idée était de mobiliser les Français, avec le lancement très tôt de la production nationale – faisant de nous des pionniers en matière de masques grand public –, de sorte que tous les foyers soient équipés et que les citoyens s'investissent dans les gestes barrières. Il ne s'agissait pas forcément de se doter d'un stock stratégique d'un milliard de masques, mais bien que les Français soient équipés en cas de pandémie grippale, à laquelle, je le précise, les principales réponses sont vaccinales et antivirales. C'est pourquoi nous sommes attentifs aux travaux en cours en la matière.

J'en profite pour vous indiquer que les vaccins contre la grippe arriveront cette semaine dans les pharmacies, par livraisons successives. Les Français ont bien respecté les cibles et les priorités, et nous avons rencontré un important succès d'estime. Les gens se sont davantage déplacés en officine que les années précédentes et, point encore plus positif, ce sont les personnes comprises dans la cible qui viennent chercher leur vaccin. Le message selon lequel les personnes fragiles doivent se faire vacciner a visiblement été bien compris.

La fin des commandes de masques FFP2 a été validée, je crois, dès 2012, par décision ministérielle. Il n'était, en effet, pas très logique de constituer un stock de tels équipements, car ils sont destinés aux professionnels de santé exposés. Dès lors, il est plus logique que ces masques soient directement mis à la disposition de ces professionnels dans les lieux à risque, c'est-à-dire dans les établissements de santé.

Nous nous sommes préparés au mieux à la deuxième vague. Elle a été anticipée dès la première vague pour la rentrée de septembre ; les professionnels de santé, pris au sens large, se sont préparés psychologiquement, techniquement et en se formant. Ce qui est très particulier et doit être relevé, c'est l'ampleur de cette vague. Il n'est pas rare que la deuxième vague d'une épidémie soit plus grave que la première. Vient ainsi un moment où, même si l'on dispose du meilleur système de santé au monde et d'hôpitaux extraordinaires, lorsque les victimes sont trop nombreuses, on subit l'effet du nombre.

Le secteur privé est d'ores et déjà sollicité et plusieurs centaines de patients sont accueillis dans de très bonnes conditions dans des établissements participants au service public hospitalier ou directement en clinique privée. L'effort consenti est remarquable. Nous avons demandé à toutes les ARS et à tous les niveaux des départements d'assurer la meilleure collaboration possible entre les établissements publics et les établissements privés.

Quand des malades meurent à leur domicile, les certificats de décès correspondants sont enregistrés en mairie par la famille, sur la base du certificat signé par le médecin. Un grand nombre de décès surviennent également en EHPAD. Ces décès sont automatiquement signalés et intègrent les statistiques de Santé publique France, qui font état du nombre de cas et de la mortalité, et sont également comptabilisés par l'INSERM et l'INSEE. Il en va de même des décès se produisant dans les établissements de santé. Quasiment tous les soirs, le nombre de morts intervenues en établissement hospitalier est détaillé. Il n'y a donc pas de morts cachés, tous les décès sont comptabilisés en France – c'est une statistique publique qui relève de la responsabilité de l'INSEE, lequel l'établit avec beaucoup d'attention.

En ce moment, en France, nous relevons ce chiffre terrifiant de 1 800 morts par jour, soit plus de 50 000 par mois. Le nombre annuel de morts progresse du fait d'un facteur démographique : les enfants du baby-boom arrivent à un âge où les décès sont fréquents ; les classes d'âge d'après 1945 commencent à mourir. Nous disposons de statistiques quotidiennes, mensuelles, annuelles, municipales, départementales et régionales. Ces données sont librement consultables sur le site de l'INSEE.

Quand on compare la mortalité, sur la base de données certes provisoires mais d'excellente qualité, on observe un phénomène très impressionnant de variation mensuelle. En janvier et février de cette année, nous avons enregistré une sous-mortalité, probablement parce que l'épidémie de grippe de 2019 et 2020 a été relativement bénigne. Mars et avril ont été marqués par une très forte surmortalité, plus légère en mai, suivie d'une sous-mortalité en mai et en juin. Cela explique le peu de différences dans les statistiques sur plusieurs mois. En revanche, cette mortalité est imputable. On peut identifier les personnes décédées de la pneumopathie covid, mentionnée comme la cause principale du décès sur le certificat de décès. On peut distinguer les morts dans lesquelles le virus a seulement joué un rôle, par exemple lorsque le patient a subi une embolie pulmonaire ou un infarctus alors qu'il était contaminé. Chose frappante, il est tout à fait possible qu'en février ou mars 2021, les chiffres de 2020 apparaissent presque normaux, par un effet de régulation de la mortalité. D'aucuns avancent que la sous-mortalité enregistrée dans certains pays serait liée à une surmortalité préalable. L'analyse de la mortalité est une statistique lente mais vraiment fondamentale. Ce n'est qu'à la fin de la période que nous pourrons en tirer des conclusions fiables.

Une donnée peut-être plus importante encore que la mortalité brute est constituée par le taux de mortalité. Celui-ci rapporte le nombre de morts liées au virus à la population française. De ce point de vue, le classement de la France à l'international en fait une statistique certes macabre, mais intéressante.

Je ne sais pas si je dois commenter les propos d'un ancien ministre. J'ai échangé avec des infirmiers, des médecins, des hospitaliers, des médecins libéraux et des infirmières se déplaçant à domicile. Tout le monde est sur le front, prêt à se déplacer la nuit, à assurer des gardes et à se déplacer à domicile. Parler de « fiasco » me semble susceptible d'être pris comme une insulte par les professionnels de santé. Ils le prennent un peu pour eux, même si l'intention de la personne n'est pas de les remettre en cause. L'heure est davantage à la mobilisation qu'à la critique.

Je n'ai effectivement pas repris la date exacte de l'arrivée de Grégory Emery. Le conseiller de sécurité sanitaire – je ne vise ni Grégory Emery ni son prédécesseur – assiste à toutes les réunions de sécurité sanitaire. Il n'y a pas de réunions ni de conciliabules secrets. Les comptes rendus de conseil d'administration et de conseil d'administration restreints sont adressés à leurs membres, mais sont aussi rendus publics. Je ne crois pas lui avoir spécifiquement soumis la question du stock stratégique, mais il est présent tous les mercredis, en même temps que le président de Santé publique France. Cela peut expliquer aujourd'hui le sentiment d'alerte alors que nous avons simplement découvert que les stocks étaient périmés et que nous devions passer une nouvelle commande.

S'agissant des commandes, les procédures ont été multiples. Cette année, j'ai également commandé beaucoup d'équipements. Dans une logique de délégation, et en parfaite entente avec le ministre, celui-ci signe ou me demande de signer les lettres nécessaires. Je m'exécute en lien total avec lui ou son directeur de cabinet. Le fonctionnement est parfaitement fluide. Peut-être s'agit-il là d'un enseignement à tirer de cette crise, entre la direction générale de la santé, qui est au sixième étage, et le cabinet du ministre qui est au septième, la porosité est totale. Mon bureau est distant de moins de 10 mètres de celui du directeur de cabinet du ministre. Entre nous, les échanges sont permanents. Peut-être devrions-nous considérer que tout doit être formalisé, que tout échange oral doit être doublé d'écrits. En tout cas, je vous assure que tout est fluide et fait en association, notamment dans le cadre des réunions de sécurité sanitaire qui font de surcroît l'objet de comptes rendus écrits et partagés avec l'ensemble des acteurs.

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La notion de stock tournant est une formule habile pour justifier un déstockage motivé, en réalité, par la cherté du stockage et la mise au point d'une autre organisation. Pour avoir dirigé une entreprise, je sais que le déstockage doit s'accompagner de l'assurance de pouvoir reconstituer les stocks en cas de besoin. Dans votre réflexion sur les stocks tournants, vous êtes-vous préoccupés d'avoir l'assurance que les masques arriveraient en nombre suffisant en cas de besoin ? Dans la négative, vous auriez baissé la garde.

Cette notion de stock tournant aurait été validée, dites-vous, par François Bourdillon et la ministre de la santé. Or, le 26 septembre 2018, François Bourdillon vous a adressé un courrier pour vous alerter sur la quantité insuffisante de masques. Pareille situation est incompréhensible. Je souhaite que vous y reveniez.

À grand renfort de publicité, la commande de 10 000 respirateurs a été annoncée. Or ces respirateurs se sont révélés inutilisables dans les services de réanimation qui en avaient besoin, à tel point que 9 000 ont été redéployés ailleurs. En parallèle, des personnes âgées accueillies en EHPAD se trouvaient en détresse respiratoire sans pouvoir être transférées dans les hôpitaux, au motif que ceux-ci manquent du matériel nécessaire. Pourquoi des respirateurs de ce type ont-ils été commandés ? La directrice de Santé publique France, que j'ai interrogée à ce sujet, m'a répondu que cette commande ne venait pas de ses services. Comment ce matériel a-t-il été commandé et pourquoi ne correspondait-il pas aux besoins ?

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On parle beaucoup des masques, mais de quel type de masques exactement ? J'évoque ici la fameuse doctrine de 2013, dont nous avons discuté avec les secrétaires généraux de la défense, et sur laquelle j'aimerais que nous parvenions à une conclusion. Selon Francis Delon, l'auteur de cette doctrine, le stock stratégique d'État est destiné aux soignants, l'approvisionnement en tout autre type de masques étant de la responsabilité des employeurs. Quelle compréhension avez-vous de cette doctrine ? Doit-elle être remise en cause ?

Les jeunes se sentent un peu perdus dans le contexte actuel, se percevant comme victimes et en éprouvant de l'incompréhension. Peu touchés en termes de symptômes, ils font partie de la chaîne de transmission. Comment mieux montrer que le dispositif de sanctions mis en place vise la protection des plus fragiles ? Ne pourrait-on envisager une communication plus claire et offensive pour lever cette inquiétude que les jeunes ressentent.

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Jérôme Salomon

Le risque de contamination n'est aucunement lié à l'âge, il dépend du nombre d'interactions sociales de chacun. Certains jeunes ont peu de ces interactions, tandis que des personnes âgées, au contraire, en entretiennent énormément : c'est ce qu'on appelle la matrice sociale. De ce point de vue, le personnel politique est à haut risque : vous avez la chance de rencontrer beaucoup de nos concitoyens.

Fort heureusement, les jeunes adultes, les adolescents et les enfants développent beaucoup moins de formes graves. Moins touchés, ils se sentent évidemment moins concernés. Ils sont tout de même inquiets, car il arrive de tristes histoires dans lesquelles des adolescents ou de jeunes adultes de 20 ou 25 ans développent une forme sévère de la maladie. Ils sont aussi inquiets pour leurs proches, pour leurs parents et pour leurs grands-parents, et ils culpabilisent à l'idée de pouvoir les contaminer.

À mon sens, ils sont parfaitement conscients. Très informés, ils se montrent souvent moteurs s'agissant du respect des gestes barrières. Je l'ai constaté lors de déplacement dans des classes et auprès d'associations très mobilisées. Nous sommes peut-être fautifs de ne pas utiliser les bons canaux. Les jeunes ne regardent quasiment plus la télévision, ils utilisent les réseaux sociaux et sont attentifs à leurs pairs. Il nous faut déployer des ambassadeurs auprès d'eux : une star de musique, un joueur de football ou de rugby peuvent efficacement relayer nos messages et le lancement de nos campagnes de prévention. Telle est la piste à suivre à mon sens.

Les jeunes sont inquiets pour leur santé, pour celle de leurs proches fragiles et pour celle de leur famille, mais ils sont également inquiets pour leur liberté, leur emploi et leur avenir. Ils ont tout intérêt à ce que nous maîtrisions la pandémie au plus vite, afin que nous puissions renouer avec une vie quasi normale.

J'ai retrouvé l'origine de la notion de stock tournant. Elle apparaît dans l'avis du Haut Conseil de santé publique de juillet 2011. À la suite des commissions d'enquête constituées après la crise du H1N1 de 2009, l'attention a été appelée sur la nécessité de passer des commandes en lien avec un besoin, et de ne pas constituer de stocks en apesanteur ne servant à personne. De fait, en plus des stocks stratégiques d'État, il existe des stocks stratégiques régionaux, des stocks de plateformes zonales et, heureusement, des stocks tactiques d'établissement. En tant qu'hospitalier, j'étais obsédé par la réponse aux crises et je veillais à ce que les équipes, les infirmières et tous mes collaborateurs soient bien équipés – je pense même avoir été assez pénible à ce sujet. Nous avions en permanence le souci de disposer de stocks de proximité afin de pouvoir répondre très rapidement aux besoins des soignants.

La réflexion, et cela devra faire partie du retour d'expérience, a évolué par touche : faut-il conserver ou abandonner les FFPP2 ? Faut-il les laisser à la responsabilité des employeurs ? Nous devrons dresser le bilan complet de ceux qui ont assumé cette responsabilité. Lorsque nous avons lancé la mobilisation sur les masques, nous en avons trouvé beaucoup chez les employeurs, grands établissements, institutions privées ou publiques, mairies ou préfectures, mais certains n'ont probablement pas eu cette compréhension. Le message de l'État n'a peut-être pas été suffisamment clair, mais la responsabilité de l'employeur est définie en 2012 et 2013, dans le cadre du plan pandémie grippale. Le sujet sera de savoir pourquoi certains n'ont pas bien perçu cette évolution, tandis que d'autres, je le sais pour avoir beaucoup échangé avec des responsables d'établissements et même des libéraux, avaient compris qu'ils devaient disposer de leurs propres équipements. Certains cabinets d'infirmiers et certaines maisons médicales disposaient bien d'un stock qu'ils alimentaient régulièrement.

L'objectif est de disposer de stocks suffisants et rapidement mobilisables. Tous les stocks stratégiques, dont les masques ne sont qu'une partie, sont régulièrement audités. J'en ai redemandé un audit complet cette année. Je peux vous rassurer, le niveau est tout à fait satisfaisant. Surtout, ces stocks sont renouvelés très régulièrement. Je tiens à votre disposition les tableaux qui rendent compte du fait que les stocks sont régulièrement audités, que leur péremption est vérifiée et qu'ils sont renouvelés, ce qui est fondamental du point de vue sanitaire, par un système de commandes et de précommandes. On s'en étonne aujourd'hui, mais hier c'était normal, et toutes les commandes étaient en cours ; il n'y avait ni retard ni annulation.

Vous remarquerez, d'ailleurs, que ma commande date du 30 octobre 2018 et que les marchés ont été passés ensuite de manière normale, pas en urgence, et que les livraisons arrivent tranquillement, sans la moindre alerte, jusqu'en janvier. C'est alors que tout s'est arrêté : les fournisseurs qui avaient pris les commandes se sont dédits, on a même assisté, de façon jamais vue, à des reprises de commandes – chacun se souvient des avions saisis directement sur le tarmac, avec des procédés dignes d'un western.

Au titre de l'intérêt des stocks tournants – je ne vois pas d'autre mot – celui de permettre la mobilisation permanente des stocks de manière plus fluide et efficiente. Il y avait à la fois la possibilité de disposer de masques non périmés et surtout de mettre en tension nos producteurs, afin que l'approvisionnement soit régulier. L'idée était aussi d'entretenir avec les fournisseurs un lien beaucoup plus fort que ne l'aurait permis une commande passée une fois tous les dix ans.

Nous tenons les nombreux tableaux de suivi à votre disposition. Vous constaterez que les commandes sont multiples et régulières, les produits périmés étant systématiquement remplacés. Ainsi, s'agissant des antigrippaux, l'état des stocks que j'ai demandé, révèle un niveau suffisant pour couvrir les besoins de la population française. S'agissant des vaccins, 5,3 millions de personnes sont déjà vaccinées contre la grippe, alors que nous sommes à j 13. Pour l'instant, cette campagne est une réussite.

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Pouvez-vous répondre à ma question relative aux respirateurs ?

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Jérôme Salomon

S'agissant de matériel hospitalier, la commande n'en revient pas spécifiquement à la direction générale de la santé. On ne peut pas dire que les respirateurs que vous avez évoqués ne servent à rien. En la matière, les modèles diffèrent selon qu'ils sont utilisés en réanimation, en bloc opératoire, en salle de réveil ou pour le transport. La commande d'État, surtout adaptée aux besoins des réanimateurs et urgentistes, était pour partie destinée à la réanimation et pour partie au stock des respirateurs de transport. Ces derniers sont très importants, car ils sont utilisés dans les transferts entre établissements ou vers les aéroports. Destinés à des personnes intubées et ventilées, ils doivent présenter des caractéristiques en matière de tolérance qui nécessitent de les moderniser. Je n'ai pas personnellement réfléchi aux besoins ni aux spécifications du matériel, mais je sais que cela a fait l'objet d'un échange entre les sociétés savantes et le ministère de la santé dans le cadre de la commande.

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Vous ne m'avez pas répondu s'agissant de la doctrine 2013.

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Jérôme Salomon

Je vous ai dit que, en 2012 et 2013, elle a fait l'objet d'un très long processus d'échanges entre les administrations, cette doctrine couvrant un périmètre beaucoup plus large que celui de la santé. La responsabilité de l'employeur concernait les opérateurs d'importance vitale, de transports, la gendarmerie, la police. À l'époque, je n'étais pas directeur général de la santé, mais, selon ma lecture, il s'en est suivi, non pas une cassure, mais une double évolution qui me paraît assez naturelle. Pour ceux des employeurs qui, depuis des années, assuraient au quotidien l'équipement de leur personnel – dans la plupart des laboratoires agroalimentaires, dans des usines où le port de masques P2, voire P3, est requis –, tout s'est bien déroulé. Certains grands acteurs institutionnels ou privés – banques, assurances, préfectures, mairies, collectivités – avaient parfaitement pris la mesure du sujet et constitué des stocks, pour certains assez récemment, dont nous avons bénéficié en début d'année.

Dans le secteur proprement dit de la santé, il n'y a pas de fonctionnement on-off, le processus est complet, avec un stock stratégique en appui – que nous ne sommes pas parvenus à mobiliser et à rendre plus fluide –, les stocks zonaux utilisés régulièrement en cas de catastrophe, qui sont à la main du préfet, et les stocks tactiques de tous les établissements de santé. Aujourd'hui, nous avons réexpliqué cette stratégie. Au sein du champ santé, pour rester dans mon domaine de compétences, nous avons poussé énormément d'équipements de protection individuelle au plus près des soignants, de sorte qu'aujourd'hui, tous les établissements de santé disposent d'un minimum de trois semaines de stock de crise. Les professionnels de santé se sont approvisionnés auprès des officines qui disposent également d'un grand nombre d'équipements. Par ailleurs, les stocks hospitaliers ont été portés à leur maximum pour leur permettre de tenir en gestion de crise. Le stock stratégique a également été rétabli et est disponible pour renforcer toute demande majeure des établissements.

Dans le champ de la santé, nous avons voulu établir une connexion fonctionnelle entre le stock stratégique national, les stocks zonaux et régionaux, les stocks des groupements hospitaliers de territoire (GHT) – qui sont désormais des acteurs importants –, ceux des grands établissements et ceux des officines qui assurent le lien avec la ville et les établissements sociaux et médico-sociaux. Dans cette optique de préparation à une réponse de crise, les stocks doivent couvrir trois semaines de fonctionnement d'un établissement et dix semaines des besoins de l'État. Nous avons tiré les leçons de cette expérience qui ne s'était jamais présentée : si d'aventure, tous les fournisseurs faisaient défaut, le dispositif de sécurité permettrait de tenir pendant dix semaines en attendant de trouver une solution sur le marché mondial.

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Le problème a moins tenu au type de stocks, dormants ou tournants, qu'à l'existence même de stock suffisant. Si l'on s'en tient aux propos qui ont été tenus dans le cadre de cette mission, le 24 janvier, date du premier cas diagnostiqué en France, Agnès Buzyn a posé la question des stocks. À cette date, ni elle ni Édouard Philippe ne savaient ce qu'il en était. Si vous-même disposiez de l'information, pourquoi ne pas l'avoir transmise à la ministre de la santé ou au Premier ministre ?

Qui a pris la décision de détruire les masques ? Vous avez évoqué le dilemme que représente le fait d'acheter pour finalement jeter les équipements. Mais là, non seulement on n'a pas acheté, mais on a jeté. On peut parler de double peine, voire de double faute.

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Au cours de la première vague, des interventions ont été déprogrammées. Malgré le nombre de personnes qui attendent encore une opération, les capacités d'accueil sont revues à la baisse. Le chef du service d'anesthésie-réanimation de l'hôpital Bichat a récemment déclaré avoir clos 20 % de l'activité de l'hôpital pour cette semaine. L'AP-HM doit déprogrammer un quart des opérations planifiées. La capacité maximale d'accueil en réanimation en Île-de-France a diminué de 30 % par rapport à mars et avril, avec un total de 1 700 places contre 2 500. Toutes les mesures prises jusqu'à présent, qu'il s'agisse du couvre-feu ou, peut-être demain, du confinement, pèsent sur nos concitoyens alors que la priorité est, me semble-t-il, d'ouvrir des places de réanimation et de mobiliser davantage de personnel.

Vous affirmiez, en juin, que ne pas se préparer à une deuxième vague constituerait une faute majeure. Quels moyens ont été mis en œuvre, pour augmenter le nombre de lits et les capacités d'accueil des malades du covid, sans que les autres opérations en pâtissent ? Cette anticipation est d'une importance capitale, car, dès aujourd'hui, nombreux sont les lits déjà occupés et il sera difficile de répartir les malades sur le territoire : il n'y aura pas de transfert possible.

Quelles mesures avez-vous déployées pour soulager au maximum les personnels et pour pallier le manque de soignants ? Comptez-vous mettre sur pied une réserve médicale ?

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Le 14 juillet dernier, le Président de la République affirmait que nous étions prêts à affronter une seconde vague, ce que vous avez vous-même répété en août. Le 27 août, le Premier ministre indiquait qu'il n'y avait pas lieu de s'affoler face à l'évolution de la pandémie. Il y a une semaine à peine, le ministre de la santé annonçait le couvre-feu, le justifiant comme une mesure nécessaire pour freiner l'épidémie là où elle est la plus virulente, sous peine de voir le seuil de 50 000 contaminations quotidiennes franchi sous une quinzaine de jours – ce chiffre a été atteint seulement quatre jours après cette déclaration.

À quelques heures de l'allocution du Président de la République, on ne peut pas ne pas s'interroger sur ce qui a été accompli depuis la première vague. N'avons-nous pas raté le déconfinement du point de vue sanitaire ? En attendant les rapports des travaux en cours – cette mission d'information et la commission d'enquête conduite par le Sénat –, ceux qui nous ont été communiqués formulent des critiques assez précises sur la gestion de la première vague : défaut manifeste d'anticipation, de préparation et de gestion ; difficultés dans la mise en œuvre de la stratégie définie par l'OMS ; sous-estimation initiale de la menace ; coordination désordonnée, avec parfois concurrence entre différents échelons administratifs ; manque de confiance et d'écoute du terrain, problèmes de communication. Quelles leçons avez-vous tirées des insuffisances ainsi mises en évidence ? Chacun mesure avec modestie la difficulté de l'exercice, mais quelles sont les conclusions tirées de la première vague ?

Vous aviez fixé un objectif de 12 000 lits de réanimation. À l'évidence, les conditions de mise en œuvre ne sont pas réunies. Pourquoi ne pas avoir organisé, comme en Allemagne, des formations aux gestes de soins intensifs et de réanimation au profit de toutes les infirmières et de tous les soignants ? Ne pensez-vous pas que la décision prise fin juillet d'ouvrir l'accès aux tests, à l'origine, selon nombre de professionnels de santé, d'un afflux de demandes auprès des laboratoires, a engendré des situations de blocage au point de rendre inopérante la stratégie d'interruption des chaînes de contamination ? Ne pensez-vous pas que cette embolie de la chaîne de tests constatée à la rentrée a eu un effet sur la stratégie de tracing  ? Comment la stratégie de déconfinement telle que vous l'aviez définie a-t-elle fonctionné – ou pas ? Dans quelle mesure avez-vous répondu aux dysfonctionnements rencontrés ?

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À vous écouter, j'ai compris que, au fond, la stratégie thérapeutique n'a pas changé. En mars, nous manquions de recul et nous ignorions tout du virus. Une seule équipe proposait un traitement précoce ; aujourd'hui, plus de 150 études scientifiques dans le monde préconisent un tel traitement. Vous nous avez indiqué que les patients positifs sont testés, tracés, confinés et, cher confrère, vous annoncez devant la représentation nationale que certains de ces cas vont s'aggraver, avançant un taux de 35 % de décès en réanimation. C'est absolument incroyable ! Ne pensez-vous pas qu'il y a urgence à changer de stratégie pour sauver les patients, soulager les soignants et l'hôpital ?

Vous avez été destinataire de propositions concernant le renforcement des équipes médicales, qui vous ont été adressées par le président du collectif Santé en danger. Je crois que vous n'y avez pas répondu. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Des équipes sur le terrain ont également suggéré des solutions en matière de prévention, notamment à travers l'analyse des eaux usées. Les marins-pompiers de Marseille procèdent en permanence à des prélèvements ; le réseau Obépine analyse les eaux usées des stations d'épuration sur le territoire national. On sait que ces résultats sont prédictifs d'une éventuelle augmentation du nombre des contaminations. Ces données sont-elles exploitées ? En tout état de cause, les chiffres ne sont pas communiqués, mais ont-ils été « transversalisés » ?

Certains pays procèdent très différemment de la France. En Suède, la population n'est pas confinée, personne ne porte de masque et l'économie continue de fonctionner. Êtes‑vous en contact avec le gouvernement suédois ?

Des recommandations ont été émises pour que les résultats des tests PCR soient exprimés en trois catégories : négatif, très fortement positif – ce qui sous-entend que l'individu est particulièrement contagieux – ou faiblement positif. Or les tests positifs ne sont jamais nuancés.

Enfin, on sait désormais que le virus est patent au fond du rhinopharynx mais aussi dans la salive. Qu'en est-il, chez nous, du test EasyCov, effectué à partir d'un prélèvement salivaire, qui est déjà utilisé à l'étranger ?

M. Jérôme Salomon. S'agissant de la réponse hospitalière, j'insiste sur le fait que nous devrons, au cours de cette deuxième vague, soigner aussi bien les malades du covid que les autres. Personne ne doit subir de perte de chance du fait de la fermeture de services ou de l'indisponibilité des dispositifs de prise en charge, notamment des cancers et des urgences vitales. Les déprogrammations que nous décidons, qui sont indispensables pour mobiliser tous les soignants publics et privés, ne concernent que les pathologies non urgentes. Évidemment, les patients atteints d'une rupture de la rate ou d'un anévrisme de l'aorte sont opérés. Les médecins et les équipes médicales de France veillent à éviter toute perte de chance, et les reports n'interviennent qu'avec leur accord et celui des patients.

Concernant les places en réanimation, comme je l'ai dit tout à l'heure, le lit en soi n'est pas le sujet. On pourrait en multiplier le nombre par trois ou quatre, encore faudrait-il y adjoindre l'équipement et le personnel. Surtout, cela poserait la question du pronostic. Le pire serait que nous enregistrions une vague d'admissions en réanimation. Cela signifierait que nous aurions raté le diagnostic, la prévention et la prise en charge médicale précoce et que nous accepterions d'avoir 10 000 à 20 000 malades en réanimation, avec le pronostic associé qu'on connaît.

Nous disposons, en France, d'une réserve médicale constituée de volontaires qui se signalent pour se porter aux côtés de leurs collègues. Il s'agit soit d'étudiants des filières de santé – kinésithérapeutes, infirmiers, médecins ou pharmaciens – qui font un travail formidable, soit de retraités. Outre cette réserve, gérée précédemment par l'EPRUS et désormais par Santé publique France, nous avons une réserve managériale de crise. Les hôpitaux comptent maintenant des directeurs médicaux de crise très bien formés.

Prêts à affronter la deuxième vague, nous l'étions en ce sens que nous l'avions immédiatement intégrée dans notre réflexion à partir des leçons tirées collectivement. Je vous communiquerai, si vous le souhaitez, les comptes rendus des réunions que nous avons tenues à tous les niveaux pour collecter les retours des préfets, des ARS, des grands élus, des médecins généralistes, des sociétés savantes, du Conseil national de l'urgence hospitalière et du Syndicat des médecins généralistes. Nous avons organisé énormément de réunions pour entendre le terrain et introduire des améliorations dans nos pratiques.

L'effort en matière d'équipement et de formation a été considérable, tant du côté de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) que de celui de la direction générale de la cohésion sociale, pour le personnel des EHPAD. Néanmoins, il ne faut pas mentir : on ne devient pas infirmier de réanimation ou réanimateur en quelques jours ou quelques semaines ; cela demande une longue expérience.

À l'arrivée de la deuxième vague – dont personne au monde ne pouvait prédire la date –, la première chose à faire était de s'employer à la freiner, et les Français, je tiens à le dire, font des efforts considérables. Si rien n'était fait, la France afficherait un indicateur R égal à 3, voire 3,5 – pour 100 malades un jour donné, 300 seraient constatés la semaine suivante. Ce n'est pas ce qui se passe : l'indice R est de l'ordre de 1,4 selon la dernière publication de SPF, ce qui signifie que les Français contiennent la vitesse de propagation de l'épidémie de plus de 50 % chaque jour. C'est un message qu'il faut leur faire passer : les efforts considérables qu'ils consentent, en réduisant le nombre de contacts, en se lavant les mains et en observant les gestes barrières, font chuter l'épidémie.

Malheureusement, cela ne suffit pas en raison de la cinétique extrêmement importante de celle-ci. Elle est d'ailleurs européenne et d'autres pays enregistrent des progressions beaucoup plus fortes que celle observée en France. Qui plus est, les effets des mesures prises sont nécessairement décalés dans le temps : une contamination évitée aujourd'hui, c'est la parade à un test positif dans une semaine, à une admission à l'hôpital dans dix jours et à une entrée en réanimation dans quatorze jours. L'effet de freinage est donc assez lent.

Peut-on dire que tout le monde a raté la deuxième vague ? On pourrait le penser à voir les près de 80 000 nouveaux cas quotidiens aux États-Unis, et la situation dans l'ensemble de l'Europe. Je ne crois pas qu'on puisse faire porter la faute aux Français, et encore moins aux jeunes. Ils n'ont pas changé de comportement entre octobre et septembre, et se montrent toujours aussi vigilants. J'espère que nous l'expliquerons un jour – par les phénomènes météorologiques, les comportements ? – mais, en tout état de cause, l'épidémie connaît une explosion brutale.

Nous anticipons et avons tout fait pour préparer le système de santé libéral, public, privé et hospitalier à déployer une réponse. Avons-nous sous-estimé le problème ? Je ne crois pas – je vous enverrai un décompte des réunions de crise, des échanges avec les associations et les professionnels de terrain et des déplacements auxquels ils ont donné lieu.

Si j'osais une petite remarque polémique, je soulignerais que nous n'avons pas été aidés par ceux, nombreux, qui ont annoncé la fin de l'épidémie, l'absence de deuxième vague et la mutation du virus.

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Le Premier ministre lui-même a déclaré qu'il n'y avait pas de quoi s'affoler.

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Jérôme Salomon

Le Premier ministre, comme la plupart des autorités étatiques, a toujours tenu compte de cette menace. Le Conseil scientifique a toujours été très clair et le Gouvernement est resté totalement mobilisé. Les discours sur la mutation du virus et la baisse de sa dangerosité n'ont pas aidé à la mobilisation. De notre côté, évidemment, nous avons maintenu la pression, continué la formation et l'anticipation. J'ai relayé les alertes du Conseil scientifique sur l'imminence d'une deuxième vague.

Quant au fiasco, l'erreur ou l'échec des tests, je souligne tout de même qu'un volume de 1,9 million de tests par semaine est totalement inédit. Dans les laboratoires, les techniciennes, les secrétaires et les infirmières ont travaillé jour et nuit, week-end compris, pour traiter les prélèvements. On peut toujours faire mieux, mais les efforts consentis ont été considérables. Il en va de même pour le tracing, avec 120 000 appels quotidiens, ce qui est très élevé.

Je n'étais pas en charge du déconfinement, mais vous savez que la pression en ce sens a été très forte. Les acteurs ont voulu, tous ensemble, sortir du confinement. La période, notamment en juin, a été particulièrement calme sur le front de l'épidémie. Puis, l'été a été marqué par une diffusion silencieuse, jusqu'à mener à la situation présente.

S'agissant d'EasyCov, nous sommes fortement mobilisés et le sujet a même fait l'objet d'une réunion avec le ministre, très allant sur ce procédé. Malheureusement, chez certaines personnes, le virus est absent de la salive. Je tiens à votre disposition tous les documents sur le sujet, qui a fait l'objet de travaux par les virologues, l'ANSM et la Haute Autorité de santé. Le test salivaire est encore compliqué par le fait qu'il peut produire des faux négatifs. Nous devons être très attentifs à ne pas laisser croire aux Français qu'il suffirait.

S'agissant des tests PCR, nous avons saisi les virologues sur la notion de cut off virologique. Le PCR est une technique très sensible et pourrait permettre de distinguer les malades touchés par une charge virale importante et très contagieux, de ceux qui restent positifs alors qu'ils ne sont plus contagieux. Une expertise est en cours, qui pourrait aider, à terme, à identifier les résultats positifs non contagieux, ce qui serait très pratique.

Nous avons de nombreux échanges avec les autres pays européens et avec l'OMS, notamment quant aux différentes stratégies déployées. Objectivement, aujourd'hui, on ne comprend pas bien ce qui se passe. En Suède, la stratégie est très différente : ils ne portent pas de masque, la mortalité est supérieure à celle enregistrée en France, mais ils ont décidé de laisser beaucoup de commerces ouverts tout en observant les gestes barrières. La République tchèque, qui a été le premier pays à généraliser l'usage du masque, est le pays le plus touché au monde. L'OMS ne comprend pas ce qui se passe ; il y a des choses qu'on ne s'explique pas.

Le réseau Obépine a effectivement lancé un projet de recherche prédictive ou analytique. Il s'agit d'aller rechercher le virus dans les eaux usées, qui reflètent la pression épidémique au sein d'une zone donnée du fait que les patients excrètent du virus que l'on peut retrouver. Même si ce projet n'est pas spécifiquement propre au ministère de la santé – il est commun au ministère de la transition écologique et solidaire, au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et au ministère de la santé – nous y sommes attentifs en raison de ses aspects de détection, de surveillance, voire de prédiction.

Les pompiers sont effectivement fortement mobilisés. Ils nous aident beaucoup en installant des barnums qu'ils animent conjointement avec la sécurité civile et des volontaires. Vous aurez relevé que nous avons élargi le champ des professions, même étrangères à la santé, qui peuvent participer à l'effort de dépistage. Nous sommes, par ailleurs, ouverts au renforcement des équipes médicales, qui relève de la DGOS.

Pour ce qui est de l'urgence à changer de stratégie, préventive, d'une part, et thérapeutique précoce, de l'autre, nous soutenons totalement tout ce qui peut aider à progresser dans la prise en charge des malades. Je ne crois pas qu'il y ait la moindre volonté de faire obstacle aux très nombreux protocoles qui nous sont soumis. Tous les protocoles mis en œuvre sont actualisés et mis en ligne sur le site internet du ministère de la santé. Les personnes intéressées par la recherche clinique peuvent librement les consulter. Tous les protocoles déposés, qu'ils soient en cours d'instruction, enregistrés ou refusés, sont en ligne.

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J'insiste pour avoir une réponse à ma question concernant la non-connaissance qu'avaient la ministre de la santé et le Premier ministre, le 24 janvier 2020, de l'état des stocks stratégiques de masques. Si vous-même aviez cette information, pourquoi ne leur avoir pas transmise ?

Qui a pris la décision de détruire les masques périmés ? En situation de pénurie, sans doute vaut-il mieux des masques périmés que pas de masque du tout.

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Nul ne sous-estime la difficulté de la situation ni ne cherche à minimiser les efforts consentis par le personnel soignant et par les personnels administratifs des ministères. Cela ne doit cependant pas nous interdire de nous interroger sur ce qui a fonctionné et sur les dysfonctionnements – c'est le sens de notre mission d'information.

Nous avons été témoins, et le Président de la République l'a relevé avec force, du fait que les premiers temps du déploiement, jusqu'à la rentrée, ont été marqués par de très longs délais d'attente pour accéder aux tests et à la délivrance des résultats. L'efficacité du tracing en a été affectée puisque nombre de personnes contaminées n'avaient pas été préalablement identifiées comme cas contacts. Monsieur le directeur général, avez-vous le sentiment que les derniers avis du Conseil scientifique ont été suffisamment pris en compte par le Gouvernement dans la mise au point de ses réponses ?

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Jérôme Salomon

Les avis du Conseil scientifique sont publics et font l'objet de présentations médiatiques, son président s'exprimant régulièrement dans les médias. J'ai rarement vu un Gouvernement, un Premier ministre et un Président de la République aussi investis – je suis sidéré par leur mobilisation, qui se traduit par la lecture d'articles et des comptes rendus du Conseil scientifique, par des échanges avec ses membres et par l'appel à des experts nationaux ou internationaux. L'attention est particulièrement portée sur la partie scientifique, le suivi de l'évolution, l'anticipation et la modélisation.

Nous sommes parfaitement conscients que l'organisation des tests n'a pas été optimale. Toutefois, il faut reconnaître aux laboratoires qu'ils ont fait leur maximum. Localement, la situation a été complexe à gérer pour le personnel, qui n'est pas à son aise lorsque quarante personnes attendent au guichet. Les chiffres relatifs aux délais de rendez-vous, de réalisation des tests et de rendu des résultats sont également publiés ; ils sont désormais conformes, avec des résultats communiqués sous trente-six heures, voire vingt-quatre. L'embolie initiale de la rentrée était due au fait que tout le monde a voulu se faire tester au même moment, mais nous avons beaucoup progressé sur le nombre de personnes habilitées à prélever, sur les délais et aussi sur la priorisation des malades et cas contacts. Nous en sommes aujourd'hui à près de 1,9 million de tests PCR par semaine, ce qui est totalement inédit dans l'histoire de la France. Au total, nous en sommes à 20 millions de tests réalisés.

S'agissant du tracing, la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a mobilisé de très nombreux appelants sur des plateformes départementales, régionales et nationales. Cent vingt mille appels sont passés par jour aux cas détectés et contacts. On constate que les personnes appelées savent souvent qu'elles sont positives et se sont isolées, et, surtout, qu'elles se chargent de leur propre tracing en prévenant leurs collègues, leur secrétaire ou autre responsable hiérarchique. En plus, donc, des améliorations du côté de la CNAM, l' autotracing fonctionne.

Lorsque la crise est arrivée, Agnès Buzyn s'est fortement mobilisée et a demandé un état précis des stocks. Je vous l'avoue, nous ne disposons pas d'un inventaire actualisé en temps réel. M. Door, qui connaît bien l'EPRUS, sait quel défi représente le fait d'avoir une connaissance exacte et en permanence de ces stocks, qui sont immenses et multiples. Nous avons dressé l'état des stocks très rapidement et commandé des masques dès février, au début, pour soutenir les équipes qui avaient été projetées aux Contamines-Montjoie et celles qui avaient accueilli nos concitoyens rapatriés de Chine. Sur les images, on voit que les équipes étaient alors parfaitement équipées. Dès le 6 février, j'ai demandé la mise en place d'un stock d'État de masques P2 et j'en ai passé commande le 7 février, pour 28 millions d'unités. Nous avons donc réagi assez vite, à un moment où il n'y avait pratiquement pas de cas en France. Maintenant que la pandémie est majeure, on se rend mieux compte, mais, à l'époque, les experts, et même l'INSERM, dont Agnès Buzyn avait cité une publication, affirmaient que le risque de voir des cas apparaître en France était de moins de 13 %. Nous avancions sur la base des informations chinoises selon lesquelles l'épidémie ne sortirait pas de Chine, et de celles de l'OMS et de l'ECDC tenant pour très faible le risque d'importation, notamment en Europe.

Nous avons donc plutôt fait preuve d'anticipation et passé des commandes de manière précoce. Les commandes de février ont d'ailleurs permis à Santé publique France de découvrir 110 millions de masques immédiatement utilisables, auxquels se sont ajoutés les masques de 2019 qui avaient été oubliés et ceux qui n'avaient pas été détruits. Finalement, le chiffre était plus proche de 400 millions de masques potentiellement affectables d'une manière ou d'une autre. Nous étions d'ailleurs un des seuls pays à disposer d'un tel stock – même les quatre ou cinq pays analysés dans le rapport Stahl ne présentaient pas les mêmes chiffres. Les comparaisons internationales sont en cours, mais, globalement, le stock français n'était pas si faible et, surtout, il était mobilisable immédiatement. Outre les commandes, il y a eu des non‑destructions par Santé publique France – ce qui a d'ailleurs permis de trouver d'autres usages pour certains masques – et l'importante décision d'Olivier Véran de déstocker. Celle-ci a été prise très vite, à la fin février ou au début du mois de mars, alors qu'il n'y avait pas de tensions particulières. Ces dernières sont apparues par la suite, lorsque nous avons été confrontés à un besoin, que personne n'avait imaginé, de 20, 30, 40, voire 50 millions de masques. Nous avons mis en place un pont aérien et maritime pour livrer massivement et pousser vers les officines plusieurs dizaines de millions de masques par semaine.

On peut toujours dire a posteriori qu'on aurait pu faire plus ou mieux, mais ces mesures ont été déployées avant même la découverte du cluster des Contamines-Montjoie.

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Lors de son audition, le Pr Stahl nous a expliqué que l'évaluation d'un milliard de masques correspondait à un taux de contamination de 30 % de la population, soit environ 20 millions de personnes.

Un autre point relevé par le rapport Stahl concernait non pas tant le caractère dormant ou tournant des stocks, mais plutôt les conditions d'approvisionnement que les fournisseurs pouvaient garantir. Au vu de ce qui s'est passé, nos modes de sourcing ont-ils été revus pour éviter de futures pannes d'approvisionnement ?

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Je souhaite vous interroger sur les modalités d'anticipation de la seconde vague. Le 11 septembre, s'est tenu un conseil de défense – dont je ne vous demande pas de livrer le contenu puisqu'il est couvert par le secret-défense –, à l'issue duquel la presse s'attendait, compte tenu de la dégradation de la situation sanitaire, à ce que le Premier ministre annonce des mesures beaucoup plus restrictives. Or, hormis le rappel des gestes barrières, rien n'a été annoncé au cours de la conférence de presse.

Dans la perspective de ce conseil de défense et de cette conférence de presse, avez‑vous rédigé des notes de propositions destinées au ministre de la santé ? Avez-vous alerté le Gouvernement sur la dégradation de la situation et proposé des mesures ? Dans l'affirmative, pourquoi ces mesures n'ont-elles pas été déployées ? Peut-être que si des mesures plus drastiques avaient été prises alors, voici presque un mois et vingt jours – on avait évoqué le confinement des EHPAD, des confinements régionaux ou des fermetures d'établissements –, la cinétique, aujourd'hui totalement hors de contrôle, aurait pu être maîtrisée.

Enfin, le dispositif « tester-tracer-isoler » se révèle aujourd'hui un échec total. Comment expliquer que le délai de production des résultats des tests a été supérieur à la durée de contagiosité des personnes testées, ce qui a grandement favorisé la propagation du virus dans la population ?

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Jérôme Salomon

Je réfute les termes d'échec total. Il y a eu des échecs, des erreurs et des délais inacceptables, et le ministre l'a reconnu. Il reste que 1,8 million de tests sont réalisés chaque semaine et que les résultats sont communiqués aux intéressés sous trente‑six heures. La CNAM passe 120 000 appels par jour, et les gens contactés jugent incroyable d'être appelés dès le lendemain de l'obtention des résultats de leur test. Comme d'habitude, on ne se plaint que des trains qui arrivent en retard sans voir ceux qui sont à l'heure – c'est normal et je sais qu'il y a eu des anomalies. Les laboratoires se sont mobilisés, la priorisation a été instaurée, la possibilité de faire les prélèvements étendue à plusieurs acteurs, et la prise en charge à 100 % décidée. Les appels passés sont l'occasion de constater que, heureusement, la plupart de nos citoyens sont responsables et adoptent un comportement civique : en cas de symptômes, ils s'isolent d'eux-mêmes. Pour les personnes testées positives asymptomatiques qui ne s'isolent pas, ils sont l'occasion de rappeler qu'il est de leur responsabilité de veiller à ne contaminer personne.

Je ne vais pas, bien évidemment, évoquer ce qui est dit en conseil de défense. Le Président de la République m'invite à y assister, mais, en tant que fonctionnaire dépourvu de responsabilités politiques, je me contente d'y présenter la situation et ses évolutions possibles. Nous avons la chance de disposer d'équipes de modélisation très étoffées. Vous entendrez le ministre et le Premier ministre très prochainement ; ils vous éclaireront sur le sujet. Je peux cependant vous indiquer que, entre le 21 juin et le 22 septembre, trente-huit réunions d'évaluation et d'expertise se sont tenues en présence des experts, des modélisateurs et des épidémiologistes. L'échange avec les experts est permanent, pour évaluer leurs propositions et prendre les décisions qui nous semblent s'imposer, sachant que nous ne pourrons savoir si elles sont bonnes ou mauvaises qu'au terme de leur mise en œuvre.

Il me semblait effectivement que le rapport du Pr Stahl visait la grippe et le milieu familial. Je pense que l'idée d'équiper tous les Français est une bonne chose. Ils ont été sensibilisés à l'intérêt du gel hydroalcoolique voici quelques années, ils sont en train d'apprendre le port du masque. Que tous les foyers soient désormais équipés est très positif, et pas uniquement pour le coronavirus. Toute l'hygiène générale de la population en profite.

On est loin du taux de 30 % de la population atteinte. On estime qu'un million de Français, peut-être, sont porteurs du virus. Malheureusement, les études de prévalence – qui renseignent sur le taux de citoyens ayant été affectés – avancent un chiffre compris entre 8 % et 15 %, avec des pics dans le Grand Est et en Île-de-France où la circulation a été importante. On est donc encore très loin de l'immunité collective.

Je retiens du retour d'expérience qu'il importe de s'attacher des producteurs français d'équipements de protection, mais qu'il faut pour cela leur passer des commandes. Ils ne peuvent se satisfaire d'une commande tous les dix ans, ils ont besoin d'achats réguliers pour tourner – on en revient aux stocks tournants. Il faut installer un flux. On ne l'a pas dit suffisamment, la France a été parmi les pays pionniers à lancer la fabrication du masque grand public. Même des artisans se sont mobilisés.

Au titre des enseignements à tirer pour l'avenir, le sourcing et l'approvisionnement constituent de vrais enjeux. Peut-être cela passera-t-il par la priorité donnée à des fournisseurs français ou européens, en tout cas, nous devons être sûrs de ceux-ci. Nous ne pouvons pas accepter qu'ils nous lâchent pour cause de réquisition nationale. C'est pourquoi le Président de la République a demandé que les équipements importants, vitaux et cruciaux soient « sourcés » sur le territoire européen.

Enfin, la logistique de crise constitue un autre enjeu. Nous serons confrontés à d'autres crises, pas forcément virales. Face à une catastrophe majeure, notre capacité à répondre rapidement et à mobiliser la logistique d'État sera déterminante. Comment articuler la sécurité civile, les pompiers, la défense et la santé dans le déploiement de moyens lourds ? C'est une question cruciale.

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Je souhaite remercier les structures de l'ARS et de la sécurité sociale qui ont participé au tracing, innovation qui a plutôt bien fonctionné compte tenu des circonstances.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 14 h 30

Présents. - M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Jean-Pierre Door, M. Jean-Jacques Gaultier, M. David Habib, M. Bertrand Pancher, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Pierre Pont, M. Boris Vallaud

Excusé. - M. Olivier Becht

Assistaient également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin, Mme Martine Wonner