Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information

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Monsieur le ministre, Je vous remercie de votre présence. Nous vous entendons au titre de vos anciennes fonctions de ministre de l'intérieur afin d'aborder avec vous l'action de votre ministère dans la gestion de la crise sanitaire, en particulier les questions relatives à son pilotage – que ce soit au niveau national ou au niveau territorial via l'action des préfets. Ceux-ci ont eu à jouer un rôle primordial dans la déclinaison sur les territoires des mesures prises par le Gouvernement pour protéger la santé des Français, avec l'ensemble des acteurs locaux, notamment les élus.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Christophe Castaner prête serment.)

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Comme ministre, j'ai toujours considéré comme une évidence, au-delà même du caractère juridique de cette obligation, de devoir rendre compte de mon action aux parlementaires. Vous imaginez bien combien, en tant que président de groupe, je mesure l'importance de cette démarche. Je vous remercie donc pour votre formule amicale, mais il est nécessaire et normal pour moi de me trouver devant vous, comme je me trouvais d'ailleurs le 21 septembre devant la commission d'enquête du Sénat pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.

Je suis auditionné en tant qu'ancien ministre et je répondrai avec les moyens qui sont à présent les miens, qui ne sont pas ceux du ministre de l'intérieur. En cas de nécessité, des éléments de réponse plus précis pourront être obtenus auprès du ministère.

Il s'agit de porter un regard sur l'impact de la gestion de crise, tout en ayant en tête que nous nous trouvons dans une nouvelle phase de gestion de la pandémie, marquée par l'instauration d'un couvre-feu à partir de 21 heures dans certains lieux. Cela démontre combien il demeure difficile de juguler ce virus. Le Gouvernement aura de nouveau l'occasion de se prononcer à ce sujet aujourd'hui.

Comme pour toute décision publique, il est toujours facile de juger a posteriori les décisions prises durant la crise à l'aune des informations et des moyens dont disposaient les décideurs à ce moment-là. Le Premier ministre Édouard Philippe l'a évoqué longuement lors de son audition du 21 octobre. Je crois que, depuis le début de la pandémie le Gouvernement a agi au mieux, guidé par l'avis des médecins et des experts, dans l'unique but de préserver la santé des Français et notre système de soins.

Je voudrais témoigner, comme ministre de l'intérieur aux côtés du Premier ministre, qu'à aucun moment son bras n'a tremblé lorsqu'il fallait prendre des décisions. Il est cependant toujours difficile de prendre des décisions sur la base de données scientifiques car elles sont susceptibles d'évoluer, et bien plus rapidement que la réalité des informations sur la base desquelles le processus décisionnel a été construit.

Je reviens tout d'abord sur l'action du ministère de l'intérieur et le fonctionnement de la cellule interministérielle de crise (CIC).

Le fonctionnement de la CIC au sein du ministère de l'intérieur a toujours été déterminé par la nécessité de répondre à l'état d'urgence sanitaire, donc de mettre en œuvre un certain nombre de décisions prises par d'autres. Au sein de la CIC, l'on coordonne plusieurs réponses, en suivant les orientations fixées par le Président de la République – en particulier lors des Conseils de défense et de sécurité nationale (CDSN). Ces orientations, et je peux en témoigner pour avoir assisté à tous les CDSN et à toutes les réunions conduites sous l'autorité du Premier ministre, étaient toujours éclairées par les recommandations du Conseil scientifique placé auprès du chef de l'État.

La CIC est placée sous l'autorité unique du Premier ministre, conformément aux textes, même si c'est le ministre de l'intérieur qui en assure majoritairement la mise en œuvre. Elle est l'un des trois piliers d'action soutenant la réponse globale portée par le Gouvernement. Le premier pilier est constitué par le centre de crise sanitaire du ministère des solidarités et de la santé, chargé du pilotage de notre réponse sanitaire à la crise. Le deuxième, qui a mené un travail extraordinaire – dont je peux seulement témoigner, n'en étant pas acteur – est le centre de crise du ministère des affaires étrangères, chargé notamment du lien avec les Français de l'étranger, qui a été extrêmement difficile et délicat à organiser durant la crise.

Au sein du ministère de l'intérieur, la CIC constitue donc le troisième pilier. Cette cellule fonctionne et n'existe qu'au service des décisions prises par le Premier ministre. Elle rassemble en son sein, dans ses différentes réunions quotidiennes, tous les ministères concernés par la crise. C'est pourquoi elle a été présidée à certains moments par moi-même, ou par Laurent Nuñez, à d'autres par mon directeur de cabinet ou encore quelquefois par le directeur de cabinet du Premier ministre, en fonction du niveau de décision requis – mais cela toujours sous l'autorité du Premier ministre.

Je ne dis pas cela pour souligner que cette cellule ne dépendait pas du ministère de l'intérieur. J'assume et me sens solidaire de toutes les décisions prises par le Premier ministre, que j'étais chargé de mettre en œuvre.

Pour le volet non-sanitaire de la crise, c'est donc au sein de la CIC, dans ses différentes formations, que les décisions étaient préparées et les arbitrages pris. En fonction des besoins, cette tâche incombait à des personnalités du ministère de l'intérieur, à commencer par moi-même, ou au directeur de cabinet du Premier ministre.

La CIC assure la transmission de ces décisions aux administrations concernées, notamment aux préfets, chargés de coordonner les actions dans chaque département. Ces derniers agissent sous la double tutelle, celle habituelle du ministère de l'intérieur et, pour certains actes, particulièrement ceux relevant de l'application de la loi sur l'état d'urgence sanitaire – prise d'arrêtés, par exemple – celle du ministère des solidarités et de la santé.

En amont de l'activation de la CIC, j'avais installé dès début mars une cellule nationale de suivi, qui est ensuite montée en puissance et qui œuvrait quotidiennement au suivi de la crise aux côtés des préfets, en lien avec le ministère de la santé.

La CIC a mobilisé des moyens importants pendant la crise, 24 heures sur 24. Elle rassemblait en effet 72 agents issus de 10 ministères. Elle est organisée en plusieurs cellules classiques de gestion de crise : une cellule « situation », une cellule « anticipation », une cellule « logistique », une cellule « communication » et une cellule « décision ». Nous avons ajouté rapidement, dès la première semaine du confinement, une cellule consacrée aux thématiques interministérielles, chargée de trancher quotidiennement les questions complexes concernant plusieurs ministères.

Au total, quatre réunions étaient organisées par jour pour définir et trancher les enjeux, régler les crises en cours et porter un soutien aux préfectures, relais de l'État sur le terrain.

La CIC a déployé des moyens et des outils pour mieux aborder la crise sanitaire. À titre d'exemple, une plate-forme a été ouverte pour les acteurs étatiques. Un outil a également été créé pour informer le Parlement des décisions prises par les préfets, auquel les présidents des deux chambres pouvaient accéder directement.

Pour ma part, au sein de la CIC j'ai assuré avec Laurent Nuñez une réunion quasi-quotidienne avec les préfets, week-ends compris, depuis l'installation de la cellule le 17 mars. L'idée était de leur communiquer les décisions prises et de préparer les décisions à prendre, ainsi que de faire de la pédagogie et de veiller à recueillir leurs observations. En effet, leur proximité avec les élus de terrain constituait un éclairage important. Les problèmes ont ainsi pu remonter au fur et à mesure, et nous avons pu nous adapter.

Notre objectif, mon objectif, a toujours été de faire en sorte que les mesures prises soient applicables, appliquées, et si nécessaire corrigées pour tenir compte des circonstances, au plus près de nos concitoyens.

Par ailleurs, j'ai veillé avec la plus grande attention à ce que le contrôle parlementaire de l'état d'urgence sanitaire puisse s'opérer dans de bonnes conditions. Les services des présidents de l'Assemblée et du Sénat ont eu l'occasion de saluer la disponibilité du ministère de l'intérieur pour éclairer nos décisions auprès de ces deux instances.

J'en viens à la phase de déconfinement.

Le déconfinement obéissait à une stratégie claire : la réouverture progressive, prudente et vigilante du pays. J'ai en tête le point presse que j'avais effectué le 5 mai, durant lequel j'ai rappelé ces mots. Rétrospectivement, nous pouvons nous interroger pour savoir si nous avons pu gérer cette phase progressivement, prudemment et avec la vigilance nécessaire. Dans nos comportements, je n'en suis pas convaincu. Je m'exprime ici en tant que Français et citoyen.

Il ne s'agissait donc pas de tout rouvrir d'un coup, mais d'avancer en tenant compte de la situation sanitaire. Nous avons adopté une stratégie territorialisée, qui a fait ses preuves, en ajustant les mesures prises et la vitesse du déconfinement en fonction des indicateurs dont nous disposions.

La CIC, devenue « centre interministériel de crise » le 19 mai, a déménagé dans ses nouveaux locaux mais se trouve toujours au sein du ministère de l'intérieur, et conserve sa vocation d'instance de décision rassemblant des représentants de tous les ministères, au meilleur niveau. Son évolution avait pu susciter des inquiétudes, la crainte étant de voir les ministères se désengager. Ce n'est pas le cas.

J'ai continué à mener des échanges extrêmement réguliers avec les préfets de région et les préfets de département afin d'assurer un pilotage au plus près du terrain.

Je voudrais maintenant évoquer l'action des forces de l'ordre.

De nombreuses polémiques ont pu voir le jour concernant leur protection. Comme je l'ai dit devant l'Assemblée nationale pendant la gestion de crise, et comme je n'ai cessé de le répondre lorsque l'on m'interpellait sur ce point, nous avons agi dans le respect de la doctrine gouvernementale d'utilisation des masques. Cette doctrine a évolué en fonction de la circulation du virus. Nous avons agi compte tenu du stade opérationnel du ministère.

Dès le début, j'ai veillé à ce que des kits de protection soient disponibles dans tous les véhicules de patrouille et d'intervention, ainsi qu'auprès des agents chargés de recevoir du public, dans les commissariats, les brigades, et les guichets des préfectures.

La doctrine prévoyait en effet qu'un masque devait être porté en cas de contact avec une personne présentant les symptômes du covid-19, ou dans les cas de figure comportant un risque important de cette nature.

Cette doctrine a été présentée lors d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) exceptionnel, le 9 mars, par le secrétaire général du ministère. Elle a été précisée dans une instruction le 13 mars par le directeur général de la police nationale (DGPN), ainsi que par des consignes communiquées par le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), les 16 et 27 mars.

Le 23 mars, pour répondre aux interrogations nées de la diffusion accrue du virus, j'ai souhaité qu'une réunion se tienne avec les organisations syndicales de la police nationale en liaison avec la gendarmerie nationale et avec le directeur général de la santé (DGS). Ce dernier a rappelé à cette occasion la doctrine nationale qui était la nôtre, et qui n'était pas spécifique à tel ou tel ministère, mais prenait en compte le caractère prioritaire du ministère de la santé, des hôpitaux et des patients des hôpitaux, puis la nécessaire protection de l'ensemble des fonctionnaires.

Immédiatement, au début du confinement, 860 000 masques issus du stock ministériel ont été distribués – notamment dans la période du 14 au 23 mars – auxquels se sont ajoutés 300 000 masques le 26 mars. Nous avons veillé à ce que chaque lieu susceptible d'accueillir une personne présentant des risques de covid-19 dispose des équipements. Les 3 et 4 avril, nous avons reçu 2,5 millions de masques de Chine, et le 9 avril nous en avons ventilé 1,4 million supplémentaires. Au 26 avril, environ 14 millions de masques avaient été distribués.

Je rappelle – car certains semblent l'avoir oublié – qu'à ce moment-là la pénurie de masques était mondiale. Il y a eu des désaccords au sein du ministère de l'intérieur. La plupart des syndicats de police avaient demandé la liberté de s'équiper ou non, mais ce n'était pas conforme à la doctrine nationale. Nous avons donc organisé plusieurs rencontres et eu des échanges avec le professeur Salomon pour faire la pédagogie de la doctrine nationale que nous avons mise en œuvre.

Il y a eu un sujet très sensible, sur lequel j'assume la décision politique qui a été la mienne. Nous détenions un stock de 1,460 million de masques de type FFP2. Pour l'essentiel, il s'agissait d'un stock de la gendarmerie nationale – 100 000 masques étaient pour la police, 200 000 pour les services du ministère de l'intérieur, notamment les préfectures. J'ai fait le choix d'appliquer la doctrine selon laquelle les masques FFP2 étaient réservés au personnel soignant et intervenant dans les hôpitaux. Alors que les hôpitaux étaient soumis à une forte tension, j'ai donné pour instruction que ces masques soient fournis aux Agences régionales de santé (ARS) et aux hôpitaux pour préserver la santé des soignants, et donc notre système de santé, ainsi que la santé des patients.

En parallèle, nous avons mené, sous l'autorité du secrétaire général du ministère, la politique d'acquisition la plus large possible de tous les matériels possibles. Nous avons multiplié les commandes de masques et de paires de lunettes de protection. Ainsi, quelques 61 000 paires de lunettes avaient été commandées dès le mois de mars, et 81 000 paires supplémentaires en avril. Nous avons également commandé des visières.

Le Premier ministre Édouard Philippe évoquait devant vous le 21 octobre les sollicitations et initiatives diverses et variées. Nous avons fait face en essayant d'utiliser tous les moyens possibles.

À la fin du mois de mai, 40 millions de masques ont été distribués dans la police, la gendarmerie et les services déconcentrés du ministère de l'intérieur.

En sus de la diffusion des recommandations et des gestes barrières, nous avons aussi réorganisé le travail dans la gendarmerie et dans la police. Ainsi, les policiers n'étaient plus présents qu'une semaine sur deux afin de réduire le risque de maladie. J'ai fait le choix aussi de réorganiser en profondeur nos capacités d'intervention et de défense, pour préserver la santé des personnels – en faisant en sorte qu'ils travaillent « à mi-temps ». La gendarmerie a modifié son régime horaire, en prévoyant une amplitude de suspension de travail inférieure à celle que nous avons connue dans la police – cela se jouait sur une heure par jour, avec une organisation différente. Nous avons fait ces choix pour limiter le risque de propagation du virus au sein de nos effectifs.

De la même façon, pour les services les plus sensibles, j'ai demandé qu'une organisation en deux équipes soit mise en œuvre à tous les niveaux. Je pense à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à la sous-direction anti-terroriste (SDAT), à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), à l'unité recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) ou encore aux brigades de recherche et d'intervention (BRI). Partout où il était inconcevable que l'on ne puisse pas répondre à une sollicitation, un système en binômes séparés a été installé. C'était le cas aussi au sein du ministère de l'intérieur entre Laurent Nuñez et moi. Nous ne siégions pas dans les mêmes salles pour les mêmes réunions – et pourtant nos bureaux étaient voisins – pour éviter que l'un ou l'autre puisse être affecté par le virus.

Concernant l'action des forces de l'ordre, nous avons réalisé des contrôles partout avec les moyens dont nous disposions. Dès le 17 mars, des contrôles sans contravention ont été menés sur tout le territoire national – y compris dans les quartiers les plus difficiles. Durant le confinement, plus de 21 millions de personnes ont été contrôlées, et 1,3 million de personnes verbalisées.

La question de la provenance de ces chiffres est parfois posée. Chaque unité fait remonter ses données chaque jour, puis, elles sont centralisées. Cela nous permet d'avoir des chiffres parfois bizarrement précis, par exemple après une manifestation. Nous pouvons dire que, sur 200 sites de manifestation, il y avait 14 253 personnes. Ce n'est certainement pas exact, mais c'est le cumul de ce qui remonte du terrain. Ce système est toujours le même, et permet, non d'avoir des certitudes – les données sont cependant souvent proches de la réalité –, mais de pouvoir évaluer les tendances et les évolutions, ce qui est souvent le plus important.

La mission des forces de l'ordre était d'autant plus exigeante que les luttes contre la délinquance, le trafic de drogue, les violences intrafamiliales sont demeurées notre priorité. L'attentat du 16 octobre l'a cruellement rappelé : la lutte contre le terrorisme ne peut pas connaître de relâchement. Je pense également au drame que nous avons connu le 4 avril à Romans-sur-Isère, qui a coûté la vie à deux personnes.

Je profite de cette audition pour dire à nouveau toute mon admiration et tout le respect que j'ai pour les forces de l'ordre dont les combats sont menés constamment, sans relâche.

Enfin, je voudrais évoquer l'organisation territoriale de gestion de la crise. Dès les premières heures de la crise sanitaire, j'ai souhaité que les collectivités, et les maires en particulier, soient associés à notre travail. C'est en effet ma culture, celle de quelqu'un qui a été maire pendant dix-sept ans, de plus j'étais intimement convaincu que c'était la condition de l'opérationnalité, de l'efficience, et donc du succès de notre intervention.

Par l'intermédiaire des réunions que je présidais quotidiennement avec les préfets, j'ai été en contact avec les parlementaires et avec les élus locaux. Je l'ai fait aussi en parallèle. J'ai pu mesurer leur inquiétude, leur attente, mais aussi leur volonté d'agir et leur mobilisation constante.

J'ai également veillé à ce que les parlementaires soient tenus informés régulièrement par les préfets. J'avais expressément demandé aux préfets que, chaque semaine, sous une forme qu'ils devaient définir avec les parlementaires de leur département d'exercice, des échanges soient effectués avec chacun d'entre vous. J'ai aussi pu mener, tout comme Laurent Nuñez, de nombreuses réunions de travail dématérialisées avec des parlementaires.

Les autorités investies de pouvoirs de police générale – je veux parler des maires – étaient à même, avec les instruments dont elles disposaient, de compléter le dispositif que nous avions déployé. Un certain nombre d'arrêtés ont été pris. Mes consignes ont toujours été les mêmes : agir dans le cadre de l'État de droit, le rappeler si nécessaire aux maires ou aux responsables de collectivité, mais toujours faire en sorte que l'on puisse faciliter l'initiative prise localement. Je pense par exemple, sous l'autorité d'Éric Ciotti, à la fermeture de la promenade des Anglais à Nice, ou encore à la fermeture des voies sur berge à Paris. Ce ne sont que quelques exemples, mais il faut avoir en tête que des décisions de ce type ont été accompagnées partout en France. Je pense aussi à la réouverture dérogatoire des marchés, pour laquelle j'avais demandé aux préfets que l'on prenne systématiquement en compte l'avis des maires avant d'en décider. Je pense également à d'autres sujets comme la gestion des cimetières. À chaque fois, la volonté était de coordonner ces décisions.

Il est arrivé que certains maires prennent l'initiative d'instaurer des couvre-feux, mais que tous les maires de leur territoire ne fassent pas de même. J'ai veillé à ce qu'il y ait une cohérence. Les préfets ont alors pris langue avec les maires et ont pu décider d'élargir le périmètre d'un couvre-feu car il n'était pas très logique que la frontière municipale, parfois située de l'autre côté d'une rue, change la donne en la matière. Nous étions mus par un souci d'écoute, et de coordination, et souhaitions accompagner les maires dans leurs démarches pour que, dans le respect du droit, ils puissent traiter de la manière la plus efficace possible les projets. Cette décision me semblait naturelle, mais a montré, je crois, son efficacité.

Il y a eu très peu de tensions avec les collectivités. Il y en a eu deux ou trois, dont on a évidemment beaucoup parlé. Toutefois, la réalité est que des milliers de décisions ont été prises main dans la main entre les services déconcentrés de l'État et les équipes municipales, les départements et les régions.

Il ne m'appartient pas de juger les décisions qui sont actuellement prises et qui marquent la vie des Français. Les décisions prises le sont toujours à l'aune des informations dont le Gouvernement dispose, en vue de protéger – et c'est toujours le seul objectif – la vie des Français.

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Comme vous l'avez souligné, il est important de rappeler à quel point les forces de l'ordre se sont impliquées et s'impliquent encore dans la crise, ainsi que leur difficile travail au quotidien.

Vous le disiez également, il est important de rappeler que les décisions sont prises au fur et à mesure de l'évolution du virus et de la connaissance que l'on en a. Une marche importante a été franchie en mars, lorsque l'on a appris que la contamination pouvait se faire par des personnes asymptomatiques, ce qui a mobilisé une réflexion autour d'un changement de stratégie. On ne peut faire son travail, avec une obligation de moyens, qu'en fonction de l'information dont on dispose. Le médecin que je suis ne peut qu'adhérer à cette idée.

Vous évoquiez la mise en place de la cellule de crise en mars. Pourriez-vous préciser comment se sont articulées les travaux en amont de son installation ? Comme le Premier ministre Édouard Philippe nous le rappelait le 21 octobre, la situation sanitaire en mars était à un niveau que l'on pourrait qualifier de minime. Il est important de rappeler l'ordre chronologique des choses.

Au-delà de cela, comment le travail sur le plan pandémie grippale a-t-il pu être réalisé ? Comment vous êtes-vous servi de ce plan ? Comment l'avez-vous adapté ?

Comme l'a rappelé Édouard Philippe, si l'on avait suivi ce plan jusqu'au bout nous n'aurions plus fait de test du tout à partir du stade 3. Il fallait donc faire évoluer ce plan qui n'était pas totalement adapté à ce virus. Comment avez-vous fait évoluer ce plan au fil des réunions, au tout début de la crise et au fur et à mesure de son déroulement ?

Je souhaite aussi vous interroger sur le lien entre les ARS et les préfets. Au cours de nos auditions, nous avons été informés de difficultés locales. Quel a été votre regard sur ce point ? Comment avez-vous géré cette question ? Avez-vous modifié certains éléments ou pensez-vous que certaines évolutions soient nécessaires ?

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Je vais écarter votre question concernant l'adaptation du plan pandémie grippale, car ce n'est pas le ministère de l'intérieur qui a eu à constater qu'il n'était plus forcément adapté. Je rebondis néanmoins sur ce sujet, car il montre toute la difficulté dans laquelle nous nous trouvons, y compris en matière de communication.

Vous avez rappelé les différents stades. Alors que nous gérions les clusters de façon hermétique dans les stades 1 et 2, dans le stade 3 de la pandémie grippale l'idée du plan était de laisser le virus circuler. Cela a pu conduire certains ou certaines à annoncer que les écoles resteraient ouvertes, car c'était la doctrine médicale que nous appliquions. Le politique – je pense à Sibeth Ndiaye en particulier – n'a fait que porter cette parole à ce moment-là.

Ensuite, nous nous sommes aperçus que cette doctrine n'était pas adaptée. Il a donc fallu la changer. Les certitudes de la veille ne sont pas celles du lendemain. S'agit-il d'une faute du politique ? Il appartiendra à chacun de se faire une opinion.

Ce que je sais, c'est qu'il faut prendre des décisions sur des bases qui évoluent. Il faut accepter que des certitudes scientifiques existent et travailler sur ces bases. L'on peut aussi considérer que l'on peut ne pas travailler avec ces données. Toutefois, cela ne signifie pas que le politique ne décide pas et que le politique doit suivre l'information scientifique. Celle-ci doit l'inspirer, mais il ne doit pas forcément la suivre. Il doit décider. Le Premier ministre Édouard Philippe a eu l'occasion le 21 octobre de conduire une réflexion sur le fonctionnement de nos institutions et de la décision politique.

J'ai rappelé les dates relatives au fonctionnement de la cellule de crise. La France est entrée dans le stade 3 de l'épidémie le 14 mars, puis la CIC a été activée parallèlement à l'entrée en vigueur du confinement le 17 mars.

Dans toutes les phases précédentes, le ministère de l'intérieur avait sa place dans le processus de décision. Au sein même de la cellule de crise du ministère de la santé, une task force a été constituée, comportant en son sein un préfet du ministère de l'intérieur. Je prendrai pour exemple la décision de rapatrier les Français de Wuhan. Si je ne me trompe pas, la réunion au cours de laquelle cette décision a été prise a eu lieu le 26 janvier. Une fois la décision politique du rapatriement prise, nous avons quitté la réunion. Le ministre de l'intérieur que j'étais n'avait strictement aucun avis sur la question de savoir s'il fallait rapatrier ou non ces personnes, car cette décision tenait à des raisons sanitaires. En revanche, à la fin de la réunion, j'ai annoncé que je trouverais des lieux susceptibles de les accueillir. Le lendemain, à midi, j'ai activé le réseau des préfets, puis je suis revenu en réunion avec le Premier ministre et la ministre de la santé sur plusieurs hypothèses de lieux. Le 29 janvier, nous avons accueilli les Français venant de Chine à Carry-le-Rouet pour la première quarantaine. Cela a pu se faire grâce à l'armée, au ministère de l'intérieur, ainsi qu'au préfet Pierre Dartout et à l'ensemble de ses services – mais évidemment sous le contrôle sanitaire du ministère des solidarités et de la santé.

Cela est vrai sur tous les sujets. Dès qu'a été détecté, le 8 février, le cluster de Haute-Savoie, la ministre de la santé s'est rendue sur place et les moyens du ministère de l'intérieur ont été mis à la disposition du ministère de la santé pour que les décisions prises avancent opérationnellement.

La question m'a souvent été posée, notamment au Sénat, de savoir s'il aurait été préférable d'activer la CIC plus tôt. Objectivement, je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est que le ministère de l'intérieur est un ministère extraordinaire par sa puissance, sa capacité d'intervention, sa réactivité. Nous l'avons vu à chaque phase de cette gestion de crise, et nous le voyons à chaque phase de chaque gestion de crise. Ce ministère a quelques défauts, mais il a cette capacité. C'est le ministère de la crise.

Toutefois, il ne faut pas lui demander d'avoir un avis médical. Il faut lui demander de mettre en œuvre des orientations politiques décidées sur la base d'un éclairage scientifique ou médical.

Je pourrai vous donner davantage de détails sur les éléments de calendrier. Des questions écrites m'ont été adressées par le Sénat. Je pourrai communiquer ces éléments à votre commission.

J'en viens à la question du lien entre les ARS et les préfets. Dans l'ensemble, le lien entre les préfets de région et les ARS a bien fonctionné. En revanche, j'ai pu constater que c'était aussi une question de femmes et d'hommes, il y a de l' intuitu personae. Le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), par exemple, est à Marseille, tout comme le directeur de l'ARS. Ils ont donc l'habitude se côtoyer, ils ont leurs administrations en proximité, ils se voient et se connaissent. Il en va autrement au niveau départemental. La structuration même des ARS, qui est très régionale, fait que, globalement – c'est le député des Alpes-de-Haute-Provence qui vous dit cela – la structure départementale de ces institutions est plus légère. J'entends par là qu'elle est numériquement plus faible, et je le dis sans jugement de valeur. C'est en effet une organisation nationale et régionale très puissante.

Sous l'autorité d'Édouard Philippe, nous avons souhaité une réorganisation territoriale de l'État pour revenir vers les départements.

Oui, il peut donc y avoir un décalage. Oui, le dialogue entre les préfets de département et les délégués territoriaux des ARS n'a pas toujours été excellent. De la même façon, il peut arriver que l'échange entre le ministre de l'intérieur et les préfets de région ne redescende pas parfaitement au niveau du préfet de département. Il m'est arrivé de me questionner sur l'efficacité du dispositif et d'interroger tel ou tel préfet, car j'avais l'impression que le message n'était pas bien passé. Notre système de vigilance doit permettre de compenser cette dimension.

Cependant, dans l'ensemble le lien a été fluide. Olivier Véran et moi avons organisé des réunions communes avec les préfets de région, les préfets de département et les ARS. Personne ne m'a fait remonter de difficulté en disant « nous sommes empêchés ». Il y a eu des problèmes, des tensions. Il y a eu des changements de directeurs d'ARS à un moment donné. Je n'imagine pas que ces décisions aient été prises par hasard.

Toutefois, dans l'ensemble, vu du ministère de l'intérieur je ne peux pas considérer qu'il y ait eu, de ce fait, un blocage institutionnel.

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Notre souci est de tirer les conséquences de la crise. Le but n'est pas de dresser des procès. Ce n'est pas à nous de le faire, c'est peut-être à d'autres – et encore, je suis assez étonné et choqué par ce qui est fait, mais c'est un autre débat. L'enjeu est de tirer les leçons de cette crise.

La question du pilotage de la crise est importante. Vous l'avez dit, le ministère de l'intérieur est le ministère de la crise. Il est outillé, armé, efficace pour cela. Or les élus de terrain que nous sommes – vous l'avez dit avec quelque précaution, et c'est normal – ont tous mesuré les difficultés qui ont pu apparaître dans le lien entre les préfets de département et les ARS. Vous avez raison d'évoquer cette difficulté. Je vous félicite d'avoir voulu redonner des pouvoirs aux préfets de département et placer sous leur autorité toutes ces administrations déconcentrées au niveau régional qui se sont autonomisées, ce qui affaiblit l'unité de l'État. Cependant, le chemin est encore très long. C'est un balbutiement qui a été opéré.

Pourriez-vous repréciser votre vision dans ce domaine, et quelles ont été les difficultés qui sont apparues ? Il faut selon moi un pilotage unique. Y êtes-vous favorable ?

En période de crise, il ne peut y avoir de dyarchie – que ce soit au sommet de l'État ou au niveau des territoires. L'activation de la cellule de crise le 17 mars est un sujet. Nous y reviendrons. Avez-vous ressenti sincèrement la difficulté de cette forme de double pilotage avec le ministère de la santé – alors qu'en période de crise une main unique doit prendre la direction des opérations ? Avez-vous ressenti également cette difficulté au niveau des territoires ?

J'en viens à la question des équipements de protection des forces de l'ordre. Vous avez donné les chiffres et les calendriers.

Le début de la crise a été source de grandes tensions parmi les forces de l'ordre qui ont très mal vécu le fait de ne pas disposer d'équipements de protection. Elles ont même menacé de ne plus faire les contrôles. Des collectivités locales ont été sollicitées par des syndicats de police pour leur fournir des masques. Ce fut le cas du conseil départemental dans lequel je siège et d'autres collectivités dans mon département. Ces collectivités ont eu le sentiment de pallier les défaillances de l'État qui n'assurait pas la protection de ces fonctionnaires.

Vous évoquiez un stock de 1,460 million de masques FFP2. Comment et à partir de quand ce stock a-t-il été constitué ? Pourquoi n'y avait-il pas de masques chirurgicaux, conformément à la recommandation du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dont le ministère de l'intérieur avait été saisi selon les informations et les courriers qui nous ont été communiqués par le SGDSN de l'époque ? Pourquoi le ministère de l'intérieur n'avait-il pas pris les dispositions pour protéger ses fonctionnaires en cas de pandémie ?

Il faut souligner en outre le caractère prioritaire de la protection de nos policiers. Dans cette crise, ils avaient un rôle décisif - presque aussi essentiel que celui des soignants - car faire respecter les règles instaurées pour éviter la propagation du virus.

Par conséquent, pourquoi ce stock comportait-il uniquement des FFP2 ? Pourquoi un stock de masques FFP2 avait-il été constitué à l'origine ? En 2011, il avait été décidé que les masques FFP2 seraient réservés aux soignants. Pour autant, des situations de crise auraient pu justifier le stockage de ces FFP2. Mon propos n'est donc pas une critique.

Pourquoi n'y avait-il pas de masques chirurgicaux au sein du ministère de l'intérieur ? À quelle date avez-vous pris conscience du manque de masques ?

Le Premier ministre, Mme Agnès Buzyn et ses conseillers nous ont dit que jamais la question des stocks stratégiques ne s'était posée, ni à Matignon, ni au ministère de la santé, ni à aucun niveau de l'échelon exécutif – le ministre, son directeur de cabinet, comme le conseiller chargé de la santé publique. Est-ce que vous, votre directeur de cabinet ou un membre de votre cabinet avez porté un regard sur ces stocks d'équipements de protection ? Un suivi quotidien de ces équipements est-il assuré au sein du ministère de l'intérieur ? Cette question vaut pour les masques, mais aussi pour d'autres équipements de protection potentiellement utiles en temps de crise.

Vous avez évoqué la question du respect du confinement. Des questions se sont posées sur le fait qu'il a été plus difficile de faire respecter le confinement dans certains territoires, où les contrôles ont peut-être été un peu plus fluides. Des interrogations ont également été soulevées sur des manifestations. Je pense notamment à la manifestation du collectif Traoré, qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes en plein confinement – ce qui présentait naturellement un risque sanitaire. Cela a laissé penser qu'on était fort avec les faibles et faible avec les forts. Ainsi, une personne âgée qui sortait faire ses courses pouvait être contrôlée, quand cette manifestation ne l'était pas. Cette manifestation n'avait pas été autorisée, pourquoi le ministère de l'intérieur l'a-t-il laissée prospérer ?

Je souhaite soulever une autre question, qui ne relève pas de votre champ de compétences mais dont je suis convaincu qu'elle a des conséquences très lourdes sur le climat de sécurité du pays. Nous recensons 13 000 à 14 000 détenus de moins dans les prisons. Ce choix a été posé à partir des directives de politique pénale engagées par la garde des sceaux Nicole Belloubet visant à faire diminuer massivement la population carcérale. Vous savez que cela a eu des conséquences mécaniques sur le climat de l'insécurité. Avez-vous été associé à cette décision ? S'est-elle inscrite dans un dialogue entre le ministère de l'intérieur et celui de la justice ? Partagez-vous l'analyse selon laquelle cette décision a eu, a et aura des conséquences durables sur le climat sécuritaire du pays ?

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Je commencerai par votre dernière question, qui est en dehors de mon champ de compétences. Le calendrier des sorties de prison fait l'objet d'un suivi régulier assuré par nos services et ceux du ministère de la justice pour les personnes suivies pour radicalisation. En dehors de ce cas de figure, lorsque les décisions de sortie portent sur des détenus de droit commun – comme c'était le cas en l'occurrence – le ministère de l'intérieur n'a pas à se prononcer ni à peser dans ces décisions. Nous n'avons donc pas été au cœur du dispositif qui y a conduit.

J'en viens ensuite à votre question relative au pilotage de la gestion de crise. Je ne crois pas au pilotage unique de tout, sur une crise de ce type, par le ministère de l'intérieur. Le pilotage unique a été assuré par le Président de la République et le Premier ministre, qui ont été l'un et l'autre particulièrement engagés. L'ensemble des réunions du CDSN est présidé par le Président de la République en lien avec le Premier ministre et préparé par eux deux. Ce pilotage unique a été opérationnel.

Dans la mise en œuvre de ce pilotage, faut-il un ministère qui ait une main unique sur tout, tout le temps ? Je ne le crois pas non plus.

Dès lors que nous sommes passés d'une crise sanitaire à une crise systémique, le ministère de l'intérieur est monté en puissance. Après l'activation du centre de crise, il a su prendre toute sa place.

Je ne veux surtout pas lui enlever de la puissance en vous disant cela, mais c'est aussi un principe de réalisme. Il y a plusieurs sujets sur lesquels les préfets, qui sont des gens de très grande qualité, ne sont pas forcément compétents.

Il a fallu décider en fonction de l'évolution de la crise. Son spectre s'étant élargi à des questions d'ordre public, le Premier ministre a décidé de faire évoluer le dispositif, en passant d'une gestion plus sanitaire à une gestion plus interministérielle. C'est à ce moment-là que la CIC a été activée, et placée au sein du ministère de l'intérieur sous l'autorité du Premier ministre.

Il y a eu des dysfonctionnements. Des interventions directes ont pu par exemple troubler des préfets. Les préfets n'aiment pas avoir trois ou quatre ministères qui, pensant bien faire, leur demandent de leur faire un point sur ceci ou cela. Il m'est arrivé de siffler la fin de la récréation en rappelant à mes collègues ministres que les instructions aux préfets se préparaient dans le cadre de la CIC et qu'il appartenait au ministre de l'intérieur de les traduire – non pour afficher ses prérogatives mais à des fins d'efficacité. J'ai ainsi passé aux préfets un très grand nombre d'instructions relevant d'autres ministères. En cela, le pilotage unique a plutôt fonctionné. Il faut s'adapter en fonction de l'évolution de la crise.

L'avons-nous fait au bon moment ? Objectivement, je n'en sais rien. La décision d'activer la CIC a été prise par le Premier ministre car nous arrivions dans le stade 3. Aurait-il fallu le faire plus tôt ? Peut-être. Avons-nous pris toutes les bonnes décisions, que ce soit dans cette cellule ou en amont ? Je ne le crois pas. Je n'aurai pas cette prétention. D'ailleurs, chacun le sait, personne ne l'a.

Durant le temps de la crise, le dialogue entre le ministre des solidarités et la santé et moi-même a été constant et de qualité. Nous avons à plusieurs reprises réuni les préfets, ainsi que les directeurs d'ARS. Le rôle défini au sein de la CIC a permis de travailler de façon efficace avec nos administrations respectives. Il y avait en outre un engagement du meilleur niveau du directeur de cabinet du Premier ministre, au nom du Premier ministre, dans les décisions que nous prenions. Je ne parle pas uniquement de ses qualités personnelles.

Au fond, il y a eu, avant comme après la constitution de la CIC, un pilotage à main unique, celle du sommet de l'État, sur les sujets dont nous parlons.

J'en viens à la question des masques.

Vos propos, monsieur Ciotti, sont ceux non de nos forces de sécurité intérieure mais des syndicats de police. La gendarmerie, par exemple, lorsqu'elle a assumé la restitution de plus de 1,2 million de masques de type FFP2, n'a pas souhaité polémiquer à ce sujet. Les syndicats de police, alors que la police détenait 100 000 de ces masques, l'ont souhaité.

Je les comprends, car il y avait une source d'inquiétude. Les Français étaient inquiets. Il est normal que les policiers, les gendarmes et notre administration le soient aussi et que les syndicats de police portent cette inquiétude.

Vous avez évoqué l'aide des collectivités locales. Je nous invite à ne pas tomber dans tous les pièges de la communication. Quand un président de région remettait 300 masques au commissariat du Puy-en-Velay, le ministère de l'intérieur en avait distribué 14 millions au total. Or les articles de presse ont été moins nombreux sur ces 14 millions que sur la distribution du Puy-en-Velay !

Les syndicats ont pu effectivement mobiliser les collectivités locales. Celles-ci travaillaient avec nos préfets, avec la volonté partagée de donner la priorité aux services sanitaires.

Vous soulevez une question de fond, sur le niveau de protection des policiers. Je suis d'accord avec vous. J'ai plaidé de façon très régulière afin que les policiers, les gendarmes et les préfets soient considérés comme étant en première ligne. Je pense que le ministère de l'intérieur a été le plus grand acquéreur de masques et d'autres matériels de protection, après le ministère de la santé, et a fait preuve en la matière d'un volontarisme que peu d'autres ministères ont pu connaître.

Le tableau de bord du suivi des stocks était placé sous la responsabilité du secrétaire général du ministère de l'intérieur de l'époque, Christophe Mirmand. Son engagement a été constant pour améliorer de façon systémique notre stock sur tous les moyens de protection.

Vous m'avez demandé pourquoi ce stock ne comportait que des FFP2. Ce n'était pas le cas. J'ai rappelé le volume du stock de masques FFP2, mais je vous ai aussi indiqué que, dès la première semaine, j'avais équipé les forces de police et de gendarmerie intérieure de 860 000 masques, complétés de 300 000 masques supplémentaires. La première vague était déjà dans notre stock.

Je ne suis pas capable de vous dire quel était le montant total du stock à ce moment-là mais je pense que le ministère de l'intérieur pourra le préciser.

Était-il suffisant ? Non, comme l'ensemble des stocks disponibles dans notre pays et dans le monde. On oublie un peu qu'il y a eu une pénurie mondiale de masques. Peut-être aurions-nous dû d'ailleurs rappeler cela dès le début dans notre communication, et non seulement évoquer la doctrine sanitaire telle qu'elle nous était présentée. Je sais que vous en avez parlé le 21 octobre avec Édouard Philippe, et je crains de n'avoir que des mots moins bons que les siens pour évoquer ce sujet.

Vous me demandez ensuite si un tableau de bord est suivi aujourd'hui. J'en suis convaincu. Cela doit se faire au niveau du secrétariat général du ministère, pour l'ensemble des moyens de protection. J'ai vanté les qualités du ministère de l'intérieur sur ce sujet-là également. Ce n'est pas un ministère où l'on trouverait par hasard 100 millions de masques. S'ils existent, le ministère le sait ! Cela fait partie de ses qualités.

Je voudrais vous dire, monsieur le rapporteur, toute la difficulté de la gestion politique de ce dossier. Selon où l'on se place, c'est toujours trop ou pas assez. Lorsque nous avons distribué 860 000 masques, les syndicats de police ont dit que c'était ridicule et insuffisant. Je crois, monsieur le rapporteur, que vous avez pu relayer d'ailleurs cette inquiétude, et c'est légitime. Toutefois, au même moment, le journal Libération écrivait un dans un article Castaner promet 900 000 masques aux policiers : « Christophe Castaner assure que les contrôles de police pour veiller au respect du confinement se poursuivront “tout le week-end, sur les chemins des vacances, dans les lieux de vacances et les lieux publics”. Pour s'assurer de ne pas être lâché par les forces de l'ordre, il leur promet 900 000 masques. En pleine pénurie de masques pour le personnel soignant, le Gouvernement fait donc le choix de maintenir les contrôles au prix de 900 000 masques qui auraient pu être plus utiles ailleurs. »

Vous le voyez, c'est toute la difficulté de la décision politique. Il faut faire des choix.

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On ne peut pas écouter que Valeurs actuelles ! Les choix ne se font pas en fonction de la lecture de la presse, mais en fonction des moyens opérationnels dont on dispose.

Ce qui compte, c'est la protection opérationnelle. J'ai installé la réserve opérationnelle, dont les syndicats ont peu parlé – j'ai peut-être plus de liberté à présent pour le rappeler –, en leur proposant de ne travailler qu'une semaine sur deux, ce qui n'a pas forcément été le cas dans toutes les administrations. Cette décision allait au-delà des dispositifs comme l'autorisation spéciale d'absence (ASA). Le droit commun durant cette période a consisté à placer les agents à mi-temps, pour faciliter également les gestions familiales dans ce contexte difficile. C'était aussi une façon de les protéger.

À la sortie du confinement, il y a eu trois décès au titre du covid-19 à déplorer dans nos forces au sein du ministère de l'intérieur – dont aucun ne concernait une personne en contact avec du public. À titre de comparaison, j'ai en tête les chiffres relatifs à la profession des transporteurs, particulièrement meurtriers pendant cette période. De même, toutes les mesures de protection n'ont peut-être pas été prises sur de nombreux emplois directement exposés.

Le respect des règles, notamment des gestes barrières, et des bons comportements dans la police et la gendarmerie a favorisé leur protection. Je ne peux que m'en féliciter.

Vous m'avez également interrogé sur les territoires où il était plus difficile de faire respecter le confinement. J'ai eu l'occasion de dire que ce n'était pas le cas. Je pense en réalité qu'il était plus difficile de respecter le confinement dans certains territoires.

On le respectait nettement plus facilement dans une charmante maison d'une charmante commune des Alpes-de-Haute-Provence – à Forcalquier, par exemple –, en famille, en disposant de facilités pour se protéger, pour faire ses courses, et en bénéficiant d'un grand jardin et du soleil du sud, que dans une tour ou un appartement collectif. De même, cela était plus difficile pour ceux qui n'avaient pas plusieurs abonnements Internet à Netflix, Disney Channel, Canal+ ou à d'autres supports.

Pourtant, le confinement a été respecté, y compris par la jeunesse de ces quartiers. Les forces de l'ordre ont été très présentes. J'avais donné les chiffres du niveau de contrôle en Seine-Saint-Denis – que je n'ai plus – pour montrer justement qu'il était élevé. Cela a été retourné contre moi. On a dit qu'il y avait eu un « surcontrôle » de certains quartiers. Ce n'était pas le cas. Toutefois, il était important que nous soyons présents.

J'en viens enfin à la manifestation Traoré. Je précise qu'elle n'a pas eu lieu pendant le confinement. De mémoire, elle a eu lieu le 2 juin, après le confinement. Nous n'étions donc pas soumis aux mêmes règles. Cette manifestation était peut-être le symbole du fait que la jeunesse, qui y était très présente – non seulement autour du collectif Traoré, mais dans la vague de l'émotion soulevée par la mort de George Floyd – était aussi soulagée de la fin du confinement. Il aurait été possible de dire à ces 30 000 personnes qu'elles devaient circuler, qu'elles n'avaient pas à être là, et de tenter de les interpeller. Cependant, lorsque vous gérez l'ordre public vous devez le faire avec proportionnalité. Nous avons veillé à ce qu'il n'y ait pas d'exaction au cours de cette manifestation. Certains ont tenté d'en commettre en pénétrant notamment dans la maison des avocats, à l'entrée du tribunal. Les forces de l'ordre, sous l'autorité du préfet de police Didier Lallement, sont intervenues immédiatement pour les en empêcher. De la même façon, il y a eu quelques exactions en direction du périphérique, et les forces, sous l'autorité du préfet et en lien avec moi, ont fait en sorte qu'il ne se produise rien de grave et que la circulation ne soit pas empêchée.

Cependant, le principe de réalité fait que, lorsque 30 000 personnes viennent manifester, l'on ne peut les empêcher de le faire, sauf à assumer le risque de tendre la relation. Or dans l'ordre public la proportionnalité est absolument essentielle. Il est facile de dire « interdisons », mais il faut ensuite assumer les tensions. Je pense que, sous l'autorité du préfet de police, cette manifestation a été encadrée, bien gérée, et n'a pas connu de débordements. On peut ne pas être d'accord. Toutefois, l'ordre public, ce n'est pas seulement du déclaratif, c'est aussi du terrain.

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Pour rebondir sur ce que vous disiez, n'exerçant pas mon métier dans la capitale politique d'Auvergne-Rhône-Alpes j'ai moi aussi eu quelques difficultés à obtenir des masques de la région, mais heureusement l'État m'en a livré plusieurs centaines.

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Monsieur le ministre, vous avez déclaré plus haut qu'il fallait gérer les clusters de façon hermétique. Je vous approuve entièrement. Le 9 mars, au « pic » de la première vague, le directeur général de l'ARS Grand Est – ARS « impréparée », « livrée à elle-même », selon ses propres termes, et en manque de masques, de tests, de respirateurs, de lits de réanimation et de personnel – a demandé au ministère de l'intérieur de procéder à un confinement du département du Haut-Rhin. Le ministère de l'intérieur a refusé. Pourquoi ?

Ma deuxième question a trait à une problématique liée à la fermeture des centres de rétention administrative (CRA) et à la fermeture des frontières du Maroc, de la Tunisie et de l'Algérie. De ce fait, l'expulsion des étrangers en situation irrégulière s'est avérée impossible. Beaucoup d'entre eux ont été libérés, même avant le délai de quatre-vingt-dix jours. Que sont devenus ces étrangers en situation irrégulière, que sont devenus ces clandestins ?

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Nous nous trouvons forcément dans une situation particulière, car il nous revient d'essayer de tirer les conclusions d'une crise qui n'est pas achevée. Vous me permettrez donc de vous poser une question regardant un peu l'horizon. Elle porte sur la manière dont nous abordons les crises et sur les conditions dans lesquelles nous mettons non seulement les responsables politiques, mais également l'ensemble de nos administrations face à ce type de crise.

L'ancien Premier ministre nous appelait le 21 octobre à porter une réflexion sur le risque pénal attaché à l'ensemble des décisions pendant les périodes de crise.

Les politiques que nous sommes sont habitués à prendre leurs responsabilités, et à assumer les risques qui leur sont inhérents. Toutefois, s'il s'agit de prendre des décisions au quotidien, tous les quarts d'heure, et si chacune et chacun, dans nos administrations, nos services publics, doit les prendre en conscience, quelle part d'hésitation, de blocage, de caractère figé ou craintif pourrait-elle nuire à la décision lorsque les représentants de l'État et des administrations se voient attacher un risque pénal dans chacune de leurs actions ?

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Monsieur Gaultier, si le directeur de l'ARS vous a indiqué qu'il avait demandé au ministère de l'intérieur de confiner le Haut-Rhin et que nous ne l'avions pas fait, il aurait pu avoir en tête que nous n'étions pas compétents pour prendre cette décision. À aucun moment il n'incombait au ministère de l'intérieur de décider de confiner un département. La loi que vous avez votée a donné des pouvoirs extrêmement clairs non au ministère de l'intérieur, mais au ministère de la santé et au Premier ministre. S'il a tenu ces propos-là, je lui rappelle donc que le ministère de l'intérieur s'efforce toujours de respecter le droit. Je ne sais pas s'il y a eu des échanges entre le directeur de l'ARS et sa tutelle sur d'autres mesures que celles qui ont été décidées pour le Grand Est. En revanche, je sais que le ministère de l'intérieur n'était pas compétent pour décider un confinement territorialisé.

Vous avez repris par ailleurs le mot « hermétique » que j'ai utilisé plus haut. Je l'ai évoqué pour les stades 1 et 2, comme une méthode. La gestion des clusters ne présentait pas un caractère totalement hermétique, ce qui est d'ailleurs une limite à notre système. D'autres pays ont choisi par exemple de contrôler les quarantaines de façon beaucoup plus hermétique que ce qui se faisait chez nous.

Vous m'avez interrogé sur les CRA. J'ai tenu à maintenir ouverts les centres de rétention administrative pendant toute la période du confinement. Le nombre d'entrées était réduit, la justice ne fonctionnant pas. De plus, nous savions pertinemment qu'il n'y aurait aucun départ possible à destination de certains pays, car les vols étaient interdits. Toutefois, même durant cette période, il nous est arrivé de reconduire des personnes dans leurs pays d'origine en utilisant les moyens de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), en affrétant des avions et en organisant des retours, par exemple, vers l'Albanie et la Géorgie.

Nous avons donc maintenu des CRA ouverts. Nous avons rassemblé des personnes dans certains CRA pour en fermer d'autres, qui regroupaient moins de retenus. En revanche, j'ai fait en sorte que tous les étrangers qui étaient des sortants de prison soient maintenus dans les CRA jusqu'au bout de la limite légale d'autorisation de ce maintien. Cela a fait l'objet de polémiques. Le Défenseur des droits a eu l'occasion de nous le reprocher. La déléguée aux prisons a effectué des visites de CRA et nous a reproché également de ne pas les fermer. Certains ont demandé la fermeture de l'intégralité des CRA. J'ai assumé la décision de ne pas le faire, en particulier pour qu'aucun sortant de prison en situation irrégulière placé en CRA n'en sorte en raison d'une décision de fermeture administrative. Cependant, en vertu du principe de réalité, je savais pertinemment que nous n'étions pas en mesure d'organiser l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) vers certains pays.

Monsieur Mignola, vous m'interrogez sur la question de fond du risque pénal attaché à nos décisions. Je vais vous livrer deux perceptions personnelles – non celles de l'ancien ministre de l'intérieur dans ses fonctions, mais celles de l'homme politique que je suis.

Le risque pénal peut générer de l'inhibition. Au niveau du Président de la République comme du Premier ministre je n'ai jamais vu ce risque d'inhibition empêcher une décision – même avec le risque que cette décision ne soit pas la bonne. C'est le propre de la nature des décisions politiques que nous devons prendre. Je ne l'ai jamais vu. Je n'ai jamais considéré pour ma part que ce risque devait peser dans ma capacité à décider. Sinon, l'on ne décide plus.

En revanche, je pense qu'il peut y avoir une forme d'hésitation, de blocage ou d'inhibition notamment dans nos administrations, qui sont très souvent poursuivies aussi, ce qu'il ne faut pas négliger. Je suis d'ailleurs descendu, et je l'assume, à un niveau d'instruction écrite que nous n'aurions pas forcément eu en d'autres temps, pour protéger l'administration et peut-être aussi parce que je sentais qu'elle en avait besoin pour bien exécuter les orientations du ministre.

C'est un questionnement que nous devons avoir. L'idée n'est pas de nous exonérer de responsabilités. Les Français nous en feraient le reproche, et ils auraient raison de le faire. Toutefois, la responsabilité doit se faire sur des fondements de droit qui accompagnent l'aide à la décision. Or nous voyons bien que nous sommes entrés dans une époque de judiciarisation. La question peut aussi se poser concernant la multiplication des commissions d'enquête, diverses et variées, sous la présente mandature. J'ai le souvenir d'avoir eu, en moyenne devant une ou deux missions ou commissions d'enquête par mois comme ministre de l'intérieur, sur de très nombreux sujets – tous importants. C'est une chose que nous ne connaissions pas dans les quinquennats précédents. J'ai en tête une commission d'enquête qui a connu un vrai grand succès médiatique – ce qui, peut-être, donne des envies ! L'exercice est difficile, et extrêmement mobilisateur. Comme ministre de l'intérieur j'ai eu parfois le sentiment de passer beaucoup de temps à le préparer – sans jamais le regretter. Cela doit également nous interroger.

Les réflexions que vous avez conduites le 21 octobre lors de l'audition du Premier ministre Édouard Philippe, le questionnement que vous soulevez ainsi que les propos tenus plus haut par le rapporteur montrent bien qu'il faut trouver un point d'équilibre sur ce sujet. L'enjeu est de ne jamais exempter les politiques de leur responsabilité, qui n'est pas seulement politique, mais aussi juridique, tout en gardant en tête qu'une dérive de judiciarisation tuerait, au fond, toute capacité à décider. Cela est d'autant plus vrai dans une gestion de crise comme celle-ci, dans laquelle les données servant à la prise de décision sont forcément instables.

Il m'est arrivé dans ma vie politique de rencontrer des femmes et des hommes qui suivaient des cohérences successives – mais toujours bien affirmées. Or dans cette expérience, il m'est arrivé de voir que nous prenions des décisions sur la base de données scientifiques qui étaient parfois contredites quelques jours plus tard. C'est le propre de la science. D'ailleurs, les scientifiques ont toujours la modestie de le rappeler, et de ne pas penser qu'ils se déjugent si des éléments nouveaux éclairent la décision. C'est peut-être une force que les politiques n'ont pas toujours. Ils pensent, une fois qu'ils ont pris une ligne, qu'ils doivent la tenir jusqu'au bout. Les scientifiques donnent au moins cet éclairage : l'humilité fait que, la connaissance évoluant, il faut adapter nos processus de décision.

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M. le ministre venant de faire un commentaire sur la difficulté d'être ministre, je voudrais souligner la difficulté d'être membre de la commission d'enquête.

J'ai appris tout à l'heure que le Premier ministre serait auditionné par notre commission le 3 novembre. Nous recevons les convocations une semaine à l'avance. Ce n'est pas normal. Nous ne sommes pas informés des auditions qui arrivent. Nous avons auditionné le syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM), mais nous n'avons pas auditionné le ministre de la santé ! De même, il avait été convenu que nous réauditionnerons quelqu'un qui joue un rôle central, bouclier ou fusible de l'actuelle majorité, Jérôme Salomon. Ce qui a été dit le 21 octobre sur la lettre du 26 septembre 2018, et qui a été redit par le rapporteur, montre qu'il joue un rôle clé s'agissant des conditions du confinement et de la protection des Français au travers des masques.

Nous n'avons pas la culture de l'investigation. Je profite de cette circonstance pour éclairer les choses en disant que ce n'est pas le Président qui est en cause. C'est notre système parlementaire qui n'est pas préparé à cela.

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Je ne le prends pas comme une accusation personnelle. Nous auditionnerons le ministre de la santé et Jérôme Salomon la semaine prochaine, ainsi que le Premier ministre Jean Castex. S'agissant du Premier ministre, vous comprendrez aisément que nous sommes en partie tributaires de son calendrier. Il en va de même pour le ministre de la santé, a fortiori dans cette période d'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

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Nous sentons bien quelle est la stratégie de la République en Marche. Elle consiste à dire : « on ne savait pas, il y avait un débat entre les médecins, comment voulez-vous que les politiques puissent prendre les bonnes décisions ? ». Je vais vous donner un exemple de ce qu'il se passe. Le 4 février, Jérôme Salomon annonce qu'il y a un problème avec les plus de 60 ans. Le plan bleu est enclenché le 12 mars. La distribution de masques dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) est organisée le 21 mars. Je veux bien entendre qu'il y avait un flou médical sur certaines questions, mais nous devons aussi investiguer un certain nombre d'erreurs, de retards et de manques d'anticipation.

Le ministère qui a le mieux fonctionné pendant cette période, notamment durant le confinement, c'est le ministère de l'intérieur. Le rôle des préfets doit être salué. Cela nous rappelle que notre organisation administrative fonctionne bien au niveau départemental en raison d'une unicité de décision. Ce qui s'est passé au niveau départemental montre qu'il ne peut y avoir une multiplication de décisionnaires dans d'autres secteurs.

Vous avez évoqué les Français de l'étranger. Le travail a été fait par la cellule du Quai d'Orsay. En revanche, il y a eu un vrai problème dans les consulats et dans les ambassades. Je voudrais par ailleurs vous interroger sur la question des frontières. Qui décidait de leur fermeture ? Dans les Pyrénées-Atlantiques, une date avait été donnée par les Espagnols, et une autre par le préfet du département. Cela a été vrai pour le confinement comme pour le déconfinement.

Enfin, le très fort taux de positivité dans les centres d'hébergement pose un problème à la fois au ministère de la santé et au ministère de l'intérieur.

J'ai eu connaissance, comme tout le monde, d'une interdiction faite au directeur de l'ARS du Grand Est de procéder à des commandes de masques. Il nous a indiqué qu'il avait commandé des masques avec l'autorisation de la préfète, qui l'a couvert. C'est une forme nouvelle d'organisation administrative que de procéder à des choix sous couvert d'une autorité hiérarchique qui elle-même dissimule sa décision ! Ce n'est pas du tout une critique de la préfète ni de la direction de l'ARS du Grand Est. Toutefois, je voudrais savoir qui a interdit de commander des masques.

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Monsieur le ministre, je voudrais une analyse de votre part, en votre âme et conscience, sur l'efficacité de deux mesures prises par le Gouvernement qui ont été parfois controversées.

Il s'agit tout d'abord du transport de certaines victimes du coronavirus depuis les parties les plus saturées de notre pays vers des hôpitaux moins saturés. Ce transport a été effectué par des moyens exceptionnels impliquant notamment la mobilisation de TGV. Cela a nécessité beaucoup de ruptures de charge, et des moyens considérables. Ces transports ont été extrêmement coûteux. Les pompiers, habitués à des transports difficiles et à la prise en charge de victimes, n'auraient-ils pas été en mesure de les assurer de façon tout aussi sérieuse et moins coûteuse ?

Dans quatorze départements, le numéro d'urgence 112 a été acheminé par les centres de réception et de régulation des appels (CRRA) 15. Cette décision est souvent controversée et l'a été particulièrement durant la crise. Selon vous, cette organisation a-t-elle été efficace dans la prise en charge des appels ? Que pensez-vous de l'analyse qu'en font les sapeurs-pompiers ?

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Je remercie David Habib pour son soutien chaleureux. Personne n'a de stratégie consistant à dire que l'on ne savait pas. Vous avez entendu le Premier ministre le 21 octobre, vous m'entendez ce jour. J'ai dit que nous avions fait des fautes. Je les assumerai parfaitement si elles sont déterminées.

En revanche, je sais que le commentaire a posteriori est toujours plus facile. Si j'avais les chiffres du loto à l'avance je vous promets que je gagnerais toutes les semaines. Mais comme je ne les ai pas, je suis obligé de ne pas jouer au loto, tout simplement ! C'est un peu la difficulté dans laquelle nous sommes. Cela n'empêche pas qu'il y a eu des dysfonctionnements, sur l'évolution de la gestion du stock de masques par exemple. Il y a eu des erreurs de communication aussi. J'ai pris ma part sur ce point.

Il y a eu aussi beaucoup de réussites, notamment grâce aux femmes et aux hommes des ministères. Si les politiques sont responsables, dans la mise en œuvre ce sont eux – que ce soit au ministère de la santé ou au ministère de l'intérieur – qui ont été totalement engagés.

Les préfets ont une capacité de réaction extraordinaire, alors même que leur direction compte parmi les directions du ministère de l'intérieur qui ont été les plus sacrifiées au cours des quinze dernières années, à coups de révision générale des politiques publiques (RGPP) et d'autres baisses d'effectifs que nous avons continuées sous cette mandature, dans la ligne de la précédente. Les préfectures, et les préfectures de département en particulier, font face à des tensions lourdes en matière de ressources humaines. Malgré cela, elles ont su réagir avec une efficacité remarquable. Ce n'était pas simple, pour les préfets, d'être tous les soirs en réunion de 19 heures à 21 heures avec le ministre de l'intérieur, ou de recevoir pendant leurs réunions des textos en direct du ministre de l'intérieur leur communiquant des informations sur tel ou tel dysfonctionnement. Face à la gestion de crise, la pression était très forte. Les préfets ont fait face, comme nos forces de sécurité intérieure, et comme les pompiers.

S'agissant de la fermeture des frontières, nous avons tenté, dans la mesure du possible, de faire en sorte que les décisions soient bilatérales. C'est arrivé souvent, mais pas toujours. Par exemple, le niveau de discussion était parfait entre le ministre de l'intérieur allemand et le ministre de l'intérieur français ; mais les Länder ont pris des initiatives, après lesquelles nous avons dû courir. Alors que les échanges avec mon homologue espagnol étaient excellents, l'Espagne a pris des décisions unilatérales, sans concertation. Nous avons dû faire face à cela, avec un principe de réciprocité, et mus toujours par la volonté de privilégier les moyens de déplacement de nos frontaliers. Ceci est vrai pour toutes les frontières extérieures françaises. Les frontaliers ne sont pas aussi nombreux sur la frontière espagnole qu'ils ne le sont sur les frontières avec le Luxembourg, la Suisse, ou l'Allemagne. Nous avons néanmoins systématiquement trouvé des moyens pour qu'ils puissent continuer à travailler. Dans l'urgence, nous n'avons pas toujours été parfaits. Les attestations n'étaient pas forcément les mêmes, les décisions étaient parfois décalées. Nous avons un peu « couru derrière ». Nous avons veillé systématiquement à mettre de l'ordre, mais n'y sommes pas forcément parvenus.

En revanche, pour la sortie du confinement, nous avons exercé une forte pression sur les autorités européennes pour que l'on cherche une convergence des calendriers. Nous avons globalement mieux réussi la sortie que les entrées, qui se sont faites un peu au coup par coup, et parfois de manière un peu subie malgré des relations bilatérales de qualité.

Les taux élevés de positivité dans les centres d'hébergement ont constitué une vraie difficulté. Nous avons fait en sorte, avec Julien Denormandie, qu'il y ait des centres d'hébergement dédiés aux personnes atteintes du virus, comportant des équipements et des moyens médicaux spécifiques. Cependant, nous savons que les conditions de vie et de promiscuité dans les centres d'hébergement sont propices au développement de l'épidémie.

Nous avons fait un choix d'accueil massif, d'ouverture de places et de réquisition d'hôtels afin que personne ne reste dans la rue pendant la période du confinement. De mémoire, le nombre de places a été augmenté de 15 000. Cela témoigne d'un fort volontarisme. Des solutions adaptées, ciblées, ont été trouvées en fonction des taux de positivité et du nombre de personnes malades.

Vous me posez la question de savoir qui a interdit à l'ARS Grand Est de commander des masques. Je n'en sais rien. Je ne sais pas si cette information est vraie. Ce que je sais, c'est que personne n'a interdit à la préfète de commander des masques. Le système est centralisé au ministère de l'intérieur. Comme je l'ai dit plus haut, le secrétariat général du ministère de l'intérieur a fait feu de tout bois pour renforcer les moyens dont nous pouvions disposer.

Je note que le directeur de l'ARS a un sens de la solidarité qui lui appartient. Moi, en revanche, j'ai le souvenir d'avoir été solidaire, et d'avoir assumé devant l'Assemblée nationale et devant le Sénat une décision dont j'ai reconnu qu'elle était, a minima, maladroite. Il s'agissait de la décision de réquisitionner des masques à l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Cela a déclenché une forte polémique. Les collectivités me l'ont beaucoup reproché. C'était une initiative de l'ARS, prise en lien avec la préfète et avec le préfet du département. J'ai toujours été parfaitement solidaire, car je savais qu'ils avaient fait cela avec la volonté de protéger les personnels de santé – même si j'ai eu l'occasion de dire que la méthode avait été, a minima, maladroite et que nous avions, de ce fait, laissé penser que le Gouvernement se comportait mal avec les collectivités locales qui achetaient des masques. Cela fait partie des quelques sujets de désaccord qui se sont présentés avec les collectivités locales.

Je ne reviendrai pas, sauf si vous me questionnez là-dessus, sur la genèse de cette réquisition de masques à l'aéroport de Bâle-Mulhouse, qui a été une exception. J'ai été solidaire de cette décision. Avoir le sens de l'État lorsque l'on est ministre, mais aussi ancien directeur d'ARS, c'est aussi assumer.

Madame Auconie, vous me demandez de m'exprimer « en mon âme et conscience ». Ce n'est pas tout à fait l'exercice dans lequel nous sommes, où j'ai dû prêter serment et où je suis interrogé comme ancien ministre de l'intérieur. Les transports médicaux en TGV ont permis de transporter plus de malades dans de meilleures conditions de sécurité. De plus, les pompiers ont très été mobilisés. Une baisse de 30 % des interventions a été constatée pendant le confinement, cependant les temps d'intervention ont été beaucoup plus longs – notamment pour protéger nos personnels et les sapeurs-pompiers. Dans certains cas, aurait-il été plus adapté de faire appel à eux ? Je n'en sais rien mais je sais qu'ils auraient été parfaitement capables de le faire.

Ces transports sanitaires ont permis de réduire la pression sur les hôpitaux du Grand Est comme en Corse ou à Mayotte – où des transports très réguliers ont été organisés vers La Réunion. Cela a donc été particulièrement efficace et utile, mais ne peut être mis en œuvre de la même façon aujourd'hui. Le Président de la République a eu l'occasion de l'évoquer.

Les pompiers auraient-ils pu être plus efficients dans certains cas ? Peut-être. Toutefois, dans l'ensemble, cela a été mis en œuvre et les oppositions entre blancs et rouges ont été rares.

J'en viens à votre question relative au numéro unique, souvent « controversé » selon le mot que vous avez employé. J'ai eu connaissance de quelques tensions, notamment pour l'armement des hélicoptères. C'est un sujet sur lequel il faudra que nous grandissions. Par « nous », je désigne l'État au sens large. La rivalité qui existe entre les blancs et les rouges est source d'inefficacité. Nous avons connu quelques tensions. Quand le 15 était saturé, le 112 a pu faire face. Cela s'est peut-être produit aussi en sens inverse.

La question du numéro unique reste pendante. Elle est extrêmement délicate. Lorsque j'ai pris mes fonctions, je pensais que c'était le dossier le plus simple à régler. J'ai quitté mes fonctions en pensant que c'était certainement le dossier le plus compliqué ! Une réunion était prévue avec Édouard Philippe pour arbitrer ce sujet, juste avant le déclenchement de la crise du covid-19. Je sais quelle était son intention et je regrette que cette réunion n'ait pas pu avoir lieu.

Tout ce qui permet de converger vers une plate-forme unique rassemblant les blancs, les rouges, et le Samu social – à l'image des expérimentations menées dans certains départements – pour agir et décider, est plus efficace que ce que nous connaissons aujourd'hui.

Cela permet également de protéger les pompiers. Lorsqu'il y a un lien avec une autorité médicale au moment de l'intervention, les pompiers peuvent avoir accès au dossier médical de l'appelant et disposer ainsi, par exemple, d'informations d'ordre psychiatrique. Tout ce qui contribue à maximiser les éléments d'information au moment de l'intervention – qu'il s'agisse d'informations médicales, techniques ou sécuritaires – aide à gagner en efficacité.

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Je voudrais revenir sur la période du confinement.

Vous avez dû faire face à une situation totalement inédite. Nous avons noté que la délinquance avait fortement diminué pendant cette période, d'au moins 70 %, ce qui n'est pas étonnant. En revanche, un risque de hausse des violences intrafamiliales était à anticiper. J'aimerais que vous soyez plus précis sur l'anticipation de cette montée de violence, que nous avions à l'époque du mal à mesurer, et sur les mesures que vous avez mises en œuvre.

Malheureusement, notre pays devra peut-être revenir à un confinement dans quelques semaines ou quelques mois. Avez-vous tiré les leçons de ce qui a été fait et quelles propositions pourrions-nous faire pour appréhender cette situation et le risque accru de violences intrafamiliales ?

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Pendant le confinement, les médias, notamment France 3 Normandie, se sont fait l'écho de pratiques s'apparentant à de la délation dans deux départements. Des personnels soignants en ont d'ailleurs été victimes. Est-ce une réalité que vous avez particulièrement observée et prise en compte ? Disposez-vous de données chiffrées sur l'augmentation du nombre d'appels pendant le confinement ?

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Nous avons effectivement connu une forte baisse de la délinquance, mais aussi une évolution de la délinquance qui a d'ailleurs posé des problèmes à la sortie du confinement. Des ruptures de stocks se sont produites sur certains produits stupéfiants et dans certaines filières. Des substitutions d'équipes et de produits ont donc été effectuées. Après le déconfinement, nous avons assisté au retour d'alimentations plus régulières, auquel les services, en particulier l'office anti-stupéfiant (OFAST), s'étaient préparés. Des interventions massives et très efficaces ont été effectuées sur les routes. Des guerres de reconquête de territoires ont également eu lieu.

Nous sommes restés constamment vigilants sur de nombreux sujets, à commencer par celui du terrorisme. Les services de la DGSI, du service central du renseignement territorial (SCRT) et de la préfecture de police ont été très mobilisés dans ce but.

Le risque accru de violences intrafamiliales pendant le confinement était perçu, mais non de façon statistique. Toutefois, personne ne doutait du fait qu'il existait des violences conjugales et des violences contre les enfants avant le confinement, et que le fait d'être enfermé dans un appartement ne pouvait qu'accélérer ou accroître ce risque.

J'ai voulu, et je l'assume pleinement, transformer en profondeur l'approche du ministère de l'intérieur sur ce sujet. Cela fait partie des politiques sur lesquelles j'ai pesé fortement, très tôt – à l'image de celle relative à la question du suicide.

J'ai voulu mettre la pression sur les services mais ils se la sont mise eux-mêmes. Comme nous savions qu'il y avait un empêchement de la plainte, du départ, comme du secours, nous avons voulu trouver une série de solutions. Par exemple, nous avons renforcé notre dispositif d'alerte par chat, que j'avais inauguré en novembre 2018 avec des policiers et des gendarmes, pour qu'il soit accessible 24 heures sur 24. Si une victime de violences intrafamiliales ne pouvait pas téléphoner, elle pouvait au moins chatter.

En cas d'impossibilité de recourir au chat, nous avons ouvert le numéro 114, le numéro d'urgence destiné aux personnes sourdes et malentendantes, aux victimes de violences intrafamiliales pour qu'elles puissent envoyer des alertes par texto. Comme je lui ai donné un petit coup de griffe en citant les 300 masques distribués au Puy-en-Velay, je vais rendre hommage au président de la région Auvergne-Rhône-Alpes : il s'agissait d'une suggestion de M. Laurent Wauquiez.

Marlène Schiappa a travaillé à la constitution de permanences dans les supermarchés. Et je me suis inspiré également d'un dispositif d'alerte dans les pharmacies, pratiqué en Espagne. J'en ai fait part immédiatement à la présidente de l'Ordre des pharmaciens, qui m'a donné son accord.

De plus, les policiers et les gendarmes se sont montrés proactifs. Ils ont immédiatement proposé de passer des appels d'initiative. Ils connaissaient des situations familiales compliquées, mais non assorties de plaintes ou de suites judiciaires. D'eux-mêmes, ils se proposaient d'appeler pour prendre des nouvelles. Ils ont la capacité d'identifier des moments de tension au cours d'un échange téléphonique, et pouvaient donc décider de se rendre au domicile pour voir si la situation présentait des risques pour la personne concernée. Des interpellations ont eu lieu dans ce cadre, ainsi que des mises sous main de justice de maris violents.

Le ministère avait la volonté de tout faire, dans la mesure de ses moyens, pour éviter que l'enfermement ne soit synonyme de violences cachées. Nous avons pu noter qu'il n'y avait pas eu une explosion des plaintes à la sortie du confinement. Nous aurions pu imaginer que, les violences augmentant, les victimes iraient porter plainte. Cela n'a pas été le cas. Pour autant, cela ne signifie pas que notre dispositif a été parfait mais il a été efficace. Le fait de beaucoup parler des violences pendant le confinement a pu aussi aider à inhiber la violence trop naturelle de certains.

Il s'agissait en tout cas d'un sujet d'échange permanent entre le ministre Adrien Taquet, la ministre Marlène Schiappa, la garde des sceaux Nicole Belloubet et moi-même. L'enjeu était de veiller à ce que tous les moyens soient déployés pour faire face à ce risque. J'ai dû oublier certains dispositifs d'alerte, mais l'idée était bien de les déployer le plus largement possible.

Madame Peyron, je ne dispose pas des chiffres que vous demandez avec moi et ne prendrai donc pas le risque de vous répondre. Il y a eu assez peu de délation et assez peu de menaces contre les personnels soignants. Toutefois, c'était déjà trop. S'il n'y en avait eu qu'une, cela aurait déjà été insupportable. Nous avons donné pour instruction d'assurer la protection des personnels soignants, d'accompagner la prise de plainte, et de déployer des dispositifs spécifiques. Par exemple, à Paris, sous l'autorité du préfet de police, des raccompagnements de personnels de santé ont pu être organisés pour renforcer leur sécurité.

Le ministère de l'intérieur devrait pouvoir vous donner des éléments statistiques sur ce point, même s'il ne figure pas précisément au rang des infractions recensées dans nos grilles statistiques. Des notes sont cependant régulièrement remontées sur ce sujet.

Par ailleurs, certains maires avaient appelé leurs concitoyens à dénoncer ceux qui ne respectaient pas le confinement. J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ce point en rappelant que la délation n'était pas la meilleure façon d'organiser son pouvoir municipal – il s'agissait là d'une opinion personnelle, que nous sommes, je pense, plusieurs à partager. Au-delà, j'ai dit très fermement qu'il fallait « arrêter les conneries », et que la police et la gendarmerie avaient autre chose à faire que de prendre des appels passés par des gens, sur commande du maire, pour dénoncer leurs voisins sous prétexte qu'ils ne se seraient pas munis de la bonne attestation pour sortir leur chien. Nous l'avons vécu, et j'ai sifflé la fin de la récréation.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 10 heures

Présents. - Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Jean-Jacques Gaultier, M. David Habib, M. Patrick Mignola, Mme Michèle Peyron

Assistait également à la réunion. - M. Nicolas Démoulin