Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du mardi 6 octobre 2020 à 18h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • masque
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La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information

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Les difficultés d'approvisionnement en équipements de protection individuelle pendant les premières semaines de la crise sanitaire, notamment en masques, ont conduit à mobiliser toutes les ressources disponibles au bénéfice des professions de santé les plus exposées qui devaient continuer à prendre en charge les malades. S'est ensuite posée la question des masques grand public, de leur achat et de leur distribution. Lorsque celle-ci a été autorisée, à partir du 4 mai, les distributeurs en ont mis à la disposition de leurs clients. Dès lors des questions se posent : des stocks avaient-ils été constitués et conservés par les grandes surfaces, alors que des besoins existaient ? Ces compétences en matière d'approvisionnement n'auraient-elles pas pu être mobilisées plus tôt au bénéfice de l'intérêt général ?

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jacques Creyssel et Mme Émilie Tafournel prêtent serment.)

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

Dès le début de la crise, la grande distribution a joué un rôle stratégique, assumant une tâche de service public : nourrir les Français. Globalement, cela s'est bien passé ; aucun de nos 30 000 magasins n'a fermé, même si nous avons eu de fortes inquiétudes en matière de timing global de nos opérations. Cela a été possible grâce, notamment, au contact permanent que nous avons maintenu avec les pouvoirs publics. J'ai participé à des réunions – jusqu'à quatre par jour – avec M. le ministre de l'économie et des finances. Nous suivions en permanence trois indicateurs simples : le taux d'absentéisme dans nos magasins, le taux de fonctionnement de nos entrepôts et le taux de service des produits.

Les masques sont un sujet permanent depuis le début du confinement. Avant le 15 mars, nous n'en vendions pas. On ne trouvait pas ce produit dans les magasins. Le 15 mars au matin, Bruno Le Maire a réuni les grands patrons de la distribution pour mettre en œuvre les décisions annoncées par le Premier ministre la veille au soir. Dans la journée, nous avons mis en place un comité qui, sous la direction d'Émilie Tafournel, a rédigé dans la journée un protocole sanitaire adressé dès le lendemain à tous nos magasins, car nous avions pour impératif absolu de rester ouverts. Le premier sujet de ce protocole sanitaire était les masques, puisqu'il nous avait été clairement indiqué que nous n'aurions pas le droit d'en acheter, dans la mesure où ils étaient réservés aux personnels soignants. Nous avons donc recommandé le port de masques en plexiglas et la pose de barrières en plexiglas dans les magasins.

Dès le 15 mars, nous considérions qu'il était indispensable d'acheter des masques pour nos salariés, afin de les rassurer. Le 21 mars, nous avons obtenu l'autorisation d'importer des masques, uniquement pour eux. À la fin du mois de mars, les taux d'absentéisme étaient tels que nous avons envisagé, à la demande de Bruno Le Maire, un scénario dégradé. Celui-ci prévoyait, à partir du début du mois d'avril, la réquisition de personnels d'autres secteurs, notamment le commerce non-alimentaire, et la réduction du nombre de produits proposés à nos clients. Heureusement, grâce aux masques et à l'extension du chômage partiel, une partie de nos salariés est revenue travailler, leurs enfants étant gardés par leurs conjoints. Grâce aux masques que nous avons obtenus, nous avons tenu bon.

La deuxième grande étape a commencé le 16 avril. Nous préparons le déconfinement. Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, Agnès Pannier-Runacher, nous a demandé d'organiser la massification de la fabrication de masques textiles réutilisables et l'achat de volumes importants, afin de les mettre à la disposition du public avant le 11 mai. Toutefois, nous sommes tous convenus que trouver des producteurs et faire fabriquer des masques prendrait du temps, et que la seule solution était d'acheter directement, sur les marchés internationaux, des masques chirurgicaux à usage unique, ce que nous avons eu l'autorisation de faire à partir du 24 avril. Le Gouvernement nous a d'ailleurs dit qu'il nous donnait cette autorisation mais que, juridiquement, il n'avait pas la possibilité de nous l'interdire, dès lors que les achats étaient effectués dans les conditions prévues par le système de déclaration préalable.

Le 29 avril, Agnès Pannier-Runnacher et moi-même avons publié un communiqué conjoint, au nom du ministère des finances et de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution, mentionnant des garanties claires sur le prix des masques chirurgicaux et des masques textiles, ainsi que l'engagement de notre part de les vendre à prix coûtant.

Le 1er mai a surgi une polémique totalement infondée, à laquelle nous avons répondu, née de la confusion entre les annonces en matière de masques et leur disponibilité réelle. Notre métier est d'acheter et de vendre. À partir du moment où on nous en a donné l'autorisation, compte tenu du fait que nous sommes présents sur les marchés étrangers, nous avons eu la capacité d'acheter des masques en quantités très importantes. Il n'y avait aucun stock caché, ni rien de tout ce qu'on nous a reproché de façon excessive. Après quelques jours de mise en œuvre progressive, les Français ont eu accès aux masques sans difficulté, et le déconfinement s'est déroulé de la meilleure façon possible. Le problème s'est même inversé : nous avons à présent tant de masques que l'offre excède la demande, de sorte que les prix s'effondrent, et qu'ils sont vendus à des prix très inférieurs à leur prix d'achat.

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Quelle est l'évolution de la vente de masques chirurgicaux ou textiles ? Avez-vous des données chiffrées sur le niveau de versement des primes exceptionnelles aux salariés dans les diverses enseignes ? Après avoir obtenu l'autorisation d'acheter massivement des masques pour le grand public, avez-vous été contacté par des représentants d'autres branches professionnelles souhaitant bénéficier de vos capacités de sourcing ? Les avez-vous pour votre part contacté ?

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

S'agissant des masques, je ne dispose pas de chiffres de vente postérieurs au 20 septembre. Des organismes effectuent un suivi quotidien des ventes. Le groupe Nielsen a mis en évidence une baisse progressive du niveau des ventes. Le chiffre d'affaires est passé d'environ 30 millions d'euros par semaine au mois de mai, à 9 millions d'euros pour la semaine du 14 au 20 septembre. Un effet prix est assez probable car ceux-ci ont sensiblement baissé. Au 1er octobre, les masques étaient vendus dans nos magasins entre 5 et 25 euros la cinquantaine, étant entendu que ces données ne correspondent pas à la valeur réelle du produit, mais à la valeur de marché instantanée. Comme prévu, les prix d'achat ont beaucoup baissé ; nous revenons au niveau d'avant la crise, lorsque le masque ne valait pas cher. Les prix avaient fortement augmenté, car les masques faisaient l'objet d'une bagarre mondiale, et ils arrivaient non par bateau, mais par avion, ce qui entraînait des surcoûts gigantesques. Le chiffre d'affaires global de la vente des masques, depuis le 4 mai, s'élève à 350 millions d'euros. Je rappelle qu'il s'agit de ventes à prix coûtant, voire en dessous de celui-ci.

Il est difficile de dresser un bilan exhaustif de l'octroi des primes, dans la mesure où nous rassemblons des entreprises intégrées et des entreprises composées d'indépendants, dans lesquelles chaque propriétaire de magasin prend la décision finale. Les entreprises intégrées ont toutes décidé d'octroyer la prime de 1 000 euros à leurs salariés exposés, selon des modalités différentes d'une enseigne à l'autre. Du côté des indépendants, nous ne disposons d'aucun bilan exhaustif, mais les bilans partiels démontrent qu'une part importante des salariés en a bénéficié.

Nous estimons le coût de la prime pour le secteur à 500 millions d'euros, pour un peu plus de 500 000 bénéficiaires, certains ayant perçu un peu moins de 1 000 euros. Par ailleurs, nous avons subi des surcoûts de deux ordres. Ceux induits par les mesures de sécurité sont compris entre 300 et 400 millions d'euros. Ceux des emplois supplémentaires nécessaires au maintien en état des entrepôts et des magasins sont de l'ordre de 300 millions d'euros. Au total, le surcoût global pour notre secteur est de l'ordre de 1 milliard d'euros.

S'agissant des autres branches professionnelles, je n'ai pas le souvenir que nous ayons été contactés. Le ministère de l'économie et des finances a instauré un système d'échange d'informations pour savoir qui fabriquait quoi et qui avait accès à quoi. À la demande du cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, les directeurs d'achat des enseignes y participaient, afin d'aider ceux qui cherchaient à obtenir des masques. La collaboration a été fructueuse, et nous en gardons tous un souvenir fort. Nous avons travaillé quotidiennement avec les pouvoirs publics de façon remarquable. Dès qu'un problème se posait, ils essayaient de trouver une solution dans les heures qui suivaient, pour que les camions puissent rouler le week-end, par exemple. Pour la mise en vente des masques, nous avons travaillé avec le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur et le secrétaire général du ministère, car nous nous souvenions que des émeutes avaient eu lieu devant certains magasins à l'annonce du confinement. Conformément à notre engagement envers le Gouvernement, nous avons limité le nombre de masques que chacun pouvait acheter, et mis en place des systèmes de réservation préalable.

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émilie Tafournel, directrice qualité

Aucune demande de masques ne nous a été adressée de la part des autres branches professionnelles. De façon très marginale, quelques enseignes ont proposé de faire bénéficier certains hôpitaux de leurs stocks de masques FFP2 datant de la grippe H1N1, après autorisation compte tenu de leur date de péremption. Par ailleurs, l'une de nos enseignes adhérentes, Cdiscount, a proposé d'approvisionner en masques chirurgicaux tout professionnel qui le souhaitait ; la demande a été importante.

À l'approche du déconfinement, la fixation du nombre de masques autorisé à la vente par famille a occupé l'essentiel de nos discussions. Craignant qu'il n'y ait pas assez de masques pour tous les Français, le Gouvernement a considéré que nous ne pourrions pas les vendre par boîtes de cinquante, format auquel nous les recevions. Cela nous a posé un problème technique, car les masques chirurgicaux sont censés être en partie stériles, et notre métier n'est pas les déloter pour les reconditionner. Nous avons donc défini une procédure, que nous avons soumise à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), afin de faire réaliser ces opérations par les personnels des magasins, sous leur responsabilité. Cela n'était clairement pas en notre faveur : notre demande initiale n'était pas de vendre des masques à prix coûtant, d'autant que nous avons dû faire un travail supplémentaire de reconditionnement, avec les risques que comportait cette manipulation en période de contamination virale.

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Dans la mesure où il fallait parvenir à un circuit de distribution de masques le plus large possible, d'autres professionnels ont-ils pu bénéficier de votre sourcing pour en vendre. Dès lors qu'ils étaient vendus à prix coûtant, la question de la concurrence ne se posait pas.

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émilie Tafournel, directrice qualité

Nous n'avons pas eu de telles demandes. Toutefois, avant d'annoncer la vente des masques par la grande distribution, nous nous sommes assurés auprès d'Agnès Pannier-Runacher et de ses équipes que les autres secteurs, notamment le secteur pharmaceutique, étaient dans la boucle de discussion, et que le secteur hospitalier disposait de suffisamment de masques, car nous craignions d'être accusés de vendre des produits qui n'auraient pas été mis à disposition d'autres secteurs.

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J'aimerais obtenir une précision et une confirmation. Vendez-vous toujours les masques à prix coûtant ?

Par ailleurs, j'aimerais revenir sur la polémique apparue au mois d'avril. Nous avions alors auditionné le président de l'ordre des pharmaciens : les 21 000 pharmacies de France avaient interdiction de vendre des masques à la population et vous y avez été autorisé le 24 avril. Vous comprenez la position délicate dans laquelle se trouvaient les pharmaciens, qui ont dû essuyer de nombreuses critiques, voire des injures, sans avoir la possibilité, qui vous a été offerte dès le 24 avril, de vendre des masques.

Enfin, vous dites avoir eu l'autorisation d'acheter des masques pour vos salariés, le 21 mars. Les professionnels de santé en ont eu le 2 mars, et les pharmaciens le 15. Nous sommes conscients de la pénurie d'équipements de protection qui régnait alors. Connaissez-vous le nombre de personnels contaminés dans vos entreprises ?

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Vous avez répondu à ma question sur le timing des commandes de masques, qui a beaucoup fait débat. On a soupçonné qu'il existait des stocks, et qu'ils avaient été mis de côté en attendant que leur vente ne soit autorisée.

Les salariés de la grande distribution ont été exposés au virus plus que les autres, et subi des dégâts humains significatifs. De quels chiffres disposez-vous à ce sujet ?

J'aimerais également vous interroger sur le recours aux circuits locaux en matière d'agriculture. Pendant le confinement, la grande distribution s'était engagée à prospecter autour de ses magasins pour assurer la distribution de produits issus de l'agriculture de nos territoires. Nous aurions d'ailleurs aimé que ce réflexe précède le déclenchement de la crise. Quelle a été l'ampleur du recours aux circuits courts dans vos magasins ? Cela s'est-il avéré durable ?

Certains petits commerçants se sont plaints de la mise en vente, dans les grandes surfaces, de produits qui n'étaient pas de première nécessité alors qu'ils étaient eux-même contraints de fermer leurs enseignes. Quelle a été l'attitude de la grande distribution sur ce point ?

Enfin, s'agissant de la marge réalisée sur la vente des masques, nous ne méconnaissons pas la fluctuation des cours, mais nous avons le sentiment que dans le contexte de pénurie, des intermédiaires se servaient allègrement au passage, alors même que la demande était forte, y compris parmi les foyers les plus en difficulté.

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

Dès le départ, nos enseignes se sont engagées à vendre les masques à prix coûtant. Le Gouvernement avait demandé que leur prix soit inférieur à un euro l'unité, comme le précise notre communiqué conjoint avec le ministère. En pratique, le prix des masques, dans nos magasins, était compris entre 50 et 60 centimes l'unité. Il a beaucoup baissé, de sorte qu'une bonne partie des masques est vendue à perte. Le prix instantané est tellement bas que des difficultés se posent, et que ceux ayant acheté des stocks au plus haut de la crise sont obligés de s'aligner. L'évolution des prix est suivie, de façon hebdomadaire, par divers observateurs. Les prix varient de un à cinq, ce qui reste inférieur à ce qu'on trouve par ailleurs. Nos marges sont au mieux négatives. Il ne s'agit pas d'un produit avec lequel les distributeurs ont gagné de l'argent, bien au contraire.

Concernant l'autorisation de la vente de masques par les pharmaciens, le ministère des finances, qui travaillait avec d'autres acteurs, nous a demandé de l'aider à éviter que le déconfinement ne tourne à la panique. Nous avons répondu présent, comme nous l'avons toujours fait. Pour le reste, hormis en mettant nos responsables à la disposition du ministère de l'économie et des finances, nous ne nous sommes pas occupés de ce qui se passait ailleurs, d'autant moins qu'aucune difficulté ne nous semblait se poser. D'ailleurs, le communiqué de presse conjoint publié le 29 avril indiquait : « Comme nous l'avons fait avec d'autres canaux de distribution, nous travaillons à satisfaire l'objectif que chaque Français puisse s'équiper, le 11 mai, en masques de protection ». Je n'en sais pas davantage. Dans le cadre d'une commission d'enquête sénatoriale, j'ai participé, il y a quelques jours, à une table ronde sur le sujet avec des représentants des pharmaciens. Nous avons demandé et obtenu des autorisations et avancé sans relation directe avec eux. C'est pourquoi nous avons été d'autant plus surpris des critiques qui nous ont été adressées, et qui nous semblaient infondées. Nous ne faisions que répondre à la demande des pouvoirs publics, et il nous semblait que nous faisions plus que notre métier en la matière.

Je n'ai pas de chiffres sur d'éventuelles contaminations du personnel. Ce que je peux dire, c'est que nous avons été totalement exemplaires en matière de déploiement de mesures visant à protéger nos salariés, lesquels ont été formidables pendant la crise. Les hommages rendus à nos hôtesses de caisse et à nos autres personnels, notamment par le Président de la République, sont plus que mérités. Un travail incroyable a permis de faire en sorte que chacun continue à acheter à manger, ce qui est essentiel.

Il est beaucoup question de protocoles ces temps-ci. Je rappelle les dates : 15 mars au matin, réunion avec le ministre ; 15 mars après-midi, rédaction du protocole ; 16 mars, envoi du protocole. Cela a été réalisé en une journée. Dans la foulée, les masques et les protections en plexiglas ont été commandés, et le protocole – comprenant notamment le lavage des mains, la mise à disposition de gel hydroalcoolique et le nettoyage des caddies – mis en place. Nous avons veillé à ce que ni nos salariés ni nos clients ne soient exposés au virus. Nous avions une double responsabilité tout à fait essentielle. Je me suis souvent exprimé sur les radios et les chaînes de télévision pour dire qu'on pouvait aller sans risque dans les magasins, parce que nous avions fait tout ce qu'il fallait.

Nous avons travaillé en liaison permanente avec les partenaires sociaux et chaque enseigne l'a fait de son côté. Nous avons organisé une réunion des partenaires sociaux avec Muriel Pénicaud, alors ministre du travail, qui était très impressionnée par le travail collectif que nous avions réalisé, me disant même qu'elle n'avait pas souvent vu des relations sociales d'une telle qualité au sein d'une branche.

Concernant les stocks qui auraient été mis de côté, j'ai répondu tout à l'heure. À titre d'illustration, il est arrivé que l'une de nos enseignes manque de masques, tandis qu'une autre en avait reçu beaucoup. Leclerc a ainsi reçu des masques de la part d'Intermarché, en attendant de recevoir les siens. Nous n'en avions pas assez, et les approvisionnements ont été progressifs. Il n'y avait aucun stock caché. La communication a porté sur les commandes et non sur les stocks.

S'agissant des circuits locaux, ils nous sont chers, contrairement à ce que l'on a pu entendre dire. Si vous vous rendez dans un hypermarché, vous constaterez que l'origine de la plupart des produits agricoles – fruits, légumes, viandes – n'est pas très éloignée. Nous passons chaque année des centaines d'accords avec des agriculteurs et des PME locaux. Le produit local, plus encore que le produit français, est de plus en plus demandé par nos clients. Nous l'avons proposé pendant cette période plus encore que d'habitude, comme nous nous y étions engagés, en accueillant dans nos magasins, sur nos parkings et dans nos galeries commerciales des producteurs locaux, ce que nous ne faisions pas auparavant, afin qu'ils vendent en direct leurs produits, puisqu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Cela a créé de nouveaux liens avec des producteurs qui, jusqu'alors, ne souhaitaient pas vendre leurs produits dans la grande distribution. Nous travaillons avec Julien Denormandie à des engagements pour aller plus loin dans ce domaine. Cette stratégie claire a été accompagnée de la volonté de mettre en avant les produits agricoles français, notamment la fraise, l'asperge et l'agneau pascal, non sans difficulté, car les prix sont bien plus élevés que ceux d'autres produits, et les quantités sont insuffisantes – nous importons 55 % des fraises que nous vendons. Nous avons d'ailleurs dû répondre, avec Bruno Le Maire, aux critiques des consommateurs sur la hausse des prix. Nous avons travaillé en liaison permanente avec Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA et avec les industriels, afin que tout se passe le mieux possible, et nous avons bien l'intention de continuer ainsi.

Sur la vente des produits non-alimentaires, nous avons échangé avec Bruno Le Maire dès le 15 mars. Ouvrir le magasin sans offrir à la vente un nombre important de produits aurait posé des problèmes de sécurité, de fonctionnement et de déambulation dans les magasins. Le Gouvernement a donc décidé que nous pourrions continuer à vendre tous les produits. À quelques exceptions près, les jeux de société par exemple, ces ventes se sont effondrées, parce qu'en période de fort absentéisme, il fallait donner la priorité à l'alimentaire, et parce que les Français n'avaient pas le goût d'acheter autre chose. Dès cette période, et cela s'est malheureusement poursuivi, les ventes de produits textiles se sont effondrées. Je comprends la réaction de certains commerçants spécialisés – nous en avons aussi au sein de la FCD –, mais la vente de ces produits obéissait à des raisons purement techniques. Au demeurant, continuer à les vendre à des conditions ne permettant pas de les amortir représentait pour nous un surcoût.

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émilie Tafournel, directrice qualité

Nous avons également fait face à la pénurie de bénévoles travaillant dans les associations d'aide alimentaire, qui sont souvent des personnes âgées, donc davantage exposées au covid-19, ainsi qu'à des difficultés de collecte en raison du surcroît de travail induit par la crise. Nos enseignes adhérentes se sont mobilisées, aux côtés des associations et d'un prestataire, pour mettre en place une plateforme spécifiquement dédiée à la collecte des dons, afin de répondre aux demandes, d'où qu'elles viennent, y compris en produits non-alimentaires. On nous a ainsi demandé de couvrir les besoins en produits d'hygiène de certains camps de migrants.

Cette plateforme est maintenue car, la crise étant appelée à durer, nous avons compris que, pour prendre en compte toutes les demandes, il nous faudrait travailler avec les acteurs locaux. Plutôt que de capitaliser sur une association et son enseigne, nous définissons, à l'échelle de la région ou du département, une couverture adaptée aux besoins. Il y a là un exemple de l'adaptation imposée par la crise, qui a tout de même eu des aspects positifs en matière de collaboration entre les acteurs. Un test est à l'étude dans la région Île-de-France, notamment au sein de l'enseigne Carrefour et de plusieurs associations, pour pérenniser cette plateforme.

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Monsieur Creyssel, vous ne vendiez pas de masques avant le 15 mars, faute de demande. Il a fallu attendre le 24 avril pour qu'on vous autorise à en acheter à l'étranger. Cette décision vous semble-t-elle justifiée ? Pourquoi ne pas avoir acheté des masques plus tôt ? Le cas échéant, savez-vous si tel était le cas dans les autres pays européens ?

Par ailleurs, tout en rendant hommage à la grande distribution et à l'engagement du personnel, dont chacun a constaté le comportement admirable pendant la crise, je rappelle que des pratiques différentes ont été constatées d'un magasin à l'autre, certains se faisant tirer l'oreille pour instaurer des contrôles de distanciation ou d'accès. Certaines grandes surfaces appliquaient strictement l'obligation de port du masque, d'autres pas du tout, arguant qu'elles n'avaient pas l'obligation de le faire, alors même qu'il s'agissait d'une injonction des pouvoirs publics.

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J'aimerais poser deux questions. La première porte sur la mise sur le marché des masques. La gestion et la réactivité de la grande distribution méritent d'être saluée. Toutefois, en matière de communication, peut-on considérer, avec le recul, s'agissant d'un moment de crise particulièrement difficile, que les enseignes auraient dû adopter une communication un peu plus modeste ? Ce qui a été dénoncé n'est pas le fait que la grande distribution vende des masques, mais l'impression qu'elle en avait acquis des millions très rapidement. À l'avenir – c'est un ancien communicant qui parle –, peut-être faudra-t-il, en période de fébrilité, agir de façon plus responsable en matière de communication, et ne pas annoncer que des millions de masques sont en vente alors que tel n'est pas le cas.

S'agissant des équipements de protection individuels des salariés, j'ai cru comprendre que vous disposiez au début de la crise d'un stock d'équipements, qui a été réquisitionné.

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émilie Tafournel, directrice qualité

Non.

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Dont acte. Nous avons reçu l'ancien secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, qui a détaillé la doctrine élaborée en 2013 en matière de responsabilité des entreprises. Il est de la responsabilité des employeurs de constituer un stock pour affronter une pandémie, pour que l'entreprise puisse continuer à fonctionner. Avez-vous eu connaissance de cette doctrine – non contraignante mais précise – invitant les entreprises à constituer un stock pour affronter une crise sanitaire ?

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Le contraste est saisissant entre votre faculté à acheter des masques et la difficulté qu'a eue l'État à s'en procurer auparavant. Comment l'expliquer ?

Par ailleurs, le covid-19 ne figure pas dans le tableau des maladies professionnelles. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait l'y inscrire ?

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

Aurions-nous pu être autorisés à acheter et à vendre des masques plus tôt ? Cela nous aurait-il permis de faire mieux que l'État ? Il m'est difficile de répondre. Tout ce que je puis dire, c'est que notre métier est d'acheter – nos équipes sont présentes sur les marchés pour ce faire – et de vendre. Le jour où on nous a confié cette mission, nous l'avons remplie immédiatement.

Sur le port du masque dans les magasins, j'ai eu le sentiment, lors de mes réunions hebdomadaires avec mes homologues européens, que le problème se posait partout. Toutefois, nous ne sommes pas suffisamment entrés dans le détail pour établir une comparaison précise. Il peut y avoir, parmi des dizaines de milliers de magasins, des pratiques différentes en fonction de situations locales différentes. Ce qui est certain, c'est que nous avons adopté dès le départ un protocole précis. Le port du masque à l'intérieur des magasins n'a été rendu obligatoire qu'ultérieurement, mais nous avons nous-mêmes décidé, avant même que le Gouvernement ne le demande, de le rendre obligatoire. Nous avons pris les devants car nous sentions que le Gouvernement allait prendre la décision, mais il n'y parvenait pas. Nous avons donc publié un communiqué pour annoncer l'obligation du port du masque dans tous les magasins de France. Naturellement, le Gouvernement a pris la décision dans la foulée, ce qui était une forme de validation de ce que nous avions nous-mêmes décidé. Compte tenu de l'évolution de la situation, cela nous paraissait indispensable.

S'agissant de notre communication, je ne pense pas qu'elle était inadaptée. Nous étions dans une situation très spécifique. Je suis intervenu quelques centaines de fois sur les radios et les télévisions ; la pression médiatique était très forte. À partir du moment où la communication gouvernementale a consisté à dire qu'il y aurait suffisamment de masques et qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, la seule question que l'on nous posait était « Combien en avez-vous commandé ? ». Par définition, nous passons des commandes très importantes. Je ne suis que le patron de la FCD ; il faudrait interroger tous les acteurs ayant pris des décisions individuelles dans ce domaine. J'ai le sentiment que chacun a acheté de façon à répondre à la demande du Gouvernement, afin de disposer d'un grand nombre de masques, d'abord à partir du 4 mai, puis à partir du 11 mai. Les chiffres ont semblé impressionnants, mais il faut les rapporter aux besoins. À raison de deux masques par jour et par Français, il faut compter 100 millions d'unités par jour. Les masses peuvent sembler gigantesques, mais elles doivent être relativisées. Dans le feu médiatique, les uns et les autres ont confondu ce qui était commandé et ce qui était arrivé.

Sur la doctrine en matière de responsabilité des entreprises, je ne peux répondre. Il faut interroger les enseignes. Quelques stocks de masques datant du virus H1N1 ont été fournis aux hôpitaux s'ils étaient en état et pas uniquement dans notre branche. Comme nous l'avons indiqué au Sénat, un seul cas de réquisition a été constaté dans nos enseignes. Nous sommes loin d'une réquisition globale.

Le 15 mars, notre préoccupation était d'obtenir le plus vite possible l'autorisation de fournir des masques à nos salariés. À partir du 21 mars, nous avons pu les commander. D'ailleurs, certains masques destinés aux salariés ont alimenté les stocks de masques vendus aux clients en attendant que les commandes arrivent. Par ailleurs, nous avons eu l'autorisation de vendre des masques aux PME, en B2B et non en B2C.

Concernant le tableau des maladies professionnelles, nous avons décidé d'appliquer le système spécifique pour les soignants. Je n'ai pas de commentaire à faire à ce sujet. Il s'agit d'une décision sage.

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J'aimerais savoir si vous aviez connaissance de la doctrine de 2013.

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

Non. Ces sujets – je parle sous le contrôle de la directrice qualité – n'avaient jamais été abordés auparavant.

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Comment les mesures de compensation financière et de soutien à l'activité mises en place par l'État ont-elles été reçues dans vos groupes ?

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Combien de temps a-t-il fallu pour mobiliser les premiers stocks destinés à la vente au grand public ? Quelle était l'origine des masques ? Outre l'Asie, parvenons-nous à nous fournir en France ?

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

L'autorisation d'acheter des masques nous a été accordée le 24 avril, afin d'en avoir le 4 mai, date de l'arrivée des premiers stocks. Les quelques stocks destinés aux salariés ont permis de faire la jonction, à deux ou trois jours près. Je rappelle qu'il fallait non seulement les acheter, mais aussi obtenir la délivrance des livraisons par les douanes. Globalement, tout est allé assez vite. Nous savons où acheter et nos systèmes permettent d'accéder rapidement aux masques. Nous l'avons toujours dit aux pouvoirs publics. La doctrine, dans ce domaine, était tout à fait claire.

Le plan de relance ne prévoit quasiment aucune mesure pour le commerce, ce qui est regrettable, car il est sorti très fragmenté de la crise. Le commerce alimentaire a continué à fonctionner moyennant des surcoûts importants. Une partie du commerce non alimentaire n'a pas fonctionné, mais a réussi à reprendre avec vigueur, sans compenser totalement son retard. Une autre partie se porte très mal. Quant au commerce alimentaire de gros, il souffre toujours, notamment en raison des fermetures récentes.

Au-delà des aides à court terme, le sujet de fond, en matière de relance, est celui de la digitalisation accrue du commerce. La crise a démontré que la seule solution pour survivre, qu'il s'agisse des magasins ou des restaurants, est d'être « omnicanal » – en ligne et physiquement. Il s'agit d'une priorité absolue pour les années à venir. On a tendance à considérer le commerce comme moins important que l'industrie. Il est le premier employeur privé de France – 3,6 millions d'emplois, dont 1,8 million dans le commerce de détail. Il est le premier recruteur de jeunes peu qualifiés, et le premier employeur dans la plupart des territoires. La sauvegarde du commerce est un enjeu majeur pour les années à venir.

Les masques chirurgicaux à usage unique venaient d'Asie. Nous avons fait travailler plusieurs producteurs à la fabrication de masques textiles, en France – le ministère avait organisé des ventes aux entreprises et en direct – et à l'étranger, afin d'ouvrir des flux nouveaux pour alimenter la France. Je n'ai pas le détail de ces flux, qui dépendent de chaque enseigne. Telle est la réponse que nous avons adressée aux pouvoirs publics sur ce point.

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émilie Tafournel, directrice qualité

L'autorisation d'acheter des masques pour nos salariés dépendait clairement de la réouverture des frontières chinoises. Nous ne pouvions pas nous permettre d'empiéter sur les commandes passées par l'État pour le personnel de santé. Par ailleurs, pour toutes nos importations, nous devions déclarer les quantités achetées, pour permettre à l'État de procéder à une réquisition si nécessaire. Tout cela a été accompli en toute transparence.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du mardi 6 octobre 2020 à 18 h 45

Présents. - M. Julien Borowczyk, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Bertrand Pancher, Mme Michèle Peyron, M. Boris Vallaud

Assistait également à la réunion. - M. Nicolas Démoulin