Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du mercredi 16 septembre 2020 à 16h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • SGDSN
  • doctrine
  • masque
  • pandémie
  • pandémie grippale
  • stocks

La réunion

Source

Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Présidence de M. Julien Borowczyk, vice-président de la mission d'information

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Madame Landais, il était important pour notre mission d'information de vous entendre au titre des fonctions de secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), que vous avez exercées entre l'année 2018 et votre nomination au poste de secrétaire général du Gouvernement, le 15 juillet dernier. Vous avez, en effet, eu à gérer pour le SGDSN, les premiers mois de la crise sanitaire.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « je le jure ».

(Mme Claire Landais prête serment.)

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale est un service du Premier ministre comportant des entités de statuts différents et regroupant 1 200 agents. Il exerce trois missions principales.

La plus ancienne est le secrétariat du conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN). Comme il est rappelé dans le code de la défense, il s'agit de l'instance de la direction politique et stratégique de réponse aux crises majeures. Elle reste donc fortement mobilisée dans la gestion de la crise sanitaire. À ce titre, le SGDSN a préparé, entre fin février et mi-juillet, date de mon départ, dix-neuf conseils de défense. Cela signifie concrètement de fixer l'ordre du jour avec les décideurs de Matignon et de l'Élysée, de recueillir les contributions des uns et des autres, de faire le compte rendu du conseil et, parfois, de contribuer à alimenter le fond du dossier – à cet égard, s'agissant de la crise sanitaire, le SGDSN n'était pas à la manœuvre. Cette première mission historique est prise en charge par une équipe resserrée d'officiers supérieurs autour du secrétaire général et de son adjoint.

Le SGDSN exerce aussi une mission de coordination interministérielle dans le champ de la sécurité nationale, dans des domaines allant du contrôle de l'exportation des matériels de guerre à la lutte contre la prolifération, en passant par la sécurité économique et la protection du secret de la défense nationale. Ces missions sont soit permanentes soit confiées par mandat du Président de la République ou du Premier ministre. Le SGDSN peut être mobilisé pour des travaux ponctuels de réflexion stratégique au regard de tel ou tel risque ou menace pesant sur nos intérêts fondamentaux.

Dans le domaine de la coordination interministérielle s'inscrit la mission de planification de sécurité nationale, à laquelle j'associe les deux missions connexes mais importantes que sont la formation des acteurs de la gestion de crise et le conseil pour l'organisation de la gestion des crises majeures. La traduction la plus connue de cette activité, ce sont les plans nationaux. Au nombre d'une quinzaine, ils sont préparés de façon interministérielle sous la coordination du SGDSN et portent sur deux domaines principaux : d'une part, les menaces émanant d'acteurs malveillants, avec la famille des plans « pirates » – Vigipirate, Pirate mer, Piratair et Piranet, en matière cyber – et, d'autre part, les risques liés à des événements non intentionnels : catastrophes naturelles, accidents industriels ou crises sanitaires. Cette activité occupe une trentaine de personnes au sein du SGDSN dans la direction de la protection et de la sécurité de l'État (PSE), que je me permets de saluer au passage pour leur mobilisation particulière.

Dans le contexte sanitaire, il y a ce que le SGDSN avait fait en amont de la crise, notamment le plan pandémie grippale, et ce qu'il a fait en matière de planification pendant la crise, moins au nom de compétences attribuées par les textes qu'en raison de son savoir-faire en la matière.

De manière générale, la fonction de coordination interministérielle dans le champ de la sécurité nationale est prise en compte par la direction de la PSE et par la direction des affaires internationales, stratégiques et technologiques. Ces deux directions historiques sont des administrations de mission, aux effectifs relativement limités – environ 110 personnes.

Enfin, trois entités qui sont des services à compétence nationale sont rattachées aux SGDSN.

Je me contenterai de citer le groupement interministériel de contrôle (GIC), car il agit dans le domaine des techniques de renseignement, qui n'est pas pertinent pour le sujet qui nous occupe. Il est d'ailleurs rattaché administrativement au SGDSN et non fonctionnellement.

Le deuxième opérateur important est l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), en charge de la sécurité des systèmes d'information critiques – ceux de l'État mais aussi ceux des opérateurs d'importance vitale (OIV) et des opérateurs de services essentiels (OSE), c'est-à-dire les opérateurs dont les systèmes d'information méritent d'être protégés du fait de leur impact systémique sur nos intérêts nationaux. Je souligne au passage que les OIV ont aussi des obligations en matière de sécurité physique – on retrouve là le rôle de la PSE en matière d'animation du réseau des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité.

Troisièmement, un tout nouvel opérateur dans la sphère du SGDSN, créé le 1er juillet à partir d'une sous-direction de l'ANSSI et du centre de transmissions gouvernemental (CTG), est chargé de la conception, du déploiement, de la maintenance des systèmes de communication gouvernementaux, ainsi que de la disponibilité, de la résilience et de la sécurité des systèmes de communication classifiés – donc protégés par le secret de la défense nationale. Cet opérateur a été mis largement à contribution avec l'usage des audioconférences et visioconférences, y compris pour les réunions du conseil des ministres et du conseil de défense.

Ces trois opérateurs, chargés de missions très opérationnelles, concentrent environ 1 000 personnes sur les 1 200 composant le SGDSN – les 200 autres participent à des missions stratégiques et de coordination. Cela illustre le fait que le SGDSN est chargé du lien entre les acteurs, de faire remonter les arbitrages au Président de la République ou au Premier ministre mais pas de faire à la place des acteurs de première ligne : en temps de crise, le SGDSN n'a pas de mission de conduite opérationnelle. Cela ne veut pas dire qu'en tant qu'institution, ce secrétariat ou ses agents, dont certains ont été mis à disposition d'autres entités, n'ont pas été impliqués dans plusieurs volets de la gestion de la crise.

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. À partir de quand, au SGDSN, avez-vous été informés de la situation et avez-vous pris conscience de l'ampleur de l'épidémie ? De quelles informations disposiez-vous ?

Certains ont demandé pourquoi le plan pandémie grippale n'avait pas été déclenché. Votre prédécesseur nous a dit qu'il s'agissait d'un plan à plusieurs items : certains ont-ils été mis en œuvre et, si oui, à quel moment ? Pouvez-vous dessiner une chronologie succincte des actions mises en œuvre dans les premières semaines et les premiers mois de la crise sanitaire ?

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. J'aurais pu ajouter qu'une des caractéristiques du SGDSN est d'être une interface entre le monde des services de renseignement et celui de l'administration classique disposant d'outils de réponse à certaines menaces. Par ailleurs, le SGDSN, du fait de son ADN, est orienté vers le monde de la défense et de la sécurité. Nombre d'agents qui le composent viennent du ministère des armées ou du ministère de l'intérieur. Cela ne veut pas dire que le SGDSN n'a pas pris conscience du fait que la sécurité nationale dépassait le champ de la défense ou de la sécurité intérieure, mais cet historique peut peser. Autant, s'agissant des menaces repérées par les services de renseignement, nous recevons parfois des alertes précoces et sommes à l'origine de la diffusion d'informations vers des administrations classiques, autant, dans le champ sanitaire, nous n'avons pas de détecteur avancé. Cela étant, comme la plupart des administrations, nous avons été alertés très tôt à travers les dispositifs mis en place par le ministère de la santé, c'est-à-dire en janvier, dès que les alertes, notamment celles de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), sont devenues plus sérieuses.

La première réunion interministérielle à laquelle j'ai participé à Matignon s'est tenue le 26 janvier et, le 29 janvier, nous avons tenu au SGDSN une réunion avec les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité adjoints pour commencer à réfléchir à la continuité des activités gouvernementales.

Concernant la lutte contre les pandémies grippales, Louis Gautier a sans doute décrit les articulations et les objectifs des plans. Ils ont presque tous la même structure : la première partie vise à identifier des scénarios et des réponses génériques, c'est-à-dire des éléments de stratégie, et la seconde, plus détaillée, se présente sous la forme d'une collection de fiches émanant des ministères, rassemblées et ordonnancées par le SGDSN. Leur objectif est moins de déterminer une séquence de décisions bien ordonnées dans le temps – ce serait un peu vain – que de montrer le champ des possibles et d'offrir un éventail de solutions qu'il revient aux différents acteurs d'ordonner dans le temps et de séquencer – ce qui a été, de fait, tout l'objet de la gestion de la crise.

De plus, le plan pandémie grippale n'était pas adapté au cas d'espèce, puisqu'il répondait à l'hypothèse d'une mutation du virus de la grippe, dans la perspective relativement rapprochée de thérapeutiques et d'une vaccination. Le ministère de la santé nous a donc très vite indiqué que ce plan devait être modifié. Le SGDSN s'y est employé, avec le ministère de la santé, au cours du mois de février. La version définitive a été diffusée le 26 et, aux alentours du 19 février, nous avions une sorte de guide d'aide à la décision stratégique. Ce n'était donc pas le plan pandémie grippale. Son volet sanitaire avait été travaillé par le ministère de la santé en fonction du degré de connaissance qui était alors le sien, c'est-à-dire avec beaucoup d'incertitudes concernant le virus. Dans une seconde partie, non sanitaire, on retrouvait beaucoup d'éléments figurant dans le plan pandémie grippale, car il n'y avait pas lieu de le modifier.

Par ailleurs, dans la partie non sanitaire du plan pandémie grippale, on ne trouve pas certaines des mesures qui ont été prises pendant la crise, tel le confinement généralisé de la population. Comme tout le monde aurait préféré l'éviter, cela ne faisait pas partie de l'éventail des possibilités ; il se trouve qu'il est devenu indispensable afin de ne pas dépasser les capacités en lits de réanimation. En revanche, on trouve dans le plan beaucoup des mesures qui ont été mises en place, y compris dans la première partie, dont certaines très tôt.

Dans la première partie du plan, la description générique est ainsi présentée en quatre phases. La première vise à freiner l'introduction du virus sur le territoire national. La deuxième consiste à limiter sa propagation en fixant les points d'infection. La troisième porte sur la gestion de l'épidémie. La quatrième phase est celle du retour à la normale ou, éventuellement, de la préparation à une deuxième vague.

Toutefois, certaines mesures correspondant à chacune des phases ont pu être bouleversées par la situation que nous avons connue. Le plan, par exemple, est très contraignant au tout début de la crise, afin de limiter la dispersion, mais, quand l'épidémie est là, préconise plutôt d'en gérer les effets que de la contenir. Or on s'est rendu compte qu'il n'était pas possible de le faire, car cela faisait courir le risque d'être débordé. Les mesures contraignantes, dont le confinement généralisé, sont donc intervenues à un moment qui n'était pas prévu par le plan.

En revanche, dès la fin janvier, des mesures prévues par le plan ont été activées, notamment les contrôles à l'arrivée dans les aéroports et la délivrance d'informations sanitaires aux voyageurs, le contact tracing des voyageurs arrivant de Chine, de Macao ou de Hong Kong, ou encore la communication autour des gestes barrières, qui nous semblent désormais d'une évidence absolue. Certes, nous n'avons pas dit que nous déclenchions le plan pandémie grippale avant de prendre ces mesures mais, de fait, elles en faisaient partie. J'ai eu peu d'occasions d'assister à l'activation du plan pandémie grippale, mais il ne me semble pas que cela consiste à appuyer sur un bouton. Les décisions qui ont été prises s'écartaient un peu du plan, mais celui-ci nous a beaucoup servi : nombre d'entre elles en étaient inspirées. Il nous a fait gagner du temps, même si, à l'évidence, il faudra tirer les enseignements de la crise pour penser les plans de demain.

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. Madame la secrétaire générale, il existe un débat sur la doctrine – à supposer que ce terme soit adéquat –, publiée par le SGDSN en mai 2013, qui prévoit de confier aux employeurs, publics ou privés, la responsabilité de la constitution de stocks d'équipements de protection pour leurs agents ou leurs salariés pour faire face à une pandémie. Dans une audition devant une autre commission, vous indiquiez que si cette doctrine pouvait concerner les employeurs, elle ne concernait pas les stocks stratégiques de l'État. Quelle est donc votre lecture de cette doctrine sur laquelle certaines personnes s'appuient pour dire que l'État n'avait plus à constituer de stocks stratégiques ? On constate, de fait, à partir de ce moment, comme le montrent les graphiques, une forte diminution des stocks stratégiques de masques, qu'il s'agisse des masques chirurgicaux ou FFP2 – ces derniers disparaissent même totalement –, mais aussi des antiviraux et des antibiotiques. Autrement dit, nos stocks stratégiques ont diminué très fortement durant la période dont vous avez la responsabilité.

La nouvelle doctrine a-t-elle conduit à cette diminution ? Quel était le regard du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale sur l'évolution des stocks strétégiques ? Aviez-vous les moyens de les suivre ? Avez-vous été informée de la décision prise, à l'automne 2018, de ne pas les reconstituer alors que Santé publique France avait alerté la direction générale de la santé (DGS) sur leur progressive disparition ? Cette doctrine a été souvent invoquée, mais nos interlocuteurs, que ce soit des représentants des établissements d'hospitalisation privés, des représentants des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou des représentants des médecins libéraux, ne nous a dit en avoir eu connaissance. M. Gautier nous disait hier que le SGDSN avait notifié cette doctrine à tous les ministères et que c'était à eux d'en assurer la diffusion ; que le ministre de la santé, par exemple, avait la responsabilité de ses agents, c'est-à-dire de tout le secteur hospitalier, et qu'à tout le moins ces stocks, notamment ceux de masques FFP2, auraient dû être suivis par le ministère de la santé.

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. Sans surprise, je réitérerai mon interprétation de ce document de mai 2013. Au-delà des masques, vous avez pointé des produits stratégiques méritant d'être stockés, tels que des médicaments et des vaccins. En 2010, il y avait déjà eu des interrogations sur le périmètre et la nature des produits que l'État devait stocker. Le fait que la doctrine de 2013 parle des masques mais ne traite aucunement des médicaments ou des vaccins montre bien que ce document ne s'adresse pas au champ de la santé. Le SGDSN y vise ce qui constitue son écosystème naturel au sein des ministères – le réseau des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité, qu'il anime – et, au-delà, les opérateurs d'importance vitale, notamment un certain nombre d'employeurs publics. La doctrine avait pour objet de rappeler à ces employeurs que leur rôle, tel que défini par le code du travail, est de protéger leurs salariés. Or, à l'époque, aucune autorité scientifique, ni l'OMS ni le Haut Conseil de la santé publique, ne prônait le port du masque généralisé. À cet égard, nous maintenons que le port du masque n'est qu'un geste barrière complémentaire. Il est généralisé parce qu'il a fait la preuve de son efficacité en complément, mais nous ne renonçons aucunement aux gestes barrières initiaux. La doctrine rappelle qu'il vaut mieux recourir au télétravail, à la distanciation physique et à la protection en plexiglas, le port du masque devant être réservé à des situations d'exposition particulière, notamment lors du contact avec le public.

En outre, cette doctrine tirait les conséquences des conclusions du Haut Conseil de la santé publique en 2011. Elle relayait notamment vers les employeurs publics une inflexion de la répartition entre masques FFP2 et masques chirurgicaux, en indiquant que les autorités scientifiques considéraient que le port simultané de deux masques chirurgicaux constituait une protection suffisante et que le masque FFP2, entraînant un certain inconfort, devait être réservé à des situations particulières. Elle leur disait, et je comprends que cela ait pu choquer compte tenu de ce que nous vivons, qu'ils avaient la responsabilité d'apprécier l'opportunité de constituer des stocks de masques, laissant entendre que certains employeurs publics ne pourraient même pas avoir à le faire. Ce n'est pas illogique compte tenu du fait qu'à l'époque le masque ne venait qu'en dernier rideau, et que les employeurs publics dont les agents ne sont pas en situation d'exposition particulière, notamment de contact avec le public, pouvaient gérer une pandémie par une organisation du travail différente, notamment en ayant recours au télétravail.

Cette doctrine ne portait pas sur le sujet des stocks stratégiques, qui est lié à l'équipement des malades, des cas contacts et des professionnels de santé, et relevait du ministère de la santé.

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Cela signifie que l'État conserve toutes ses prérogatives et n'a pas, comme certains l'ont prétendu, à se délester sur la doctrine de 2013 pour dire qu'il n'a plus à se soucier des stocks stratégiques. Ce n'est pas votre vision, et ce que vous avez dit me paraît logique. Toutefois, quel était le regard du SGDSN sur les stocks stratégiques et sur leur évolution qui, rétroactivement, nous paraît préoccupante ?

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. Le SGDSN n'a pas de regard sur les stocks stratégiques, dès lors qu'ils sont sectoriels. J'en ai rappelé les effectifs : il n'est pas en mesure, en termes de moyens et d'expertise, d'être un aiguillon en matière d'équipements stratégiques de nature à contribuer à la défense de la sécurité nationale. Je comprends très bien qu'on se focalise sur les masques – moi-même, la question m'a inquiétée –, mais en matière de sécurité nationale, il y a un nombre très important d'équipements stratégiques, tels que les canadairs, ou encore les chars, en cas d'insurrection armée, qu'il faudrait surveiller.

Le SGDSN ne disposait pas de moyens de contrôle des stocks stratégiques. D'ailleurs, dans la dernière version du plan pandémie grippale, il n'y avait pas de volumétrie associée. Certains plans pourraient comporter un volet capacitaire, comme c'est le cas, du reste, du plan contre les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques (NRBC) qui est assorti d'un engagement capacitaire des différents ministères. Par construction, ce plan est civilo-militaire, et il est précisément dans l'ADN du SGDSN d'assurer la coordination des moyens civils et militaires. Cela explique que ce plan comporte un volet capacitaire que le SGDSN a suivi de près ; il connaît donc les moyens NRBC des différents ministères et leur articulation. Les autres plans, en revanche, n'ont pas de volet capacitaire. Ne faudrait-il pas en prévoir davantage ? Tel qu'il est configuré, le SGDSN n'est pas armé pour devenir un acteur de contrôle de la programmation budgétaire des ministères, et ce serait sans doute une erreur. En revanche, en plus du NRBC, il y a peut-être des domaines où la « tour de contrôle » et l'aiguillon seraient utiles. Le SGDSN y réfléchit.

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Une structure de coordination serait utile, car les différentes entités ont plus ou moins bien géré leurs stocks et leurs équipements sans la moindre centralisation ni le moindre contrôle de leur péremption.

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. Si on s'orientait dans cette voie, il faudrait définir finement le périmètre pour ne pas s'éparpiller ou diluer des responsabilités. Mais l'idée que les plans ne peuvent pas vivre indépendamment d'une réflexion capacitaire et logistique fait partie des axes de réflexion.

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De même que M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous avons mis en œuvre le plan pandémie sans le savoir – et sans réactualisation, puisque nous en sommes restés à la version de 2011.

La doctrine du 16 mai 2013 confie aux employeurs la responsabilité des stocks de masques, notamment des masques FFP2 pour les personnels soignants, afin de respecter le code du travail, d'assurer plus efficacement la distribution des masques et d'agir au plus près du terrain. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de contrôle pour accompagner cette transmission de responsabilité ? Pourquoi n'a-t-on pas vérifié que le principe de cette doctrine avait été compris et appliqué ? Y a-t-il eu des transferts de crédits pour accompagner ce transfert de responsabilité ?

Vous avez dit que la première réunion avait eu lieu le 26 janvier. Il n'y a pas eu de retard, puisque l'OMS a déclaré l'urgence de santé publique internationale le 30 janvier, mais pourquoi la cellule interministérielle de crise (CIC) se réunit-elle si tardivement, le 17 mars ?

Enfin, quel regard portez-vous sur la gestion de la crise par la Chine et sur la fiabilité des informations provenant de ce pays ?

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. Jusqu'au lendemain du premier tour des élections municipales, il n'y a pas eu de discours politique pour affirmer l'urgence et la nécessité de recomposer notre vie sociale – j'en veux pour preuve l'exemple frappant du Président de la République assistant encore, au mois de mars, à une représentation théâtrale. Aux États-Unis, les choses n'ont pas été dites ; en France, rien de tel ne s'est produit, mais, selon vous, la gravité de la situation a-t-elle été minorée par les pouvoirs publics ?

Le rôle des différents acteurs – l'Élysée, Matignon, les ministères – a-t-il été défini ? Comment s'opérait la transmission des informations entre eux ? Avez-vous perçu une amélioration au fil du temps?

Nous sommes au moins trois dans cette salle à prendre l'avion chaque semaine car nous habitons trop loin pour prendre le train. Or, dans les aéroports parisiens, c'est le foutoir complet – passez-moi l'expression. La distanciation sociale n'existe pas ; les passagers venant de l'étranger et ceux du trafic domestique se croisent au même niveau, parce que Paris Aéroport est incapable d'assurer une circulation correcte. Un dispositif permet-il de contrôler l'efficience des décisions qui ont été prises ? C'est un problème : nous prenons des décisions, mais nous ne vérifions jamais leur application.

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Je souscris tout à fait à ce que vient de dire David Habib à propos des aéroports : la situation y est inquiétante, et nous devons veiller à ce que les mesures décidées soient effectivement appliquées.

La manipulation des informations, notamment sur les réseaux sociaux, est un autre sujet inquiétant : la crise sanitaire a été marquée par la prolifération d'informations fallacieuses. Avant l'annonce des mesures de confinement, on a vu se propager des photos montrant des véhicules militaires prétendument déployés pour confiner Paris ; plusieurs semaines après, a circulé l'image d'une fausse carte de déconfinement sur une chaîne de télévision à une heure de grande écoute – sans parler des propos complotistes, anti-masques et anti-vaccins. Ces manipulations contribuent à exacerber la crise et à affaiblir la parole de l'État.

Dans son rôle de préparation et de réponse aux crises, votre secrétariat général avait-il pris en compte la possibilité de manipulations ? Qu'est-ce qui était prévu pour lutter contre les tentatives de déstabilisation ? Des États ou des acteurs étrangers ont-ils contribué à la création et à la prolifération de ces infox ? Comment expliquez-vous que les réponses apportées, qu'elles émanent de canaux officiels ou officieux, aient tardé ou aient été contre-productives ? Dans une crise aussi violente que celle que nous connaissons, la lutte contre les fausses informations doit être à la hauteur des enjeux. Quelles pistes d'amélioration ont d'ores et déjà été identifiées ?

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. Une des pistes d'amélioration pourrait être l'élaboration d'un plan pandémie générique, quitte à ce qu'il soit moins détaillé que le plan pandémie grippale, même s'il est difficile de faire de la planification sur des objets complètement inconnus – ce virus, à propos duquel des incertitudes demeurent, en est l'illustration. Le fait que le plan date de 2011 n'est pas une difficulté en soi : l'aurait-on révisé entre-temps qu'on n'y aurait probablement apporté que des modifications marginales. Certes, la succession des révisions conduites sous le mandat de Francis Delon contraste avec l'absence d'évolution après 2011, mais elles faisaient suite aux enseignements tirés des alertes sanitaires de l'époque et à la diffusion par l'OMS elle-même de plans successifs.

Le plan est utile dans la mesure où il permet de gagner du temps, notamment du fait des exercices de mise en œuvre prévus pour les acteurs. À cet égard, on peut regretter qu'après avoir été réalisés en grand nombre, les exercices se soient espacés. Louis Gautier a dû vous dire – légitimement – à quel point le SGDSN a été occupé par la menace terroriste à partir de 2015. En dépit de cette menace, à laquelle il faut d'ailleurs ajouter la menace cyber et la menace stratégique, avec le retour des jeux entre les puissances, le SGDSN a continué à s'intéresser au champ sanitaire : un plan variole, testé à la fin de l'année dernière, est ainsi en cours de finalisation. Quoi qu'il en soit, il est vrai que l'on pourrait envisager la multiplication des exercices, quitte à ce qu'ils soient un peu moins sophistiqués, un peu moins complets et ne testent qu'une partie du plan.

Je le répète, je ne lis pas la doctrine, notamment concernant les masques FFP2, comme un transfert de responsabilité aux employeurs : c'est le rappel que les employeurs publics doivent protéger leurs salariés. Ils peuvent le faire aussi par l'acquisition de masques s'ils considèrent que la situation de travail de leurs agents le justifie. On ne peut pas dire que l'application de cette doctrine aurait dû être assortie d'un transfert de crédits à certains employeurs, puisqu'elle n'apportait aucune nouveauté, si ce n'est concernant l'usage des masques chirurgicaux FFP2, à propos desquels elle relayait les recommandations du Haut Conseil de la santé publique.

J'ai dit que la réunion du 26 janvier était la première à laquelle j'avais participé à Matignon, mais elle avait été précédée par d'autres. En janvier, c'est surtout l'évolution de la situation sanitaire en Chine qui était suivie de près, et le SGDSN n'avait pas participé à la toute première réunion à Matignon. À partir du 26 janvier, en revanche, nous étions dans la boucle.

Je comprends que vous vous demandiez pourquoi la cellule interministérielle de crise n'a été activée que le 14 mars. En réalité, nous n'avons pas attendu son activation pour faire vivre la coordination interministérielle, puisque si le centre de crise sanitaire du ministère de la santé a bien été chargé de la conduite opérationnelle de la crise – compte tenu de la dimension sanitaire de cette dernière, en tout cas au début –, le directeur général de la santé, qui était le directeur de crise, a été assez vite secondé. Le 19 février a été constituée la task force interministérielle à laquelle les autres ministères et la SGDSN ont contribué pour qu'à côté des sujets purement sanitaires, nous commencions à réfléchir ensemble à l'ensemble des conséquences de la crise. Après la mise en place du confinement, la dimension non sanitaire a pris une telle ampleur que le Premier ministre, en liaison avec le Président, a décidé d'activer la CIC, mais la dimension interministérielle préexistait. Elle a simplement été dimensionnée à la hauteur de ce qui était vécu avec le confinement.

Dans la position qui est la mienne, je suis mal à l'aise pour vous répondre s'agissant de la fiabilité des chiffres publiés par la Chine. Si j'avais eu des éléments, ils seraient classifiés.

Je ne me sens pas non plus à l'aise pour répondre à la question relative au temps de latence de la parole politique. Je crois vraiment, comme vous l'avez relevé, que la transparence a été assurée du début à la fin. Certes, les incertitudes ont pu entraîner des décalages de perception ressentis rétrospectivement plus fortement mais, personnellement, je n'ai pas eu le sentiment d'une présentation politique minorant ou aggravant le danger.

Le pilotage et la transmission des informations étaient des enjeux majeurs. Comme je l'ai dit, le directeur général de la santé assurait la conduite opérationnelle de la crise mais, dès janvier, la conduite stratégique et politique était assurée par le Premier ministre et par le Président de la République, en conseil de défense. Il y avait un conseil de défense par semaine environ. Entre chacun d'entre eux, était organisée quotidiennement une réunion de synthèse, suivie, à partir du 14 mars, de la « CIC synthèse », animée par le directeur de cabinet du Premier ministre et, avant la réunion du conseil de défense, par le secrétaire général de la présidence de la République. Lors de cette réunion quotidienne, les informations préparatoires aux décisions étaient échangées. Au fil du temps, des marges de progrès ont été regagnées dans l'information descendante, c'est-à-dire vers les réseaux. Si, en direction centrale, l'investissement des directions et des agents concernés était considérable – j'ai rencontré des membres de l'administration que je n'avais jamais côtoyés et la direction des achats de l'État a mis nombre de gens à disposition – et la circulation de l'information excellente, du côté des préfets et des agences régionales de santé (ARS), en revanche, il était plus difficile de s'assurer que sa descente et sa remontée s'effectuent correctement. Cela s'est amélioré au fil du temps.

Il m'est difficile de vous répondre sur les dispositifs dans les aéroports ou dans les gares. En tant que SGDSN, les sujets de sécurité dans les aéroports que j'ai eu à traiter ne sont pas liés à la crise du covid-19.

En revanche, la manipulation de l'information intéresse le SGDSN dans une dimension particulière et circonscrite : celle des opérations massives organisées par un État étranger ou un intermédiaire en vue de déstabiliser nos institutions. Là, nous sommes dans le haut du spectre de la sécurité nationale. Nous distinguons bien la manipulation de l'information stratégique et la désinformation sur les réseaux sociaux, difficile à contrer par l'État qui est vite soupçonné de vouloir lui-même manipuler l'information. Pour contrer l'utilisation et la diffusion de mauvaises informations par les réseaux sociaux, l'État compte beaucoup sur les acteurs de la société civile, notamment les journalistes, et il s'efforce d'avoir la communication institutionnelle la plus transparente et la plus objective possible.

S'agissant de la manipulation de l'information par des acteurs étatiques malveillants, un travail de coordination des acteurs interministériels est réalisé par le SGDSN et par les services de renseignement. Un des moyens utilisés est l'introduction d'un volet consacré à la manipulation de l'information dans tous les exercices conduits depuis un an et demi, lesquels comportaient une dimension médiatique simulée. Afin que les acteurs de la gestion de crise apprennent à gérer la communication de crise, il est désormais prévu un volet manipulation de l'information pour savoir comment réagir, quels outils utiliser, comment mobiliser les partenariats de l'Union européenne.

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. Revenons-en à la doctrine de 2013. Vous dites qu'elle s'adresse aux employeurs en fonction des risques des métiers. Or elle fait bien état de « maladies infectieuses hautement pathogènes à transmission respiratoire » et ne s'applique pas seulement à quelqu'un travaillant dans la chimie ou dans le bois, par exemple. Il s'agit bien d'employeurs privés, publics et même de travailleurs indépendants. Elle constitue le socle de référence commun à partir duquel les ministères doivent établir les directives adaptées à leurs secteurs de compétence. Louis Gautier nous a dit qu'il avait redemandé en 2016 au ministère si cette doctrine avait été publiée et diffusée dans les différentes branches professionnelles.

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Dès lors que les hôpitaux occupent une place particulière dans le dispositif de crise sanitaire, il est surprenant qu'il n'y ait pas un regard différent sur les stocks dont ils doivent disposer pour les personnels soignants. Mais peut-être la fameuse doctrine de 2013 prévoit-elle un chapitre particulier pour les hôpitaux et leurs personnels ?

Vous avez indiqué que l'hypothèse du confinement ne figurait pas dans les différents plans élaborés. Cela paraît étonnant, même s'il est vrai que nous n'avions jamais été confrontés à cette perspective. Il n'en demeure pas moins que nous y avons été conduits, ce qui laisse à penser que nous n'étions pas réellement prêts. Pourquoi n'avoir pas envisagé cette hypothèse qui s'est rapidement imposée dans les décisions politiques ?

Au fil de la crise, nous avons eu le sentiment d'une immense difficulté dans la gestion de la commande publique de masques, dans la capacité de l'État à obtenir la livraison de ses commandes et d'une cacophonie entre les différents acteurs. Êtes-vous intervenue dans ce domaine ? Comment expliquez-vous cette gestion chaotique ?

Les acteurs de santé sont-ils les mieux placés pour piloter une crise de cette ampleur ou mérite-t-elle un autre dispositif, comme vous l'avez vous-même suggéré ? Le conseil scientifique installé dans l'urgence, présidé par M. Delfraissy, occupait-il la bonne place ? Quels contacts aviez-vous avec lui ?

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Au début de l'année 2020, le covid-19 est déjà là. Est-ce le SGDSN qui a suggéré au Gouvernement l'activation de la cellule interministérielle de crise ? Si oui, à quel moment ?

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. Monsieur le président, je me suis mal exprimée si vous avez cru comprendre que la doctrine générale ne concernait pas une pandémie virale à transmission respiratoire. Elle est bien destinée à donner des consignes aux employeurs publics en cas de pandémie.

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. Le SGDSN n'a pas de compétence juridique pour imposer des obligations aux employeurs privés. C'est pourquoi ce document est dénommé « doctrine ». En tant que service du Premier ministre, le SGDSN a en revanche compétence pour faire des recommandations fortes aux administrations – ce sont quasiment des instructions. Dès qu'on s'éloigne du cœur du cœur, c'est davantage une recommandation, des consignes. Pour les OIV, acteurs qui ont l'habitude de voir leurs obligations fixées par les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité, le message était entendu comme comminatoire. Pour le reste, on est dans le champ de la circulaire sans valeur contraignante.

Francis Delon vous dira qu'une diffusion a été immédiatement assurée après la signature de la doctrine. Louis Gautier l'a rediffusée en février 2016 à l'occasion de la préparation de l'Euro de football. Elle n'a pas été de nouveau diffusée par la suite.

N'aurait-il pas fallu prévoir un regard spécifique sur les hôpitaux compte tenu de leur place particulière ? Les règles propres au monde de la santé ne figurent pas dans cette doctrine : on y trouve une citation des professionnels de santé, mais elle n'est pas faite pour le monde de la santé. On peut lui reprocher d'être trop silencieuse mais, je le répète, ce n'était pas son objet. C'est pourquoi elle ne porte pas sur les stocks stratégiques destinés aux malades, aux cas contacts et aux professionnels de santé. D'ailleurs, demander au SGDSN de décrire comment les professionnels de santé devaient être équipés en masques aurait été une erreur, car ce n'est pas son travail et il n'a pas les compétences techniques pour le faire. Il est donc logique que cette doctrine ne se saisisse pas du sujet de l'équipement des professionnels de santé, qui est traité par le ministère de la santé.

On ne peut pas dire que l'on aurait été plus à l'aise si on avait réfléchi avant à l'organisation d'un confinement. Cela étant, le plan pandémie grippale prévoit des restrictions de circulation, des fermetures d'établissements scolaires, des fermetures d'établissements recevant du public (ERP), la fixation des clusters. Certes, ce n'est pas un confinement généralisé, mais il y a là un grand nombre de dispositifs qui, cumulés, ressemblent à un fort ralentissement de l'activité. Les auteurs n'étaient pas allés jusqu'à penser le confinement généralisé, mais beaucoup de mesures étaient les prémices de cette disposition plus radicale à laquelle il a finalement fallu recourir.

Concernant ce que vous appelez la gestion chaotique de la commande publique des masques, elle est due au fait particulier que la commande publique était faite auprès d'un pays qui avait tari ses exportations pour répondre à ses besoins propres. L'organisation de la commande publique est passée par Santé publique France. Un dispositif a été mis en place pour identifier les fournisseurs en Chine, dans lequel le réseau diplomatique a joué un rôle précieux. Le SGDSN a été appelé à faire le lien avec les services de renseignement et certains acteurs de la sécurité pour s'assurer de l'honorabilité de tel dirigeant ou de telle entreprise qui proposait de trouver des fournisseurs chinois. Un dispositif ad hoc a été mis en place, reposant sur un pilotage clair de la commande publique, opéré par Santé publique France et passant par le ministre de la santé. La question s'est rapidement posée de savoir comment équiper le champ non sanitaire dès lors que priorité absolue avait été donnée au monde sanitaire. Quand la production de masques dits grand public, nationale ou étrangère, a commencé à émerger, nous avons pensé à d'autres circuits d'approvisionnement en faisant appel à la direction des achats de l'État ou à l'union des groupements d'achats publics (UGAP), mais nous avons différencié les deux circuits afin d'éviter toute confusion entre les masques sanitaires pour le monde sanitaire et la commande publique pour le domaine non sanitaire.

Au début de la crise, le ministère de la santé étant le mieux placé, il était logique que le centre de crise sanitaire (CCS) assure le pilotage opérationnel de la crise. Quand le champ non sanitaire – notamment le domaine économique et social – a pris beaucoup d'ampleur, nous avons ouvert la CIC. Est-ce le SGDSN qui l'a proposé au Premier ministre ? Cela fait partie des éléments dont nous avons discuté avec le cabinet du Premier ministre, puisque le SGDSN est un peu le conseil du Premier ministre pour l'organisation des crises. Cela s'est fait le 17 mars, mais le traitement de la crise avait déjà une dimension interministérielle.

Le conseil scientifique était une instance d'expertise. « Régularisé » par la loi, il a contribué à alimenter les débats et à servir de référence, mais il n'était pas du tout impliqué dans la conduite de la crise.

Par ailleurs, après l'ouverture de la CIC, est intervenue l'équipe de Jean Castex, qui a pensé le déconfinement.

L'ouverture du centre interministériel de crise, début juin, avec à sa tête Denis Robin, venant du ministère de la santé, était une façon de marquer l'intégration complète et efficace des champs sanitaire et non sanitaire. Il est devenu le centre unifié de la gestion de crise. Peut-être était-ce le modèle idéal, mais je ne vois pas comment on aurait pu, dès le début de la crise, imaginer ce centre totalement intégré alors qu'on était engagé dans une crise sanitaire justifiant parfaitement le rôle du centre de crise sanitaire.

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Le SGDSN joue un rôle central en matière de préparation et de réponse aux crises. Il est l'organe chargé d'analyser les risques et les menaces. Il est notamment responsable de la rédaction du plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale. Un grand nombre de nos concitoyens ont le sentiment d'un manque d'anticipation. Le risque sanitaire dû à un virus très différent de celui d'une pandémie grippale n'avait-il pas été envisagé ? Est-ce là l'origine du problème avec les masques et des difficultés liées aux opérateurs d'importance vitale, ou s'agit-il d'un retard de pilotage accentué par le millefeuille administratif ?

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Vous avez animé une structure discrète, qui s'expose rarement, pourtant sa tâche est essentielle. Elle procède d'une ordonnance de 1959, une des rares signées par le général de Gaulle en personne, dans laquelle il expliquait que la défense était globale. Le secrétariat général de la défense nationale (SGDN) a ainsi été créé, et des hauts fonctionnaires de défense ont été placés dans chaque ministère. Il s'agissait de se protéger contre un ennemi que l'on pouvait identifier. Parmi les risques figurait le risque sanitaire, notamment à caractère militaire. En 2008, près de vingt ans après la chute du mur de Berlin, on y a ajouté la dimension de la sécurité nationale et collective, tout en conservant la défense.

Manifestement, il y a quelques trous dans la raquette – s'agissant des commandes, ou des stocks tampons dans les hôpitaux –, mais on n'a pas nécessairement besoin du SGDSN pour y remédier : du bon sens suffirait. Je ne suis pas sûr, d'ailleurs, qu'un directeur général d'ARS ait jamais rencontré le haut fonctionnaire de défense du ministère de la santé. Dans la littérature spécialisée, on relève, au fil des années, une faible implication des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité dans les ministères. Il y a quarante ans, c'étaient les plus hauts préfets qui arrivaient à ces postes, en fin de carrière ; ils avaient une véritable autorité. À l'époque, les ministres avaient peur de leur haut fonctionnaire de défense. Ce n'est plus le cas. On trouve maintenant des adjoints et les secrétaires généraux, autrement dit les directeurs des ressources humaines (DRH). L'autorité n'y est plus.

Si nous subissions une attaque chimique, serions-nous capables de retrouver les stocks stratégiques de Santé publique France, de les distribuer et de faire face à la crise ?

Avez-vous eu, dans votre fonction de secrétaire générale, à appuyer, dans les arbitrages, un haut fonctionnaire de défense et de sécurité qui n'arrivait pas obtenir les moyens pour assumer sa mission ?

Pensez-vous que le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de la santé a rencontré le directeur général de Santé publique France ? Je n'ai pas l'impression que l'esprit de défense, au sens militaire et non militaire, soit compris par toutes les agences devenues périphériques, et je crains que ce mal soit systémique. Comment redonner tout le poids nécessaire au SGDSN et à ses hauts fonctionnaires de défense et de sécurité dans les ministères ?

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. Il existe une quinzaine de plans nationaux, mais des événements peuvent évidemment survenir sans que nous ayons un plan prêt pour y faire face. Cela fait partie de la réflexion sur les risques et leur cartographie. Dans le domaine sanitaire, différentes possibilités avaient été envisagées dans les documents stratégiques, mais nul n'avait imaginé que la France connaîtrait une pandémie. Aurions-nous pu faire beaucoup mieux que le plan pandémie grippale ? On pourrait remonter d'un cran et réfléchir à un plan pandémie générique, comportant un volet capacitaire et un volet logistique. Il y a des marges de progrès mais, dans ce champ de l'anticipation concernant le domaine sanitaire, il serait trop sévère de considérer qu'il y a eu un manque d'anticipation. Un outil a pu être en partie dépassé, mais c'est le propre des plans. Cela fait partie des enseignements à en tirer.

Je ne suis pas sûre que le millefeuille administratif soit à l'origine d'un défaut d'anticipation. En revanche, je mesure la difficulté collective pour l'administration, entraînée dans la moulinette de l'action administrative quotidienne, à prendre le temps et le recul nécessaires à la prospective et à l'anticipation. Je ne suis pas sûre que le SGDSN ait besoin de davantage d'autorité et de moyens pour agir. Le SGDSN est investi de l'autorité que lui confère son évolution dans la sphère du Premier ministre.

J'avais repris la pratique initiée par Louis Gautier et je ne doute pas que Stéphane Bouillon fera de même : tous les trimestres, nous tenions une réunion thématique avec les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité en titre, c'est-à-dire les secrétaires généraux des ministères, qui sont loin de n'être que des DRH. De nombreux sujets traités par le SGDSN ne peuvent être portés que par le réseau des secrétaires généraux. Dans certains ministères que j'ai connus auparavant, j'avais peu de visibilité sur les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité. Cette fonction a repris de la vigueur et de la visibilité, pas seulement en raison de la crise sanitaire. Le fait que les sujets de sécurité et de souveraineté soient davantage dans le viseur des directeurs d'administration centrale et de nos autorités politiques redonne du poids aux hauts fonctionnaires de défense et de sécurité.

Toutefois, les effectifs restent faibles au regard de l'ampleur des enjeux. D'où l'intérêt de la formation des acteurs de la gestion de crise. Le SGDSN est présent sur ces sujets, en coopération avec le monde universitaire ou avec des prestataires privés. L'Institut des hautes études des métropoles (IHEDM), outil important pour la diffusion de l'esprit de défense, réforme son offre pour élargir le champ de ceux qui y seront sensibilisés. Un autre enseignement de la crise, c'est que pour diffuser l'esprit de défense, l'État doit être capable de s'entraîner avec les élus locaux, les associations et le monde des entreprises privées et d'intégrer non seulement des fonctionnaires ou des militaires, mais aussi d'autres profils.

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. Un de nos collègues vous a interrogée sur les éléments en votre possession concernant la Chine. Vous avez dit ne pas pouvoir répondre et invoqué le secret de la défense nationale. N'avez-vous pas d'éléments de réponse ou avez-vous des éléments classifiés que vous ne pouvez pas nous communiquer ?

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. Je n'ai pas d'éléments de réponse.

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À la page 7 de la doctrine, alinéa 6, « Dimensionnement et coût des stocks pour l'employeur », il est précisé : « Il revient à chaque employeur de déterminer l'opportunité de constituer des stocks de masques pour protéger son personnel. Le cas échéant, le dimensionnement des stocks est sous-tendu par » – suit une énumération dont le premier élément est : « la durée prévisible d'une épidémie (une à plusieurs vagues de 8 à 12 semaines pour la grippe…) ».

Cette doctrine n'avait-elle pas légitimité à s'appliquer à tous les employeurs, ventilée par les ministères ? Vous disiez que cela n'avait pas valeur d'obligation, mais les ministères avaient la responsabilité de diffuser cette doctrine aux employeurs.

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

. Si l'État souhaite obliger les employeurs à constituer des stocks pour huit à dix semaines, il doit passer par la loi. La doctrine ne peut donc valoir obligation pour les employeurs. Elle indique d'ailleurs qu'il revient aux employeurs d'apprécier l'opportunité de constituer de tels stocks. Elle dit de façon comminatoire aux employeurs publics qu'ils doivent réfléchir à la façon de protéger leurs agents en cas de pandémie, soit par le télétravail, mode de distanciation physique radical, soit en utilisant des protections en plexiglas, et qu'ils doivent constituer des stocks s'ils considèrent qu'ils évoluent dans un milieu exposé. En revanche, vis-à-vis des autres employeurs, cela n'aurait pu avoir un effet d'obligation de constitution de stocks.

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. Il semble qu'à la suite de la mise en place de cette doctrine le nombre de masques dans les stocks stratégiques a diminué, parce qu'on considérait qu'elle enjoignait aux employeurs de protéger leurs salariés et qu'il n'appartenait donc plus à l'État de maintenir ces stocks. C'est ce qui nous a été dit. Quelle est votre vision de la question ?

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Claire Landais, ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale

La doctrine n'efface pas le code de la défense, lequel prévoit que le ministère de la santé prépare la nation et le système de santé aux crises sanitaires. Je ne parle pas de dimensionnement, car ce n'était pas mon ancien rôle en tant que SGDSN, mais cette doctrine ne pouvait pas être raisonnablement lue comme signifiant à l'État qu'il n'aurait plus à préparer le système de santé.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du mercredi 16 septembre 2020 à 16 h 15

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Jacques Gaultier, M. David Habib, M. François Jolivet, Mme Sereine Mauborgne, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Pierre Pont, M. Joachim Son-Forget

Excusé. - M. Boris Vallaud

Assistaient également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup, M. Jean-Pierre Pont