Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du mercredi 29 juillet 2020 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Présidence de M. Julien Borowczyk, vice-président de la mission d'information

La mission procède à l'audition commune de M. Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), Mme Bénédicte Bertholom, déléguée générale et M. Guillaume Racle, délégué à l'économie et l'offre de santé ; M. Philippe Besset, président de la fédération des pharmaciens d'officine (FSPF) et M. Quentin Leprevost, chargé de veille en affaires publiques.

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Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre des représentants des syndicats de pharmaciens d'officine. Nous recevons M. Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), accompagné de Mme Bénédicte Bertholom, déléguée générale, et de M. Guillaume Racle, délégué à l'économie et l'offre de santé, et M. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), accompagné de M. Quentin Leprévost, chargé de veille en affaires publiques.

Les pharmaciens ont été mobilisés sur plusieurs fronts pendant la crise sanitaire, au cours de laquelle ils ont eu un rôle très important de professionnels de santé accessibles et présents sur tout le territoire grâce au maillage des pharmacies, en particulier pendant le confinement. L'activité a dû être adaptée à de nouveaux besoins, comme la production et la distribution de gels hydroalcooliques, le renouvellement des ordonnances en pharmacie et, désormais, la fourniture de tests rapides d'orientation diagnostique (TROD). Nous avons plusieurs fois évoqué la mise en place du circuit de distribution des masques aux professionnels de santé et le contrat passé par Santé publique France avec la société Geodis, qui a entraîné des difficultés importantes de logistique et qu'il a fallu revoir dans l'urgence. La question de la fourniture des masques comprend aussi celle de l'autorisation progressive pour les pharmaciens d'officine de délivrer à la population, notamment aux malades ayant des prescriptions, des masques chirurgicaux ou des masques alternatifs, et celle de commander directement des masques chirurgicaux puis des masques FFP2 issus du stock de l'État à leurs grossistes répartiteurs.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je demande donc à chacun d'entre vous de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Gilles Bonnefond, Mme Bénédicte Bertholom, M. Guillaume Racle, M. Philippe Besset et M. Quentin Leprévost prêtent successivement serment.)

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Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine

Les pharmacies, pendant cette période tout à fait inédite, ont tenu le choc. Ce n'était pas facile : nous étions tous confrontés à d'immenses difficultés et à des tensions. Or la présence des pharmaciens dans tous les territoires, avec leur amplitude horaire importante, a constitué un soutien efficace pour la population. Je voudrais saluer la décision courageuse des pouvoirs publics qui a consisté à autoriser les pharmaciens à assurer la continuité des soins – avec ou sans l'accord préalable du médecin, selon les situations – pour les patients ayant des traitements stabilisés et dont l'ordonnance était terminée. Cette mesure s'est révélée extrêmement efficace et a permis de rassurer la population, notamment les personnes les plus fragiles, à savoir les personnes âgées et les patients souffrant de maladies chroniques. Ainsi, personne ne s'est inquiété de savoir si son traitement, qui était indispensable, allait être accessible ou pas. C'était particulièrement important à un moment où l'on demandait à l'ensemble de la population, et plus particulièrement aux personnes à risque, de rester chez elles. Nous avons passé beaucoup de temps au téléphone à rassurer et à répondre aux demandes, mais aussi à dispenser des médicaments à domicile, car beaucoup de patients ne voulaient pas sortir de chez eux.

Nous avons été sollicités pour éduquer les gens aux gestes barrières. Nous-mêmes, nous avons mis en œuvre des protocoles à l'intérieur des officines : nous avons installé des protections en plexiglas et nous sommes équipés de masques et de gel hydroalcoolique. Le simple fait de voir un pharmacien derrière un plexiglas et portant un masque a permis à la population de prendre la mesure du risque : cela a eu un effet non négligeable en termes d'éducation aux gestes barrières. Nous avons également eu la possibilité de fabriquer des solutés hydroalcooliques pour pallier le manque de gels. Nous avons même été autorisés à servir de relais pour certains médicaments dispensés uniquement à l'hôpital. Par ailleurs, nous avons été associés à la lutte contre les violences conjugales : la pharmacie est devenue un point de contact, un recours éventuel pour des personnes en difficulté. Nous avons été autorisés à mettre à disposition des médicaments pour les IVG médicamenteuses. Enfin, plus récemment, nous avons été chargés d'effectuer des TROD.

On s'est donc beaucoup appuyé sur le réseau pharmaceutique et il a répondu présent. Il a montré pendant la tempête qu'il était bien organisé, efficace, professionnel et capable de réagir quand les choses devenaient un peu difficiles.

Nous avons été confrontés à des difficultés ayant trait notamment au bon usage du médicament. À notre demande, des dispositions ont immédiatement été prises pour limiter la dispensation de paracétamol : il fallait éviter que les gens fassent des stocks, provoquant des ruptures d'approvisionnement. De même pour l'ibuprofène. Est ensuite venu le débat autour de l'hydroxychloroquine et de la nicotine : nous avons évité les risques de mésusage. En outre, nous avons beaucoup travaillé avec les pouvoirs publics pour anticiper les incidents, les interruptions d'approvisionnement et les possibles abus.

S'agissant des leçons de la crise, nous avons vu que, quand on se coordonne et quand on fait confiance, quand les pharmaciens travaillent avec les médecins et les autres professionnels de santé, on est capable de rendre le système plus fluide, d'aider les patients qui risquent de se retrouver en rupture de traitement, de rassurer la population et de l'aider à adopter les bons réflexes plutôt que d'écouter ce qui se disait à la radio ou à la télévision, qui n'était pas toujours fiable et avait tendance à verser dans le sensationnel.

J'en viens aux conclusions que nous tirons de la crise. Nous savions que le réseau pharmaceutique était capable de réagir et de résister mais il est bon de l'avoir démontré. On a bien vu que la population était très attachée à la présence de professionnels de santé de proximité, disponibles, dont l'amplitude horaire permettait de les consulter. Nous allons pouvoir nous appuyer sur ce qui a bien marché pour améliorer la coordination des soins. Le seul point noir, dont nous parlerons sans doute, a été la distribution des masques, qui nous a posé les pires difficultés en raison d'incompréhensions, de messages brouillés ou contradictoires. Nous pourrons revenir sur le déroulement des faits.

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Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France

Le 29 janvier, quand j'ai signé la première circulaire d'accompagnement, sur la centaine que la FSPF a envoyée aux pharmaciens pendant l'état d'urgence sanitaire, l'état du réseau des officines était le suivant : il restait 21 300 officines de pharmacie sur le territoire, dans lesquelles travaillent 120 000 professionnels de santé – 60 000 pharmaciens et 60 000 préparateurs en pharmacie. Les préparateurs auront été les grands oubliés de l'ensemble des dispositifs concernant les soignants : chaque fois il a fallu interpeller le Gouvernement pour qu'il les y intègre. J'ai dit qu'il « restait » 21 300 officines car les quinze dernières lois de financement de la sécurité sociale ont fragilisé le réseau et entraîné la disparition de 2 000 pharmacies de proximité.

Le 12 février, nous avons reçu une invitation d'Agnès Buzyn à participer à une réunion de mobilisation de l'ensemble des acteurs de santé pour la lutte contre le coronavirus. Cette réunion s'est tenue le 18, et c'est Olivier Véran qui l'a présidée. Les deux organisations que nous représentons et notre ordre professionnel y assistaient. Il faut savoir que la profession de pharmacien est très structurée autour de ces trois organisations ; pendant la crise, nous avons eu tous les jours des conférences téléphoniques pour organiser le réseau et envoyer des messages coordonnés.

Le 18 février, nous nous sommes portés volontaires pour assurer la distribution des masques du stock de l'État aux soignants de ville. Le 11 mars, nous l'avons expliqué aux pharmaciens lors d'une visioconférence à laquelle participait le ministre de la santé. Le réseau des officines s'est adapté. Il est resté ouvert pendant toute la période. Nous avons été les premiers à mettre en place les fameux plexiglas et à créer des sens de circulation : nous avons organisé les officines comme des sortes de bunkers pour accueillir la population.

Au chapitre de ce qui a fonctionné figurent les dispositifs réglementaires exceptionnels, qui paraissaient au Journal officiel tous les jours ou presque, notamment concernant la délivrance des médicaments aux patients souffrant de maladies chroniques. Les études d'expertise publique en pharmaco-épidémiologie des produits de santé (EPI-PHARE), auxquelles vous vous êtes référés à plusieurs reprises, dressent un état des lieux de la distribution des médicaments. Elles montrent que, s'il y a lieu de s'inquiéter en ce qui concerne les nouveaux traitements – autrement dit pour les gens qui ne sont pas allés chez le médecin –, il n'y a pas eu d'interruption de traitement pour les patients souffrant de maladies chroniques stabilisées. Les pharmacies d'officine ont dispensé les médicaments ; elles les ont même portés au domicile des gens qui ne pouvaient pas se déplacer. Nous avons également joué notre rôle de gardiens des poisons pour faire respecter les consignes des autorités de santé, en ce qui concerne tant le paracétamol et l'ibuprofène que l'hydroxychloroquine, la nicotine, le kaletra et l'azithromycine.

Au chapitre des choses qui n'ont pas marché, il y a effectivement la gestion des masques. Nous regrettons d'abord un trop grand retard à assumer, au plus haut niveau, le fait qu'il n'y avait pas de stock. La doctrine est liée au stock : quand il n'y en a pas, on est obligé de faire de la gestion de crise et de prioriser la distribution des masques. Si nous avions su dès le départ qu'il n'y avait pas de masques, nous aurions agi différemment. À partir du moment où nous l'avons su, nous avons assumé la pénurie et la priorisation en faisant le tri dans les demandes, comme on doit le faire quand il n'y a pas d'autre solution.

Un autre problème a été la coordination entre les organes de décision et les opérateurs que nous étions : nous n'avons jamais su à qui nous adresser pour obtenir des modifications dans la gestion du système. Était-ce à Chorus, à Santé publique France, aux différentes cellules de crise, à la direction générale de l'offre de soins (DGOS), à la direction générale de la santé (DGS), au cabinet du ministre de la santé ou à celui du Premier ministre ? J'ai fini par interpeller le Président de la République à la télévision pour demander des réponses…

Nous avions deux problèmes. Premièrement, certaines officines avaient trop de masques quand d'autres n'en avaient pas du tout : l'attribution a été gérée sans qu'on nous demande notre avis. Deuxièmement, nous n'avons pas été en mesure de mettre en place un système de traçabilité, et ne le pouvons toujours pas, d'ailleurs, alors que l'assurance maladie était censée disposer d'un tel système. Aucune décision n'a été prise. Nicolas Revel lui-même n'a pas réussi à obtenir un accord réglementaire sur un système de traçabilité national. Du coup, nous ne savons toujours pas combien de masques du stock de l'État se trouvent réellement dans le circuit des officines et chez les grossistes répartiteurs. Cela aiderait pourtant à gérer la suite des opérations.

Je terminerai par trois recommandations. Premièrement, pour affronter une crise, il faut avoir à la fois un stock stratégique de matériel de protection et un stock tactique, c'est-à-dire au plus près du terrain, auprès de l'ensemble des médecins, officines et acteurs de santé dans les entreprises. Ces deux types de stock doivent être gérés dans le temps, afin d'éviter les péremptions : une autre épidémie surviendra peut-être dans cinq ans ou dans dix ans.

Deuxièmement, les acteurs de terrain doivent savoir qui sont les responsables de la gestion de crise, pour qu'il y ait un lien entre les opérateurs. Que ce soit Santé publique France ou un autre organisme, peu importe, mais il faut savoir avec qui dialoguer, en région et par profession. Les régions – que ce soit dans le Grand Est, en Île-de-France ou en Provence-Alpes-Côte d'Azur – ont su trouver des réponses extraordinaires, mais elles n'étaient pas coordonnées : nous n'arrivions pas à savoir, au niveau national, ce qu'il s'y passait.

Troisièmement, il faut faire attention à la santé économique des officines de proximité. Si vous suivez les recommandations du rapport de la Cour des comptes, il n'en restera plus que 10 000 dans quelques années, et vous n'aurez plus suffisamment d'établissements de santé prépositionnés pour faire face aux futures crises sanitaires.

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Si je comprends bien, vous n'avez jamais été sollicités, en particulier par Santé publique France, pour l'organisation et la distribution du matériel de protection, quel qu'il soit – même si, en l'occurrence, il s'agit pour l'essentiel des masques. Est-ce à dire que vous n'avez eu, non seulement en tant que pharmaciens d'officine, mais surtout en votre qualité de responsables syndicaux, de concertation avec les autorités, en particulier avec Santé publique France, qui était en charge de la mise en place de la stratégie ?

J'avoue être surpris par votre lecture de la façon dont s'est déroulée la prise en charge des patients sur le territoire. Il y a là une sorte de paradoxe : alors que les médecins libéraux ont observé que leurs cabinets étaient vides et qu'il n'y avait plus de recours aux soins, vous soutenez qu'un contact local avec la population a été maintenu. Comment cela s'est-il organisé ? Les gens venaient-ils vous voir ? Les appeliez-vous ? J'aimerais comprendre ce qui a fonctionné dans vos officines, par opposition à ce qui, manifestement, n'a pas fonctionné dans les cabinets. Plusieurs médecins nous ont parlé de la peur de leurs patients ; de votre côté, vous nous avez dit que vous avez su les rassurer.

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Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France

Nous n'avons jamais été sollicités par Santé publique France – ce qui ne veut pas dire que nous n'avons pas eu de contacts avec les autorités de santé. Les rapports avec l'assurance maladie, en revanche, ont très bien fonctionné : c'est elle qui, du fait des conventions, assure la gestion quotidienne. Nous avons eu deux à trois réunions téléphoniques par semaine avec les services de l'assurance maladie ; ils essayaient de nous mettre en contact avec le reste de l'appareil d'État. Mais jamais Santé publique France n'est venue vers nous pour essayer d'organiser nos relations.

Cela me paraît tenir au fait, mais c'est une lecture personnelle, que l'outil était trop neuf, encore balbutiant. Santé publique France est né de la fusion de plusieurs agences, notamment l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) ; il n'avait jamais eu l'occasion de se confronter au terrain, il n'avait pas l'expérience des crises. Il convient d'en tirer les conséquences. Je valide tout ce qui avait été dit pour justifier la création de Santé publique France, qui a permis de regrouper l'ensemble des agences, mais il faut que l'organisme se remette en question, qu'il prenne en considération, pour l'avenir, ce qui a dysfonctionné.

Nos grossistes répartiteurs et les établissements pharmaceutiques, quant à eux, ont réussi à établir une organisation, mais avec beaucoup de mal. Des livraisons arrivaient – il y en a eu dix-neuf –, mais on ne savait jamais quand elles avaient lieu ni ce qu'on allait recevoir. Nous ne connaissions le niveau de la dotation qu'à l'arrivée chez les grossistes, parce qu'ils comptaient ce qu'ils avaient reçu et nous en informait : tant de millions de masques, tant de FFP2, tant de masques pédiatriques, etc. Ce mode de fonctionnement ne saurait perdurer.

Pour répondre à votre seconde question, nous avons envoyé les gens chez les médecins. Nous avons essayé de maintenir le parcours de soins mais l'étude EPI-PHARE fait apparaître clairement une distinction entre, d'un côté, les nouveaux traitements et les changements de posologie et, de l'autre, la continuité des soins pour les patients stabilisés. C'est de ceux-là que nous nous sommes occupés, et la continuité des soins a été garantie. Par ailleurs, la semaine précédant le confinement, les officines ont observé un afflux de malades qui venaient faire des stocks pour affronter l'épidémie. Nous avons téléphoné à nos patients sous traitement, mis en place des systèmes de livraison pour s'assurer qu'ils le poursuivaient, et rendu compte aux médecins traitants. Le problème a concerné vraiment les nouveaux patients et les traitements d'urgence – vous avez certainement constaté l'écroulement des traitements par antibiotiques, notamment. Les deux points de vue sont donc exacts : les médecins libéraux ont raison, car il y a eu un problème d'accès aux soins pour toute une catégorie de patients, mais nous nous sommes occupés des patients stabilisés.

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Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine

À propos des masques, il y a deux questions : d'une part, la doctrine générale concernant leur mise à disposition pour les professionnels et la population et, d'autre part, l'enjeu de l'organisation interne.

Je commence par l'organisation interne. Le 18 février, nous avons proposé nos services à Olivier Véran au cas où il rencontrerait des difficultés pour la distribution des masques aux professionnels de santé. Bien sûr, il n'a pas hésité un seul instant à solliciter le réseau ; il a bien fait. Mais on n'avait pas mesuré l'ampleur de la pénurie, ce qui nous a mis en difficulté.

Le 2 mars, nous avons commencé la distribution auprès des professionnels de santé. C'est seulement le 15 mars que les pharmaciens ont été inclus parmi les professionnels qui devaient en avoir pour se protéger des patients susceptibles d'être porteurs du covid-19, ce qui témoigne d'un manque de considération à notre égard. Les préparateurs en pharmacie, quant à eux, ne l'ont été que le 20 avril – nous avions bien sûr dérogé à la règle et fait de la désobéissance civile, faute de quoi ils n'auraient pas pu travailler… Quoi qu'il en soit, cela montre surtout l'absence totale de communication avec la cellule qui s'occupait de la distribution des masques. Nous découvrions en temps réel, sans en avoir été avertis au préalable, les messages dits « DGS-urgent » envoyés aux pharmaciens, alors que nos trois organisations devaient être des relais d'information auprès de l'ensemble de la profession. Certes, toutes ces informations n'étaient pas très importantes, mais on aurait pu nous les communiquer ne serait-ce qu'un jour avant. Par exemple, quand les chiropracteurs et les opérateurs funéraires ont été ajoutés aux professionnels ayant droit à des masques, cela nous aurait permis d'expliquer aux pharmaciens comment reconnaître un opérateur funéraire. Il a fallu que nous envoyions à Olivier Véran une lettre ouverte commune pour avoir enfin, au milieu de la crise, une ou deux réunions téléphoniques avec la cellule de crise ; ensuite, la communication a cessé à nouveau. Il faut dire qu'elle était d'autant plus difficile que les interlocuteurs changeaient : au bout de vingt jours ils étaient épuisés, passaient à d'autres dossiers et étaient remplacés, ce qui fait que nous n'arrivions jamais à avoir un véritable suivi et des contacts réguliers.

Je rappelle, pour information, qu'entre le 2 mars et le 5 mai, nous avons distribué des masques aux professionnels de santé. À partir du 5 mai, nous en avons distribué aux malades du covid-19 et aux personnes contacts, puis aux patients fragiles ; c'était une très bonne chose – nous l'avions d'ailleurs demandé. Nous n'avons été rémunérés qu'à partir du 11 mai pour les patients et du 2 juin pour la distribution auprès des professionnels. Autrement dit, nous leur avons distribué gratuitement des masques du 3 mars au 2 juin… Le rattrapage n'a pas encore eu lieu. Ajoutons que la rémunération des pharmaciens était de 1 euro pour la dispensation à un professionnel de santé et 1 centime sur le masque en lui-même. Nous devions compter les masques que nous distribuions : 18 pour les médecins, 24 pour les dentistes, etc. C'était un travail de gestion de la pénurie qui exigeait de tenir des comptes précis. Je considère qu'il y a eu, à un certain moment, un manque de considération au regard de l'investissement des pharmaciens, car toutes ces opérations ont été très chronophages. C'est d'autant plus dommage que c'était seulement une question de communication, d'organisation et de fluidité dans le système. Nous n'étions pas du tout réfractaires ; au contraire, nous étions volontaires pour aider. Cela a été un vrai raté.

En ce qui concerne la distribution masques au grand public, je reprendrai la chronologie : le 3 mars, réquisition globale des masques sur le territoire ; le 13 mars, précision concernant la réquisition – tous les types de masque sont visés ; le 20 mars, levée partielle de la réquisition pour permettre aux entreprises d'équiper leur personnel pour assurer la continuité de leur activité. Dans des laboratoires comme Sanofi ou UPSA, les salariés travaillant sur les chaînes de fabrication portent des masques, des charlottes et des blouses. Des entreprises comme EDF doivent elles aussi équiper leur personnel, qui intervient sur des sites où il y a plusieurs personnes.

Le 31 mars, puis le 5 avril paraissent deux instructions interministérielles, signées par le directeur général du travail, le directeur général de la santé, la directrice générale des douanes et des droits indirects et la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, c'est-à-dire les quatre grandes directions en charge du dossier. Dans celle du 5 avril, on lit la phrase suivante : « Il est précisé que les équipements de protection individuelle et les dispositifs médicaux » – cela concerne donc l'ensemble des masques – « mis à disposition sur le marché dans les conditions définies aux points I et II de l'instruction ministérielle […] du 31 mars relative à la mise en œuvre de la recommandation (UE) 2020/403 de la Commission européenne du 13 mars relative aux procédures d'évaluation de la conformité et de surveillance du marché dans le contexte de la menace que représente le covid-19 sont destinés à être mis à disposition des professionnels et ne doivent pas être commercialisés à destination des consommateurs ». C'est donc très clair : on réserve les masques aux professionnels de santé et au personnel au contact avec le public – les caissières de supermarché, par exemple –, mais leur vente au consommateur est interdite. C'était un choix politique, qui suivait une recommandation de la Commission européenne.

Le 8 avril, nous recevons un nouveau message DGS-urgent précisant que les masques ne doivent pas être délivrés sur prescription médicale : les masques du stock de l'État n'étaient pas destinés aux patients, fussent-ils fragiles, car il n'y en avait pas assez. C'est un choix ; nous devions le respecter. Nous répondions donc aux patients qui nous demandaient des masques, même s'ils avaient une prescription médicale, que nous n'avions pas le droit de leur en donner.

Le 28 avril, les grandes et moyennes surfaces (GMS) annoncent qu'elles ont acheté des quantités importantes de masques, 130, 150 voire 200 millions – on a assisté à une véritable surenchère – qui pourront être mis à la disposition du consommateur. Elles vont alors déployer toutes les pratiques commerciales classiques : le masque est devenu un produit d'appel, réservé par exemple aux détenteurs d'une carte de fidélité du magasin ou aux clients dont le caddie dépasse 30 euros, qui obtiennent parfois le droit d'acheter dix masques à prix coûtant. On en a même vu conditionnés dans des barquettes de viande, sur lesquelles on n'avait même pas pris la peine de retirer mention « à conserver entre zéro et trois degrés ».

Pendant des mois, nous avions dû expliquer aux patients que nous n'avions pas le droit de délivrer ni de vendre des masques au grand public, en application des consignes du ministère de la santé, qui s'appuyait sur une instruction interministérielle. Et voilà que le ministère de l'économie se met d'accord avec les GMS et publie avec elles un communiqué annonçant qu'une bonne solution a été trouvée, et que grâce à la grande distribution, tout le grand public – pas uniquement les patients – aura désormais accès à des masques ! Ce dysfonctionnement est très choquant. Dans une crise sanitaire, il faut un chef. Bien entendu, le Président de la République et le Premier ministre prennent les décisions, mais c'est le ministère de la santé qui doit se charger de les faire appliquer ; il est inconcevable que plusieurs ministères prennent des dispositions contradictoires, contribuant à brouiller le message et à mettre en difficulté une stratégie bien définie.

Avec Philippe Besset et Carine Wolf-Thal, nous avons essuyé des critiques que vous ne pouvez imaginer, mais nous avons tenu bon dans un contexte difficile, face à des injonctions parfois contradictoires, pour protéger la population. Mais on ne peut pas considérer une profession comme un simple exécutant : c'est un partenaire que l'on associe à la stratégie de santé publique. Nous ne pouvons pas nous contenter d'exécuter des ordres contradictoires, sans être avertis de leur évolution autrement que par le Journal officiel ou le dernier DGS-urgent.

Les médecins ont critiqué la manière dont nous avons effectué le suivi des patients. C'est un phénomène classique : l'intervention d'un pharmacien ou d'un infirmier suscite toujours des réactions négatives chez le corps médical. Mais nous avons simplement dit qu'un patient stabilisé, n'ayant pas besoin d'une consultation médicale pour réévaluer sa situation, ne devait pas se retrouver en interruption de traitement. Certains médecins ont aménagé leur cabinet pour se rendre disponibles, par exemple en recevant le matin les patients covid-19, l'après-midi les patients classiques ; nous n'avons jamais dit qu'il ne fallait pas aller chez le docteur, et nous avons même encouragé ceux qui le pouvaient à s'y rendre. Cependant, les quinze premiers jours, les médecins ont eu du mal à s'organiser – ce n'était facile ni pour eux, ni d'ailleurs pour les spécialistes ou les dentistes : ils ont été confrontés à des situations très difficiles, notamment pour gérer leur salle d'attente et leurs équipements de protection, interdits aux patients. Nous avons seulement dit que nous ne laisserions pas tomber un patient en difficulté, et qu'il aurait plusieurs portes d'entrée : le médecin et, à défaut, la pharmacie.

Nous sommes allés très loin dans cette démarche, par exemple s'agissant des traitements substitutifs aux opiacés, qui sont des médicaments sensibles, normalement prescrits pour une durée ne pouvant excéder vingt-huit jours ; pourquoi un patient stabilisé sous un tel traitement depuis deux ans aurait-il dû revenir tous les vingt-huit jours chercher une ordonnance ? Il n'avait à le faire que si une réévaluation s'imposait. Il en a été de même pour les traitements contre la douleur par stupéfiants : dès lors que le patient était stabilisé, nous avons automatiquement procédé au renouvellement. Évidemment, nous avons toujours pris soin de toujours solliciter l'avis du médecin : celui-ci donnait systématiquement son accord et, quoi qu'en disent certains leaders syndicaux, nous n'avons pas connu d'incident. Notre crainte était de voir certaines personnes profiter de l'occasion pour stocker des médicaments, mais l'étude EPI-PHARE montre que ce n'a pas été le cas : la consommation de médicaments pour traitements chroniques est demeurée stable – une augmentation aurait révélé des pratiques de stockage ; une diminution aurait signifié que certains patients avaient évité la pharmacie, et donc que notre système ne fonctionnait pas. Il faudra tirer les leçons de cette réussite.

Enfin, il est heureux que des pharmaciens aient pu délivrer des médicaments dans les EHPAD. Le personnel s'y trouvait en grande difficulté, et il n'était pas simple d'y faire venir des médecins. Ce dispositif, voulu par les pouvoirs publics et assumé par la profession, a bien fonctionné et a permis d'assurer la continuité des soins. Il s'agissait d'une prise de risque de la part de l'État, mais on ne pouvait pas laisser une personne âgée ou un patient chronique sans médicaments.

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Nous sommes profondément convaincus de l'importance de votre profession et de la nécessité de continuer à bénéficier de ce maillage territorial, essentiel en termes de santé publique. Nous souhaitons éviter que la pharmacie connaisse des difficultés comparables à celles que rencontre la médecine de ville dans de nombreux territoires. Vous pouvez compter sur notre reconnaissance et sur notre vigilance.

Quelle ont été les incidences de la crise sur l'activité de vos officines ? Comment les difficultés engendrées par la baisse de chiffre d'affaires peuvent-elles être surmontées ?

Certains de vos confrères ont été sanctionnés, poursuivis au pénal, jugés et très lourdement condamnés – par exemple à Nice –, au motif qu'ils avaient vendu des masques. L'interdiction était-elle totale ? Relevait-elle de l'ordre national des pharmaciens ? Vous avez rappelé votre étonnement lorsque les grandes surfaces ont annoncé qu'elles allaient vendre des masques, alors que ce n'était pas autorisé pour les officines. Comment avez-vous géré cette situation, et quelles ont été les instructions à ce sujet ?

Par ailleurs, quel était l'état de vos stocks avant la crise ? Auriez-vous pu distribuer beaucoup plus de masques ? Si cela avait été autorisé – pour les masques du stock d'État, il fallait passer par le réseau officiel –, auriez-vous été capables, comme certains l'ont dit, de vous fournir auprès de vos fournisseurs habituels ? Quelle a été votre relation avec Geodis, opérateur de Santé publique France dans la logistique de distribution ?

Enfin, comment les tests rapides d'orientation diagnostique se mettent-ils en place, et quel est votre regard sur les forces et les faiblesses de cette technique ?

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Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine

Le chiffre d'affaires des pharmacies d'officine a baissé de 15 à 20 % aux mois de mars et d'avril et de 5 % en mai, et il a continué à diminuer en juin. Je n'ai pas encore les chiffres de juillet mais si l'activité a connu une légère reprise, elle n'est pas revenue à la normale. Malheureusement, elle n'augmentera pas, les remboursements de médicaments par l'assurance maladie sont d'ailleurs encore en baisse.

S'agissant des masques, nous avions des consignes de l'État, c'est-à-dire du ministère de la santé, notre ministère de tutelle : nous n'avions pas le droit d'en donner ou d'en vendre aux consommateurs, y compris à des patients qui en demandaient, même s'ils étaient immunodéprimés. Puisque nous ne pouvions pas les écouler, nous avons prévenu nos fournisseurs : qu'ils n'aillent pas acheter des masques, puisque nous n'avions pas le droit d'en vendre… D'autant que le marché était totalement déstabilisé, avec des prix multipliés par vingt sur les sites de production, et un approvisionnement par avion, beaucoup plus cher que par la voie maritime. Nos fournisseurs nous sollicitaient, mais les consignes étaient très claires et certains pharmaciens avaient été rattrapés par la patrouille lors de la réquisition ; il était alors impossible de vendre le moindre masque. Il ne s'agissait absolument pas d'une consigne de l'ordre ou des syndicats, mais bien d'une directive du ministère de la santé. Nous ne savions pas que pendant ce temps, la grande distribution s'organisait non pour équiper ses personnels, mais pour acheter des masques en surplus afin de pouvoir les vendre. Cela s'apparente à un délit d'initié d'un mois ; en période de crise, c'est beaucoup. Si nous avions été prévenus que la doctrine allait changer pour que l'ensemble de la population soit équipé, dans la perspective du déconfinement qui aurait lieu le 11 mai, nous aurions pu nous organiser. Ce qui nous a gênés, ce n'est pas que la grande distribution participe à la mise à disposition de masques, c'est le fait que certains étaient informés et d'autres pas.

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Pouvez-vous approfondir cette question du délit d'initié ?

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Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine

Le 31 mars et le 5 avril, un texte dit que les masques ne doivent pas être commercialisés à destination des consommateurs ; lorsque le 28 avril, la grande distribution annonce qu'elle dispose de 150 millions de masques, elle n'a pas claqué des doigts pour les avoir ! Elle a dû savoir – nous ne savons pas comment – qu'elle pouvait en acheter car elle allait être autorisée à en vendre, mais l'information n'a pas été partagée avec nous. Si nous avions été avertis, les deux circuits auraient fait au mieux pour s'approvisionner et mettre à disposition des masques. Nous avons nous-mêmes demandé que l'on fixe un prix maximum, afin d'éviter que certains profitent de la situation – nous avons passé du temps, avec le ministère de l'économie, pour déterminer le bon calibrage, en observant notamment ce qui se faisait en Espagne et dans d'autres pays. Nous étions dans une stratégie d'accompagnement. Mais pendant trois semaines, certains ont respecté une consigne très claire tandis que d'autres s'organisaient en fonction d'informations qu'ils étaient les seuls à détenir. Nous ne savons pas ce qui s'est vraiment passé.

Geodis a été une mauvaise expérience. Cette société s'occupait de l'importation de masques venant en particulier de Chine et faisait sonne métier de logisticien ; la cellule de crise a cru qu'elle serait plus performante que les grossistes-répartiteurs. Elle a distribué des masques pendant une semaine ; cela a été un fiasco. Selon notre enquête, 10 % des pharmaciens n'ont jamais reçu de masques chirurgicaux, d'autres en ont reçu trop, et certains n'ont eu que des masques enfants alors qu'ils en avaient besoin de masques adultes ; il y a également eu des incidents, des cartons arrivés ouverts, et personne ne savait quelle quantité il devait recevoir. On a très vite mis fin à ce système, unanimement reconnu comme inadapté. Chacun s'est accordé sur le fait que l'approvisionnement classique par les grossistes-répartiteurs était plus performant et plus facile à piloter, même s'il a également connu quelques imperfections du fait de la pénurie.

J'ai été outré des propos tenus durant leur audition par les biologistes médicaux libéraux sur les TROD. Ces tests doivent simplement permettre d'informer les patients. Ils s'appellent TROD mais ce sont les mêmes que les tests diagnostiques rapides (TDR) utilisés en laboratoire de biologie médicale. Ce sont les mêmes tests, référencés et contrôlés par le centre national de référence (CNR) et leur fiabilité est comprise entre 98 et 99 %. La technique de dosage d'immunoabsorption par enzyme liée (ELISA) est elle différente.

Quel est l'intérêt des TROD ? Simplement de permettre à un patient de savoir – et ils sont nombreux à le souhaiter – s'il a rencontré le covid-19, par exemple au mois de mars, quand bien même son médecin en doute. Si le test sérologique est positif, cela signifie qu'il a rencontré le covid-19 ; le pharmacien, qui est resté dix minutes avec lui, lui explique qu'il doit continuer à effectuer les gestes barrières – ce qu'il faut faire quel que soit le résultat du test –, et avertit le médecin pour qu'il prescrive un test de confirmation en laboratoire. Le doute sera levé, et le patient pourra rejoindre un parcours de soins. Si le test est négatif, le médecin est également prévenu : il est important, par exemple si la personne développe des symptômes grippaux à l'automne, de savoir si elle a eu ou non le covid-19 ; le diagnostic pourra ainsi être adapté à la situation. J'ai eu comme mon confrère Philippe Besset un patient en pharmacie qui pensait avoir contracté le virus alors que son médecin n'était pas de cet avis. Le test a montré qu'il avait produit des immunoglobulines G (IgG), et avait donc eu la maladie. Nous avons fait confirmer ce diagnostic en laboratoire. Les TROD viennent en complément de l'action des laboratoires ; ils constituent une aide pour les médecins et un outil pour informer les patients.

Nous ne nous sommes pas arrêtés là. Dans le cadre de l'association PandémIA, nous avons travaillé avec des chercheurs, des médecins, des spécialistes en virologie de l'hôpital Cochin et des membres de l'académie nationale de médecine pour recueillir toutes les informations liées aux TROD, et en tirer une étude, sécurisée et anonymisée, sur l'immunité populationnelle dans chaque région française. Celle-ci permet par exemple de savoir que 2 % de la population a été touchée dans telle région, et 5 % dans telle autre. Nous utilisons donc ces tests à des fins de recherche. Ils ne se substituent pas aux autres tests, ils les complètent. C'est aussi rendre service aux laboratoires de biologie médicale et leur faire gagner du temps – les files d'attente y sont particulièrement longues en ce moment – en évitant de leur envoyer une personne négative. C'est de la totale complémentarité. Je regrette que les choses ne soient pas perçues de cette manière.

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Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France

L'économie officinale a souffert pendant cette période, mais il faut relativiser. L'ensemble des entreprises françaises ont subi la crise, et beaucoup ont fermé. De nombreux confrères, dentistes ou kinésithérapeutes, ont complètement arrêté leur activité. Plutôt que la vague épidémique, face à laquelle la pharmacie a économiquement tenu bon, ce sont bien les quinze projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) votés ces dernières années qui ont fragilisé le réseau. Comme les soignants de ville, nous avons bénéficié d'un accompagnement par l'assurance maladie, grâce à un dispositif d'aide destiné à pallier les baisses d'activité. Dans notre secteur, la crise économique a donc été correctement gérée ; c'est plutôt la tendance lourde, à moyen terme, qu'il faut critiquer.

S'agissant des masques, il y a eu une différence de perception et de réalité entre les doctrines et le réglementaire, ce qui a fini par poser des problèmes juridiques. Deux décrets ont été publiés, mais il y a un délai entre le moment où le décret est pris et celui où il est possible de l'appliquer, du fait du délai incompressible entre les commandes et les livraisons. Ce constat doit nous conduire à réévaluer l'importance du stock stratégique et du stock tactique.

Le 3 mars, l'État réquisitionne les masques de l'ensemble des particuliers et des professionnels en France. Avant cette date, le stock dont disposaient les officines était faible, car l'usage de cet équipement était très limité en France avant l'épidémie de covid-19. Nous vendions généralement des masques, non remboursables, à des parents malades qui voulaient éviter de contaminer leur bébé ou leur famille ; sinon, peu de ventes étaient réalisées, ce qui explique l'état des stocks.

Le 4 mars, il n'y avait donc déjà plus de masques dans les officines : ils avaient tous été réquisitionnés. Le 23 mars, on s'aperçoit qu'empêcher les opérateurs privés d'en acquérir est absurde ; le décret est modifié et l'État les autorise à le faire : une sorte de flotte corsaire commence ainsi à se constituer. Il y a alors d'un côté l'État, avec ses propres acheteurs publics, qui acquiert des masques pour le compte de la population ; de l'autre, les entreprises elles-mêmes, qui avaient le droit d'en acheter dans la limite de 5 millions chacune. J'invite alors les acheteurs du réseau officinal – grossistes-répartiteurs et groupements de pharmaciens – à s'en procurer également ; ce qu'ils font, mais il faut attendre un mois avant que les livraisons arrivent : pendant ce temps, nous n'avons toujours rien en stock. Il fallait donc se référer à la doctrine : celle-ci donnait la priorité aux soignants puis aux patients fragiles, et enfin seulement à la population générale parce que nous étions en situation de pénurie. J'ai ensuite attendu que les opérateurs, groupements et grossistes, aient eu le temps de s'approvisionner avant d'écrire aux officines, le 17 avril, pour leur dire d'acheter des masques elles-mêmes afin de se constituer des stocks à vendre, dans la perspective du déconfinement.

Le débat public autour de la distribution de masques montre à quel point l'incompréhension a été complète sur ce sujet, mais il est vrai que l'affaire était complexe. Qui devait la prendre en charge, et comment devait-elle s'organiser ? Était-ce l'État – c'est ce qui a été décidé –, ou le grand public et les professionnels eux-mêmes – éventuellement grâce à une aide publique ? Dans ma propre officine, je dispose de deux stocks correspondant à ces deux circuits distincts : 2 000 masques qui m'appartiennent, que j'ai acheté et que je peux vendre ; et 2 000 autres correspondant au stock d'État, que je distribue aux soignants de ville et à la population fragile sur ordonnance médicale. Cela a été très compliqué à faire comprendre : nous n'avions pas de masques à vendre ; nous avions des masques à distribuer, en fonction de ce que l'État nous demandait de faire – c'était lui qui donnait les ordres.

Geodis n'a fait qu'une seule opération. Le 3 mars, une fois qu'Olivier Véran accepte notre proposition de distribuer les masques aux soignants de ville, un premier stock d'amorce de 10 millions de masques nous est envoyé par les grossistes-répartiteurs. Geodis effectue ensuite la deuxième livraison, qui arrive le 18 mars. Elle est calamiteuse, et ce sera la seule. L'État choisit alors – par l'intermédiaire de Santé publique France, j'imagine –, de faire à nouveau confiance aux grossistes-répartiteurs ; ce sont eux qui se chargeront des seize ou dix-sept distributions suivantes, avec des livraisons hebdomadaires aux officines.

La réalisation des TROD en officine s'appuie sur la recommandation de la Haute autorité de santé (HAS) et sur un arrêté paru le samedi 14 juillet, autorisant les officines à s'en charger, mais de façon « sèche », sans doctrine, sans accompagnement, sans positionnement de ces tests dans le parcours de soins. Il nous manque aussi de l'information sur l'intérêt de la sérologie elle-même dans la lutte contre l'épidémie. Il est clair, le ministre l'a dit à plusieurs reprises, que le dépistage de la maladie se fait par réaction de polymérisation en chaîne (PCR), donc par analyse de la virémie. Il faut réfléchir à l'intérêt de la sérologie, qu'elle soit réalisée en laboratoire ou en officine : quelle est l'utilité pour le médecin de savoir si son patient a développé des anticorps ? Cela lui confère-t-il une immunité ? Cela signifie-t-il qu'il n'est pas contaminant ? On ne le sait pas.

Pour l'heure, le TROD ne présente qu'un intérêt documentaire pour les patients qui veulent connaître leur histoire, comme cette femme qui est venue récemment me voir car elle avait eu un syndrome grippal au mois de mars. Cela m'est également arrivé, et j'ai aussi fait le test ; le résultat a été négatif. C'est surtout utile pour les soignants, qui ont besoin de savoir s'ils ont été au contact de la maladie. Il permet aussi de soulager les laboratoires lorsqu'ils sont surchargés, et a aussi un intérêt réel en matière d'épidémiologie, mais il faut pour cela qu'un opérateur – public ou privé – fasse remonter les informations, et donc que nous sachions à qui transmettre nos résultats. Pour le moment, la sérologie n'a pas de place dans la stratégie diagnostique et dans le parcours de soins ; selon la HAS, son intérêt est épidémiologique et documentaire, mais j'attends qu'elle nous fournisse des compléments d'information.

La FSPF est favorable à ce que les pharmaciens puissent réaliser des TROD, mais cet arrêté qui nous autorise à le faire n'est pas suffisant. Nous voulons savoir quelle est leur place dans le parcours de soins et j'ai déjà interpellé le cabinet du ministre à quatre reprises à ce sujet.

Par ailleurs, l'arrêté autorise également les médecins généralistes à pratiquer les TROD, ce qui pose la question du coût. Le prix doit-il être libre ? Les tests sont-ils pris en charge ? Nous avons posé ces questions dès la parution de l'arrêté. Monsieur le président, vous pourriez peut-être relayer nos interrogations, car il serait bon que nous sachions quoi faire des résultats des TROD réalisés en officine…

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En tant que biologiste, cela ne me gêne pas du tout que les pharmaciens puissent faire des TROD, qu'il ne faut pas confondre avec les tests sérologiques, dont le prix est plus élevé – P45 au lieu de P35 : l'un est un test qualitatif, l'autre quantitatif. Le Haut Conseil de la santé publique, dans un avis du 8 juillet, et la Haute Autorité de santé, dans un rapport du 14 mai, précisent bien que, si les TROD ont un rôle à jouer, un TROD positif doit être confirmé par une sérologie quantifiée et que celle-ci doit être encouragée même dans le cas d'un TROD négatif. Évitons les querelles de chapelle : il y a de la place pour tout le monde.

Les problèmes de distribution que vous avez soulignés ont conduit à des difficultés d'approvisionnement en masques largement commentées. Comme biologiste, j'étais bien content de pouvoir m'approvisionner en masques chirurgicaux dans les pharmacies, mais j'ai dû aller chercher ailleurs les FFP2. Combien de pharmacies ont été approvisionnées en masques FFP2 ? Qu'en a‑t‑il été des masques destinés aux personnels des EHPAD et aux services de soins à domicile, pour lesquels des retards avaient été signalés ?

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Boris Vallaud et moi-même partageons bien évidemment votre conclusion sur le maintien du nombre d'officines. En tant qu'élus de territoires ruraux, nous mesurons le rôle pivot que vous jouez dans le dispositif de santé national.

Entre le décret du 3 mars et l'assouplissement du 20 mars, les stocks stratégiques sont restés stables, passant de 102 millions à 100 millions. L'État vous a‑t‑il associés, d'une façon ou d'une autre, à une réflexion sur l'usage de ces stocks ?

Par ailleurs, avez-vous élaboré une doctrine avec les pouvoirs publics pour éviter une pénurie de médicaments en cas de deuxième vague ?

Vous avez mentionné l'absence de communication entre les différentes autorités, ainsi que la compétition entre le ministère de l'économie et celui de la santé, autant de points qui confirment l'amateurisme dans la gestion de la crise et expliquent le fiasco du confinement. Ces obstacles vous semblent-ils avoir été surmontés ? Sommes-nous en état d'affronter une deuxième vague pandémique avec davantage de sérénité ?

Enfin, sait-on combien de TROD ont été vendus en France par les officines ?

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Vos représentations nationales ont-elles été associées au conseil scientifique covid‑19 ou au conseil de défense ? L'intérêt des TROD étant la réalisation de statistiques, de telles études sont-elles en cours ? Avec quelles institutions devriez-vous travailler pour les élaborer ? Enfin, les ARS font-elles partie de vos interlocuteurs ? Quelle est la nature de vos relations avec l'organisation territoriale de la santé et comment les améliorer ?

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A-t-on envisagé de faire appel à d'autres acteurs, comme l'armée ou les pompiers, pour distribuer les masques ?

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Je rejoins ce qui a été dit concernant l'accompagnement des patients au quotidien. Alors que la situation était extrêmement anxiogène, la présence d'interlocuteurs de proximité pour expliquer, rassurer et accompagner était particulièrement bienvenue : les pharmaciens ont été des acteurs clés dans cette période de crise.

Si vous n'avez eu aucun contact avec Santé publique France, qui a été votre interlocuteur ? Vous avez dit que les officines disposaient de peu de masques. Saviez-vous qu'il y avait eu en 2013 un changement de doctrine, selon lequel l'employeur devait lui-même acquérir des masques pour protéger ses salariés ? Les TROD font-ils l'objet d'une forte demande de la part de la population ? Combien en avez-vous réalisé ?

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Face à l'épidémie, vous avez dû vous adapter. Savez-vous si des pharmacies ont été complètement fermées ? Et où en est-on concernant les gels hydroalcooliques ?

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Pourriez-vous revenir sur les difficultés rencontrées par les pharmacies dans les commandes de masques ? Avez-vous ressenti une différence de réactivité dans les commandes, selon qu'elles avaient été passées par des groupements de pharmacies ou des pharmacies indépendantes ? Enfin, je comprends tout à fait votre colère à l'égard des grandes surfaces et de leurs effets marketing.

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Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France

Nous n'avons jamais été associés à la répartition des masques entre les officines. La dotation en masques FFP2 était très faible. Au moment du pic en matière de dotation, sur 40 millions de masques par semaine, seul un million était des FFP2. Nous n'avons pas de clé de répartition. Le stock aurait forcément été mieux géré si nous avions été associés à sa répartition.

Il y a deux sortes d'aides à domicile : celles qui ont des employeurs publics et celles qui dépendent d'employeurs privés, qui y font appel par le biais de chèques emploi-service. La doctrine a été fluctuante, si bien que pendant une semaine ou deux, nous avons dû fournir toutes les aides à domicile. Nous avons été en contact avec les mairies, mais nous manquions de masques. La collectivité municipale étant capable de s'en occuper d'elle-même, elle n'avait pas vraiment besoin de l'officine, si bien que rapidement nous ne nous sommes plus occupés que des employeurs privés, les communes ayant mis en place leur propre circuit d'approvisionnement.

Dans les pharmacies, il n'y a pas d'acte coté. Nous avons d'ailleurs interpellé le Gouvernement à ce sujet. Il n'y a pas de tarif de remboursement, ni de prix fixe, ce qui pose problème.

Quant à savoir si nous avons été associés à une réflexion sur l'avenir du stock stratégique et du stock tactique, figurez-vous que nous l'avons été… hier ! J'ai été en contact avec la directrice générale de l'organisation des soins, à laquelle j'ai fait part de notre indignation eu égard au fait que nous n'ayons jamais été en contact avec Santé publique France et qu'il serait peut-être temps de nous associer à cette réflexion.

À partir de moment où le décret est publié et où les commandes sont passées, il faut compter trois semaines avant de recevoir les stocks. De la même manière, quand on interrompt la distribution, il reste des stocks dans les tuyaux. Entre le stockage chez le dépositaire pharmaceutique CSP, celui chez les grossistes et ce qui reste dans les officines, on dispose du stock d'amorce pour fournir les professionnels libéraux de ville, autrement dit du stock tactique. Il faut environ trois semaines ou un mois de stock tactique prépositionné chez les professionnels et dans les entreprises, et la même quantité de stock stratégique, ce qui permet de tenir deux mois et d'organiser pendant ce temps la filière et le réapprovisionnement.

S'agissant de la pénurie de médicaments, nous avons tenu de multiples comités. Le 3 ou 4 mars, nous avons d'ailleurs eu une réunion avec le ministère de la santé sur les ruptures de médicaments. Il n'y a pas eu de rupture spécifique au covid‑19 pendant la crise épidémique ; nous avons craint une rupture sur le paracétamol, qui ne s'est pas produite. Il y a eu une rupture de stock concernant les médicaments à base de sartans, qui remonte à un problème industriel survenu en Chine. C'est un sujet complexe, qui appelle une réflexion stratégique sur le repositionnement en Europe ou en France d'une industrie du médicament.

Une précision : nous ne vendons pas de tests, nous les réalisons. Leur quantité est difficile à estimer. Si l'on part du principe que la moitié du réseau en pratique, soit 10 000, à raison d'une dizaine de tests par semaine dans chaque officine, on arrive, très approximativement, à environ 100 000 tests hebdomadaires. Il serait intéressant de faire remonter les données. Si les tests étaient remboursés, nous aurions des chiffres plus précis et pourrions mener une étude publique sur le sujet.

Nous n'avons pas été associés au conseil scientifique, pas plus qu'au conseil de défense. Nos interlocuteurs sont le cabinet du ministre, la DGOS, le DGS et son adjoint. Notre référent quotidien est le directeur de l'assurance maladie – nous sommes d'ailleurs orphelins en ce moment. C'est lui qui organise le système conventionnel et qui est en rapport avec les professionnels de santé de ville. Charge à lui de nous ouvrir les portes du système de santé général. Peut-être faudrait-il que nous participions à ce genre d'instances, mais nous ne pouvons pas être partout non plus…

Les pharmaciens ont des contacts avec les ARS, par le biais des unions régionales des professionnels de santé (URPS). Nos interlocuteurs sont, quant à nous, des interlocuteurs nationaux. Les présidents des URPS ont beaucoup travaillé avec les directeurs des ARS et ont beaucoup œuvré sur le terrain. Les ARS sont à la fois une aide et un problème. Par exemple, s'agissant de la traçabilité, nous n'avons pas été capables, à l'échelle nationale, ni nous, ni l'assurance maladie, de trouver la bonne personne pour organiser et développer un système de traçabilité des masques, alors que l'assurance maladie avait bâti un système d'information sur AMELI. La nature ayant horreur du vide, les ARS et les URPS ont créé des dispositifs régionaux de traçabilité très pertinents – Distrimasques dans le Grand Est, Gomask en PACA, MonPharmacien-idf à Paris –, dont on ne pouvait cependant rien faire, dans la mesure où ils n'étaient pas interopérables et qu'ils ne faisaient pas remonter d'informations. Les ARS sont pertinentes pour apporter des réponses locales, mais sont un problème dès lors que l'on a besoin d'une coordination nationale.

Je ne sais pas si l'on a pu imaginer que l'armée ou les pompiers participent à la distribution des masques. N'oublions pas que, pour la population, il n'y a que deux lieux de santé où l'on peut venir sans rendez-vous : les urgences et la pharmacie d'officine.

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Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine

Nous n'avons pas eu de masques FFP2 pendant deux mois : ils étaient réservés aux hôpitaux. Lorsque nous avons commencé à en avoir, ils sont allés en priorité aux dentistes et aux médecins qui travaillaient dans la sphère ORL. Les biologistes eux-mêmes avaient été oubliés au départ. L'absence de dialogue a créé des tensions inutiles : on aurait pu prendre le temps de s'accorder sur une liste.

Quant aux services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et aux EHPAD, c'est l'État qui s'en est occupé. Une pharmacie qui aurait livré des masques à un SSIAD de trente infirmières aurait épuisé son stock d'un coup. En revanche, nous avons donné trois masques par semaine aux personnes travaillant en contact avec les personnes âgées, sur présentation du chèque emploi service universel (CESU). C'est à de telles solutions que nous avons dû recourir pour éviter le stockage indu.

Les officines ont acheté un million de TROD à ce jour. Ils ne sont pas vendus à la population, mais réalisés à l'officine. C'est bien, comme son nom l'indique, un test d'orientation, qui ne permet donc pas de poser de diagnostic. Son intérêt est de faire entrer le patient dans un parcours de soins. C'est la même chose pour les angines : si le TROD révèle une origine bactérienne, il faut aller consulter le médecin ; si c'est viral, nous pouvons prendre le patient en charge sans risque.

Les ARS ont été confrontées, comme beaucoup, à un flux d'informations extrêmement rapide qu'elles ont dû traduire dans leur action de terrain. Dans les secteurs que je connais, elles ont été réactives, ont fait au mieux pour accompagner les professionnels, les hôpitaux, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), malgré les difficultés de la mise en place de la coordination. Les présidents des unions régionales des professionnels de santé (URPS) auraient pu vous faire part, à cet égard, de leur expérience du terrain. Des ARS et des présidents des conseils régionaux ont pris le relais, avec les présidents des URPS, et mené des actions intéressantes. Lorsqu'il y a eu une pénurie d'alcool, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans les Hauts-de-France, la mobilisation a permis de rassembler de l'alcool pour que les pharmaciens soient en mesure de fabriquer du soluté hydroalcoolique. Les préfets ont accordé à cet effet des facilités au niveau des douanes.

Pour ce qui est des médicaments, c'est nous qui avons demandé aux pouvoirs publics que le nombre de boîtes de paracétamol pouvant être vendues soit limité, afin d'éviter que les patients les stockent et ainsi créent la pénurie. La dispensation a été limitée à une boîte, voire deux, en cas de symptômes. La population, comme les pharmaciens, l'ont bien compris.

Nous avons alerté les pouvoirs publics car nous voyions arriver des prescriptions d'hydroxychloroquine. Nous avons estimé que, si nous laissions faire, nous nous retrouverions immanquablement en pénurie en quelques jours. Cela aurait privé les patients chroniques de leur traitement, tandis que d'autres personnes auraient utilisé ce médicament pour des indications non reconnues par l'autorisation de mise sur le marché. Nous nous sommes donc mis d'accord avec des médecins.

S'agissant des masques, je ne pense pas que d'autres acteurs aient été sollicités, à une réserve près. Alors que nous discutions depuis un mois et demi avec les pouvoirs publics, nous avons appris que La Poste allait distribuer les masques alternatifs aux patients bénéficiaires d'une complémentaire santé solidaire (C2S). On aurait pu nous dire qu'on ne souhaitait pas faire affaire avec nous – bien que nos demandes fussent très raisonnables – et qu'on préférait s'adresser à La Poste ; mais nous l'avons appris en regardant le journal de vingt heures ! C'est d'autant plus choquant que l'État avait demandé aux pharmaciens d'acheter des masques alternatifs, car il souhaitait privilégier leur usage par rapport à celui des masques jetables. Les pharmaciens se retrouvent donc avec des stocks, mais l'État a décidé d'utiliser les siens… On doit déplorer, là aussi, un manque de considération des pouvoirs publics.

Nous avons également fait preuve de responsabilité concernant les gels hydroalcooliques. Nous avons demandé aux pouvoirs publics d'encadrer les prix, pour éviter tout dérapage, et nous avons fabriqué du soluté hydroalcoolique. La grille des prix était surprenante : le prix du flacon de 100 ml était 1 euro plus élevé que celui du flacon de 125 ml. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) y regardait de près lors de ses contrôles. Cela étant, nous ne manquons plus de gel. Et nous avons retrouvé une quantité suffisante de flacons – ce qui n'était pas évident au départ…

Une grande solidarité s'est manifestée entre les pharmaciens et les organisations. Les officines, les syndicats, l'Ordre des pharmaciens et les groupements de pharmaciens ont travaillé ensemble. Ceux qui pouvaient obtenir des masques devaient les mettre à la disposition de toutes les officines, quelle que soit l'organisation à laquelle elles appartenaient.

Nous recevons beaucoup de demandes de TROD de la part de patients qui veulent connaître leur situation. Ils sont réalisés dans un esprit de complémentarité et s'inscrivent dans le cadre du parcours de soins. Au vu des polémiques, les pouvoirs publics n'ont pas organisé de remontée d'information sur les TROD ; s'ils l'avaient fait, la pression serait montée d'un cran du côté de nos confrères… C'est pourquoi nous avons passé un contrat avec COVIDIA, organisation d'intérêt public constituée, entre autres, d'une dizaine de médecins, membres de l'Académie de médecine, parmi lesquels des spécialistes en virologie. À l'aide de leur propre outil de collecte des données, ils avaient réalisé une étude pour déterminer combien de personnes avaient rencontré le virus à Rungis. Nous souhaitions en effet que les TROD effectués en officine ne servent pas uniquement à assouvir la curiosité – légitime – des patients mais offrent aussi une photographie de la contamination, région par région, département par département, afin de contribuer à orienter la stratégie de santé publique.

Je le confirme : nous n'avons eu aucune relation avec Santé publique France et nous n'avons pas participé au conseil scientifique covid-19. C'est encore la direction générale de l'offre de soins du ministère des solidarités et de la santé qui nous a contactés pour déterminer si nous allions continuer à distribuer des masques gratuitement aux professionnels à partir de septembre. De fait, notre interlocuteur est le ministère. Nous avons beaucoup travaillé avec des conseillers, qui connaissaient eux-mêmes une situation extrêmement difficile, car ils étaient très sollicités. Nous avions des relations quotidiennes avec le directeur de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) pour organiser le remboursement du renouvellement des traitements. Nous avons veillé à ce que la chaîne de traitement de l'assurance maladie suive, dans un contexte de télétravail généralisé. Dans la mesure où nous pratiquons le tiers payant – ce qui nous conduit à avancer les frais pour les patients –, il fallait impérativement éviter tout incident dans le mécanisme de liquidation des remboursements. Il convenait de prémunir les pharmacies, qui étaient en difficulté, contre tout problème de trésorerie lié à un retard de paiement de l'assurance maladie. Nous n'avons pas déploré d'incident.

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Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France

Nous avons appris le changement de doctrine de 2013 au cours des auditions que vous avez menées. Jamais personne ne nous a dit que nous étions chargés de nous approvisionner en masques…

Certaines pharmacies ont été fermées au cours du confinement : ainsi celles qui se trouvent dans les aéroports et les grands centres commerciaux – qui étaient eux-mêmes fermés. Ce ne fut le cas que d'un très petit nombre de pharmacies de proximité, du fait de la maladie d'un titulaire exerçant seul.

Après le 23 mars, j'ai demandé aux patrons des entreprises de répartition pharmaceutique et des groupements de pharmaciens d'acheter des masques. Tous les pharmaciens ont un grossiste-répartiteur et ont été logés à la même enseigne. Les entreprises m'ont rappelé pour me dire que les pharmaciens n'en voulaient pas. Le 17 avril, j'ai dit aux pharmaciens qu'il fallait les acheter, faute de quoi ils n'en auraient pas au moment où on leur demanderait de les donner ou de les vendre, compte tenu du délai de trois semaines entre l'achat et la vente. Le rôle des groupements a été très précieux ; ils ont joué le jeu pour tout le monde, pour leurs membres comme pour les autres.

Les patients éprouvaient une anxiété réelle ; le contact humain qu'ils ont trouvé dans les officines leur a fait du bien. Nous avons appris – là encore, à la télévision, en écoutant le ministre de l'intérieur – que les femmes victimes de violences pourraient donner l'alerte en pharmacie. Nous avons immédiatement donné notre accord, ce qui était naturel. Cette mesure était logique : nous étions le seul lieu ouvert, où il était légitime d'aller. L'officine était un lieu d'accueil.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du mercredi 29 juillet 2020 à 11 heures

Présents. - Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, M. Jean-Jacques Gaultier, M. David Habib, Mme Annaïg Le Meur, M. Jean-Pierre Pont, M. Boris Vallaud

Assistaient également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin