Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du mardi 28 juillet 2020 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • covid
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  • médecin
  • médecine
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  • réanimation

La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

L'audition commence à onze heures cinq

Présidence de M. Julien Borowczyk

La mission procède à l'audition du Docteur Agnès Ricard‑Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence (SFMU) ; des professeurs Hervé Bouaziz, président, M. Marc Léone, secrétaire général adjoint de la Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR), du professeur Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française (SRLF) et du docteur Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La crise sanitaire due à l'épidémie de covid‑19 a mis à rude épreuve l'hôpital et particulièrement les services d'urgence et de réanimation, de façon brutale et sans répit dans les régions les plus touchées.

Depuis le début de la surveillance le 24 février 2020, 175 000 passages aux urgences pour suspicion de covid-19 ont été enregistrées. À la date du 7 avril, considéré comme le pic de l'épidémie, 7 019 patients étaient pris en charge en service de réanimation. Le 21 juillet, 455 patients atteints de covid-19 sont toujours hospitalisés en réanimation, alors même qu'un certain nombre d'indicateurs repartent à la hausse. Le nombre hebdomadaire de nouvelles admissions en réanimation a cessé de diminuer pour la seconde semaine consécutive.

Si la maladie était inédite, la réponse qu'il a fallu construire au jour le jour pour, en particulier, prendre en charge les malades les plus graves ne l'a pas moins été. Nous attendons de votre témoignage des analyses des points forts dans la réponse apportée à l'urgence sanitaire, des points qu'il aurait fallu améliorer, ainsi que les perspectives sur la préparation nécessaire dans les temps à venir pour faire face au risque d'une nouvelle résurgence épidémique.

Avant de débuter, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Agnès Ricard-Hibon, M. Hervé Bouaziz, M. Marc Léone, M. Éric Maury et M. Patrick Pelloux prêtent serment.)

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

Je vous remercie d'avoir accepté d'auditionner les sociétés scientifiques de médecine d'urgence et de soins critiques.

Cette crise est inédite dans son ampleur, son intensité et sa durée. Elle a mobilisé l'ensemble des soignants et leurs partenaires, avec rapidité, efficacité et beaucoup de résilience.

En qualité de présidente de la Société française de médecine d'urgence (SFMU), je suis ici pour témoigner de ce que nous avons collectivement vécu lors de cette crise, avec une volonté d'objectivité et de rationalité, dans une démarche qui nous est familière : la démarche qualitative qui permet de détecter les imperfections pour proposer des mesures d'amélioration. Néanmoins, il nous semble important d'identifier aussi ce qui a bien fonctionné, afin de ne pas casser ce qui marche et consolider les facteurs de succès. Il y a eu d'énormes succès, et je tiens à remercier l'ensemble des soignants de médecine d'urgence, qui ont été en première ligne dès le mois de février, services d'aide médicale urgente (SAMU), structures mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR) et services d'urgence. Les applaudissements de la population ont été très appréciés.

Nous avons œuvré pour répondre aussi bien à l'urgence sanitaire du quotidien qu'à l'afflux des demandes spécifiques covid. Pour cela, nous avons modifié les organisations, avec une montée en puissance des effectifs d'assistants de régulation médicale (ARM) et de médecins, mais aussi et surtout nous avons modifié les procédures, avec un décroché rapide de priorisation de l'urgence vitale et un raccroché‑rappel pour le non‑vital, des salles dédiées covid, ainsi qu'un partenariat ville‑hôpital qui a très bien fonctionné. La forte mobilisation des généralistes venus renforcer les SAMU a rendu possible une collaboration très étroite qui a permis de gérer la dualité grave‑pas grave dans cette pathologie si particulière, avec des patients pouvant présenter un état faussement rassurant initialement mais se trouvant une heure plus tard en détresse respiratoire asphyxique.

Les échanges entre médecins généralistes et médecins urgentistes ont été extrêmement précieux. Cela a permis aux patients paucisymptomatiques de rester à domicile avec des conseils de médecins généralistes, sans surconsommation de ressources ; aux patients symptomatiques non graves d'avoir une téléconsultation médicale, et ensuite de pouvoir être vus par leur médecin traitant, quand celui-ci était équipé, ou de consulter dans des centres covid montés dans les communes ; et aux patients graves d'être priorisés dans les décrochés d'appel, avec une montée en puissance des SMUR qui a permis de prendre en charge les patients graves, de les réanimer à leur domicile, puis de les admettre dans les services de réanimation disponibles sans errance dans des unités transitoires inadaptées. Les admissions directes dans les services spécialisés covid permettaient en outre de ne pas surcharger les services d'urgence, où il y aurait eu un risque de contamination.

Les délais des décrochés au niveau des SAMU Centres 15 ont été optimisés pour les primo‑appelants par la priorisation des appels pour détresse vitale. Nous publierons des chiffres à ce sujet. Malgré la suractivité, nous avons pu obtenir ces résultats grâce aux modifications d'organisation, avec ce fameux décroché dit N1 et, dans certains territoires, des serveurs vocaux interactifs (SVI).

Nous n'avons pas été parfaits tout de suite, mais qui l'aurait été avec une activité multipliée par cinq ? Nous nous sommes organisés et les renforts ont été nombreux. La solidarité nationale a été exceptionnelle. Grâce à ce numéro santé unique, la régulation médicale en mode « service d'accès aux soins » (SAS), la coopération ville-hôpital, nous n'avons pas eu, comme en Italie ou en Espagne, des salles d'attente d'urgence ou des cabinets médicaux bondés, avec le risque de contamination de soignants ou de patients. Cela a été la force du système de santé pré-hospitalier : une prise en charge des cas graves et une protection du système de santé, aussi bien en ville qu'à l'hôpital, pour lui laisser le temps de se préparer.

Je vous ai adressé hier le rapport MARCUS 3, « Modernisation de l'accessibilité à la réception des communications d'urgence pour la sécurité, la santé et les secours », rapport interministériel basé sur le constat que les appels pour soins urgents et non programmés constituent le plus gros volume d'appels au quotidien. Nous avons pu capitaliser sur notre expérience du quotidien pour répondre du mieux possible à une situation inédite. Cela s'est mis en place nativement, en avance de tout cadre réglementaire car cela relevait de l'évidence et du bon sens opérationnel : faire travailler l'hôpital et la ville dans une gestion raisonnée des parcours de soins sur le territoire grâce à la régulation médicale commune.

Pour les urgentistes que nous sommes, d'un seul coup tout était devenu possible : la coopération entre la médecine de ville et l'hôpital que nous appelions de nos vœux, sans services d'urgence en surchauffe, contrairement à d'autres pays, sans freins à l'admission, sans stagnation des « patients couloirs », avec la maltraitance et la surmortalité bien connue de ces patients. La pertinence et la qualité des soins étaient au rendez-vous.

Ce qui a également bien fonctionné, c'est la coopération entre sociétés savantes, avec des partages d'information et de recommandations communes, et les Webinaires, notamment avec le Grand Est – plus de 1 000 urgentistes connectés –, qui nous ont permis de sensibiliser les professionnels et de nous préparer à la vague qui allait arriver en Île-de-France et ailleurs.

Concernant la gouvernance et le partage de l'information, il existe une diversité entre les régions. Globalement, nous avons apprécié cette gouvernance santé qui comprenait bien le problème capacitaire du système de santé, problématique principale. Les problématiques soulevées par les professionnels étaient entendues.

En Île-de-France, les conf calls quotidiennes des huit SAMU de la région avec l'Agence régionale de santé (ARS) et les établissements de santé permettaient ce partage d'information. La communication avec les préfets a également bien fonctionné. L'importance de la proximité de la salle de régulation avec la cellule de crise de l'hôpital a été essentielle pour organiser les filières de soins, notamment dans la coopération public-privé.

L'importance du niveau régional dans la gestion de crise a été confirmée. Le niveau départemental est important et nous a bien aidés, par exemple pour les ambulanciers. Mais pour la gestion des lits de réanimation, des équipements, des médicaments, des transferts extra‑régionaux, la coopération public-privé et le Plan blanc élargi, le niveau régional a été le plus pertinent.

Ce qui a moins bien fonctionné et qui mérite des améliorations, c'est tout d'abord le manque de matériel, d'équipements de protection individuelle (EPI) pour la médecine de ville et l'hôpital, ainsi que pour les partenaires, notamment les ambulanciers et les associatifs, et, dans les hôpitaux, le manque de possibilités de test, le manque à un moment donné d'oxygène, le manque de lits de réanimation, avec la crainte de ne plus pouvoir admettre les patients sur des critères éthiques et médicaux mais seulement capacitaires, qui ont imposé des transferts massifs. Ces transferts ont été un véritable soulagement, avec une expertise française qui mérite d'être soulignée. Le manque d'acteurs pour assurer les transports covid dans la phase initiale a été aussi une difficulté : dans certains départements, comme le mien, les pompiers n'engageaient pas sur des patients suspects de covid ou demandaient un relais par le SMUR ou les ambulanciers car ils n'avaient pas l'autorisation de transporter de tels patients. Il a fallu trouver des solutions alternatives. Les ambulanciers se sont fortement mobilisés mais n'étaient pas en nombre suffisant au départ.

Cette problématique a été finalement un facteur de succès grâce à deux mesures prises par l'ARS Île-de-France : l'augmentation des ambulanciers, notamment hors quota, et la permission de nous laisser utiliser les associatifs. Cette diversification des acteurs de transport est importante pour la suite en ayant fait sauter certaines contraintes réglementaires ubuesques qui autorisent les partenariats entre SAMU et associatifs sur Paris mais pas ailleurs.

La problématique démographique est également bien connue. Les renforts nationaux ont été très précieux.

La médicalisation variable des EHPAD n'est pas non plus une nouveauté. Nous avons initialement tenté de nous reposer sur la médecine de ville, mais nous avons rapidement identifié la nécessité de nous y investir dans des missions conjointes entre le SAMU, la filière gériatrique, la direction des établissements, avec là aussi des résultats intéressants pour l'avenir.

S'agissant des critères d'admission des personnes âgées à l'hôpital, ils ont probablement été mal compris, nous avons peut-être manqué de pédagogie. Nous avons traité les patients qui le justifiaient, limité l'excès de zèle, favorisé la pertinence des soins quand le pronostic était hors de toute ressource thérapeutique. La population a besoin de messages clairs pour avoir confiance dans la communication de sécurité sanitaire. La pédagogie grand public fait sans doute partie de notre rôle d'éducation thérapeutique : nous devons nous former et nous organiser en la matière.

Je terminerai en suggérant six mesures d'amélioration.

Un numéro unique santé à côté d'un numéro secours‑sécurité figure dans le rapport interministériel – santé et intérieur – MARCUS 3, basé sur un argumentaire scientifique rationnel et précis. Ce numéro unique santé répond à la demande des usagers, comme France Assos Santé, qui milite pour une simplification des numéros d'urgence mais avec une réponse métier apportée par des professionnels de médecine.

On a montré, dans cette crise, que l'organisation en amont avec nos deux ministères avait bien fonctionné. La coopération ville-hôpital au sein d'un SAS permet de s'appuyer sur des professionnels dédiés aux soins non programmés (SNP). J'entends ceux qui préconisent un numéro dédié à l'urgence versus le non‑urgent, mais qui peut prétendre que l'évaluation de l'urgence vitale, réelle ou potentielle, sera mieux gérée par des secouristes que par des médecins ? Ce n'est pas tant le numéro d'urgence qui importe que l'organisation mise en place ensuite et le service rendu à la population. L'exemple pluriquotidien des patients covid, c'est‑à‑dire la gêne respiratoire de l'appelant, qui pouvait être une gêne de l'angoissé ou une vraie détresse respiratoire covid, en est la démonstration. Les échanges entre les médecins régulateurs généralistes et urgentistes étaient importants. Le rapport MARCUS 3 répond à cette question et nous espérons une décision politique.

La deuxième mesure souhaitable est celle de la proximité des salles de régulation avec les SAS. Notre participation active aux cellules de crise hospitalières a été essentielle pour organiser les filières de soins directement dans les services spécialisés en évitant la stagnation des patients brancards dans les couloirs.

Troisième mesure : des partenaires de l'aide médicale urgente (AMU) diversifiés qui puissent répondre à ces missions différentes. L'expérimentation un peu obligée avec les associatifs a été riche d'enseignement : les ambulanciers pour le transport sanitaire urgent (TSU), les pompiers concourants du SMUR pour les cas graves, et les associatifs pour le médicosocial et les situations d'incertitude où l'on avait besoin d'un bilan secouriste urgent pour lequel on pouvait parfois laisser sur place. En outre, il faut supprimer ce mauvais principe de la carence, qui est le facteur majeur de conflit entre les pompiers et le SAMU.

Quatrièmement : des lits de réanimation dimensionnés à la gestion de crise, avec des « réanimations » extensibles qui permettent de faire face aux crises récurrentes et la régulation régionale des lits de soins critiques.

Cinquièmement : un logiciel de régulation adapté à la gestion de crise et aux remontées d'information.

Enfin : une meilleure médicalisation des EHPAD avec une entraide et des équipes mobiles de gériatrie, en collaboration ville-hôpital, des décisions collégiales et une pédagogie des décisions.

Au total, quand l'étau financier se desserre et que l'hôpital s'organise en filières de soins avec un vrai dialogue directeurs‑soignants et une place adaptée au non‑programmé dans l'hôpital, les professionnels de santé peuvent faire des miracles, et c'est ce qui a été fait.

Nous sommes inquiets d'un certain retour à ce que nous appelons « l'anormalité d'avant », quand nous entendons certaines prises de position. Nous espérons que les arguments scientifiques et rationnels centrés sur l'intérêt du patient prendront le dessus, aussi bien pour le quotidien qu'en situation de crise sanitaire.

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Hervé Bouaziz, président et de la Société française d'anesthésie et de réanimation

Les admissions en réanimation ont été gérées conjointement par plusieurs groupes médicaux représentés ici, permettant au total l'admission de 15 000 patients pendant la crise. Cette augmentation massive des admissions a été possible grâce à une communication entre les différents intervenants et une plasticité du système de santé qui a permis de déprogrammer les activités de bloc opératoire pour libérer, grâce à la double compétence anesthésie et réanimation plus de 2 000 anesthésistes-réanimateurs, 5 228 lits de réanimation éphémères dans des structures de soins continus, des unités de surveillance continue et des salles de réveil appelées majoritairement salles de surveillance post-interventionnelle (SSPI).

Le personnel soignant en renfort a été de l'ordre de plus de 4 000 infirmières et plus de 2 000 infirmières anesthésistes diplômées d'État (IADE), dont la formation a été accélérée par les structures en place telles que les centres de simulation, ainsi que les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) et les écoles d'IADE. Il faut d'ailleurs souligner la nécessité d'avoir des aides-soignants supplémentaires en réanimation. Le retour d'expérience suggère qu'un leadership médical, une organisation basée sur un modèle régional, une parfaite intégration des ressources tant du secteur public que du secteur privé, et la mise au service du médical des compétences administratives, ont été les clés du succès pour surmonter cette crise.

Une étude publiée en 2013 sur la population admise en réanimation, sur la base des analyses globales du Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et une analyse récente encore sous embargo, ont montré que l'on a conservé le même profil démographique pendant la crise covid-19, avec une surreprésentation de la tranche d'âge 65-80 ans – environ 40 % – et des patients ayant des comorbidités multiples. Le profil est plutôt masculin. Le recours à la ventilation mécanique a été nécessaire chez environ 50 % des patients ; 3 112 respirateurs ont été fournis pendant la crise, en addition aux presque 6 000 respirateurs existants.

La mortalité hospitalière a été de 21 % pendant la crise covid, de 4 % chez les moins de cinquante-cinq ans, 10 % pour la tranche d'âge 56-64 ans, 22 % chez les 65-80 ans, et 39 % au-delà de quatre-vingts ans. Ces données sont conformes à la mortalité observée en réanimation avant cet épisode. La mortalité en réanimation augmente d'un facteur neuf pour la tranche d'âge 80-84 ans, d'un facteur treize pour la tranche 85-89 ans, et d'un facteur vingt après quatre-vingt-dix ans. Ces chiffres permettront d'alimenter le débat sur l'éthique autour de l'admission de certains sujets âgés en réanimation, cette dernière n'ayant pas pour vocation de gérer la fin de vie mais de diminuer le risque de mortalité afin de retrouver une qualité de vie acceptée par le patient.

Nous avons été confrontés pendant la crise à des difficultés d'approvisionnement en matériel de protection, ce qui nous a conduits à des exercices compliqués de gestion des stocks, de recommandations variables selon les moments, et de cohérence face aux équipes sur le terrain, qui ne comprenaient pas forcément ce qui se passait. Nous avons également été confrontés à des menaces de pénurie de médicaments et de matériel de surveillance qui posent de sérieuses questions de sécurité.

Au total, nous avons vécu une crise profonde qui a mis en tension le secteur des soins critiques en France. La prise en main du leadership par des médecins et une administration active et facilitatrice, la transversalité et la collégialité entre les différents intervenants, urgentistes, anesthésistes-réanimateurs, médecins intensivistes, et la plasticité du système, notamment grâce à la déprogrammation des blocs opératoires, ont permis d'absorber un afflux massif de patients, sans les conséquences désastreuses parfois rencontrées dans d'autres pays. La crise a tout de même souligné la nécessité d'un panel plus important de lits en soins critiques sur le territoire, et du renforcement des cursus permettant des compétences plurielles, comme celui des anesthésistes-réanimateurs.

Nous remercions encore une fois les personnels médicaux et soignants, les administratifs qui nous ont fait confiance, et les Français qui nous ont massivement soutenus.

Les mesures essentielles d'amélioration sont donc les suivantes : recenser le capacitaire en matière de soins critiques et décrire comment l'augmenter en tenant compte des structures publiques et privées ; avoir un espace de communication entre les sociétés savantes et les tutelles, direction générale de la santé (DGS), direction générale de l'offre de soins (DGOS), Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ARS ; constituer un stock de médicaments, de dispositifs médicaux et d'EPI avec une gestion régionale ; assurer la formation des infirmières qui le souhaitent à la prise en charge de patients de soins critiques, maintenir cette formation dans le temps et ainsi disposer d'une réserve sanitaire, tout en augmentant le ratio de soignants par lit de soins critiques ; enfin, préserver la plasticité salvatrice de notre système de soins, qui ne peut reposer uniquement sur une logique économique ou une gouvernance administrative, ce qui implique de laisser la place à l'initiative médicale.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Cette crise, qui était au départ uniquement sanitaire, a constitué un événement exceptionnel ; on peut dire que le personnel soignant a sauvé notre pays. Cette mobilisation a permis, entre autres, d'augmenter notre capacité de réanimation, en faisant plus que le doubler. Alors qu'il s'établit normalement autour de 5 000 lits, au plus fort de la crise, le 9 ou 10 avril, il y avait un peu plus de 7 000 patients covid en réanimation, auxquels il ne faut pas oublier d'ajouter les patients non covid qui nécessitaient aussi de la réanimation.

Cette augmentation a été réalisée par l'armement de lits qui ne sont pas habituellement dédiés à la réanimation : lits de surveillance continue, lits de soins intensifs, mais aussi de SSPI et de bloc opératoire. Je remercie les collègues anesthésistes-réanimateurs, qui ont largement permis ce résultat et ont participé de manière efficace à son fonctionnement. Je remercie également les collègues réanimateurs du secteur privé.

Il faut bien comprendre que pour pouvoir faire de la réanimation correctement, il faut tout d'abord un espace minimal, de vingt à vingt-cinq mètres carrés autour du lit. Il faut des accès aux fluides et gaz médicaux, à l'oxygène, à l'air, au vide. Il faut en outre beaucoup de prises d'électricité car les dispositifs de surveillance sont nombreux. La contrainte logistique est donc importante.

On ne peut pas non plus faire de la réanimation sur n'importe quel lit. Un lit de réanimation permet normalement de mettre en toute sécurité les patients en décubitus ventral. C'est, vous l'avez vu, une stratégie souvent utilisée pour les patients infectés par le covid. Si on le fait de façon standard sur un patient intubé, ventilé, sédaté, curarisé, le patient sera sérieusement abîmé. On a beaucoup parlé du problème des respirateurs, et nous y reviendrons sans doute. Il faut également un dispositif de surveillance cardiaque et de monitorage de la pression artérielle invasive. Ces lits éphémères ne permettaient pas non plus, dans la majeure partie des cas, de prendre en charge d'autres défaillances, à savoir que l'on ne pouvait pas dialyser les malades en cas de défaillance rénale ni les mettre sous assistance extracorporelle si leur état le nécessitait.

Enfin, tous ces équipements ne serviraient à rien sans le personnel pour les faire fonctionner. Le personnel soignant n'a pas été créé ex nihilo ; 2 000 IADE sont venues aider en réanimation du fait de la déprogrammation, comme l'a souligné mon collègue, mais de nombreuses infirmières se sont aussi proposées spontanément. Dans mon cas, j'ai recruté des puéricultrices ou des infirmières libérales, par exemple, qui n'avaient de la réanimation qu'une très vague idée ; elles étaient très motivées et ont rendu un grand service, car nous avons pu les former assez rapidement, mais le métier de réanimation n'est pas quelque chose qui s'improvise, c'est une compétence spécifique, des machines à surveiller, un contact très particulier avec le patient, et cela doit être reconnu.

Malgré ces imperfections, les unités de réanimation éphémères, appelées unités hors les murs, ont permis de prendre en charge de nombreux patients. Néanmoins, le système est arrivé à saturation et nous avons dû recourir aux transferts. Il y a eu un plus de 660 transferts interrégionaux et transfrontaliers, à partir essentiellement du Grand Est et de l'Île-de-France, vers des régions moins touchées. En outre, une multitude de transferts intrarégionaux ont eu lieu, afin de désengorger des services de réanimation particulièrement saturés. Par chance, au début de l'épidémie, des régions n'ont pas été touchées par le covid, le Grand Ouest, le Centre, le Val‑de‑Loire, ce qui a permis d'absorber l'excédent de patients. Si nous nous retrouvions avec une deuxième vague présentant une épidémiologie différente, avec des clusters sur tout le territoire, la possibilité de transferts serait bien plus problématique.

En conclusion, je dirai que la crise a permis de constater que la réanimation est une spécialité indispensable, qu'il faut soutenir. Nous devons absolument inverser le mouvement actuel de diminution du nombre de lits de réanimation – au cours des dix dernières années, nous avons perdu près de 900 lits de réanimation sur l'ensemble du territoire – et augmenter nos capacités. Sans doute ne faut-il pas se fixer un objectif aussi élevé que celui de certains de nos voisins européens, notamment l'Allemagne, mais il est très difficile de savoir où il faut placer le curseur. C'est pourquoi nous avons engagé avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) une réflexion sur cette question très importante.

Disposer de structures de réanimation est une chose, mais encore faut-il les faire fonctionner. Lors de la première vague, nous avons largement fait appel aux bonnes volontés, notamment en faisant venir des infirmières de zones non impactées par le covid, mais en cas de deuxième vague, ces infirmières seront mobilisées dans leurs régions respectives. Nous avons fait fonctionner les nouvelles unités de réanimation grâce au renfort de différents personnels, par exemple des internes qui avaient fait un peu de réanimation et qui avaient mis fin à leur activité médicale ou à leur activité de recherche mais cela s'est fait à titre exceptionnel. Il est donc essentiel de renforcer le personnel médical des structures de réanimation et d'accroître la formation de médecins qui seront amenés à faire de la réanimation exclusive. En effet, ce n'est pas une activité que l'on peut faire de temps en temps, mais un métier exclusif. Dans ce domaine la compétence s'acquiert et est attestée par l'exercice quotidien.

Enfin, la spécificité et l'importance du métier d'infirmière en réanimation ont été mises en évidence par cette crise. Ce métier doit être reconnu et valorisé, car on ne parvient pas à fidéliser les personnes qui l'exercent et on assiste à une véritable fuite des compétences.

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Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF)

Il est important que les élus de la Nation procèdent à une analyse de la crise qui a frappé le pays. Je m'associe à mes confrères pour remercier nos concitoyens de nous avoir fait confiance, et je remercie aussi la France et son histoire : la sécurité sociale a en effet joué une fois de plus le rôle d'amortisseur face à la crise.

Si le service public a, à juste titre, été mis en avant, rien n'aurait été possible sans l'énorme mobilisation du système de santé. Le Président de la République a dit qu'il fallait « faire Nation » : nous avons le sentiment de l'avoir fait, et d'avoir servi – c'est bien ce qui comptait le plus durant cette période.

Les informations que nous avons reçues de la Chine au tout début de la crise étaient fausses, ce qui fait que lorsqu'il s'est ébranlé, le système de santé est parti dans le brouillard, et que la montée en puissance n'a été que très progressive. Je veux citer deux de mes amis qui ont vaillamment combattu le coronavirus et y ont malheureusement laissé leur vie, à savoir le docteur Éric Loupiac, de Lons-le-Saunier, et le docteur Jacques Fribourg, de Trappes. Le docteur Loupiac, qui avait une formation militaire à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, avait dès le départ insisté auprès de son directeur sur la nécessité de se protéger en portant un masque.

Je n'ai sans doute pas de leçons à vous donner à ce sujet, puisque je vois que tout le monde dans cette salle respecte les recommandations officielles, mais la nécessité du port du masque – et des EPI pour les soignants – est à mon sens l'un des enseignements les plus importants de la crise. Notre pays doit retrouver sa souveraineté en la matière. Comme vous l'avez dit, monsieur le président, nous sommes peut-être au début d'un nouveau pic, et nous savons maintenant que le port généralisé du masque, associé au lavage de mains et au respect de la distanciation physique, peut nous permettre de freiner, voire endiguer l'épidémie.

Je veux rendre hommage aux personnels qui ont travaillé dans des conditions très difficiles, qui n'ont pas compté leurs heures de travail ni pensé aux risques qu'ils couraient. Nous avons perdu des directeurs, des infirmières, des infirmiers et des aides-soignants. Tout le monde s'est donné à fond, parfois pour aller renforcer – ce qui, je le dis très humblement, a été mon cas – des services plus surchargés que d'autres. Contrairement à ce que l'on entend souvent dire, le but n'était pas d'éviter l'engorgement des urgences : il ne faut pas considérer les urgences comme un problème, mais comme une solution adaptée aux problèmes de la population. Je pense à un cas particulièrement éclairant sur ce point, celui d'une patiente présentant une embolie pulmonaire et dont l'état s'est progressivement aggravé durant dix jours avant qu'on ne la prenne en charge en réanimation : comme nous l'a expliqué son mari, le couple ne voulait pas se rendre à l'hôpital, par crainte d'attraper le coronavirus…

Les médias sont en partie responsables, et peut-être les professionnels de santé se sont-ils eux aussi mal exprimés, toujours est-il que les Français ne semblent pas avoir bien reçu notre message : nous voulions leur dire qu'il ne fallait pas hésiter à prendre contact avec son médecin traitant ou d'autres services médicaux, et surtout ne pas attendre de le faire par peur du virus. Communiquer sur ce point n'est jamais facile, a fortiori en période de crise, quand les gens sont angoissés. On a assisté, à Paris et en Île-de-France, à une baisse de 23 % de la fréquentation des urgences, et il est étonnant de constater que celle-ci ne remonte pas, ce qui semble signifier que les patients ont trouvé d'autres circuits pour se faire soigner. La question de l'accès aux soins est essentielle, et il ne faudrait pas penser qu'il y a eu durant la crise une espèce de Fashion Week, avec d'un côté les bons malades, atteints du coronavirus et qu'il fallait prendre en charge, et de l'autre, tous les patients présentant d'autres pathologies.

Si nous voulons moderniser notre système de santé, il faut revoir les choses afin de ne plus avoir d'un côté la médecine de ville, les cliniques privées, et de l'autre, les établissements participant au service public et le service public. Il faut orchestrer tout cela. L'entreprise est compliquée et entre probablement dans les prérogatives des agences régionales de santé (ARS). Fin février, j'ai été en conflit avec SOS Médecins, car leur difficulté à se procurer des tenues de protection avait fini par constituer un problème en termes d'accès aux soins. Pour améliorer l'accès aux soins, il faut réussir à faire travailler tout le monde dans le même sens. Les sociétés savantes auront à se prononcer sur cette question, notamment en matière de chirurgie, où il y a eu des retards dans la prise en charge – je pense notamment à la chirurgie des cancers. Je salue d'ailleurs le travail effectué cet été par les chirurgiens et les anesthésistes pour rattraper ce retard.

J'ai l'impression qu'on a fait subir un choc au système de santé en laissant de côté toute l'activité programmée pour ne plus se consacrer qu'au coronavirus, mais je ne sais pas si la suspension de l'activité habituelle a concerné toutes les disciplines, notamment la cancérologie et la cancérologie pédiatrique.

Pour en revenir aux effecteurs, si les pompiers ont pris en charge des patients covid, il est certain qu'à Paris, on n'a pas su travailler avec ces professionnels, et que la coopération avec eux est à revoir. Comme vous tous, je suis contribuable, et cela me contrarie de voir deux systèmes qui ne trouvent pas le moyen de travailler ensemble. Je ne suis pas opposé au développement des ambulances privées, qui se sont effectivement beaucoup impliquées, mais cela exigera une compétence et des mesures de qualité, de manière à être sûr que tout le monde fait la même chose.

Je voudrais remercier et féliciter le service de santé des armées (SSA) – que l'on entend peu –, notamment pour avoir mis en place l'hôpital de campagne de Mulhouse. Depuis qu'on a fermé l'hôpital du Val‑de‑Grâce, maladroitement, à mon sens, le service de santé des armées est en souffrance. Le Ségur de la santé a constitué une formidable mobilisation nationale, et je me félicite que le Parlement ait voté des crédits exceptionnels – là encore, c'est l'argent du contribuable –, mais il ne faut pas oublier le service de santé des armées, dont nous avons vraiment besoin. Pendant la crise, la question s'est posée de savoir s'il était possible de rouvrir le Val-de-Grâce, qui avait d'ailleurs été refait à neuf peu de temps avant sa fermeture : plus largement, je me demande si l'on ne pourrait pas envisager de rouvrir un hôpital militaire par région si une nouvelle crise de grande ampleur survenait. En tout état de cause, il faut travailler avec le service de santé des armées et sans doute lui redonner ses prérogatives.

Pour ce qui est des EHPAD, nous avions été auditionnés dans le cadre d'un avis rendu par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui a fait l'objet d'un rapport adopté en séance plénière en avril 2018. On parle beaucoup des ségrégations, mais l'une des plus sournoises est celle s'exerçant en raison de l'âge. Il faut la combattre, et nous avons en tant que médecins un rôle à jouer, car il faut bien reconnaître que nous classifions beaucoup trop nos malades en fonction de leur âge, c'est même le premier critère d'identification auquel on se réfère quand on parle d'un malade.

Ce qui se passe dans les EHPAD constitue un bon indicateur du niveau d'humanité de notre société : c'est là, en quelque sorte, qu'il faudrait placer le curseur – comme on le placerait dans les services de soins de suite et de rééducation pour l'accès à ces soins, ainsi que l'avait souligné le président de la République en évoquant la question des handicaps durant la campagne électorale de 2017.

La situation dans les EHPAD a souvent été très compliquée, notamment en ce qui concerne la mise à disposition de tenues de protection pour les personnels. Les choses ne sont pas simples en raison de la diversité des statuts que peuvent avoir ces établissements – certains sont totalement privés, d'autres appartiennent aux communes ou à d'autres collectivités territoriales. Je pense qu'il vous appartient d'orienter les évolutions à venir vers la qualité et l'humanisation.

En matière de gouvernance de l'hôpital, les choses n'ont pas été simples non plus. Comme je l'ai dit à Nicole Notat pendant le Ségur de la santé, parmi les réformes les plus importantes à accomplir figure celle relative à la démocratie à l'hôpital. La gestion de crise s'est, en effet, souvent traduite par la gestion d'une somme de corporatismes.

Globalement, nous ne nous en sommes pas si mal sortis, et je suis assez fier de la France, a fortiori quand on voit ce qui se passe dans d'autres pays qui donnent souvent le tempo des sociétés savantes, notamment les États-Unis ou le Royaume-Uni. Si nous pouvons être fiers, il existe cependant des marges de progression pour rendre service à la population et pour que le curseur de l'humanité reste placé là où le voulaient ceux qui ont construit la sécurité sociale.

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Je pense également que nous pouvons être fiers de ce qui a été fait et, à ce titre, je remercie une nouvelle fois tous les personnels soignants pour leur engagement, leur efficacité et la conscience professionnelle dont ils font constamment preuve.

Que pensez-vous des chiffres relatifs aux prises en charge aux urgences et en réanimation, et quelle est la typologie actuelle des admissions en termes de gravité et d'âge des patients ? Vous avez évoqué la plasticité du système de santé, c'est-à-dire sa capacité à faire preuve de réactivité, mais vous avez aussi parlé des problématiques de la gouvernance et du numérique. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?

J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'articulation entre privé et public et comment vous l'envisagez pour la suite, c'est-à-dire selon quel mode de gouvernance. Comment travailler ensemble sans évoquer la médecine de ville et la médicalisation des EHPAD ?

Quels ont été les critères de prise en charge des personnes âgées, en particulier dans les EHPAD ? Ces critères étaient-ils spécifiques à la crise du covid, ou s'agissait-il de ceux habituellement utilisés en médecine d'urgence ou en médecine de réanimation ? Y a‑t‑il eu des refus d'hospitalisation aux urgences ou en réanimation, et le cas échéant pourquoi ? A-t-on atteint une limite ayant entraîné l'obligation de procéder à un tri comme cela a pu être le cas en Italie ?

Pour ce qui est des transferts, pouvez-vous nous en rappeler les modalités, qui les organisait et quelles équipes accompagnaient les patients ?

Enfin, j'aimerais que vous reveniez sur le numéro unique en santé et sur la mission MARCUS 3, afin de nous préciser quelles seraient vos préconisations en termes d'organisation. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les carences auxquelles vous avez fait allusion, et ce que vous proposez pour améliorer la collégialité entre ceux qu'il est convenu d'appeler les « blancs » et les « rouges » ?

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

Il y a effectivement un frémissement en termes d'augmentation des appels dans les SAMU-centres 15 et l'on observe très attentivement deux indicateurs particuliers, à savoir le nombre d'appels de cas suspects covid et le nombre de transports des patients suspects covid. Quand ces chiffres augmentent, l'hôpital est impacté dans les dix jours qui suivent : être vigilants sur ce point nous permet donc d'anticiper. Le nombre d'appels augmente de façon variable en fonction des régions.

Pour ce qui est de l'âge des patients, sa moyenne semble diminuer, ce qui est inquiétant et doit nous conduire à faire preuve d'une vigilance accrue. Sans doute n'a-t-on pas utilisé les bons canaux pour que la jeunesse soit touchée par les messages pédagogiques qu'on lui a adressés, et cela doit donc être revu. Si les jeunes se sentent moins concernés parce qu'ils sont moins susceptibles que les autres de développer des formes graves de la maladie, ils peuvent contaminer leurs proches. Par ailleurs, ils vont être les premières victimes de la crise économique qui va suivre la crise sanitaire.

Pour ce qui est de la collaboration public-privé, nous identifions des marges de progression et d'amélioration dans la répartition des patients en fonction des plateaux techniques et des coopérations – aussi bien au quotidien qu'en période de crise. Nous avons très bien travaillé avec le privé, qui s'est beaucoup mobilisé, et nous avons modifié nos circuits d'orientation pour accueillir les patients : cela s'est fait initialement pour certains patients non‑covid, par exemple en traumatologie, puis également pour les suspects covid, en fonction des plateaux techniques dont disposaient les établissements privés. Nous avons été très agréablement surpris de la capacité qu'avait le privé à nous aider, et les choses ont plutôt bien fonctionné.

Pour ce qui est de la coopération avec la médecine de ville, à partir du moment où les médecins traitants ont été équipés, c'est-à-dire protégés, ils ont pu s'organiser pour prendre en charge des patients – certains dans les cabinets, d'autres dans les centres covid, parfois à l'initiative d'élus. Les centres covid ont été précieux en ce qu'ils ont constitué une réponse de ville pour les patients ambulatoires – en revanche, il existe en France une vraie problématique relative à la visite à domicile, notamment pour les personnes à mobilité réduite. Cette réponse de ville est probablement ce qui préfigure les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP).

J'ai fait référence à l'organisation de l'aval des urgences, caractérisée par une dualité entre le programmé et le non‑programmé. Durant la crise, tout était devenu possible pour les urgentistes, ce qui signifie que l'aval des urgences était devenu fluide et que l'on pouvait admettre des patients sans frein. Depuis le retour des soins programmés, on constate une nouvelle aggravation des difficultés en aval, notamment parce qu'il est difficile d'admettre un patient en chambre double quand il n'a pas été testé PCR négatif. Nous avions déjà alerté le ministère de la santé sur ce point : la solution consistant à transporter tous les patients aux urgences est l'une des causes de l' overcrowding et de la stagnation des patients aux urgences ce qui entraîne une surmortalité scientifiquement établie. Si on parle de la surmortalité dans les EHPAD, il faut aussi parler de la surmortalité quotidienne liée à une surcharge des urgences à laquelle il faut absolument remédier. Nous y avions travaillé avec le ministère dans le cadre du pacte de refondation des urgences.

C'est dans ce domaine que la régulation médicale française trouve tout son sens, et c'est la doctrine qui a été appliquée dans les EHPAD en recourant aux notions de juste soin et de pertinence des décisions. Certaines personnes âgées qui étaient covid‑positives sont restées dans leur établissement et s'en sont très bien sorties grâce aux conseils et la médicalisation reçus sur place, tandis que d'autres ont été hospitalisées – il a été fait le choix de procéder à des évacuations lorsqu'on sentait que la situation n'était pas gérable sur place, indépendamment de l'âge. Enfin, pour certaines personnes âgées en situation de détresse vitale, il a souvent été décidé, au moment de savoir s'il fallait les transporter aux urgences, qu'il valait mieux les faire bénéficier d'un accompagnement sur place, en écartant l'affirmation aussi hypocrite qu'erronée selon laquelle le transport aux urgences serait un remède universel. La sortie de réanimation est compliquée pour tout le monde, y compris pour les patients en bonne condition physique, car l'intensité des soins que l'on y reçoit équivaut pour le corps au stress résultant d'un marathon : or, imposerait-on à une personne âgée de quatre-vingt-dix ans de courir un marathon ?

À chaque fois que nous avons été confrontés à cette question, nous y avons répondu en raisonnant sur la base de critères déterminés en fonction d'échelles de fragilité et de dépendance, comme nous le faisons tous les jours pour les cas n'ayant rien à voir avec le covid. Il s'agit de se demander s'il y a un réel bénéfice à attendre d'un transfert aux urgences ou s'il vaut mieux organiser une prise en charge sur place. Pour prendre cette décision, nous nous sommes appuyés sur les gériatres, sur la médecine de ville, et même sur des médecins SOS impliqués dans les EHPAD, en nous fixant pour objectif que la prise en charge du patient en EHPAD soit comparable à celle dont il aurait bénéficié s'il avait été hospitalisé. Nous n'avons probablement pas fait preuve de suffisamment de pédagogie pour expliquer notre démarche. La vraie question à se poser n'est pas celle du nombre de morts : ce qu'il faut comparer, c'est le nombre de morts évitables et le nombre de morts non évitables, comme nous le faisons couramment en temps ordinaire, notamment en traumatologie. Les décisions ont toujours été prises en collégialité, et on a parfois envoyé une équipe de SMUR sur place afin d'évaluer la situation, en concertation avec le médecin régulateur et, le cas échéant, avec des gériatres.

Les transferts de patients ont eux aussi été décidés en fonction de certains critères, et ne se sont faits que pour les personnes capables de supporter un transport, en accord avec les familles. Les réanimateurs définissaient les types de patients pouvant bénéficier de ces transferts, avant que les équipes du SAMU n'interviennent pour les organiser. À un moment donné, il a fallu avoir une vision nationale, voire internationale, de la situation, et mettre en place une stratégie afin d'éviter d'évacuer des patients – notamment ceux du Grand Est – vers une région pouvant se trouver à son tour saturée en cas de deuxième vague.

Les équipes d'accompagnateurs provenaient soit de la région de départ, soit de celle d'accueil : des équipes de Bretagne ou de Nouvelle‑Aquitaine sont ainsi venues chercher des patients dans les régions les plus touchées. Une étude a été lancée sur ce point avec l'École des hautes études en santé publique (EHESP), la Direction générale de la santé (DGS), les sociétés savantes impliquées et le SSA – qui nous a bien aidés –, afin de déterminer ce qui a le mieux fonctionné. Objectivement, les transferts en TGV constituent une méthode offrant une très grande sécurité pour les patients par rapport aux transports terrestres. Ces derniers, qui ont été mis en œuvre dans les premiers temps, notamment en Normandie, présentaient l'inconvénient de soumettre les patients à des accélérations et des décélérations pouvant avoir des conséquences sur les constantes hémodynamiques et respiratoires de patients sévères, ce qui n'était pas le cas en TGV ; ils nécessitaient par ailleurs la présence d'un senior par véhicule en prévision des arrêts potentiels sur l'autoroute, alors que dans les TGV, il n'y avait qu'un senior et un junior dans une rame transportant quatre patients.

En nous donnant la possibilité de procéder à des évacuations en grand nombre à un moment critique – nous étions sur le point de voir les services de réanimation saturés –, les transports en TGV nous ont procuré un soulagement majeur, car ils nous ont permis de prendre des décisions d'admission en fonction de critères médicaux et éthiques, et non uniquement capacitaires. Certes, il y a eu des controverses sur le nombre de patients transférés et sur leur répartition dans les différentes régions, mais il faut reconnaître que ce dispositif, qui a très bien fonctionné et nous a été précieux, mérite d'être consolidé.

Il faudrait des heures pour détailler les arguments scientifiques pertinents qui justifient la création du numéro unique de santé. Prévoir une interconnexion avec le numéro secours sécurité, comme l'ont fait certains départements, évite de devoir ressaisir les données. Pour évaluer la gravité d'une situation, les premiers mots, prononcés spontanément, sont importants. S'ils ne sont pas recueillis par un professionnel de santé, nous risquons de perdre une information précieuse. Dans le rapport MARCUS 3, il apparaît que la grande majorité des appels au 15, au 17, au 18 ou au 112 portent sur des questions de santé. Ce ne sont pas tant les arrêts cardiaques qui posent problème, mais les urgences vitales potentielles masquées. Lors du pic épidémique, beaucoup de personnes appelaient pour des gênes respiratoires. Il pouvait s'agir d'angoissés, mais à moins d'envoyer tous les angoissés dans les services d'urgence en vertu du principe de précaution, une évaluation médicale était nécessaire pour déterminer quels patients avaient besoin du plateau technique, et lesquels pouvaient être confiés à la médecine de ville.

La coopération entre médecins régulateurs et généralistes a été quotidienne, nous avons ainsi appris beaucoup par les échanges médicaux entre confrères, notamment s'agissant des embolies pulmonaires ou de la nécessité de traitements anticoagulants précoces.

Les carences sont en partie responsables des tensions et c'est une question de budget. Tant que les pompiers et les élus penseront que les services des pompiers peuvent être financés par le SAMU, la tension persistera. Nous sommes complémentaires, et la coopération sur le terrain entre ces deux services publics fonctionne très bien. Il est donc dommage de donner cette image de conflit. Des difficultés ont existé au départ, car les pompiers ne transportaient pas les patients atteints de covid-19, et nous avons dû trouver des solutions alternatives. Dans les zones très urbanisées où les pompiers sont sursollicités, il faut diversifier les acteurs en partenariat avec le SAMU en incluant les ambulanciers privés. Il reste que certaines actions médico-sociales, dont les évaluations laissant les patients sur place, notamment les personnes âgées, ne peuvent être réalisées par les ambulanciers – payés au transport – et ne motivent pas les pompiers. Les associations, en revanche, ont envie de travailler avec nous et de réaliser ces missions ; elles ont été précieuses et réactives. Cette diversité des acteurs a permis de gérer le nombre important de demandes et de répondre aux besoins. Ce n'est probablement pas applicable dans toutes les régions, mais il existe aussi des blocages réglementaires sur ce sujet.

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Marc Léone, secrétaire général adjoint de la société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR)

Le nombre de malades covid décroissait régulièrement et nous envisagions de fermer les unités de réanimation spécifiques à la fin du mois de juin. En fait, ces unités n'ont pas fermé, elles sont restées ouvertes avec peu de patients. Nous avons accueilli quelques cas importés de personnes rapatriées en France, mais nous ne notons pas une explosion de nouveaux cas et les nouveaux cas semblent moins sévères que lors de la première vague. Le problème est que l'activité non liée au covid-19 explose, en raison du rattrapage de la chirurgie oncologique et de tous les patients chirurgicaux lourds, et d'une reprise inquiétante de l'activité traumatologique ; nous recevons un grand nombre de traumatismes de voie publique ou d'agressions. Si l'épidémie de covid-19 venait à empirer, il serait très difficile de concilier les deux activités.

Le mode d'organisation en région PACA a bien fonctionné, avec un médecin réanimateur à la tête de l'organisation régionale pour répartir les patients dans toutes les unités. Je partage l'avis de Patrick Pelloux, il faut en finir avec les clivages entre le privé et le public. Tous les établissements de santé ont la même mission et doivent travailler la main dans la main : c'est ce qui s'est passé pendant la crise. Ayant bénéficié d'un petit délai d'adaptation par rapport à d'autres régions, nous avons pu gérer la crise avec sérénité, en répartissant les patients, dont le nombre a été important, sur tous les établissements capables de les accueillir, en distinguant des établissements consacrés au covid-19 et les autres.

Pour nous préparer à une nouvelle pandémie, nous devrions nous demander si nous avons bien géré les patients qui n'étaient pas atteints du covid-19. Peut-être aurait-il fallu maintenir d'autres activités, notamment celles oncologiques.

Nous prônons donc une organisation très médicale, avec une direction régionale et des antennes départementales.

Vous avez parlé de triage à propos de la prise en charge des personnes âgées, mais le triage est le quotidien des réanimateurs. Ce triage est normal, encadré par des recommandations de sociétés savantes, et la réanimation n'est pas forcément le lieu où l'on doit venir mourir. C'est un lieu où l'investissement sur le patient est fort, pour lui donner une possibilité de sortie avec une qualité de vie conforme à sa demande. Il faut d'abord que le patient soit d'accord pour entrer en réanimation, et ce n'est pas le cas de tous, notamment des sujets très âgés.

Il n'y a pas eu de triage spécifique pendant le covid-19, sauf peut-être dans quelques établissements du Grand Est. Nous n'avons jamais eu à faire un triage sur le critère de l'âge, nous nous en sommes tenus aux critères habituels : la volonté du patient et le bénéfice de la réanimation par rapport au risque et à la pénibilité de cette hospitalisation. Je le rappelle, durant le pic épidémique, les familles n'avaient pas accès aux hôpitaux, ce qui signifie que des patients en réanimation sont parfois décédés après un long séjour, dans l'isolement le plus total, entouré du seul personnel médical pour lequel ce fut une épreuve très difficile.

Il ne faut pas considérer le triage de manière négative, c'est une activité routinière pour nous. L'accès à la réanimation n'est pas élitiste : la moyenne d'âge des patients y est de 65 ans, et la majorité des patients a entre 65 et 80 ans mais il faut toujours en espérer un bénéfice pour le patient.

Les transferts ont été faits de manière réfléchie, avec des anesthésistes réanimateurs et des infirmiers anesthésistes diplômés d'État (IADE). Cette solution a permis de passer le cap difficile de la crise dans le Grand Est.

Nous sommes moins concernés par le numéro unique de santé, mais nous sommes solidaires de nos collègues urgentistes. L'accès à l'hôpital et à la réanimation ne doit pas être automatique. Nous sommes favorables à un numéro unique, avec une médicalisation de l'appel et une utilisation rationnelle des établissements de santé.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Nous constatons un frémissement de l'épidémie. Sa typologie a changé et je suis surpris de voir tant de patients diagnostiqués en ville et très peu de malades en réanimation. Des analogies sont faites avec la grippe espagnole, qui est revenue une deuxième année, mais personne ne peut deviner l'évolution de l'épidémie.

La coopération entre privé et public a très bien fonctionné pendant la crise. Il y aurait beaucoup à dire sur cette coopération en temps normal, mais cela sort du cadre du débat.

Je partage les avis de mes collègues sur les critères d'admission des patients issus d'EHPAD. La durée moyenne en réanimation d'un patient ventilé était de deux à trois semaines, durant lesquelles il va rester endormi, sédaté, intubé, ventilé, curarisé, sans bouger. Au réveil, il ne pourra plus marcher ni se tenir assis, il lui faudra de longues semaines de rééducation. Comme le disait Agnès Ricard-Hibon, la réanimation est un marathon. Or il n'est pas raisonnable de faire subir une telle épreuve à des personnes très fatiguées et dépendantes. La stratégie d'admission en réanimation des patients venant des EHPAD n'a pas changé pendant l'épidémie de covid-19.

Comme vient de l'expliquer Marc Léone, nous trions tous les jours. Nous nous demandons toujours si la réanimation vaut la peine, parce que c'est un soin agressif, qui va faire souffrir le patient. Le choix n'est pas pertinent si sa qualité de vie est déplorable au sortir de la réanimation.

La situation est différente lorsque la question n'est plus de savoir si la réanimation est justifiée, mais s'il y a assez de places en réanimation. Il faut alors appliquer des algorithmes de priorisation car il n'y a pas les structures d'aval pour prendre les patients en réanimation. Ce cas n'a pas été très fréquent. Cela s'est produit dans le Grand Est lorsque les patients ont été plus nombreux que les respirateurs. En l'occurrence, des gens ont dû mourir parce qu'il n'y avait pas de respirateurs.

La priorisation est un exercice extrêmement difficile. C'est un exercice médical, qui doit se faire de manière collégiale en privilégiant l'expérience, le savoir-faire, le socle éthique. Les algorithmes de priorisation doivent être adaptés au niveau de saturation des établissements de santé. La commission d'éthique de la SRLF a édité des recommandations claires sur le sujet le 20 mars et le 9 avril. Il n'était pas question de prévoir des recommandations nationales alors que le niveau de saturation des réanimations était extrêmement hétérogène d'une région à l'autre.

Si des algorithmes de priorisation sont rédigés, il faut prendre garde au risque de leur instrumentalisation après la crise. Il pourrait nous être reproché d'avoir pris telle ou telle décision. Nous sommes restés très prudents, et nous avons bien marqué qu'il s'agissait d'un exercice extrêmement compliqué.

Les transferts ont sauvé le système, mais c'est une procédure dangereuse. Nous avons essayé de transférer les patients les plus stables, qui n'étaient plus curarisés ou qui n'avaient plus besoin d'être placés en décubitus ventral. Mettre un malade sur le ventre dans un TGV est extrêmement compliqué, c'est presque impossible sur un brancard.

S'agissant du numéro unique de santé, je suis d'accord avec mes collègues.

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Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF)

Grâce au travail de l'ARS d'Île-de-France, nous disposons des chiffres décrivant la situation de l'épidémie hier. Aucune région ne connaît la même situation actuellement et nul ne peut prédire l'évolution de la pandémie. Cependant, les systèmes mathématiques ne se trompent pas trop, notamment celui de l'INSERM, qui réalise des prédictions très précises. Le virus vient de l'est et se déplace vers l'ouest, et nous détectons des foyers – arrêtons d'employer le terme de cluster à ce sujet !

Hier, en Île-de-France, 233 appels ont été reçus pour suspicion de covid‑19, soit une baisse de 24 %, tandis que le nombre global d'appels au SAMU baissait de 5 %. Il y a eu 32 transports pour covid-19 en région Île-de-France, sur 13 millions d'habitants. Il ne faut cependant pas prendre peur. Nous sommes obligés d'informer la population, et notre éthique nous pousse à intervenir dans les médias pour faire passer les messages de prévention.

Les critères de prise en charge des personnes âgées correspondent à la recommandation régionale émise pour l'Île-de-France le 19 mars. Je l'ai apportée, j'imagine qu'Aurélien Rousseau vous l'a déjà remise, elle ne comprend pas de critère d'âge. Il est vrai que de petites tensions sont apparues ensuite dans des hôpitaux, et que certains ont instauré des critères d'âge, mais ils ont vite été neutralisés par des confrères et par les directions des hôpitaux.

L'effondrement du nombre de cas en traumatologie s'explique par le confinement : il n'y avait plus d'accidents de vélo, de trottinette ou de roller, à l'exception de quelques accidents domestiques.

Concernant le lien avec la médecine de ville, il faut maintenir celles qui a été faite. Les ARS doivent être les maisons des professionnels de santé, pas uniquement des médecins.

L'expérience de médicalisation des EHPAD menée à Amiens est juste. La structure du SAMU prend tout son sens : un travail entre les EHPAD et les équipes a permis de former le personnel aux gestes qui sauvent et aux critères de gravité, comme préconisé par le rapport au CESE. Quand le personnel des EHPAD appelle le SAMU, la pression artérielle, la fréquence cardiaque, la saturation, la température, le taux de sucre ou d'hémoglobine ont déjà été pris. Cela permet d'éviter aux personnes âgées d'aller aux urgences lorsqu'elles sont saturées, notamment les samedis soir quand il y a beaucoup d'états d'ébriété. L'intérêt est d'améliorer la qualité des soins, pas d'éviter aux patients d'aller aux urgences. Ces dernières sont la solution, pas le problème.

S'agissant des moyens de prise en charge et de la réanimation médicale, il faut permettre à plus de professions de renforcer les autres. Or la structuration des spécialités de médecine se fait en silo. La médecine d'urgence est devenue une spécialité, et nous ne pouvons plus revenir à la médecine générale, pas plus que les médecins généralistes ne peuvent devenir urgentistes. C'est une erreur : nous sommes en train de créer notre propre pénurie de médecins urgentistes. Les règles encadrant les spécialités sont trop rigides. Je ne suis pas réanimateur médical, mais j'ai été très heureux d'aller aider ces services en fonction de mes connaissances et de mes compétences. C'est la même logique qui nous conduit à demander la réforme de la loi de 1958 sur les CHU : des médecins travaillant dans d'autres établissements participant au service public hospitalier doivent pouvoir exercer des missions universitaires.

Face à la crise sociale et économique qui arrive, nous devons être responsables. La modernité est dans la coopération entre les systèmes, afin de définir qui fait quoi, au bon moment, dans l'intérêt du malade et de la santé publique. Assister plus encore la population serait une erreur : il faut rendre les gens responsables de leur parcours de soins. C'est ce que le législateur a instauré avec la loi Juppé qui crée le médecin traitant, puis la loi Touraine avec le parcours de soins. On ne peut pas donner aux gens un numéro de téléphone et leur dire que nous allons nous occuper de tout. Il faut ouvrir un débat avec les sapeurs-pompiers, il n'y a aucune raison de mener une guerre entre les « blancs » et les « rouges ».

M. Maury a évoqué l'effort considérable mené par le Quai d'Orsay pour rapatrier les malades atteints du covid-19. Au sein du SAMU de Paris, je m'occupe des rapatriements des Français organisés par la cellule de crise du Quai d'Orsay. La prise en charge varie beaucoup selon les pays, et nous prenons soin des Français atteints du covid-19 hors du pays.

À propos des transports régionaux, je voudrais citer trois personnes qui ont inventé ce concept : le Dr Jean-Sébastien Marx ; le Dr Christelle Dagron et du Dr Lionel Lamhaut. Ils travaillent au SAMU de Paris et ont réalisé l'exploit technique et logistique que constituent ces trains. Ce transport de malades stables a servi de soupape. Il convient également de remercier les pays frontaliers, comme la Belgique et l'Allemagne, de nous avoir aidés.

Nous n'avons pas à rougir de la qualité du débat scientifique en France par rapport aux États-Unis – je laisse de côté la question de la chloroquine. Il est important de reconnaître l'importance des sociétés savantes et de leur donner des statuts et une économie leur permettant de ne pas être systématiquement liés à des lobbies, tels que l'industrie pharmaceutique. Nous devons développer notre rayonnement international : l'expérience en France et en Europe sert le savoir de l'humanité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie tous, et à travers vous les professions médicales que vous représentez, qui ont vécu la dimension tragique de cette « guerre » en première ligne et sauvé un grand nombre de vies.

La mission d'information s'intéresse d'abord aux faiblesses de notre système, afin d'éviter que nous en pâtissions à nouveau. Il a tenu, certes, mais à quel prix ? N'est‑ce pas au prix de l'arrêt de toute activité, du non Covid-19 et tout particulièrement de l'oncologie, ce qui peut avoir de très graves conséquences sur le long terme ? N'a-t-il pas tenu en raison du tri, ou plutôt de la régulation, des patients à l'entrée en réanimation ?

S'agissant de leur âge, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et la direction générale de la santé (DGS) nous ont, à ma demande, communiqué un tableau qui montre très clairement que pour la France entière, mais plus encore pour l'Île-de-France, la proportion de patients de plus de 75 ans admis en réanimation s'est effondrée. Avant la crise, en 2018‑2019, cette tranche d'âge représentait entre 25 % et 30 % du total des patients. Or au moment du pic de l'épidémie, soit du 30 mars au 15 avril, ce pourcentage est tombé à 14 %, et même à 6 % en Île‑de‑France. Je m'interroge.

Alors que les personnes âgées ont été beaucoup plus touchées que les autres par le virus, on en a retrouvé une proportion plus faible que d'habitude au sein des services de réanimation : quelle appréciation portez-vous sur ces chiffres ?

Docteur Ricard-Hibon, votre position s'agissant des pompiers, qui selon vous n'auraient pas pris en charge les malades atteints de la Covid-19, me surprend : le conflit entre « blancs » et « rouges » paraît un peu dérisoire, tout comme celui qui a opposé certaines communautés scientifiques à propos de la liberté de prescription et des traitements. Dans mon département par exemple, les pompiers les ont naturellement pris en charge. Vous participez tous à une chaîne de secours et ces appréciations, apparemment éloignées de la réalité, semblent bien inutiles.

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

Je vous ai fait part de la réalité vécue dans le département du Val-d'Oise au début de la crise jusqu'au 16 mars, date à laquelle la doctrine a changé. Jusque-là, nous avons dû en effet, dès la fin du mois de février, gérer le cluster de l'Oise avec des ambulanciers ou des services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR). Il faut se rappeler qu'au départ, la crise n'était pas considérée comme grave et les pompiers souhaitaient rester sur leur cœur de métier, à savoir le problème vital. Il y avait un mouvement social portant sur le risque de sursollicitation et l'exercice de missions étrangères aux leurs.

C'est ainsi que les choses se sont passées dans mon département comme en attestent des documents en ma possession – je sais que j'ai prêté serment –, ce qui nous a effectivement contraints à trouver d'autres solutions. Je considère que cette évolution a constitué en définitive un facteur de succès dans la mesure où elle nous a permis de travailler sur le terrain avec d'autres acteurs qui peuvent couvrir le champ médico-social qui ne devrait pas, en effet, être dévolu aux pompiers afin que leurs capacités opérationnelles ne soient pas obérées.

Les ambulanciers privés auxquels on confie les missions de transport sanitaire urgent, ne disposent pas toujours d'une couverture leur permettant de répondre dans des délais raisonnables à des situations médico-sociales ou à celles pour lesquelles il existe un doute sur le caractère vital. Or les acteurs associatifs ont couvert un large champ, en permettant notamment d'évaluer la pertinence d'un maintien à domicile, ce qui ne fait partie ni des missions des ambulanciers ni de celles des pompiers. Si nous avons après le 16 mars très bien fonctionné avec ces derniers, nous avons poursuivi notre collaboration avec la multitude d'acteurs que nous avions contactés auparavant. Ces acteurs associatifs se sont mobilisés et ont été extrêmement précieux pour répondre de façon adaptée aux besoins de la population.

S'agissant du tri ou de la régulation en réanimation, nos procédures n'ont pas changé pendant la crise : elles nous amènent à vérifier l'existence d'un projet de vie compatible, et donc la capacité des résidents en EHPAD à supporter l'intensité des soins. Pose-t-on d'ailleurs réellement la question aux personnes âgées concernées avant de leur imposer un tel marathon, alors que l'on sait pertinemment qu'elles vont s'écrouler dans les premiers kilomètres ?

Si la solution de facilité consiste, hors contexte de crise, à transporter tout le monde aux urgences, est-elle vraiment dans l'intérêt des patients alors qu'ils bénéficieront finalement du même traitement que les soignants qu'ils connaissent pourraient leur dispenser, dans le confort de leurs EHPAD, sans avoir à attendre des heures dans un couloir des urgences sur un brancard ? En période de canicule, est-il nécessaire d'hospitaliser des personnes simplement pour les hydrater ? Pendant la crise, compte tenu du nombre de patients à prendre en charge les résidents des EHPAD auraient inéluctablement fini sur des brancards. Il était donc préférable de mettre en place des systèmes avec les filières gériatriques, avec les médecins traitants et, le cas échéant, les médecins coordonnateurs au sein des EHPAD.

S'agissant des résidents en détresse vitale, nous avons préféré les accompagner au sein de leurs EHPAD ; nous avons pallié le manque d'oxygène, l'anxiété ou la douleur dans des conditions de confort optimisées, plutôt que de les hospitaliser. Le traitement était le même.

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Hervé Bouaziz, président et de la Société française d'anesthésie et de réanimation

À quel prix notre système de santé a-t-il tenu ? La question est effectivement fondamentale s'agissant tant de la déprogrammation que de la reprogrammation. Les deux mécanismes ont pâti, parce que nous avons été pris de court, du manque de concertation avec les sociétés de chirurgie et d'endoscopie. Avant traitement, le cancer avéré doit être détecté. N'aurait-on pas dû maintenir en particulier les endoscopies digestives ?

En sortie de crise aiguë, il s'est en outre avéré difficile, du fait de conflits entre les spécialités concernées, de reprogrammer les interventions chirurgicales. Certaines de ces sociétés ont cependant joué le jeu en distinguant bien ce qui était urgent, ce qui pouvait être différé et ce qui pouvait possiblement se faire plus tard.

Il faudra en tout cas répondre à cette question du prix à payer, que le Dr Patrick Pelloux a également soulevée.

La Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR), qui a une position différente de celle de la Société de réanimation de langue française (SRLF) a, en plein pic épidémique, travaillé avec le Service de santé des armées (SSA) afin de prioriser les traitements de réanimation pour les patients se trouvant dans un état critique. Nous souhaitions ainsi anticiper un dépassement de tous les systèmes. Nous ne voulions pas nous en remettre au hasard ni appliquer une logique de premier arrivé, premier servi.

La SFAR a donc produit un écrit, que je transmettrai à la mission d'information, à ce sujet : s'il ne constitue pas un critère unique, l'âge, compte tenu du fait que les patients âgés ont les comorbidités les plus importantes, a nécessairement un lien avec le pronostic ainsi qu'avec le traitement ou non en réanimation. Les ressources rares doivent être allouées sans discrimination liée à l'âge, à l'origine géographique, à la position sociale ou à la situation économique. Le premier est bien entendu, comme l'existence d'un handicap, intégré à une réflexion sur le pronostic.

Le 28 avril, Dominique Vidal s'est étonné dans Mediapart de ces préconisations relatives à la priorisation des traitements – auxquelles nous n'avons pas eu heureusement à recourir. Or une telle priorisation fait depuis très longtemps partie de notre nature : les femmes et les enfants d'abord ! Personne ne le conteste.

L'entrée d'un patient dans un service de réanimation doit obéir, non pas au hasard, mais à des règles à peu près communes.

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Marc Léone, secrétaire général adjoint de la société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR)

Je n'ai pas eu accès aux chiffres que vous avez évoqués, mais je dispose de ceux fournis par une étude actuellement sous embargo menée dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI). Il apparaît que 14 % des 14 000 patients admis en réanimation au cours de la crise de la Covid-19 avaient plus de 80 ans. Dans une autre étude publiée l'an dernier, qui portait sur des patients ayant séjourné dans un service de réanimation en 2013 et qui ont été suivis jusqu'en 2016, ce taux était de 16,5 %. On enregistre donc une légère baisse au cours de la crise. Peut-être les patients atteints par le coronavirus étaient-ils plus âgés que les patients usuels ? Ce n'est cependant pas certain dans la mesure où la déprogrammation d'interventions en chirurgie cardiaque a par exemple écarté de la réanimation une population qui représente une grosse partie des admissions en réanimation chirurgicale.

Je ne pense pas qu'un tri volontaire ait été opéré lors de la crise. Il y a eu à tous les niveaux une rationalisation des admissions, sachant que les patients concernés peuvent eux‑mêmes ne pas être volontaires pour aller en réanimation. Selon une étude menée il y a quelques années sur des patients franciliens résidant en maison de retraite, 80 % d'entre eux avaient déclaré ne pas vouloir être hospitalisés en réanimation en cas de détresse. Améliorer la diffusion sur le territoire des directives anticipées en cas d'aggravation de l'état de santé peut donc constituer une piste intéressante, surtout pour la population âgée. Seuls 6 % des patients en ont rédigé une.

Hormis quelques cas individuels, il n'y a pas eu besoin d'appliquer, en réanimation, des systèmes de priorisation. Quelque chose s'est sans doute produit que l'on mesure mal mais il n'y avait pas de volonté de limiter l'accès à ces services aux personnes âgées. Comme vient de le dire le professeur Bouaziz, l'âge ne signifie rien en lui-même : il s'accompagne en effet d'un contexte et d'éventuelles comorbidités, mais les personnes âgées étant à cet égard les plus concernées, elles peuvent plus souvent ne pas être admises en réanimation.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Je reviens sur les chiffres que vous avez donnés, monsieur le rapporteur, concernant les patients âgés de plus 75 ans en réanimation en Île‑de‑France.

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Ils portaient à la fois sur la France entière et sur la répartition régionale.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

En vitesse de croisière, le taux de remplissage des lits d'un service de réanimation s'élève à 85 %, ce qui est considérable et n'offre qu'une faible marge de manœuvre. Au plus fort de l'épidémie, les services de réanimation franciliens affichaient complet.

Une baisse de la présence de patients âgés de 75 ans et plus signifie qu'ils y ont été remplacés par d'autres, plus jeunes. En outre, l'expérience nous a appris que le traitement de la maladie était long : ainsi les patients ventilés l'étaient-ils pendant deux ou trois semaines, voire plus. Or imposer un tel traitement à un patient âgé de 75 ou de 80 ans est complètement déraisonnable.

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M. Aurélien Rousseau, directeur général de l'Agence régionale de santé Île-de-France, nous a indiqué lors de son audition qu'il s'agissait d'une problématique statistique : dans l'augmentation du nombre de patients en réanimation, la part de ceux âgés de 75 ans et plus a stagné, et celle des plus jeunes a augmenté.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Comme nous avions atteint la saturation, si la part de la première population a diminué, celle de la seconde a mathématiquement augmenté.

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Certes, mais cela souligne a contrario que la régulation a pesé plus fortement sur la première qui était pourtant plus touchée par le virus.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Lorsque nous nous sommes rendu compte au cours de la phase initiale que la durée des séjours en réanimation allait s'allonger, il ne nous a pas semblé du tout raisonnable de les imposer à des patients âgés de plus de 75 ans.

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Si j'entends cette explication, totalement rationnelle, les chiffres en question traduisent néanmoins une réalité.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Je ne les ai pas contestés.

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Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF)

Il faut se reporter au nombre de fermetures de lits intervenues au nom de l'efficience et de la rentabilité au cours des dernières années, notamment en réanimation médicale.

Ainsi, à l'hôpital d'Orsay, le service de réanimation, qui fonctionnait très bien, avait été fermé neuf ou douze mois avant le début de la crise. La Commission médicale d'établissement (CME), dirigée par le Dr Bruno Faggianelli, ainsi que le directeur ont ensuite reçu pour instruction de la part de l'ARS de le rouvrir : ils n'ont eu qu'à en rouvrir les portes, le matériel étant resté sur place !

La mise en avant de principes liés aux comorbidités, au risque, à l'évaluation de la survie en réanimation a rendu la médecine soucieuse de respecter l'efficience économique. On a donc fermé trop de lits, ce qui a conduit à la saturation de nos capacités.

Ce qui s'est passé à Mulhouse est intéressant : l'hôpital de campagne n'a ouvert que pour offrir des lits en réanimation médicale, ou en médecine intensive, pas dans d'autres spécialités. Cela montre que nous sommes allés trop loin dans les restructurations et les regroupements.

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Si nous avons bien compris que l'accès des résidents en EHPAD à l'hôpital et à la réanimation se faisait en fonction de critères médicaux et éthiques, ces derniers étaient déjà appliqués avant la crise : d'où notre interrogation notamment sur les chiffres de la DGOS.

Professeur Maury, vous avez indiqué que des gens étaient morts en raison du manque de respirateurs. Ceux-ci n'ont été livrés qu'ensuite, au mois d'avril, c'est‑à‑dire après le pic, notamment dans le Grand Est. En outre, à un problème de quantité s'est ajouté un problème de qualité, puisque 8 500 appareils sur les 10 000 commandés se sont révélés plus adaptés au transport de patients qu'à la prise en charge des covid‑19. Qu'en pensez-vous ? La SFAR n'a‑t‑elle pas été mise devant le fait accompli ?

Docteur Pelloux, vous avez indiqué qu'on n'avait pas su travailler avec les pompiers : s'agissait-il d'un oubli, d'une demande ou d'une consigne, sachant que ces 250 000 femmes et hommes maillent parfaitement et finement le territoire national ? On nous a rapporté que certaines colonnes de renfort avaient été annulées et certains médecins sapeurs-pompiers débarqués : qu'en pensez-vous ?

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S'agissant des 8 500 respirateurs sur les 10 000 reçus au mois d'avril, pouvez-vous nous confirmer aujourd'hui qu'ils étaient dédiés au transport et qu'ils ne pouvaient être utilisés dans les services de réanimation ?

Sur le nombre de décès en réanimation, nous réclamons en vain un numérateur. Disposez-vous de chiffres à ce sujet ?

J'ai pour ma part une divergence avec les ARS sur les reprogrammations consécutives au déclenchement du plan blanc, qui ont été très tardives. La question a d'ailleurs été posée lors d'une précédente audition, et la raison invoquée était le manque de produits anesthésiques, en particulier le propofol. Pensez-vous que l'inaction des ARS dans certaines régions peut s'expliquer par une réelle pénurie de produits ? N'étant pas médecin et n'ayant aucune connaissance médicale, je souhaiterais savoir si les anesthésiques utilisés en réanimation et pour les opérations sont les mêmes, et s'il est possible que les ARS aient bloqué les commandes en attendant que tous les stocks de réanimation soient épuisés. Cette question, posée plusieurs fois, n'a toujours pas reçu de réponse, ce qui laisse penser qu'il y a un problème.

Enfin, l'objectif annoncé par le ministre de la santé d'ouvrir 4 500 lits de réanimation pour le 28 mars n'a pas été atteint. A‑t‑il selon vous été bien défini ? Dans quelles conditions pourrait-il être réalisé, si tant est que ce soit nécessaire ?

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

La prise en compte de l'âge et des comorbidités n'a pas commencé avec l'épidémie. Ce qui a changé, c'est la maladie. La prise en charge d'une pneumonie nécessite habituellement quatre à cinq jours de ventilation, ce qu'une personne de 75 ans peut supporter. Avec le covid‑19, pour une raison qui m'échappe, ce sont deux, trois, quatre, cinq, parfois six semaines de ventilation qui sont nécessaires. Nous nous sommes rapidement aperçus que les patients de plus de 75 ans que nous soumettions à ce traitement ne pouvaient faire les frais d'un tel marathon, et avons alors décidé qu'il n'était pas raisonnable de leur proposer la réanimation.

La DGS et la DGOS m'appelaient régulièrement au sujet du manque de respirateurs. Or, il n'y a qu'un fabricant français sur le marché, Air Liquide, et son rythme de production ne permet pas de produire 10 000 respirateurs d'un coup de baguette magique. Le seul matériel qui pouvait être fabriqué par l'entreprise dans le temps imparti était le respirateur Osiris 3 qui, bien que n'étant pas à proprement parler une machine de réanimation, pouvait, sous certaines précautions approuvées par la SRLF et la SFAR, être utilisé pour ventiler des patients atteints du covid. C'est pourquoi une commande de 8 500 pièces a été passée, ainsi que de 1 500 modèles plus modernes. Air Liquide s'est allié à PSA, Valeo et Schneider Electric pour la fabrication, et les respirateurs sont arrivés sur le marché à la fin du mois de mai.

Alors que nous étions sous l'eau, c'était notre seule bouée. Nous aurions préféré disposer de respirateurs de réanimation, mais nous n'avions ni le temps ni les moyens d'en faire fabriquer.

Concernant les morts en réanimation, le projet covid‑ICU – infection au covid-19 en réanimation – a été retenu dans le cadre du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) et s'est vu attribuer un financement. L'étude consiste à recenser les patients atteints de covid-19 admis en réanimation et à suivre leur devenir. Alors que près de 4 500 malades ont été entrés dans cette base, l'étude s'est arrêtée faute de moyens.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Il y a lieu de s'interroger, en effet : nous sommes face à une épidémie sans précédent, nous aurions pu compiler de précieux renseignements, et nous n'avons pas les crédits pour remplir la base, qui est de ce fait bloquée. L'implémentation de cet outil était d'ailleurs si difficile à réaliser, et nous avions une telle charge de travail, que nous avons dû faire appel à des élèves en école d'ingénieur.

Si les crédits nécessaires sont débloqués pour que la construction de cette base arrive à son terme, nous aurons certainement tous les éléments pour déterminer la mortalité en réanimation, qui n'est pas encore clairement établie.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

J'ai eu des contacts réguliers avec la DGS et des conférences avec la SFAR et des pharmaciens sur la baisse des stocks de médicaments, qui a plusieurs explications. Premièrement, l'afflux de patient a été inédit : il a fallu doubler la capacité de réanimation. Deuxièmement, il a fallu utiliser une quantité astronomique de médicaments pour sédater les patients sous respirateur : les malades doivent être complètement relâchés pour optimiser la ventilation. Parce qu'il était difficile de les faire dormir – une spécificité du covid qui reste inexpliquée –, nous avons dû faire des associations inédites et utiliser des produits inhabituels. Les stocks de médicaments étant proches de la rupture, leur utilisation a été rationalisée : la priorité est allée à la réanimation, et des chirurgies n'ont pas pu reprendre. Des produits tels que le propofol sont en effet utilisés dans les deux disciplines.

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Marc Léone, secrétaire général adjoint de la société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR)

Concernant les ventilateurs, la solution qui a été retenue était la moins mauvaise.

Je n'ai pas de chiffres de la mortalité en réanimation, mais selon l'étude du PMSI, la mortalité hospitalière est de 21 % : 4 % pour les moins de 55 ans, 10 % pour les patients âgés de 56 à 64 ans, 22 % pour les 65-80 ans, 39 % pour les plus de 80 ans. L'étude covid‑ICU est en cours d'analyse.

Je déplore, à l'instar de mon confrère le professeur Maury, les lourdeurs administratives et le manque de personnel qui entravent les procédures de recherche. Beaucoup d'études ont été lancées durant la crise mais n'ont pu être menées à terme faute de moyens humains. Il a fallu faire preuve d'inventivité pour trouver le personnel nécessaire. Nous avons pourtant obtenu beaucoup plus facilement les autorisations qu'en temps normal.

Le manque de propofol, de midazolam et de curare a-t-il été à l'origine des retards de reprogrammations ? La réponse est simple : la France disposait de quinze jours de stocks. Une seconde vague précoce aurait certainement entraîné une pénurie, sans possibilité de remplacement par des produits équivalents. Le propofol, le midazolam sont utilisés à la fois en anesthésie et en réanimation. Les flacons que nous utilisons à l'heure actuelle sont étiquetés en chinois, parce que les pharmaciens, submergés de travail, n'ont pas eu le temps d'y apposer des étiquettes en français. Il y a également des produits japonais. Pour le curare, c'est pareil. Les chaînes d'approvisionnement sont tendues, car nous sommes dépendants d'un très petit nombre d'usines situées en Asie du Sud-Est. La SFAR a lancé des alertes à ce sujet ces dernières années, le moindre dysfonctionnement pouvant rapidement entraîner une pénurie.

Quant à l'objectif de 4 500 lits de réanimation au 26 mars, je n'en sais pas davantage. Je crois que nous avons ouvert jusqu'à 10 000 ou 12 000 lits supplémentaires.

Le confinement a été très efficace : alors que nous nous attendions à devoir passer d'une capacité de 40 à 120 lits dans mon établissement, nous nous sommes finalement arrêtés à 85, et fort heureusement, d'ailleurs, car avec le personnel formé dont nous disposions, nous serions arrivés très rapidement à saturation.

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Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF)

Pour répondre à votre question, monsieur Gaultier, je vous livrerai un témoignage. À Paris, suivant la politique du chef de service, nous n'avons pas travaillé avec les pompiers, et n'avons eu aucun contact avec eux. Il y avait pourtant eu des tentatives : en 2008, avec la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS), la direction de la sécurité civile (DSC) et la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), en lien avec les syndicats de pompiers professionnels, les organisations d'urgentistes avaient essayé de trouver une méthode pour travailler ensemble. C'est d'ailleurs une réunion de ce groupe de travail qui m'a sauvé la vie le 7 janvier 2015, jour de l'attentat contre Charlie Hebdo.

Depuis lors, tout est à recommencer. Je ne suis pas contre la modernisation du SAMU évoquée par Agnès Ricard-Hibon ; il faudrait toutefois savoir où l'on va. On ne pourra jamais se passer des sapeurs-pompiers en France. Regardez-moi : porter un brancard m'est difficile. La réalité, c'est que nous avons besoin de jeunes, sportifs et entraînés, pour nous aider à brancarder. Parmi les missions régaliennes de l'État figure l'extinction de grands incendies tels ceux de Notre-Dame de Paris ou de la cathédrale de Nantes ; jamais vous ne pourrez demander au SAMU de s'équiper de grandes échelles. Un travail de coopération est donc nécessaire. Or, on nous a sans cesse mis des bâtons dans les roues, en demandant par exemple le remboursement des carences ambulancières des pompiers.

Tout est conflictuel dans ce système, et chaque personne autour de la table a de bonnes raisons d'être en conflit avec les autres. J'ai interpellé le ministre de la santé et l'ancien ministre de l'intérieur Christophe Castaner sur cette situation, dans laquelle les gens ne se parlent plus. Je suis convaincu que la modernité est dans la coopération. Sur le terrain, l'ambiance est courtoise, polie, fraternelle. Étant de garde la nuit dernière, je suis intervenu trois fois avec les sapeurs-pompiers, et tout s'est très bien passé, dans l'intérêt des malades. C'est cette fraternité qu'il faut retrouver au niveau des directions. À défaut, le coût sera exorbitant. Créer de nouveaux standards, payer des téléphones, du personnel, installer des systèmes informatiques. Les systèmes ne sont d'ailleurs déjà pas en lien les uns avec les autres, et chaque région a son propre mode de fonctionnement. C'est à s'y perdre !

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Hervé Bouaziz, président et de la Société française d'anesthésie et de réanimation

Il faut bien avoir conscience que les sociétés savantes ont eu peu de temps pour répondre aux questions qui leur ont été posées.

Une première question a porté sur la possibilité de ventiler plusieurs patients avec un même appareil. Des études ont été faites, en particulier à Brest, sur des cochons, et des modèles ont été présentés ; nous avons donc fait entendre notre voix sur le fait d'envisager cette solution. Fort heureusement, il n'a pas été nécessaire d'y recourir.

Une deuxième question, sur le choix des respirateurs Osiris 3, a été adressée à Éric Maury et à Xavier Capdevila, alors président de la SFAR. Il s'agissait également d'une solution dégradée, à n'utiliser qu'en dernier recours : ces matériels sont faits pour ventiler des poumons normaux, pas des poumons malades. En réanimation, il faut des machines permettant de faire des réglages subtils. La SRLF et la SFAR ont donc édicté des recommandations sur l'utilisation de ces ventilateurs. Je ne jette pas la pierre à ceux qui ont décidé de la commande de 8 500 pièces, car il fallait agir très rapidement, dans l'urgence, et c'est ce qui importe. Je ne suis même pas certain que ces machines soient préconisées pour le transport de patients – je laisserai le docteur Agnès Ricard-Hibon le préciser. Si rien n'avait été fait, on le leur aurait sans doute aussi reproché. Il y a quelques années, la décision de produire des vaccins qui n'ont finalement pas été utilisés a été vivement critiquée ; le raisonnement n'en était pas moins valable.

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Ces ventilateurs n'ont donc pas du tout été utilisés ?

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Hervé Bouaziz, président et de la Société française d'anesthésie et de réanimation

Non, pas à ma connaissance.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Pas en réanimation, en effet : les 8 500 modèles sont arrivés fin mai alors que la situation était déjà stabilisée. Toutefois, en cas de seconde vague à l'automne, de survenue d'un virus grippal concomitant d'une épidémie de bronchiolite, – en l'absence d'une telle épidémie au printemps, nous avons heureusement pu utiliser les capacités de réanimation pédiatriques – nous serons contents d'avoir fait fabriquer ces respirateurs, car peu de modèles des autres fabricants ont pu être produits durant la crise.

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

Les respirateurs ont été reçus mais n'ont pas été utilisés. Nous pensons d'ailleurs en réserver l'usage aux patients non atteints du covid-19, notamment dans les salles de réveil. Le traitement du syndrome de détresse respiratoire aiguë nécessite en effet une haute technicité en réanimation, y compris dès la phase de prise en charge par les SMUR. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous nous sommes opposés à la proposition de déséquiper les SMUR des respirateurs qu'ils utilisent au quotidien pour armer les services de réanimation. Il était à notre sens préférable d'utiliser des respirateurs moins performants pour la réanimation de patients non‑covid ou la fin de prise en charge des patients covid et de réserver les machines les plus performantes pour le traitement du covid en phase initiale et en phase de réanimation.

Pour le transfert des patients, les colonnes sont un dispositif moins sécurisant et moins efficace que le TGV, qui permet une meilleure stabilisation de la vitesse de transport, la mise à disposition de plus de personnel et de matériel, et la prise en charge d'un nombre de patients bien supérieur – vingt-quatre patients par TGV, soit quarante-huit pour deux trains accolés, contre seulement quatre ou cinq dans une colonne. C'est pourquoi nous avons privilégié cette dernière solution. La sécurisation des convois sur route, qui nécessite l'escorte de la police et présente des risques de freinage et d'accident, n'est en outre pas si simple.

Des évacuations héliportées ont également été assurées par le SSA, avec l'appui de médecins et de sapeurs-pompiers.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Pour en revenir aux respirateurs, et vous donner une idée de la pénurie à laquelle nous faisions face, j'ajouterai que j'ai lancé un appel aux médecins vétérinaires pour pouvoir utiliser leurs ventilateurs. En d'autres termes, c'était Osiris 3 ou rien.

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Hervé Bouaziz, président et de la Société française d'anesthésie et de réanimation

Du fait du niveau des stocks de médicaments, nous avons établi un partage des priorités entre services de réanimation et blocs opératoires, qui utilisent les mêmes produits, car rien n'avait été prévu en cas de situation de pénurie. Une utilisation parcimonieuse des molécules en tension a été préconisée dans des documents signés par la SRLF, la SFAR, la Société française d'étude et de traitement de la douleur (SFETD) et la Société française de pharmacie clinique (SFPC).

La situation de pénurie chronique remonte toutefois à très longtemps. L'une des raisons tient au fait que la France n'est pas la première servie lorsqu'il y a pénurie à l'échelle mondiale en raison du coût peu élevé des médicaments dans notre pays.

Au début de la crise, les discussions ont été difficiles avec l'ANSM, qui fonctionne en silos : chaque médicament dépend d'un bureau, et il n'y a pas de communication entre eux. Ce fonctionnement a heureusement été amélioré, et il ne faudra surtout pas revenir dessus, car il est très important de disposer d'un interlocuteur unique pour l'ensemble des produits en tension utilisés en réanimation ou dans les blocs opératoires.

Je ne voudrais pas que vous quittiez cette salle en pensant que le manque de propofol a été l'unique frein à la reprise de l'activité programmée, car l'explication est plurifactorielle. Les dispositifs médicaux étaient eux-mêmes en tension, et certains groupes de cliniques, comptant sur la compensation du Gouvernement, ont préféré continuer de réduire leur activité, même si les médecins libéraux y exerçant souhaitaient reprendre.

Les médicaments halogénés, que nous pensions proposer comme substitutifs en réanimation et en bloc opératoire, sont à leur tour en tension. Il faut donc réaliser une veille permanente des médicaments utilisés de part et d'autre pour ne pas être à nouveau confronté à une pénurie. Par précaution, nous avons par exemple commandé du gamma‑OH, que nous n'utiliserons qu'en dernier recours.

Il faut bien avoir à l'esprit que le contexte était particulier, et qu'on avait peu de temps pour réfléchir. Il ne faut pas jeter la pierre à ceux qui ont pris les décisions.

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Vous insistez sur le fait que la réanimation est un service particulier, d'une grande technicité – et je peux en témoigner –, et qu'il faut gratifier les infirmiers afin de mieux les fidéliser. Ne pensez-vous pas que c'est l'ensemble du personnel de ces services qu'il faudrait pouvoir fidéliser ? Au sein des équipes pluridisciplinaires, il faut que le binôme formé de l'aide-soignant et de l'infirmier fonctionne. N'est-ce pas injuste de fidéliser le second et pas le premier, qui arme la chambre ? Et il ne faut pas non pas oublier l'agent de service hospitalier.

J'entends bien que les respirateurs Osiris 3 aient été commandés dans l'urgence dans un contexte de pénurie de machines, mais à présent que nous sommes dans le creux de la vague, ne faudrait-il pas commander un matériel plus approprié en prévision d'une éventuelle seconde vague ? Vous semblez vous résigner au travail en mode dégradé. Pour ma part, j'ai travaillé dans un service de douze lits où il y avait cinq appareils différents. Bien que je ne fusse pas la plus performante de l'équipe, puisque j'étais là en renfort, je peux vous dire que le seul fait de lire les chiffres sur cinq appareils différents était une horreur. De telles conditions de travail présentent un danger pour les patients et font perdre du temps aux soignants.

D'après vous, selon quels critères – nombre de personnels, matériel – un lit peut-il être qualifié d'ouvert en réanimation ? Combien de lits de réanimation faudrait-il dans notre pays ?

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J'aimerais revenir sur les termes que vous avez utilisés, monsieur Pelloux : la culture du corporatisme, sujet vaste et complexe.

Je vous rejoins sur le fait que le rôle des politiques est d'organiser le travail entre les corporations. Toutefois, nous constatons depuis le début de nos auditions les querelles qui opposent les unes et les autres, querelles stériles et contre-productives car éloignées de la réalité du terrain, et vous y avez, à votre niveau, une part de responsabilité.

J'y vois plusieurs explications : le manque de reconnaissance de chaque corporation, et la démultiplication des interventions dans les médias. Je tiens d'ailleurs à saluer votre franchise quand vous admettez ne pas savoir. Que préconisez-vous pour une meilleure cohésion, et pour que la parole soit un peu plus rare et plus représentative, au service de l'intérêt général ?

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Je tiens à saluer la grande capacité d'adaptation dont ont fait preuve les personnels soignants de l'hôpital public durant la crise. C'est grâce à cette dynamique humaine que nous avons pu la surmonter.

Nous avons auditionné plusieurs directeurs d'agence régionale de santé. Ils comparaient la santé à un mammouth à plusieurs étages, dont le fonctionnement ralentissait la prise de décision. Avez-vous été victimes d'une telle lenteur ? Avez-vous été empêchés dans certaines de vos actions ?

Cette crise doit nous interroger également quant à l'organisation future du système de soins hospitalier. La gouvernance du centre hospitalier de Valenciennes a récemment été mise à l'honneur pour sa gestion décentralisée et ses résultats excédentaires. Nous savons que dans cet établissement une part plus importante est donnée aux soignants. Il n'y a pas d'un côté les administratifs, et de l'autre les soignants : les décisions sont prises de concert, dans un hôpital réuni. Est-ce un modèle vers lequel vous aimeriez tendre ?

Que pensez-vous du développement d'une culture de la prévention au sein des EHPAD, avec des équipes mobiles de pharmaciens et d'infirmières hygiénistes adossés aux hôpitaux pour initier au port du masque, de la blouse et autres gestes barrières ?

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Pourquoi n'avoir pas commandé chez Air Liquide le respirateur Monnal T60 habituellement utilisé en salle de réveil, ce qui aurait permis d'éviter les difficultés de lecture des chiffres pointées par Caroline Fiat ?

Les transferts en TGV à 600 ou 700 kilomètres du lieu de prise en charge des malades nous ont paru assez délirants, et certains de vos confrères les ont d'ailleurs critiqués. Pourquoi n'avez-vous pas plutôt rapproché les capacités de réanimation des patients, comme cela a été fait à Mulhouse avec le déploiement d'un établissement militaire de réanimation (EMR) ?

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Lorsque je me suis inscrite pour devenir réserviste sanitaire, la première question qui m'a été posée portait sur ma profession. Le courrier électronique que j'ai reçu dernièrement visait en revanche à savoir si j'avais des compétences en réanimation, ce qui me paraît plus pertinent, et laisse espérer qu'on cessera un jour de raisonner par métiers pour raisonner par compétences. Puisque le corporatisme vient d'être évoqué, la médecine est-elle prête à se décloisonner, à adopter un raisonnement plus ouvert sur les savoirs acquis, comme ce qui se pratique dans l'industrie pour répondre aux difficultés de recrutement ? Est‑elle prête à faire confiance aux autres professions pour rendre possible un travail en commun ?

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Madame Fiat, j'ai cru comprendre que vous travailliez en réanimation ?

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

La profession d'infirmière en réanimation nécessite des compétences spécifiques : savoir gérer une ventilation artificielle, surveiller une dialyse ou un oxygénateur à membrane extracorporelle – communément désigné par l'acronyme anglais ECMO. Les soins dispensés sont très particuliers. C'est un métier passionnant mais prenant, fatigant, d'où un turnover important : les infirmières ne restent dans ces services que deux ans et demi ou trois ans. Une fois qu'elles sont chevronnées, elles préfèrent partir pour un autre service ou en consultation, pour ne plus avoir à subir un tel rythme de travail, parce qu'elles sont usées ou pour convenance personnelle. Il faut trouver le moyen de fidéliser le personnel compétent pour préserver la qualité des soins, car ces services s'appuient sur une équipe : sans infirmières ni aides-soignantes, les médecins ne peuvent rien faire. Pendant la crise, des infirmières qui n'avaient aucune compétence en réanimation sont venues en renfort. Il a fallu par exemple former des puéricultrices en vingt-quatre heures à l'utilisation d'un respirateur, ce qui est aussi aberrant que d'enseigner la conduite pendant deux heures puis de lâcher l'apprenti sur l'autoroute ! Il ne nous était alors pas possible de faire autrement, mais voilà une difficulté qu'il faudra résoudre.

Dans les années deux mille dix, du temps où l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) assurait la gestion des moyens de lutte contre les menaces sanitaires graves, des respirateurs avaient été achetés en prévision d'une épidémie de grippe qui n'a pas eu lieu. Avec sa disparation, on a perdu la trace de ces matériels. Il me paraît donc nécessaire de disposer d'un stock pour ne pas se retrouver complètement démuni face à l'adversité, et de ce point de vue les Osiris 3 sont des machines qu'il faut avoir.

Vous dénoncez la multiplication des respirateurs différents. Je travaille dans un service où je suis depuis très longtemps fidèle à une marque de respirateur. Avec la crise, nous avons équipé une nouvelle unité dans laquelle il n'y avait rien ; il a donc fallu apporter des Scopes et des ventilateurs. Puis nous avons reçu un stock de ventilateurs, qui n'étaient pas de la même marque et que je ne connaissais pas. C'était mieux que rien mais j'aurais préféré avoir ceux que mes infirmières et moi savons faire marcher les yeux fermés.

Les unités éphémères de réanimation, ou unités hors les murs, peuvent faire de la réanimation mais ne font pas tout. On ne peut pas dialyser les malades. Les lits ne sont souvent pas de qualité exceptionnelle et, quand nous faisons du décubitus ventral, les malades sont abîmés. C'est une question à laquelle il faut réfléchir car ces unités ne sont pas une solution. Nous étions dos au mur et ne pouvions pas faire autrement, nous avons fait ce que nous avons pu mais je l'ai dit et je le répète : je n'aurais pas aimé qu'un parent à moi aille dans cette réanimation-là, car ce n'est pas ce qu'il y a de mieux, même si c'était évidemment mieux que rien.

Une unité de réanimation doit compter au moins huit ou neuf lits pour bien fonctionner. C'est une première contingence. La deuxième, c'est la permanence des soins : il y a un médecin de garde la nuit. Quand il travaille la nuit, il ne travaille pas le lendemain, c'est un repos de sécurité. Il faut en outre pouvoir prendre ces gardes, ce qui n'est pas possible si le médecin est seul. Nous avons donc décidé qu'il fallait être au moins six ou sept équivalents temps plein (ETP) pour faire tourner un service. Pendant les vacances, quand deux partent prennent leurs congés, un médecin est de garde tous les trois jours. C'est ce que nous avons signé, mais c'est difficile. Les recommandations européennes sont de neuf ETP pour une unité de réanimation de douze lits, accolés à cinq ou six lits de surveillance continue.

S'agissant des lenteurs de l'ARS, j'ai une anecdote qui ne manque pas de sel. Au moment de la grande souffrance des hôpitaux du Grand Est, je me suis dit qu'il fallait lancer un appel à la solidarité nationale. J'ai donc adressé une lettre à un journal, lettre que j'ai fait signer par le prédécesseur du professeur Bouaziz, M. le professeur Capdevila, dans laquelle je disais qu'il fallait aider le Grand Est et pour cela recruter infirmières, aides-soignants, médecins. J'ai appelé le directeur général de la santé, M. Salomon, pour lui demander s'ils n'avaient pas déjà une telle initiative de leur côté ; me répondant que non, il m'invitait à appeler la réserve sanitaire. À ce moment-là, le standard de cette dernière ne marchait pas. C'est donc moi qui ai créé une adresse Gmail, VenezaiderleshôpitauxduGrandEst.gmail.com. Nous avons ainsi reçu les renforts d'une centaine de soignants. J'ai alors téléphoné au directeur des ressources humaines de Colmar, de Mulhouse, de Strasbourg, pour leur demander leurs besoins. Au bout de cinq, six jours, l'ARS du Grand Est m'a interpellé en me disant qu'il était impossible de s'adresser soi-même aux soignants dans les hôpitaux. Je leur ai dit qu'ils étaient des bureaucrates et que je faisais de l'humanitaire. Ils se sont adoucis par la suite mais on a le sentiment qu'on ne marche pas dans le même système.

C'était fin mars. Mais le summum, c'est quand le directeur de l'ARS du Grand Est a annonçé, le 4 avril, qu'il allait faire disparaître des postes et des lits.

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Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF)

Je pense qu'il a juste répété ce qu'on lui avait dit au ministère.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Pour faire un Osiris 3, il faut très peu de temps et très peu de matériel, c'est d'une logique simple. C'est pour cette raison qu'ils ont pu se faire aider de fabricants du secteur automobile entre autres. C'est sa simplicité et sa rapidité qui a fait choisir ce respirateur. Nous aurions bien sûr aimé avoir des Monnal T60 mais nous n'avons pu en avoir que mille.

S'agissant de l'hôpital militaire et, de la question de savoir pourquoi ce n'est pas l'hôpital qui s'est déplacé, c'est vrai qu'en Chine ils ont construit deux hôpitaux en dix jours. C'est, à un moment, ce que j'ai proposé, parce qu'un collègue à Mulhouse intubait seize malades par jour et que l'hôpital militaire avait saturé en une journée. Il a donc fallu transférer des patients, nous n'étions pas en mesure de répondre à cet afflux.

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

Je partage ce qui vient d'être dit. Nous avions déjà doublé, voire, dans certains départements, triplé les capacités de réanimation, nous n'étions pas en mesure d'ouvrir d'autres réanimations dans des conditions de qualité et de sécurité. Il valait mieux transférer les patients ayant des critères de transfert possible dans de vraies réanimations avec l'ensemble de la technicité médicale et des respirateurs.

Les respirateurs de l'EPRUS sont dans les réserves des postes sanitaires mobiles (PSM) des SAMU et ont été plutôt dimensionnés pour des risques « nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques » (NRBC), d'intoxication au chlore et de grippe, et non pour des SRAS importants.

On parle de lenteurs à la décision. Ce n'est peut-être pas le même ressenti que nous avons eu dans le Grand Est ou l'Île-de-France. Nous avons, nous, le sentiment d'avoir été vraiment aidés par l'ARS, tant au niveau régional que départemental, et je crois que c'est le cas dans d'autres régions également. Il y a eu certaines lenteurs, mais davantage liées à des contraintes réglementaires qu'à la prise de décision. Quand nous disons que nous souhaitons que l'après ne soit pas comme l'avant c'est que tout était devenu possible ; nous parlons de la qualité de communication que nous avons eue dans les cellules de crise entre les directeurs, les soignants, l'ARS sur les problématiques que nous rencontrions et de la rapidité de prise en considération de ces problématiques et des décisions. Cette communication devait se poursuive, avec des décisions ayant en vue l'intérêt du patient et non les intérêts financiers ou des contraintes budgétaires. Ce que nous a montré cette crise, c'est qu'il existait une possibilité d'échanges positifs et constructifs avec nos directions, des échanges qui ont abouti à de véritables solutions, comme le triplement des lits de réanimation, dans des temps records. La mise en place de la plateforme de renfort, la cellule régionale de recherche de lits, tout cela, nous n'aurions pu le faire seuls. Cela s'est fait grâce à nos administrations, et cela a fonctionné.

S'agissant des EHPAD et de la culture de la prévention, je suis entièrement d'accord. L'ARS a dressé une cartographie des EHPAD en difficulté. Quand nous avons mis en place des filières de gériatrie avec des équipes communes SAMU, directions et gériatres, nous avons constaté que certains EHPAD n'avaient pas besoin de ces soutiens. Dans les autres, les conseils d'organisation en filière, de prévention, les protocoles partagés de prise en charge, ont été utiles. Il conviendrait néanmoins d'augmenter la médicalisation et la paramédicalisation des EHPAD.

Pour ce qui est de la réserve sanitaire, actuellement animée par Santé publique France, nous sommes tout à fait favorables au décloisonnement, sous réserve de maintenir un socle de compétences. Si les renforts que nous avons reçus au SAMU ont été formés rapidement et affectés aux salles covid, ils étaient cantonnés à des missions très spécifiques, ne pouvant pas véritablement remplacer des ARM formés à cet effet – et cela a été la même chose en réanimation et en anesthésie.

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Hervé Bouaziz, président et de la Société française d'anesthésie et de réanimation

Je voudrais modérer les propos tenus par le professeur Maury – qui, selon moi, n'engagent d'ailleurs que lui, et non la SRLF – sur le fait que les unités de réanimation éphémères ne rendraient pas un service de qualité satisfaisante, et qu'en tout cas il n'aimerait pas que des membres de sa famille s'y trouvent. Nous ne disposons pas de données permettant d'établir que les patients admis dans ces réas éphémères ont été plus mal soignés qu'ailleurs, et il n'est donc pas justifié d'adresser aux Français un message en ce sens.

En revanche, le guide de la gestion d'une réanimation éphémère publié par le Conseil national professionnel d'anesthésie‑réanimation et médecine péri‑opératoire (CNP‑ARMPO) a montré que le vrai problème résidait dans le fait qu'elles étaient parfois coupées des réas permanentes : une réanimation éphémère doit fonctionner en lien étroit avec elle, notamment grâce à des mouvements réguliers de personnels. On ne peut imaginer qu'une infirmière diplômée d'État (IDE), formée en trois jours comme l'a dit de façon caricaturale le professeur Maury, prenne en charge seule des patients au sein d'une telle structure : si l'on veut s'assurer d'un niveau de qualité suffisant, il faut qu'elle soit associée à une autre IDE provenant d'une unité permanente. Je vous invite à consulter le guide du CNP‑ARMPO, qui permet de comprendre que la qualité des soins dispensés au sein des réanimations éphémères est d'un très bon niveau et que les problèmes qui ont pu survenir étaient exceptionnels.

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Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française

Je suis tout à fait d'accord sur la nécessité d'associer, au sein des unités de réanimation éphémères, des infirmières chevronnées aux infirmières n'ayant pas d'expérience de la réanimation, et c'est bien ce que nous avons fait, sans quoi nous aurions couru à la catastrophe… Ce que je voulais dire, c'est que les conditions d'accueil des patients dans les unités de réanimation éphémères ne sont pas optimales : par exemple, les placer en décubitus ventral sur des matelas ordinaires, ce n'est vraiment pas l'idéal. Encore une fois, je ne dénigre pas cette solution, puisque c'est la seule à laquelle nous pouvions recourir à l'époque, j'estime que les soignants ont accompli un travail extraordinaire, mais force est de reconnaître qu'on n'était pas au niveau de qualité des standards de réanimation de 2020.

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Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF)

Pour répondre à Mme Corneloup, je dirai que l'hôpital public a servi : ses personnels ont une conscience aiguë de leur mission, ce dont ils avaient d'ailleurs déjà donné la preuve en 2003, lorsque même ceux qui n'étaient plus en activité étaient revenus pour soigner les personnes victimes de la canicule. Quant au peuple français, il a respecté les obligations liées au confinement, de Perpignan à Lille et de Brest à Strasbourg : il est donc non seulement vaillant, mais aussi discipliné, même si, de temps à autre, des sauvageons peuvent donner l'impression contraire – peut-être M. Ciotti ne sera-t-il pas d'accord avec moi, mais je pense qu'on va y arriver …

En ce qui concerne les EHPAD, il faut développer la prévention, ce qui se fera plus facilement si les différents systèmes coopèrent entre eux. Des expérimentations ont eu lieu ; j'en ai moi-même commencé une l'année dernière que je vais reprendre à la rentrée. Peut-être manque-t-il quelques éléments législatifs pour rendre obligatoire l'implication sur le terrain de médecins coordonnateurs des EHPAD – j'ai déjà vu des coordonnateurs d'EHPAD de Paris qui vivaient à Cannes, ce qui ne paraît pas normal. L'Assemblée nationale et le Sénat ont déjà émis des recommandations sur les critères relatifs aux bénéfices réalisés par certains consortiums et multinationales, et il semble bien qu'il faille mettre un peu d'ordre dans tout cela.

La question du corporatisme à l'hôpital me passionne et donne lieu à de nombreux débats. Certains estimeront justement que je n'ai pas le droit d'y prendre part, n'étant qu'un simple praticien hospitalier et non un professeur. Ceux-là, ne jurant que par l'université, les titres académiques et les chapeaux à plumes, semblent en être restés à la IVe République, et c'est peut-être ce qui explique que l'hôpital soit tellement en retard en matière de démocratie, notamment de démocratie participative : ainsi, il est encore extrêmement compliqué de faire participer les associations de malades.

Pour des raisons familiales, je n'ai pas eu la possibilité de devenir professeur de médecine. Je suis docteur au SAMU de Paris, praticien hospitalier, mais je ne viens pas du milieu universitaire, ce qui fait que je n'ai pas toutes les prérogatives dont dispose un professeur de la faculté de Paris. L'université médicale s'est progressivement écartée de sa vocation universelle. Certes, il existe des sociétés savantes, dont vous avez aujourd'hui quelques prestigieux représentants, mais aujourd'hui tout est payant : même pour participer à un congrès, il faut mettre la main à la poche, ce qui peut constituer un frein.

De même, les doyens de faculté disposent de pouvoirs considérables : ils peuvent, par exemple, décider d'un jour à l'autre d'augmenter le nombre d'étudiants en médecine. Or, ils sont élus par leurs pairs, ce qui est on ne peut plus ringard : ces tenants de l'universalisme ne devraient-ils pas être élus par l'ensemble des médecins du territoire de santé surtout quand cette élection a pour effet de mettre tous les pouvoirs entre les mains d'un seul homme, sans aucun contrepouvoir ! Ce que les parlementaires ont su faire en modernisant la vie politique, notamment en interdisant le cumul des mandats, n'a jamais été fait dans le monde de la médecine. Une seule personne peut ainsi tout bloquer dans un hôpital en devenant président de la commission médicale d'établissement (CME), chef de service, chef de pôle, représentant de l'ARS, et pour finir patron du Lions Club. C'est la réalité !

Il faudrait introduire la démocratie à l'hôpital, et je peux vous dire qu'on n'aurait aucune peine à y trouver des gens de valeur, capables d'exercer des responsabilités : aujourd'hui, il y a à la CME de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP‑HP) des chirurgiens qui sont brillantissimes, mais je n'ai pas le droit de voter pour eux ! En situation de crise, d'un coup, vous vous retrouvez avec des blocs qui s'affrontent en une guerre à pas feutrés. Le corporatisme médical est sans doute le plus exacerbé dans notre pays, et il est bien dommage qu'on ait tant de peine à en sortir.

Sur les transferts, je pense que la pratique répondait à un impondérable, et c'est la solution la plus rapide qui a été trouvée pour déplacer les malades. Pour la gestion des crises futures, il faut à mon sens prévoir la possibilité d'ouvrir des hôpitaux ou des services. Je milite avec le service de santé des armées – qui n'a pas le droit de prendre publiquement position – pour que l'hôpital du Val-de-Grâce puisse rouvrir pour servir de soupape en cas de crise à Paris.

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Marc Léone, secrétaire général adjoint de la société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR)

Une tribune dans le Figaro publiée en début de crise avec mes collègues de la SFAR et Jean-Michel Constantin a ouvert le débat sur la revalorisation des infirmiers diplômés d'État (IDE) en réanimation, dont les compétences sont incroyables. Dans le monde de la santé, quel que soit le mode d'exercice, certaines rémunérations ne sont pas proportionnées au service social rendu. Les infirmiers sont sous-payés au regard de ce qu'ils gagnent en exerçant dans le privé. Il faut revaloriser la fonction d'infirmier diplômé d'État en réanimation et d'aide-soignant.

De même, il est bien de vouloir ouvrir plus de lits de réanimation, mais il ne faut pas aboutir à un modèle dégradé. Un lit de réanimation requiert beaucoup de personnel ; réglementairement, il faut prévoir deux infirmiers pour cinq patients. Nous devons arriver à réduire ce ratio à un infirmier pour deux patients, et un aide-soignant pour quatre patients.

Pendant la crise, nous avons appliqué le modèle d'IDE référent que nous avions en tête depuis des années, mais qui était refusé. En quelques jours, c'est devenu possible, et ces IDE référents ont encadré les infirmiers moins expérimentés. Ce fut un succès total, dont tout le monde était satisfait. Mais le jour du retour à l'ancien monde, on nous a dit que ce n'était plus possible. Pendant la crise du covid-19, dans ma région, la prise de décision n'a pas été lente. Au contraire, tout s'est accéléré. C'est en temps normal que tout est trop long : il faut des mois et des mois pour prendre la moindre décision.

De nombreux actes pourraient être délégués en médecine, ce qui résoudrait beaucoup de problèmes de pénurie. Il faut que les médecins sortent de leur corporatisme. Mais je ne suis pas du tout d'accord avec Patrick Pelloux, je ne pense pas que le corporatisme ait un fondement universitaire : il a des raisons financières. Déléguer des gestes, des actes et des procédures à d'autres professions paramédicales nous ferait gagner en efficacité sans perdre en qualité de soins.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du mardi 28 juillet 2020 à 11 heures

Présents. - Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, Mme Caroline Fiat, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Valérie Gomez-Bassac, M.David Habib, Mme Annaïg Le Meur, M. Jean‑Pierre Pont.

Assistaient également à la réunion. – Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin, Mme Valérie Rabault.