Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • aumônier
  • comportement
  • gendarme
  • gendarmerie
  • militaire
  • radicalisation
  • religion

La réunion

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La séance est ouverte à 14 heures 10.

Présidence de M. Éric Ciotti, président de la commission.

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Mesdames, messieurs, avec le rapporteur M. Florent Boudié, nous sommes heureux de vous accueillir et de vous auditionner. Notre commission d'enquête a été constituée après l'attentat qui a frappé la préfecture de police. Le champ de nos travaux concerne prioritairement ces événements.

Mais nous avons souhaité élargir le champ d'enquête de notre commission aux problématiques liées à la radicalisation dans les métiers qui touchent à la sécurité nationale, plus particulièrement au sein des forces armées, de la police nationale, des services de renseignement et de la gendarmerie nationale.

Préalablement à vos propos liminaires, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est demandé aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc collectivement à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Les treize personnes auditionnées prêtent serment collectivement.)

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Cette collégialité est très impressionnante ! (Rires) Mon colonel, vous avez la parole.

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le colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c'est en ma qualité de secrétaire général du CFMG et de garant du dialogue interne au sein de notre institution que je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir consacré cet après-midi au groupe de liaison du CFMG. Ainsi, vous avez invité à répondre à vos questions les 100 000 militaires de la gendarmerie qui ont élu le conseil.

La présence de représentants du CFMG dans cette salle est pour nous, militaires de la gendarmerie, le signe manifeste de la reconnaissance que vous, élus de la République, portez au modèle de dialogue interne que la gendarmerie a mis en place depuis 1989. Soyez ainsi assuré, monsieur le député, que c'est bien tout le corps social de la gendarmerie qui va, par l'intermédiaire du groupe de liaison du CFMG, répondre à toutes vos questions, dans un souci de clarté, de transparence et de franchise la plus totale.

L'objet de votre commission d'enquête est la détection de la radicalisation interne, notamment dans les rangs de la gendarmerie. Cette question concerne – je vous prie d'excuser ces termes un peu barbares – autant le flux que le stock. Le flux désigne l'ensemble des personnes qui chaque année décident d'intégrer les rangs de la gendarmerie, qui entrent donc dans notre appareil de formation, autrement dit dans nos écoles. Le stock désigne les militaires qui sont déjà dans les rangs de la gendarmerie et qui, eux, servent dans les unités territoriales de la gendarmerie.

Un premier constat d'évidence s'impose : nous sommes, gendarmes, autant concernés que la police nationale par des problèmes de radicalisation, et peut-être encore plus que d'autres administrations au sein de l'appareil étatique. En effet, le flux de personnes entrant dans les rangs de la gendarmerie est très conséquent ; chaque année, la gendarmerie recrute et forme près de 10 000 militaires, dont 5 000 gendarmes adjoints volontaires. Parce qu'elles sont plus jeunes, ces personnes sont beaucoup plus réceptives que d'autres à des idéologies potentiellement radicales. Différentes procédures existent – elles vous seront détaillées au cours de l'entretien – et sont mises en œuvre en amont, dès le processus de recrutement et le début du parcours de formation, pour détecter toutes les formes de radicalisation qui peuvent exister dans les rangs.

Pour ce qui concerne le stock, des procédures internes existent aussi. Le directeur général de la gendarmerie nationale, que vous auditionnerez prochainement, sera plus à même de vous détailler ces procédures classifiées. Toutefois, je souhaite préciser quelques points en préambule de nos échanges.

Tout d'abord, la gendarmerie est une force armée. Son organisation est pyramidale. La loi du 3 août 2009 le rappelle dans son article 1er. En qualité de force armée, la hiérarchie est évidemment très présente à tous les étages de l'organisation ; elle joue pleinement son rôle d'encadrement. Les changements de comportement ou les comportements inhabituels, qui trahissent parfois un début de radicalisation, remontent plus facilement quand la hiérarchie joue pleinement son rôle. Il peut y avoir des exceptions, comme cette adjudante qui servait au Centre national de formation au renseignement opérationnel (CNFRO) de Rosny-sous-Bois et était fortement radicalisée. Nous estimons cependant que le rôle joué par la hiérarchie est essentiel pour détecter des comportements déviants.

Ensuite, la communauté militaire véhicule les valeurs d'appartenance à un groupe et se traduit par l'adhésion à un socle de valeurs républicaines ; elles peuvent être contraires à d'autres valeurs véhiculées par des personnes radicalisés. Le fait de ne pas adhérer totalement à nos valeurs peut aussi être interprété comme un signe de radicalisation.

Enfin, un dernier élément me semble important dans la détection des signaux faibles : les gendarmes travaillent et habitent dans des casernes. Ces logements leur sont concédés par nécessité absolue de service. La détection des comportements déviants est plus facile dans ces conditions. Personne n'est à l'abri d'un phénomène de radicalisation et de conséquences telles que le drame de la préfecture de police, mais cette communauté de vie et de travail nous permet de déceler plus facilement les comportements problématiques. Quelles que soient les procédures de détection, une vigilance de tous les instants, collective ou individuelle, reste le meilleur moyen de les repérer.

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Mon colonel, avez-vous des données chiffrées qui permettent d'évaluer, au sein de la gendarmerie nationale, le phénomène de radicalisation ?

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le major Patrick Boussemaere

Nous laisserons notre directeur général vous répondre sur ce point. Cependant, notre précédent directeur général avait dit que 15 à 20 personnes faisaient l'objet d'une surveillance au sein de l'institution. Les chiffres ont évolué. Vous en aurez la primeur des chiffres actualisés lors de la prochaine audition du général Rodriguez.

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Les chiffres cités portent sur quelle période ?

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le major Patrick Boussemaere

Notre ancien directeur général a annoncé ces chiffres en octobre dernier. Une bonne vingtaine de personnels était alors suivie.

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C'était juste après les attentats de la préfecture de police ; le ministre de l'Intérieur avait cité ces chiffres devant les membres de la commission des Lois.

Individuellement, personnellement, avez-vous, les uns et les autres, été confrontés à ce phénomène ? Votre distinction entre les entrants et les militaires déjà présents au sein de la gendarmerie était très claire. Quelles procédures de criblage des profils des jeunes gendarmes volontaires avez-vous à disposition ? Menez-vous des enquêtes lors des processus de recrutement ? Comment détectez-vous les profils à risque ? Pour les militaires qui sont déjà au sein de la gendarmerie, des procédures de rétro-criblage existent-elles, telles qu'elles ont été prévues par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT ? Qui procède aux enquêtes, notamment pour les militaires qui sont habilités au secret de la défense nationale ? Comment les enquêtes d'habilitation sont-elles réalisées ?

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le maréchal des logis-chef Grégory Rivière

Concernant le recrutement, qu'il s'agisse de gendarmes adjoints volontaires ou de sous-officiers, tous font l'objet d'enquête de criblage ou d'identification grâce à nos différents fichiers. Cependant, les juridictions administratives ont restreint les enquêtes aux candidats, contrairement à ce qui existait auparavant, à savoir des enquêtes approfondies sur la famille et les éléments extérieurs.

Le passage en école de la gendarmerie favorise un recrutement de qualité. En internat, il est très difficile de passer à travers les mailles du filet. Un comportement déviant est vite identifié.

Pour ma part, je n'ai pas connu de personnes qui se sont radicalisées. Certaines personnes ont pu changer de religion, souvent du fait d'un mariage qui a conduit à une conversion. Mais je n'ai pas connu de comportement excessif ou déviant.

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l'adjudante Vanessa Georget

Au sein de la gendarmerie, certains postes requièrent un certain niveau d'habilitation. Dans ce cas, des enquêtes plus approfondies sont réalisées au sein de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), qui incluent la famille proche et celle du conjoint.

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Comme pour toutes les forces armées, est-ce la DRSD qui réalise ces enquêtes ?

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l'adjudante Vanessa Georget

Tout à fait.

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Qui réalise les criblages pour les recrutements ?

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l'adjudant Patrick Beccegato

Ce premier filtre implique des tests sportifs et un entretien réalisé par un officier et un psychologue. Certains signes extérieurs, comme l'habillement, peuvent donner des indices. Puis, au cours de l'entretien, certains sujets sont abordés, et des signes peuvent être décelés. C'est généralement au cours de ce premier entretien que des risques de radicalisation sont observés.

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l'adjudante cheffe Samia Bakli

Le fichier des personnes recherchées (FPR) et le traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) sont systématiquement consultés, au sein de chaque région de gendarmerie, pour chacun des candidats qui se présente. Au niveau du recrutement sous-officier, nous ajoutons l'examen de l'extrait de casier judiciaire B2.

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le maréchal des logis-chef Grégory Rivière

J'ai rencontré le cas d'un gendarme adjoint volontaire qui présentait des signes de radicalisation. Il est possible de les capter plus rapidement à l'entrée qu'au cours de la carrière. Le véritable danger vient plutôt des personnes qui sont en cours de carrière et que l'on ne peut pas cribler très régulièrement. Seule la vie en commun permet de détecter des signes de radicalisation.

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l'adjudant-chef Régis Poulet

Je m'exprimerai en tant que commandant d'unité, puisque je commande une unité de brigade. Les commandants, au cours de leur formation continue, suivent des formations et des stages de sensibilisation à la détection de personnes radicalisées, liées à des religions comme à certaines idéologies politiques, telles que celles de l'ultra-droite ou l'ultra-gauche, même si l'ultra-gauche est certainement moins présente au sein de notre institution. Les commandants de compagnie et les commandants de groupement sont aussi formés à ces questions.

Comme le disait M. le colonel, la force de cette détection de la radicalisation au sein de la gendarmerie, c'est que nous vivons ensemble. Le rôle du chef est aussi de détecter le mal-être ou les interrogations d'un militaire. Le premier élément déclencheur reste les camarades, qui se rendent compte que tel militaire change du jour au lendemain, ne serre plus la main à un militaire féminin, change de comportement, etc. Dans ce cas, ils en discuteront entre collègues, et le signaleront à leur chef. Le chef transmettra les informations à sa hiérarchie, qui fera le nécessaire.

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le major Patrick Boussemaere

La vie en caserne implique une grande porosité entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Dans certaines corporations, il est possible d'identifier des signes de radicalisation sur le lieu de travail. Cependant, une fois le travail terminé, chacun peut se comporter comme il le souhaite. Comme les gendarmes vivent avec leurs familles sur leur lieu de travail, cette porosité permet de poursuivre au-delà de la sphère professionnelle l'observation d'attitudes ou de comportements changeants ou déviants.

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Je suis très heureux que nous puissions vous auditionner aujourd'hui. En tant que petit-fils de gendarme, je connais bien votre uniforme et la vie que vous menez. Je constate que votre audition est chorale, ce qui est assez rare pour être noté.

Plus sérieusement, vous disposez au sein de la gendarmerie d'un nombre relativement important de personnels à statut administratif. Pour ces personnels, la vigilance sur les risques de vulnérabilité est-elle alignée sur celle des statuts militaires ?

Par ailleurs, il va de soi que nous étudions non seulement la question de la radicalisation, mais aussi les risques de vulnérabilité en général, dont la radicalisation est une composante. Toutefois, lorsque vous constatez une conversion religieuse, le cas échéant à l'islam, cela fait-il l'objet, pour les personnels à statut administratif comme militaire, d'une vigilance particulière ? Nous avons compris au fil des auditions que c'est le cas dans certains services de renseignement.

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le major Patrick Boussemaere

Pour nous, la religion en elle-même ne pose pas de problème. Elle est neutre. Notre vigilance porte surtout sur des changements de comportement, par exemple du prosélytisme ou des demandes qui ne seraient plus en phase avec les valeurs républicaines.

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Une conversion en tant que telle n'est-elle pas considérée comme un changement de comportement ?

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le major Patrick Boussemaere

Non. Nous sommes attentifs aux changements de comportements qui s'opposent aux notions de service public et à la neutralité que tout agent du service public doit incarner.

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l'adjudant-chef Erick Verfaillie

Malheureusement, face à l'actualité, nous, hommes et femmes qui formons la gendarmerie, sommes aussi sensibles aux peurs qui peuvent nous envahir. Vous parlez de conversion et de changement de comportement. Pour éviter qu'une anxiété trop grande naisse au sein de nos rangs, nous avons parallèlement formé des référents « égalité & diversité » (RED), qui ont vocation à expliquer à chaque membre du personnel de la gendarmerie ce que sont l'égalité et la diversité. Ainsi, il ne faut pas assimiler une simple conversion, choix tout à fait personnel et libre, à une radicalisation.

Je précise que la radicalisation n'est pas obligatoirement religieuse. Dans nos rangs, les valeurs transmises – valeurs militaires, attachement à la Nation, etc. – attirent des personnes potentiellement attirées par l'ultra-droite. Le risque est plus grand que pour la radicalisation religieuse. Identifié depuis de nombreuses années, il consiste à mal comprendre nos valeurs et à les utiliser à mauvais escient. Nous avons une certaine expérience dans l'identification des déviances de ce type au sein du personnel. Ainsi nous pouvons agir rapidement devant tout comportement inacceptable.

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l'adjudante cheffe Samia Bakli

Monsieur le député, vous vous interrogiez quant au statut administratif. Entendiez-vous par là le personnel civil ? Nous avons aussi des militaires du corps de soutien administratif.

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Ma question était de savoir si toutes les catégories statutaires font l'objet de la même vigilance quant au risque de vulnérabilité.

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l'adjudante cheffe Samia Bakli

Tous les corps et statuts sont concernés par la sensibilisation. Quant aux enquêtes administratives, les personnels civils ne les subissent pas au stade du recrutement. Ils font l'objet d'une enquête poussée quand ils occupent des postes sensibles. Quant aux militaires du corps de soutien, ils font l'objet des mêmes procédures que les autres militaires, c'est-à-dire une enquête administrative et la consultation des fichiers FPR et TAJ.

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le maréchal des logis-chef Grégory Rivière

Nous sommes toujours en lien avec les antennes du renseignement territorial, et les services départementaux du renseignement territorial (SDRT), qui surveillent, par exemple, dans le cas de la radicalisation, les mosquées qui feraient du prosélytisme. Ils sont les premiers à nous avertir quand ils constatent, grâce à leurs criblages, qu'une personne surveillée fait partie de la gendarmerie. Les administrations collaborent. Nous comptons sur chacun des services pour identifier des civils ou des militaires qui fréquenteraient une mosquée, qui appartiendraient à un groupe d'ultra-droite ou commettraient des actes répréhensibles.

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l'adjudant Gérard Dhordain

J'ai connu deux cas de conversion dans mon escadron. Le commandement, dans l'absolu, n'est même pas censé en être informé. Il s'agit d'un acte privé et personnel. Dans la gendarmerie mobile, nous partons ensemble en déplacement, nous dormons et mangeons dans les mêmes lieux. Très souvent, les personnes qui se convertissent s'adressent à nous car elles changent de régime alimentaire. C'est à cette occasion que nous apprenons leur conversion. Cependant, le fait de se convertir à l'islam, dans les cas que j'ai connus, avant un mariage, n'a rien changé aux comportements des intéressés.

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Une conversion religieuse doit-elle être déclarée ?

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le colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie

Absolument pas.

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Ni les changements de situation, comme un mariage ?

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l'adjudant Gérard Dhordain

Le militaire doit signaler a posteriori à son secrétariat son mariage ou son PACS. Un dossier administratif est ouvert : un premier criblage a lieu sur la belle-famille, puis le dossier est envoyé aux échelons supérieurs, et le commandant de région donne son aval ou non pour que le militaire reste sur place, le but étant d'éviter que le militaire ne serve pas là où réside sa belle-famille.

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le lieutenant Michel Rivière

Je précise qu'une enquête administrative est obligatoire uniquement si l'on se marie avec une personne qui n'est pas ressortissante de l'Union européenne.

Heureusement, il n'existe plus de déclaration de la religion des personnels, alors que c'était encore le cas il y a trente ans. Nous disposons au sein de la gendarmerie, comme dans toutes les autres armées, d'aumôniers de toutes les confessions, et nous nous en félicitons.

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le colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie

Il nous arrive de travailler avec les aumôniers sur ces cas de radicalisation, pour affiner notre jugement. Toutes les procédures de détection de cas de radicalisation mises en place au sein de la gendarmerie ont été classifiées. Ce choix de tout classifier – le directeur général vous le redira – procède de plusieurs raisons : d'abord, pour protéger l'institution de toute tentative volontaire de contournement du dispositif ; ensuite, pour éviter toute fuite ; enfin, pour protéger tout individu faisant l'objet d'une enquête ou d'une attention particulière. Si ces personnes sont finalement mises hors de cause, il est normal que l'institution dans laquelle elles servent puisse leur garantir de pouvoir poursuivre leur carrière dans de bonnes conditions.

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Nous avons constaté que, dans les services de renseignement, la déclaration de tout changement de situation de l'agent concerné est obligatoire. Ne pas avoir déclaré un changement de situation peut être le motif d'une mise à l'écart. Existe-t-il une disposition équivalente au sein de la gendarmerie, quel que soit le changement de situation concerné ?

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l'adjudant-chef Erick Verfaillie

Les changements que nous devons déclarer sont ceux qui ont un impact sur l'exercice du métier. Voilà qui peut paraître paradoxal : autant vie privée et vie professionnelle sont très liées au sein de la gendarmerie, autant nous protégeons ce qui relève du domaine des choix personnels. En tant que RED, je suis là pour y veiller. Dans les choix personnels, j'inclus la religion, y compris au cours de la procédure d'entrée, car il y aurait un risque de discrimination. Du moment que je ne connais pas la religion de la personne qui va intégrer la gendarmerie, je ne vois pas de quel droit je pourrais ensuite lui demander s'il a changé de religion. Ce point est très clair dans les esprits de chacun d'entre nous. Nous savons ce que nous pouvons demander, ce qu'il est obligatoire de déclarer, et les domaines que nous n'abordons pas. Cela n'empêche pas de faire remonter des signaux faibles par d'autres canaux, mais sans obligation de déclaration de religion systématique.

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le lieutenant Michel Rivière

Merci, madame la députée !

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l'adjudant-chef Erick Verfaillie

Comme quoi, l'esprit militaire a aussi du bon. Nous sommes carrés !

(Sourires.)

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Pourriez-vous nous présenter le cadre d'intégration des aumôniers ? Combien sont-ils ? M. Vuilletet avait sans doute la même question. Quelle est leur confession ? Comment sont-ils répartis sur le territoire national ? Sont-ils présents dans chaque groupement ?

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l'adjudant-chef Régis Poulet

Les aumôniers sont de toutes les religions : catholique, israélite, protestante et musulmane. Au sein des forces armées, c'est la gendarmerie qui a accueilli le premier aumônier musulman. Pour chaque culte, un aumônier régional gère les aumôniers locaux, et un aumônier national se tient auprès du directeur général.

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l'adjudant-chef Régis Poulet

Tout à fait. En revanche, leur implantation locale varie en fonction du nombre d'aumôniers dont dispose chaque culte. Le rôle de l'aumônier, régi par un texte militaire, est non seulement d'exercer un culte, mais aussi de soutenir psychologiquement et spirituellement les militaires, y compris, pour certains d'entre eux, sur les théâtres d'opération extérieurs.

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l'adjudant-chef Régis Poulet

De mémoire, je ne pourrai vous fournir un nombre précis. Au sein de la gendarmerie, nous disposons d'un aumônier régional pour chaque culte, qui est l'interlocuteur privilégié du commandant de région. Ce nombre peut être supérieur, puisque, par exemple, l'Île-de-France compte quatre aumôniers départementaux, qui ont en charge l'aumônerie de la gendarmerie et celles des autres forces armées. Quant à l'aumônier militaire, il joue un rôle de conseil auprès de chaque chef hiérarchique de la gendarmerie. Enfin, pour la religion catholique, un évêque aux armées dépend directement du ministère des Armées.

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le major Patrick Boussemaere

Ils sont eux aussi des capteurs d'information. Tout en préservant la confidentialité des échanges avec les militaires, dès lors qu'un aumônier détecte un cas de radicalisation, il peut le signaler au commandant de région.

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le major Patrick Boussemaere

Tout à fait, ils disposent d'un statut rattaché au statut militaire. Ils jouent un rôle essentiel, car ils sont des capteurs potentiels pour discerner toute forme de radicalisation dans telle ou telle religion.

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Cet élément me semble très important en termes de prévention. Beaucoup de personnes radicalisées le sont au contact de prédicateurs ou d'imams, qui se livrent à des excès. En la matière, je vois deux singularités, l'une qui tient à votre corps, l'autre à la religion musulmane. D'une part la religion musulmane n'a pas de hiérarchie formelle, ce qui ne doit pas faciliter le recrutement d'aumôniers pour ses coreligionnaires ; d'autre part, la gendarmerie implique des mutations plus régulières, et donc un suivi plus complexe. Comment les aumôniers musulmans sont-ils recrutés, et comment les militaires prennent-ils contact avec ces aumôniers ?

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l'adjudant-chef Régis Poulet

Chaque aumônier peut contacter directement chaque militaire, via des messages, des appels téléphoniques, des affiches, etc. Concernant la formation, je laisse mon camarade vous répondre.

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l'adjudante cheffe Samia Bakli

Je suis musulmane. Chaque aumônier, pour chaque religion, se présente par courrier aux personnels éventuellement intéressés, les invitants à le contacter directement, à prendre rendez-vous, etc. Ce fut le cas me concernant, lorsque que j'exerçais en Île-de-France, à Maisons-Alfort. Je n'ai pas rendu visite à cet aumônier, mais beaucoup l'ont fait, plus particulièrement à la suite des événements de 2015.

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Je reviens à la question précédente : comment recrute-t-on les aumôniers ?

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le lieutenant Michel Rivière

J'en viens à l'habilitation de ces personnels. Au regard de l'importance des fonctions qu'ils vont exercer, nous menons une enquête de niveau très secret défense, avec un criblage très important auprès de tous les fichiers dont nous disposons. Je me suis personnellement occupé de cette question pendant quelques années. Les aumôniers font acte de candidature. Ils se proposent spontanément, et nous évaluons les besoins selon les régions et les zones. Nous avons récemment, en région Champagne-Ardenne, accueilli un aumônier catholique, qui est un laïc. Les aumôniers sont rattachés au service de santé des armées ; le processus de recrutement n'est pas spécifique à la gendarmerie ; cependant, comme pour tous les militaires, l'habilitation dépend de la DRSD, qui mène un criblage très poussé.

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le lieutenant Michel Rivière

Tout à fait.

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l'adjudant-chef Erick Verfaillie

L'aumônier fait partie d'un système. En gendarmerie nous ne disposons pas de syndicats ; n'existe que la concertation, dont nous sommes les représentants. En tant qu'élus, nous ne sommes ni assistants sociaux, ni psychologues. Même si cela peut choquer – mais c'est un outil comme un autre – nous utilisons les aumôniers pour détecter les signaux faibles. Le fait de fréquenter une mosquée n'est pas un signal faible. Les psychologues peuvent nous aider à détecter les comportements singuliers, tout comme les assistants sociaux, qui sont extrêmement importantes. Les personnes chargées de la concertation ont des réunions conjointes avec ces personnels pour dresser un état des lieux.

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le major Patrick Boussemaere

Ce sont le maillage et le croisement des informations entre plusieurs personnes qui permettent de canaliser le renseignement. Cette chaîne de concertation représente un maillage national d'environ 2 000 personnes. Assistants sociaux, aumôniers, etc., autant de canaux qui convergent pour permettre de croiser les informations. Voilà la force de cette organisation.

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Ne vous méprenez-pas. Les aumôniers jouent sûrement un rôle dans la détection des signaux faibles. Cependant, nous constatons aussi que beaucoup de personnes se sont radicalisées sur internet, faute d'interlocuteur spirituel. D'autres fragilités sont probablement en jeu. Ma question est la suivante : comment une personne, quelle que soit sa religion, peut-elle disposer d'un interlocuteur qui l'accompagne, non pas tant pour détecter des signaux faibles que pour l'aider à trouver des réponses à ses propres questions. Alors que le personnel est fréquemment muté et doit chaque fois reconstruire son réseau professionnel et personnel, comment ce maillage peut-il être efficace ?

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le maréchal des logis-chef Grégory Rivière

Pour ce qui concerne votre affirmation à propos d'internet, Monsieur le député, tous les militaires de la gendarmerie sont surveillés quand ils consultent des fichiers. Nous vérifions qu'il n'y ait aucun abus. Ensuite, nous disposons de moteurs de recherche qui permettent d'identifier les auteurs de certains types de recherche. Il paraît très difficile de passer à travers les mailles du filet sur internet.

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l'adjudant-chef Erick Verfaillie

J'ai juré de dire toute la vérité ! La mobilité est un très gros problème pour la gendarmerie. Le sujet est central, car la mobilité et de moins en moins grande. Je ne devrais pas le dire, mais, pour les sous-officiers, la mobilité est assez réduite au cours d'une carrière. Un sous-officier peut rester dix ou quinze ans au même endroit. Voilà qui facilite les contacts et la transmission d'informations.

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l'adjudant-chef Raoul Burdet

Un sous-officier de la gendarmerie est muté sept fois en moyenne au cours de sa carrière.

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Je souhaiterais avoir une précision concernant les signalements effectués. Ils remontent par la chaîne hiérarchique. Sont-ils traités par l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), qui centralise et évalue les signalements ?

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l'adjudant-chef Raoul Burdet

Pour le coup, tout est classifié. À notre niveau, nous n'avons absolument pas connaissance des procédures.

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Nous demanderons donc à votre directeur général de déclassifier ces informations !

(Rires)

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l'adjudant-chef Erick Verfaillie

Il existe un référent radicalisation au niveau de chaque département. Les procédures sont tellement secrètes que même les gendarmes ne savent pas qui fait l'objet d'un suivi ou d'une enquête. C'est la volonté de l'institution. Nous ne disposons pas des informations, pour les raisons invoquées par le colonel Gaspari, notamment la protection des personnes.

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Même le corps qui traite de l'information n'est pas public ? À la police il s'agit de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

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le colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie

Si une enquête judiciaire a lieu, il peut s'agir de l'IGGN. Mais nous nous trouvons souvent dans le cas de procédures non judiciaires.

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le colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie

Il me semble que, pour la gendarmerie, ce n'est pas l'IGGN. Le directeur général vous le confirmera.

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Je ne souhaite pas vous mettre en difficulté ! (Sourires.) Lorsqu'une habilitation est retirée, la personne en cause quitte-t-elle automatiquement l'unité dans laquelle elle servait ?

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l'adjudante Vanessa Georget

Ces informations sont aussi classifiées.

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le colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie

Sans trahir de grands secrets, je pense pouvoir vous dire que les cas sont extrêmement marginaux. L'arsenal soit statutaire, soit judiciaire, permet d'écarter toutes les personnes qui seraient potentiellement ou réellement dangereuses. Aujourd'hui, le directeur général de la gendarmerie a en main suffisamment de voies pour écarter quelqu'un qui présenterait des risques de déviance.

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l'adjudante cheffe Samia Bakli

Concernant la radicalisation liée à l'islam, je pense que, les personnes qui sont en désaccord avec les valeurs de la République ou de la gendarmerie quittent d'eux-mêmes spontanément l'institution.

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l'adjudant-chef Raoul Burdet

Le phénomène est difficilement quantifiable. Nous sommes des représentants du terrain. La radicalisation n'est pas un sujet de discussion quotidien. Nous n'observons pas d'effet majeur de radicalisation dans nos rangs. Néanmoins, la question est bien prise en compte par un système professionnel depuis 2015, avec des procédures de criblage et rétro-criblage, menées par des personnes tout à fait disponibles pour traiter les éventuels problèmes. Nous ne connaissons pas les chiffres concernant les départs pour cause de radicalisation. La vingtaine de cas évoquée par le précédent directeur général vous permet de vous faire une idée de l'ampleur du problème.

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Avez-vous des données concernant des militaires qui seraient désarmés à la suite de procédures particulières ?

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le maréchal des logis-chef Grégory Rivière

Dites-vous bien, Monsieur le président, que pour toute personne qui se radicalise, notre système militaire pose très rapidement problème. J'ai vu ce cas pour un jeune qui entrait dans l'institution. La formation des gendarmes adjoints volontaires n'est pas très longue, et ce jeune a pu passer à travers les mailles du filet. Une fois intégré dans une unité, au premier ordre reçu, il a répondu : « Seul Allah me donne des ordres. Vous n'avez pas à me donner des ordres. » Voilà qui est flagrant. Nous n'avons pas besoin des services de renseignement pour donner l'alerte. L'immaturité de la jeunesse fait que la radicalisation se manifeste immédiatement. Si le risque zéro n'existe pas, notre système militaire met les personnes radicalisées dans une situation intenable. Nous vivons entre nous ! Si demain je décide de ne plus m'adresser à un camarade, cela se verra immédiatement.

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l'adjudant Patrick Beccegato

Les cas dont j'ai eu à connaître ont eu lieu après un mariage avec une musulmane. La radicalisation ne vient pas du fait de la seule personne, mais par exemple à la suite d'un mariage.

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D'où notre question initiale sur la déclaration de changement de situation matrimoniale. Dans le cas qui a constitué le motif de la création de cette commission d'enquête, beaucoup est lié à un mariage.

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Le mariage en soi ne me semble pas significatif. Pour se marier avec un musulman, il faut en principe se convertir à l'islam. Cela n'indique pas ce que pensent les personnes in petto. Comme nous ne savons pas précisément le nombre de personnes qui abandonnent la gendarmerie pour cause de radicalisation, avez-vous une idée du nombre de personnes qui, servant déjà au sein de la gendarmerie, abandonnent pour d'autres raisons, par exemple parce qu'elles ne supportent pas le régime militaire, etc. ? Avez-vous une idée du pourcentage ?

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le colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie

Madame, il est extrêmement difficile de répondre à cette question.

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l'adjudant-chef Erick Verfaillie

Nous connaissons des départs à tous les niveaux : il y a une première sélection à l'arrivée, où nous sommes très clairs quant aux valeurs à adopter, puis en école, où les abandons sont liés à des raisons diverses et des choix très personnels. Après la sortie de l'école, une fois la carrière lancée, les départs sont très peu nombreux. En amont, nous faisons en sorte que les personnels qui veulent intégrer notre institution disposent de la « vérité des prix ».

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l'adjudant-chef Raoul Burdet

En gendarmerie, nous réalisons des études de cohorte. Des sociologues suivent des contingents, dont la cohorte 1984. J'ai encore quelques chiffres en tête : le pourcentage de départs pour une cohorte est de moins de 20 %.

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Très bien. Voyez-vous d'autres éléments que vous souhaiteriez porter à notre connaissance ?

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l'adjudant-chef Raoul Burdet

Vous connaissez les faits récents d'intrusion à la brigade de Dieuse. Ces faits n'ont pas été considérés comme un acte terroriste. Néanmoins, des propos ont été tenus. Je profite de cette occasion pour évoquer devant la représentation nationale l'importance de l'immobilier dans la gendarmerie, notamment en termes de sécurisation. Les gendarmes habitent sur leur lieu de travail avec leur famille. Le gendarme, aujourd'hui, est un militaire qui est au service de la sécurité publique mais il est aussi exposé, dans le contexte terroriste que tous nous connaissons. Pour vous donner un ordre de grandeur, il faudrait pouvoir investir 300 millions d'euros par an dans la sécurité de nos implantations ; nous ne disposons actuellement que d'un tiers de cette somme. Voilà qui participe à la fragilisation de nos emprises et de la sécurité des familles des militaires.

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J'en suis bien conscient, puisque je travaille sur une proposition de loi de programmation qui accorde une place budgétaire importante à ces questions. Lorsque j'étais président du conseil départemental des Alpes-Maritimes, nous avons consacré un budget de 110 millions d'euros à la construction de 14 casernements de grande qualité, dont un avec piscine. (Sourires.) C'était peut-être excessif !

(Rires.)

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l'adjudant Patrick Beccegato

Nous n'aimons pas trop faire de comparaison avec nos camarades policiers, mais je dois dire que les policiers se rendent dans un commissariat seulement pour travailler, tandis que les gendarmes travaillent dans les casernes et y vivent avec leur famille. Nous avons connu de nombreux cas d'attaques contre des gendarmes. Or, les familles sont avec nous. Nos casernes doivent être sécurisées, c'est essentiel.

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Bien sûr. Mesdames, messieurs, je vous remercie pour ces éléments très précieux. Notre reconnaissance et notre soutien vous sont acquis.

La séance est levée à 15 heures 05.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Meyer Habib, Mme George Pau-Langevin, M. Guillaume Vuilletet