Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 16h30

Résumé de la réunion

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  • illégal
  • orpaillage
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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 23 juin 2021

La séance est ouverte à seize heures trente.

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de M. Patrick Lecante, président du Comité de l'eau et de la biodiversité de Guyane.

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Patrick Lecante prête serment.)

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Patrick Lecante, président du Comité de l'eau et de la biodiversité de Guyane

Je suis maire de Montsinéry-Tonnegrande depuis 2008 et président du comité de bassin, devenu, conformément aux dispositions législatives de janvier 2017, le comité de l'eau et de la biodiversité (CEB). Communément appelé parlement de l'eau, celui-ci compte une quarantaine de membres, essentiellement issus de la société civile et des institutions de la Guyane. Il réunit ainsi des maires, des membres de la collectivité territoriale de la Guyane (CTG) et des administrations essentielles du département. Le mouvement des entreprises de France (MEDEF) Guyane y représente le monde économique.

Ce comité a pour rôle de veiller aux grands enjeux stratégiques en matière de gestion durable de l'eau, ce à quoi il œuvre au travers du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) pour le district hydrographique de la Guyane, selon les dispositions législatives de 1992, confirmées par la directive cadre de l'eau de la Commission européenne, imposant de planifier une gestion durable de l'eau.

Notre comité relève par ailleurs du comité national de l'eau. Celui-ci a siégé le 8 juin dernier en vue d'adopter les différents projets de SDAGE de l'ensemble de la France. Seul celui de la Guyane n'a pas été approuvé. Notre département fait ainsi figure de mauvais élève.

Les opérateurs miniers légaux du département se sont bruyamment plaints auprès du CEB que la responsabilité de la mauvaise qualité des masses d'eau leur était attribuée, alors que le dernier état des lieux de 2019 estime la dégradation de ces masses d'eau due au secteur aurifère illégal, actif jusqu'au cœur même du parc amazonien.

L'orpaillage illégal impacte les milieux naturels, aquatiques, et la biodiversité de la Guyane. Plus de 40 % des masses d'eau du département ne sont plus conformes aux directives-cadres européennes, or il est à craindre que ce déclassement les touche bientôt dans leur ensemble.

Quoi qu'il en soit, nous sommes désormais contraints de ramener ces masses d'eau en conformité avec les dispositions réglementaires. La ministre de la transition écologique nous a adressé, en juillet 2020, une correspondance nous alertant sur la nécessité de restaurer les masses d'eau fortement dégradées par l'orpaillage illégal et d'assurer leur maintien dans un bon état écologique.

La problématique de l'eau en Guyane relève d'une question de survie.

D'abord, d'un point de vue culturel, la majeure partie des populations agglomérées depuis des siècles sur le territoire guyanais s'y sont implantées en lien direct avec l'élément liquide. Les noms donnés aux localités en fournissent la preuve. Les populations établies le long du Maroni ont adopté un mode de vie durable dépendant de ce fleuve frontalier.

Ensuite, compte tenu de la forte pression démographique depuis une vingtaine d'années, le problème de l'alimentation en eau potable se pose déjà à certaines agglomérations. À en croire les estimations, le service public d'eau potable ne dessert que 70 % de la population guyanaise. Il nous reste à combler un lourd retard en matière d'infrastructure.

Le risque existe d'un effet ciseaux, dû à la forte dégradation de la qualité bactériologique et chimique des masses d'eau, combinée à la nécessité d'un rattrapage en termes d'infrastructures pour alimenter en eau la population, qui, d'ici vingt-cinq à trente ans, comptera 500 000 âmes.

En somme, un défi se pose à nous, dans un univers écologique, celui de l'Amazonie, fort différent de l'Europe continentale, bien que la Guyane fasse partie de l'Union européenne.

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À partir de vos observations des effets néfastes de l'orpaillage illégal sur le territoire de votre commune, pourriez-vous nous dire ce que l'État devrait selon vous mettre en œuvre pour améliorer la lutte contre ce fléau ?

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Patrick Lecante, président du Comité de l'eau et de la biodiversité de Guyane

D'abord, il faudrait obtenir la reconnaissance, par le biais d'une loi-cadre établie par l'assemblée nationale, de l'impact nocif de l'orpaillage illégal, qui perdure depuis au moins une vingtaine d'années, sur le territoire.

L'orpaillage illégal exerce un impact à la fois écologique et humain. La présence, de très longue date en Guyane, des garimpeiros, originaires essentiellement de l'État brésilien voisin de l'Amapá, a donné lieu à une forme d'esclavage moderne. Derrière ces travailleurs clandestins venus amasser un modeste pécule se cachent des mafias organisées de manière à bénéficier de leur main-d'œuvre.

Cette reconnaissance de la nocivité de l'orpaillage illégal doit s'accompagner de la reconnaissance de notre département comme, le seul en France, qui accueille encore une activité minière légale.

Se pose ensuite la question des moyens. La nouvelle loi climat et résilience prévoit en quelque sorte de sanctuariser les moyens dédiés à la lutte contre l'orpaillage illégal. La solution ne viendra toutefois pas forcément de l'accroissement des forces armées mais de leur synergie sur l'ensemble du territoire, puisque, aujourd'hui, la totalité du département est concernée, et non plus simplement l'hinterland correspondant au parc amazonien de Guyane.

Preuve en est, les opérations Harpie se déroulent dorénavant à proximité des stations d'épuration d'eau potable, près du Mahury et donc de l'agglomération de Cayenne ou aux abords des zones urbaines de Kourou, voire dans les environs de Saint-Laurent du Maroni ou de Maripasoula.

Une synergie entre les services de l'État doit s'opérer sous l'égide du préfet. Des indicateurs devront permettre de constater les progrès, le cas échéant.

Les réunions semestrielles organisées par l'autorité préfectorale, qui nous donnaient l'occasion de mesurer les avancées de la lutte, ont pris fin sans que nous sachions pour quelle raison.

Sur le plan diplomatique, nous avons suscité, avec les deux États voisins du département, le Suriname et l'État brésilien de l'Amapá, un projet Bio-plateaux de gestion transfrontalière de l'Oyapock et du Maroni. De premières avancées ont été mesurées avec le Suriname, relatives à la gestion des barges d'orpaillage illégal sur le Maroni. La diplomatie doit se renforcer sur nos trois territoires.

Enfin, une bonne connaissance des milieux me semble nécessaire. J'ai observé, en discutant avec le secteur minier, représenté par la fédération des orpailleurs miniers de Guyane (FEDOMG), les lacunes qui subsistent dans la connaissance des enjeux écologiques. J'ai assisté à des discussions houleuses avec l'administration à propos de la cartographie des activités minières, légales et illégales. Il faudrait parvenir à une forme de transparence.

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Les trafics, quels qu'ils soient, génèrent beaucoup d'espoir, mais, le plus souvent, de la misère sociale en découle. L'orpaillage illégal pose de fait un problème humain.

Revenons-en toutefois à sa dimension environnementale. Les fortes pluies actuelles, peut-être plus importantes que d'habitude, vont-elles générer une pollution accrue aux conséquences malheureuses ?

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Patrick Lecante, président du Comité de l'eau et de la biodiversité de Guyane

. Les précipitations de ces deux derniers mois sont sans précédent, de mémoire d'homme, au moins dans ma commune. Il est souvent question du phénomène La Niña, le pendant d'El Niño, responsable quant à lui de sécheresses. Les récentes précipitations m'ont poussé à demander solennellement à l'autorité préfectorale de déclarer l'état de catastrophe naturelle. J'ai relayé cette demande au président de l'office français de la biodiversité (OFB).

Nos principales craintes, pour le moment, ne portent pas sur la détérioration des milieux écologiques mais sur une crue de nos fleuves. La montée des eaux actuelle exerce un impact direct sur la vie des habitants, notamment du Maroni et d'une partie de l'Oyapock. Les populations qui se sont installées sur les berges de Maroni utilisent ce fleuve pour toutes leurs activités quotidiennes, y puisant de l'eau, y faisant la vaisselle et y déposant même leurs déchets.

J'en appelle à la grande sagesse des autorités de l'État que j'ai interpellées, voici trois semaines, pour faire en sorte que les populations et leurs représentants légitimes, à savoir les maires, obtiennent gain de cause.

Au-delà des crues se pose le problème des autres formes de pollution, notamment au mercure, qui se répand encore plus vite dans les cours d'eau quand leur débit augmente. S'il n'est pas possible d'en mesurer actuellement l'impact, il y a fort à parier que, d'ici quelques semaines, quand les fleuves auront regagné leur lit, nous constaterons une augmentation de la contamination par le mercure.

En somme, c'est une double peine qui frappe la Guyane. À une forte détérioration écologique des masses d'eau, due à l'orpaillage illégal, s'ajoutent les difficultés résultant des changements climatiques. Une situation d'urgence climatique s'impose au Nord-Est de l'Amérique du sud, à l'origine de problèmes sanitaires. D'ici quelques semaines, des maladies hydriques se déclareront sûrement dans notre département.

En conclusion, nous ne saurions envisager de politique publique durable et raisonnable en vue du développement de la Guyane sans prendre en compte la problématique de l'orpaillage illégal. À mon sens, il convient de l'éradiquer.

Outre l'état d'urgence sanitaire, il faudrait que le Président de la République déclare l'état d'urgence écologique dans notre département en lui consacrant les moyens nécessaires pour y restaurer notre souveraineté nationale.

La réunion se termine à seize heures cinquante-cinq.