Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 12 mai 2021 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 12 mai 2021

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Cécile Rilhac, secrétaire de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de M. Frédéric Mortier, délégué interministériel à la prévention des risques Outre-mer.

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Frédéric Mortier prête serment.)

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Frédéric Mortier, délégué interministériel à la prévention des risques Outre-mer

Je m'exprimerai ici en tant que simple passeur d'information. J'ai déjà eu l'occasion d'échanger avec M. Serville en tant que premier directeur du parc amazonien de Guyane, de septembre 2007 à janvier 2014.

Dans mon poste actuel, j'ai travaillé sur des propositions de mesures législatives, issues de retours d'expérience, que le Président et le Premier ministre ont soumises à une consultation territoriale. Le Premier ministre désirait que celle-ci offre un espace de libre expression, dont les Guyanais ont profité pour aborder l'orpaillage illégal, alors même que le sujet n'entrait pas dans le champ des risques naturels. Je vous ai retranscrit dans la note que je vous ai communiquée leurs propositions constructives.

L'orpaillage illégal pose un enjeu de souveraineté nationale mais aussi de protection des populations, des ressources et des écosystèmes. Catastrophe économique, écologique et sociétale, il génère de la violence et des trafics. Il engage la responsabilité de la France en Amazonie, notamment vis-à-vis des Amérindiens, à la visibilité manifeste sur la scène internationale. Leur désarroi et leur souffrance méritent une attention particulière.

Le dispositif Harpie a été lancé par le Président de la République sur le vaste territoire, habité, du parc amazonien, en signe d'une volonté forte de mener une lutte efficace contre l'orpaillage illégal à l'échelle de la Guyane. L'Elysée a souhaité que nous travaillions en relation étroite avec l'ensemble des acteurs de cette lutte. J'ai ainsi été en contact avec le concepteur du dispositif Harpie, le général Vicaire, commandant de la gendarmerie outre-mer, de même qu'avec les Forces armées en Guyane (FAG) et l'état-major des armées, sans oublier les préfets et les procureurs, au rôle crucial.

Avant le lancement de l'opération Harpie, l'orpaillage illégal connaissait une progression exponentielle, due au cours élevé de l'or et au sentiment d'impunité des garimpeiros. Un premier palier a été atteint en décembre 2008, avec une stabilisation de l'orpaillage illégal sur le territoire du parc national. Le nombre de chantiers clandestins a ensuite fortement reculé jusqu'en mars 2012. Il n'en restait alors plus que 52 à 55 en activité dans le parc amazonien.

Ces résultats viennent des dispositions prises dans le cadre d'une stratégie à l'échelle du département. Les interventions, menées à l'aide de moyens renforcés, portaient en priorité sur des bassins de vie et les espaces naturels protégés. Le partage d'expérience entre nos partenaires, forts, chacun, de leurs propres cultures, a donné lieu à une mutualisation des bonnes pratiques. Des leçons ont été tirées des interventions, réussies ou non.

La relève des personnels (gendarmes mobiles et militaires) présentait un enjeu. Notre travail en commun obéissait à une logique de complémentarité, dans une démarche d'amélioration continue. Préfet et procureur exerçaient une gouvernance territoriale active. Les parties prenantes s'accordaient sur les objectifs à atteindre, établis en toute transparence, avant de cibler des sites précis et de définir des modalités opérationnelles. La force de notre stratégie reposait sur sa co-construction. Son pilotage par le Président de la République, qui en assurait le suivi, a par ailleurs impulsé ses orientations et assuré la mobilisation de moyens dans un contexte où ceux-ci se heurtaient cependant à des limites.

En conclusion, j'ai noté une volonté forte, au plus haut niveau de l'État, de juguler, dans la durée, l'orpaillage illégal. La communication aux instances d'un diagnostic objectif et partagé a facilité la prise de décisions. Notre stratégie commune de concentration des efforts sur les flux logistiques afin d'occuper le terrain, malgré les difficultés, a bénéficié aux populations et aux aires protégées. La culture du résultat qui s'est imposée s'intéressait surtout aux conséquences pour les habitants et les écosystèmes. Une dynamique de recherche d'efficience portait notre lutte.

Je ne saurais témoigner de ce qui a suivi mon départ du parc de Guyane, ne m'impliquant plus dans la lutte contre l'orpaillage illégal depuis sept ans. Je n'ai pas non plus de jugement de valeur à porter sur ce sujet, qui a surgi dans le cadre de mes fonctions interministérielles à l'occasion des consultations territoriales.

Les points clés de ces consultations portaient sur l'importance d'évaluer cette lutte, d'informer la population, qui ne le semblait pas assez, des moyens mis en œuvre, et d'établir une feuille de route avec des priorités, sans oublier la nécessité de caractériser le préjudice causé par l'orpaillage illégal dans sa globalité, tant à l'échelle du département que de la France.

Il me semble nécessaire de renforcer le pilotage transversal interministériel des actions menées sur le territoire. En 2018 a été instauré l'État-major de lutte contre l'orpaillage et la pêche illicites (EMOPI). Les consultations territoriales ont révélé le souhait de renforcer la capacité de coordination de ses acteurs par la définition d'objectifs stratégiques et la mise en place d'une task force à même d'intégrer à la lutte l'ensemble des parties prenantes.

La population a par ailleurs manifesté le désir de débarrasser des orpailleurs clandestins les bassins de vie et les zones protégées, et de consolider la stratégie d'entrave aux flux logistiques. D'autres propositions évoquaient des équipes préposées aux interventions en forêt, une réglementation et un traçage du carburant, des frappes légères sur des sites en cours d'installation, et une réflexion sur les règles d'engagement.

Les forces en présence ne mènent pas sur le territoire de la Guyane des opérations de guerre mais respectent des procédures judiciaires. Si le partage d'expérience semble en mesure d'améliorer l'efficacité de la lutte, il faudrait surtout mettre en adéquation les objectifs et les moyens pour obtenir des résultats à la hauteur des enjeux.

L'ouverture à l'innovation doit permettre de s'adapter à un adversaire robuste, agile et ingénieux, quitte à en passer par une remise en question. Il a déjà fallu, par le passé, abandonner des certitudes. Il apparaît important aussi de développer le volet judiciaire répressif et de favoriser l'appropriation locale des enjeux. La lutte contre l'orpaillage illégal est souvent perçue comme relevant de la responsabilité de l'État, tenu de rendre des comptes, or la population estime indispensable une mobilisation collective des élus et des autres acteurs.

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Monsieur le délégué interministériel, j'ai relevé dans votre discours beaucoup de verbes à l'imparfait. Faut-il en conclure que certaines des situations que vous évoquez ne sont plus d'actualité ? Votre discours met en évidence des solutions valables de lutte contre l'orpaillage illégal. Il faudrait comparer les formes que cette lutte revêtait à l'époque où vous y étiez impliqué avec ce qu'il en est aujourd'hui.

La co-construction de la stratégie pilotée par la présidence de la République a manifestement entraîné une diminution drastique du nombre de sites d'orpaillage clandestins dans le parc de Guyane. Des résultats aussi positifs ont été obtenus grâce à de bonnes pratiques.

Il semble légitime de s'interroger aujourd'hui sur le maintien d'une volonté, à la fois de transparence dans l'élaboration commune de la stratégie, et d'appropriation locale de la lutte. Le sentiment nous vient que, depuis quelques années, les autorités préfectorales, ce que je ne cesse d'ailleurs de leur reprocher, nous dissimulent des informations.

Auparavant, un bilan chiffré des opérations Harpie, indiquant le nombre de sites démantelés, nous était communiqué chaque année, alors qu'aujourd'hui nous naviguons à vue. Je n'accuse personne, ignorant si un tel manque de transparence résulte ou non d'une volonté manifeste. Quoi qu'il en soit, je partage votre avis, M. Mortier, quant à la force qu'assure le partage des expériences en vue de la construction d'une stratégie commune.

Votre exposé, limpide, n'appelle pas de questions particulières. J'aimerais toutefois savoir si, à l'époque où vos fonctions vous appelaient sur le terrain, vous estimiez les moyens de lutte contre l'orpaillage illégal proportionnés aux désagréments qu'il occasionne. Vous avez insisté sur la qualité du pilotage de la stratégie mise en œuvre. Qu'en est-il de son aspect quantitatif ? 300 à 350 hommes sont déployés chaque année sur un territoire de 80 000 kilomètres carrés pour lutter contre 10 000 à 12 000 garimpeiros. Ne pensez-vous pas que des militaires mieux formés, en nombre plus conséquent, auraient déjà réussi à éradiquer le phénomène ?

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Frédéric Mortier, délégué interministériel à la prévention des risques Outre-mer

J'ai utilisé l'imparfait, parce que je me référais à une période précise du passé. La réduction la plus importante du nombre de sites d'orpaillage clandestin dans le parc de Guyane a eu lieu entre 2008 et 2021. Simple témoin de la stratégie mise en œuvre à l'époque où j'exerçais des fonctions sur le terrain, je ne suis pas en mesure de juger de ce qui s'est passé par la suite. La complexité du sujet oblige à l'appréhender en toute humilité, dans sa globalité et dans son contexte historique. Les opérations de lutte se doublent d'une dimension judiciaire. J'ai souhaité vous éclairer sur la période où je me trouvais en poste en Guyane, car le risque existe d'une perte de mémoire des pratiques ayant abouti à des résultats. Il me semble essentiel de capitaliser sur les bonnes pratiques en les mutualisant. L'importance des retours d'expérience m'est également apparue dans ma gestion des conséquences de l'ouragan Irma à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Par ailleurs, il ne faut surtout pas sous-estimer l'adversaire, qui n'a rien à perdre, du fait de son extrême dénuement. Vingt millions de pauvres vivent aux abords de la Guyane. Le nord du Brésil, malgré la volonté du pays de développer certains secteurs, apparaît livré à lui-même, ce qui explique l'attractivité de la Guyane. Un site internet vantait, à l'époque où je dirigeais le parc amazonien, les mérites de l'orpaillage dans notre département, où les chercheurs d'or s'estimaient bien accueillis. Les gendarmes se contentaient de leur remettre ce qui était présenté comme une invitation à quitter le territoire. En cas d'accident ou de maladie, les garimpeiros étaient pris en charge. J'ai un jour croisé sur le terrain une équipe de logisticiens. L'un d'eux nous a adressé un message de reconnaissance, soulignant la gentillesse des militaires français envers les femmes, les enfants, les hommes et même les mafieux. Bien entendu, il est hors de question de recourir à des sanctions violentes telles que rapportées par certains témoignages au Brésil. Pour autant, prendre la mesure de l'adversaire doit nous guider dans l'organisation de la lutte.

Les cultures propres aux différentes parties prenantes, véritable richesse, ne doivent pas faire obstacle à l'organisation de la lutte. Un défaut d'animation transversale à certaines périodes comportait le risque que chacun se replie sur ses propres pratiques. Harpie se voulait une action interministérielle. L'adaptation continuelle de l'adversaire à notre stratégie obligeait à en redéfinir les modes opératoires.

Vous avez raison d'insister sur l'aspect quantitatif des moyens déployés, renforcés lors du lancement de l'opération Harpie. Se pose tout de même la question de leur utilisation. L'impact actuel de l'orpaillage, qui s'est développé en raison du cours de l'or (environ 50 000 euros le kilo), oblige à réfléchir à l'adéquation entre les objectifs et les moyens afin d'obtenir des résultats à la hauteur des enjeux, notamment de sécurité. Les aspects quantitatifs et qualitatifs de la lutte ne sauraient se dissocier.

À l'époque où je dirigeais le parc amazonien, le vieillissement des hélicoptères posait problème. Certaines opérations prévues n'aboutissaient pas, par manque d'officiers de police judiciaire. Il me paraît important d'ausculter de tels dysfonctionnements pour améliorer les dispositifs en place. Certaines initiatives ne donnaient pas de résultats, du simple fait de leurs conditions d'application. Les barrages fixes ont montré leur efficacité entre décembre 2008 et mars 2012, une fois installés à des emplacements stratégiques, dès lors que des patrouilles en surveillaient les abords. Les garimpeiros se sentaient alors harcelés, tandis qu'auparavant, nous en avions vu contourner des barrages en transportant des pirogues à terre.

Les retours d'expérience doivent prendre en compte les modalités de mise en pratique de certaines idées. Des actions furtives de destruction de matériel, par surprise, sur de petits sites pas encore rentabilisés portaient leurs fruits. Le développement de la filière logistique dans le secteur de Maripasoula et de Papaichton à la frontière du Suriname amenait certains garimpeiros à transporter des troupeaux de bœufs sur des barges pour alimenter les sites clandestins. L'action diplomatique n'en revêt que plus d'importance, de même que les efforts portés sur les carburants.

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En tant que délégué interministériel à la prévention des risques Outre-mer, M. Mortier envisage-t-il d'intervenir à propos de l'orpaillage illégal, compte tenu des risques que celui-ci présente pour la population et l'environnement ? Pourrait-il éventuellement s'impliquer dans la lutte à nos côtés, par le biais de notre rapport, grâce à sa connaissance du dossier ? Rien n'empêche a priori d'imaginer que, de passeur, il devienne producteur de l'information dont nous aurons besoin par la suite.

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Frédéric Mortier, délégué interministériel à la prévention des risques Outre-mer

L'orpaillage illégal ne figure pas sur le décret de création, pour une durée de deux ans, de la délégation interministérielle à la prévention des risques majeurs Outre-mer. Le sujet ne rentre donc pas dans mon champ de compétences. L'activité de ma délégation prendra de toute façon fin dans quelques semaines. Il nous a été demandé de travailler sur les aléas d'ampleur tels qu'ouragans, séismes et mouvements de terrain, ainsi que sur la résistance et la résilience des territoires et des populations.

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Les abondantes pluies récentes ont-elles impacté les sites d'orpaillage ?

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Frédéric Mortier, délégué interministériel à la prévention des risques Outre-mer

Les changements climatiques touchent les Outre-mer. La Guyane a connu ces derniers mois des pluies sans précédent, après une sécheresse en 2014. L'élévation du niveau de la mer érode et submerge les zones côtières.

Je ne vois toutefois pas, a priori, en quoi des pluies diluviennes impacteraient l'exploitation de l'or dans des sites alluvionnaires ou primaires, compte tenu de l'ingéniosité des garimpeiros. Au contraire, c'est la sécheresse qui complique l'exploitation des sites alluvionnaires où les chercheurs d'or envoient de l'eau sous pression pour éroder les berges et amalgamer des paillettes.

La réunion se termine à dix-sept heures dix.