Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 15h00

Résumé de la réunion

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  • guyane
  • illégal
  • infraction
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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 14 avril 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de M. Olivier Caracotch, directeur-adjoint des affaires criminelles et des grâces.

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Olivier Caracotch prête serment.)

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Olivier Caracotch, directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces

Deux magistrats du bureau de la lutte contre la criminalité organisée m'assistent dans mes fonctions à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).

Je vous présenterai rapidement le cadre dans lequel les autorités interviennent contre l'orpaillage illégal, en insistant sur son aspect judiciaire, avant de livrer quelques exemples récents d'opérations en Guyane.

Les interventions contre l'orpaillage illégal se déroulent dans le cadre des opérations permanentes Harpie, menées conjointement par la gendarmerie nationale et les forces armées de Guyane, auxquelles s'adjoignent la police aux frontières, les agents des douanes et les services spécialisés en matière environnementale et naturelle, tels que ceux du parc amazonien de Guyane ou de l'Office national des forêts (ONF).

Ces opérations, qui mobilisent régulièrement plusieurs centaines de militaires, s'inscrivent dans la continuité des opérations Anaconda. La spécificité du territoire guyanais, d'une considérable extension et couvert à 95 % de forêts, rend ces interventions, de police au sens large du terme, des plus complexes. Elles dépendent des moyens nautiques ou fluviaux et même aéromobiles à la disposition des équipes.

Citons parmi les services d'enquête compétents en matière de lutte contre l'orpaillage illégal : les brigades de gendarmerie départementale assistées d'Officiers de police judiciaire (OPJ) spécialisés et la section de recherches de Cayenne. Celle-ci s'efforce désormais moins de relever des infractions en flagrant délit que de mener des enquêtes sur le long terme. Le groupe « forêt » de cette section de recherches s'intéresse surtout à la criminalité organisée et aux filières de soutien logistique à l'orpaillage.

Au début de l'année a été installée à Cayenne une antenne de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP). Elle réunit 6 OPJ. Ses compétences s'étendent à la Martinique et à la Guadeloupe.

La coordination judiciaire des enquêtes est assurée par un groupe de lutte contre la criminalité organisée environnementale en lien avec l'orpaillage illégal. Émanation des groupes locaux de traitement de la délinquance, et piloté par le parquet de Cayenne, il s'est réuni pour la première fois le 30 mars 2021.

Il existe en Guyane un orpaillage légal, pour lequel la loi prévoit trois niveaux d'encadrement différents, selon l'importance du gisement et de la superficie exploitée.

On ne saurait distinguer l'orpaillage illégal d'un certain nombre de filières et de réseaux structurant l'exploitation irrégulière de zones minières, en termes d'approvisionnement ou d'écoulement de l'or.

Les infractions visées sont définies par des sources variées : le code minier, le code des douanes ou encore de l'environnement. La plus utilisée (l'exploitation d'une mine sans titre) relève du code minier. Son article L. 12-1 prévoit de la punir d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Des circonstances aggravantes, telles que les atteintes caractérisées à l'environnement, portent ces peines à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Lorsque l'infraction est commise en bande organisée, la peine encourue passe à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

Le code minier prévoit pour la détention non déclarée de mercure, concasseur ou corps de pompe (des outils et produits soumis à une réglementation particulière) les mêmes peines que pour l'exploitation d'une mine sans titre.

Le code de l'environnement mentionne l'exploitation sans autorisation d'une installation classée pour la protection de l'environnement.

Le code des douanes comporte quant à lui des dispositions relatives à l'exportation d'or natif sans autorisation et à la détention ou au transport d'or natif sans justification sur le périmètre de compétence de la zone guyanaise.

Le code général des impôts prévoit enfin des infractions liées à la détention d'or non consigné dans le registre de police.

Le code de procédure pénale comporte des dispositions spécifiques au territoire guyanais, du fait de son immense extension. Ce ressort de juridiction de la taille du Portugal ne dispose pas du même maillage en tribunaux que la métropole. Des milliers de kilomètres de frontières maritimes ou fluviales le délimitent. Ceci dit, ce n'est pas tant le code de procédure pénale lui-même que le code minier qui prend en compte, en matière de procédure pénale, les particularités de la Guyane.

L'article L. 12-9 du code minier permet au procureur de la République d'ordonner la destruction sur place du matériel ayant servi à commettre l'infraction, sous certaines conditions. On conçoit sans peine l'intérêt opérationnel d'une telle mesure. Les OPJ qui découvrent un site illégal sont en droit de rendre l'outillage inutilisable sans avoir à le saisir ni à le rapatrier dans les locaux dédiés aux scellés de la juridiction.

Une disposition valable partout en France a fait l'objet d'un protocole spécifique en Guyane : elle autorise les services d'enquête à y utiliser le matériel saisi au titre d'affaires d'orpaillage (quads ou embarcations par exemple).

L'article L. 621-8 du code minier prévoit la possibilité pour le procureur de la république d'ordonner le report du point de départ de la garde à vue dans un délai n'excédant pas vingt heures, lorsque le transfert de la personne interpellée se heurte à d'insurmontables difficultés matérielles. Là encore, ce dispositif présente un intérêt opérationnel évident, vu que l'essentiel des vingt-quatre heures de la garde à vue (susceptible de se prolonger de vingt-quatre heures supplémentaires, voire de quatre jours dans les affaires de criminalité organisée) serait sans cela consacré au transfert de la personne interpellée, du lieu d'interpellation au local de la garde à vue.

Je répondrai maintenant au questionnaire qui m'a été adressé.

Établir le nombre de personnes impliquées dans l'orpaillage illégal n'est pas évident, car la notion de personne impliquée juridiquement est sujette à caution. Je vous communiquerai donc les données relatives aux mesures de garde à vue pour infraction dont la qualification relève de l'orpaillage illégal. On en dénombre, entre 2015 et 2020, en moyenne 62 par an, soit environ une par semaine, sachant que 2020 a été une année particulière à tous points de vue, y compris statistiquement. Voici les chiffres exacts : 97 en 2015, 49 en 2016, 43 en 2017, 77 en 2018, 64 en 2019 et 39 en 2020.

Le nombre de condamnations durant la même période est resté stable, autour d'un peu moins d'une centaine par an, sachant qu'une garde à vue ne constitue pas un préalable nécessaire à une condamnation.

On constate une réduction de près de moitié de l'activité judiciaire en 2020. Les chiffres de 2019 me semblent donc plus parlants. Cette année-là ont été prononcées 94 condamnations : 30 pour délits douaniers (détention d'or natif), 4 pour détention non déclarée de mercure, 46 pour exploitation de mine sans titre. Ce dernier délit correspond à près de la moitié de l'ensemble des condamnations, ce qui prouve bien qu'il est le plus usité. Une condamnation a été prononcée pour exploitation minière illégale en bande organisée portant atteinte à l'environnement, 8 pour exploitation minière illégale portant atteinte à l'environnement au titre des coupes de bois et forêts, et 5 pour atteinte à l'environnement au titre de déversement de substances ayant entraîné des effets sur la santé ou des dommages sur la faune ou la flore.

Notons qu'un quart en moyenne des condamnations sont prononcées au titre de la complicité de commission des infractions. On reproche dans ces cas-là aux accusés la fourniture de moyens (outillage, substances ou moyens de subsistance).

Je ne suis pas à même de vous indiquer le nombre de personnes reconduites à la frontière, puisqu'une telle mesure ne relève pas de la justice. Quelques interdictions de séjour ont toutefois été prononcées en tant que peines complémentaires, de manière assez exceptionnelle ou plutôt résiduelle : à peine 12 en 2019 (soit dans 15 % des condamnations).

Si l'on ne saurait inférer des seules statistiques judiciaires la croissance de l'orpaillage illégal, les praticiens en font bel et bien le constat. Le parquet l'estime corrélée avec l'augmentation du cours de l'or, la baisse de celui d'autres matières premières et la pauvreté dans les régions frontalières dont provient l'immense majorité des personnes mises en cause.

Venons-en aux suites données aux interventions des forces de l'ordre et à la politique pénale du procureur de Cayenne ; politique de défèrement systématique des personnes mises en cause dans des affaires d'orpaillage, lorsque l'infraction est bien sûr caractérisée, son auteur, identifié, et les charges à son encontre, suffisantes. Concrètement, le procureur demande à l'OPJ de présenter au tribunal judiciaire la personne mise en cause pour réserver une suite pénale à son infraction. Malgré les distances et les difficultés de circulation compliquant le recours au défèrement, le parquet de Cayenne est parvenu à en systématiser l'usage.

Il débouche, soit sur une comparution immédiate (le tribunal juge alors sur-le-champ la personne déférée, à l'issue d'un éventuel délai lui permettant de préparer sa défense), soit sur une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (ou CRPC, une sorte de « plaider coupable » à la française). Dans les cas, moins nombreux, de CRPC, la personne déférée, en présence de son avocat, accepte, ou non, la proposition de peine avancée par le procureur, avant son homologation par un juge.

La qualité des procédures s'est accrue dans le même temps. Des procès-verbaux plus détaillés et contextualisés permettent dorénavant de décrire les sites, leur emplacement et leurs voies d'approvisionnement. Le recours, aussi souvent que possible, aux dispositions relatives à la criminalité organisée, lors des enquêtes préliminaires, fournit au procureur des outils judiciaires plus efficaces.

La politique pénale du parquet de Cayenne a donné des résultats significatifs au premier trimestre 2021, durant lequel 34 personnes y ont été déférées, soit plus que pour toute l'année précédente. 19 condamnations ont été prononcées suite à une CRPC et 14 dans le cadre d'une comparution immédiate.

Soulignons les efforts menés par le parquet de Cayenne, qu'il convient de mesurer à l'aune d'une activité chargée par ailleurs. Le procureur doit en effet s'occuper aussi de contentieux liés à des atteintes aux personnes et au trafic de stupéfiants, en particulier de cocaïne. Ce parquet défère ainsi 1 200 personnes par an et traite 3 800 gardes à vue. S'il a fait du combat contre l'orpaillage une priorité de sa politique pénale, celui-ci ne représente quand même pas l'essentiel de son activité.

La répression de l'orpaillage illégal pourrait gagner en efficacité grâce à une adaptation des lois qui l'encadrent (la réforme du code minier est de fait en cours) et à l'attribution de moyens supplémentaires, aussi bien d'enquête et de réponse judiciaire que dédiés au transfert des personnes interpellées. Des réflexions portent en ce moment même au niveau national sur l'ajustement des forces engagées dans la lutte.

On estime à 95 % la proportion de garimpeiros venus du Brésil, en situation irrégulière sur le territoire français. Ils vivent en forêt grâce à l'importation clandestine de marchandises depuis des bases logistiques frontalières situées au Brésil ou au Suriname.

J'ai identifié 5 pistes d'amélioration du cadre légal de la lutte contre l'orpaillage :

– Un accroissement des peines encourues mettrait en cohérence les sanctions avec la gravité des infractions, dont pâtit l'environnement, bien au-delà du simple pillage des ressources naturelles, sans même parler de l'immigration clandestine ou de la traite des êtres humains. Deux années d'emprisonnement peuvent à ce titre sembler insuffisantes.

– La création d'une circonstance aggravante supplémentaire du délit d'orpaillage illégal prendrait en compte la protection réglementaire dont bénéficient un certain nombre d'espaces naturels comme le parc national ou les réserves naturelles.

– Je crois l'amendement en vue de l'instauration de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français adopté depuis peu. L'interdiction de séjour empêche une personne condamnée de fréquenter un lieu donné (ville ou région) sans autoriser l'autorité administrative à procéder à sa reconduite à la frontière, à la différence de l'interdiction de territoire, qui porte sur l'intégralité du territoire national. Les voies de recours judiciaire étant épuisées dans ce dernier cas, l'impossibilité de régulariser le séjour de la personne condamnée est acquise, pour l'autorité administrative.

– La création d'un contrôle dédié, à l'instar de ce que permet l'article 78-2-2 du code de procédure pénale en matière de lutte contre le travail dissimulé, permettrait au procureur d'autoriser les enquêteurs à procéder à des contrôles d'identité sur les sites d'orpaillage ou le long des voies d'approvisionnement.

– On pourrait enfin envisager d'allonger le délai maximal de vingt heures de report de début de la garde à vue.

La politique pénale du procureur de la République apparaît parfaitement coordonnée à celle du préfet de Guyane. Ils ont adressé des instructions conjointes aux gendarmes, policiers et douaniers en vue d'un renfort des opérations de contrôle aux frontières, reposant sur une utilisation optimale des moyens, notamment nautiques, à disposition. Ces instructions poursuivent trois objectifs : la protection sanitaire du territoire, la lutte contre l'immigration clandestine et, bien sûr, la lutte contre l'orpaillage illégal.

L'entraide pénale avec le Brésil, perfectible, apparaît marquée par une certaine lenteur, notamment liée à celle des procédures brésiliennes, dont la nécessité de soumettre toutes les demandes d'entraide à l'approbation du tribunal supérieur de justice. Néanmoins, des travaux en cours devraient améliorer la situation. Ils portent sur le magistrat de liaison dont dispose la France, en poste à Brasilia, et qui a pour mission de fluidifier les relations entre les deux pays. Ses compétences s'étendent au Suriname et au Guyana.

Une rencontre régionale de coopération policière et judiciaire a permis, voici dix-huit mois, juste avant la crise sanitaire, d'augmenter les contacts directs et opérationnels et d'accélérer la coopération judiciaire en actant le principe d'une transmission par voie électronique des demandes, réduisant les délais d'acheminement.

La coopération avec le Suriname, très aléatoire et très lente, apparaît davantage encore perfectible. Il reste à ratifier une convention d'entraide judiciaire pénale signée récemment entre la France et ce pays, et surtout à veiller à ce qu'elle porte effet, ce qui dépendra de la façon dont les autorités, en particulier surinamiennes, s'approprieront ce nouvel outil.

L'opération Piman 2, la dernière quinzaine de mars 2021, dans la frange ouest du département, autour du fleuve Mana, a mobilisé 30 gendarmes mobiles et 250 militaires. Elle a abouti à la saisie de 19 quads, un kilo et demi de mercure, plus de 100 grammes d'or, 13 000 litres de carburant, des concasseurs, 450 litres d'alcool et des cartouches de cigarettes, des téléphones, des moteurs et des groupes électrogènes, des pirogues et de l'outillage. Elle illustre notre politique d'assèchement des moyens d'action des orpailleurs clandestins.

Une autre opération, depuis la fin mars, dans le quart nord-est du territoire, a impliqué une centaine de militaires (dont des gendarmes). Ont été saisis 2 000 litres de carburant et 21 moteurs, 47 carbets, des pirogues, des concasseurs, un kilo et demi de mercure et des groupes électrogènes. Quatre personnes ont été interpellées, déférées et écrouées dans le cadre de la CRPC.

Une opération de la gendarmerie maritime en février 2021 a conduit à l'arraisonnement d'une pirogue qui transportait 35 passagers. Nourriture, alcool et médicaments ont été saisis. Le piroguier, jugé en comparution immédiate pour aide à l'entrée et au séjour irrégulier avec mise en danger, et contrebande de marchandise prohibée, a été condamné à trois ans d'emprisonnement. Les autres personnes ont été reconduites à la frontière.

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La liste des infractions utilisées pour lutter contre l'orpaillage illégal apparaît particulièrement fournie. Le phénomène s'étend toutefois. Une réforme du code minier est en cours.

Comment, selon vous, pourrait-on aller plus loin sur le plan judiciaire ? Quelles dispositions seraient susceptibles de produire un effet dissuasif majeur ou, plus simplement, de mieux tenir compte des particularités de la situation en Guyane ?

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Les effectifs sur le terrain vous semblent-ils suffisants ? Disposent-ils d'assez de pouvoirs et de compétences pour mener la lutte ?

Auriez-vous une idée du nombre de gardes à vue au départ repoussé de vingt heures et de leur proportion par rapport à la totalité des gardes à vue liées à des affaires d'orpaillage ? Combien n'aboutissent pas faute d'un délai plus étendu ?

Les trafiquants me semblent de plus en plus violents envers les militaires. Vous n'avez pourtant pas évoqué de saisie d'armes. Je me demandais s'il s'en produisait parfois.

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La Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) représente l'autorité, compte tenu de la plénitude d'attributions du ministère de la Justice, notamment dans le domaine pénal.

Beaucoup de pays, notamment la Chine, exportent du matériel destiné aux orpailleurs illégaux. Votre action s'étend-elle jusqu'à ces pratiques ?

Estimez-vous suffisantes les révisions du code minier prévues dans le cadre de la loi climat ?

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Olivier Caracotch, directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces

J'ai déjà évoqué des dispositions permettant une réactivité accrue. Au nombre de cinq, elles incluent l'élévation du quantum des peines encourues, la création de la circonstance aggravante liée à la protection environnementale, la peine complémentaire d'interdiction du territoire national, les contrôles d'identité et l'extension du délai de vingt heures autorisant le report du début de la garde à vue.

Bien sûr, nos réflexions sur ces points suivent leur cours dans un souci d'équilibre entre volonté d'efficacité et nécessité de ne pas contrevenir à l'état de droit afin d'éviter que celui-ci n'apparaisse en retrait dans certaines zones de Guyane. Les nombreuses mesures juridiques envisageables, à la fois symboliques et opérationnelles, doivent se conformer à la Constitution.

Les forces opérationnelles en Guyane se plaignent de l'insuffisance de leur nombre. Un accroissement des moyens devrait permettre une recrudescence des opérations. Ma direction n'est pas celle qui attribue à la Guyane ses moyens judiciaires. J'ai le sentiment que, malgré la charge de travail des magistrats du parquet de Cayenne, ils ont su se saisir à bras-le-corps du problème de l'orpaillage. Si l'aspiration à de plus amples moyens existe, des efforts conséquents n'en ont pas moins été réalisés, tant par le ministère de la Justice que par celui des Armées, mais aussi de l'Intérieur, via la gendarmerie, et même par celui de la Transition écologique.

Je ne suis hélas pas en mesure de vous fournir plus de précisions sur les reports de garde à vue.

Les opérations de répression organisées que j'ai décrites visaient l'acheminement de matériel. Elles n'ont pas impliqué, à ma connaissance, de saisie d'armes ou de munitions. Il est en revanche possible d'en saisir lors d'un flagrant délit de violence.

La justice ne saurait exercer d'action contre les pays tiers fournisseurs de matériel. Les magasins situés à la frontière surinamienne sont pour beaucoup tenus par des membres de la communauté chinoise. Je ne suis pas sûr que l'on puisse établir de lien entre importation et vente au détail. Quoi qu'il en soit, cet axe de la lutte dépasse les compétences du ministère de la Justice, y compris dans ses relations avec la Chine, qui portent de toute façon sur l'entraide pénale et non sur le volet économique du problème.

Le projet de loi climat et résilience inclut trois articles porteurs d'évolutions prometteuses :

L'article 20 ter propose que le procureur de la République habilite les inspecteurs de l'environnement à constater les infractions prévues par le code minier sur l'ensemble du territoire guyanais, et non plus sur le seul parc amazonien. Un plus grand nombre d'agents spécialisés de l'État, dont ceux de l'ONF, pourront dorénavant constater les infractions liées à l'orpaillage.

L'article 20 quater aggrave les pénalités encourues pour certaines infractions par une majoration des amendes ne relevant pas que du symbole.

L'article 20 quinquies étend la possibilité d'un report du départ de la garde à vue à l'ensemble des infractions prévues par les articles 512-1 et 512-2 du code minier plutôt qu'à la liste actuelle, limitée.

Ces trois mesures nous apparaissent aussi nécessaires et adaptées que la création du délit d'écocide, réponse complémentaire à celle qui pouvait jusqu'ici être apportée aux activités d'orpaillage illégal. La qualification d'écocide, qui correspond aux nouvelles circonstances aggravantes liées à la pollution des eaux et des sols, réprime la pollution intentionnelle de certains milieux naturels, entraînant des conséquences graves et durables. Elle s'appliquera parfaitement aux activités d'orpaillage illégal avec utilisation massive de mercure.

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Monsieur le ministre Lecornu nous disait que le respect de l'Etat de droit impose ses limites à la lutte contre l'orpaillage illégal. Les moyens de lutte déployés sur le territoire brésilien apparaissent bien plus conséquents que ceux mis en œuvre sur le territoire français.

Il n'est pas du tout dans mon intention de bafouer les droits humains, seulement, il faudrait aller plus loin dans les mesures coercitives contre les orpailleurs clandestins. J'ai toutefois compris, à la réponse du ministre, que la France, pays par excellence des droits de l'homme, ne se livrerait jamais à certaines pratiques, de crainte, peut-être, d'encourir la condamnation de la communauté internationale, ce que je conçois fort bien.

Quel est votre sentiment sur ce point ? Les mesures préconisées ne permettront jamais d'éradiquer le fléau de l'orpaillage illégal. D'aucuns affirment d'ailleurs que leur objectif se limite à réguler et circonscrire l'accroissement du nombre de sites clandestins en Guyane. On peut s'attendre à ce que perdure la situation présente, si l'on se contente des mesures actuelles et de ce que prévoit la loi climat et résilience. Ne craignez-vous pas que le travail aujourd'hui réalisé ne porte finalement pas les fruits escomptés ?

Le président Sarkozy avait promis que les recettes issues de l'or saisi sur les sites d'orpaillage clandestins bénéficieraient en priorité à la Guyane. J'avais interpellé, pendant le mandat de M. Hollande, le premier ministre pour que ces recettes profitent d'abord aux communes de l'intérieur de la Guyane les plus gravement touchées par les externalités négatives de l'orpaillage, de manière à faciliter leur raccord aux réseaux d'eau potable et d'électricité et améliorer ainsi le quotidien des administrés. L'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués l'a toutefois interdit. Bien que de telles décisions ne soient pas de votre ressort, j'aurais souhaité votre avis sur la question.

La décision récente du gouvernement de financer la lutte contre l'orpaillage illégal sur le territoire guyanais par ces recettes prouve qu'il aurait été possible d'en faire bénéficier ces communes, de sorte qu'elles résistent mieux aux conséquences négatives de cette activité. Qu'en pensez-vous ?

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Olivier Caracotch, directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces

On brandit souvent l'argument selon lequel le respect des droits humains porterait préjudice à l'efficacité de l'enquête. Je n'en suis pas convaincu, encore que mon statut de magistrat m'empêche probablement de porter un regard objectif sur la question. Les mesures les plus contraignantes ne s'avèrent pas nécessairement les plus efficaces.

J'entends, monsieur le rapporteur, votre souci de ne pas porter atteinte aux droits humains. Nous le partageons. La ligne rouge que nous ne saurions dépasser est celle du respect de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Constitution de la République. Tant la Cour européenne des droits de l'homme que le Conseil constitutionnel exercent des contrôles effectifs. Je ne vois rien de pire que d'opposer aux orpailleurs des mesures si contraignantes qu'elles en seraient intégralement invalidées par l'une ou l'autre des deux institutions éminemment respectables que je viens de citer. Telle est la limite juridique à ne pas dépasser, au-delà de nos convictions personnelles et des éventuelles réactions de la communauté internationale.

Je confirme votre crainte quant à l'impossibilité d'éradiquer l'orpaillage illégal. La politique pénale actuelle vise plutôt à en limiter l'extension et les effets. Depuis un an environ, les différents ministères impliqués concentrent leurs moyens sur les zones les plus sensibles et les plus touchées en termes d'environnement, compte tenu de l'impossibilité de couvrir l'ensemble du territoire guyanais.

Nous recevons à la DACG un état quotidien des affaires d'importance traitées par la police judiciaire et la gendarmerie nationale. Celui de ce matin mentionnait, comme assez régulièrement d'ailleurs, une affaire de lutte contre l'orpaillage illégal. La gendarmerie concluait que les réponses judiciaires apportées commençaient à porter leurs fruits chez l'adversaire et que les orpailleurs, désormais conscients du renforcement des actions contre eux et, partant, du risque auquel ils s'exposaient, en tenaient désormais compte.

Je suis raisonnablement pessimiste, comme vous, dans la mesure où je tiens l'éradication de l'orpaillage illégal pour impossible, mais aussi raisonnablement optimiste. Notre action est de nature à porter ses fruits.

L'attribution des recettes liées à l'or saisi ne relève pas de la DACG. La convention de 2011 que j'évoquais attribue toutefois aux services d'enquête les objets saisis. Il me paraît important, symboliquement mais d'un point de vue opérationnel aussi, que les forces engagées dans la lutte contre l'orpaillage illégal puissent utiliser le matériel de leurs adversaires, pour employer la terminologie de la gendarmerie.

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Je vous remercie pour la sincérité de votre réponse et vous suis reconnaissant de partager notre inquiétude de longue date, tout en confirmant mes craintes.

J'aimerais partager aussi votre optimisme. Seulement, la lutte contre l'orpaillage est déjà passée par des hauts et des bas. Elle connaît des pics et des creux, aléatoires, qui n'empêchent pas de constater les capacités d'adaptation des garimpeiros aux moyens mis en œuvre à leur encontre. Il est à craindre qu'ils ne repartent au combat et qu'on observe une recrudescence des sites clandestins sur le territoire guyanais.

Voilà pourquoi je demande régulièrement si nous ne devrions pas changer de doctrine. Nous avons auditionné le général Descoux. Il nous a rappelé que les militaires essuyaient des tirs au plus profond de la forêt, au péril de leur vie. Beaucoup de nos compatriotes, notamment les Amérindiens vivant à proximité des sites clandestins, souffrent d'imprégnation au méthylmercure, dont on connaît les effets sur la santé.

Aujourd'hui, des personnes entrées clandestinement sur notre territoire portent gravement atteinte à la santé et à l'intégrité physique d'habitants de la France. Ceci constitue une atteinte à la souveraineté nationale. Je ne vois pas quelle raison nous empêcherait de juger la situation suffisamment grave pour déployer bien plus que les 300 hommes actuels sur les 90 000 mètres carrés du territoire guyanais. Pour chasser 300 Zadistes de Notre-Dame-des-Landes, 2 500 à 3 000 représentants des forces de l'ordre ont été déployés. Le chiffre de 300 à 350 hommes mobilisés pour l'heure contre l'orpaillage illégal peut sembler important, rapporté à d'autres opérations, mais il ne suffit manifestement pas à la lutte, en particulier avec du matériel parfois obsolète comme cela nous a été rapporté, contre 10 000 à 12 000 garimpeiros.

L'absence de volonté de l'État de consacrer plus de moyens à la lutte contre l'orpaillage illégal laisse un goût amer à ceux qui tentent de comprendre le motif d'une telle attitude. D'aucuns se demandent dès lors si la Guyane ne fait pas figure de territoire à part de la République. Je ne souhaite pas arriver à une telle conclusion.

Il faudra toutefois bien, à un moment ou un autre, prendre à témoin ces populations voisines des sites d'orpaillage illégal, auxquelles on affirme l'impossibilité d'éradiquer le phénomène. Non loin de Kourou et de zones de captage d'eau potable distribuée jusqu'aux robinets, prolifèrent également des sites d'orpaillage illégal. Je crains que les limites imposées par le respect de l'Etat de droit nous empêchent d'apporter une réponse satisfaisante aux revendications des populations touchées par ce fléau.

Je me contente de vous relayer le sentiment partagé par le plus grand nombre. Il devrait vous inciter à renforcer les moyens de la lutte. Je ne voudrais pas que, d'ici dix ou vingt ans, le débat en soit toujours au même point qu'aujourd'hui et que l'on s'interroge encore sur les moyens de juguler l'orpaillage illégal, quand c'est une véritable guerre qu'il faudrait livrer. J'emploie le terme de guerre. Il ne s'agit cependant pas de tuer les garimpeiros mais de se doter des moyens nécessaires pour éradiquer le phénomène plutôt que de le contenir, c'est-à-dire, en somme, plutôt que de laisser libre cours à ces pratiques dont on connaît les effets délétères sur la santé comme sur l'environnement ou même les équilibres économique et financier de la Guyane.

Il est à craindre que, le jour où la Guyane voudra exploiter son eau douce renouvelable d'une manière qui lui donne de la valeur ajoutée dans un contexte mondial de raréfaction de cette ressource, cette eau n'apparaisse polluée. Les multinationales qui recevront peut-être bientôt l'autorisation de s'implanter en Guyane recourront probablement au cyanure, or je ne suis pas convaincu que notre département gagne à se développer dans cette direction.

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Olivier Caracotch, directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces

Je me suis peut-être mal exprimé en avouant mon pessimisme quant à l'éradication de l'orpaillage. Si elle me semble impossible, ce n'est pas tant faute de volonté, ni parce que je relativiserais l'importance des infractions concernées. Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, les conséquences économiques, mais aussi environnementales et de santé publique de l'orpaillage illégal. Elles expliquent la mobilisation des autorités. Simplement, quelques décennies d'expérience en tant que magistrat pénaliste ne me permettent plus de m'engager sur l'éradication d'un phénomène de délinquance ou de criminalité, surtout aussi lucratif que celui-là. L'éradication de l'orpaillage illégal m'apparaît un idéal inaccessible.

La réunion s'achève à seize heures quinze.