Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 3 mars 2021 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 3 mars 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de M. Michel Huet, réalisateur.

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Nous recevons M. Michel Huet, naturaliste et réalisateur du documentaire Les orpailleurs de Guyane, qui a également réalisé Les filières de l'or sale, en 2014, L'or de la Guyane et Ka'awan, trésor de biodiversité. Avant de nous rendre sur le terrain, nous avons souhaité visionner quelques extraits de son film et échanger avec lui.

Monsieur Huet, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Michel Huet prête serment.)

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Michel Huet, réalisateur

L'orpaillage illégal sévit depuis longtemps en Guyane et va croissant. Les extraits du film que vous allez voir ont été tournés en 2014, après trois années d'observation sur le terrain. Au‑delà de la réalité de cet orpaillage, le film témoigne de la situation de la population forestière guyanaise qui en souffre de manière colossale, dans la mesure où sa biodiversité est touchée.

Je vous propose de regarder ces images, puis d'échanger et de répondre à vos questions.

(Des extraits du documentaire sont diffusés.)

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Michel Huet, réalisateur

J'ai pu réaliser ce film grâce à l'intervention et au soutien technique de la gendarmerie et de l'armée. J'étais accompagné sur les tournages en forêt par le colonel Florian Villalonga. J'ai également bénéficié de l'aide du parc amazonien de Guyane. Tout cela m'a permis d'évoluer au sein de cet immense et magnifique territoire, de me familiariser avec ses populations, afin de comprendre leur mode de vie et leur place dans une biodiversité désormais en danger.

Depuis 2014, les choses ont évolué. Le nerf de la guerre s'est déplacé d'Oiapoque, au Brésil, au Suriname, notamment, en raison de la présence et de l'aide de la Chine.

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Monsieur Huet, votre reportage, très instructif, se concentre sur l'est et l'Oyapock. Avez-vous eu l'occasion d'aller sur le Maroni ? Par ailleurs, il existerait tout un trafic de matériel, de petites pelleteuses, par exemple. Cela concerne-t-il plus l'Oyapock ou le Maroni, vers Maripasoula ? L'orpaillage illégal est-il organisé de la même manière sur les deux fleuves ?

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Michel Huet, réalisateur

Même si je me suis plutôt concentré sur l'Oyapock, mon film parle de toute la Guyane, de l'Oyapock, du Maroni, des populations hindoues, des Wayana, des Wayampi, car tout le monde souffre de l'orpaillage illégal, désormais bien mieux organisé. Si son intensité a tendance à diminuer du côté de l'Oyapock, en revanche, la déforestation continue et les populations sont toujours sous pression et victimes de violences. C'est autour du Maroni qu'il prend désormais de l'ampleur.

Autrefois, l'orpaillage était exclusivement manuel : on piochait, on triait et on faisait passer la boue au tamis. De nouvelles méthodes arrivent depuis le Suriname jusqu'au Maroni – jets, pompes. Cela a de graves répercussions sur le fleuve, le littoral, la mangrove et sur les peuples qui vivent sur les rives. La vague de suicides en Guyane est bien réelle. La population est complètement étouffée par l'orpaillage illégal, alors même que l'armée intervient et qu'elle est active, comme je l'ai vu. Elle détruit des tonnes de matériels. Rien n'est laissé au hasard : tout est détruit, des médicaments au matériel. Elle a également un rôle humanitaire et envoie les garimpeiros malades à l'hôpital.

Il y a une dizaine d'années, les orpailleurs illégaux avaient du mal à remplacer leur matériel. Désormais, l'artisanat recule, pour laisser place à de grosses exploitations composées d'un patron, qui récupère 70 % du bénéfice, d'un financeur et d'ouvriers. Le matériel, qui arrive de Chine, est beaucoup moins coûteux que celui utilisé autrefois. Il est acheté en masse et stocké dans la forêt. Dès que du matériel est détruit, on récupère celui qui a été caché à quelques kilomètres. La méthode industrielle se déploie dangereusement. Le phénomène est surtout observé en Guyane, puisque c'est là que les réserves d'or sont les plus accessibles.

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Certains garimpeiros agissent de manière isolée et d'autres dans le cadre d'organisations plus structurées. Quelle est la force des liens susceptibles de les unir ? Quelles sont les méthodes employées par ces organisations ? Quelle est également la proportion des garimpeiros isolés par rapport aux organisations structurées sous l'égide de la Chine au Suriname ? Enfin, quels sont les différents profils types d'orpailleurs illégaux en Guyane ?

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Michel Huet, réalisateur

Les placers artisanaux sont en déclin, tandis qu'on assiste au développement des structures de 2 000 orpailleurs. Quand une quinzaine d'individus travaille sur un placer, ils ont besoin de matériel, d'essence et de nourriture, ce qui n'est pas évident, car ils n'en ont pas toujours les moyens. En réalité, sur un grand nombre de chantiers d'orpaillage de petite taille, lorsque quelqu'un tombe malade ou qu'il y a une panne de matériel, ce sont souvent les orpailleurs légaux qui viennent donner un coup de main. On trouve dans ce genre de structure – et c'est extraordinaire – de l'humanité. Les orpailleurs illégaux n'hésitent pas non plus à aider un petit groupe perdu en forêt, en difficulté alimentaire, médicale ou technique. Un lien se tisse ainsi entre les différentes structures, qui apporte la garantie de pouvoir compter sur l'un ou sur l'autre. Dans les organisations structurées, il y a un patron qui donne des ordres et des gens qui les exécutent. Cela n'a rien de comparable.

Les petites structures qui essaient de se cacher sous la canopée sont de plus en plus repérées et, de ce fait, en diminution. Mais elles cherchent sans cesse à se restructurer, en détruisant la forêt, dans des conditions de gestion extrêmement difficiles. Elles ne peuvent pas payer le matériel dont elles ont besoin et sont donc contraintes de travailler dans des conditions épouvantables pour espérer payer d'abord leurs dettes. Ce sont des personnes qui ne s'enrichiront jamais ! Je connais des gens en Guyane qui vivent cela depuis quinze ans, puisqu'on ne les laissera pas partir avant qu'ils aient réglé leurs dettes.

La Chine intervient dans ce processus, puisqu'elle propose du matériel moins cher. Les structures qui ont les moyens peuvent le stocker en forêt, mais il faut savoir qu'il n'est pas forcément payé non plus. La vie sur un placer est extrêmement difficile et douloureuse. Dans le film dont vous n'avez vu qu'un extrait, je montre à quel point ces petites sociétés d'orpailleurs souffrent sur le terrain et pourquoi elles s'accrochent : c'est qu'elles ne peuvent pas faire autrement. C'est sans fin.

Quant aux grandes structures, lorsqu'elles sont démantelées, pour peu que la gendarmerie ou l'armée reste sur place pendant un moment, elles partent déforester un autre terrain. On ne s'en sort plus. Les dettes et l'obligation de réussir conduisent les structures à rester sur le terrain. Il y a donc de plus en plus d'orpailleurs illégaux en Guyane.

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Les députés guyanais qui nous ont précédés avaient déjà cherché, par le biais de missions, à rendre publique la question de l'orpaillage illégal et à sensibiliser les premiers ministres successifs. Mais, en arrivant à l'Assemblée nationale en 2012, j'ai eu le sentiment que nos collègues de l'hexagone n'étaient pas vraiment au fait de la situation périlleuse qui sévit depuis plus de trois décennies en Guyane. Je suis vraiment heureux que notre commission d'enquête nous permette de poser un regard beaucoup plus attentif sur la situation. Je vous remercie déjà, chers collègues, pour votre implication à nos côtés.

Monsieur Huet, vous décrivez l'orpaillage illégal en Guyane comme une entreprise mafieuse et criminelle. Je vous ai senti un peu désabusé, lorsque vous disiez que, malgré tous les efforts déployés par l'armée et les gendarmes, malgré la destruction du matériel, rien ne semblait empêcher sa progression inéluctable. On a le sentiment de remplir le tonneau des Danaïdes. Comment pourrait-on enrayer ce processus ? S'agit-il d'un problème de moyens, d'hommes insuffisamment formés, de stratégie ? Est-ce que les tactiques ne sont pas à la hauteur des enjeux ? Ne faudrait-il pas que notre gouvernement déploie d'autres stratégies et que les militaires s'adaptent autrement ?

Auparavant, pour identifier les soutiens des orpailleurs illégaux, nous regardions plutôt du côté de l'est et du Brésil. Mais vous nous dites que la Chine permet aux garimpeiros de s'approvisionner à peu de frais et d'organiser leur gestion des stocks, ce qui ne fait qu'augmenter notre inquiétude. Comment peut-on agir ? Faut-il livrer une guerre aux garimpeiros ?

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Michel Huet, réalisateur

La France a négocié avec le Brésil pendant des années. J'avais rencontré la consule du Brésil à Cayenne, qui m'avait dit que les autorités brésiliennes faisaient ce qu'elles pouvaient.

Bien avant la pandémie, Oiapoque avait déjà levé le pied de l'accélérateur. Le nombre des comptoirs, où de petits lingots étaient échangés contre une promesse d'argent, s'élevait à une douzaine. Il en existe encore certainement, mais ils sont très peu nombreux et bien cachés. C'est la raison pour laquelle il est moins facile désormais d'échanger avec le Brésil. En revanche, cela se passe très bien avec le Suriname, parce que l'orpaillage illégal en Guyane rapporte beaucoup d'argent. Chaque année, cinq tonnes d'or, mais plus vraisemblablement dix à douze tonnes, seraient produites par l'orpaillage illégal. Or l'orpaillage légal n'est pas en mesure de déclarer plus d'une tonne d'or par an. Ainsi, 90 % de cet or passe au Suriname, où il est aussitôt acheté, transformé en monnaie et expédié sous forme d'un virement, le plus simplement du monde, au Brésil. En France, cela n'est pas possible. Il est plus facile de faire passer l'or récolté en Guyane au Suriname pour l'exporter au Brésil.

Dans l'arrière-boutique du comptoir d'or que j'ai pu filmer, après avoir établi des liens de confiance avec les orpailleurs, on fabrique des bijoux, étant donné que la douane ne demande pas leur provenance. C'est pourquoi une grande partie de l'or est transformée en bijoux, avant d'arriver au Suriname. Ils remontent ensuite très facilement au Brésil, plus précisément à São Paulo, où ils sont transformés en simples lingots puis vendus légalement, parfois sous la forme de nouveaux bijoux. Ce flux est très inquiétant. Il est devenu très facile de transformer l'or illégal en or légal.

Lors de mon reportage, je me suis demandé dans quelle mesure il était possible de tracer l'or. Ça ne l'est pas ! On ne peut pas le marquer de manière indélébile. Aussi, je me suis tourné vers de célèbres joailliers et leur ai proposé de travailler ensemble pour trouver un système de traçabilité de l'or. Ils sont devenus très pâles… Ils savaient que c'était impossible, mais imaginons que j'aie trouvé une solution ! On s'est vus une fois, pas deux. L'or des bijoux présentés en vitrine peut provenir de l'orpaillage illégal en Guyane française ou de partout ailleurs dans le monde, où des êtres humains sont traités comme des esclaves pour extraire ce métal. L'or de la Bolivie et du Venezuela passe également par São Paulo, mais je n'ai pas d'informations sur celui du Guyana. Les nouvelles structures permettent d'écouler les richesses que représente cet or illégal. Ce système est la pire des choses qui pouvait nous arriver.

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Comment pouvons-nous faire pour voir votre documentaire en intégralité ? Le démantèlement d'Oiapoque a-t-il bénéficié d'une coopération entre le gouvernement brésilien et le gouvernement français ? Comment cette coopération a-t-elle été organisée ? La Chine est-elle uniquement un pourvoyeur de matériel au Suriname ou joue‑t‑elle également un rôle dans l'organisation du trafic ?

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Michel Huet, réalisateur

Les relations entre la France et Brésil ont porté leurs fruits. Progressivement, Oiapoque a changé de statut et tend à devenir un lieu touristique.

La Banque de Chine n'est pas en tête des banques qui possèdent des masses d'or. En revanche, depuis quelques années, les Chinois qui possèdent le plus d'argent et d'actions, voyant l'ambiance économique et financière mondiale se détériorer, achètent de l'or. La Chine se retrouve débordée par cette demande colossale. Je ne crois pas qu'elle se contente d'apporter du matériel via le Suriname pour alimenter l'orpaillage. En Chine, des orpailleurs travaillent selon les méthodes utilisées par les garimpeiros. La Chine est sérieusement installée sur place au Suriname. Je ne suis pas encore parvenu à démontrer la place qu'elle tient dans le financement mondial de l'or, mais je ne pourrais pas comprendre qu'elle soit au Suriname uniquement pour vivre de la vente de matériel, alors que sa population demande de convertir son argent ou ses actions en or. Elle ne peut que regarder avec avidité l'or guyanais. C'est le sujet sur lequel je travaille aujourd'hui.

Sur mon site internet biosphere.wmaker.tv, vous pourrez consulter dès demain deux de mes films : L'or de la Guyane et Ka'awan, trésor de biodiversité.

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Les conditions de vie des orpailleurs semblent difficiles. Les structures sont-elles exclusivement une affaire d'hommes ou sont-elles aussi une affaire de famille, tant au niveau de leur transmission que de leur structuration ?

Par ailleurs, lorsque leur matériel est détruit, comment font les structures pour rebondir ?

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Michel Huet, réalisateur

Pendant trois ans, j'ai suivi plusieurs familles d'orpailleurs – des frères et des cousins. C'étaient, et ce sont encore, des petits groupes de sept ou huit personnes. Quand l'armée débarque, tout est détruit. Les orpailleurs doivent trouver les moyens pour réparer leur matériel ou racheter d'autres outils. Dès lors, ils sont coincés : ils ne peuvent pas faire autrement que de continuer à travailler pour rembourser leurs dettes et tenter de se nourrir. C'est la raison pour laquelle l'existence de ces petites structures familiales, en quelque sorte, repose sur leur lien avec les orpailleurs légaux, qui, peinés par leurs conditions de travail catastrophiques, leur donnent de petits coups de main.

Une anecdote. J'apprends que la femme d'un orpailleur arrive de l'Amapá. Elle doit franchir le Maroni à Paramaribo, où elle a beaucoup de chance, puisqu'elle n'est pas arrêtée par l'armée, contrairement à sa sœur. Je prends un billet d'avion, espérant être sur les lieux avant elle et la voir arriver sur le placer de son mari. J'arriverai deux jours trop tard. C'était en 2014. Aujourd'hui, elle est toujours sur ce placer, parce qu'elle ne peut pas laisser son mari, son beau-frère ou les membres de sa famille seuls dans l'enfer qu'ils connaissent. La dimension familiale est essentielle pour certains de ces orpailleurs. On est à des années‑lumière de ce qui se passe sur les grands chantiers.

Lorsque leur matériel est détruit, les orpailleurs donnent à celui qui le remplace le peu d'or dont ils disposent, afin qu'il patiente un peu. Et à chaque fois qu'ils retrouvent de l'or, ils lui en redonnent. Certains patrons de structures plus importantes exercent ainsi un chantage inhumain sur les petits orpailleurs, qui n'osent pas fuir de peur d'être rattrapés.

Le milieu est extrêmement dangereux. Lors de la visite de Nicolas Sarkozy en Guyane, en janvier 2012, j'apprends qu'un dénommé Manoelzinho embauche des gens sur le terrain pour défendre les orpailleurs des maraudeurs qui attaquent aussi bien les grandes structures que les petites. Plusieurs maraudeurs seront ainsi tués. Après avoir gagné de l'or, Manoelzinho décide d'aller plus loin et d'attaquer les ressources en or de la structure qu'il était censé protéger. Alertées, la gendarmerie et l'armée interviennent et deux gendarmes sont tués. Trois personnes de la bande de Manoelzinho ont été arrêtées, mais lui demeure introuvable. On ne parle pas assez de ce climat de terreur. Les petites structures d'orpailleurs légaux en Guyane n'ont d'ailleurs pas d'armes, ce qui est la meilleure façon de ne pas se faire tuer.

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Les orpailleurs illégaux arrêtés par l'armée sont-ils expulsés du territoire ? Leur or est-il saisi ? Le site est-il rendu inutilisable ?

Y a-t-il beaucoup d'enfants sur ces sites ?

Dispose-t-on aujourd'hui d'une évaluation de la pollution sur le territoire guyanais ?

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Michel Huet, réalisateur

Généralement, les orpailleurs sont alertés de l'arrivée de l'armée par le bruit des hélicoptères ou par le coup de téléphone d'un copain qui les voit passer, ce qui leur permet de partir avec leur or. Presque tous les orpailleurs clandestins, même les plus pauvres, possèdent un téléphone satellitaire ou une radio BLU, dont disposent les pêcheurs en haute mer. Ils ne vont pas loin, parce qu'ils savent bien que l'armée ne les torturera pas pour obtenir de l'or. Cela reste très humain : il n'y a pas de persécution, mais tout est détruit. Les puits sont détruits ou fortement endommagés ; tous les systèmes de remontées sont coupés ; tout est brûlé, y compris les médicaments. Quand l'armée part, plus rien n'est utilisable et les orpailleurs n'ont plus rien que l'or qu'ils ont caché. Sur certains sites, les orpailleurs viennent la nuit en rampant récupérer le quartz aurifère qu'ils ont extrait. Puis, quelques semaines plus tard, tout recommence.

Il y a très peu d'enfants sur les sites.

La pollution est très grave, puisque les orpailleurs utilisent du mercure, qui s'évapore, retombe sur les feuilles, puis sur le sol quand il pleut. Au contact de certaines bactéries et de certaines plantes microscopiques, le mercure se transforme en méthylmercure, qui est ensuite ingéré par les animaux puis par l'homme.

Dans le sol de la forêt amazonienne, comme dans d'autres forêts du monde, il y avait du mercure avant l'arrivée de l'homme, déposé par des évaporations océaniques ou des vapeurs volcaniques. Avec une équipe de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), nous avons retrouvé du mercure à un mètre de profondeur. Quand le sol est lessivé à grands coups de lance, comme vous l'avez vu dans le documentaire, du mercure, présent depuis des millions d'années, est libéré.

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Avec Christiane Taubira, à l'occasion d'une mission sur l'écologie, nous avions survolé les sites d'orpaillage en hélicoptère.

Quels sont les liens entre les différentes communautés guyanaises et ceux qui viennent de l'extérieur ?

Comment les orpailleurs brésiliens parviennent-ils à rejoindre la Guyane ? Dans quelles conditions arrivent-ils ? Sont-ils soutenus logistiquement ? Existe-t-il des réseaux privés ou para‑étatiques dans les régions limitrophes à la Guyane ? Quelles sont les forces en présence ?

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Michel Huet, réalisateur

Les populations autochtones de Guyane doivent parfois faire des compromis par rapport à l'orpaillage. J'ai connu un jeune du Maroni qui avait fait des investissements et obtenu des certificats pour accueillir et transporter des touristes. Cela ne s'est finalement pas fait. Comme il était coincé financièrement, il a accepté de transporter de l'essence pour des orpailleurs. Aujourd'hui, je crois qu'il est en prison. Ces situations dramatiques existent, mais elles sont rares. Beaucoup de villages situés sur les rives du Maroni et de l'Oyapock sont minés par l'orpaillage.

Des réseaux établis autour de la Guyane apportent des moyens à des personnes ou à des collectivités. À ma connaissance, aucune collectivité n'a organisé un quelconque système à son profit. En revanche, dans la périphérie de la Guyane, il existe de nombreux réseaux, dont des réseaux de maraudeurs. Pour de l'or, on est prêt à tout inventer et à tout créer. J'ai rencontré un Brésilien qui, après avoir gagné de l'argent grâce à l'orpaillage, en fournissant du matériel, en aidant à le réparer et en livrant de la nourriture, a pu s'acheter un bateau. Il pêche désormais sur les côtes françaises.

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Pour extraire une tonne d'or, plus d'une tonne de mercure serait nécessaire. D'où provient-il ? Existe-t-il une filière ? Par quel canal arrive‑t‑il en Guyane ? Les orpailleurs légaux en utilisent-ils également ?

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Michel Huet, réalisateur

Il existe plusieurs filières pour le mercure : l'une qui passe par le Brésil et l'autre par le Suriname. C'est très bien organisé, et le mercure entre en Guyane facilement.

Les orpailleurs légaux n'utilisent pas de mercure, car c'est interdit. C'est l'une des principales différences avec l'orpaillage illégal. Les orpailleurs légaux français utilisent la gravité : la masse d'or se trouve piégée sur des tables à vibration.

Dans certains grands projets d'orpaillage en Guyane, comme Montagne d'or, Espérance ou Dieu Merci, l'or doit être extrait de la roche primaire, à 400 mètres de profondeur, avec l'aide du cyanure, qui est aussi dangereux, si ce n'est plus, que le mercure. Les boues stockées finiront, un jour ou l'autre, par le libérer. Toutes les formes d'orpaillage industriel, légal ou illégal, sont dangereuses pour la biodiversité. Tous les estuaires seront pollués et les populations touchées.

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Le projet de loi climat et résilience comprenant une réforme du code minier, j'avais proposé d'y interdire l'utilisation du cyanure. Or on m'a répondu qu'il existait un label garantissant sa bonne utilisation dans les exploitations aurifères. Je suis un peu perplexe. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point ?

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Michel Huet, réalisateur

En métropole, nous avons des zones cyanurées extrêmement toxiques. Des enfants ont d'ailleurs été contaminés dans leurs écoles. Le danger du cyanure n'est pas tant lié à son utilisation qu'à ses déchets, pour lesquels nous n'avons aucune solution de traitement.

Le problème de la vie sur terre ne se pose pas dans l'immédiat. Cependant, à cause du réchauffement climatique, des arbres ont du mal à se reproduire en Amazonie. Des problèmes se posent également en métropole : les arbres sont déjà en fleurs et risquent de geler prochainement. La notion de durée est très importante. Lorsqu'il y a des projets d'une telle ampleur, il faut toujours se demander combien de temps la nature mettra à se débarrasser de la pollution. Or cette dimension n'est pas suffisamment prise en compte aujourd'hui. En ce qui concerne l'utilisation du cyanure en Guyane, on nous dit que des filtres d'une durée de vie de cent soixante ans seront posés. Mais nous ne serons plus là dans cent soixante ans ! Comment vérifier leur efficacité ? Il faut être sérieux et introduire la notion de temps.

Sachez que je m'intéresse à la Guyane depuis très longtemps, mais aussi à d'autres milieux. Je travaille également sur le phosphate. Deux éléments doivent être pris en considération : la qualité de nos océans et celle de la forêt amazonienne guyanaise. Les océans fournissent 50 % de l'oxygène que nous respirons, mais leur stock décroît et certaines zones n'ont plus d'oxygène. La forêt amazonienne guyanaise, qui ne fournit pas autant d'oxygène que nos océans, est néanmoins absolument indispensable. C'est un stock de carbone. En détruisant la forêt amazonienne, on libère le carbone qu'elle conserve. C'est pourquoi il est très inquiétant de voir ce qu'en fait le Brésil aujourd'hui. Quel que soit le sujet concernant l'homme et la nature, il faut absolument y intégrer la notion du temps.

Je vous remercie infiniment de m'avoir invité pour cette audition. Je vais continuer à travailler sur l'or de la Guyane, en espérant que j'aurai le temps de terminer ce que j'ai commencé.

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J'espère que vous pourrez aller loin dans votre démarche, qui apporte beaucoup au territoire guyanais mais aussi à tous ceux qui s'intéressent au sujet de l'orpaillage, légal ou illégal.

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Michel Huet, réalisateur

Les orpailleurs illégaux massacrent la forêt, tandis que les orpailleurs légaux qui travaillent dans de petites unités en ont le souci. Ils prélèvent en effet des végétaux, qu'ils vont ensuite replanter sur leur site de travail, en respectant l'organisation de la nature. Pour être repassé dans la forêt quelques années après leur travail de réhabilitation, je peux vous assurer qu'à certains endroits on avait vraiment du mal à imaginer l'existence d'un ancien site d'extraction. C'est très rare, mais cela existe et ce serait bien de le développer.

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Le reboisement est en effet prévu par la législation. Si tout le monde le pratiquait, les choses iraient dans le bon sens.

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Je vous remercie, monsieur Huet, pour votre intervention. J'ai déposé, sur plusieurs projets de loi, des amendements visant à durcir les conditions de travail des orpailleurs légaux sur le territoire guyanais, afin de favoriser la préservation et la protection de l'environnement. Finalement, nous faisons peser une grosse pression sur les orpailleurs légaux, tandis que nous ne parvenons pas à trouver les bonnes mesures pour mettre les orpailleurs illégaux hors d'état de nuire. Il était essentiel pour nos collègues que M. Huet évoque cette question, qui devrait souvent revenir dans nos débats.

La réunion s'achève à seize heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.