Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 15h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • circulaire
  • civil
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  • contentieux
  • indépendance
  • juridiction
  • magistrat
  • parquet

La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures 30.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président

La Commission d'enquête entend M. Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau.

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Nous recevons M. Jean-François de Montgolfier , directeur des affaires civiles et du Sceau. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous invite, monsieur, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-François de Montgolfier prête serment)

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

La direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) est compétente par défaut dans les matières juridiques qui n'entrent pas dans la compétence d'une autre direction. Aussi a-t-elle compétence en matière civile, commerciale et constitutionnelle, raison pour laquelle elle porte généralement les réformes constitutionnelles. Cela ne fait pas de la DACS une direction experte dans chaque sujet dont traite la Constitution : certaines questions constitutionnelles touchent plus directement la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) pour la matière pénale, et d'autres la direction des services judiciaires. Ainsi, s'agissant du statut, de la déontologie et des conditions de nomination des magistrats, le directeur des services judiciaires vous apportera des éléments plus précis que les réflexions d'ordre constitutionnel que je puis faire.

Ni la Constitution ni le Conseil constitutionnel ne reconnaissent de pouvoir judiciaire. Pour autant, l'idée fréquemment exprimée que la référence à « l'autorité judiciaire » dans la Constitution traduirait la volonté d'abaisser la justice face aux autres pouvoirs que la Constitution aurait reconnus est fausse pour deux raisons. La première est que si la Constitution de la Vème République ne reconnaît pas le pouvoir judiciaire, elle ne reconnaît pas davantage de pouvoir législatif ou de pouvoir exécutif. Les seuls pouvoirs qu'elle évoque sont le pouvoir réglementaire et le pouvoir de nomination – deux attributs du pouvoir exécutif, mais qui ne sont pas désignés comme tels dans la Constitution du 4 octobre 1958. D'autre part, si la Constitution comprend un titre VIII consacré à « l'autorité judiciaire » et non à la justice, les travaux préparatoires démontrent que le projet de révision constitutionnelle comportait un titre VIII intitulé De la justice, qui comportait les articles 64 à 66 sur l'autorité judiciaire. C'est parce que l'autorité judiciaire ne recouvre pas, en France, tout le champ de la justice – notamment parce que la justice administrative n'entre pas dans le champ de l'autorité judiciaire – que le titre VIII a été renommé pour désigner précisément ce dont il est traité aux articles 64 à 66 de la Constitution, c'est-à-dire de l'autorité judiciaire. La justice administrative n'a été consacrée que lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008 désignant le Conseil d'État comme juridiction suprême d'ordre administratif ; jusqu'alors, il ne figurait dans la Constitution que dans ses attributions administratives, au sujet de l'examen des projets de loi, à l'article 39.

Dans le questionnaire que vous m'avez adressé, monsieur le rapporteur, vous m'avez interrogé sur plusieurs points relatifs aux garanties constitutionnelles de l'indépendance de l'autorité judiciaire et des magistrats, en particulier sur la formulation de l'article 64 de la Constitution, selon laquelle « le président de la République est le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire » et qu'il est « assisté par le Conseil supérieur de la magistrature ». Cette expression parfois critiquée date de l'origine de la Constitution mais elle a changé de sens avec la révision constitutionnelle de juillet 2008. La Constitution confie au président de la République une double mission : il est le garant du respect de la Constitution et il participe du pouvoir exécutif puisqu'il partage avec le Premier ministre l'exercice du pouvoir réglementaire et le pouvoir de nomination. La formule selon laquelle le président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire se rattache sans contestation possible à la première de ses compétences. Qu'il soit pour cela assisté par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) avait, avant 2008, une portée plus ambiguë, puisque le président de la République présidait le CSM, autorité de nomination des magistrats. Cette ambiguïté a conduit à réformer le Conseil supérieur qui, depuis la révision constitutionnelle de l'été 2008, n'est plus présidé par le président de la République. L'indépendance du CSM à l'égard du président de la République étant désormais constitutionnellement garantie, la formulation « Il est assisté par le CSM » ne me semble plus sujette à la critique.

Le Parlement est saisi d'un projet de loi constitutionnelle qui prévoit de modifier les attributions du CSM pour soumettre les nominations des magistrats du parquet à son avis conforme et pour lui confier le rôle de juridiction disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet comme à l'égard des magistrats du siège. Cela renforcerait assurément l'indépendance de l'autorité judiciaire – même si, s'agissant des nominations, aucun garde des Sceaux n'est plus passé outre un avis du CSM depuis plus de dix ans. Le projet de réforme constitutionnelle consacrerait donc la pratique dans le droit et éviterait que l'on revienne à des pratiques anciennes sans doute critiquables en termes d'indépendance la magistrature.

La révision constitutionnelle de 2008 a aussi modifié la composition du CSM en mettant fin à la majorité des magistrats. On est ainsi parvenu à un équilibre entre la représentation des magistrats au sein du Conseil et l'ouverture à des personnalités extérieures nommées par des autorités différentes afin de renforcer l'indépendance du CSM tant à l'égard de la magistrature qu'à l'égard des autorités de nomination.

Vous m'avez aussi interrogé sur l'influence de la mobilité interne et externe des magistrats sur l'indépendance de la justice. D'un point de vue juridique, la question a été tranchée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 février 1992 ; il a jugé que ni la disposition organique prévoyant que les magistrats ont vocation à passer du siège au parquet, ni les dispositions de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative au détachement des magistrats ne portent atteinte à l'indépendance de l'ensemble des magistrats non plus qu'à l'inamovibilité des magistrats du siège. Pour ma part, je revêts ma casquette d'ancien magistrat en détachement et de fondateur de l'Association des magistrats détachés, mis à disposition et en disponibilité pour vous dire que la possibilité de diversité et de mobilité est une source d'enrichissement pour les magistrats et la magistrature, et qu'elle répond aussi à un besoin des autres administrations. Étant donné la place qu'occupent désormais le droit pénal et le droit privé dans certains champs de l'action publique, beaucoup d'administrations doivent avoir en leur sein des experts du droit judiciaire privé ou pénal ; les magistrats apportent cette compétence dans la haute fonction publique. Il y a donc un enrichissement réciproque dans ces échanges. À titre personnel, je ne pense pas qu'il en résulte une atteinte à l'indépendance des magistrats.

J'en viens à vos questions portant sur la DACS et à son rôle à l'égard du ministère public. Je signale un point souvent ignoré : l'article 30 du code de procédure pénale qui interdit les instructions individuelles du garde des Sceaux aux magistrats du parquet n'est applicable qu'en matière pénale. En matière civile s'applique l'article 5 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958, à savoir le principe de hiérarchie du garde des Sceaux sur les parquets généraux, qui ont eux-mêmes autorité hiérarchique sur les parquets. C'est ce que dit le droit mais la réalité, pour l'action publique en matière civile, est un peu différente, et différenciée. Les matières sont en effet traitées différemment selon les champs d'intervention et les conditions dans lesquelles cette autorité s'exerce – autorité qui est en réalité une collaboration avec les parquets.

Ainsi, il faut traiter à part le contentieux judiciaire de la nationalité, qui fait l'objet de dispositions procédurales particulières et pour lequel les poursuites aux fins de demander l'annulation de certificats de nationalité française sont rédigées par mes services. De même, la décision de poursuivre l'annulation de ces certificats est prise par mon administration, qui envoie les projets d'assignation aux parquets, lesquels les signifient aux défendeurs. La politique en matière de contentieux de la nationalité est donc centralisée par mon bureau de la nationalité, y compris la rédaction juridique des mémoires en défense ou des assignations. Cela ne signifie pas que les parquets n'ont pas de possibilité d'action en matière de nationalité, mais je défends la centralisation de ce contentieux par la nécessaire cohérence de la politique publique en matière de nationalité sur l'ensemble du territoire et par la non moins nécessaire cohérence entre la politique publique en matière de nationalité selon qu'elle relève de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ou d'un traitement administratif. Il existe en effet différentes voies d'acquisition de la nationalité et, selon qu'elle s'acquiert par la filiation ou par le mariage, les conditions de reconnaissance et de déclaration se font par voie judiciaire ou par voie administrative, le contentieux relevant tantôt du juge judiciaire avec le parquet qui poursuit, tantôt de la voie administrative.

Dans les autres domaines du parquet civil, c'est-à-dire principalement le droit des personnes et de la famille, l'état civil, le droit des procédures collectives et la discipline des professions du droit, l'intervention de la DACS est double. Elle s'exerce par des circulaires générales visant à présenter et à expliquer les dispositions et les règles de droit, et par des orientations d'action publique pour les parquets. Je donnerai pour exemple la reconnaissance de l'état-civil des enfants nés de gestation pour autrui à l'étranger : mes prédécesseurs ont été amenés à diffuser des circulaires d'action publique afin que l'état de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme soit connu et appliqué uniformément sur le territoire français. Á travers les parquets, c'est aussi l'action des officiers de l'état civil qui est concernée, puisqu'ils sont des agents de l'État œuvrant sous le contrôle du procureur de la République. Les instructions adressées aux officiers de l'état civil émanent donc de ma direction ou de la ministre, selon l'importance des décisions prises. Par exemple, les instructions données pendant la période de confinement aux officiers d'état civil s'agissant des permanences qui devait être ouvertes, des actes qui devaient continuer d'être faits et de ceux qui, comme les mariages, devaient être reportés portent ma signature. Elles ont été adressées aux procureurs généraux, qui les ont diffusées aux officiers d'état civil conformément à la chaîne hiérarchique.

La DACS est aussi l'interlocuteur des parquets généraux dans certaines affaires individuelles, mais la relation hiérarchique ne se fait plus, depuis longtemps, sur le mode « Garde-à-vous, rompez ! ». Il s'agit désormais de soutien, d'expertise, d'échanges avec les parquets généraux au sujet d'affaires aux enjeux importants, pour lesquelles les parquets généraux doivent connaître l'analyse, juridique ou de politique publique, du ministère de la justice, et qui donnent lieu à la transmission d'informations. J'en donnerai pour exemple le récent sauvetage de France-Antilles. La procédure collective pendante devant le tribunal de commerce a soulevé des questions juridiques complexes et ma direction a apporté au ministère public l'expertise permettant au tribunal de commerce de prendre les décisions qui ont permis de sauver cet organe de presse. Que la chancellerie puisse suivre attentivement des affaires individuelles ne me paraît pas porter atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire puisqu'on est face à des juges indépendants ; ils entendent la position du ministère de la justice, qui est communiquée et débattue contradictoirement comme le serait la position de n'importe quel autre observateur, mais avec la place que peut occuper le ministère dans certains dossiers, et statuent souverainement, et si les parties sont en désaccord avec la décision, les voies de recours demeurent ouvertes.

Le ministère de la justice peut se faire entendre auprès des juridictions commerciales mais aussi, parfois, auprès des juridictions civiles de droit commun, et cela peut être utile pour nourrir le débat. Ainsi, il n'est pas exceptionnel que, pour des affaires particulièrement sensibles, le procureur général de la Cour de cassation, qui jouit d'une indépendance complète, demande à la DACS son analyse juridique. Il la verse parfois à la procédure et les parties peuvent en débattre de manière transparente et contradictoire.

La DACS, parce qu'elle a une expertise sur certains textes qu'elle a rédigés, dont elle a suivi le cours au Parlement et les éventuelles difficultés d'application, peut être un interlocuteur utile pour les juridictions, en apportant, par l'entremise des parquets généraux, une analyse juridique sur l'interprétation des textes. Ce travail auprès des parquets généraux ne revêt pas tant aujourd'hui un caractère hiérarchique qu'un caractère de soutien.

Enfin, la DACS travaille avec les parquets généraux à l'animation du réseau des avocats généraux chargés de la discipline des officiers publics et ministériels, qui sont placés sous mon autorité directe. Nous leur apportons le soutien et l'expertise dont ils ont besoin lorsqu'ils sont confrontés à des questions complexes.

J'ajoute en conclusion que les parquets généraux et les parquets en matière civile sont inégalement armés sur le territoire national. Le parquet civil représente une part réduite de l'activité des parquets. Dans de grandes juridictions, on peut y affecter des magistrats à plein temps, qui sont spécialisés. Á Paris, un service civil regroupe plusieurs magistrats aux spécialités diverses – état civil, tutelle, adoption, droit commercial – mais il n'en va pas de même partout. Dans les parquets de petite taille, l'activité civile peut représenter un mi-temps ou un quart de temps pour un magistrat du parquet ; s'il se trouve confronté à une affaire exceptionnellement complexe, il sera heureux que nous puissions lui apporter une expertise juridique et du soutien et nous serons à sa disposition. C'est dans cet esprit que la DACS travaille avec les procureurs généraux.

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Les arguments par lesquels vous expliquez la centralisation du contentieux relatif au droit de la nationalité pourraient s'appliquer à l'adoption comme à bien d'autres sujets pour lesquels on n'a pourtant pas choisi ce traitement très directif. Quelle en est la justification réelle ? Les circulaires d'action publique qui s'imposent à ceux à qui vous les adressez visent à l'uniformisation des politiques publiques ; ne pourraient-elle pas suffire aussi dans ce domaine ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

D'autres contentieux pourraient éventuellement donner lieu à une plus grande centralisation. Vous avez, à juste titre, cité l'adoption mais en réalité, ce contentieux est également fortement centralisé. Une grande partie des dossiers d'adoption sont des dossiers d'adoption internationale et la centralisation se fait au parquet de Nantes, où se trouve le service d'état civil du ministère des affaires étrangères. De même, le parquet général de Rennes est spécialisé et armé pour traiter ces questions, puisqu'il a autorité sur ce service d'état civil ; par ce biais, il exerce un suivi particulier.

Deux raisons justifient le traitement centralisé du contentieux de la nationalité. D'abord, le traitement de ces affaires implique de disposer de bases de données historiques considérables sur les législations coloniales et postcoloniales, les états civils des pays considérés, les règles d'état des personnes et de nationalités adoptées au moment des indépendances. Les affaires de nationalité qui relèvent du juge judiciaire sont pour partie l'invocation de la transmission de la nationalité par ascendance, et la maîtrise du droit applicable aux conditions d'abandon ou de conservation de la nationalité dans un pays qui fut sous autorité ou compétence françaises suppose une forte expertise juridique ; disperser cette expertise sur le territoire national créerait une perte de compétences notable. Ensuite, la centralisation en matière de nationalité permet des échanges d'informations avec les autres administrations – tels le ministère des affaires étrangères ou la sous-direction de nationalité française du ministère de l'intérieur – qui doivent savoir si des certificats de nationalité ont été délivrés, cependant que mes services peuvent avoir à connaître de situations particulières traitées dans un autre cadre juridique. La centralisation est source d'une efficacité dans le traitement des dossiers qui n'existerait pas si on l'avait dispersé selon les juridictions compétentes. Enfin, les gigantesques archives historiques et documentaires du bureau de la nationalité ne sont pas encore numérisées ; nous y travaillons, mais cette documentation ne peut être rassemblée dans les 200 tribunaux qui délivrent des certificats de nationalité française, ni même dans les quinze tribunaux judiciaires spécialisés pour traiter de ce contentieux de la nationalité.

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Que vous ayez besoin de vous référer à une base de données est une chose, mais il y a une différence entre la rédaction d'une analyse juridique et une centralisation absolue. J'ai cité l'adoption mais je pourrais aussi évoquer la garde d'enfants : on pourrait aussi imaginer centraliser ce contentieux, mais ce n'est pas ce qui est fait. Je m'interroge donc sur ces modes d'appréciation qui diffèrent en fonction des contentieux. En l'espèce, on est bien moins dans l'indépendance de la justice que dans sa dépendance, au moins pour le parquet, qui suit les instructions que lui donne votre bureau.

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Il s'agit de plus que d'instructions puisque les mémoires sont entièrement rédigés par le bureau de la nationalité. On peut faire des réformes mais il faudrait le faire en centralisant le contentieux quasiment au niveau national, ce qui créerait évidemment une difficulté en termes de justice de proximité. Ce sont des magistrats et des greffiers qui travaillent au bureau de la nationalité. On pourrait envisager que, demain, ce travail soit réalisé au sein des parquets, mais dans ce bureau vingt-trois personnes traitent environ 8 000 contestations de certificats de nationalité par an, et 8 000 recours. Si le traitement de ces quelque 16 000 affaires très techniques était dispersé sur le territoire national, on perdrait l'économie d'échelle. Cette technicité n'existe pas dans les affaires de garde d'enfants. On a spécialisé les juridictions en matière d'adoption internationale pour que des juridictions et des parquets en traitent suffisamment pour maîtriser la complexité de la jurisprudence. S'ils avaient la compétence en matière de nationalité, on aurait une perte de compétence de fait : je peux spécialiser un ou deux rédacteurs du bureau de la nationalité pour en faire un expert de l'historique de la nationalité pour les personnes originaires d'un pays donné, mais si je disperse ces contentieux entre quinze juridictions, je perdrai cette compétence particulière.

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Pensez-vous que le développement des modes alternatifs de règlement des litiges en matière civile pose un problème au regard de l'indépendance que peut garantir la justice ? En déjudiciarisant certaines procédures, avons-nous toutes garanties que les grands principes qui nous animent soient respectés dans les médiations, conciliations et autres procédures participatives ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Dès lors qu'un litige est résolu par un mode alternatif à la justice, la question de l'indépendance de la justice ne se pose plus directement. En revanche, sont en cause des principes fondamentaux de l'accès à la justice et de la qualité professionnelle de ceux qui concourent à ces modes de règlement alternatifs des litiges. La loi de modernisation de la justice du XXIème siècle avait apporté certaines garanties ; la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 en a apporté d'autres, notamment en prévoyant la certification des plateformes en ligne. En effet, la difficulté ne tient pas tant aux modes alternatifs qui existent dans le monde physique : les conciliateurs sont nommés par les premiers présidents de cour d'appel ; les médiateurs peuvent être inscrits sur la liste des cours d'appel ; pour les médiateurs judiciaires en matière familiale nous avons prévu un diplôme de médiateur familial ; les médiateurs de la consommation sont sous l'autorité de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Le système est encadré et fait l'objet d'un suivi et d'une réglementation propres à apporter des garanties. En revanche, les garanties sur internet paraissaient bien moindres ; cela a conduit à instaurer le mécanisme de certification des plateformes, sur lequel un décret a été pris en octobre 2019. Nous travaillons avec le comité français d'accréditation à la définition des critères ; cela nous prend un peu de temps car la certification de plateformes qui font du droit est une nouveauté, mais il ne faut pas laisser les modes alternatifs de règlement des litiges dans une liberté complète. Le ministère de justice se préoccupe de cette question par le suivi de cette réglementation, le suivi des conciliateurs de justice ou encore le niveau de diplôme exigé des médiateurs. Mais, par construction, ce ne sont pas des questions d'indépendance, puisque l'objectif visé est que les personnes résolvent leurs litiges par un accord sans qu'une autorité le tranche, autorité dont on pourrait douter, ou ne pas douter, de l'indépendance.

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Comment les informations en matière civile remontent-elles à la DACS ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Cela peut se faire spontanément, quand un procureur général estime utile de porter à la connaissance du ministère de la justice une affaire importante ou sensible parce qu'il devine que le ministre sera interpellé à ce sujet au Parlement ou par d'autres administrations – ainsi d'une procédure collective qui concernerait de très grandes entreprises et des centaines d'emplois avec un risque de médiatisation. Il peut aussi s'agir d'affaires de transsexualisme, quand il faut résoudre la question qui a donné lieu à des débats à l'occasion de l'examen de la loi de bioéthique : une personne qui change de sexe en ayant conservé l'appareil reproductif de son sexe d'origine et qui procrée selon un sexe alors qu'à l'état-civil elle en a un autre. Une affaire est pendante à ce sujet à la Cour de cassation et sera jugée prochainement ; les quelques cas constatés par les parquets nous ont été signalés spontanément par les procureurs de la République qui, en citoyens avertis, identifient les affaires qui méritent d'être signalées.

Il nous arrive aussi de demander par dépêche que nous soient signalées les affaires d'une certaine catégorie parce que nous estimons qu'il faudra décider si une intervention législative est nécessaire. Il en est ainsi d'une loi dont la question de la conformité à un traité ou à une disposition de droit européen serait soulevée devant plusieurs juridictions. Cela conduirait le Gouvernement à s'interroger sur l'éventuelle modification du texte, et pour savoir si une correction est nécessaire, il faut savoir si une contestation médiatisée est un cas isolé ou si le problème va devenir systémique et qu'il faut l'anticiper. C'est principalement dans ce cadre que se font les demandes de remontées d'information par les parquets généraux.

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Pouvez-vous nous donner un exemple de législation pour laquelle vous avez suggéré une évolution ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Je n'avais pas encore pris mes fonctions et ne sais si nous l'avions demandé formellement ou si cela s'est fait spontanément parce que l'affaire était médiatisée, mais la dernière affaire que je me rappelle est celle du barème d'indemnisation des licenciements, contesté au regard des dispositions de la convention de l'Organisation internationale du travail. Différents conseils de prud'hommes avaient statué dans des sens divers et la médiatisation était très forte. C'est le type d'affaires pour lesquelles se pose la question de savoir s'il faudra légiférer pour compléter la loi, et il faut savoir quand la Cour de cassation statuera pour sécuriser l'état du droit. Le Gouvernement doit être informé de l'ampleur de la contestation devant les juridictions, de l'état de la jurisprudence et de la chronologie prévisible du jugement définitif. Cela nous conduit à avoir des relations avec les juridictions pour connaître le traitement de ces affaires dans la perspective de la préparation d'une nouvelle législation.

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Le Parlement transpose les directives européennes à un rythme assez soutenu. Comment anticipez-vous ces transpositions, quand les textes portent sur des sujets délicats, la protection des lanceurs d'alerte par exemple ? Avez-vous des relations avec le ministère de l'intérieur, en particulier sur le contentieux de la nationalité ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Que les juridictions assimilent au mieux le droit européen est un enjeu important. La DACS, à travers son bureau du droit de l'Union, du droit international privé et de l'entraide civile, est l'animateur du centre français du réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale. Mes équipes se rendent dans les cours d'appel pour former et informer le mieux possible sur l'état du droit de l'Union, en particulier sur les instruments de coopération judiciaire civile et sur les instruments européens en matière civile et commerciale. Le bureau du droit de l'Union diffuse aussi une lettre mensuelle à toutes les juridictions ; elle traite de l'actualité du droit européen, des jurisprudences importantes et des outils mis à disposition des juges. La Commission européenne rédige des documents de synthèse très utiles mais souvent mal connus ; nous nous efforçons donc d'en assurer la diffusion la plus large possible. S'agissant de la protection des lanceurs d'alerte, nous sommes dans la phase amont puisque nous avons une directive à transposer. La DACS est la direction pilote de cette transposition qui porte sur un sujet transversal, partagé avec beaucoup d'autres directions.

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Les questions relatives au secret des affaires relèvent-elles aussi de votre direction ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

C'est un autre sujet partagé pour lequel la direction pilote est la DACS, mais ce n'est pas le sujet sur lequel nous avons l'action publique la plus forte. Nous avons des échanges réguliers avec la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur et avec d'autres administrations du ministère au sujet des affaires de nationalité : on nous demande si un certificat de nationalité française a été ou non délivré et s'il a été contesté, et nous pouvons répondre, mais nous avons aussi des échanges sur des difficultés juridiques pour essayer d'harmoniser nos positions et d'avoir une action publique, judiciaire ou administrative, cohérente en matière de nationalité.

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Les débats relatifs à la loi sur l'état d'urgence sanitaire ont été l'occasion d'aborder la question de la responsabilité pénale des élus et des chefs d'entreprise. Avez-vous travaillé sur la jurisprudence Air France ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Nous avons participé aux travaux interministériels et continuons de le faire parce que le législateur est intervenu sur le plan pénal mais pas encore sur le plan civil. La réflexion n'est pas encore arrêtée. Au sujet du covid-19, le sujet qui intéresse le plus les ministères sociaux est celui de la reconnaissance de la maladie professionnelle mais il y a là des enjeux de mise en cause de la responsabilité de façon générale, si bien que la DACS est impliquée dans ce dossier. Sur la jurisprudence Air France, nous en sommes aux discussions interministérielles. Cette jurisprudence est stabilisée. En termes d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, il y a une utilité à consacrer des jurisprudences dans la loi, mais celle-ci étant bien établie, la nécessité n'est pas la même qu'en cas d'incertitude jurisprudentielle.

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Du point de vue de l'indépendance de la justice, les tribunaux de commerce et les conseils de prud'hommes vous semblent-ils être au même niveau que les juridictions exclusivement composées de magistrats ? Votre direction a-t-elle été amenée à intervenir à ce sujet ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Mon collègue directeur des services judiciaires, qui a autorité sur le recrutement, la déontologie et la discipline des juges non professionnels, pourra mieux vous répondre mieux que moi, puisqu'il est l'autorité de poursuite en cas de procédures disciplinaires contre des conseillers prud'homaux ou des juges des tribunaux de commerce. D'un point de vue général, il me semble que l'enjeu de ces juridictions n'est pas une question d'indépendance, aussi bien pour les juges consulaires qui sont élus et n'ont donc rien à craindre ni rien à espérer que pour les conseillers prud'homaux nommés sur proposition des organisations syndicales La difficulté n'est pas relative à l'indépendance : il peut se poser des questions d'impartialité parce que n'étant pas des magistrats professionnels formés et dans un cadre de carrière et étant immergés dans leur vie professionnelle, ils, sont exposés au risque de relations professionnelles qui peuvent parfois influer sur leur appréciation des affaires dont ils ont à connaître, risque par hypothèse plus important que pour les magistrats professionnels qui n'ont pas l'occasion de relations d'échange éventuel avec des justiciables. La question peut se poser, en particulier dans des juridictions de petite taille. Il y a des garanties, sous forme de formation à la déontologie, mais la formation seule ne suffit pas ; il faut aussi une discipline efficace. De grands progrès ont été faits tant dans l'efficacité du régime disciplinaire que pour la formation, mais je n'empiéterai pas davantage sur le domaine de compétence de mon collègue, qui pourra vous donner des indications chiffrées plus précises que je ne saurais le faire pour illustrer l'état du suivi de la déontologie et la discipline de ces professionnels.

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Que pensez-vous du projet de suppression de la Cour de justice inscrit dans le projet de loi constitutionnel ? Á défaut de révision constitutionnelle, quelles évolutions relatives à la responsabilité pénale des ministres vous paraissent-elles possibles ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Ma collègue directrice des affaires criminelles et des grâces est plus à même que moi de vous répondre au sujet du volet opérationnel de la responsabilité pénale. D'un point de vue constitutionnel, la Cour de justice de la République, en raison de sa composition mixte de magistrats et de membres du Parlement, était critiquée, incomprise et perçue comme un privilège de juridiction. Cela explique la décision qui a été prise d'un projet de loi constitutionnel la supprimant au profit d'une juridiction de droit commun. Il convenait toutefois de prendre en considération l'impact de la mise en cause pénale d'un ministre sur le fonctionnement de la vie administrative et politique du pays, ainsi que le risque d'instrumentalisation à des fins politiques des questions de responsabilité pénale. Aussi a-t-on prévu une juridiction statuant en premier et dernier ressort : on juge ainsi le plus vite possible et on évite que la longueur de la procédure soit instrumentalisée pour mettre en cause durablement des hommes politiques ou des ministres. Le projet instaure aussi une commission des requêtes présentant des garanties élevées, pour prévenir la menace d'instrumentalisation de la responsabilité pénale dans la vie politique. L'exercice est extrêmement difficile puisque le droit d'accès à la justice et le droit de porter plainte doivent évidemment être préservés, mais le risque de détournement de la justice pénale à des fins politiques existe. La recherche d'équilibre a conduit à la rédaction actuelle du texte.

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Combien de circulaires par an vos services adressent-ils aux juridictions, qui ont peu de temps pour en prendre connaissance ? Ces circulaires sont une forme, sinon de pression, du moins d'expression qui peut influencer l'acte de juger. Vous avez insisté sur l'intérêt de la mobilité au sein de la magistrature et je partage ce sentiment ; cependant, une limite ne devrait-elle pas être fixée dans les allers-retours entre le parquet et le siège, sachant que des relations et des amitiés se nouent ainsi ? Dans les tribunaux de commerce, d'énormes efforts ont été faits ces dernières années en matière de déontologie et de formation, mais dans les dossiers lourds de procédure collective, le parquet est le sachant de la juridiction ; dans cette configuration, comment se situe le juge par rapport au parquet ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Je n'ai pas fait le décompte des circulaires que j'ai adressées. Le Premier ministre, qui partage votre préoccupation, a demandé par une circulaire du 5 juin 2019 que l'on s'en tienne désormais aux véritables circulaires d'action publique sans plus envoyer de circulaires commentant ou interprétant les normes. Comme les autres administrations, la DACS a mis cette instruction en œuvre. Désormais, notre travail d'explication prend d'autres formes ; notre site intranet, auquel tous les magistrats ont accès, comporte des jeux de fiches et un ensemble de documents qui, rassemblés, auraient pu donner lieu à une circulaire. Le numérique nous offre une facilité d'accès à l'information et une conservation plus longue, ce qui nous permet de travailler différemment. Nous continuons à mettre systématiquement ces outils à disposition lorsqu'une réforme entre en vigueur, car si les magistrats, dans les juridictions, n'ont pas beaucoup de temps pour lire les circulaires, ils n'en ont guère plus pour lire la loi et son décret d'application et travailler à leur articulation. La circulaire, en leur donnant « le produit fini », notamment l'articulation des différents textes, simplifie leur travail

Nous publions beaucoup moins de circulaires à mesure que s'étoffent notre site intranet et notre site public internet. Nous avons ainsi créé sur le site internet du ministère un espace destiné aux professionnels du droit, consacré aux conséquences juridiques du confinement, avec une rubrique de questions et réponses relatives aux difficultés d'interprétation des ordonnances. Le besoin de soutien juridique, même s'il ne prend plus la forme de la circulaire, est toujours aussi nécessaire et constitue une grande partie de notre travail.

Je n'ai non plus de chiffres relatifs aux passages entre siège et parquet mais je vous les ferai transmettre. Je pense qu'ils ne sont pas très élevés, et qu'ils tendent à décroître à mesure que l'on avance dans la carrière : après quelques années, une certaine spécialisation s'instaure, qu'à titre personnel je pense bienvenue parce que la justice demande des compétences expertes et que la culture professionnelle n'est pas complétement la même au parquet et au siège.

La période de confinement a montré la grande qualité de la juridiction consulaire. Les tribunaux de commerce sont restés ouverts et ils ont traité des procédures collectives dès que nous avons pu prendre les ordonnances adaptant les règles de procédure collective. La mobilisation a été très forte pour répondre aux inquiétudes des entreprises en difficulté et pour traiter de ces difficultés. Le choix français d'une justice commerciale par des pairs élus est critiqué – la critique porte en particulier sur le risque de partialité – mais elle a aussi des vertus. Nous travaillons à la transposition d'une directive relative aux cadres de restructuration préventive et à l'insolvabilité. Dans le cadre du traité d'Aix-la-Chapelle, la France et l'Allemagne ont pris des engagements de rapprochement ; je me suis rendu à Berlin, mon homologue est venu à Paris, et nous avons travaillé ensemble pour voir comment nous inspirer de nos règles respectives. Il est apparu qu'une des différences entre nos deux systèmes est que la France accorde au cadre préventif une très grande importance, parce que les juges des tribunaux de commerce sont des commerçants et des hommes d'affaires pour qui la sauvegarde de l'entreprise est une valeur en soi. C'est pourquoi les entrepreneurs craignent peut-être moins qu'ailleurs de venir au tribunal faire état de leurs difficultés, dans l'espoir d'être aidé à s'en extraire. Dans d'autres pays, dont l'Allemagne, les procédures collectives sont des procédures d'exécution ; on ne se préoccupe pas de la préservation de l'emploi et du rebond de l'entrepreneur. Pour cela, il existe des mécanismes préventifs, pour certains efficaces, mais ils sont extra-judiciaires et sont actionnés avant la saisine de la juridiction, puisque l'on va au tribunal seulement pour payer les créanciers et faire aboutir une procédure collective. C'est pour une force pour la France d'avoir une justice commerciale exercée par des professionnels du monde des affaires. Les juristes anglo-saxons craignent souvent d'avoir face à eux des juges professionnels qui ne connaîtraient pas le monde des affaires ; quand on leur explique que les juges connaissent parfaitement ces préoccupations, ils découvrent la force de la justice commerciale française. Elle a par ailleurs des faiblesses que vous avez évoquées et des progrès sont encore nécessaires pour les corriger mais je ne crois pas que la justice commerciale française soit condamnable du fait de la composition des tribunaux. Alors que nous nous attendons à une augmentation importante de saisines des tribunaux de commerce, ce peut être un atout pour l'économie de notre pays que les juges consulaires se préoccupent de la sauvegarde de l'entreprise, du rebond de l'entrepreneur et du sauvetage de l'emploi.

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Vous avez évoqué l'appui de votre direction au parquet dans les procédures collectives, expliquant que l'exécutif veut donner des arguments propres à maintenir l'emploi. N'est-ce pas une entorse à l'indépendance des juges des tribunaux de commerce de leur dire : « Si vous voulez sauver l'emploi, là est la solution que vous propose l'exécutif », en les invitant fortement à suivre cette direction particulière ? Certains juges auraient pu considérer que la solution qui leur est fortement suggérée entraîne peut-être la sauvegarde temporaire de l'emploi mais que le projet économique global n'est pas bon et que c'est une mauvaise décision de long terme. Ces choix ne doivent pas être faits dans une volonté de démonstration politique immédiate. Dans ma circonscription du Nord, une masse de plans de sauvegarde d'entreprise avec intervention de l'exécutif ont eu le même scénario : un repreneur validé par le tribunal de commerce se casse la figure six mois ou un an plus tard et l'on recommence jusqu'à la destruction totale de l'emploi dont on avait dit à chaque étape qu'il serait préservé.

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Les décisions sont toujours prises par le tribunal de commerce, et donc par les juges, en toute indépendance, après qu'ils ont entendu les parties ; l'avis du parquet est requis dans toutes les procédures collectives mais ce n'est pas lui qui décide. Pour les entreprises d'une certaine importance, il doit y avoir une coordination des différents acteurs de l'État, puisqu'elles sont accompagnées par le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), service rattaché à la direction générale du Trésor. C'est une action administrative classique de soutien à l'économie, indépendante de la procédure judiciaire – d'ailleurs, certaines interventions du CIRI ne passent pas par le tribunal de commerce : son concours a permis à des entreprises d'éviter les difficultés qui les auraient conduites devant le tribunal de commerce. Dans certains cas, les dossiers suivis par le CIRI sont pendants devant le tribunal de commerce et des offres sont présentées ; il est de bonne gestion que le parquet ne découvre pas à l'audience que l'une d'elle est portée par le ministère de l'économie et des finances et qu'une autre ne l'est pas. Nous donnons ces éléments au parquet, lequel est libre de dire à l'audience s'il lui semble que le dossier ne tient pas, mais le tribunal doit disposer de la totalité des informations relatives à un dossier donné, et c'est le rôle de la DACS de les communiquer au parquet pour que le tribunal soit éclairé au mieux. Avec ou sans le CIRI, certaines restructurations n'aboutissent pas, mais il ne me paraît pas que la mobilisation générale qui a eu lieu à un moment donné soit la raison de l'échec de la relance. J'en vois plutôt la cause dans l'évolution du marché ou dans des obstacles liés à la détention du capital. Je ne suis pas sûr qu'apporter au tribunal toutes les informations disponibles soit de quelque façon blâmable en cette matière.

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Il ne faut pas, en effet, confondre indépendance et nécessaire information sur le contexte. Que le tribunal prenne connaissance des informations que lui communique le parquet comme de celles qu'il recueille auprès des forces économiques locales, des syndicats de salariés et des organisations patronales ne me semble pas poser de difficultés particulières en termes d'indépendance. Si cette contextualisation commune du dossier ne se faisait pas, on pourrait gravement manquer au devoir collectif de tenter de préserver le tissu économique français et l'emploi. Pensez-vous que les décisions diffèrent selon qu'elles sont prises par les tribunaux de commerce classiques ou par les juridictions où subsiste l'échevinage ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Je partage ce point de vue et je rappelle qu'au nombre des attributions du parquet figure celle de veiller au respect de la loi en garantissant qu'une procédure collective ne sera pas détournée de son objet par un chef d'entreprise cherchant à échapper à son passif tout en obtenant une reprise par un faux nez. C'est pourquoi la présence du parquet est obligatoire dans toutes les procédures collectives. L'échevinage ne subsiste plus qu'en Alsace-Moselle et outre-mer. Faire travailler dans une même formation de jugement magistrats professionnels et commerçants élus enrichit la délibération. Plusieurs tentatives de réforme ont eu lieu, qui sont restées inabouties. La question se posera peut-être à nouveau au cours de la réflexion relative à l'éventuelle création d'un tribunal des affaires économiques tendant à élargir la compétence du tribunal de commerce. Mais cela supposerait soit d'élargir la base électorale de cette juridiction, soit d'y faire siéger des magistrats ; il y a un donc un enjeu budgétaire – le recrutement de magistrats – qui fait que, quoi que l'on pense de l'intérêt de cette réforme, elle ne se fera pas du jour au lendemain.

L'une des faiblesses de la justice commerciale française tient à que la première instance est entièrement composée de commerçants élus, et la formation d'appel de magistrats professionnels. Á titre personnel, je privilégierais un système rassemblant en première instance deux juges élus et un magistrat professionnel et, en appel, deux magistrats professionnels et un juge élu ; on favoriserait ainsi la continuité de la mixité des approches juridique et économique. Je n'ai jamais siégé dans un tribunal échevinal mais les magistrats qui ont eu cette expérience en ont gardé un souvenir positif.

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Des désaccords se produisent-ils entre la DACS et un procureur de la République sur un dossier économique ou aboutissez-vous toujours à un consensus ?

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Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

J'ai pris mes fonctions il y a un an, et je n'ai jamais connu de désaccord. C'est que ni le parquet général quand il contacte le ministère, ni le ministère quand il contacte le parquet général n'ont un objectif prédéfini. Je ne dis pas à un procureur général : « Voilà vers quoi il faut aller ». Quand une affaire sensible présente une difficulté, nous apportons l'information dont nous disposons et notre expertise juridique, et le parquet nous fait part de son analyse d'un dossier que nous n'avons pas. C'est en quoi l'idée d'un rapport hiérarchique est décalée par rapport à la réalité de ces échanges. Á ce jour, je n'ai pas constaté de désaccord sur la manière de traiter un dossier.

La séance est levée à 16 heures 55.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Didier Paris, Mme Cécile Untermaier