Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Réunion du mercredi 10 avril 2019 à 16h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale entend M. Cédric Renaud, président de l'Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCT S).

L'audition commence à seize heures vingt-cinq.

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Nous poursuivons les auditions de la commission d'enquête avec l'audition de M. Cédric Renaud, président de l'Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS).

(Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d'enquête, M. Cédric Renaud prête serment.)

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Pourriez-vous évoquer les conditions de travail des policiers municipaux, leurs différentes missions, ainsi que la complémentarité entre les polices municipales et les forces de sécurité de l'État ?

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Cédric Renaud, président de l'Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS)

L'Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS) est originale en ce qu'elle rassemble ses membres non pas sur la base de leur statut administratif mais sur leur fonction. Cette diversité nous a permis de définir des axes de travail qui n'avaient pas été exploités jusqu'à présent.

Votre commission d'enquête a la tâche d'évoquer la situation des forces de sécurité.

Nous constatons une fatigue physique et psychologique. La fatigue physique est due à notre travail quotidien, mais elle s'est accrue depuis vingt-deux semaines, avec le mouvement des Gilets jaunes qui nous occupe aux côtés de nos collègues de l'État. Comme j'ai juré de dire toute la vérité, je dois affirmer qu'elle est due également au désengagement de l'État à l'égard de nombre de ses missions, comme en témoigne par exemple la mise en fourrière confiée au secteur privé.

Les polices municipales recouvrent des réalités tellement différentes que les généralisations ne seraient pas justifiables. Au sein de l'ANCTS, qui existe depuis trois ans, nous considérons que les élus et les agents, s'ils sont écoutés, ne sont pas entendus. Je développerai notre constat et nos propositions selon trois axes : l'autonomie des agents des collectivités territoriales, l'approfondissement des compétences existantes, et enfin la façon de renforcer la cohérence du dispositif.

Premièrement, nous demandons davantage d'autonomie. Il faut définir des compétences et des champs d'intervention nouveaux pour les agents des collectivités territoriales, qu'ils soient policiers municipaux, gardes-champêtres ou mêmes agents de surveillance de la voie publique.

Prenons l'exemple du délit de détention de stupéfiants récemment modifié par les parlementaires, qui l'ont sanctionné d'une amende pouvant aller jusqu'à 1 000 euros. La communication faite dans les médias sur ce point a pu laisser croire à une contraventionnalisation de la détention de stupéfiant, alors que ce n'est pas le cas puisque celle-ci reste un délit et que ce délit, même s'il est puni par une simple amende, n'est pas sanctionnable par les policiers municipaux. Cela pose un vrai problème sur le terrain, car les policiers municipaux constatent très fréquemment qu'une personne détient des stupéfiants — en très faible quantité, certes, mais c'est le cas pour l'immense majorité des dealers des villes et des villages de France, car heureusement peu de gens consomment des stupéfiants en grosse quantité. Nous nous interrogeons donc sur l'intérêt de maintenir un délit peu réprimé par les parquets. Il serait souhaitable, pour des quantités inférieures à 5 ou 10 grammes, d'en venir à la contraventionnalisation, en définissant une amende forfaitaire majorée. La verbalisation par procès-verbal électronique (PVE) reposerait sur des moyens de constatation très simples : un test pour vérifier s'il s'agit bien d'une matière stupéfiante, une pesée et une photographie. Une verbalisation immédiate et traitée informatiquement, qui s'élèverait par exemple à 10 euros le gramme de haschisch, aurait plus d'efficacité qu'un rappel à la loi ou une ordonnance pénale rendue trois mois plus tard.

Plus largement, nous nous sommes interrogés sur la qualification judiciaire des agents des collectivités. Comme vous le savez, le système pénal actuel distingue les officiers de police judiciaire (OPJ), les agents de police judiciaire (APJ) et les agents de police judiciaire adjoints (APJA) dont font partie les policiers municipaux et, dans une certaine mesure, les gardes-champêtres. Si cette classification tripartite convient aux agents de l'État, elle n'est pas adaptée aux collectivités territoriales. Le ministère de l'intérieur passe son temps à faire de la chirurgie de précision pour distinguer, parmi les fonctions des APJA octroyées aux agents de l'État, celles qui seront octroyées aux gardes-champêtres, aux agents de police municipale, ou aux agents de surveillance de la voie publique (ASVP), qui deviennent en raison de ces distinctions des APJA incomplets, comme l'explique un article intéressant de la Gazette des communes.

Il serait plus simple de faire des agents de police municipale une qualification à part entière, qui s'ajouterait à la tripartition que j'ai mentionnée. Cela permettrait de les inclure dans l'évolution législative sans avoir à distinguer, parmi les APJA, ceux qui sont concernés par chaque mesure. Permettez-moi de faire le lien avec les contrôles d'identité : le Conseil constitutionnel a censuré la disposition législative qui ouvrait le contrôle d'identité aux agents de police municipale, au motif qu'on ne peut octroyer des pouvoirs d'enquête criminelle et délictuelle à des agents non mis à la disposition des officiers de police judiciaire, ce qui est effectivement le cas des agents de police municipale.

Une fois la nouvelle qualification judiciaire d'agents de police municipale instituée, on pourrait y distinguer deux grades : les agents et les chefs. Cette distinction existe déjà dans les faits, puisque le chef de la police municipale est responsable de la vidéoprotection, de la gestion des procès-verbaux et de l'armement. Une telle qualification judiciaire présenterait l'intérêt de placer les chefs de police municipale sous la direction des parquets, dans une mission de police judiciaire contraventionnelle. Nous resterions alors dans le cadre rappelé par le Conseil constitutionnel, puisqu'il n'y aurait pas d'actes d'enquêtes en matière délictuelle et criminelle, mais seulement en matière contraventionnelle. Le parquet serait garant des libertés publiques. Les agents de la police municipale ne procéderaient ni à des auditions ni à des perquisitions, mais ils pourraient procéder à des contrôles d'identité en matière contraventionnelle. Si une personne résiste au contrôle, les agents de police municipale constateront le délit de non-respect d'un contrôle d'identité, qui peut occasionner une présentation sur le fondement de l'article 73 du code de procédure pénale (CPP). On ouvrirait ainsi le contrôle d'identité aux agents de police municipale et éventuellement aux gardes-champêtres.

Enfin, cette nouvelle qualification présenterait l'intérêt de permettre l'ouverture de l'ensemble des fichiers de police aux agents de police municipale et aux gardes-champêtres. L'expérimentation actuelle d'accès au fichier des immatriculations et au fichier des permis de conduire pourrait se poursuivre et l'on pourrait ouvrir un accès à des modes dégradés du fichier des objets et des véhicules signalés (FOVeS) et du fichier des personnes recherchées (FPR). Ces modes dégradés existent et sont utilisés par les administrations préfectorales. Ouvrir leur accès ne poserait pas de difficulté dès lors que les APM sont placés sous contrôle juridictionnel.

L'expérimentation en cours montre qu'il est nécessaire d'améliorer les modalités de l'accès aux fichiers : alors que les agents de la police nationale et les gendarmes ont un accès instantané à ces fichiers sur leurs smartphones ou leurs tablettes, cet accès à distance n'est pas autorisé pour les policiers municipaux.

Deuxièmement, il faut approfondir les compétences existantes. Monsieur Fauvergue, vous avez évoqué dans le rapport que vous avez rédigé avec Mme Thourot, le dépistage de l'imprégnation alcoolique. Celui-ci a été ouvert aux agents de police municipale sans autorisation d'un officier de police judiciaire jusqu'en 2008. Après cette date, il est devenu nécessaire de constater une infraction, par exemple le non-port de la ceinture de sécurité, pour demander l'autorisation à un OPJ compétent sur ce territoire de dépister le taux d'alcoolémie. Cette décision est étrange, puisque l'acte de dépistage n'est pas devenu plus instrusif en 2008, et que le simple dépistage n'entraîne que la possibilité de présenter l'individu à un OPJ pour chiffrer ce taux d'alcoolémie.

Plus largement, nous souhaiterions voir reconnaître le savoir-faire des collectivités en matière de vidéoprotection. En effet, après la préfecture de police de Paris, qui dispose du plus grand dispositif de vidéoprotection, ce sont les collectivités qui assurent la tranquillité publique et les enquêtes en faisant appel aux différents développeurs de vidéo-protection. Or nous n'avons pas la possibilité de relire nos propres images, qui font l'objet d'une réquisition administrative ou judiciaire, ce qui pose d'énormes difficultés. Les agents de la police municipale, pas plus que les agents de la police nationale et les gendarmes, n'ont la possibilité d'utiliser ces images à des fins de formation, alors qu'il serait très utile de visionner une intervention pour l'évaluer a posteriori, comme nous le faisons pour les caméras-piétons. La nouvelle qualification juridique d'agents de police municipale ouvrirait la possibilité de revenir a posteriori sur des images filmées dans le cadre d'actes d'enquête n'impliquant pas de contrainte sur les personnes ni de perquisition, d'audition ou de placement en garde à vue.

Le pouvoir de mise sous séquestre qui existe déjà pour les gardes-champêtres pourrait être étendu aux policiers municipaux. Il leur permettrait de confisquer des objets découverts sur la voie publique, sans faire de saisie, et de les présenter à l'officier de police judiciaire, améliorant ainsi la garantie de l'intégrité des preuves.

Enfin, comme vous l'avez noté, monsieur Fauvergue, toutes les personnes qui sont à la tête d'une police intercommunale font observer que soumettre chacune des demandes relatives aux agents à chacun des maires des communes membres de l'intercommunalité crée une charge administrative insupportable. Permettez-moi de prendre l'exemple de Saint-Étienne, où j'exerce mon métier. Il y a 53 communes dans l'intercommunalité Saint-Étienne Métropole, de sorte que si celle-ci décide un jour de créer une police intercommunale, l'agrément, la demande d'assermentation et la demande d'armement de chaque agent devra être signé par chacun des maires des 53 communes. Encore s'agit-il d'une collectivité de taille moyenne ; les difficultés sont encore plus graves dans les collectivités plus importantes. Sans parler de transfert de compétences du pouvoir de police, il conviendrait au moins d'envisager une délégation du pouvoir de signature. Il serait très souhaitable que le président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou le vice-président en charge puissent signer les documents administratifs.

Les renforts temporaires mis en place par la police municipale, notamment pour la prise en charge d'événements particuliers, se font aujourd'hui avec des ASVP, ce qui n'est pas sans poser problème, car ils ne peuvent pas régler la circulation ni être armés, par exemple. Nous proposons, à l'image de ce qui existe dans l'armée et dans la police nationale, d'instaurer un système de réservistes composé d'anciens policiers municipaux, qui auront déjà bénéficié d'une formation, d'une assermentation et d'un armement, dispositions qu'il faudrait simplement prolonger de manière temporaire, dans certaines circonstances particulières. Cela n'entraînerait pas de modifications considérables en termes de masse salariale ou d'autorisation administrative.

Troisièmement, la cohérence nous fait cruellement défaut, aussi bien au sein des collectivités qu'en ce qui concerne l'articulation des polices municipales avec nos collègues de la police nationale et nos camarades de la gendarmerie.

Comme mes collègues des syndicats vous l'ont sans doute expliqué, les policiers municipaux ne bénéficient d'aucune formation à l'armement pendant leur formation initiale. Une fois celle-ci achevée, ils doivent suivre des formations préalables à l'armement (FPA) organisées par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT ) qui comportent un module juridique et des modules techniques différents en fonction des armes qu'ils comptent porter. Leur équipement dépend bien évidemment de la commune qui les emploie : si tous les policiers municipaux ne sont pas équipés d'armes à feu, en revanche, plus de 93 % d'entre eux portent un armement de catégorie B, C ou D. Il serait donc cohérent que cette formation préalable à l'armement, en particulier le module juridique, qui est valable durant toute la carrière de l'agent, ainsi que le module technique relatif au bâton et aux bombes lacrymogènes de petite contenance, qui constituent l'armement de catégorie D, soient intégrés à la formation initiale.

Ensuite, le port d'arme des agents territoriaux est communal, ce qui ne va pas sans poser quelques difficultés. Par exemple, un agent de police municipale d'une autre commune ne peut porter son arme pour se rendre à une réunion à la préfecture, alors que le port de l'uniforme est obligatoire et qu'il se déplace alors en véhicule sérigraphié. Cette disposition est en contradiction totale avec les règles de sécurité qui s'appliquent dans sa commune. Un port d'arme national nous paraîtrait tout à fait justifié dans la mesure où, bien évidemment, la collectivité d'emploi est tenue de délivrer des ordres de mission à chaque fois qu'un agent sort de la commune. Le maire et le directeur du service seraient donc les garants du port d'arme en tenue sur un territoire extérieur à celui de la commune.

En outre, les séances d'entraînement au tir organisées exclusivement sous la tutelle du CNFPT n'offrent aucune souplesse aux directeurs et aux maires qui désireraient que certains de leurs agents bénéficient d'un entraînement plus important. En effet, le CNFPT, dans la plupart des délégations, limite à six par an le nombre de séances ouvertes aux agents, ce qui est insuffisant pour entraîner un agent en difficulté ou pour passer à des armes techniquement supérieures. Les collectivités qui le souhaitent devraient pouvoir envoyer leurs agents s'entraîner sur le territoire d'une autre commune, ce qui est aujourd'hui impossible sans une convocation du CNFPT.

De même, le nombre de cartouches détenues par les communes est limité à 50 par arme à feu. Avant l'octroi de pistolets semi-automatiques, cela pouvait paraître suffisant, puisqu'un revolver ne contient que six cartouches, ce qui fait monter à 12 cartouches la dotation par agent avec un dispositif de rechargement. En revanche, un pistolet semi-automatique comme le Glock 17 comprend deux chargeurs de 17 cartouches, de sorte que ne sont disponibles pour l'entraînement que 25 cartouches par arme, ce qui, dans les gros services, pose de réelles difficultés. Nous nous interrogeons donc sur la pertinence de cette limitation, alors même que les forces de sécurité étatiques contrôlent régulièrement, au moment de la demande d'acquisition et de détention auprès des préfectures, la capacité des communes à stocker en sécurité ces munitions et cet armement. Pourquoi ne pas imaginer une convention avec le CNFPT qui permettrait aux communes ou aux intercommunalités qui le souhaitent d'être autonomes en matière de formation ?

Au chapitre social, nous avons constaté que les agents de police municipale étaient considérés comme une catégorie active au sens de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires, ce qui leur permet de partir à la retraite à 57 ans. En revanche, les agents de catégorie B en police municipale, c'est-à-dire les chefs de service et les directeurs de police municipale, sont considérés comme sédentaires, alors que la plupart d'entre eux accompagnent leurs agents sur le terrain. Là encore, il est indispensable de constituer une catégorie cohérente, ce que l'on peut faire par un simple arrêté.

L'appellation des grades et les galons ont été maintes fois évoqués. Ce sont des mesures symboliques, mais dans les corps en uniforme, les symboles sont extrêmement importants, et c'est encore plus vrai dans un contexte morose. L'appellation « agent de police municipale » ne pose pas de difficulté, mais « chef de service » et « directeur de police municipale » sonnent comme une fonction plutôt que comme un grade. Il suffit de comparer ces appellations avec celles de sapeurs-pompiers, qui sont aussi des fonctionnaires territoriaux, pour voir que la situation actuelle n'est pas cohérente.

La composition des tenues est définie de manière extrêmement stricte par décret. À partir du moment où l'on a décidé qu'elle ne doit pas ressembler à la tenue des policiers nationaux ni à celle des gendarmes, pourquoi limiter les effets ? Certains agents ou certains membres de l'encadrement exercent des recours devant les tribunaux parce que tel ou tel effet d'uniforme n'est pas conforme au décret. Nous avons tous beaucoup mieux à faire que nous préoccuper de cela.

Le port de la tenue est théoriquement obligatoire. Le port de la tenue civile devrait être possible pour les missions administratives et non pour les missions de police, sans port d'arme, bien évidemment. Mais cette disposition risque elle aussi de mettre les cadres de la sécurité en difficulté vis-à-vis d'agents qui ont parfois d'autres motivations que le bon comportement dans la profession.

La sérigraphie des véhicules pose des problèmes similaires. Je pense avec émotion à mes collègues assurant des astreintes dans des secteurs urbains difficiles qui se déplaçant en tenue et en véhicule sérigraphié avec gyrophare, doivent se montrer très imaginatifs pour le garer dans un lieu sûr afin d'éviter qu'il ne soit détruit. L'utilisation de véhicules civils ou avec une sérigraphie allégée devrait être possible pour certaines catégories de personnels.

Ensuite, le cadre d'emploi de catégorie A, c'est-à-dire de directeur de la police municipale, n'est pas attractif. Je vous ai fait parvenir les propositions de notre association. Nous ne sollicitons pas un régime d'exception : nous demandons seulement que la filière de la police municipale bénéficie de la même organisation que la filière technique, la filière administrative ou celle des sapeurs-pompiers, avec un cadre d'emploi de catégorie A d'encadrement qui ouvre l'accès à la fonction par un concours de niveau « bac + 3 » ou « bac + 5 » et un cadre de direction et de coordination, comme les contrôleurs généraux des sapeurs-pompiers. Enfin, la filière des agents de police municipale de catégorie C ne distingue que deux grades, alors que la filière des sapeurs-pompiers en comporte trois. Cette différence ne nous paraît pas justifiée ; elle limite l'attractivité de la police municipale pour les jeunes agents.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez interrogé sur les échanges entre la police municipale, les cadres territoriaux et l'État. Ces échanges ne sont pas assez réguliers ; ils génèrent des frustrations et de l'incompréhension. Au niveau national, il existe une commission consultative des polices municipales (CCPM) qui est très peu consultée — j'en parle avec d'autant plus d'objectivité que l'ANCTS n'en est pas membre. Depuis le changement de législature, elle n'a été convoquée qu'une fois, mais elle n'est pas consultée sur les sujets importants, comme les caméras-piétons, les bombes lacrymogènes, ou sur votre rapport, monsieur Fauvergue.

Pour résumer, nous avons le sentiment que si nous ne hurlons pas, nous ne sommes pas entendus. L'État méconnaît les compétences des policiers municipaux et des collectivités territoriales. Nombre des contrôleurs généraux des délégations de service public (DSP) nous ont demandé pourquoi nous ne réquisitionnions pas nos agents pour les manifestations des Gilets jaunes, alors que le pouvoir de réquisition des policiers municipaux par les collectivités territoriales n'existe pas. L'État doit s'organiser de manière à contrôler plutôt qu'à agir lui-même. Il doit tenir compte des nouveaux acteurs que sont les communautés urbaines, les métropoles, les départements, les régions ? Le Sénat pourrait être un interlocuteur, en tant qu'il représente les collectivités

Les réponses que nous apporte le ministère de l'intérieur sont parfois affligeantes. À une question parlementaire sur la création de nouveaux cadres d'emploi, il a répondu qu'il fallait appliquer les règles définies par le protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR). Le ministère de l'intérieur se préoccupe des Gilets jaunes et du terrorisme, mais il n'a pas le temps de s'occuper des policiers municipaux. Quand on sait que le ministère de l'intérieur disposait en 2017 de 294 700 équivalents temps plein et de 75 préfets hors cadre, nous nous interrogeons très respectueusement sur la manière dont ces moyens sont utilisés.

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Vous voudriez instituer une nouvelle qualification judiciaire d'agent de police municipale, alors qu'actuellement ils font partie de la catégorie des agents de police judiciaire adjoints. La grande majorité des syndicats de la police municipale, que nous avons interrogés au moment de rédiger le rapport avec Alice Thourot, ne revendiquaient pas de qualification judiciaire supérieure. Sachant que la qualification judiciaire est une qualification nationale qui s'applique aux corps de la police et de la gendarmerie, et qui n'est pas restreinte à un territoire particulier, comment s'intégrerait-elle dans le code de procédure pénale ?

Par ailleurs, que pensez-vous de la création d'une école nationale de police municipale ?

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Cédric Renaud

Les syndicats de police municipale ont répondu à la question de savoir s'ils demandaient d'autres compétences judiciaires, en particulier s'ils sollicitaient d'intervenir dans le champ délictuel, ce qui impliquerait d'octroyer la qualification d'agent de police judiciaire aux policiers municipaux.

Notre réflexion est un peu différente, car elle prend sa source dans une synthèse des besoins des services, à savoir la verbalisation, l'exploitation de la vidéo-protection et la question des contrôles d'identité. Nous répondons à ces besoins par la création d'une nouvelle qualification qui rendrait les agents de police municipale compétents pour l'ensemble du champ contraventionnel et pour le contrôle d'identité. Il ne s'agit donc pas d'inclure les agents de police municipale (APM) dans le triptyque constitué par les APJA, les APJ et les OPJ, mais, comme cela a été fait pour les officiers des douanes judiciaires, de créer une qualification à part. Cela permet de tenir compte du fait que les agents des collectivités territoriales, par leur formation, leur emploi et leurs compétences, ne sont pas des agents de l'État et ont par conséquent beaucoup de difficulté à entrer dans le triptyque que j'ai exposé.

Nous n'avons pas parlé d'une école nationale de police municipale, parce que sa définition nous paraît poser de nombreuses questions. Nous n'avons pas de réserves sur le concept d'école, qui désigne un lieu unique de formation. En revanche, qui assurera la formation et la tutelle de cette école ? La confier au CNFPT permettrait de stabiliser des équipes pédagogiques et de ne plus avoir recours à des cabinets qui dispensent une formation de qualité variable dans des centres multiples, ce qui est inefficace. En revanche, nous sommes réticents à confier cette tutelle à la direction générale de la police nationale (DGPN) et à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), comme certains syndicats l'ont proposé. Notre position à l'égard d'une école nationale de la police municipale dépend de la manière dont ces questions seront résolues.

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Nous sommes d'accord sur le fait qu'il faut renforcer la collaboration entre les polices municipales et les forces de sécurité intérieure. Néanmoins, ne pensez-vous pas qu'il faut distinguer entre les polices municipales en ce qui concerne le partage de fichiers ? En effet, la situation est différente dans un petit village où n'exerce qu'une seule personne, qui est plutôt garde-champêtre que policier municipal, et dans la métropole de Saint-Étienne, que vous avez évoquée : le niveau de qualification, l'expérience sur le terrain et les possibilités d'adaptation aux informations que les agents reçoivent ne sont pas les mêmes.

Par ailleurs, la réserve de la police nationale compte actuellement 6 000 personnes et celle de la gendarmerie nationale 35 000. Cela constitue une force véritable. Quel effectif envisageriez-vous pour une réserve de la police municipale ? Comment le budget serait-il calculé ?

Enfin, êtes-vous favorable au pouvoir de réquisition des policiers municipaux par les collectivités territoriales ?

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Cédric Renaud

Les mesures que nous proposons peuvent s'appliquer à toutes les polices municipales sans surcoût particulier. Nous proposons ainsi d'ouvrir le champ des possibles. Il en va des policiers municipaux comme des OPJ de la police ou de la gendarmerie, qui exercent différemment leurs missions suivant leur territoire d'affectation. On peut décider qu'un agent de police municipale a la capacité de relire des images de vidéo-protection, de faire un contrôle d'identité et de dépister l'alcoolémie. Toutefois, si le maire de sa commune ne le lui demande pas et qu'il n'a pas à le faire, il y sera formé mais il n'exercera pas ces fonctions. Ouvrir des possibilités ne revient pas à créer des obligations : les petites polices municipales, les gardes-champêtres, ne seront pas contraintes d'utiliser ces compétences. Il ne s'agit pas de forcer la main aux élus.

S'agissant de la réserve, nous pensons qu'il serait souhaitable de s'assurer de la disponibilité d'agents ayant l'âge de la retraite ou ayant choisi avant l'âge de la retraite d'exercer un autre métier. On leur proposerait de revenir de manière ponctuelle, au moment de la fête de la musique ou du passage du Tour de France, en les payant à la vacation. Aujourd'hui, la fonction publique territoriale ne peut pas employer ce type d'agents de manière ponctuelle. Il ne s'agit pas, au rebours de ce que font la gendarmerie et la police nationale, de recruter des personnes qui n'ont jamais été gendarmes ou policiers, de les former et de les employer comme appoint. Ce serait effectivement difficile pour les collectivités territoriales puisqu'il n'existe pas d'organisme de formation unique.

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Si l'on crée une école de la police municipale, elle pourra tout à fait comporter une spécialité consistant à former les réservistes.

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Cédric Renaud

Sans doute, mais la doctrine de l'ANCTS est la suivante : nous n'avons pas vocation à remplacer les élus. Ce sont nos patrons et ils bénéficient de la légitimité électorale. Nous n'avons pas le sentiment cependant que les élus locaux ont besoin d'une force à disposition, mais ils ont besoin de forces d'appoint, pour remplacer des agents en arrêt maladie ou en congé maternité, par exemple, d'autant plus que le mécanisme de recrutement et de formation d'un agent de police municipale est relativement long, puisqu'il dure un an et demi en moyenne. Nous avons donc besoin de forces d'appoint, mais il n'est pas nécessaire qu'elles soient très nombreuses.

Enfin, mesdames et messieurs les députés, c'est à vous de juger s'il faut instituer un pouvoir de réquisition. Si l'on considère que la police municipale est une fonction indispensable des collectivités territoriales, alors ce pouvoir est nécessaire. En revanche, si l'on considère que la police municipale est une fonction accessoire, il ne faut pas instituer de pouvoir de réquisition. Vous devez en débattre avec les élus locaux plutôt qu'avec nous.

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Je remarque que les policiers municipaux expriment à travers vous un fort besoin de valorisation et de reconnaissance. Permettez-moi de vous poser trois questions.

Faut-il étendre le port d'arme hors de la commune d'exercice ?

Est-il souhaitable de développer les polices intercommunales ?

Enfin, lorsque des gendarmes ou des policiers nationaux veulent intégrer la police municipale, ils doivent suivre une formation très longue assurée par le CNFPT. Cela vous paraît-il justifié ?

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Cédric Renaud

Le besoin de valorisation des policiers municipaux vient du décalage entre notre expérience sur le terrain, où nous sommes très employés et où on nous fait sentir que nous sommes indispensables, et l'écoute que nous rencontrons de la part des autorités lorsque nous exprimons nos revendications.

En ce qui concerne l'armement, notre position est nuancée. Nous ne sommes pas favorables à la généralisation de l'armement mais nous nous employons à convaincre l'ensemble des élus. Armer un agent implique de prendre en compte la possibilité qu'il fasse un mauvais usage de son arme, envers lui-même ou envers les autres. Or rien ne serait plus dévastateur que de voir un agent abandonné par son élu, qui se retrancherait derrière l'argument d'après lequel c'est l'État qui lui a imposé le port d'arme. En revanche, nous sommes persuadés qu'aujourd'hui l'armement est indispensable à la sécurité des agents. Auparavant, l'armement était un marqueur des missions, tandis qu'aujourd'hui, il est lié à la fonction. Pensons à notre collègue de Montrouge assassinée en 2015 parce qu'elle portait un uniforme de la police municipale.

En ce qui concerne l'intercommunalité, notre position est également nuancée. Les effectifs de terrain ne doivent pas être mis en commun au niveau de l'intercommunalité. En effet, ce qui fait la force des polices municipales, c'est la proximité, ce qui implique un territoire réduit. En général, les intercommunalités sont centrées autour d'une ville plus grande que les autres et comprennent de nombreuses villes satellites. Si l'on augmente l'effectif de la ville-centre et qu'on étend son action à l'ensemble de l'intercommunalité, on court le risque de diluer l'action de proximité. En revanche, certaines fonctions peuvent être gérées au niveau de l'intercommunalité, par exemple la police des transports, la formation, le centre de supervision urbain (CSU) et les fonctions qui lui sont associées. Tirons les leçons de l'expérience de la communauté d'agglomération Roissy-Pays-de-France, qui a été la première à créer une police intercommunale, mais où on a ensuite vu renaître des polices municipales, pour corriger le fait que la proximité avait disparu.

Quand je recrute des policiers ou des gendarmes – j'ai moi-même reçu une formation de gendarme –, je leur tiens le discours suivant: « Bienvenue dans la police municipale. Partez du principe que vous apprenez un nouveau métier, par exemple celui de menuisier. Il ne s'agit pas d'oublier ce que vous avez fait, mais de prendre conscience que vous exercez désormais un métier radicalement différent ». En effet, au-delà de la question de l'équipement et de celle des prérogatives, l'état d'esprit de la police municipale est radicalement différent de celui de la police nationale et de la gendarmerie. Je ne me prononce pas sur la question de savoir s'il est meilleur ou pire, mais je constate qu'il est différent. La formation initiale constitue un passage. Un policier ou un gendarme, qui a bénéficié d'une formation initiale de qualité, va exercer un autre métier, dans lequel il réemploiera sans doute certaines des compétences qu'il a préalablement développées, mais qui demeure différent. Par conséquent, la formation peut sans doute être adaptée ou accélérée pour les policiers nationaux ou les gendarmes, mais elle ne saurait être supprimée.

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Quelle est la représentativité de l'ANCTS ?

Y a-t-il une véritable volonté d'autonomie de la part de toutes les polices municipales ?

Enfin, le partenariat entre les polices municipales et la police nationale peut-il être remis en cause si les polices municipales prennent davantage d'autonomie ?

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Permettez-moi, en tant qu'élu rural de Seine-et-Marne, de poser une question sur les évolutions actuelles. A-t-on encore besoin de gardes-champêtres ? Est-il légitime de conserver ce statut ou devraient-ils être intégrés à la police municipale ?

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L'armement est-il le seul moyen de protéger les citoyens sur le terrain, ou cette protection passe-t-elle par d'autres moyens, par exemple des moyens humains ou une redéfinition du mode opérationnel ?

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Vous savez très bien que les syndicats de police municipale réclament tous l'armement des agents. Des pressions s'exercent sur les maires qui n'ont pas fait le choix de l'armement létal. Pensez-vous qu'il faut laisser à chaque maire, qui est officier de police judiciaire, le soin de faire ce choix, alors même qu'il peut subir des pressions ? Ne faudrait-il pas légiférer afin que toutes les polices municipales soient logées à la même enseigne ?

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Cédric Renaud

L'ANCTS regroupe une centaine de membres répartis sur l'ensemble du territoire, y compris les outre-mer, ce qui représente à peu près 5 000 policiers municipaux. Notre association est jeune : elle a été créée il y a trois ans.

Les policiers municipaux veulent remplir jusqu'au bout les missions qu'ils accomplissent déjà. Mes collègues des syndicats ont évoqué l'exemple des dépôts d'immondices : il est très difficile de motiver les policiers et les gendarmes pour enquêter sur ce sujet. C'est pourquoi il faut autoriser les actes d'enquête menés par les policiers municipaux.

Nos collègues de la police et nos camarades de la gendarmerie sont généralement contents de travailler avec nous. Ils seraient disposés à nous confier davantage de missions que celles que j'ai évoquées, comme les fourrières sur les terrains privés ou les fermetures des débits de boisson qui sont aujourd'hui assurées par les préfectures. Néanmoins, notre souci de la cohérence de nos missions nous pousse à nous concentrer sur les revendications que je vous ai exposées.

Je suis un grand défenseur de gardes champêtres, ayant rédigé mon mémoire de master 2 sur cet emploi. Néanmoins, comme le reconnaît Jacques Armesto, le président de la Fédération nationale des gardes champêtres communaux et intercommunaux de France, ils rencontrent actuellement un vrai problème de progression des carrières. Je pense qu'il faut conserver le statut de garde-champêtre afin qu'existe un représentant de l'ordre rattaché à la commune dans le monde rural. En revanche, la fusion des cadres d'emploi proposée par M. Fauvergue et Mme Thourot me paraît inéluctable, d'autant plus qu'elle ouvre paradoxalement des possibilités à ces agents.

L'armement est un moyen de défense des agents. Nous faisons de la police de proximité et nous le revendiquons. Pour certaines de nos fonctions, en effet, nous n'avons pas besoin d'un pistolet mais nous devons être en mesure de réagir lorsque, dans un petit village, on braque la boulangerie avec un couteau, un fusil de chasse ou même une arme de guerre. Nous ne pouvons pas dire aux policiers municipaux d'intervenir avec un bâton de protection télescopique, car ce serait extrêmement dangereux. L'insuffisance de notre armement pose également problème dans la coopération avec les forces étatiques.

Nous savons que certains maires subissent des pressions. Quant à nous, nous avons pour credo de convaincre les élus. Les obliger serait contre-productif, car un certain nombre de maires supprimeraient la police municipale et emploieraient des gardes urbains, des ASVP ou des médiateurs pour faire le travail de la police municipale. C'est précisément ce que nous voulons éviter. Il faut amener les élus à parler avec leurs agents, à prendre conscience de la nécessité d'armer les policiers municipaux et à s'en expliquer devant leurs électeurs, à travers une justification publiée au moment du vote par le conseil municipal. Rendre l'armement obligatoire pourrait donc avoir des effets extrêmement contre-productifs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous vous remercions pour l'ensemble des précisions que vous nous avez apportées.

L'audition s'achève à dix-sept heures quinze.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Réunion du mardi 9 avril 2019 à 14 heures

Présents. - M. Xavier Batut, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Rémi Delatte, M. Olivier Gaillard, M. Denis Masséglia, M. Christophe Naegelen, Mme Josy Poueyto, M. Joaquim Pueyo, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon

Excusés. - M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Brigitte Kuster