Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du mardi 24 novembre 2020 à 18h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mardi 24 novembre 2020

La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.

(Présidence M. Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, et de Mme Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes)

La Commission auditionne, conjointement avec la commission des affaires européennes, en visioconférence, Mme Mariya Gabriel, commissaire européenne à l'innovation, la recherche, la culture, l'éducation et la jeunesse.

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Madame la commissaire, nous sommes très heureux de vous accueillir pour cette audition conjointe de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Le champ de vos compétences est très vaste et englobe des thématiques variées en lien avec la recherche, la culture et l'éducation. Ces sujets sont au cœur de notre avenir et représentent des enjeux cruciaux pour le développement de l'Union européenne. Pour agir dans ces domaines, la Commission européenne dispose de trois programmes phares : Horizon 2020, Erasmus + et Europe créative – je signale que l'une de nos collègues de la commission des affaires européennes, Mme Aude Bono-Vandorme, travaille actuellement à un rapport sur le bilan et les perspectives d'Erasmus +. Ces programmes devraient bénéficier de moyens supplémentaires d'un montant de 6,8 milliards d'euros, si l'accord intervenu en trilogue le 10 novembre est confirmé au Conseil – ce qui suppose que le blocage actuel soit levé. Comment envisagez-vous la répartition de ces financements supplémentaires ?

Le secteur de la culture souffre particulièrement de la crise sanitaire. Quel enseignement tirez-vous de cette crise ? Quelle évolution vous semble-t-il nécessaire d'imprimer aux programmes dont vous avez la responsabilité pour que l'Union soit plus résiliente en matière de recherche et de culture ? Notre commission a travaillé sur les liens entre recherche et innovation au niveau européen. De votre côté, vous avez beaucoup travaillé à dynamiser les communautés de la connaissance et de l'innovation (CIC), des partenariats entre les acteurs de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Quels enseignements tirez-vous de ces outils ?

La feuille de route définie au début de votre mandat prévoit la création d'un Conseil européen de l'innovation (CEI). Où en est ce projet ? D'une manière générale, comment renforcer le lien entre l'effort de recherche européen réalisé dans le cadre du projet Horizon 2020 et les applications industrielles concrètes ?

Je cède sans attendre la parole à mon collègue Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, qui animera cette réunion.

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Madame la commissaire, je suis très heureux de vous accueillir pour cette audition commune avec la commission des affaires européennes. L'étendue de vos attributions est très proche du champ des compétences de la commission des affaires culturelles et de l'éducation que j'ai l'honneur de présider à l'Assemblée nationale : en effet, au-delà de la culture et de l'éducation, nous sommes aussi chargés des médias, de la recherche, de la jeunesse et des sports.

Au cours de ces derniers mois, nous avons notamment travaillé sur l'adaptation du droit des médias à l'ère numérique – un sujet que vous connaissez particulièrement bien –, sur la politique de recherche française pour la prochaine décennie, et nous allons, très prochainement, aborder la question de la lutte contre le dopage sportif. Plus largement, nous sommes évidemment très préoccupés par les effets dramatiques de la crise sanitaire sur la jeunesse, la culture, l'école, l'université et le sport. Ce contexte ne rend que plus urgentes la régulation des grandes plateformes de l'internet et la lutte contre les fausses informations – un autre sujet sur lequel vous êtes à l'œuvre depuis longtemps.

Indépendamment du dialogue que le gouvernement français entretient avec la Commission européenne, nous souhaitions vous entendre sur les priorités de votre nouveau mandat, et plus spécifiquement sur les actions que la Commission pourrait engager pour faire face à la crise qui bouleverse tous les secteurs dont vous avez la responsabilité.

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Mariya Gabriel, commissaire européenne à l'innovation, la recherche, la culture, l'éducation et la jeunesse

Madame la présidente, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion d'échanger avec vous.

Il est vrai que nous faisons face à un grand défi, une pandémie qui ne connaît pas de frontières et qui met l'Union européenne à l'épreuve. Mais nous avons montré notre capacité de réaction et, en tant que commissaire responsable de l'innovation, de la recherche, de la culture, de l'éducation et de la jeunesse, je veux dire d'emblée qu'au cours de ces derniers mois, il est apparu clairement que la science, la recherche, l'innovation, l'éducation et la culture sont les clés qui doivent permettre à l'Europe de réussir son plan de relance et de devenir plus résiliente face à de futures crises.

Je commencerai mon intervention avec une bonne nouvelle, celle de l'accord entre le Conseil européen et le Parlement, survenu le 10 novembre, sur le futur cadre financier pluriannuel (CFP). Cet accord est le fruit de plusieurs mois d'intenses discussions, qui ont abouti à un résultat très positif : un montant supplémentaire de 4 milliards pour Horizon Europe, de 2,2 milliards pour Erasmus + et de 600 millions pour le programme Europe créative. Ce qui doit encore être éclairci, c'est le mode de répartition de ces financements : nous sommes dans une phase de négociation et, en tant que commissaire, je suis responsable de tous les piliers du programme Horizon Europe. Les investissements dans la recherche, l'innovation et l'éducation sont stratégiques et nous devons faire preuve de flexibilité et d'efficacité avec tous les États membres pour obtenir les meilleurs résultats.

J'évoquerai d'abord la recherche et l'innovation. Il est vrai que la pandémie de covid-19 a montré l'importance des efforts que nous avons faits dans le domaine de la recherche et de l'innovation sur le temps long. Mais, au cours des derniers mois, nous sommes également parvenus à apporter une réponse coordonnée au niveau européen et à disposer rapidement de financements flexibles capables de soutenir des éléments critiques de la chaîne de valeur. D'ici la fin de l'année, nous aurons ainsi investi 1 milliard dans la recherche et l'innovation pour lutter contre le covid : c'est la contribution du programme Horizon 2020. Dans ce contexte, il est donc essentiel que le programme Horizon Europe soit renforcé de façon significative pour financer la recherche dans des domaines comme la santé ou les transitions verte et numérique, et pour renforcer notre niveau de préparation face aux situations d'urgence. Au-delà des aspects budgétaires, le nouveau programme-cadre s'est surtout doté d'instruments efficaces, à la mesure des défis qui sont devant nous. Je voudrais ici évoquer trois nouveautés majeures.

Premièrement, cinq missions ont été identifiées, qui visent à définir des solutions et des initiatives autour des grands défis contemporains que sont l'adaptation au changement climatique, la protection des océans, la lutte contre le cancer, les villes neutres en carbone et la santé des sols. Nous entrons dans une phase critique, puisque les boards des missions ont présenté leurs recommandations. Une phase préparatoire s'ouvre à présent, qui va durer entre six et douze mois : elle doit nous permettre d'identifier les premières actions à mener pour convaincre nos citoyens qu'il importe, sur ces questions, d'agir au niveau européen. Je tiens à remercier les membres des missions, qui ont fait un effort particulier pour définir des objectifs précis. La mission relative à la lutte contre le cancer s'est par exemple fixée pour objectif de sauver 3 millions de vies humaines d'ici 2030.

Deuxièmement, face à la multitude de partenariats qui rend le paysage du programme Horizon 2020 assez complexe – je rappelle que nous avons 120 partenariats public‑privé –, nous avons renouvelé notre approche : désormais, nous voulons avoir des partenariats orientés vers l'impact, avec une coordination qui se fasse du début à la fin. C'est pour cela que leur nombre sera drastiquement réduit : les partenariats public-privé, dans le nouveau programme Horizon Europe, seront au nombre de 49. Il reste à créer des partenariats sur plusieurs sujets qui ont une grande importance pour l'Union européenne et je me réjouis, à cet égard, que les études d'impact – impact assessments – aient montré qu'il est tout aussi nécessaire d'avoir des partenariats dans le domaine de la santé que dans les secteurs de l'énergie, de la mobilité ou du numérique.

Le troisième élément, c'est le Conseil européen de l'innovation. Nous avons l'ambition de le transformer en une fabrique européenne de licornes, parce que l'Europe a besoin de rattraper son retard en matière d'innovation. Nous sommes un leader en sciences et obtenons d'excellents résultats scientifiques, mais nous avons besoin d'un projet pilote, d'un instrument qui nous permette d'aider rapidement nos start-up et nos petites et moyennes entreprises à créer des marchés et à nous proposer, grâce aux nouvelles technologies, de nouveaux produits et de nouveaux services. Le Conseil européen de l'innovation montre des résultats très encourageants et je rappelle que 70 % de son budget ira aux petites et moyennes entreprises. Tout au long de la crise, on a vu à quel point il est important, pour l'Union européenne, de continuer à investir et d'avoir l'initiative jusqu'au bout. Son budget s'élèvera à 9 milliards, au lieu de 10 initialement prévus, mais je pense que nous disposons là d'un outil assez performant.

Toutes ces initiatives sont liées à l'espace européen de la recherche (ERR) et je suis très fière que, le 30 septembre, nous ayons proposé un paquet de mesures qui concerne à la fois l'espace européen de la recherche, l'espace européen de l'éducation et le plan d'action en matière d'éducation numérique.

L'espace européen de la recherche a connu des avancées depuis vingt ans, mais il se heurte aussi à des difficultés. C'est pourquoi il va se recentrer sur quatre grandes priorités : investir dans la recherche, notamment en faveur de la transition écologique et numérique ; améliorer l'accès à l'excellence dans toute l'Union européenne – je reste convaincue que nous devons mettre fin aux divisions qui existent en Europe, dans le domaine de la recherche et de l'innovation, entre les États membres et les différentes régions ; traduire les résultats de la recherche et de l'innovation dans l'économie – je me réjouis à ce égard que, pour la première fois, nous proposions l'adoption de feuilles de route technologiques conjointes entre le monde académique et celui des entreprises ; continuer à approfondir l'espace européen de la recherche en renforçant la libre circulation des connaissances et des technologies et en mettant l'accent sur la carrière des chercheurs – un sujet qui me tient particulièrement à cœur.

Les négociations autour du programme Horizon Europe ont connu des avancées significatives, mais les discussions se poursuivent avec le Parlement européen. Deux volets restent à finaliser : la manière dont des pays tiers pourront être associés au programme, d'une part, et les synergies qui pourront exister entre Horizon Europe et les autres programmes, par exemple les fonds structurels, d'autre part – cette question me paraît cruciale. Il reste également à s'accorder sur la distribution de l'enveloppe budgétaire et sur le montant supplémentaire de 4 milliards. J'ai bon espoir que les négociations aboutissent au mois de décembre et que le programme soit opérationnel dès janvier 2021.

J'en viens à mon deuxième point, le domaine de l'éducation, de la culture et de la jeunesse, où nous devons également travailler en synergie. Pendant la crise, un vrai tournant s'est produit dans le domaine de l'éducation numérique, ce dont je me réjouis. C'est en tout cas ce que disent 95 % des personnes qui ont participé à la consultation numérique que nous avons organisée. Cette période a révélé à la fois nos forces et nos faiblesses. Nos forces, c'est l'extraordinaire mobilisation des enseignants, des institutions, des enfants et l'exceptionnelle créativité de tous. Nos faiblesses, ce sont toujours le manque de connectivité, notamment dans les zones rurales et les zones éloignées, et le manque d'équipement – de nombreux enfants n'ont encore ni tablette, ni ordinateur portable. Nous devons continuer à travailler sur ces questions avec les États membres.

Notre objectif est de faire de l'espace européen de l'éducation une réalité d'ici 2025, autour de six mots-clés : la qualité ; l'inclusion ; la transition verte et numérique ; les enseignants ; l'enseignement supérieur ; la dimension géopolitique. Sur chacun de ces sujets, nous proposons des initiatives très concrètes comme, par exemple, la création d'alliances universitaires européennes. À ce jour, on compte 41 alliances, réunissant 281 universités en Europe. Le moment est venu d'élever la voix pour que les États membres incluent cette initiative dans leurs plans nationaux de relance et de résilience, afin de montrer à quel point les investissements dans l'éducation sont stratégiques. Nous voulons aussi créer des académies européennes des enseignants, pour leur permettre de travailler ensemble au développement de ressources en ligne de qualité. S'agissant de la transition numérique, je me réjouis de vous annoncer que, d'ici la fin de l'année, nous allons lancer une coalition pour l'éducation sur le climat : je crois que la communauté éducative a un rôle-clé à jouer sur ces questions. Grâce à son expertise et à sa mobilisation, nous pourrons faire en sorte que les citoyens, au lieu de subir le changement climatique, soient au contraire les acteurs de la transition écologique.

Je donnerai un dernier exemple qui me tient à cœur. La crise a montré qu'il nous reste des efforts à faire pour améliorer la connectivité, notamment dans les zones rurales et les zones éloignées. Dans le plan d'action en matière d'éducation numérique, je proposerai donc une initiative en faveur de la connectivité dans les écoles : « Connectivity for schools » . Je vais effectivement me servir de mon expérience en tant que commissaire au numérique, monsieur le président : sur le modèle de WiFi4EU, nous allons mobiliser des fonds, avec les États membres, pour connecter toutes les écoles, dans les zones rurales et éloignées. Il est difficile de convaincre les gens que nous allons continuer à travailler avec eux sur l'intelligence artificielle et la réalité augmentée s'ils n'ont pas accès à l'internet haut débit.

Nous devons tout faire pour que les prochains programmes consacrés à l'éducation soient plus inclusifs. C'est un élément-clé et c'est pourquoi le programme Erasmus + est si important. À l'heure actuelle, seuls 5 % de nos jeunes y participent. Nous devons tirer les leçons de la crise et rendre ce programme plus inclusif, plus vert et plus adapté à l'ère numérique. Il faut continuer à faire preuve de la flexibilité dont nous nous sommes montrés capables au cours des derniers mois et saisir l'opportunité que nous offrent les nouvelles technologies pour développer des formes de mobilité combinée – ce que l'on appelle la « blended mobility » – en associant le travail en ligne et les échanges physiques – que rien ne pourra jamais remplacer. Cela devrait permettre d'étendre ce programme à des organisations et à des groupes qui en étaient exclus jusqu'ici : je pense notamment aux écoles et aux petites organisations. Je voudrais également lancer un nouveau programme, Erasmus vert, pour donner la possibilité à nos jeunes de participer à des projets liés à la transition écologique.

J'en viens au secteur culturel et créatif qui est, vous le savez mieux que moi, ô combien important, puisqu'il représente 4 % du PIB européen et 8 millions d'emplois. Au‑delà des chiffres, il s'agit de défendre un secteur qui est au cœur de notre projet européen, et au cœur de notre vie.

Notre réponse s'est faite en plusieurs phases.

Premièrement, il a fallu nous assurer que la culture était bien prise en compte dans tous les instruments horizontaux mis à la disposition des États membres : les aides d'État, le paquet de l'initiative d'investissement en réponse au coronavirus, axé sur la mobilisation de fonds structurels, et l'instrument européen de soutien temporaire visant à atténuer les risques de chômage dans les situations d'urgence.

Deuxièmement, nous avons constaté qu'il nous manquait une plateforme, sur laquelle les États membres puissent échanger des données, mais aussi dialoguer sur les bonnes pratiques et les possibilités de financement et de soutien au secteur. Nous avons créé cette plateforme au début de la crise et mon intention est de la pérenniser.

Troisièmement, nous avons utilisé les programmes dont nous disposons, à savoir Europe créative et Erasmus +, pour lancer de nouveaux appels. Pour l'avenir, il importe que les trois programmes Horizon Europe, Erasmus + et Europe créative voient leur budget augmenter, mais le plus important est de créer des synergies entre eux. Pour la première fois, le programme Horizon Europe va comprendre un cluster sur la culture et la créativité. Par ailleurs, nous allons créer avec l'Institut européen d'innovation et de technologie (IET) une nouvelle communauté de la connaissance et de l'innovation dédiée au secteur culturel et créatif, qui doit voir le jour en 2022 : nous avons donc un an pour en préciser le contenu. J'en profite pour aborder une question importante, de laquelle il convient de parler d'une même voix. Le Parlement européen a voté une résolution dans laquelle il exprime le souhait que 2 % de la facilité pour la reprise et la résilience soit consacré à la culture et à la création. Je soutiens cette idée et je compte en parler au ministre de la culture la semaine prochaine, lors du Conseil. C'est vraiment une occasion à ne pas manquer.

Une autre perspective importante pour le secteur de la culture est le projet de la présidente Ursula von der Leyen d'un Bauhaus européen, qui se voudrait une passerelle entre le monde de la science et de la technologie, d'une part, et celui de l'art et de la culture, d'autre part. Je suis heureuse de pouvoir vous annoncer que la présidente m'a chargée, avec Mme Elisa Ferreira, commissaire à la cohésion et aux réformes, en charge du fonds de développement régional et des fonds de cohésion, de travailler à la réalisation de cette initiative. Nous sommes dans une phase de discussion très intense, qui témoigne de l'intérêt suscité par cette initiative.

Je finirai mon intervention en disant un mot sur le sport. La crise a montré la nécessité du sport pour le bien-être mental et physique de tous. Nous lui porterons donc une attention particulière dans nos programmes relatifs à la santé, y compris dans la mission sur la lutte contre le cancer du programme Horizon Europe. Je pense que nous disposons, avec le programme Horizon Europe, le Conseil européen de l'innovation et l'Institut européen d'innovation et de technologie, d'outils précieux pour agir dans ce domaine.

Plus que jamais, face à l'incertitude, la recherche et l'innovation, mais aussi l'éducation, la culture, la jeunesse et le sport restent des outils essentiels pour stimuler la croissance, l'emploi et la compétitivité. C'est pour cela qu'il nous faut introduire davantage de flexibilité et de coordination entre ces différents domaines. Nous avons un rôle essentiel à jouer dans la résolution d'une crise qui exige une réponse rapide, solidaire et coordonnée à grande échelle. C'est la seule réponse qui soit à la hauteur de l'enjeu.

Je vous remercie à nouveau de m'avoir donné cette occasion d'échanger avec vous et j'attends avec impatience vos questions.

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Je vous remercie beaucoup pour cet exposé, madame la commissaire. En préparant cette audition, je me suis aperçu que la première entreprise qui fait du numérique éducatif en Chine pèse 8 milliards de capitalisation boursière et s'adresse à 300 millions de petits Chinois. Il importe de renforcer la coopération entre les vingt-sept États membres pour développer le soft power européen et peser face à nos concurrents chinois, par exemple sur le marché africain. Si le numérique nous a aidés à surmonter les premiers moments difficiles de la crise, il faut que nous montions en puissance, car d'autres pays avancent très vite dans ce domaine. J'ajoute qu'en tant que Strasbourgeois, je suis profondément européen.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Madame la commissaire, au nom des députés du groupe La République en marche, je salue votre détermination et suis très heureuse d'avoir entendu de votre bouche de belles perspectives dans tous les domaines qui concernent la commission des affaires culturelles et de l'éducation.

La jeunesse est, depuis 1987, au cœur du programme Erasmus, qui a été intégré, depuis, au sein d'Erasmus +. Je me réjouis des innovations que vous voulez apporter à ce programme, en développant les nouvelles mobilités permises par le numérique, sans négliger le contact physique. Au cours des dernières années, il est clair qu'Erasmus + a largement contribué à la construction d'une culture commune.

Vous avez mentionné tous les outils susceptibles de favoriser les synergies dans le domaine de la culture. J'aimerais revenir sur le programme Europe créative, qui sera doté de plus de 2 milliards pour les sept prochaines années. Au moment où nos offres culturelles doivent se réinventer, pouvez-vous nous en dire davantage sur les orientations de ce programme ? Pourrait-on imaginer que les critères de sélection des projets encouragent davantage les coopérations, notamment dans le domaine des médias, pour qu'une offre audiovisuelle et numérique européenne puisse vraiment émerger ?

Je voudrais, plus globalement, partager avec vous un questionnement sur la place de la culture en Europe, alors qu'une résolution du Parlement européen, que vous avez évoquée, a proposé de flécher 2 % du plan de relance vers la culture. Selon vous, cela traduit-il un doute sur la capacité de la culture à prendre sa part dans la relance de notre économie, ou bien une certaine incapacité européenne à nous accorder sur la place de la culture dans nos sociétés, voire sur une définition commune de la culture ?

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Madame la commissaire, je vous remercie, au nom du groupe Les Républicains, pour vos propos introductifs très complets, qui nous éclairent sur vos missions.

Permettez-moi de commencer en évoquant les jeunes de la génération covid : ils s'inquiètent du poids que la politique sanitaire et les dépenses liées à la pandémie font peser sur leurs épaules. Avoir vingt ans en 2020 n'est pas une sinécure, bien au contraire. Ces jeunes vivent une période d'interdits qui, de gestes barrières en rencontres à visage masqué, crée des incertitudes et est souvent synonyme de rêves brisés. La santé mentale des étudiants est un réel sujet de préoccupation. Vous avez évoqué Erasmus +, mais quels autres signes d'espoir peut‑on donner à notre jeunesse ?

Il ne vous a pas échappé que le gouvernement français vient de voter une loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. Vingt ans après la stratégie de Lisbonne, le monde des chercheurs français a accueilli favorablement le volet relatif à la revalorisation financière. D'autres modifications ont été diversement appréciées et je voudrais revenir sur le lien entre recherche et entreprises, qui a trop longtemps été tabou. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'indépendance des enseignants-chercheurs, mais d'affirmer que l'efficacité de la recherche appliquée en entreprise est un enjeu important. Comment définir de nouvelles stratégies industrielles ? Comment mettre de l'huile dans les rouages de la recherche fondamentale pour y parvenir ?

Enfin, l'un des objectifs du programme Horizon Europe pour la période 2014-2020 était de soutenir l'innovation dans des domaines répondant à des défis de société, comme la santé. Dès le début de la crise sanitaire, la France avait misé sur l'essai clinique Discovery pour trouver un remède efficace contre le covid-19. Malheureusement, le programme de recherche de tous les espoirs a déçu. L'une des priorités de votre lettre de mission est de construire un espace européen de la recherche. Quels sont vos axes de travail pour y parvenir ?

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Le programme Horizon 2020, doté de 79 milliards d'euros, arrive à son terme. Il représente une source de financement stratégique pour les projets d'excellence de nos laboratoires. Si les chercheurs pointent du doigt sa lourdeur administrative, tous les bénéficiaires en soulignent le caractère essentiel.

La prochaine programmation budgétaire suscite de fortes attentes, et son blocage, de vives inquiétudes. Elle donne une impression de stagnation, même s'il faut y ajouter, c'est vrai, les crédits de recherche du plan de relance européen. Ils ne pèsent toutefois qu'une dizaine de milliards et sont essentiellement tournés vers le numérique. De plus, le coup d'arrêt donné par la Pologne et la Hongrie au processus de ratification de la décision sur les ressources propres place les financements européens dans une situation délicate. Que pouvez‑vous nous dire à ce sujet ?

La pandémie actuelle démontre, s'il en était besoin, le rôle crucial de la recherche en santé. L'Europe va-t-elle en tirer les conséquences dans l'allocation des crédits et fournir un effort particulier en direction de la biologie et de la santé ? Comme la présidente de la Commission européenne l'a proposé, je soutiens la création d'une Union européenne de la santé, avec de vrais pouvoirs et de vrais moyens pour le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, une Agence européenne des médicaments renforcée pour éviter les pénuries et la création d'une Autorité de réaction sanitaire d'urgence sur le modèle de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA) américaine.

J'ajoute qu'il nous faut réfléchir, à l'échelle européenne, au financement des biotech. En l'absence de fonds au dimensionnement approprié, elles atteignent vite le plafond de verre et sont obligées de se vendre outre-Atlantique. Ce phénomène s'observe en France, mais aussi en Allemagne, malgré le beau succès récent de BioNTech. Pouvez-vous préciser les intentions de la Commission européenne sur la recherche en santé, du laboratoire académique à la recherche appliquée, jusqu'à son développement sur le marché ?

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Les périodes de confinement liées à la pandémie sanitaire ont conduit à développer l'enseignement à distance. Les outils de travail numériques partagés proposés par les grandes multinationales – les GAFA – se sont imposés car ils sont disponibles, leur gratuité étant fondée sur la revente des données personnelles. Les solutions européennes alternatives ont perdu du terrain, alors même qu'elles ont souvent recours aux outils libres et sont attentives à la protection des données personnelles, parce qu'elles sont vendues aux utilisateurs et aux collectivités contre paiement ou redevance, avec ce que cela suppose de contraintes pour leur achat. L'Union européenne entend-elle supporter et accompagner le développement de tels outils, qui semblent essentiels ?

Par ailleurs, dans plusieurs pays se font jour des initiatives visant à donner aux parents la possibilité de refuser certains enseignements concernant par exemple l'éducation sexuelle, l'homophobie ou encore la prévention du harcèlement. Que peut ou doit faire l'Union européenne selon vous ?

Enfin, pourriez-vous nous dire un mot sur Erasmus ?

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Madame la commissaire, je tenais à vous remercier, au nom du groupe Agir ensemble, pour vos propos. La crise sanitaire a été un révélateur de la situation de dépendance de l'Europe vis-à-vis d'autres puissances mondiales, notamment de la Chine. Cette faiblesse devra indéniablement figurer à l'ordre du jour des grandes réformes européennes des prochaines années.

Toutefois, il ne faut pas oublier que l'Union européenne est parvenue à assurer une coordination rapide et utile dans tous les domaines entre les États membres. Cela s'est traduit sur le terrain de la solidarité et du soutien à l'économie, avec un plan de relance exceptionnel de 750 milliards d'euros – nous espérons que les discussions en cours trouveront prochainement une issue positive –, comme sur le terrain de la recherche, avec des échanges de données, des plateformes de recherche communes, ainsi que la mobilisation importante de fonds et de chercheurs européens. Une fois de plus, en temps de crise, l'Union européenne a démontré sa capacité à faire face, sa force et son engagement auprès des nations dans leur diversité. Encore faut-il que cela se sache : montrer aux citoyens européens la légitimité des institutions européennes et l'impact direct qu'elles ont dans nos vies, même en période de crise, est un enjeu majeur. Madame la commissaire, comment comptez-vous, dans les attributions qui sont les vôtres, rendre le défi de la recherche européenne plus concret pour les citoyens ?

Je souhaiterais également avoir votre avis sur la création d'une réserve sanitaire européenne, avec des stocks de médicaments et d'équipements, ainsi que des médecins et des experts pouvant être déployés rapidement en cas de nouvelle crise sanitaire.

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Le droit de l'Union européenne prévoit un droit à rémunération équitable au profit des artistes et des producteurs lorsque leur musique est radiodiffusée et communiquée au public dans les restaurants ou encore les discothèques. Par le mécanisme de licence légale, les utilisateurs de musique n'ont pas à demander l'autorisation des artistes ou des producteurs pour diffuser leur musique ; en contrepartie, ils doivent payer une somme que les organismes de gestion collective (OGC) reversent ensuite aux titulaires de droits.

J'ai été interpellé par de nombreux artistes et syndicats au sujet de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 septembre 2020 sur ce sujet. Selon cet arrêt, les OGC européennes doivent reverser les droits perçus même pour les phonogrammes édités hors Union européenne, en particulier ceux venant des États-Unis. Jusqu'alors, ces droits, considérés comme non-répartissables, n'étaient pas transférés aux ayants droit étrangers et étaient reversés, sous la forme de diverses aides, aux professionnels de la culture.

Cette décision entraînera, selon les premiers concernés, un manque à gagner de plus de 25 millions d'euros par an pour l'ensemble des OGC de droits voisins en France. La Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens-interprètes (ADAMI) prévoit une baisse de 35 % des budgets consacrés à l'aide à la création et à l'emploi des artistes‑interprètes. La Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (SPEDIDAM) déclare que cet arrêt entraînera une baisse de 30 % des ressources allouées aux aides à la création et à la diffusion. Enfin, la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) annonce une baisse de 50 % des aides à la création musicale.

En pleine crise sanitaire, qui met nos artistes et auteurs à rude épreuve financière, cette décision est très inquiétante. Elle est également injuste car elle n'exige aucune contrepartie des États-Unis, qui ne prévoient pas de verser une telle rémunération pour les phonogrammes européens. Madame la commissaire, quelles solutions envisagez-vous pour corriger cette situation inéquitable socialement et économiquement ? Quelle réponse la Commission européenne peut-elle apporter aux professionnels de la culture mis en difficulté en raison de la crise sanitaire de ce côté-ci de l'Atlantique ?

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Ma première question porte sur les inégalités qui se creusent du fait de la crise pour la jeunesse. Les premières des inégalités sont évidemment culturelles. Vous avez indiqué que vous vous fixiez des objectifs élevés en matière de droit à Erasmus. Comment allez-vous matérialiser ces objectifs ? Où en sommes-nous actuellement et quels résultats souhaitez-vous obtenir ?

Erasmus est un programme très intéressant car il concerne les étudiants ; il est synonyme d'ouverture d'esprit en amont, dans les collèges et les lycées. Mais il est également important de soutenir l'éducation nationale dans le développement d'échanges entre établissements : ce premier pas est indispensable. L'Union européenne pense-t-elle soutenir davantage ce type d'initiatives ?

Prévoir des moyens importants pour le développement de la recherche est une bonne chose, mais nous constatons que nos concitoyens sont de plus en plus réfractaires à toute idée de recherche et de progrès technique. Consacrez-vous des moyens à la vulgarisation de la culture scientifique ? Comment cela se concrétise-t-il dans les États membres, notamment en France ?

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La pandémie du covid-19 oblige à replacer au cœur du débat public des interrogations fondamentales que les responsables politiques avaient parfois mises de côté. C'est le cas de la politique culturelle et de l'importance que celle-ci revêt dans le contexte sanitaire qui est le nôtre.

Il ne vous aura pas échappé, madame la commissaire, qu'une polémique a éclaté en France au sujet de l'ouverture des librairies et de l'éventuelle classification des livres en produits de première nécessité. En amoureux des lettres, c'est ce débat fondamental que je souhaite aborder. J'abandonnerai cependant Aurélien et Les beaux quartiers de Louis Aragon pour revêtir la redingote marxiste et évoquer avec vous une récente étude, réalisée par notre ministère de la culture, qui démontre à quel point ce secteur est un mastodonte économique. Dans ce travail mené par le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère, nous apprenons que le poids économique de la culture s'élève en France à 47 milliards d'euros. Ce montant représente 2,3 % de notre économie. L'autre chiffre-clef concerne le nombre de personnes travaillant dans la culture en France : 670 000, soit 2,7 % de la population active. Un tiers de ces personnes sont des indépendants, alors que ceux-ci ne représentent que 12 % de la population française. J'en termine avec cette litanie statistique en vous livrant une dernière donnée : notre pays compte 150 000 entreprises culturelles, soit 6,6 % du total de nos entreprises.

À la lumière de ces chiffres édifiants, nous ne pouvons qu'être inquiets des conséquences sociales et économiques de la fermeture des lieux culturels, non seulement en France, mais aussi en Europe, car si ce secteur est riche en emplois non délocalisables, il est extrêmement fragile en raison d'une sous-capitalisation chronique. L'Europe semble avoir pris la mesure du problème en augmentant de 50 % le budget d'Europe créative, le bras culturel de l'Union. Nous ne pouvons pas en dire autant du plan de relance français, très critiqué par les acteurs du milieu culturel pour ses nombreuses carences.

Êtes-vous en mesure de porter une appréciation sur le plan de relance français dans le secteur culturel ? Plus globalement, quels sont, parmi les pays de l'Union européenne, ceux qui soutiennent le mieux leur secteur culturel dans cette crise ?

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Mariya Gabriel, commissaire européenne

Je remercie Mme Calvez d'avoir insisté sur l'importance de la jeunesse et du domaine culturel. Je ne crois pas que l'Europe manque de capacités. Soyons très honnêtes : notre force est aussi notre faiblesse. Le secteur est extrêmement diversifié et fragmenté, composé à 95 % de micro-entreprises ou de personnes qui s'emploient elles-mêmes. Il doit prendre conscience qu'il doit se montrer plus uni.

Cela étant, nous avançons : au mois de juin, nous avons créé la plateforme Creatives unite, qui compte déjà plus de 26 000 inscriptions. Les solutions à la crise et la place que la culture doit prendre dans les plans de relance doivent aussi venir des secteurs culturel et créatif. Il est fondamental que ceux-ci définissent quatre ou cinq grandes idées prioritaires, que nous devrons tous défendre ensemble pour faire la différence au niveau européen. Je verrai ensuite quelles synergies je peux bâtir pour aider ces secteurs. Les États membres gardent cependant très jalousement leurs compétences dans le domaine de l'éducation et de la culture. Bien souvent, on demande à l'Europe d'agir : je veux bien faire quelque chose mais il faut aussi que les États membres nous autorisent à agir davantage. Nous chérissons le programme Europe créative, qui permet de développer les coopérations transnationales ; la demande dans ce domaine est énorme.

De plus, nous allons renforcer notre soutien aux nouvelles technologies. Pendant la crise, nous avons aidé à digitaliser les contenus sans que cela remplace le lien émotionnel que seule la culture apporte. Cela suppose toutefois de se montrer plus proactif pour défendre les données. Étant une grande adepte du « nuage » européen de contenus culturels, je pense que cela sera l'une des prochaines batailles. Nous avons là quelque chose d'extraordinaire. C'est un sujet que je continuerai à suivre.

De même, je compte beaucoup sur l'innovation. Nous allons proposer de créer des laboratoires d'innovation pour susciter une véritable offre, tant dans l'audiovisuel – en coordination avec le commissaire Thierry Breton, responsable de cette partie du programme Europe créative – que pour aider les start-up à obtenir des résultats.

Pour la première fois, nous allons créer une synergie entre le programme Europe créative, le nouveau cluster sur la culture du programme Horizon Europe et la nouvelle communauté de l'innovation dans le cadre de l'Institut européen d'innovation et de technologie. Je ne me permettrai jamais de dire quel État soutient le mieux son secteur. Nous souhaitons définir rapidement les bonnes pratiques pour créer un impact plus grand en joignant nos forces.

Concernant les jeunes, monsieur Reiss, nous leur proposons la blended mobility, qui leur permet d'utiliser les nouvelles technologies pour ne pas accumuler de retard ; nous l'avons déjà mise en œuvre dans le cadre de l'actuel programme Erasmus. Nous devons également être beaucoup plus concrets avec le monde de l'entreprise, en accentuant notre effort dans le domaine de l'éducation et de la formation professionnelle, qui représente 27 % du programme Erasmus +.

Quand j'étais commissaire au numérique, j'ai créé un programme de stages payés dans le domaine du numérique, le Digital opportunities traineeship, qui permet de mettre les jeunes en contact direct avec les entreprises. En moins d'un an, 12 000 étudiants y ont eu recours. J'ai souhaité que ce programme pilote, prévu pour durer deux ans, devienne permanent. Ce sera chose faite pour la prochaine période ; il sera élargi à l'éducation et à la formation professionnelle, et sera accessible aux enseignants qui, eux aussi, ont besoin de ce type de formation.

Concernant la relation entre la recherche et l'entreprise, quatre exemples illustrent notre volonté de rendre ce lien plus concret. Premier exemple : l'espace européen de la recherche, avec les feuilles de route technologiques conjointes entre le monde académique et le monde industriel.

Deuxième exemple : les universités européennes. Depuis le début, ces alliances travaillent avec les entreprises. Elles ont toutes obtenu 5 millions d'euros pour pouvoir travailler pendant cinq ans. Il y a quelques mois, j'ai pris la décision de transférer à chacune d'elles 2 millions du programme Horizon Europe pour qu'elles intègrent dès le départ la recherche et l'innovation. Je crains sinon que, dans trois ans, l'on ne m'oppose à nouveau les mêmes obstacles que ceux existant depuis vingt ans. Or, je voudrais vraiment que l'on opère ce changement d'approche : les universités doivent travailler avec le monde privé, la société civile et les régions et se montrer beaucoup plus flexibles dans les trajectoires qu'elles proposent aux étudiants.

Troisième exemple : le pacte pour les compétences, annoncé il y a quelques jours. Nous devons continuer à y travailler. Les premiers secteurs concernés sont l'automobile, l'électronique, l'aérospatiale et la défense. Vous pouvez voir ici l'empreinte des commissaires Thierry Breton et Nicolas Schmit. Je ferai de mon côté tout le nécessaire pour que les jeunes puissent se reconnaître dans ces programmes.

Quatrième exemple : dans l'espace européen de l'éducation, nous proposons la création de cinquante centres d'excellence pour la formation et l'éducation professionnelle. Il est important qu'ils puissent voir le jour dans tous les États membres. La France est un très bon exemple puisqu'elle a déjà des projets allant dans cette direction.

L'espace européen de la recherche, quant à lui, existe depuis vingt ans : il faut le dynamiser et lui donner une véritable dimension européenne. Nous proposons donc un pacte européen pour la recherche et l'innovation. Ce n'est pas une obligation mais nous souhaitons que les États membres s'engagent ensemble dans la réalisation de grands projets. J'appelle votre attention sur le forum de transition, dont je voudrais faire le point d'entrée unique des États membres pour décider ensemble des instruments financiers dont ils disposent pour construire leurs projets et les réaliser.

Nous proposons également que les États membres créent des ERA hubs, des lieux de rencontre entre la recherche et le monde de l'entreprise, où les chercheurs auront accès à des formations et où nous pourrons mieux coordonner les actions des différents États membres pour les amener au niveau européen. De même, avec l'initiative ERA4You, je souhaite insister sur la mobilité transsectorielle des chercheurs. Il existe encore dans certaines régions des obstacles majeurs sur ce point. Cette initiative, qui me tient énormément à cœur, suscite des réactions très positives de la part des États membres.

Le cluster sur la santé continuera à occuper une place importante dans le programme Horizon Europe. Pendant la crise, et grâce aux investissements réalisés les années précédentes, nous avons été capables de réorienter rapidement les productions. Je pense notamment au partenariat public-privé sur lequel repose l'initiative Médicaments innovants.

Le véritable enjeu est de travailler en coordination avec la commissaire à la santé, Mme Stella Kyriakides. Nous avons proposé le lancement de l'Union européenne de la santé ; nous aurons pour la première fois un programme européen pour la santé – je remercie encore le Parlement européen de s'être battu pour obtenir une augmentation. Nous devons veiller à ce que chacun exerce ses responsabilités et mène des actions réellement orientées sur l'impact. Le programme géré par la commissaire Kyriakides repose largement sur la coordination avec les États membres. Je voudrais toutefois préserver la valeur ajoutée de la recherche et de l'innovation. Les deux doivent travailler en synergie. Quelques mois d'intense travail nous attendent pour éviter les doublons et pour déterminer la valeur ajoutée de chacune de ces actions.

Je n'utiliserai pas l'expression European BARDA, que je n'aime pas du tout. Il est grand temps que l'Europe se dote d'agences qui ne soient pas des copies de ce qui existe ailleurs. Nous travaillons actuellement à la création d'une agence européenne qui permettra d'agir plus rapidement. Je veillerai à ce qu'il y ait une véritable synergie avec le Conseil européen de l'innovation. Celui-ci a en effet soutenu, pendant la crise, plus de soixante-quatre entreprises qui, grâce aux technologies disruptives, nous permettent d'avancer dans la biotech ; j'aimerais que tout cela ne soit pas perdu. Il faut délimiter de façon claire les responsabilités et les fonds dédiés pour conserver notre capacité à obtenir des résultats.

Pour répondre à Mme Karamanli, le commissaire Thierry Breton et la vice‑présidente Margrethe Vestager présenteront la stratégie européenne sur les données. L'Europe investira bien dans de tels outils : il est donc grand temps que nous nous positionnions sur ces sujets. De mon côté, je souhaite disposer de définitions précises de ce que sont les données très sensibles, sans pour autant freiner l'innovation. Nous devons en effet garantir aux start-up la sécurité juridique et la sécurité pour leurs investissements. Nous aurons quelques mois d'intenses débats car la stratégie propose clairement une nouvelle étape dans la législation sur l'ouverture des données publiques. Mais nous faisons également deux autres propositions pour l'utilisation de ces données dans le respect de certaines règles et normes.

Concernant Erasmus +, nous souhaitons rendre ce programme plus inclusif et l'ouvrir aux élèves des écoles. Les établissements scolaires pourront recevoir un financement pour monter des projets de mobilité avec des partenaires d'autres pays européens. Ainsi, les élèves pourront passer une période dans une école partenaire, soit avec leur classe, soit à titre individuel ; c'est une grande nouveauté.

L'accréditation ne doit pas être valable seulement pour une période mais être ouverte à l'éducation scolaire, à la formation professionnelle et à la formation des adultes. Une fois l'accréditation obtenue, les établissements auraient un accès simplifié et régulier aux financements du programme Erasmus. Nous devons par ailleurs lier le programme Erasmus vert, qui me tient énormément à cœur, à l'initiative European Bauhaus, car nos jeunes peuvent être le pont entre les mondes de la culture, de l'art, de l'éducation, de la science et de la technologie.

J'aimerais également que nous portions une attention particulière aux filles. Nous avons besoin de plus de filles dans le domaine des STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques). L'Institut européen d'innovation et de technologie propose à 40 000 personnes d'accéder à des formations, dont 45 % doivent être des filles ou des femmes, dans des domaines comme l'intelligence artificielle, la blockchain ou encore l'analyse des données.

Pour répondre à M. Bournazel, le stock européen de médicaments et d'équipements existe depuis le mois d'avril. C'est le commissaire Janez Lenarčič qui est en charge de cela. Cela nous a donné l'occasion de voir une belle solidarité au moment où des pays européens ou les Balkans de l'Ouest avaient besoin de ventilateurs et de respirateurs. Il ne faut pas s'arrêter là, en pleine crise : nous devons définir ce dont nous avons besoin en permanence pour nous préparer à affronter de futures crises.

Monsieur Larive, j'ai écouté très attentivement votre question. La semaine dernière, j'ai eu une conversation téléphonique avec la ministre de la culture, Mme Roselyne Bachelot. C'est elle qui, la première, m'a parlé de cette décision de la Cour de justice. La question ne porte pas seulement sur le montant, même si 25 ou 30 millions représentent une somme considérable, mais aussi sur le signal que nous voulons envoyer à nos propres artistes et créateurs. De mon côté, je serai ravie de pouvoir contribuer : ce sujet ne relève pas de mon portefeuille mais je soulèverai de nouveau cette question avec le commissaire Breton, à qui il appartient de déterminer la meilleure réponse à apporter.

S'agissant de la question de M. Bertrand Pancher sur les inégalités qui se creusent, j'ai déjà donné quelques éléments de réponse concernant le programme Erasmus, avec les échanges entre les établissements ou la possibilité accordée à de petites organisations de postuler. De plus, la vulgarisation de la recherche me tient énormément à cœur. L'école a un rôle fondamental à jouer dans ce domaine. Je vais lancer une grande initiative « Un chercheur à l'école », afin que les enfants puissent voir et entendre que la science et la recherche permettent de réaliser des rêves et d'avoir une belle trajectoire. Nous avons quelques exemples très encourageants : vendredi 27 novembre aura lieu la Nuit européenne des chercheurs. Bravo à la France, très active, qui propose de nombreuses initiatives ! Je rappelle que nous avons commencé avec 15 pays et 20 villes ; cette année, nous réunirons 39 pays et 388 villes. Il faudrait davantage de grands événements comme celui-là. Il en va de même pour la recherche, avec « La science à la rencontre des régions » : j'insiste en effet beaucoup sur l'importance du rôle des régions dans ce domaine.

Monsieur Chassaigne, je vous ai indiqué, très diplomatiquement, qu'en tant que commissaire européenne, je ne pouvais pas dire quel pays s'était le mieux occupé de son secteur culturel. La plateforme où les États membres peuvent voir les opportunités existantes devrait être accessible à tous. Or ce n'est pas le cas. Nous avons rendu les règles relatives aux aides d'État plus flexibles, notamment pour qu'elles bénéficient à la culture mais, trois mois plus tard, à peine huit États avaient utilisé cette possibilité. De même, je pense aux possibilités du Fonds européen de développement régional, sur lequel nous avons travaillé avec le Comité des régions pour la période 2014-2020 : 40 milliards sont dédiés à la culture et à l'innovation. J'aimerais savoir quels sont les bons exemples, quelles leçons nous pouvons tirer pour soutenir véritablement le secteur culturel et créatif en cas de nouvelle crise.

Par ailleurs, le secteur lui-même doit s'unir pour parler d'une même voix. J'observe une incroyable mobilisation depuis un mois. Nous sommes très loin de la situation que nous avons connue en mars et avril, quand chacun ne plaidait que pour son petit secteur en difficulté – livres, spectacles, films… Nous avons besoin d'une masse critique de personnes, parce que cela représente 8 millions de personnes et 4 % de notre PIB. L'Europe ne pourra jamais réussir son plan de relance si elle ne place pas la culture au centre.

Les secteurs culturel et créatif sont vraiment uniques ; leur capacité d'innovation peut apporter des bénéfices à toute la société. Sans la culture, nous n'aurions pas pu supporter la crise : cette période est déjà très difficile, mais je n'imagine même pas comment nous pourrions la passer sans ce que ces secteurs ont à nous offrir. J'attends d'eux qu'ils travaillent à une clarification de ce qu'ils souhaitent et qu'ils nous disent si l'Europe a besoin d'un nouveau pacte culturel.

Nous avons la chance, avec le plan de relance et de résilience, de pouvoir proposer deux ou trois grandes initiatives aux États membres, qui pourront ensuite les inclure dans leurs plans nationaux, amplifiant ainsi leur impact au niveau européen. Le European Bauhaus en est une. Nous devons penser aussi à offrir une véritable plateforme européenne de contenus culturels. J'ai déjà mentionné l'idée du cloud, qui vise à protéger les intérêts stratégiques européens. Je travaillerai avec le secteur dans les mois qui viennent pour faire émerger cette masse critique et proposer des idées dans les stratégies nationales, parce que ce n'est pas encore le cas.

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Madame la commissaire, non sans avoir souligné votre maîtrise remarquable de la langue de Voltaire, je souhaiterais vous poser une question sur l'usage des langues officielles, en particulier du français, dans l'Union européenne – dont la devise, rappelons-le, est « Unie dans la diversité ». Depuis l'adhésion de votre pays, l'ensemble européen compte trois alphabets et vingt-quatre langues officielles. Chaque document devrait donc être traduit dans ces vingt-quatre langues, même si les trois langues de travail principales restent l'anglais, le français et l'allemand. En matière de communication extérieure de l'UE, qu'il s'agisse des sites internet ou de consultations publiques, l'omniprésence de l'anglais ne fait aucun doute : plus de 84 % des informations sont diffusées dans cette langue, contre 2,5 % en français, 2 % en allemand et 11 % dans les autres langues officielles. Les médias français n'ont pas omis de noter que, lors de son discours sur l'état de l'Union, Ursula von der Leyen a parlé pendant soixante-trois minutes en anglais, neuf minutes en allemand et quatre minutes en français. Certains sont allés jusqu'à y voir une menace contre la pluralité linguistique du Parlement, qui était autrefois sa marque d'identité.

Selon les traités, les citoyens doivent pouvoir s'informer sur les activités de l'Union, participer au processus législatif et être en mesure de lire et de comprendre la législation européenne. Quand on n'a pas accès à l'information, parce que celle-ci est présentée dans une langue qu'on ne maîtrise pas suffisamment bien, on cherche l'information ailleurs. Les sites propageant des infox – pour ne pas employer d'anglicisme – l'ont bien compris, qui utilisent la langue vernaculaire.

Envisagez-vous de parvenir à un rééquilibrage de l'usage des langues officielles au sein des institutions européennes ?

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La crise sanitaire a largement affecté la recherche publique et privée, qui revêt une importance primordiale. La construction d'un espace de recherche européen est l'une des priorités de votre portefeuille. Comment fera-t-elle évoluer la recherche européenne, publique et privée, dans les domaines de la lutte contre les pandémies, de l'accélération de la transition écologique et du développement de notre indépendance technologique ?

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Comment simplifier les dispositifs Erasmus ? S'agissant, par exemple, des lycées professionnels, ces programmes pèsent sur les épaules des enseignants, qui, de par leur implication, ont déjà beaucoup de travail. Il faut vraiment travailler dans le sens de la simplification. À cet égard, la piste de l'accréditation globale, que vous avez évoquée, me paraît intéressante.

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Madame la commissaire, merci de nous faire partager votre engagement en faveur de l'éducation, de la recherche, de la culture et de l'innovation au sein de l'Union Européenne. Le 20 octobre dernier, le Parlement européen adoptait une résolution visant à mieux structurer un espace européen de l'éducation d'ici à 2025, fondé sur la liberté d'apprendre et de travailler sur tout le continent grâce à de nouvelles initiatives en matière d'investissement et à une coopération renforcée des États membres. Alors que la crise sanitaire empêche actuellement nos étudiants de bénéficier du programme Erasmus, quels vous semblent être les obstacles à la structuration d'une offre éducative et de formation plus large et plus inclusive au sein de l'espace européen de l'éducation ?

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Je voudrais évoquer les relations culturelles entre la Chine et les États européens. Je fais partie de celles et de ceux qui sont convaincus de l'importance des échanges culturels, symboles des liens et de l'amitié entre les peuples, et je sais que vous partagez ce point de vue, madame la commissaire. Vous avez récemment échangé avec la vice-première ministre chinoise, Sun Chunlan, dans le cadre du mécanisme du dialogue entre les peuples. Comment, en dépit de tous les blocages qu'on peut rencontrer – comme l'annulation de l'exposition sur les Mongols de Khan, qui devait avoir lieu à Nantes – favoriser les échanges culturels entre l'Union européenne et la République populaire de Chine ?

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Le programme-cadre de l'Union européenne pour la recherche et l'innovation sur la période 2021-2027 – Horizon Europe – a, entre autres objectifs, celui de vaincre le cancer. C'est un volet important de l'action engagée pour réduire les inégalités de traitement et de prévention à l'échelle européenne. On déplore, en particulier, plus de 6 000 décès annuels causés par des cancers pédiatriques. Pouvez-vous nous préciser quels seront les grands axes de cette mission, notamment pour lutter efficacement contre les cancers pédiatriques, accroître le taux de guérison des jeunes patients et améliorer leur qualité de vie ?

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Madame la commissaire, je voudrais rappeler que vous nous avez fait l'honneur de vous rendre à la Paris Cyber Week, il y a quelques semaines, où nous avons parlé d'éducation numérique et de digitalisation des TPE-PME – je salue, à cet égard, le travail exceptionnel de Typhanie Degois sur ces sujets.

Dans un autre ordre d'idées, je vous sais très attachée à la poursuite des objectifs de développement durable. J'aimerais que l'Europe, comme la France, puisse en faire une boussole politique. Comment pouvez-vous nous aider à développer l'éducation globale sur ces sujets ? Comment pourrait-on les intégrer à l'évaluation de nos politiques publiques et des projets de recherche ? Que pensez-vous de l'idée de lancer des projets Erasmus + dédiés aux objectifs de développement durable ? Pourrait-on concevoir une charte visant à mettre l'intelligence artificielle au service de ces objectifs ?

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Pour anticiper les enjeux de demain et garantir notre souveraineté et notre indépendance, nous avons besoin d'investir dans les nouvelles technologies. Je pense à l'intelligence artificielle, à la cybersécurité ou encore à l'informatique quantique. Certes, il existe déjà des outils, comme le programme Horizon 2020, le Conseil européen de l'innovation (CEI) ou, en matière d'hébergement, le projet GAIA-X, destiné à concurrencer Amazon et Google. Ces initiatives sont évidemment bienvenues mais, face aux investissements massifs de la Chine et des États-Unis, nous n'arrivons toujours pas à développer des entreprises européennes comparables aux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ou aux BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Le manque de financement des entreprises, une fois qu'elles sont parvenues à un certain stade de développement, est souvent mis en cause. Comment entendez-vous, concrètement, les inciter à innover ? Je pense notamment à la mise en place d'un Buy European Act sur le modèle américain, pour réserver certains domaines aux entreprises européennes, ou encore à la création d'agences européennes, sur le modèle de l'Agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA) ou de l'Autorité américaine pour la recherche et le développement biomédical avancé (BARDA).

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L'Union européenne assure, grâce à plusieurs programmes, le développement des politiques publiques européennes en matière d'éducation et de recherche. Dans ma circonscription de Saint-Pierre-et-Miquelon, nous travaillons à la création d'une plateforme de recherche universitaire, car notre écosystème à caractère subarctique est unique en son genre en France. Il s'agit d'organiser des rencontres avec les lycéens pour faire la promotion de la recherche – ce qui fait écho au programme « Un chercheur à l'école » que vous avez évoqué. Cette plateforme pourrait permettre à la France de renforcer sa légitimité au sein du Conseil de l'Arctique, où les seuls membres permanents de l'Union européenne sont la Suède, la Finlande et le Danemark. Si de nombreux échanges universitaires permettent aux étudiants de bénéficier du programme Erasmus +, je souhaiterais savoir quelles politiques publiques européennes sont conduites pour développer la recherche, notamment au sein des pays et territoires d'outre-mer de l'Union européenne (PTOM) et des régions ultrapériphériques (RUP).

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Madame la commissaire, je suis tout à fait en phase avec vos propos. Je prépare actuellement, avec Aude Bono-Vandorme, un rapport, au nom de la commission des affaires européennes, consacré à Erasmus +. Nous préconiserons notamment de rendre le programme plus inclusif, tout en le verdissant. Ma première question concerne la manière dont la Commission européenne a géré les répercussions de la crise du covid-19 sur Erasmus +, en particulier les conséquences de l'application de la clause de force majeure. Quel a été le sort des financements déjà octroyés ? Ma deuxième question a trait aux certifications, qui sont un élément essentiel dans le choix d'effectuer des études dans un autre pays européen. Il faut que les jeunes puissent valoriser leur séjour à l'étranger. Peut-on imaginer des équivalences de crédits pour les élèves de l'enseignement secondaire, afin d'encourager leur mobilité dans le cadre d'Erasmus + ? Cela conférerait au diplôme du baccalauréat une dimension réellement européenne.

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Nous le savons, les politiques menées en faveur de la jeunesse et de l'éducation doivent être pensées à l'échelle européenne. À cet égard, je me réjouis que nous puissions réfléchir avec vous à cette coopération. Ma question porte sur les perspectives de la garantie européenne pour la jeunesse. En 2013, les pays membres de l'Union européenne se sont engagés à appliquer cette garantie de 2014 à 2020. Depuis 2014, 5 millions de jeunes y participent chaque année. Plus de 3,5 millions de jeunes inscrits à ces dispositifs acceptent, chaque année, une offre d'emploi, de formation continue, de stage ou d'apprentissage. Cinq ans après la création du dispositif, la situation des jeunes sur le marché du travail s'est sensiblement améliorée. Madame la commissaire, alors que l'Union européenne est confrontée à une crise sans précédent, un accompagnement et une aide financière pour notre jeunesse sont cruciaux et urgents. Qu'adviendra-t-il de la garantie pour la jeunesse en 2021 et quelles pistes d'amélioration envisagez-vous ?

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Mariya Gabriel, commissaire européenne

Madame Bono-Vandorme, je me réjouis que le multilinguisme fasse partie des priorités de la présidence française. De fait, au fil des années, l'anglais devient omniprésent. Pour ma part, je parle toujours en français dès que je le peux, sans même demander si quelqu'un d'autre s'exprime dans cette langue. Il faut saisir l'occasion de la présidence française pour aller un peu plus loin en ce domaine. La France dirige actuellement un groupe de travail sur cette question, et une étude est en cours de réalisation. Je souhaiterais que le sujet émerge dans l'agenda politique.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire à Mme Bachelot, je pense qu'il faut s'appuyer, en la matière, sur les nouvelles technologies. En effet, le multilinguisme peut aussi constituer une faiblesse pour l'Europe. La question est de savoir si on dispose d'un nombre suffisant de données pour améliorer la traduction et renforcer l'interopérabilité des solutions, grâce à des technologies comme l'intelligence artificielle. Nous avons encore des bases de données extrêmement riches mais, dans cinq ans, ce ne sera plus le cas, en particulier s'agissant des langues des pays ayant une population peu nombreuse. Nous devons nous pencher sans délai sur cette question. Grâce aux nouvelles technologies, on peut rendre les langues plus accessibles et assurer une traduction simultanée. En France et en Allemagne, un projet est mené, des deux côtés de la frontière, dans deux classes qui suivent des cours ensemble, notamment en physique et en chimie, et qui tiennent un journal commun sur l'histoire européenne grâce à l'intelligence artificielle et à des outils d'interprétation simultanée, qu'ils perfectionnent eux-mêmes. Je soutiendrai tout type de projet allant en ce sens. Nous devons faire l'effort de les développer au niveau européen.

Monsieur Geismar, j'ai évoqué, à propos de l'espace européen de la recherche, certaines des grandes initiatives que nous avons menées, notamment le pacte européen pour la recherche et l'innovation, le forum européen pour la transition et les feuilles de route technologiques conjointes entre le monde académique et le monde industriel. Les États membres ont évidemment un rôle à jouer. C'est pourquoi nous avons réaffirmé, pour les inciter à investir, l'objectif consistant à porter à 3 % la part du produit intérieur brut consacrée par les pays européens aux dépenses de recherche. Nous avons aussi proposé un objectif de 1,25 % du PIB pour l'investissement public, ce qui nous permettrait d'avoir une base beaucoup plus solide pour stimuler l'investissement privé et nous positionner comme leaders dans certains domaines clés. Sans ces investissements, on n'y arrivera pas.

Madame Victory, merci de votre soutien à l'idée de l'accréditation globale pour simplifier Erasmus +. Nous devons évidemment envisager d'aller plus loin. Je suis ouverte à toutes vos propositions : n'hésitez pas à partager des informations avec moi ou mon cabinet. Votre expérience du terrain est précieuse. On sait que l'accès à Erasmus + est difficile pour un certain nombre d'organisations et d'établissements, dans plusieurs régions.

Madame Dubois, je voudrais mentionner deux initiatives relatives à l'éducation, pour lesquelles je suis en quête de soutien au sein des États membres et des parlements nationaux. Premièrement, je suis convaincue que nous devons avoir une plateforme européenne de contenus en ligne de qualité, accessibles à tous gratuitement. J'ai du mal à accepter certains chiffres. Les trois principales plateformes proposant des cours en ligne de bonne qualité, qui ne sont pas européennes, attirent 70 % des utilisateurs européens de ce contenu. Nos États membres mènent tous des initiatives extraordinaires, mais le moment est venu de réfléchir à la mutualisation des ressources. Je vais lancer très rapidement une étude de faisabilité, car nous devons résoudre des questions complexes comme les standards de qualité des contenus, l'interopérabilité, la protection des données. Les États membres gardent très jalousement leurs compétences dans certains de ces domaines.

Nous souhaitons, deuxièmement, créer un réseau européen de hubs dans l'éducation numérique. Nous proposons que chaque État membre donne accès, grâce à un guichet unique, aux informations, aux ressources et aux réseaux existant dans ce domaine. Nous en ressentons cruellement le besoin. Les enseignants européens sont concernés au premier chef : 49 % d'entre eux déclarent ne pas être suffisamment préparés à travailler avec les nouvelles technologies. C'est, à mes yeux, une question clé.

Madame Mette, nous avons tenu une réunion avec la Chine, il y a quelques semaines, dans le cadre du dialogue de haut niveau que nous entretenons avec ce pays. Notre discours a été très clair : nous voulons enrichir nos échanges, nous aspirons à une coopération intense, mais il est nécessaire d'appliquer un principe de réciprocité et des conditions de concurrence équitables. À titre d'exemple, plus de 380 Chinois bénéficient d'une bourse post‑doctorale pour étudier en Europe, alors que seuls 4 Européens se voient attribuer cette aide pour étudier en Chine. Beaucoup d'autres questions se posent. J'ai proposé à mes interlocuteurs que nous ayons un dialogue très ouvert. Sur la base de certains principes, qui doivent être respectés, on pourra renforcer la coopération. C'est la condition d'un partenariat durable, plus profitable à l'Union, qui nous permettra de protéger nos intérêts stratégiques.

Madame Cazarian, 30 000 à 35 000 enfants sont frappés par un cancer, chaque année, en Europe. Cette question me tient particulièrement à cœur. Je me réjouis que, parmi les treize recommandations de la mission sur le cancer, l'une d'elles concerne spécifiquement le cancer pédiatrique. C'est un signal extrêmement positif. Dans les six mois qui viennent, nous devrons identifier les actions à engager. Nous devons traiter un grand nombre de questions, parmi lesquelles la prévention, l'accès aux traitements et les différences considérables entre les États membres. La mission sur le cancer a proposé de renforcer l'utilisation des nouvelles technologies et la coordination entre États membres, ce à quoi je suis très favorable. L'enjeu, en la matière, est de définir les sujets qui seront pris en charge par la mission sur le cancer et ceux qui seront traités par le plan européen de lutte contre le cancer. Nous y travaillons avec Stella Kyriakides. Certaines responsabilités sont directement liées aux capacités de gestion des États membres, tandis que d'autres relèvent plus directement du domaine de la recherche. Je fais confiance au board de la mission. Je souhaite que des actions concrètes soient mises en œuvre. Nous pouvons faire davantage pour nos enfants.

Monsieur Raphan, je sais combien les objectifs de développement durable vous tiennent à cœur. D'ores et déjà, 84 % des projets financés par le programme Horizon 2020 contribuent à ces objectifs, ce qui est considérable. Nous avons acquis une forte expertise en la matière, qui s'étend à l'évaluation des projets. Je reste très ouverte à la possibilité de mettre l'intelligence artificielle au service du développement durable. Toutefois, au préalable, l'Europe doit montrer l'exemple en définissant des principes éthiques et des lignes directrices dans les domaines de l'intelligence artificielle et de l'éducation.

Les pays et territoires d'outre-mer, comme les régions ultrapériphériques, revêtent à nos yeux une place importante. Nous sommes en train de finaliser les négociations avec l'Institut européen d'innovation et de technologie en vue de conduire des projets dans les domaines constitutifs du triangle de la connaissance : l'éducation, la recherche et l'innovation. Je suis à l'écoute de vos propositions pour que ces territoires soient davantage parties prenantes des initiatives européennes – je pense par exemple aux universités européennes. Il ne me semble pas que des représentants des territoires d'outre-mer aient participé aux discussions concernant ces initiatives. J'ai été très claire sur le fait que les alliances ne sont pas des clubs fermés. Je ne veux pas que cinq ou six pays avancent sur des projets sans qu'on se préoccupe des autres. Je voudrais que tous les programmes soient ouverts à de nouveaux participants. Je tiens à ce qu'on ne perde pas de vue les territoires ultrapériphériques.

Madame Charrière, c'est Nicolas Schmit qui est en charge de la garantie européenne pour la jeunesse, qui a fait l'objet d'une annonce importante en juillet, à laquelle j'ai été associée. J'apprécie le fait que la condition d'âge ait été assouplie : un an de plus, ce n'est pas anodin. Un autre exemple de l'engagement renouvelé en faveur de la garantie européenne pour la jeunesse est l'idée de distribuer des vouchers à des jeunes désirant créer leur entreprise, par exemple une start-up. Nous devons populariser cette mesure, qui existe depuis plusieurs mois et est financée par le Fonds social européen. Nous avons des idées très concrètes qui intéressent beaucoup les jeunes.

À ma connaissance, l'application de la clause de force majeure n'a pas suscité de difficultés. J'ai demandé à nos agences nationales de se réunir chaque semaine pour partager des données issues du terrain, ce qui n'avait jamais été fait auparavant. Aucun problème n'a été, me semble-t-il, laissé sans solution. On prend en charge les coûts supplémentaires. Par ailleurs, il est possible d'obtenir un délai supplémentaire de douze mois pour effectuer sa mobilité. Si vous avez connaissance d'une difficulté, je vous demande de nous le faire savoir, pour que nous assurions le relais avec les agences nationales et que nous trouvions une solution.

Je vais réfléchir à votre proposition de création d'équivalences de crédits pour les élèves de l'enseignement secondaire. C'est une option que nous n'avions pas envisagée avec mon équipe, mais nous allons nous pencher sur cette question.

Nous devons parler des initiatives que nous menons en faveur des entreprises technologiques. L'Europe doit prendre l'habitude de populariser ses success stories. Nous devons proposer à nos entreprises un nombre encore plus grand d'instruments et élargir leur réseau. L'objectif est de parvenir à une phase critique qui nous donnera plus d'assurance et nous permettra d'avoir notre DARPA et notre BARDA. C'est une responsabilité collective. J'insiste sur le fait que le Conseil européen de l'innovation est une structure novatrice et unique. C'est la première fois que nous investissons de manière aussi directe dans des phases critiques, grâce au fonds constitué en son sein. Il nous revient de bâtir des synergies et de transformer le CEI en une véritable fabrique européenne de licornes. Nous devons nous mobiliser, utiliser notre budget pour obtenir un effet multiplicateur.

Notre objectif est d'investir à hauteur de 20 milliards d'euros par an dans l'intelligence artificielle au cours de la décennie à venir. N'oublions pas que nous avons une valeur ajoutée dans notre approche de l'intelligence artificielle, qui réside dans nos principes éthiques. Nous devons nous appuyer sur le Livre blanc sur l'intelligence artificielle et le Digital Services Act, qui sera prochainement publié, fruits du travail de Thierry Breton. On sent que la mobilisation commence à croître. Il nous appartiendra de montrer que, dans ces moments clés, nous avons quelque chose d'unique à proposer. Pour cela, il nous faudra rester mobilisés, parler d'une même voix et agir de manière coordonnée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie beaucoup, madame la commissaire. Nous sommes impatients de découvrir le Digital Services Act. Ce texte, qui relève de votre précédent portefeuille, devrait être présenté le 2 décembre et nous fera sans aucun doute franchir un pas très important. Nous nous réjouissons de pouvoir bénéficier de votre expertise sur cette question dont dépend la réussite de nombreux projets évoqués cet après-midi.

La séance est levée à vingt heures.