Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CNED
  • confinement
  • distance
  • pédagogique
  • éducatif
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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 19 novembre 2020

La séance est ouverte à quinze heures vingt.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous poursuivons nos journées d'audition sur les conséquences de la crise sanitaire pour les enfants et la jeunesse en abordant les enjeux du numérique éducatif. Ces enjeux ont surgi au tout premier plan pendant l'épidémie dans le cadre de la continuité pédagogique assurée pendant la fermeture des établissements scolaires mais aussi lors du déconfinement. Les circonstances ont donné l'occasion de plonger dans ce grand bain numérique – cela aurait sinon probablement été repoussé pendant encore quelques années.

Nous entendons aujourd'hui M. Michel Reverchon-Billot, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED), Mme Marie-Caroline Missir, directrice générale du Réseau Canopé de l'Éducation nationale, et, pour Régions de France, M. Kamel Chibli, président de la commission Éducation, vice-président en charge de l'éducation, de la jeunesse et du sport de la région Occitanie, et M. David Duval, conseiller.

Si l'utilisation des outils numériques à l'école n'est pas une nouveauté, elle a pris une place inédite lors du confinement afin d'assurer la poursuite de la scolarisation et de la scolarité des élèves. Ce basculement a dû être effectué dans des délais extrêmement brefs, pour ne pas dire brutaux. Il a soulevé des questions en matière d'outils disponibles et de limites techniques de ces outils – elles ne sont d'ailleurs pas seulement techniques, mais éventuellement aussi philosophiques et intellectuelles –, comme la capacité de connexions simultanées, les fonctionnalités offertes, les difficultés d'accès des familles au numérique, qu'il s'agisse de connexions internet ou d'équipement informatique – avec le risque de décrochage qui en résulte. Cela a également donné lieu à de bonnes surprises, de vraies innovations et un réel basculement vers des moyens qui ne nous quitteront désormais plus.

La formation au numérique, tant pour les enseignants que pour les élèves, demeure une question essentielle. Au cours de nos auditions, plusieurs des personnes auditionnées ont souligné que la crise sanitaire avait permis de procéder à un bond en avant dans l'utilisation du numérique. Mais dans l'urgence, les enseignants ont dû improviser et ils ont parfois utilisé des outils multiples, ce qui compliquait la tâche des élèves et de leurs parents, confrontés à une multiplicité de canaux et d'usages. Pour un jeune élève arrivant en classe de sixième, déjà confronté à la démultiplication de ses professeurs, démultiplier en plus les outils a été un casse‑tête.

Nous serions désireux de vous entendre sur les outils proposés par le CNED, par exemple « Ma classe à la maison » et les classes virtuelles qui ont pu être utilisées pendant le confinement, sur les supports et dispositifs proposés par Canopé et sur les programmes de formation des enseignants, ainsi que sur les dispositifs numériques mis à la disposition des lycéens, moins retournés dans leurs établissements lors du déconfinement et qui doivent désormais suivre leur scolarité par demi-groupes. Nous sommes très intéressés par vous entendre sur ces dispositifs et par savoir qui s'en est réellement emparé, c'est-à-dire quelles couches de la population ont pu se saisir de ces outils. Enfin, la présence de Régions de France nous donnera l'occasion d'aborder l'organisation de la scolarité dans les lycées dans le cadre de ce nouveau confinement.

Je vous invite à prendre la parole pour une intervention d'environ cinq minutes car nous avons pris du retard. Cette intervention précédera un échange sous forme de questions-réponses. Avant de vous donner la parole, je précise que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre d'une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je propose à chacun des interlocuteurs, en préambule, de lever la main droite et de dire « je le jure. »

(M. Reverchon-Billot prête serment.)

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Michel Reverchon-Billot, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED)

Pour introduire le débat et permettre les échanges, je commencerai par présenter le CNED. Il est un opérateur historique de l'enseignement et de la formation à distance, puisqu'il a été créé en 1939 pour répondre aux enjeux de l'époque, à savoir la scolarisation des élèves empêchés. Un élève empêché l'était alors en raison des conséquences de la guerre. Aujourd'hui, un élève empêché est un enfant soit malade, soit porteur de handicap, soit en itinérance – nous scolarisons beaucoup d'enfants du voyage, d'enfants circassiens ou d'enfants de bateliers. Nous scolarisons aussi, et cela constitue la grande hétérogénéité du CNED, les sportifs de haut niveau ou les enfants artistes.

Dès sa création, le CNED a poursuivi l'objectif d'assurer la promotion sociale par une offre de formation continue à distance pour les adultes en reprise d'études. Nous sommes aujourd'hui très présents dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle et du compte personnel de formation (CPF).

Le CNED a connu plusieurs étapes historiques : nous sommes passés de centre d'enseignement par correspondance, utilisant les documents papier, à centre de télé‑enseignement, puis d'enseignement à distance pour enfin, aujourd'hui, suivant les évolutions technologiques, concevoir, produire et exploiter nos propres formations complètement en e-learning grâce au recours aux outils numériques. C'est pourquoi nous avons sans doute été un peu moins surpris que d'autres institutions par la nécessité de plonger dans le numérique du fait de la Covid : elle constituait déjà notre quotidien.

Ces évolutions ont demandé une forte adaptation des métiers et des compétences en interne. L'enseignement à distance demande une expertise très spécifique. Il n'est pas une simple mise à distance de l'enseignement en présence. Les périodes récentes ont montré les difficultés d'adaptation causées par un enseignement à distance sans transposition. C'est grâce aux évolutions technologiques majeures dans sa chaîne de fabrication ces dernières années que le CNED a pu répondre de manière très réactive au premier confinement par la mise en place du dispositif de continuité pédagogique « Ma classe à la maison ». Celui-ci a été mis en place très rapidement. Le CNED était jusqu'alors identifié comme un établissement de « l'empêchement scolaire », qui agissait à côté de l'école. Nous nous sommes rapidement aperçus que cet établissement pouvait agir aux côtés de l'école et apporter une plus-value à la scolarisation en présence. Ce nouveau positionnement du CNED a été bien identifié. Les dispositifs actuels permettent de renforcer la présence du CNED en appui aux établissements en présence.

« Ma classe à la maison » propose deux services. Tout d'abord, des parcours de scolarisation : il ne s'agit pas seulement de ressources qui demanderaient un accompagnement par des enseignants ou des adultes mais de parcours totalement autoportés, qui peuvent être travaillés quasiment en autonomie, ou sur prescription ou accompagnement des enseignants. Cela permet aux enseignants de les utiliser mais également aux élèves et aux familles de les utiliser seuls. Ensuite, nous proposons un service de classe virtuelle assortie de tutoriels de prise en main pour permettre d'assurer des cours en synchrone avec les élèves ou bien de garder le lien entre les enseignants et les élèves, notamment pour le premier degré.

Je vous apporte quelques chiffres sur la période du premier confinement. 1,9 million de familles ont ouvert un compte sur « Ma classe à la maison ». Je précise bien qu'il s'agit de 1,9 million de familles : une famille peut se connecter pour plusieurs enfants. Cela représente donc un nombre considérable d'élèves. S'agissant des enseignants, 500 000 d'entre eux – donc plus de la moitié du corps enseignant – se sont inscrits sur la plateforme. 12 millions de classes virtuelles se sont déroulées pendant le confinement. Nous avons lancé une enquête dès le début du déploiement de « Ma classe à la maison » : respectivement 83 % des familles et 82 % des enseignants interrogés ont estimé que ces plateformes ont permis aux élèves de continuer à apprendre et à progresser malgré la fermeture des établissements et des écoles.

Le CNED n'est pas que la crise sanitaire. Outre la scolarisation de 70 000 élèves en France et à l'étranger et la formation continue dans le cadre du CPF d'environ 140 000 adultes, le CNED a également la vocation d'élargir l'offre de formation dans les établissements et les territoires. Si un élève en classe de première ne trouve pas dans son lycée la spécialité qu'il souhaite suivre dans le cadre de la réforme du lycée, il peut – cela est tout à fait réglementaire – suivre cette spécialité à distance avec le CNED. Cela se fait à égalité de considération et de dignité. Il est tout à fait possible aujourd'hui dans un établissement en France de suivre une partie de son enseignement en présence et une partie à distance avec le CNED. Cela est également vrai pour les langues à faible diffusion : un élève scolarisé dans un lycée qui ne propose pas le japonais peut choisir d'apprendre le japonais au CNED.

Le CNED propose également de nouveaux services. Les élèves peuvent, par exemple, bénéficier d'une plateforme d'accès dans le cadre de remplacements de courte durée – dans le cas d'une absence de professeur inférieure à quinze jours, soit pour stage, soit pour maladie. Le chef d'établissement peut alors recourir à cette plateforme pour permettre la continuité pédagogique des élèves. Le CNED propose également un appui aux enseignements de spécialité : nous avons développé la plateforme « Ma spé' maths » qui permet de renforcer les compétences des élèves en spécialité mathématiques. Dans les territoires, en lien avec les collectivités territoriales et le ministère de l'enseignement supérieur, nous avons développé des lieux de formation : les campus connectés. Ils articulent formation à distance des étudiants et accompagnement en présence par des accompagnateurs.

Aujourd'hui, en seconde phase de confinement, nous avons réactivé à la demande du ministère « Ma classe à la maison » Nous avons tiré profit des enseignements de la première période, notamment en sécurisant les classes virtuelles. Nous avons eu affaire à des intrusions dans les classes virtuelles, assez réduites, qui concernent ce que l'on appelle « le chahut numérique ». Il s'est agi de 120 intrusions sur 12 millions de classes virtuelles. Cela est évidemment peu, mais cela est très perturbant quand cela arrive à un professeur. Nous avons donc sécurisé les classes virtuelles pour garantir la sécurité des enseignants et des élèves – cela n'est pas de trop dans le contexte actuel. Nous avons mis à jour les parcours de scolarisation afin de correspondre aux programmes de cette période de l'année. Nous avons également ajouté la partie scolarisation des élèves de 3 et 4 ans pour répondre à l'obligation d'instruction pour les élèves de 3 ans. Les connexions sont beaucoup plus modestes en cette seconde période, pour plusieurs raisons : l'ensemble des établissements ne sont pas fermés ; les rectorats et les collectivités territoriales se sont organisés pour proposer des solutions locales – des collectivités régionales ont par exemple proposé des classes virtuelles. « Ma classe à la maison » connaît aujourd'hui environ 800 000 connexions, avec un peu plus de 600 000 élèves et de 130 000 professeurs. L'intérêt pour la plateforme demeure mais évidemment de façon plus mesurée.

Pour terminer, le ministre a rappelé lors de la clôture des États généraux du numérique sa volonté de faire évoluer le CNED vers une académique numérique. Le CNED devrait poursuivre sa mission traditionnelle d'accompagnement et de scolarisation des élèves empêchés et de formation des adultes en reprise d'études, mais aussi développer son appui aux établissements en présence par des dispositifs complémentaires à l'enseignement en présence. Pour ce faire, le CNED bénéficie de 14,8 millions d'euros de crédits du programme d'investissements d'avenir (PIA). Ils doivent servir à la fois à procéder à des sauts technologiques dans la qualité des apprentissages des élèves et des adultes en formation, et à renforcer le positionnement du CNED comme partenaire des écoles et des établissements en présence. Je vous remercie.

(Mme Missir prête serment.)

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Marie-Caroline Missir, directrice générale du réseau Canopé

Je présenterai d'abord notre activité depuis le mois de mars, qui se déroule en miroir des activités du CNED – qui est notre partenaire car nous sommes implantés sur le territoire poitevin. Je proposerai également une réponse à une question qui intéresse particulièrement votre commission, à savoir le type de personnes que nous touchons et les mesures qu'il me semble nécessaire de mettre en place pour cette nouvelle phase du confinement.

Quels types d'activités avons-nous donc déployés ? Canopé est un opérateur de l'Éducation nationale qui prend la forme d'un établissement public administratif (EPA). Sa mission vient d'être confortée par le ministre de l'éducation nationale lors des états généraux du numérique : il s'agit de la formation des enseignants sur le numérique et par le numérique notamment. Historiquement, Canopé est un éditeur, précédemment connu sous le nom de Centre national de documentation pédagogique (CNDP). En 2015, le CNDP est devenu Canopé et sa mission a été élargie à la production de ressources, en papier et en numérique, et l'accompagnement des enseignants. Nous franchissons donc une nouvelle étape puisque notre mission est plus spécifiquement dédiée à la formation.

Dès les premiers jours qui ont suivi l'annonce du premier confinement par le Président de la République, nous avons tenté de répondre à un premier besoin exprimé par les enseignants, à savoir la recherche de ressources adaptées à la situation particulière qu'ils vivaient. Il s'agissait d'une situation brutale, inédite, de basculement dans le distanciel, caractérisée par une multiplication des ressources partagées par le biais des réseaux sociaux et des blogs. Dans ce contexte, notre première mission était de faire le tri. Nous avons donné jour à un site internet de curation de ressources pédagogiques par niveau et par discipline, Canotech. Ces ressources étaient orientées vers un double public : elles concernaient aussi bien l'enseignant que les familles qui, dans ce moment très particulier, étaient placées en posture de médiation pédagogique voire de pédagogue elles-mêmes. Cela a constitué la première phase de notre action. Nous avons poussé une offre de plus de mille ressources, avec des pics de connexion qui ont atteint plus d'un million de sessions par jour lors du premier confinement. Cela montre que ces ressources gratuites ont manifestement trouvé un usage. Nous avons notamment mis au point « Les fondamentaux », des petits films pédagogiques qui illustrent des notions de grammaire ou de mathématiques, qui ont aussi bien été utilisés par les parents que par les professeurs. Cela est un exemple parmi d'autres.

En observant les usages et les besoins des enseignants exprimés sur les réseaux sociaux, nous nous sommes rendu compte que cette démarche n'était pas suffisante. Il fallait créer un dispositif d'accompagnement à distance pour aider les enseignants à accomplir leur mission. De l'accompagnement, nous sommes rapidement passés à la formation en tant que telle. Pour cela, toujours à partir de la plateforme Canotech, nous avons mis en ligne une offre nationale de formation à la continuité pédagogique. Cette offre se déroule à distance sous forme de webinaires organisés en trois thématiques : les métiers de l'humain, qui recouvrent la dimension relationnelle, psychologique du métier d'enseignant et la relation avec l'élève dans ce contexte particulier ; la remédiation, qui consiste en l'accompagnement des élèves en difficulté, en décrochage, en situation de fragilité et l'accompagnement des élèves handicapés ou à besoin éducatif particulier ; l'hybridation, qui est dédiée à la maîtrise du numérique et aux nouvelles formes scolaires qui sont nées du confinement puis du déconfinement, qui ont donné lieu à l'alternance du distanciel et du présentiel.

Nous avons formé, au 30 octobre 2020, 104 520 enseignants. A la fin de l'été, nous en avions formé 100 000. La progression a été ralentie, comme l'expliquait Michel Reverchon-Billot, car les élèves sont retournés en classe et que les besoins des enseignants et leur disponibilité n'étaient pas les mêmes. Au total, 44 244 sessions de formation ont été délivrées par le biais de la plateforme et continuent à l'être chaque semaine. Il est intéressant d'étudier la répartition entre les trois thématiques précédemment citées. Lesquelles ont suscité le plus d'intérêt chez les enseignants ? Sans grande surprise, la thématique des nouvelles formes scolaires, centrée plus spécifiquement sur le numérique, a intéressé 55 % des inscrits. Les métiers de l'humain, recoupant la dimension relationnelle du métier d'enseignant, a réuni 28 % de nos inscrits. Enfin, la remédiation et la gestion de la difficulté ont intéressé 17 % d'entre eux.

J'illustre ces thématiques par des exemples de sujets qu'elles couvrent. Certaines des formations de la thématique des nouvelles formes scolaires sont les suivantes : repenser sa classe et sa pédagogie ; se former, comprendre l'attention et la mémorisation ; les principes de la classe inversée. Je vous donne ces exemples à dessein car ils montrent bien qu'au-delà du défi de maîtriser l'outil numérique, et face à la situation très hétérogène des enseignants d'âge et d'aptitudes différents par rapport à cet outil, il s'est très vite révélé nécessaire d'adapter sa pédagogie, d'innover et de tester de nouvelles formes d'interaction avec les élèves. Il me semble très intéressant de consolider cela dans la période actuelle. Ce site continue et intensifie son activité, notamment dans le cadre du dispositif des territoires 100 % numériques déployés dans l'Aisne et le Val‑d'Oise. Nous y opérons, avec l'ensemble des partenaires, la formation des enseignants de ces territoires. Pour ce faire, nous avons décliné et testé de nouvelles thématiques sur les data, la parentalité numérique, la robotique par exemple.

Dans le cadre du Grenelle de la formation, je participe au groupe formation mis en place par le ministre et présidé par Boris Cyrulnik. Il a souligné que pour obtenir des conditions d'apprentissage optimales pour les enfants comme pour les enseignants, le principe essentiel est celui de la sécurisation. Vous connaissez certainement les travaux de Boris Cyrulnik sur la sécurisation des enfants jusqu'à l'âge de 3 ans. La sécurisation de l'enseignant est également essentielle. Dans la période que nous avons vécue et que nous traversons encore, l'irruption brutale, inédite, obligatoire et finalement assez violente du distanciel a généré une insécurisation des familles et des enseignants. En ce sens, la thématique sur les métiers de l'humain nous semble particulièrement importante. Elle n'est pas forcément couverte par la formation traditionnelle délivrée dans les plans académiques de formation notamment. Ceux-ci investissent beaucoup de sujets liés à l'accompagnement des réformes, aux champs disciplinaires et autres. Cette thématique tient à la relation de l'enseignant avec son élève, à la motivation, à l'attention et à la bienveillance. Elle contribue à la sécurisation de l'environnement d'apprentissage, à la sécurisation de l'enseignant et est absolument fondamentale. À la suite à l'assassinat de Samuel Paty, qui a bouleversé le corps enseignant, nous sommes en train de préparer un programme de formation spécifiquement dédié aux valeurs de la République et à la laïcité. Il nous semble nécessaire de recréer une relation à l'élève dans un contexte bouleversé, d'interroger tout ce que ce terrible attentat a fragilisé, de donner à l'enseignant des clés pour qu'il se protège et qu'il puisse évoluer dans un climat protecteur sur le plan humain. Tout cela appartient à la mission qui nous incombe. Nous l'investissons avec nos partenaires, avec la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), avec des experts, des chercheurs, qui interviennent dans nos webinaires sur ces questions. Cela est fondamental. Ce n'est pas parce que nous formons au numérique que nous ne devons pas réinvestir le champ humain, la relation humaine et œuvrer à la sécurisation de cette relation humaine. Je souhaitais attirer l'attention sur ce point qui me semble absolument capital. Merci beaucoup !

( M. Chibli prête serment.)

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Kamel Chibli, président de la commission Éducation de Régions de France, vice-président en charge de l'éducation, de la jeunesse et du sport de la région Occitanie

Le confinement en mars dernier a montré un certain nombre de disparités entre les territoires, ainsi que quelques bonnes aptitudes. La connexion aux espaces numériques de travail (ENT) a été quasiment multipliée par dix dans toutes les régions de France. Le confinement a mobilisé les enseignants, les élèves et les parents d'élèves à se connecter dans les ENT. Cet élément n'est pas neutre : les ENT sont gérés par les collectivités territoriales et nous constatons une bonne réactivité de leur part. La connexion, quand elle est multipliée par dix, peut causer des problèmes en termes de réseau. Les régions ont été mobilisées pour éviter cet embouteillage. La continuité pédagogique passe d'abord par les ENT : si l'ENT ne fonctionne pas, nous aurons du mal à mettre en place la continuité pédagogique. Cette compétence appartient à la région.

Le confinement a mis en exergue les difficultés des élèves et les risques de décrochage scolaire. Certains élèves ont été beaucoup plus impactés que d'autres par le confinement, malgré les ENT et malgré les outils informatiques mis en place. Le décrochage d'un certain nombre d'élèves a été largement causé par le confinement. Il est très important d'y apporter une attention particulière. Heureusement, les dispositifs mis en place ont pu accompagner la continuité pédagogique. Néanmoins la disparité entre les élèves n'est pas neutre.

L'outil n'est pas une fin en soi, mais il est très important. Force est de constater que les élèves ont investi les outils de manière très disparate selon les régions. La région Occitanie est mobilisée sur ces sujets depuis quatre ans. Nous avons mis en place un label numérique en partenariat avec les directions académiques des deux académies de Toulouse et de Montpellier. Cette initiative a permis de construire une ossature d'accompagnement des équipes pédagogiques vers l'utilisation de l'ordinateur en classe. Cet investissement a été conduit à 100 % par la collectivité régionale. Il a fallu que les directeurs académiques accompagnent les chefs d'établissement et les chefs d'équipes pédagogiques pour qu'ils se saisissent de cette opportunité. Puisque la région finançait les outils, il existait une incitation à démontrer que les équipes pouvaient les utiliser à des fins pédagogiques – sinon, ces budgets auraient été dépensés inutilement. Je l'illustre par un exemple concret : sur les 240 000 lycéens de la région, 200 000 lycéens disposent d'un ordinateur. Certaines classes l'utilisent, d'autres ne l'utilisent pas. Nous sommes là confrontés à des problématiques d'interprétation. Certains enseignants nourrissent une inquiétude quant à la liberté pédagogique. La liberté pédagogique veut que chacun se saisisse ou non de l'opportunité d'utiliser un ordinateur en classe. Pendant le confinement, d'autres collectivités régionales l'ont également constaté, l'outil a sûrement pu en partie freiner le décrochage. Il n'est pas vrai de dire que l'outil a permis d'éviter le décrochage. En revanche, il a permis à certains élèves, notamment issus des foyers les plus modestes, de disposer d'un outil permettant de se connecter et de suivre le travail demandé par les enseignants. L'outil est extrêmement important. Les États généraux du numérique éducatif l'ont également démontré. Nous manquons aujourd'hui d'une gouvernance régionale sur la question du numérique. L'on ne peut pas imaginer, même si nous entretenons un bon lien avec les collèges, qu'une politique éducative numérique existe en seconde et qu'elle ne soit pas partagée avec les élèves de troisième. Nous devons mener un travail entre le collège et le lycée pour permettre une réflexion menant à une véritable passerelle entre les établissements. Les académies peuvent totalement gérer cela.

Nous sommes face à un véritable écueil : les disparités entre les territoires. La politique de numérique éducatif coûte beaucoup d'argent alors qu'elle est facultative. Elle ne repose que sur le volontarisme politique. La situation actuelle vécue par les collectivités territoriales n'encourage pas à investir massivement dans des politiques facultatives. Les régions sont plutôt mobilisées aujourd'hui pour que les familles ne subissent pas de plein fouet la crise générée par le confinement – cela fait partie des engagements pris par les régions.

Nous attendons aussi de connaître l'engagement de l'État en la matière. Quel est l'engagement de l'État en matière d'outils numériques et d'équipement des enseignants ? Les outils des enseignants devraient être compatibles avec les outils mis à disposition auprès des élèves. La question des usages est également importante. Il ne faut pas croire que tous les élèves sont adaptés et adaptables au numérique. Les élèves sont connectés certes, mais avant tout pour des usages relevant du divertissement. La maîtrise de l'outil informatique n'est pas donnée à tout le monde. La formation et l'accompagnement des enseignants sont essentiels. Il ne s'agit pas de généraliser les usages ; il revient à chaque enseignant de déterminer comment utiliser les outils.

Je terminerai en vous présentant les propositions faites par Régions de France. Nous avons préparé des propositions en vue des états généraux du numérique éducatif que David Duval, conseiller de Régions de France, pourra vous envoyer par mail. Nous avons formé sept propositions principales. La première est de faire émerger une stratégie numérique éducative définie et copilotée par l'État, les régions et les départements. Cela est très important pour nous. Ensuite, nous souhaitons faire des ENT des pierres angulaires du numérique éducatif au lycée et au collège. La troisième proposition est de poursuivre les politiques ambitieuses d'équipement des lycéens : les régions sont mobilisées alors que cela est facultatif. L'État a‑t‑il prévu de les accompagner ? Certaines familles ne sont pas en capacité d'acheter des outils numériques performants. Je ne parle pas de tablettes : pour permettre un véritable travail éducatif, il faut un ordinateur – en tous, cas nous avons fait ce choix-là. Nos trois dernières idées sont d'accompagner le développement d'une filière e-tech souveraine et française, de développer la formation des enseignants et des personnels administratifs des établissements et, enfin, de renforcer le pilotage du numérique dans les établissements pour une meilleure intégration du numérique dans la pédagogie. Cela est très important !

L'approche partagée entre les académies et les régions sur la maintenance et la sécurité informatique est essentielle. La maintenance informatique est toujours sujette à débat. Elle appartient aux compétences des régions depuis 2013, mais elle recouvre également une partie pédagogique, gérée par les lycées et l'Éducation nationale. Ce sujet est primordial.

Lorsque l'État procède à des ponctions financières, beaucoup de collectivités territoriales se posent la question de cesser les investissements en faveur des politiques facultatives. Quand les budgets disponibles sont réduits, il faut s'interroger sur quelles politiques suspendre. Je me suis déjà battu il y a trois ans pour maintenir notre ambition d'investissement dans le numérique éducatif car cela va dans l'intérêt de nos élèves. Le confinement nous a démontré qu'il était utile de s'y intéresser.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez dit, monsieur le directeur général du CNED, que depuis le début de la crise, le CNED n'agit pas seulement au service des enfants empêchés ou des enfants en reprise d'études mais également aux côtés de l'école. Vous avez employé le terme de « partenaire », en mentionnant le remplacement possible d'un enseignant absent ou le choix des options du nouveau baccalauréat – les options non assurées par un établissement pourraient l'être par le CNED. Cela soulève à mes yeux deux questions importantes. D'abord, cela questionne l'égalité d'accès à cet outil numérique – la Défenseure des droits évoquait le droit à la connexion et appelait à la fin de la fracture numérique pour que chaque élève puisse se connecter. Ensuite, comme l'a dit monsieur le président, se pose la question de l'outil. L'outil n'est pas neutre. Durant ces auditions, nous avons recueilli beaucoup de remarques portant sur la grande diversité dans les outils utilisés et le manque d'homogénéité : ainsi, les enfants doivent changer d'outil en fonction des professeurs. Nous en retenons un besoin de cohérence. Vous avez évoqué la gouvernance régionale et avez formulé sept propositions. Elles me semblent toutes très pertinentes pour contribuer à une meilleure gouvernance régionale.

Je reviens sur ce que vous avez dit, madame, sur la sécurisation de la relation humaine. Ma préoccupation brute est la suivante : n'y a-t-il pas un risque que, petit à petit et pour des raisons diverses, cette relation humaine de l'enseignant à l'enseigné soit remplacée par l'outil numérique ? Peut-on utiliser l'outil numérique tout en maintenant voire en enrichissant cette relation humaine ? Cela constitue un défi afin de savoir quelle conception de l'enseignement défendre dans les années à venir. Je souhaiterais recueillir votre opinion à ce sujet.

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Marie-Caroline Missir, directrice générale du réseau Canopé

Effectivement, n'y a-t-il pas un risque de déperdition de la relation humaine ? Cela est très compliqué. Les enseignants et les parents se sont rendu compte que le « tout distanciel » n'est absolument pas souhaitable sur le long terme. En revanche, il faut s'y confronter, s'y préparer et l'intégrer dans le quotidien pédagogique. Le cœur du métier est bien de pouvoir croiser son regard, de recueillir les sentiments d'un enfant, de repérer les élèves en difficulté. Bien sûr, le risque existe. Mais l'outil reste un outil et il n'est pas en mesure de concurrencer l'enseignant sur le terrain si vaste et si riche de l'humain. En revanche, il me semble que cette irruption du distanciel a, pour les enseignants qui étaient déjà acculturés à l'outil numérique, enrichi les pratiques pédagogiques. Le distanciel les a obligés à se déplacer sur de nouvelles pratiques : par exemple, il n'est aucunement besoin d'avoir recours aux outils numériques pour organiser la classe inversée. Mais le contexte a amené les enseignants à repenser leur pédagogie et à investir de nouvelles façons d'enseigner pour garder le lien avec les élèves. Cela a permis de confier au distanciel ce qui relève de la communication avec les parents et avec les élèves, en amont et en aval de la classe. Le face-à-face pédagogique, en revanche, a pu être reconstitué de la façon la plus complète possible par « Ma classe à la maison » ou les ENT. Nous avons encore beaucoup de progrès à faire, certainement ; mais cela constituait déjà une chance pour nous, Français, de disposer de ces outils nationaux immédiatement à disposition.

Les enseignants ont également noté que le distanciel a permis à des élèves souvent timides ou en retrait de trouver un nouvel espace d'interaction avec l'enseignant. Souvent, ces élèves ont paradoxalement davantage participé via ces modalités d'enseignement à distance qu'en présentiel.

Enfin, le danger réside dans le fait de tirer des conclusions pérennes d'une période de crise. Aucun de nous ne souhaite que la crise se reproduise dans les mêmes conditions. Les chercheurs et les acteurs du système éducatif – c'est pourquoi les États généraux du numérique ont eu lieu – s'interrogent sur ce que nous pouvons retenir, consolider, pérenniser de cette période. Nous disposons d'enseignants – ils constituent une richesse extraordinaire de notre pays – qu'il faut accompagner et sécuriser au regard des enjeux qui pèsent sur eux et de l'importance de l'éducation numérique et de l'éducation tout court. Je mets ces éléments en perspective avec le Grenelle portant sur la revalorisation des enseignants qui débute actuellement. Tout cela est très lié. Nous parlons de la même chose : il s'agit de remettre l'enseignant en condition d'exercer ses missions le mieux possible.

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Michel Reverchon-Billot, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED)

Le modèle auquel nous aspirons tous n'est pas un modèle en total distanciel. Pour autant, je l'ai précisé tout à l'heure, les 70 000 élèves inscrits au CNED n'ont pas d'autre choix. L'enjeu au CNED est d'inventer une nouvelle proximité malgré la distance. Le CNED repose sur 1 200 professeurs qui interviennent auprès des élèves à distance par des moyens virtuels. La formation à distance n'a pas attendu le COVID pour se développer, elle existait bien avant. Le distanciel existe, la relation existe mais évidemment sous une autre forme : qu'il s'agisse du chat, de la classe virtuelle ou de l'accompagnement téléphonique plus traditionnel.

« Ma classe à la maison » ne constitue pas de l'enseignement à distance au sens strict du terme : ce n'est qu'une partie de la mise à disposition des contenus sous forme de parcours. Il manque à ce dispositif l'accompagnement, le guidage qui revient aux enseignants. Nous l'avons volontairement délégué aux professeurs des établissements, qui sont les garants de la continuité pédagogique. C'est pourquoi, évidemment, les professeurs du CNED n'intervenaient pas dans ce dispositif.

Enfin, tous les dispositifs évoqués tout à l'heure qui interviennent en complément, comme les enseignements optionnels à distance, sont organisés à l'intérieur des établissements. Cela est fait pour éviter que les élèves qui suivent une spécialité à distance soient pénalisés par un problème de connexion ou d'équipement informatique. Quand un élève suit une spécialité à distance au CNED, il la suit dans le cadre du lycée, dans son emploi du temps, avec les moyens de l'établissement. Cela est essentiel. Il ne faudrait pas que ces options, par exemple les langues rares, relèvent uniquement de la responsabilité individuelle de l'élève, qui se débrouillerait seul avec une spécialité ayant lieu en dehors de l'établissement et sans cohérence avec son parcours.

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Kamel Chibli, président de la commission Éducation de Régions de France, vice-président en charge de l'éducation, de la jeunesse et du sport de la région Occitanie

La fracture numérique est un véritable sujet. Cette difficulté existe pour un certain nombre d'élèves qui ne sont pas accompagnés, ni outillés pour suivre les enseignements en distanciel. Cela est une réalité ! Du travail est fait mais une marge de progression demeure. Nous ne pouvons pas concevoir des politiques volontaristes si une partie de notre jeunesse reste à l'écart.

Ensuite, j'insiste sur la gouvernance. Il est primordial de partager les initiatives entre le collège et le lycée. Ce n'est pas le cas pour le moment.

Je partage la vigilance de Mme la députée Buffet à l'égard du tout numérique. La situation actuelle relève de l'exceptionnel. Le présentiel doit être, en situation normale, toujours privilégié. La période actuelle interroge notre capacité à travailler en utilisant les moyens du numérique éducatif à notre disposition. Il faut réfléchir aux deux aspects du numérique éducatif : il s'agit d'utiliser les moyens numériques à des fins éducatives et pédagogiques à la fois en classe et à la maison. Il faut réfléchir aux deux. Le distanciel est exceptionnel et ne remplacera jamais la relation entre l'enseignant et l'élève. L'outil numérique est un facilitateur, un accompagnateur – il n'est pas une fin en soi. Les équipes pédagogiques et éducatives doivent partager ces ambitions, car si tous les membres d'une équipe ne sont pas investis de la même manière, nous serons confrontés à des écarts sur le long terme.

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Nous avons recueilli les témoignages de nombreux étudiants qui expriment un certain mal-être de se sentir trop seuls et trop peu écoutés, y compris par leurs professeurs. Ils demandaient des rendez-vous psychologiques avec des adultes, pour permettre à ceux qui ont en ce moment besoin d'écoute, qui ont besoin d'échanger, de s'épancher. Cela pourrait-il se faire via le CNED ? Je me fais le relais de la dernière proposition, qui nous a été faite hier par des étudiants. Ils notaient le besoin d'une relation plus forte et plus intime entre l'élève et le professeur du fait de l'isolement.

Que pensez-vous des canaux qui touchent les jeunes, comme les chaînes YouTube ? Ces canaux-là touchent les jeunes, qui en retour s'en emparent. Sommes-nous dans la bonne mouvance et touchons-nous les jeunes par les bons canaux ?

J'ai conduit beaucoup de missions de terrain en Occitanie pendant le premier confinement. Parmi les enfants habitant les logements les plus précaires (bidonvilles, squats, hôtels sociaux), certains sont extrêmement motivés pour poursuivre leurs formations coûte que coûte. Ils sont souvent confrontés à un problème de réseau. Des jeunes en squat sont obnubilés par leur réussite scolaire et professionnelle, et n'y arrivent pas parce que le réseau n'est pas installé dans leur logement. Ces questions sont simples et il faut tenter de les résoudre à tout prix.

L'accompagnement de la parentalité via le soutien scolaire ne constitue-t-il pas une piste ? Le présentiel est une évidence. Mais nous avons réussi à mettre en place la continuité pédagogique et à offrir une mise en appétit vers l'école dans les bidonvilles et dans des baraquements dans des conditions extrêmement difficiles sans eau ni savon. Certes, il est extrêmement difficile de rattraper le retard accumulé, mais l'outil numérique ne pourrait-il pas nous aider, une fois que les enfants sont mis en confiance, à travailler sur les aspects relationnels ? C'est ce que j'appelle l'accompagnement à la parentalité en matière scolaire. Cela permettrait d'épauler les plus fragiles et d'avancer par des moyens innovants. Je pense que le CNED ne fonctionne pas très bien dans les camps de gens du voyage. Pourtant, ce sont des populations qui travaillent beaucoup avec le CNED. Quels en sont les résultats ? Il serait intéressant de tirer des enseignements du manque de ce soutien à la scolarité.

Il existe de grandes disparités entre les collectivités territoriales, et entre les gouvernances en place dans les différents territoires. Cela est valable pour les départements aussi bien que pour les régions. Comment faire quand les collectivités territoriales, qui ne communiquent pas ou qui bataillent politiquement les unes contre les autres, viennent perturber la formidable boîte à outils mise à disposition des jeunes et des associations ? Ces jeunes et ces associations ne réussissent parfois pas à se saisir de ces outils, faute de mode d'emploi, faute de lisibilité et faute d'intelligence collective. La crise nous oblige à nous replacer au cœur de l'intelligence collective. La boîte à outils existe. Avez-vous à ce sujet des préconisations à nous faire d'ici la fin des travaux de notre commission d'enquête ?

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Michel Reverchon-Billot, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED)

J'entends le besoin des rendez-vous psychologiques. L'outil de la classe virtuelle permet ce genre d'échanges. D'ailleurs, si la classe virtuelle a été beaucoup utilisée dans le second degré pour recréer des situations de classe, elle a surtout servi dans le premier degré à créer du lien entre l'enseignant et les élèves et à donner de la réassurance à un moment qui était particulièrement anxiogène pour les petits. Souvent, la classe virtuelle servait simplement à vérifier que le maître, la maîtresse ou les copains étaient toujours présents.

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Cela a formidablement bien fonctionné. Dans notre cas, la demande émanait plus des plus âgés, des étudiants qui en étaient privés.

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Michel Reverchon-Billot, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED)

Cela pourrait tout à fait être mis en œuvre par les psychologues scolaires pour les étudiants. Il n'y a aucune interdiction à ce que l'outil soit utilisé de cette manière-là, car il est réservé aux échanges entre les professionnels et les élèves.

S'agissant des chaînes YouTube utilisées par les jeunes, nous constatons l'appétence des jeunes pour des formats de ce genre. Nous nous interrogeons également sur les formats. Nous travaillons sur les formats en restant dans le cadre institutionnel de l'école de la République en essayant de nous rapprocher, pour partie, des usages sociaux des élèves. Nous savons très bien que plus nous nous écartons des usages sociaux des élèves – en tout cas pour une certaine partie de la population – plus nous avons de difficultés à les toucher sur le plan pédagogique. Pour autant, nous ne sommes pas dans la démagogie à vouloir utiliser à tous crins l'ensemble des supports qu'ils utilisent, car ceux-ci ne sont pas forcément particulièrement adaptés à l'apprentissage. Il s'agit aussi de confronter les élèves à la matière de l'apprentissage. L'apprentissage n'est pas seulement de la facilité, il est aussi difficile. Il est important de le souligner.

Sur la parentalité par le biais du soutien scolaire, je crois que Marie-Caroline Missir partage le même point de vue : le numérique n'a de sens que s'il trouve une expression dans des lieux de proximité. Je crois véritablement à la création de « tiers-lieux » au plus près des territoires, notamment dans les territoires où les familles sont les plus fragiles. Je crois en des tiers-lieux qui permettent l'intergénérationnel. Nous avons tout à gagner à avoir des lieux où des gens se regroupent autour des apprentissages. Nous avons beaucoup d'adultes en formation à distance qui sont des populations fragiles. La population adulte majoritaire du CNED est des personnels fragiles qui ont des difficultés d'accès au numérique. Il est important de disposer de lieux de proximité dans les territoires, y compris – et surtout – dans les territoires ruraux. Ils permettraient de réinvestir l'école qui a fermé ou un bâtiment municipal non utilisé pour mettre en confrontation et en échange des élèves et des adultes qui sont en apprentissage à distance ou des parents qui cherchent à comprendre comment leur enfant apprend, avec des moyens numériques mis à disposition. Cela éviterait cette fracture à la fois numérique d'accès et d'usage, grâce à des médiateurs présents sur place. Ce sont des pistes intéressantes à développer aujourd'hui.

Mon dernier point porte sur les enfants du voyage. Nous scolarisons quasiment la totalité des enfants du voyage. Nous ne sommes pas dans une forme de numérique idéologique. Pour les enfants du voyage – je n'ai pas honte de le dire – nous proposons essentiellement des supports traditionnels en papier. Il est avant tout nécessaire de répondre au besoin d'apprentissage. Nous connaissons toute la limite du numérique quand l'enfant a seulement un téléphone portable à disposition. La population des enfants du voyage est, pour le CNED, la population la plus compliquée à approcher. Nous leur proposons essentiellement des supports papier avec des compléments numériques alors que pour la population traditionnelle, nous proposons essentiellement des supports numériques avec des compléments papier. Par ailleurs, s'agissant de la parentalité : les parcours des jeunes élèves (de 3 à 4 ans) s'adressent aux parents pour accompagner leurs enfants, plutôt qu'aux enfants. Ces parcours ne s'adressent pas aux enfants dans le sens où ils ne requièrent pas d'un enfant de trois ans d'être toute la journée devant un écran – cela n'est absolument pas notre philosophie. L'enseignement à distance ne se réduit pas au numérique, et de la même manière, le numérique ne se réduit pas à l'enseignement à distance.

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Nous retiendrons votre idée des tiers-lieux dans les zones fragilisées de l'Éducation nationale.

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Kamel Chibli, président de la commission Éducation de Régions de France, vice-président en charge de l'éducation, de la jeunesse et du sport de la région Occitanie

Nous avons parlé des problématiques d'accès et de la fracture numérique. Nous sommes confrontés à des zones blanches sur nos territoires : nous avons des territoires ruraux, y compris de montagne, qui ne disposent pas nécessairement d'un accès à internet. Les disparités existent – même si un certain nombre de départements mettent en œuvre des politiques volontaristes, notamment le très haut débit, accompagnés par les régions, l'État et l'Europe. Nous avons un véritable problème à ce sujet. En dehors de l'achat des outils eux‑mêmes se pose la question de l'accès. Nous devons conduire une analyse affinée au global – et pour certaines situations, comme l'évoquait M. le directeur général du CNED, les solutions papier sont tout à fait envisageables.

Je reviens sur la manière de travailler avec les collectivités territoriales. Il faut faire confiance aux collectivités territoriales. L'idée de concevoir un travail partenarial entre les différentes strates territoriales pour l'intérêt de nos jeunes rencontre un volontarisme fort dans l'ensemble des collectivités territoriales du territoire national – les inspecteurs ou recteurs d'académie pourront en attester. Un volontarisme existe, mais pour le conserver, il faut l'encourager. Cela demande un effort considérable : d'abord de reconnaissance, ensuite en matière de création d'instances permettant de mieux travailler ensemble – cela n'est pas forcément le cas aujourd'hui. La région Occitanie se compose de treize départements. Lorsque la région a récupéré la compétence en matière de transports, elle a été confrontée à treize modes de gestion différents. Il a fallu un temps considérable pour mettre sur pied une politique harmonisée et ambitieuse. Cela peut fonctionner, nous l'avons fait. Mais cela nécessite des outils et une instance permettant de travailler de façon concertée.

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Marie-Caroline Missir, directrice générale du réseau Canopé

En guise de soutien aux différentes formes de fragilité psychologique que peut générer cette période, nous avons testé un partenariat avec l'association e-Enfance dédiée au soutien des enfants mais aussi des adultes en difficulté face aux outils numériques (harcèlement, par exemple). Cela a ouvert un espace d'écoute, avec des experts, aux enseignants qui pouvaient se trouver en difficulté ou qui étaient en lien avec des enfants en difficulté. Les acteurs publics doivent être en capacité de tisser des liens et de créer des partenariats avec des acteurs associatifs, privés ou publics qui peuvent consolider la réponse que nous apportons. Je voulais vous soumettre cette piste.

Je rejoins tout à fait la position de Michel Reverchon-Billot sur les chaînes YouTube. Ces supports se multiplient car internet permet la désintermédiation : il permet d'avoir accès à toutes sortes de contenu qui arrivent sous une forme très simple et sont de qualités diverses. Il faut faire attention à cette tentation. Dans certains pays d'Europe, le confinement a été l'occasion de créer des chaînes de « home schooling » et donc de mettre tous les contenus éducatifs sur YouTube. J'ai été contactée par YouTube dès ma prise de fonctions dans le contexte du confinement, pour savoir si toutes les ressources de Canopé pouvaient être mises en ligne sur YouTube. Cela n'est pas possible ! Il faut être très vigilant à ce type de dangers. Il faut également faire confiance aux enfants, qui sont capables et qui ont besoin de faire la distinction entre des contenus ludiques, qui peuvent être de qualité – parfois, des enseignants ont animé leur chaîne YouTube pendant le confinement –, et des contenus éducatifs, qui reposent sur d'autres formes d'interactions. La complémentarité offerte par internet et ses formats est très bien mais il faut que chacun reste dans son silo.

Pour accompagner la parentalité, nous travaillons dans l'Aisne et le Val‑d'Oise avec la Trousse à projets à des formations en présentiel et en distanciel ouvertes aux parents sur les questions liées à la parentalité numérique.

Pour faire écho à ce qu'a dit Kamel Chibli, je pense que la crise a profondément fait bouger les rôles et les missions de la gouvernance numérique. La façon dont cette gouvernance est conçue – confiant aux collectivités territoriales la gestion et le financement du matériel – a explosé pendant la période de confinement. Le lien entre l'État et les collectivités territoriales doit s'intensifier, sur le champ du numérique et plus largement. Nous expérimentons à Poitiers, avec la région Nouvelle-Aquitaine et ses opérateurs, la création d'un collectif autour de l'éducation et de l'éducation numérique sous toutes ses formes. Cette initiative est à déployer sur d'autres territoires. Il est nécessaire de faire évoluer les cadres de la gouvernance, qui ont largement bougé et ne sont plus forcément adaptés aux enjeux actuels.

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Ma question sur les chaînes YouTube portait sur le fait de savoir quel regard et quel contrôle exercer sur ce canal. Nous ne pouvons plus rester chacun dans notre sillon car ces contenus sont à la portée de tous.

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Marie-Caroline Missir, directrice générale du réseau Canopé

C'est bien la difficulté car un enfant aujourd'hui n'allume pas la télévision, mais ouvre YouTube. Cela pose la question des filtres parentaux. La labellisation des contenus éducatifs sur YouTube est un travail titanesque. Cela peut nourrir la tentation de donner ses contenus éducatifs à YouTube. J'ai préféré appliquer un raisonnement économique et de souveraineté. Enfin, le réseau Canopé dispose d'un maillage territorial avec un atelier par département. La proposition de Michel Reverchon-Billot nourrit la réflexion sur la manière dont ces tiers-lieux doivent encore davantage s'ouvrir aux besoins des territoires.

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Merci ! N'hésitez pas à nous envoyer vos contributions avant la fin de la semaine ou la semaine prochaine car nous arrivons au terme de notre commission d'enquête.

L'audition s'achève à seize heures vingt.