Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 14h00

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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 12 novembre 2020

La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Nous entendons aujourd'hui les organisations syndicales de salariés et les organisations patronales, sur les enjeux cruciaux de l'apprentissage et de l'insertion professionnelle des jeunes.

Nous souhaiterions vous entendre sur les conditions de l'arrivée des jeunes sur le marché du travail dans une conjoncture économique dégradée et incertaine, caractérisée par une diminution très forte des embauches au second trimestre, un rebond au troisième trimestre mais de lourdes incertitudes sur la fin de l'année compte tenu du reconfinement. Environ 700 000 jeunes devaient arriver sur le marché du travail en septembre 2020, auxquels s'ajoutent des centaines de milliers de jeunes sans emploi ; la hausse du chômage constatée au cours des derniers mois s'avère plus forte pour les jeunes que pour les autres classes d'âge.

Avec le plan « 1 jeune, 1 solution », le Gouvernement a lancé plusieurs dispositifs : compensations des charges, à hauteur de 4 000 euros, pour le recrutement d'un salarié de moins de 26 ans entre août 2020 et janvier 2021 ; aide exceptionnelle de 5 000 euros pour le recrutement d'un alternant de moins de 18 ans en contrat d'apprentissage ou de professionnalisation ; aide de 8 000 euros pour le recrutement d'un alternant de plus de 18 ans. Le plan prévoit également des mesures d'accompagnement des jeunes éloignés de l'emploi avec le renforcement du parcours emploi compétences (PEC), du contrat initiative emploi (CIE) ainsi que la hausse du nombre d'entrées en « garantie jeunes ».

Nous souhaiterions connaître votre appréciation sur ces différentes mesures. Sont-elles adaptées aux difficultés rencontrées par les jeunes et les entreprises ? Quelles propositions formulez-vous pour soutenir l'insertion professionnelle des jeunes dans le contexte actuel ?

Vous aurez la parole pour un propos liminaire de cinq minutes, après avoir prêté serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, comme l'impose aux personnes auditionnées l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

(Mme Inès Minin prête serment.)

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Inès Minin, secrétaire nationale de la CFDT

Le plan jeunes, à l'instar de ce que nous proposions, contient plusieurs mesures, mobilisant des acteurs divers, pour accompagner un maximum de jeunes. Mais les chiffres sur la mise en œuvre de ces mesures sont encore rares.

On sait que le chômage des jeunes est très sensible aux fluctuations économiques et que les jeunes sont souvent dans des positions professionnelles précaires, entre chômage et emplois de courte durée. On l'a vu lors des dernières crises, lorsque le nombre d'offres d'emploi fléchit, ils sont parmi les premiers à être affectés. Les rapports du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) montrent que les crises dégradent la capacité d'insertion professionnelle, jusqu'à trois à cinq ans après l'obtention du diplôme.

Nous attendons encore les chiffres de l'UNEDIC, mais l'arrêt soudain et violent de l'économie lors du premier, puis du second confinement, entraînera une hausse très brutale du chômage des jeunes en fin d'année. Alors que le taux de chômage commençait de baisser, en s'établissant à 19,6 % fin 2019, on s'attendait à ce qu'il atteigne 26 ou 27 % fin 2020 ; il devrait encore augmenter sous le coup du second confinement. Le taux de chômage des jeunes entre un et quatre ans après la fin de leur formation initiale, qui s'élevait à 14,4 % en 2018, devrait avoisiner les 25 %. Les écoles de commerce, les universités nous alertent : même les jeunes à bac+5 auront du mal à s'insérer professionnellement. D'autre part, les jeunes diplômés qui avaient choisi d'emprunter pour entrer dans une école renommée rencontrent déjà des difficultés pour rembourser leur prêt, faute d'emploi à la clé.

C'est la raison pour laquelle il faudrait, comme nombre d'économistes le soulignent, un accompagnement dans la durée. Les répercussions de cette crise s'étendront sur plusieurs années et nous ne retrouverons pas avant longtemps le niveau de chômage des jeunes tel qu'il était en 2019. Chaque crise rallonge la période d'autonomisation et d'insertion dans la vie professionnelle ; le premier emploi s'obtient en moyenne à 20 ans, le premier emploi stable après 28 ans. C'est la raison pour laquelle la CFDT a proposé que les mesures d'accompagnement, qui concernent d'ordinaire les jeunes de 18 à 25 ans, soient élargies et bénéficient désormais aux jeunes de 16 à 30 ans.

La CFDT proposait de renforcer des dispositifs qui lient accompagnement, allocation, formation et emploi afin d'offrir un environnement propice à tous les jeunes de 18 à 30 ans, animé par les acteurs du service public de l'emploi ou par les réseaux d'insertion. C'est ce que le Gouvernement a fait avec le plan « 1 jeune, 1 solution », en offrant une batterie de mesures et en renforçant des dispositifs qui associent accompagnement, allocation, formation et emploi, jusqu'à l'insertion professionnelle. Nous demandons que cet accompagnement intègre aussi des aides périphériques, car ces jeunes, qui n'ont pas eu de job d'été ou d'emploi saisonnier, auront des difficultés pour payer leur loyer et les transports.

Nous constatons avec les associations que beaucoup de jeunes viennent grossir les rangs des bénéficiaires de l'aide alimentaire d'urgence. Si certains dépendent encore de leur famille, d'autres sont partis du foyer et se trouvent en rupture. Ceux-là passent entre les mailles du filet car en dessous de 25 ans, ils n'ont pas accès aux minima sociaux. La concertation pour créer le revenu universel d'activité (RUA) d'ici à 2023 a été interrompue par la crise sanitaire, mais l'une des étapes intermédiaires qui était imaginée consistait à ouvrir aux jeunes de moins de 25 ans l'accès au revenu de solidarité active (RSA). Cela permettrait de rendre plus visibles ces jeunes qui n'entrent dans aucune case de la protection sociale française. Si l'on ne parvient pas à les repérer, à les tracer, c'est qu'ils n'ont pas accès suffisamment tôt aux droits communs. Cela est devenu d'autant plus nécessaire que la crise accentue les inégalités entre jeunes et frappe plus durement encore ceux qui ne peuvent se reposer sur leur famille.

Le Gouvernement s'est saisi de la question du non-recours aux droits, très élevé parmi les jeunes. Il est essentiel de faire connaître le plan jeunes, d'orienter correctement les bénéficiaires potentiels, de les inciter et de les mobiliser. Il est dommage que la Boussole des jeunes, un service d'information numérique qui a été expérimenté dans trois territoires, peine aujourd'hui à se déployer à l'échelle nationale.

Les premiers retours que nous avons eus tendent à montrer que les formations en alternance se passent plutôt bien. Mais beaucoup de jeunes se trouvent bloqués dans leur parcours, du fait que l'entreprise où ils accomplissaient leur alternance est fermée ou qu'ils ne trouvent pas de place d'apprenti. Les centres de formation pour apprentis (CFA) bien câblés et respectueux des dernières mesures les gardent alors six mois, le temps que la situation s'améliore ; d'autres, comme nous l'avons appris cet été, appellent les parents pour les informer qu'ils ne garderont leur enfant qu'à condition qu'ils acquittent eux-mêmes le prix de la formation. Il faut contrôler les CFA, publics ou privés, dans leur obligation d'accompagnement et informer les parents sur leurs droits.

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N'hésitez pas à être très précis dans vos propositions, car nous pourrons, avec Marie-George Buffet, nous en inspirer pour formuler nos préconisations. Ainsi, à partir de la Boussole des jeunes, expérimentée dans certains territoires, nous pourrions imaginer une application, très simple d'utilisation, qui informerait le jeune sur ses droits.

(Mme Angeline Barth prête serment)

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Angeline Barth, secrétaire confédérale de la CGT

Je souhaite d'abord saluer l'existence de cette commission d'enquête qui met l'accent sur la manière dont les enfants et les jeunes subissent cette crise.

La population des jeunes actifs étant plus sensible aux fluctuations économiques et davantage touchée par le chômage, nous estimons à la CGT que la crise actuelle doit être l'occasion de mettre aussi en place des mesures structurelles. Le premier CDI est signé en moyenne à 29 ans et auparavant, les jeunes alternent périodes d'activité professionnelle et période de chômage. De ce fait, ils seront plus durement touchés par la crise économique ; ils seront aussi les premières victimes de la réforme de l'assurance-chômage, dont je rappelle que la CGT réclame toujours le retrait. Par ailleurs, les jeunes occupent souvent des emplois saisonniers, majoritairement dans les secteurs les plus frappés par les arrêts d'embauche et par les mesures sanitaires.

Des mesures structurelles de lutte contre les discriminations en raison des origines et de l'âge devraient être prises. Il faudrait organiser un suivi de la mise en œuvre du plan jeunes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et dans les quartiers sensibles, et même imaginer des mesures spécifiques en direction de ces populations, dont on sait qu'elles ont été davantage frappées par la crise de 2008.

Nous regrettons que les mesures décidées par le Gouvernement ne comportent pas de contreparties sociales ni de contreparties sur la masse salariale globale de l'entreprise. Certes, il s'agit de mesures d'urgence, mais elles auraient gagné à être plus structurantes. Nous craignons des effets d'aubaine, notamment s'agissant des CFA.

Pour ce qui est de l'apprentissage, nous avons porté notre attention sur les secteurs en difficulté, celui des hôtels, cafés, restaurants (HCR) et celui de la culture. Les retours sont globalement positifs puisque 90 % des objectifs ont été remplis. Toutefois, le second confinement condamne les apprentis à l'inactivité, puisque leur entreprise est fermée, ce qui pose problème pour leur parcours de formation. D'autres jeunes n'ont toujours pas trouvé de place d'apprenti, ce qui les expose au risque de sortir de formation sans qualification, sans avoir reçu ni salaire ni formation pratique, mais uniquement une formation pédagogique. Nous risquons de connaître des décrocheurs de l'apprentissage.

Les inquiétudes de la CGT concernent aussi le réseau associatif de l'enfance et de la jeunesse, par exemple les crèches ou les associations subventionnées par les caisses d'allocations familiales (CAF). Ces associations, qui jouent un rôle essentiel de structuration sociale, parce qu'elles sont implantées dans les quartiers ou parce qu'elles emploient majoritairement des femmes, sont également subventionnées par les collectivités. Nous craignons qu'elles ne soient plus une priorité, qu'elles ne perdent une partie de leurs soutiens et qu'à terme, leur champ d'intervention ne soit délaissé au secteur privé.

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Je vous invite à nous faire part de toutes vos idées innovantes. Nous parlons du marché de l'emploi de demain, des futurs professionnels, nous serons bien obligés de bousculer les choses pour rebondir. Nous ne voulons pas dresser un tableau tout à fait sinistre de la situation, mais ouvrir des perspectives sur l'avenir de ces jeunes.

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Clément Delaunay, de la CFE-CGC

M. Jean-François Foucard, secrétaire national emploi-formation de notre confédération ne peut se joindre à cette table-ronde car il rencontre des problèmes de connexion internet. Je propose de vous adresser, dans les meilleurs délais, une contribution écrite de la CFE-CGC.

(M. Maxime Dumont prête serment.)

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Maxime Dumont, conseiller confédéral de la CFTC

Je suis en charge de la formation professionnelle et de l'apprentissage à la CFTC. Je commencerai par une note positive en soulignant que, sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, environ 16 milliards seront consacrés à la formation et à l'apprentissage. Même si ce ne sera jamais assez pour les syndicalistes que nous sommes, l'ambition est là !

Néanmoins, et d'après les premiers retours, la mise en œuvre des mesures en direction des jeunes de 16 à 25 ans n'est pas toujours évidente – la troisième demande, par exemple, n'est pas automatiquement acceptée. Inès Minin a parfaitement raison lorsqu'elle dit qu'il faut mettre l'accent sur l'accompagnement et encourager l'appropriation de tous ces dispositifs, dont le coût est très élevé. À l'instar de la CGT, les organisations syndicales regrettent que les aides à l'apprentissage ne comportent pas de contrepartie négociée. L'histoire l'a malheureusement montré, à chaque fois que l'on a donné de l'argent sans contrôle ensuite, cela n'a pas vraiment fonctionné. Il aurait fallu encadrer les aides contenues dans le plan de relance : elles représentent des sommes importantes, qui proviennent de notre argent à tous.

L'accompagnement est essentiel. L'éducation nationale doit travailler sur cette question et faire en sorte de proposer aux jeunes, dès la troisième, une formation en apprentissage dans des métiers porteurs. Aujourd'hui, il n'est plus question de les envoyer dans les secteurs où il n'y a plus d'emploi. C'est fini : les jeunes ne choisissent plus leur métier en fonction de leurs rêves – c'est parfois terrible à dire –, mais selon le marché de l'emploi, parce qu'ils trouveront du travail dans ce secteur-là. L'orientation en apprentissage peut être décisive et l'éducation nationale ne doit pas s'interdire de la proposer à des gamins qui ont 15 ou 17 de moyenne générale. Pourquoi les pousser systématiquement à poursuivre des études, alors qu'elles ne les mèneront pas forcément là où ils veulent, et leur feront quitter leur territoire ? Les sondages montrent que les Français ne sont pas très mobiles : on veut rester près de sa maison, de ses parents ; on ne veut pas bouger, c'est ainsi et on n'y peut rien. Il faudrait pouvoir proposer en troisième l'apprentissage, au même titre que la poursuite des études générales. Je sais bien qu'il faut pour cela faire bouger les lignes et que ce n'est pas évident !

Nous sommes sur la même ligne que la CFDT concernant l'élargissement des mesures aux jeunes de 29 ans révolus. Par parallélisme des formes, l'apprentissage doit être accessible aux jeunes jusqu'à 30 ans.

Ce serait mentir que de dire que les régions ont apprécié que la loi du 5 septembre 2018 transfère l'apprentissage aux branches professionnelles… Certaines d'entre elles ont cessé tout net d'investir et, surtout, de prendre en charge les frais annexes – hébergement, transport, restauration. Elles ont coupé les vivres ! Elles vous rétorqueront sans doute que c'est parce que vous les avez privées de toutes leurs ressources – ce qui n'est pas totalement faux, même si elles ont reçu une compensation. Il n'en reste pas moins que, pour lutter contre la paupérisation des apprentis, elles doivent continuer de prendre en charge ces frais annexes. Ces jeunes, dont les statistiques montrent qu'ils sont souvent issus de familles monoparentales, sont placés dans une situation plus difficile encore par le covid : sans petit boulot, ils n'ont plus d'apport financier.

La loi est claire, la période préliminaire en CFA a été portée de trois à six mois. Cela aide les jeunes à rester en formation, après une orientation souvent vécue comme un échec. S'ils sortent trop tôt et dégoûtés de l'apprentissage, on ne les reverra plus. Il est honteux que certains CFA ne jouent pas le jeu et ne respectent pas cette période. À la CFTC, nous avons été très clairs avec des CFA qui nous avaient été signalés. Il est désastreux de mettre un jeune dehors avant la fin de la période préliminaire et de lui enlever toute possibilité de chercher un autre terrain d'apprentissage. Nous demandons qu'il n'y ait pas de passe-droit et que des sanctions fortes soient prises à l'encontre des CFA de ce type. Un CFA n'est pas qu'un centre de profit, il doit agir pour la nation, pour nos jeunes.

( Mme Marie-Christine Oghly prête serment.)

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Marie-Christine Oghly, présidente de la commission éducation formation du Medef

Nous traversons une crise économique inédite, qui a vu la mise à l'arrêt volontaire et soudaine de toute une partie de l'économie et une chute historique du PIB – moins 9,5 %, selon le consensus des économistes en octobre. La baisse brutale de l'activité affecte diversement les secteurs d'activité : certains peuvent poursuivre leur activité, d'autres sont à l'arrêt forcé. Avant que de songer à recruter, nombre d'entreprises cherchent surtout à sauver leur activité et à ne pas supprimer d'emplois.

L'accès des jeunes au marché du travail est très sensible à la conjoncture ; cette période n'échappe hélas pas à la règle et se révèle difficile tant pour les jeunes peu qualifiés que pour les diplômés, ainsi que le montrent les dernières enquêtes, de l'APEC notamment. Le Gouvernement a mis en place des mesures spécifiques en faveur de l'emploi des jeunes, des primes à l'embauche et un soutien à l'apprentissage. Elles semblent bien calibrées et répondent au besoin de simplification des dispositifs et des circuits de décision.

Même s'il est encore tôt pour avoir une vision globale des conséquences de la crise économique sur l'emploi des jeunes, on constate une aggravation forte du chômage et une stratégie de poursuite des études.

Pour le Medef, il est essentiel d'œuvrer collectivement pour soutenir les jeunes – ils sont le vivier des compétences de demain et un investissement majeur pour le futur. Il importe de donner des perspectives à la société française et de ne pas sacrifier les jeunes, surtout les plus fragiles d'entre eux. Dès l'été, le Medef a pris des engagements pour la relance. Il a mobilisé les entreprises pour qu'elles maintiennent leurs objectifs d'emploi des jeunes, notamment par le biais de l'apprentissage, un levier essentiel d'intégration dans l'emploi. Même si les mesures de reconfinement compliquent la donne, nous venons de lancer une campagne de communication en direction des entreprises sur la prime à l'embauche d'un alternant.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » est la déclinaison opérationnelle d'un plan à l'intention des jeunes. Les Medef régionaux et territoriaux font état d'un sérieux manque de lisibilité concernant les prérogatives des différents acteurs, dont l'État. Ils ne comprennent pas la nécessité de créer un comité de pilotage régional ad hoc, alors même que les sujets relatifs à l'emploi, à la formation, à l'orientation et à l'insertion sont du ressort des comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CREFOP), lesquels réunissent déjà, sous l'égide du préfet et du président du conseil régional, presque tous les acteurs mentionnés dans les annexes de la circulaire relative au déploiement du plan « 1 jeune, 1 solution ». Qui plus est, les référents qui doivent être désignés au sein de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) par les préfets ne l'ont pas encore été. Si les premiers résultats, en matière d'embauche d'apprentis et de jeunes en CDD ou en CDI, sont encourageants, ils sont à mettre au crédit des mesures fortes qui ont été adoptées – les primes exceptionnelles. Mais la récente dégradation des conditions sanitaires et, partant, de la situation économique est en train de rebattre totalement les cartes. Sans visibilité, sans perspective claire de sortie de crise, la priorité des PME n'est pas d'embaucher mais de survivre.

Les indicateurs de suivi du plan « 1 jeune, 1 solution » doivent aller au-delà de la simple comptabilisation des entrées en formation. Entrer en formation ne signifie pas pour autant obtenir une certification ; ce n'est pas une garantie d'insertion dans le marché du travail. Bien sûr, le nombre de contrats d'apprentissage conclus au 31 décembre et les taux d'insertion dans l'emploi des salariés ayant bénéficié d'un contrat d'apprentissage et des salariés de moins de 26 ans ayant bénéficié d'un contrat de professionnalisation sont de bons indicateurs, mais ils sont uniquement centrés sur deux des vingt-six mesures du plan. Il pourrait être opportun de retenir comme indicateur global le nombre de jeunes ayant bénéficié d'au moins une mesure de ce plan, en distinguant par exemple les jeunes ayant trouvé un emploi de ceux ayant bénéficié d'une formation. L'un des enjeux sera d'observer si le taux d'emploi des 15-29 ans se redresse progressivement et au moins aussi rapidement que celui de l'ensemble de la population active.

Afin d'évaluer et d'adapter en temps réel l'action et les objectifs des acteurs du service public de l'emploi, il pourra également être utile de retenir comme indicateur le nombre d'entreprises effectivement contactées ou qui ont pris contact d'elles-mêmes pour obtenir des conseils et des informations. Beaucoup d'entreprises en effet ne se saisissent pas des dispositifs, principalement par manque d'information. Par ailleurs, le Medef demande depuis plusieurs mois au Gouvernement qu'une étude d'impact des moyens du plan d'investissement dans les compétences (PIC) soit partagée avec les partenaires sociaux, notamment ceux destinés à l'emploi des jeunes. Le PIC se composant à 50 % de fonds issus de la contribution des entreprises, il convient de pouvoir mesurer ses effets sur le taux de chômage des jeunes et sur le niveau de qualification, notamment de ceux qui sont éloignés du marché du travail, et surtout de capitaliser voire d'essaimer les actions qui ont démontré leur efficience.

Le Medef ne peut que se satisfaire des 314 000 nouveaux contrats d'apprentissage signés depuis le début de cette année. Ce chiffre est proche de celui de l'an passé, puisque 320 000 nouveaux contrats d'apprentissage avaient été signés entre janvier et fin septembre 2019. Le développement des entrées en apprentissage s'est accompagné d'une extension de l'offre de formation, avec 1 830 centres de formation d'apprentis (CFA) ouverts à la fin du mois d'août 2020. Rapportés aux 965 centres historiques, il s'agit d'un quasi-doublement du nombre de CFA depuis l'entrée en vigueur de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 et la suppression de l'autorisation administrative préalable à l'ouverture d'un CFA. Saluons aussi le travail de Pôle emploi, sur le site duquel les entreprises peuvent désormais déposer leurs offres d'alternance. Au 30 septembre 2020, Pôle emploi recensait ainsi près de 38 000 offres de contrats d'apprentissage déposés par les entreprises, soit une hausse de 16 % par rapport à la même date en 2019, avec une hausse de plus de 20 % en août et de plus de 43 % en septembre. Deux tiers des offres ont été déposées par des entreprises de moins de vingt salariés.

Nous pouvons également témoigner de l'engagement des branches. Certaines d'entre elles ont d'ores et déjà annoncé qu'elles dépasseraient leurs résultats de l'an passé, notamment l'agriculture, l'agroalimentaire et le bâtiment. Toutes notent l'impact positif de la prime alternance sur les recrutements depuis la rentrée et considèrent que, sans cette mesure exceptionnelle, la situation aurait été catastrophique. Les situations varient selon les secteurs d'activité. Si la tendance générale est à la stabilisation des effectifs d'alternants, les secteurs les plus touchés par la crise, comme le tourisme et l'hôtellerie-restauration, ne seront pas capables de maintenir le même nombre de contrats qu'en 2019, dans la mesure où ils cherchent, avant tout, à sauvegarder les emplois existants. Certains CFA, en particulier dans les zones rurales et les QPV, font état d'un manque de candidats pour des diplômes menant à des métiers de l'artisanat ou de l'industrie, qui souffrent d'un manque d'attractivité.

Enfin, le Medef souhaite alerter la commission d'enquête au sujet de l'obligation pour France compétences d'adopter des mesures de retour à l'équilibre budgétaire, notamment en matière d'apprentissage. Le Medef est prêt à discuter avec l'État et les autres parties siégeant au conseil de France compétences de la formule et du calendrier de la réduction des « coûts contrats » des CFA. Mais les branches doivent être libres d'appliquer cette réduction aux formations qu'elles souhaitent pour peu qu'elles respectent l'objectif global. Le Medef insiste pour qu'elle ne soit pas le seul levier de maîtrise du financement de France compétences.

(Mme Marie Dupuis-Courtes prête serment.)

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Marie Dupuis-Courtes, vice-présidente en charge de l'éducation et de la formation de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Je me concentrerai, pour ma part, sur la question de l'insertion des jeunes en entreprise et de l'apprentissage. Nous nous réjouissons tous du dispositif de prime qui a contribué à maintenir, voire à développer le nombre d'apprentis. Cependant, la situation actuelle n'est pas si simple, dans la mesure où de nombreux jeunes rencontrent de grandes difficultés pour bénéficier de l'enseignement à distance, ce qui pose la question de l'aide au premier équipement. La prime dont ils bénéficient concerne généralement leur outillage. Or on s'aperçoit depuis le printemps que l'outil informatique fait également partie de leur outil de travail. Il faut, à mon sens, intégrer dans la prise en charge des contrats d'apprentissage l'achat d'un ordinateur portable. Alors que l'on va demander aux branches professionnelles de réviser à la baisse le niveau du « coût contrat », il me semble qu'il faudrait plutôt l'augmenter de 300 ou 400 euros pour que les jeunes aient les éléments nécessaires pour suivre une formation à distance. Ce soutien financier ne résoudra pas, cependant, l'autre partie du problème : le manque de maîtrise de l'outil informatique, qui doit faire l'objet d'un plan national. C'est dès le plus jeune âge qu'il faut apprendre à le maîtriser.

Les chiffres de l'apprentissage varient en fonction des secteurs. Il ne faut pas négliger le poids nouveau, pour les PME, des procédures administratives, qui a conduit un certain nombre d'entre elles à abandonner leur projet de recrutement. Auparavant, les entreprises déléguaient entièrement la gestion administrative des contrats d'apprentissage aux chambres des métiers et de l'artisanat ou aux CFA. Depuis la réforme, c'est à elles de s'inscrire. Par ailleurs, les opérateurs de compétences (OPCO) n'étaient pas forcément prêts, ce qui a grandement compliqué la conclusion de certains contrats. Le confinement a également ajouté une difficulté, en empêchant l'entreprise et le jeune de se rencontrer.

Le virus pose également un problème d'organisation dans les CFA, notamment pour l'accueil en internat. Que proposer à des jeunes qui n'ont pas le droit de se rassembler après le dîner ? Les difficultés quotidiennes sont telles que nous sommes en train de perdre des élèves. Pour présider sept CFA, je peux vous dire que l'augmentation progressive du taux de rupture, ces dernières semaines, nous inquiète particulièrement. Avec le deuxième confinement, beaucoup ont perdu confiance. Nous sommes très inquiets pour leur intégration, dans la mesure où la plupart sont encore en période d'essai.

L'une des principales solutions réside dans l'activité et la confiance. Nous aurons beau multiplier les dispositifs de soutien, seule une reprise forte de l'activité permettra de préserver les bons chiffres de ces derniers mois.

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Comme nous le constatons depuis le début de nos auditions, les jeunes sont très inquiets pour leur avenir et se demandent à quoi bon faire des efforts, alors que la société ne leur permettra peut-être pas d'exercer leur métier et ne leur offrira pas d'emploi durable. Leur découragement est palpable. Des jeunes renoncent à leur parcours d'apprentissage, mais aussi à leurs études universitaires. Le taux de rupture est important.

D'après mon expérience, trop souvent, les jeunes entrent en lycée professionnel parce que leurs résultats scolaires ne sont pas bons, et ils le vivent mal puisqu'ils ne connaissent pas les métiers. Or, si les centres d'orientation donnaient à voir la richesse, le niveau de qualification et les salaires des métiers de l'aéronautique, pour prendre un exemple concernant mon département, la Seine-Saint-Denis, cela permettrait de valoriser ces jeunes et de les motiver. L'éducation nationale doit développer un nouveau rapport avec l'apprentissage et ses métiers.

Concernant les difficultés du plan « 1 jeune, 1 solution », je comprends bien que les entreprises cherchent d'abord à sauver leurs emplois. Mais n'y a-t-il pas d'autres obstacles ? Je partage l'idée selon laquelle les jeunes n'empruntent que très difficilement le chemin de leurs droits. Il a été question d'une application. Que faudrait-il faire pour que chaque jeune soit informé de ses droits ?

Depuis le début de nos auditions, beaucoup d'intervenants nous ont dit qu'il fallait une éducation au numérique à l'école. Il faut faire de l'outil numérique une fourniture scolaire à part entière, gratuite.

Pour ce qui est des jeunes diplômés enfin, comment les empêcher d'abandonner leurs compétences ? Ne pourrait-on prévoir une période transitoire pour qu'ils aillent bien vers les métiers liés à leur formation ? Comment leur faire savoir que l'avenir peut se rouvrir et que demain telle ou telle entreprise aura peut-être besoin de leurs services ? Ne pourrait-on pas imaginer des promesses d'embauche, avec des conditions temporelles particulières, pour éviter leur découragement ?

(M. Philippe Lehericey prête serment.)

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Philippe Lehericey, secrétaire général adjoint de la CFTC-EPR

J'abonde totalement dans le sens de Mme Buffet concernant la nécessité d'un plan informatique. Mais avant toute chose, en tant que directeur d'école, je tiens à rappeler les ravages constatés au sein des établissements, aussi bien pour ce qui est des résultats scolaires que de la santé physique et psychologique. Il est absolument nécessaire de déployer enfin rapidement le plan informatique que nous réclamons depuis des années. Chaque classe doit pouvoir bénéficier d'un tableau blanc informatique (TBI), ce qui est loin d'être le cas, certaines écoles ne disposant toujours pas d'une connexion internet. Chaque établissement doit pouvoir bénéficier d'une salle informatique digne de ce nom, alors que certains collèges et lycées n'en ont toujours pas. Cela pourrait participer à la déconcentration des élèves dans les classes, en leur distribuant un savoir à partir d'un outil qu'ils utilisent plus ou moins quotidiennement. Certes, ils savent se servir de leur smartphone, mais pas forcément d'un ordinateur, aussi surréaliste que cela paraisse en 2020.

La création d'une aide financière spécifique pour les étudiants est nécessaire. Privés de cours en présentiel, nombre d'entre eux sont en déshérence et nous devons les accompagner. Leur vie sociale et leurs finances sont mises à rude épreuve. En l'absence de petits boulots pendant l'été, certains n'ont pas pu avoir d'appartement. Beaucoup ont cessé de suivre les cours. La CFTC-EPR a proposé l'instauration d'une dotation mensuelle sur un an de 400 euros pour chaque étudiant, quel que soit le revenu de ses parents. De plus, de nombreux étudiants ne mangent pas à leur faim – c'est également le cas dans les CFA. Il est important qu'ils puissent manger correctement et gratuitement s'il le faut. Une dotation doit être fournie en ce sens aux écoles, aux CFA et aux universités.

Contrairement à ce qui a été annoncé, l'école n'était pas prête pour affronter la crise du covid et le confinement. Nous ne critiquons pas le Gouvernement, qui ne pouvait pas prévoir l'ampleur du désastre. Mais, huit mois après le début de la crise, nous devons avancer. Or nous ne voyons pas bien où nous allons. Il est important de tirer des leçons et de redresser la barre. Il faut élaborer une stratégie pour que l'éducation et la lutte contre les inégalités ne soient pas oubliées. Pour surmonter ce défi, il faut placer l'équité au cœur des plans de transition, car la pandémie touche d'abord les plus vulnérables, et créer des structures de soutien pour ceux et celles qui n'ont pas pu bénéficier d'un apprentissage en ligne. Nous avons perdu des jeunes, de la maternelle jusqu'au supérieur. Mais il n'est pas trop tard pour les récupérer. Ils ont le droit à un avenir, que nous pouvons leur offrir, si nous nous en donnons les moyens. Nous avons quelques propositions en ce sens.

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Inès Minin, secrétaire nationale de la CFDT

La Boussole des jeunes a fait l'objet d'une expérimentation dans sept territoires – trois en Bretagne et quatre en Champagne-Ardenne. Son principe est simple : sur n'importe quelle thématique, il s'agit de présenter aux jeunes, à partir d'un mini-questionnaire, une offre de services simple à comprendre et à mobiliser, mise en avant par des acteurs du territoire. L'intéressé peut alors choisir en quelques minutes parmi les propositions celle qui présente le plus d'intérêt pour lui au moment de sa consultation. Il peut alors demander à être contacté directement par le professionnel auteur de l'offre, dans un délai garanti. Le but est de permettre aux jeunes d'avoir recours à leurs droits. Cette Boussole a pris la forme d'un site internet qui devait être généralisé dans toute la France. Mais nous n'en avons pas de nouvelles. Aucune communication n'a été faite à destination des jeunes, qui ne connaissent pas cet outil, ce qui est d'autant plus regrettable qu'il aurait pu être très pratique pendant la crise, pour entrer plus facilement en relation avec ceux qui peuvent les accompagner. On constate que les opérateurs sont prêts à accueillir les jeunes, mais que ceux-ci, par ignorance, ne vont pas vers eux.

Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur l'état d'esprit des jeunes. Beaucoup d'entre eux risquent d'arrêter leur parcours de formation, non seulement parce qu'ils se sont retrouvés dans une situation de précarité voire de pauvreté, mais aussi parce que leur isolement les empêche de se projeter. Grâce à la garantie jeunes, nous avons réuni des collectifs de jeunes dans les missions locales, qui ont d'ailleurs demandé à adapter leurs locaux pour les accueillir. C'est un moment important, qui permet de redynamiser des jeunes et de les mobiliser dans leur parcours d'insertion. L'aide comprise dans la garantie jeunes permet également de subvenir aux besoins de la famille. Sans cette indemnité, certains jeunes ne se seraient pas inscrits dans un parcours d'insertion, qui n'aurait pas de sens quand leurs parents ont du mal à finir le mois. Regardons les choses en face. Nous devons dépasser nos préventions au sujet de l'assistanat des jeunes. Le débat sur le RSA est ancien. Plus tôt on ouvrira l'accès au RSA, mieux on accompagnera les jeunes et moins ils seront à venir grossir les rangs des chômeurs de longue durée ou de ceux qui sont tombés dans la pauvreté.

Enfin, nous souhaitons que les « prépa-apprentissage » soient renforcées, qui permettent à un jeune de tester plusieurs types d'apprentissage au lieu d'en faire un choix par défaut. En Auvergne-Rhône-Alpes, un mondial des métiers est organisé, où beaucoup de collégiens et de lycéens vont expérimenter un métier. Il faut faciliter la rencontre, afin d'éviter les ruptures de parcours de jeunes qui choisissent par défaut des métiers qui ne leur plaisent pas.

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Nous avons bien compris qu'il faut aller chercher les jeunes. Ce n'est pas l'État qui va, à lui tout seul, réussir à résoudre des problèmes que l'on n'a jamais réussi à résoudre, comme celui de l'orientation, qui à mon époque ne marchait déjà pas.

S'agissant de l'accès aux droits, s'il y a des problèmes structurels, en tant que représentants syndicaux, vous êtes aussi des courroies de transmission. Il faut faire du cousu main pour les jeunes. Il faut aller les chercher, les motiver et voir tout ce qui pose problème dans leur environnement ou, au contraire, tout ce qui peut être un atout. Qui va diffuser les bonnes pratiques ? Il faut agir concrètement sur le terrain, au-delà des incantations. C'est une affaire de citoyens, de parents, de bénévoles, d'associations. Est-ce que vous sentez que les choses peuvent bouger ? Il n'est pas inhumain d'imaginer qu'un parent s'occupe d'un deuxième ou d'un troisième enfant et lui ouvre son appartement. Alors qu'un très grand nombre d'initiatives privées sont prises dans tout le territoire, je ne sais pas ce que l'on attend pour les coordonner. Que pourriez-vous proposer en ce sens ?

La Boussole des jeunes semble une bonne idée, qu'il faut aider à développer, tout comme la garantie jeunes. Dans quelles régions la « prépa apprentissage » marche-t-elle ? Comment mettre le turbo pour aboutir à un produit bien conçu ? Lors des auditions, quand on nous a parlé de dispositifs qui fonctionnaient, on nous a très rarement dit où ils fonctionnaient. Il faut sortir de l'anonymat ! Il faut savoir dans quelles régions cela marche et dans quelles régions cela ne marche pas. Nous n'avons pas le droit de faire attendre les jeunes. Comment agir collectivement pour leur proposer du cousu main, au lieu de tendre une nouvelle fois notre sébile, même si je ne remets, bien évidemment, absolument pas en cause l'engagement de l'État ?

Un détail que vous n'avez pas abordé : on m'a fait part du cas de jeunes en apprentissage dont les employeurs étaient rémunérés pour la première année et pas pour la deuxième. Savez-vous si la demande faite à ce sujet par les entreprises a été entendue ?

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Angeline Barth, secrétaire confédérale de la CGT

En effet, cette question a été soulevée. Cependant, il faut être attentif aux effets d'aubaine, car on nous a rapporté que, dans certaines entreprises, des jeunes en deuxième année se sont fait renvoyer lorsqu'il a été décidé de verser des aides aux employeurs pour les jeunes en première année.

Se pose également le problème des entreprises qui ont embauché des apprentis sur des contrats de plus de douze mois et dont l'activité est de nouveau arrêtée. Je pense en particulier aux BTS sur deux ans et aux masters 1 et 2, notamment dans le secteur de la culture.

Par ailleurs, je souhaiterais que l'on revienne sur les solutions qui peuvent être trouvées pour les apprentis qui n'ont pas encore signé de contrat de travail. Dans le secteur de la culture, c'est le cas d'un peu plus de 10 % d'entre eux ; dans la branche Hôtels-cafés-restaurants (HCR), 700 à 800 apprentis n'avaient pas trouvé d'entreprise avant le deuxième confinement. Peut-être faut-il réfléchir au versement d'une indemnité pour ces jeunes qui vont se retrouver sans qualification ni expérience professionnelle ni salaire et qui vont rencontrer des difficultés pour se loger ? Il va falloir trouver une solution pour éviter de les perdre complètement, comme l'a dit Maxime Dumont, car ils risquent d'être écœurés par les promesses qui n'auront pas été tenues.

On peut se demander comment compléter le parcours des apprentis en deuxième année, mais n'oublions pas les jeunes qui, après le 1er avril, vont se retrouver en plein marasme.

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Je souhaiterais que vous indiquiez quelles contreparties vous souhaitez voir accompagner ces aides.

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Maxime Dumont, conseiller confédéral de la CFTC

Lorsqu'on parle d'opérationnalité, il faut identifier les lieux dans lesquels les décisions prises peuvent être le plus opérationnelles possible. De ce point de vue, je souscris aux propos de Mme Oghly sur le CREFOP. Cette instance quadripartite qui regroupe la région, l'État et les partenaires sociaux est le lieu indiqué pour évoquer les problématiques de l'emploi, de la formation et de l'orientation. Ce n'est pas en créant des strates supplémentaires – c'est un travers français – que l'on simplifiera la formation professionnelle. Sollicitons plutôt le CREFOP, seule instance conservée par la nouvelle loi, puisqu'il fonctionne !

Dans le domaine du numérique, nous ne sommes pas sans rien. Les partenaires sociaux ont inventé CléA Numérique, qui permet aux salariés d'avoir accès à un premier niveau de qualification en informatique. Ce dispositif pourrait parfaitement être transposé, via l'éducation nationale, dans l'enseignement général pour permettre aux jeunes d'accéder à un premier niveau de formation au numérique. L'État serait alors obligé de donner à l'éducation nationale les moyens de s'équiper en matériel informatique. Par ailleurs, les OPCO, que l'on critique souvent, et les conseils régionaux proposent des subventions pour permettre aux jeunes en apprentissage de disposer d'outils informatiques. Bien entendu, ce n'est pas une obligation ; cela n'existe donc pas partout. Mais peut-être les branches professionnelles peuvent-elles se pencher sur la question, puisque l'apprentissage relève désormais des OPCO ? Allons au bout du dispositif. J'ajoute que le plan de relance consacre une enveloppe de 0,9 milliard d'euros à la digitalisation. À quoi sert cet argent ?

S'agissant des CFA, je le dis aux représentantes des organisations patronales, on ne peut pas affirmer tout et son contraire. D'un côté, le Medef s'est félicité du doublement du nombre des CFA ; de l'autre, la représentante de la CPME indique que nombre d'entre eux ferment ou ne se portent pas bien. L'augmentation du nombre des CFA s'explique en partie par la suppression de l'obligation de conclure une convention avec la région. Ainsi, beaucoup de CFA ont été créés par des entreprises – ils ne concernent souvent qu'un métier – et par des organismes de formation qui, pour obtenir des financements, ont changé leur fusil d'épaule. On ne peut pas en conclure que l'appétence sera plus grande et que ces CFA formeront un grand nombre d'apprentis.

Par ailleurs, si ces centres de formation se sont créés, ce qui est une bonne chose, c'est aussi à cause ou grâce au « coût contrat ». Celui-ci oblige en effet le CFA à aller chercher le « client » et surtout, une fois qu'il l'a trouvé, à faire ce qu'il faut pour le garder. Car si le jeune quitte, comme il en a le droit, un CFA pour un autre, il part avec sa soulte. Le « coût contrat » incite ainsi les centres de formation d'apprentis à être plus performants pour conserver les jeunes chez eux. C'est une vertu du dispositif que l'on n'avait pas perçue au démarrage.

Maintenant, il est vrai que l'Inspection générale des affaires sociales demande – et France compétences suit généralement ses recommandations – que le « coût contrat » baisse de 12 % sur quatre ans, soit 3 % par an, ce qui est considérable. Il va donc falloir faire mieux avec moins. Au début, nous avons pu régler le problème en demandant à nos organismes de formation d'être corrects et de resserrer le coût de l'apprentissage, mais les réductions à venir auront des conséquences assez importantes.

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Marie Dupuis-Courtes, vice-présidente en charge de l'éducation et de la formation de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Je souhaite revenir sur la « prépa apprentissage », qui est un très bon dispositif – les CFA du bâtiment ont accueilli, l'an dernier, plus d'une centaine d'apprentis dans ce cadre –, car il permet de confirmer les choix d'orientation et d'éviter ainsi les ruptures de contrat.

Certains intervenants s'inquiètent de la situation des jeunes qui ne trouvent pas d'entreprise. Dans cette période très difficile, nous devons faire preuve d'agilité. Si, la première année, le jeune ne peut pas suivre tous les apprentissages pratiques, il faut lui permettre de suivre le plus possible d'enseignements théoriques au sein des centres de formation et concentrer les enseignements pratiques sur la deuxième année, en espérant que l'activité reprendra normalement l'an prochain. Pour cela, le ministère de l'éducation nationale, dont dépendent les référentiels de diplôme, doit faire preuve de souplesse. Les branches professionnelles ne souhaitent pas que la validation du diplôme se fasse entièrement par le contrôle continu et le contrôle en cours de formation (CCF). Mais l'engagement porte sur un nombre d'heures de formation : au CFA et à l'entreprise d'être suffisamment agiles pour trouver les bons équilibres. Je suis persuadée qu'il existe des solutions.

L'important, monsieur Dumont, est que nous soyons d'accord sur la conclusion : une diminution de 12 % des « coûts contrats » aura, dans le contexte économique actuel, un impact non négligeable. Il ne faudrait pas que la qualité en pâtisse – nous sommes tous d'accord sur ce point.

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Je vous remercie d'avoir insisté sur les notions d'agilité et de souplesse en cette période de crise.

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Les constats que vous avez dressés et les solutions que vous proposez concernent-ils également les jeunes ultramarins, qu'ils se trouvent en métropole ou dans les territoires d'outre-mer ?

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Maxime Dumont, conseiller confédéral de la CFTC

Il n'y a aucune discrimination : les dispositifs se déclinent sur l'ensemble du territoire national. En revanche, les rémunérations sont différentes puisque, s'agissant du SMIC ou d'autres dispositions du code du travail, la réglementation est, au grand dam de la CFTC, différente en métropole et dans les territoires d'outre-mer.

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Marie-Christine Oghly, présidente de la commission éducation formation du Medef

Je confirme les propos de M. Dumont. Il n'y a aucune discrimination : les mesures sont les mêmes en métropole et dans les territoires d'outre-mer.

Madame Buffet, vos préoccupations sont aussi les nôtres. Tout comme vous, nous cherchons des solutions, que ce soit pour les jeunes apprentis, les jeunes diplômés ou les jeunes sans qualification. Nous devons leur donner de l'espoir et travailler à leur créer un futur.

La fracture numérique existe : ce n'est pas parce que l'on sait utiliser un smartphone pour s'inscrire sur les réseaux sociaux que l'on maîtrise les outils informatiques nécessaires pour trouver et, surtout, conserver un emploi. Il est donc très important que les jeunes aient accès, dès l'école, à l'outil informatique et qu'ils acquièrent un socle de compétences dans ce domaine. CléA Numérique est destiné aux jeunes et moins jeunes qui sont dans l'emploi. À ma connaissance, il existe, au sein de l'éducation nationale, les Pix. Il faudrait interconnecter et homogénéiser les deux dispositifs.

Quant aux CFA créés par les entreprises, ils sont certes plus petits et parfois dédiés à un seul métier, mais ils offrent des débouchés certains car ils sont adaptés aux besoins, immédiats ou futurs, des entreprises. En tout état de cause, cela a été dit, il faut faire preuve d'une grande flexibilité en cette période de crise sans précédent. On peut critiquer les mesures qui sont prises, mais chacun s'efforce de réagir au mieux et c'est en travaillant ensemble que nous parviendrons à surmonter la crise économique. Le mot « guerre » n'est peut-être pas tout à fait approprié pour décrire la situation actuelle, mais nous n'en sommes tout de même pas loin.

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On a le sentiment, en vous écoutant, que vous vous connaissez bien, les uns et les autres, et que le dialogue existe entre vous. C'est un très bon signal.

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Madame Dupuis-Courtes, vous proposez de faire preuve d'agilité, notamment en permettant un rattrapage des heures consacrées à la formation pratique d'une année sur l'autre. Quelle est la position de l'administration et du Gouvernement sur ce point ?

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Marie Dupuis-Courtes, vice-présidente en charge de l'éducation et de la formation de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Lors du premier confinement, nous avons été écoutés : des solutions ont été apportées aux apprentis qui ont passé leurs examens en juin et juillet. Cette année, certains dispositifs sont nouveaux. Par exemple, les jeunes qui entrent en apprentissage ont désormais un délai de six mois, donc jusqu'à fin février, pour trouver une entreprise – c'était une demande de la CPME notamment. Lorsque nous avons discuté de ce dispositif avec les différents services concernés cet été, nous n'imaginions pas que la crise se poursuivrait aussi longtemps. Or, dans beaucoup de secteurs, l'activité n'a pas pu reprendre. Nous sommes donc en train de préparer différents scenarii à l'attention des ministères – nous ne sommes qu'au début de la réflexion. Avec le ministère du travail et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), les échanges sont très réguliers ; c'est un peu plus difficile avec le ministère de l'éducation nationale parce que les entreprises ont moins de relations avec cette administration. Mais les solutions, nous ne les trouverons que tous ensemble, car les diplômes, même dans le cadre de l'apprentissage, dépendent des référentiels de l'éducation nationale.

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Je crois en effet que, dans cette période particulière, l'éducation nationale doit accepter – et ses personnels y sont prêts – de travailler davantage de manière horizontale avec les autres acteurs. Nous allons insister très fortement sur ce point dans nos recommandations.

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La crise dénoue des problèmes structurels très anciens ; il faut forcer le trait et continuer à insister.

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Maxime Dumont, conseiller confédéral de la CFTC

Je précise que beaucoup de diplômes délivrés par les CFA dépendent non pas de l'éducation nationale mais des branches professionnelles. Il est vrai cependant que le dialogue avec l'éducation nationale devra avoir lieu et être constructif. C'est facile à dire, beaucoup moins facile à faire…

Il est évident que, durant cette période, il faut beaucoup plus de souplesse dans la façon de concevoir la formation professionnelle, notamment parce que le présentiel n'est pas possible. On peut, comme le propose Mme Dupuis-Courtes, concentrer les enseignements théoriques sur la période durant laquelle les enseignements pratiques ne sont pas possibles. Mais, dans certaines branches professionnelles, on a développé l'action de formation en situation de travail (AFEST), qui peut se faire à distance. Mon fils, par exemple, qui est ancien compagnon et possède une pâtisserie, parvient à former ses apprentis à certains gestes à distance. De même, dans le secteur du transport routier, on recourt, dans le cadre de la formation, à des simulateurs de conduite. Leur utilisation a été limitée, dans le référentiel de formation, à 25 % par les branches professionnelles, mais elles envisagent actuellement, compte tenu de la situation, de repousser cette limite, à 30 % ou 35 % par exemple. Ce type de simulateur est également utilisé dans d'autres secteurs, comme celui de la logistique, pour former les conducteurs de chariot élévateur. Je suis persuadé que, mises bout à bout, ces mini-solutions imaginées par chacun permettront de régler la problématique d'une « année Covid ». Il sera difficile d'aller au-delà, mais c'est déjà beaucoup.

Enfin, je souhaiterais revenir sur un point qui a été abordé, et c'est normal, par le patronat, celui de l'éventuelle prolongation des aides pour la deuxième année d'apprentissage, compte tenu de la persistance de la crise. Il faut raison garder : on est toujours très généreux avec l'argent des autres. Attendons de voir si nous devrons affronter une troisième vague avant de piocher dans les poches des contribuables.

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Marie-Christine Oghly, présidente de la commission éducation formation du Medef

Comme vous l'avez dit, madame la présidente, nous nous connaissons bien et j'ai souvent l'occasion de travailler avec Marie Dupuis-Courtes et Angeline Barth.

Lorsque Marie Dupuis-Courtes évoque la possibilité de décaler à la deuxième année la partie pratique de l'apprentissage, ce n'est pas forcément pour obtenir des aides supplémentaires. Il s'agit de répartir différemment les phases de formation.

En période de crise, on est plus flexible mais on est aussi plus créatif, de sorte que des choses qu'on croyait impossibles se réalisent. La crise peut donc être un accélérateur ; il faut insister sur cet aspect positif.

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Je vous remercie. N'hésitez pas à nous communiquer vos préconisations, que nous souhaiterions concrètes, illustrées par des exemples. Notre commission sera force de proposition. La crise est un moment extraordinaire pour bousculer les choses et accélérer des évolutions qui auraient peut-être pris des années.

La table ronde s'achève à quinze heures quarante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 14 heures

Présents. – Mme Marie-George Buffet, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Fabienne Colboc, Mme Albane Gaillot, M. Régis Juanico, Mme Sandrine Mörch, Mme Maud Petit