Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 11h15

Résumé de la réunion

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  • EPS
  • confinement
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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 12 novembre 2020

La séance est ouverte à onze heures quinze.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions relatives aux conséquences de la crise sanitaire sur les activités sportives des jeunes. Dans ce cadre, nous recevons des représentants des syndicats de professeurs d'éducation physique et sportive, à savoir M. Benoît Hubert, secrétaire général du Syndicat national de l'éducation physique-FSU (SNEP-FSU), Mme Perrine Prost, déléguée nationale du Syndicat des enseignants-UNSA, M. Alexis Torchet, secrétaire national, et Mme Cécile Rossard pour le syndicat général de l'éducation nationale de la CFDT (SGEN-CFDT), M. Pierre Mourot pour le Syndicat national des personnels du ministère de la Jeunesse et des sports de la CGT (SNPJS-CGT), et M. François Pelletier, représentant du Syndicat Solidaires jeunesse et sports (SJS).

Il nous a semblé important d'avoir votre éclairage sur les conséquences de la crise sanitaire sur la pratique de l'éducation physique et sportive et, plus largement, sur la sédentarité des jeunes et sur leur santé physique et psychique. Il s'agit d'une question cruciale, une question d'actualité, et il est nécessaire non seulement de vous écouter à ce sujet mais également de comprendre quels pourraient être les effets préventifs de ce que vous nous proposerez et préconiserez. Il convient que nous soyons proactifs, non seulement au regard de la crise elle-même, mais également sur les solutions. L'épidémie du covid-19 a porté un coup d'arrêt aux activités sportives des jeunes pendant le confinement, notamment dans les milieux urbains, en raison de l'absence d'espaces extérieurs. La reprise des pratiques sportives a ensuite été progressive jusqu'à l'été et, dans ces conditions, les établissements scolaires ont souvent été les seuls lieux permettant une activité physique aux enfants.

Aujourd'hui, alors qu'un certain nombre de lycées assurent uniquement 50 % de leur activité en présentiel, une interrogation demeure quant à la priorité qui sera donnée à l'éducation physique et sportive. Nous souhaiterions vous entendre sur tous ces sujets et connaître votre avis sur la réalité de l'accroissement de la sédentarité des jeunes depuis le début de la crise et sur les difficultés afférentes, notamment le surpoids, les troubles anxieux… Nous souhaiterions également savoir si des pratiques nouvelles ont émergé de cette crise qui peut également constituer un moteur et un déclencheur d'autres pratiques.

Par ailleurs, les restrictions sanitaires résultant de l'épidémie ont imposé de repenser certaines pratiques sportives ; elles ont même écarté certaines d'entre elles. Nous aimerions savoir de quelle manière vous avez dû adapter vos enseignements et votre organisation.

Nous savons – mais il faut l'entendre et l'entendre encore – quelle déflagration le défaut de pratique sportive peut représenter, notamment sur des adolescents de douze à seize ans. Qu'est-ce qui risque de devenir quelque peu irrémédiable si cette fracture s'accentue, si l'on n'identifie pas de solutions alternatives ? Ce sont toutes ces questions-là qu'il convient que nous abordions – très simplement et sans polémique – pour le bien-être de nos jeunes, de nos enfants.

Je vous cède la parole pour une intervention liminaire d'une durée d'environ cinq minutes que je vous invite à respecter parce que vous êtes nombreux. Ensuite, nous ouvrirons le débat.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Benoît Hubert prête serment)

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Benoît Hubert, secrétaire général du Syndicat national de l'éducation physique FSU (SNEP-FSU)

Le temps de parole est très court compte tenu de l'étendue du sujet, mais je m'efforcerai de m'y tenir.

Lors de la précédente période de confinement, nous avons constaté une forte appétence pour les pratiques physiques et sportives. L'activité sportive constitue d'ailleurs un des motifs figurant sur l'attestation de sortie dérogatoire. Nous avons néanmoins constaté qu'elle concernait essentiellement des jeunes adultes et des adultes. Il serait donc nécessaire de revoir la question de la formation, parce qu'on ne pratique pas une activité physique et sportive n'importe comment. La formation constitue un thème essentiel.

La fermeture des installations des établissements a imposé l'arrêt de l'EPS, qui est une pratique peu compatible avec le télé-enseignement. Malgré tout, je salue l'engagement et l'inventivité de mes collègues qui ont poursuivi des pratiques telles que le fitness, le yoga, le renforcement musculaire, etc…, et ont rencontré de fortes problématiques liées à l'enseignement à distance, qui interdit les corrections posturales éventuellement nécessaires. De fait, ce mode d'enseignement comporte des dangers pour les élèves. Cette période de confinement a été extrêmement complexe pour tous.

S'agissant du déconfinement, dans un premier temps, nous avons rencontré des difficultés pour obtenir du ministère un texte spécifique relatif à ce que l'on a appelé « les repères pour l'EPS », pour la reprise de l'EPS. Ce texte a été produit – comme d'habitude – très tardivement, ce qui n'a pas permis les temps de concertation nécessaires pour reconstruire l'ensemble des programmations et adapter les séances au contenu du protocole sanitaire, qui a fait l'objet de diverses interprétations et a engendré des injonctions contradictoires entre les inspections pédagogiques régionales (IPR) et les recteurs, ainsi que les chefs de centre.

Dans cette période de déconfinement, nous avons constaté un intérêt accru des élèves pour l'EPS. Nous en avons d'ailleurs nous-mêmes été très surpris. Il est vrai également que l'EPS constituait leur seul temps de respiration, le seul moment au cours duquel ils pouvaient retirer leur masque. L'EPS permettait effectivement de reconstruire le lien social qu'ils avaient perdu. C'était essentiel et, dès le déconfinement, nous avons vu les élèves tomber dans les bras les uns des autres. Ils retrouvaient enfin leurs copains et leurs relations sociales.

À l'issue du confinement, les enseignants ont posé des constats empiriques sur ses impacts. Nous avons remarqué une prise de masse corporelle graisseuse chez certains élèves, une perte des capacités physiques et, surtout, nous avons relevé des impacts sociaux. Ces constats empiriques ont été confirmés par des études menées par nos collègues de l'Association européenne des professeurs d'EPS, notamment en Angleterre et en Slovénie. Ces études longitudinales sont assez précises. En effet, deux élèves sur cinq présentent une augmentation de leur masse graisseuse. Les autres constats se déclinent comme suit : diminution de 16 % de la capacité aérobique, de 13 % de la coordination, de 13 % de la capacité physique globale. Ce ne sont pas des chiffres anodins et nous en concluons que, finalement, le Covid est plus dangereux pour les élèves de ce point de vue-là, parce qu'elle comporte des enjeux de santé publique.

( Mme Perrine Prost prête serment)

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Perrine Prost, déléguée nationale pour le Syndicat des enseignants-UNSA

Pour notre syndicat, cette audition doit permettre de poser des constats, de mettre en exergue les freins à la pratique sportive dans le contexte sanitaire et de proposer également des solutions pour l'avenir.

Pendant le confinement, les élèves étaient effectivement contents que les enseignants d'EPS s'intéressent à eux, dans leur globalité, et pas uniquement en rapport avec l'apprentissage des savoirs scolaires. Les professeurs d'EPS, mais également les conseillers principaux d'éducation (CPE), ont permis d'éviter certains décrochages parce que ces personnels connaissent très bien les élèves.

Deux objectifs ont guidé l'action des professeurs d'EPS au cours du confinement : proposer aux élèves une pratique régulière, autonome, en toute sécurité et dans le respect des règles du confinement et des gestes barrières ; leur permettre de s'engager dans un développement de compétences méthodologiques – savoir s'entraîner – et social – se connaître et se motiver, notamment.

Ce confinement a également offert une occasion de rappeler la nécessité de la pratique sportive par le biais non seulement de l'EPS, mais également des activités qui étaient proposées par les associations sportives et qui concourent également à l'épanouissement des élèves, favorisent la connaissance de soi, la confiance en soi, l'esprit d'équipe ainsi que le développement des valeurs qui ont pris tout leur sens dans un contexte de défiance vis-à-vis de la gestion de la crise.

Lors du déconfinement, la reprise de l'EPS a permis à certains de retrouver une activité physique permettant de sécréter de l'endorphine et ainsi, de réduire les effets de l'anxiété, de l'angoisse et de la dépression. Les élèves étaient heureux de reprendre une activité physique parce que certains avaient vu leur tonus musculaire régresser et présentaient parfois un surpoids lié à une alimentation trop riche pendant le confinement et à de trop faibles dépenses énergétiques.

Nous avons rencontré également des difficultés à enseigner, en lien avec les besoins spécifiques de la discipline et avec le défaut de préparation du ministère. Lors du confinement, l'EPS a dû s'adapter à une situation inédite et les équipes ont dû également s'inclure dans la répartition du volume hebdomadaire proposé aux élèves. Les enseignants se sont attachés à construire de nouveaux outils afin de proposer une éducation physique et sportive praticable, en autonomie et dans le respect des gestes barrières et de la sécurité.

Lors du déconfinement, un travail de concertation et de coordination a fortement mobilisé les équipes. Il leur appartenait en effet de discerner ce qu'il était possible de faire de ce qui ne l'était pas, au regard non seulement des exigences du protocole mais également des infrastructures sportives disponibles et accessibles. Le SE-UNSA regrette que ce travail de concertation se soit déroulé dans l'urgence, alors que de nombreux équipements sportifs étaient encore fermés. Les équipes ont besoin de temps et de confiance, loin de toute injonction et de toute urgence.

Nous regrettons l'absence de dialogue avec les organisations syndicales en vue d'établir les fiches thématiques « EPS et sport ». Selon nous, chaque enseignant, chaque professeur des écoles doit être informé du cadre dans lequel les activités physiques et sportives seront organisées, d'une part afin de les adapter et, d'autre part, afin de fournir des explications et des consignes aux familles et aux élèves.

Nous regrettons que la communication ministérielle ne distingue pas l'éducation physique et sportive enseignée à l'école maternelle – qui vise à permettre aux enfants d'enrichir leur motricité – et le sport pratiqué dans les fédérations sportives, dont les finalités sont différentes car elles visent la promotion et la pratique d'une discipline sportive, et accordent une place plus importante à la compétition. Il ne s'agit bien sûr pas de les opposer mais de mettre leur complémentarité en évidence.

Nous regrettons que les premiers protocoles n'aient pas distingué la pratique de l'EPS obligatoire du sport scolaire, c'est-à-dire le sport et les activités facultatives pratiquées sur le temps périscolaire. Le nouveau protocole en vigueur au 2 novembre précise clairement ce qui est autorisé en EPS mais il établit une distinction avec les activités qu'il est possible de proposer sur le temps périscolaire.

Concernant l'application du protocole, la grande majorité des équipements sportifs appartient aux collectivités locales. Elles mettent en place des protocoles différents des protocoles imposés par l'Éducation nationale, ce qui représente une véritable contrainte. Pratiquer l'EPS en toute sécurité nécessite une désinfection fastidieuse parce que nous utilisons effectivement beaucoup de matériel. Ce protocole est donc long et il requiert un travail important. Nous avons également constaté que les académies imposent des consignes encore plus restrictives ou injonctives. Pourtant, à l'impossible nul n'est tenu. Cependant, la mise en place de la « foire aux questions » a permis de limiter ces situations.

Dans le premier degré, les freins à la pratique sportive sont connus : ce sont les problèmes liés à la formation des professeurs des écoles, au temps de travail des professeurs des écoles (qui est de vingt-six heures face aux élèves), ainsi qu'aux infrastructures sportives et à leur disponibilité.

Enfin, à la réception de l'invitation pour cette audition, j'ai été surprise par les thèmes annoncés comme « le Covid comme révélateur de la crise identitaire de l'EPS : éloignement progressif de l'EPS de la culture sportive ; administration de la preuve de l'intérêt de l'EPS au moment où celle-ci a été arrêtée pendant de longs mois ». Cette crise nous a permis de constater que l'EPS constituait une pratique hebdomadaire, mais aussi que les objectifs de l'EPS étaient méconnus. La confusion est entretenue entre la pratique scolaire et la pratique périscolaire et extrascolaire. Or ces trois pratiques concourent à l'épanouissement des élèves, au bien-être et à la santé.

Cette période est non seulement révélatrice des enjeux de l'EPS, mais également des manques actuels en EPS, qui mettent en exergue la problématique des installations, du vieillissement des installations sportives, mais aussi de leur entretien et leur mise aux normes. Il conviendrait de tirer des enseignements de cette période, notamment en n'excluant pas les publics scolaires de l'utilisation des installations sportives, même en temps de crise, contrairement à ce qui s'est passé dans le dernier protocole.

L'EPS ne s'éloigne pas de la culture sportive. En revanche, nous constatons que la culture sportive s'éloigne de l'éducation. L'EPS appréhende les élèves dans leur globalité, non seulement dans des compétences propres à la pratique sportive, mais également et surtout dans des compétences méthodologiques et sociales.

Nous formulons des propositions pour le long terme : la mise en place de trois heures hebdomadaires d'EPS en lycée ; un temps périscolaire qui permette aux élèves de bénéficier de créneaux d'association sportive parce que l'association sportive s'adresse à l'ensemble des élèves pour un prix de cotisation plutôt modéré ; un état des lieux des infrastructures sportives utilisées par les scolaires ; un aménagement des cours de récréation permettant la pratique sportive. Lors de rénovations de bâtis scolaires, il faudrait systématiser la construction d'un gymnase à proximité de l'établissement public local d'enseignement (EPLE) ou sa rénovation. Nous proposons également une limitation à vingt-quatre élèves des effectifs de chaque classe, de la maternelle au lycée, à vingt élèves dans les territoires en difficulté, à douze élèves en sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) et dans les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A) et à dix élèves dans les unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS). Il s'agit d'un effort financier conséquent, mais il est indispensable de sorte à favoriser la réussite éducative de l'ensemble des élèves. Nous préconisons également la mise en place d'une foire aux questions afin d'accompagner les enseignants dans ces temps d'urgence et de crise ; une communication rappelant que l'école reste le seul lieu qui permet à tous, à tous les enfants et à tous les jeunes, sans discrimination aucune, d'accéder aux activités physiques et sportives et qu'elle en permet également une pratique régulière.

Enfin, le profil des professeurs d'EPS évolue car les enseignants travaillent de plus en plus dans deux, voire trois établissements. Leurs temps de travail sont de plus en plus longs en raison des heures supplémentaires imposées et des tâches administratives, toujours plus chronophages, notamment dans le cadre du plan Vigipirate.

(Mme Cécile Rossard prête serment)

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Cécile Rossard, représentante du Syndicat général de l'éducation nationale de la CFDT (SGEN-CFDT)

Nous reviendrons sur l'impact de l'arrêt de l'EPS lors du confinement. Cet arrêt a permis également de poser le postulat selon lequel l'EPS ne peut pas se réduire à un enseignement virtuel et que, de surcroît, elle ne constitue pas une pratique individuelle telle que l'enseignement à distance l'a imposée. Pour autant, ce paradoxe n'a pas empêché la mobilisation forte des enseignants – au prix parfois d'une certaine agitation, de pressions et d'appréhension face aux enjeux de sécurité de ces pratiques qui, de fait, devenaient autonomes. Dès lors, le confinement a démontré l'importance du présentiel en EPS, constat essentiel qu'il convient de retenir.

Les enseignants ont parfois eu l'impression de perdre le sens premier de leur métier et ils n'avaient pas envie de se transformer non plus en coachs sportifs ou en « super profs » numériques, avec des mises en scène vidéo de plus en plus ingénieuses mais pas toujours accessibles.

En revanche, les professeurs d'EPS ont eu l'opportunité d'exprimer, même à distance, leur véritable utilité dans la relation qui constitue le cœur de notre métier, qui se tisse tout au long de l'année. En effet, ils ont pu participer au travail de l'équipe pédagogique et favoriser le suivi plus général de l'enfant. Grâce au lien fort que nous entretenons également avec les autres personnels, à savoir les médecins, les infirmières et les conseillers principaux d'éducation (CPE)…, nous avons pu rester vigilants pendant les périodes de confinement et de déconfinement. Nous avons animé des classes, favorisé les travaux de groupe par le biais des activités d'expression telles que les « flash mob », les « exploits », etc. L'EPS a vraiment pu favoriser ces relations non seulement entre l'élève et l'école, mais également entre les élèves. Cela nous paraissait important.

Lors du déconfinement, les équipes – malgré les complexités qui se sont avérées – ont réinventé leur pratique, mais sans installation. Nous avons constaté le plaisir que les élèves ont manifesté à retrouver ces activités.

Au-delà des activités athlétiques qui se sont poursuivies – notamment dans le domaine du renforcement musculaire –, nous avons privilégié des activités de plein air, de jeu et d'expression. Ces trois formes de pratique se sont avérées être vraiment une source d'échanges, de découverte de soi et des autres, et ont favorisé une dynamique qui n'est a priori pas compétitive – bien que tout puisse être didactiquement réinventé. Ces activités se sont avérées plus nombreuses dans cette période qu'habituellement. Il conviendra de réfléchir à leur bénéfice pour l'avenir.

Dans cette période de confinement que nous vivons, les professeurs d'EPS sont à même de repérer le mal-être et les situations préoccupantes que vivent des enfants, au-delà de l'aspect sanitaire physique. Nous les rencontrons en groupe et nous pouvons repérer l'enfant qui est un peu plus replié sur lui-même.

À l'issue du déconfinement, nous avons mené une petite enquête relative à son impact sur la santé. Nous avons constaté de très fortes disparités liées au milieu et aux contextes de vie des enfants. J'enseigne en zone d'éducation prioritaire et nous estimons entre 20 % et 50 % le taux d'élèves qui ont pu pratiquer une activité physique pendant le confinement. Il est aisé d'identifier le lien entre le milieu socio-économique et la pratique d'une activité physique.

En milieu rural, nous avons rencontré des problèmes de conditions de travail, de connexion, d'ordinateurs, etc. En revanche, nos collègues estiment que 50 % à 70 % des élèves ont pu pratiquer une activité physique, probablement parce que l'accès à l'extérieur était favorisé.

Dans les lycées, le constat est peu plus mitigé car nous avons eu peu de retours. Toutefois, des collègues témoignent de ce que grâce à l'autonomie et aux habitudes de travail déjà acquises, certains lycéens et collégiens ont maintenu une activité physique en dehors de l'école.

Quoi qu'il en soit, nous avons également constaté un accroissement des inégalités, y compris dans le domaine de la santé. En effet, ce sont les jeunes urbains les plus défavorisés qui ont peu pratiqué l'activité physique pendant cette période : ceux qui disposaient des espaces de vie les plus exigus, avec une grande densité de personnes dans une petite superficie ; ceux qui ne possédaient ni ordinateur, ni corde à sauter, ni vélo d'appartement, ni forêt à proximité ; ceux qui ont le moins bien mangé, le moins bien dormi. Ce constat induit des conséquences tant psychologiques que physiques sur cette reprise.

Je ne dispose d'aucun indicateur vraiment objectif sur les conséquences du confinement sur la reprise. En revanche, nous constatons un moindre engagement dans les associations sportives dès ce début d'année, amplifié par les incertitudes liées au nouveau protocole. La frilosité est manifeste en raison de l'interruption des habitudes et de la difficulté rencontrée à se remotiver.

L'usage du masque devra être réfléchi s'il doit perdurer sur le long terme. En effet, il n'est pas aisé de le prendre, de le remettre, de gérer les appréhensions de ceux qui souhaitent le garder en permanence et la légèreté de ceux qui refusent de le porter. En outre, le port du masque engendre une fatigue plus importante pour les professeurs comme pour les élèves ; il convient de ne pas négliger cet aspect.

Enfin s'agissant de la crise identitaire de l'EPS, elle donne matière à réflexion et, finalement, nous nous en réjouissons. Nous sommes pris en étau entre d'une part, des discours incessants relatifs aux injonctions sanitaires et, d'autre part, des récits, des références plus insistantes encore de notre ministre sur les Jeux olympiques, le monde sportif, etc. Il reste à trouver une voie pour l'EPS, discipline scolaire qui nourrit l'objectif d'étudier l'ensemble des styles de vie. Il convient d'être vigilant quant à cet amalgame constant entre EPS, sport et activité physique qui crée vraiment une confusion générale. Une place nous est réservée puisque notre discipline est obligatoire pour tous et que ses contenus sont ciblés. Nous insistons également sur le fait que l'EPS constitue la discipline de la rencontre, avec soi et avec les autres. C'est en tout cas ce que cette crise a démontré et qu'il conviendra de ne pas perdre de vue, notamment dans un contexte de vie qui interdit de se toucher – ce qu'autorise l'EPS. Dans les zones d'éducation prioritaire, le contact est difficile dans certaines cultures.

Je pense également aux collègues qui enseignent dans le premier degré, pour lesquels la situation est encore plus complexe.

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Je souhaiterais que nous abordions la problématique du « décrochage » et dans quelle mesure vous représentez des vigies au même titre que les CPE, voire les surveillants, dans tout ce qui se trame. Ce serait une orientation différente de sorte à intéresser l'ensemble de la population à cette question de l'EPS.

(M. Pierre Mourot prête serment)

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Pierre Mourot, représentant du Syndicat national des personnels du ministère de la Jeunesse et des sports-CGT (SNPJS-CGT)

J'adhère d'autant plus à l'ensemble des propos exprimés que je n'appartiens pas encore à l'Éducation nationale.

Force est de constater que la jeunesse, à l'instar de l'ensemble de la société, manifeste une véritable inquiétude quant à la crise sanitaire et à une situation qui oscille entre confinement et déconfinement. Ils redoutent réellement la contamination, pas tant la leur que celle de leur famille. Il s'agit là d'un constat potentiellement très traumatisant. À l'inverse, lorsqu'ils se rassemblent dans leur tranche d'âge, en l'absence d'adultes, leurs comportements à risque, au demeurant inhérents à leur jeunesse, reprennent facilement leurs droits. Je pense que, pour les jeunes comme pour tout le monde, le maintien du lien et de l'interaction sociale, la pratique d'activités physiques et sportives sont nécessaires à leur équilibre psychique.

Il s'agit donc d'identifier les modalités adéquates de sorte à organiser ces activités. J'avoue ma perplexité face à la situation actuelle dans les établissements, notamment parce que les classes sont entières et qu'il est concrètement impossible de respecter les distanciations sociales. Je ne suis pas spécialiste, mais je m'interroge et je mesure aussi le niveau d'inquiétude des parents et des enfants eux-mêmes à ce sujet. À l'instar de ce qui se produit dans le monde du travail, les parents souhaitent que leurs enfants aillent à l'école. On en voit l'utilité mais il faut s'y sentir à l'abri autant que faire se peut, avec les moyens que l'on connaît, avec des outils tels que le port du masque, la distanciation. Force est de constater que c'est complexe.

Je suis issu du ministère des Sports et, dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE), nous intègrerons un pôle éducatif à compter du 1er janvier 2021. Aujourd'hui, le pôle éducatif est constitué de transferts dits à « isomission et isopérimètre » mais nous ne savons pas très bien comment il va vivre et quelle sera sa réalité. Les trois ministres – ministre de l'Éducation, ministre des Sports et ministre de la Jeunesse –, n'offrent aucune vision quant aux interactions entre les uns et les autres dans leur participation à ce grand pôle éducatif. Je pense que ce pôle recouvre un véritable enjeu et constitue un outil qui permettra d'identifier des solutions efficaces, notamment via le domaine périscolaire. Bien qu'il n'ait pas été très bien engagé cet été, le périscolaire offre une opportunité de diminuer les effectifs et j'y vois de la vertu. Certes, en période de crise sanitaire, le périscolaire perd de son intérêt. En revanche, je pense que le sport et la culture ont vocation à émanciper les gens, à faire en sorte qu'ils se sentent mieux dans leur tête, dans leurs corps et, finalement, mieux en société. Il me semble donc intéressant de réfléchir à cette organisation et de faire en sorte qu'à terme, les activités sportives physiques et sportives se développent car cela constituera l'un des enjeux de cette organisation. Il conviendra de distinguer les métiers de l'EPS et les métiers du sport, qui portent des valeurs différentes – malgré une complémentarité qu'il sera nécessaire de respecter.

Sport Santé et Préparation Physique (2S2P) a fait naître des inquiétudes au sein de l'Éducation nationale, ce que je comprends très bien. Cependant, il importe de ne pas faire d'amalgames. Actuellement, une relation existe entre les élèves, les parents et l'école. Le pôle éducatif nous permettrait d'avoir peut-être un regard plus ouvert en intégrant la société civile à cette relation, via ses clubs et ses institutions culturelles, venant ainsi enrichir la relation de sorte à être plus présents dans le temps vis-à-vis des jeunes, d'être plus proches d'eux en multipliant les angles d'attaque et de mettre en œuvre un accompagnement individuel de chacun plus performant.

Ce sont des pistes qui me paraissent pertinentes pour l'avenir, compte tenu de cette situation dans laquelle il est possible d'identifier une opportunité de créer, de remodeler notre vision éducative dans le domaine de l'éducation physique et sportive.

(M. François Pelletier prête serment)

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François Pelletier, représentant du Syndicat Solidaires jeunesse et sports (SJS)

L'EPS ne constitue pas un domaine de prédilection du Syndicat Solidaires jeunesse et sports, mais nous adhérons en très grande partie aux propos exprimés. En effet, les associations sportives avec lesquelles nous sommes en contact, les associations d'éducation populaire et d'animation pour la jeunesse, posent des constats identiques, notamment pour ce qui regarde la pratique sportive – qui s'est tout de même très fortement dégradée – et pour ce qui concerne l'alimentation – qui s'avère complètement désorganisée. Ce constat a été posé chez les enfants et chez les jeunes de façon assez récurrente. Il a conduit les associations à réorienter leurs pratiques, notamment par le biais des outils numériques, dans le sport et dans l'ensemble des autres domaines. Mais ce n'est pas suffisant. Je rejoins les propos précédents relatifs au périscolaire et à la possibilité d'ouvrir davantage de créneaux pour le sport dans ces espaces-là. Pour ce qui concerne la jeunesse, il convient de souligner les efforts d'adaptation des professionnels et des associations.

Vous avez évoqué les « décrocheurs ». Ils requièrent une grande vigilance. Certains décrochent au niveau scolaire, mais pas uniquement. Ils décrochent également au niveau des associations sportives et au niveau des associations d'accueil des jeunes. En règle générale, il est encore très difficile d'estimer et de disposer d'une visibilité objective quant au nombre de jeunes qui ont décroché, mais certains sont éloignés et ont été perdus. Il est nécessaire de mener une véritable réflexion à ce sujet. Des actions ont été mises en œuvre, mais les associations ont encore besoin d'aide, de moyens, d'accompagnement pour être mobilisés, pour continuer à développer ces outils-là, cette créativité, qui leur a permis de rester malgré tout en contact avec de nombreux jeunes. Les associations n'ont ni le temps, ni les finances pour se mobiliser sur des dispositifs trop chronophages ou onéreux.

La commission d'enquête s'intéresse également au handicap. Le sujet est important. Les questions de droit au répit, notamment, se sont avérées complexes pour beaucoup de familles qui accueillent ou ont des enfants en situation de handicap, et auxquelles la possibilité de les confier régulièrement à des associations, dans des lieux d'accueil ou à l'école, permet de disposer d'un temps un peu plus calme. Or, pendant un bon mois, avant que des actions soient mises en place, ces familles n'ont eu aucun droit au répit. Cet état de fait a créé des difficultés énormes qu'il importe aujourd'hui de prendre en compte. Il convient de saluer des initiatives telles que le réseau Passerelle notamment, qui a réussi à mettre des actions en place – en particulier cet été – pour ouvrir à ces familles confrontées aux difficultés du handicap un peu de perspectives et qui a facilité l'accès à l'exercice physique et à la pratique physique des enfants en situation de handicap. L'isolement de ces familles, renforcé dans le contexte actuel, constitue un point de vigilance important.

Cette crise a révélé de fortes inégalités sociales. L'accès au sport et à la pratique sportive en constitue l'une des conséquences. Le sport ne se pratique pas uniquement à l'école : l'ensemble des associations sportives et les lieux d'animation ont un lien avec la pratique sportive. Le sport est également un vecteur d'éducation populaire. Lors du confinement, priorité a été donnée au sport de haut niveau – ce qui a encore plus éloigné les jeunes qui avaient un accès déjà limité à la pratique sportive. Après le confinement, cet écart s'est creusé et nous constatons que le nombre d'adhésions a diminué dans les lieux d'activité, dans les lieux d'animation – notamment pour les jeunes –, en raison essentiellement de l'obligation de respecter les gestes barrières. Les jeunes les appliquent toute la journée dans les espaces scolaires. Le mercredi, le samedi ou pendant les vacances, ils n'ont pas envie de retourner dans un espace de loisirs où ils devront à nouveau appliquer ces gestes barrières. Je ne remets absolument pas en cause la nécessité d'appliquer les gestes barrières mais force est de constater qu'elle constitue une vraie difficulté. L'ensemble de ces éléments favorise l'éloignement et il importe de faire en sorte de le limiter autant que possible.

S'agissant spécifiquement du sport, mais d'autres domaines également, cette crise sanitaire n'a pas réellement créé des problèmes, mais elle a surtout mis en exergue des problèmes déjà existants, des problèmes sous-jacents dans le fonctionnement normal que cette crise a révélés. Parfois, des alertes avaient été posées et ont été ignorées.

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Je crois qu'il importe de distinguer clairement les choses. L'EPS constitue un enseignement à part entière : vous êtes des enseignants d'éducation physique et sportive. D'ailleurs, vos exigences relatives à l'augmentation des heures d'EPS, notamment au lycée, me semblent tout à fait pertinentes. En complémentarité, il y a le sport fédéré par ces clubs et également les associations de sport scolaire telles que l'UNSS et d'autres. Je pense que chacun a son rôle et que ces rôles ne peuvent pas se mélanger. Il est important de ne pas opérer d'amalgames dans les discours sur l'enseignement de l'EPS et la pratique en club. Je partage complètement votre préoccupation à ce sujet. Il est tout aussi essentiel de distinguer une démarche d'éducation populaire portée par les personnels de la jeunesse et du sport, de la démarche de l'Éducation nationale, portée par les enseignants bien qu'elles soient complémentaires. Chacune a besoin d'exister.

Je partage également votre souci relatif aux structures. Des professeurs d'EPS de mon département m'ont contactée parce qu'ils ne pouvaient plus dispenser les heures d'enseignement, faute de structures en bon état pour accueillir les élèves pendant six heures d'enseignement. Il serait souhaitable de produire un effort d'investissement dans les structures sportives – ce qui nécessite bien sûr des moyens, des dotations globales nécessaires aux collectivités locales.

Vous nous avez indiqué que grâce à votre fonction et à votre connaissance des élèves, vous avez pu identifier des sources d'inquiétude chez certains enfants, chez certains jeunes. Pouvez-vous expliciter ce sujet ?

Par ailleurs, quel est le contenu du protocole d'exercice de votre enseignement dans le cadre de la réouverture de l'ensemble des établissements scolaires ? Quelle est votre pratique ? Quelles ont été les conditions d'élaboration de ce protocole ? Depuis le début des auditions, nous avons entendu un grand nombre de personnels de l'Éducation nationale et d'autres déplorer un défaut d'écoute et de concertation.

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Cécile Rossard, représentante du Syndicat général de l'éducation nationale de la CFDT (SGEN-CFDT)

S'agissant des motifs d'inquiétude de certains jeunes, il est étonnant de constater qu'ils sont somme toute relativement malléables. Au final, ils acceptent et s'adaptent aux évènements. Pour autant, nous constatons leur inquiétude liée, je pense, à nos propres incohérences, aux informations qui leur proviennent de divers horizons. L'épidémie a frappé certains d'entre eux ou un membre de leur environnement.

Pour ce qui concerne le port du masque, comme je l'ai déjà indiqué, certains refuseront de le retirer pendant nos cours, quoi que nous fassions, quoi que nous disions ; d'autres, au contraire, se montrent réticents à le remettre.

Parfois, des élèves se sont confiés à leur professeur à la fin du cours d'EPS, sur leurs craintes liées justement à une situation familiale particulière (en cas de maladie chronique d'un proche, par exemple). D'autres avaient eux-mêmes des problèmes de santé avant l'épidémie et les professeurs ne savent pas évaluer le degré de risque.

Certains enseignants nourrissent également des inquiétudes, notamment par rapport au port du masque. En outre, les polémiques relatives aux masques qui nous ont été distribués renforcent d'autant moins notre sentiment de sécurité qu'il était prévu d'équiper les professeurs d'EPS de masques chirurgicaux, qui semblent être les seuls à protéger réellement lorsque l'interlocuteur n'en porte pas. Nous ne disposons toujours pas de ces masques.

S'agissant du protocole, j'ai personnellement la chance de travailler dans un établissement qui fonctionne sur la base de la concertation et d'une écoute mutuelle. Pour autant, la rentrée s'est révélée complexe, notamment en raison des récents attentats. Nous sommes fatigués. Mais nous avons choisi de privilégier ce qui nous semblait important, c'est-à-dire l'activité des élèves et donc de ne pas tout arrêter. Nous disposons d'informations livrées par différents collègues qui ne peuvent pas pratiquer leur discipline en raison d'un protocole qui fait l'objet d'interprétations multiples. Les distances de sécurité, le port du masque sont autant de contraintes qu'il n'est pas toujours possible de respecter en fonction des installations. Par exemple, les vestiaires sont désormais condamnés, ce qui pose des problèmes dans le respect des mesures d'hygiène que nous essayons tant bien que mal d'inculquer à nos élèves. Ils étaient indispensables à l'acquisition de ces réflexes d'hygiène et ils sont fermés pour des raisons sanitaires. Tous ces paradoxes créent de l'incertitude et donc de l'anxiété, tant chez les professeurs que chez les élèves.

La plupart des professeurs ont décidé de ne plus pratiquer les activités dites « de contact direct » (telles que la lutte). Toutefois, nous essayons malgré tout d'intégrer différentes activités dans nos programmations, sachant que les distanciations sociales sont complexes à respecter, même sur une piste d'athlétisme. Nous essayons d'adapter ce protocole non seulement aux risques mais également aux besoins que nous ressentons de la part de nos élèves. Nous tentons d'évaluer si le risque est plus important dans un arrêt complet des activités physiques ou dans leur poursuite, en procédant aux ajustements qui nous semblent les plus pertinents.

Je voudrais vous livrer une anecdote relative au port du masque. Nous comprenons son utilité. Toutefois, dans les classes de réseaux d'éducation prioritaire (REP), les élèves mettent leur masque dans leur poche, le reprennent, le mettent sur le nez, sur la bouche, prennent éventuellement celui du voisin, le posent, le reprennent. Nul doute que des microbes circulent au cours de ces manipulations.

Quoi qu'il en soit, dans son préambule, le protocole qui nous a été transmis conforte le rôle de l'EPS. Ce constat est satisfaisant.

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Je me suis récemment rendue dans un collège de REP, situé sur ma circonscription à Toulouse. Les jeunes respectent relativement bien l'obligation du port du masque, mais ils le retirent à la récréation et systématiquement à la sortie de l'établissement.

Les jeunes s'expriment beaucoup auprès de leurs surveillants dans les cours de récréation. Les surveillants représentent actuellement de véritables référents pour ces jeunes qui ont besoin de parler.

Dans ce quartier du Mirail, les garçons n'avaient jamais cessé de jouer au football alors que, pendant toute la durée de la crise, les filles étaient plutôt restées cloîtrées chez elles, pratiquaient beaucoup moins de sport et manifestaient une angoisse forte de transmettre cette maladie. De plus, nous avons vu réapparaître des notions de harcèlement.

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Perrine Prost, déléguée nationale pour le Syndicat des enseignants-UNSA

En raison du protocole, certaines communes ont condamné les vestiaires, ignorant les recommandations liées à la superficie. Je ne comprends pas pourquoi un élève masqué ne pourrait pas se changer dans un vestiaire alors que dans une classe, il est assis sur une chaise et est amené à toucher la chaise des autres ou une poignée de porte. L'hiver se profilant, la fermeture des vestiaires pose des problèmes. Lorsque nous donnons des cours de huit heures à dix heures le matin, il n'est pas très acceptable que les élèves qui ont transpiré ne puissent pas se changer. En réalité, ils se changent dans les vestiaires lors de la récréation ; ils jettent leurs masques par terre dans les toilettes. Finalement, ces comportements sont encore plus dangereux.

Notre discipline nous permet d'être plus à l'affût d'éventuels décrochages parce que, dans nos cours, les élèves disposent d'une liberté de mouvement plus importante que dans les autres disciplines. Ils ont la possibilité de solliciter l'enseignant en aparté – ce qui n'est pas ou peu réalisable dans les salles de classe parce que les élèves y sont statiques. Par ailleurs, nos temps de trajet facilitent également le dialogue, comme c'est le cas avec les surveillants. En outre, contrairement aux autres disciplines, l'EPS exige des dispositions mentales liées à l'engagement, à l'acceptation de souffrir, d'avoir des courbatures. Nous travaillons sur la globalité de nos élèves. Dès lors, ils livrent davantage leurs sentiments et leurs ressentis.

S'agissant des masques, le CHSCT a voté à l'unanimité la fourniture de masques pour les professeurs d'EPS qui les protègent davantage des projections des élèves que ceux dont ils disposent actuellement. Nous attendons la réponse du ministère.

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Benoît Hubert, secrétaire général du Syndicat national de l'éducation physique FSU (SNEP-FSU)

En effet, nous disposons d'une liberté de contact et de parole avec les élèves, contrairement à un professeur qui exerce dans une salle de classe fermée. La liberté de parole permet également aux élèves de s'exprimer beaucoup plus facilement.

Parmi les jeunes que nous côtoyons, certains ont peur et d'autres sont un peu insouciants, bien qu'ils respectent le protocole au sein des établissements. Ce constat soulève la question de l'environnement familial dont les éventuelles angoisses rejaillissent sur la façon dont les élèves perçoivent la situation. En outre, les informations diffusées en continu sont d'autant plus anxiogènes qu'elles sont souvent contradictoires et génèrent de la confusion. Les élèves n'y échappent pas.

S'agissant du protocole, la règle des deux mètres de distanciation est complexe à mettre en œuvre parce que le brassage est important dans les lycées.

Par ailleurs, j'ai été informé de la parution du texte et de ses évolutions par un appel téléphonique. Aucune négociation, aucune concertation n'ont été engagées.

La problématique du nettoyage des installations sportives est prégnante. Les collectivités territoriales ne disposent pas d'un nombre suffisant d'agents pour assurer le nettoyage dans les conditions définies par le protocole. C'est également la raison pour laquelle de nombreuses piscines sont fermées, car elles disposent d'un très faible nombre de vestiaires individuels et les vestiaires collectifs imposent désormais un nettoyage accru. La situation est vraiment complexe.

La préservation du lien social est importante pour les élèves. Le nombre de licences enregistrées par les associations sportives a diminué de 31 % parce que les rencontres inter-établissements sont interdites. Le lien n'existant plus, les jeunes ne sont plus intéressés par la pratique. Nous sommes confrontés à une problématique similaire dans le monde fédéral.

La question des installations sportives est cruciale. Honnêtement, il est urgent de s'emparer du problème et de répondre à cette insuffisance d'installations sportives et à la vétusté de certaines d'entre elles. Ce constat complexifie considérablement la situation.

Madame la Présidente, vous évoquiez au début de la séance la question du taux de 50 % en présentiel. Nous avons sollicité cet allégement des effectifs parce que d'une part, cela permet un temps de pratique effective augmenté pour les élèves dont le nombre est réduit de moitié et, d'autre part, parce que les enseignants disposent d'une disponibilité accrue pour les relations pédagogiques. Avec des classes de trente-cinq élèves – dans les espaces dont nous disposons et dans les conditions qui sont les nôtres –, nous sommes amenés à nous attacher davantage aux aspects sanitaires (respect du protocole) qu'à l'éducation pure. Cet allègement me semble profitable mais il reste exceptionnel et lié aux conditions actuelles.

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Pierre Mourot, représentant du Syndicat national des personnels du ministère de la Jeunesse et des sports-CGT (SNPJS-CGT)

J'ai vraiment le sentiment que le problème de l'anxiété des jeunes est très lié au fait qu'on les considère différemment du reste de la population. Ils ont été stigmatisés et rendus responsables de la circulation du virus. On ne le dit plus aussi ouvertement, mais certains s'interrogent quant au maintien de l'ouverture des écoles alors que les chiffres de l'épidémie ne diminuent pas. Je persiste à penser qu'il convient d'appréhender les jeunes comme une partie intégrante de la population et de leur proposer des procédures sanitaires identiques à celles qui sont applicables à leurs parents, ce qui facilitera les échanges en famille. Les jeunes pourront ainsi communiquer avec leurs parents au sujet du protocole, des règles imposées et de la manière dont ils les vivent. Les parents peuvent alors transmettre des informations quant à la façon dont ils participent à la protection d'eux-mêmes et des autres, en nettoyant leur poste de travail, en télétravaillant, etc. L'enjeu sociétal est prégnant et il est également important de préserver l'équilibre des jeunes, de ne pas les stigmatiser, de les considérer comme des citoyens à part entière et de leur attribuer une place identique à celle des autres, avec des exigences et des responsabilités identiques.

S'agissant des installations, les clubs appliquent une procédure de double nettoyage : les clubs nettoient leurs équipements et les éducateurs nettoient également ou font en sorte que les enfants nettoient les équipements qu'ils utilisent, préparant ainsi l'espace pour les prochains utilisateurs. En pratiquant ainsi, ils se protègent eux-mêmes et protègent les autres. Ce processus n'est pas lié à un effectif dédié et il présente l'intérêt de la participation de tous. Je pense que nous pouvons inventer d'autres procédures telles que celle-ci. Encore faut-il que les structures disposent des produits de nettoyage. L'approvisionnement a posé des problèmes mais ce n'est plus le cas désormais.

Je déplore que l'approvisionnement en masques protecteurs pour les professeurs d'EPS cause encore des difficultés, compte tenu des informations dont nous disposons sur l'épidémie. Il aurait été nécessaire de mettre en œuvre un approvisionnement massif depuis longtemps. Désormais, le coût des masques a été divisé par trois, voire par cinq, depuis la sortie du confinement. Il importe que l'Éducation nationale fasse en sorte de donner des moyens aux enseignants de travailler. À défaut de fournir les masques gratuitement, il est impératif qu'elle assure la logistique de leur approvisionnement.

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Vous avez évoqué des contrastes entre collectivités locales et nationales. Ces contrastes sont-ils importants ?

Nous avons rencontré un gros problème dans le domaine périscolaire parce les communes imposaient des freins ou faisaient preuve d'un excès de zèle. L'interprétation du protocole est complexe parce qu'elle laisse place à la subjectivité du plus frileux ou du plus téméraire, et parce que les limites du risque ne sont pas clairement définies en fonction des cas particuliers. Disposez-vous d'éléments nationaux relatifs aux différentiels constatés au niveau national ?

S'agissant de la manière de considérer les jeunes et de les traiter comme leurs parents, j'ai le sentiment qu'il existe une égalité absolue entre ces jeunes et leurs parents. Je me souviens de réflexions émises par des jeunes élèves du collège REP+ Stendhal à Toulouse. Ils disaient que, le matin, au réveil et au petit-déjeuner, tous les membres de la famille ont tous devant les yeux exactement le même bandeau qui défile sur des chaînes d'information continue et qui se révèle ravageur quand surviennent des évènements aussi terribles que l'assassinat de Samuel Paty. Les jeunes apprennent ces nouvelles au petit-déjeuner via des chaînes d'information qui sont allumées toute la journée. Heureusement que des êtres humains maintiennent une proximité physique avec les jeunes, parce que c'est ce qu'ils réclament.

Dans un passé assez récent, j'ai produit un rapport relatif à la prévention de la radicalisation à l'école. Nous évoquions la prévention : nous ne travaillions ni sur la stigmatisation, ni sur la répression. Les jeunes sollicitaient un rapport direct avec un adulte facile d'accès au sein de l'établissement. C'est la raison pour laquelle j'ai précédemment évoqué les surveillants. Vous évoquiez vous-mêmes cette proximité dans les temps de trajet, dans des activités qui se déroulent à l'air libre ou dans un espace moins contraint. Ce sont des solutions simples qui constituent cet arsenal auquel il convient de se référer sans cesse, bien que ce soit simple – trop simple peut-être. C'était mon petit « coup de gueule » d'ancienne journaliste qui va le redevenir, par rapport aux dégâts générés par ce déroulé totalement sinistré et qui plonge les enfants dans la sinistrose. S'ils ne vous en parlent pas, à vous, je me demande à qui ils pourraient en parler.

Ce thème me semblait important dans nos façons de travailler en conjuguant nos efforts.

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François Pelletier, représentant du Syndicat Solidaires jeunesse et sports (SJS)

Je pense que l'Éducation nationale a un rôle important à jouer – tout comme les associations sportives et d'éducation populaire, qui constituent de formidables vecteurs de socialisation et permettent de prévenir des situations encore plus dramatiques. Je pense que c'est vraiment un point extrêmement important.

Je reviens sur le sujet de la stigmatisation, évoqué par M. Pierre Mourot, pour rappeler que les jeunes se sont très fortement mobilisés pendant toute la période du confinement, par l'intermédiaire des professionnels, des collectivités territoriales ou des associations, sur des actions de solidarité. Effectivement, il s'avère parfois un peu complexe pour eux de se sentir stigmatisés alors qu'ils produisent beaucoup d'efforts.

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Il existe un frein presque sociétal à la confiance accordée aux jeunes dans un tel mouvement de solidarité, d'envie d'être collectifs, de participer à l'effort, parce qu'ils savent très bien qu'ils vont pouvoir aider leurs pairs. La situation sollicitait de l'engagement et ils se sont engagés. Finalement, structurellement, cela s'avère complexe pour eux. Les associations ne jouent pas obligatoirement le jeu parce qu'elles souhaitent avoir affaire à des professionnels de leurs activités. Ce frein n'est pas en adéquation avec le temps du jeune. Si les universités attendent que les bars ouvrent pour recruter de nouveaux bénévoles, la démarche sera vaine. Il importe de profiter de ces périodes de crise collective nationale et de temps d'arrêt pour réussir à capter ce formidable élan que produit un jeune engagé.

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Perrine Prost, déléguée nationale pour le Syndicat des enseignants-UNSA

Je voudrais rebondir sur la question des gymnases. Il est vraiment très important de rappeler que, tout comme le temps scolaire, l'EPS est obligatoire et nécessite de disposer des gymnases à proximité. Les gymnases existants sont parfois inaccessibles. Le temps d'association sportive qui se déroule en périscolaire nous permet de côtoyer des élèves qui ne sont pas forcément dans nos classes. C'est un temps qui est important.

Par ailleurs, en EPS, on apprend la gestion du risque. Le risque existera toujours et nul ne pourra vivre sans risque.

Enfin, je pense qu'il est important d'expliquer les raisons pour lesquelles l'EPS doit être maintenue à l'école dans le contexte actuel, alors qu'il est interdit de pratiquer un sport fédéral. Lors du précédent confinement, la situation était inversée. Les sports collectifs étaient interdits en EPS, mais autorisés en pratique fédérale. Cet état de fait nécessite des explications à destination des élèves, mais également des parents. Certaines collectivités locales ont interdit leurs installations à tout le monde. L'accès des scolaires aux gymnases s'est alors avéré complexe et a nécessité de longues explications.

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Cécile Rossart

Nous avons en effet constaté de forts contrastes entre les collectivités, probablement liés aux infrastructures et aux effectifs mobilisables pour entretenir les locaux et les matériels.

Le protocole a été transmis très tardivement. Il impliquait des collectivités alors qu'elles ne semblaient pas avoir été informées qu'elles devraient ouvrir leurs installations aux scolaires dans les deux jours qui suivaient. Les délais de mobilisation des équipes étaient très courts et la situation était complexe pour les collectivités.

L'EPS joue en effet un rôle important dans les échanges. Nous avons vu émerger des activités de plein-air et ce n'est peut-être pas anodin parce qu'elles facilitent le dialogue. Des professeurs ont organisé des balades et des randonnées. Ces activités ont ménagé des espaces et des temps précieux pour les échanges. Cela ne signifie pas qu'il faut se promener toute l'année, sans objectif d'apprentissage. Les activités d'expression se sont également intensifiées. Nous animons aussi des ateliers de théâtre. Les élèves sont revenus et nous avons enregistré des inscriptions. Ce sont des lieux que les élèves choisissent et où ils se sentent en confiance avec un adulte. Ce constat mériterait une réflexion.

Le protocole n'est pas suffisamment précis. Nous nous interrogeons notamment quant au maintien de l'activité sportive qui se déroule en groupes brassés. Nous avons choisi de considérer qu'il s'agit d'un groupe identifié, ce qui nous permet de tracer des élèves puisque nous procédons à un appel. En regard des enjeux sanitaires et psychologiques que vous évoquiez, la préservation de ce lien est importante parce que les élèves s'y retrouvent avec des copains qui ne sont pas forcément de leur classe, avec un professeur qu'ils côtoient alors dans des conditions différentes. Ce sont des espaces temps qu'il convient de préserver parce que les professeurs d'EPS sont en lien direct avec la communauté éducative, ce qui leur permet de relier d'éventuels évènements qui pourraient survenir.

L'avenir proche ne sera pas simplifié par le port du masque ou le respect des distanciations sociales. Nous ferons en sorte de nous adapter.

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N'hésitez pas à nous envoyer vos préconisations que nous pourrions reporter à nouveau dans le débat. Il importe de mettre certaines situations en évidence, à travers le prisme de la peur, de la santé, etc. Cela permet de générer des prises de conscience. Vous nous avez ouvert les yeux sur des évidences, telles que la promenade, qui avaient été balayées depuis un certain temps et qui autorisent pourtant un accès à la nature, un accès à l'espace. L'espace du jeune est devenu impressionnant.

Nous sommes très désireux que, d'ici à la clôture de notre commission d'enquête, vous puissiez contribuer davantage à nos travaux en nous soumettant des exemples incarnés, des exemples qui parlent et que nous pourrions intégrer à notre rapport. Je vous remercie.

L'audition s'achève à douze heures trente.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 11 heures 15

Présentes. – Mme Marie-George Buffet, Mme Sandrine Mörch