Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 15h15

Résumé de la réunion

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  • confinement
  • hébergement
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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 5 novembre 2020

La séance est ouverte à quinze heures vingt-cinq.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Nous reprenons nos auditions, et nous accueillons M. Sébastien Lyon, directeur d'Unicef France. Nous vous remercions de venir apporter votre éclairage sur les conséquences de la crise sanitaire sur les enfants et les jeunes, ainsi que sur les actions menées par l'Unicef en France et à l'international.

Plusieurs des personnes que nous avons auditionnées ont relevé que les enfants et leurs droits devraient être davantage pris en compte par nos politiques publiques. Ce point revient très fréquemment, et je pense qu'il ressortira dans notre rapport. De même, les jeunes ont été très peu pris en considération dans la gestion de la crise sanitaire en France, si ce n'est au début de l'épidémie, pour pointer leur rôle de vecteur, ce qui s'est finalement avéré inexact.

Nous souhaiterions avoir votre appréciation sur la prise en compte des droits de l'enfant, au regard notamment des principes et obligations consacrés par la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989, dans la gestion de la crise sanitaire en France et à l'international.

Nous souhaiterions par ailleurs vous entendre sur les conséquences de la pandémie sur la santé physique et mentale des enfants, sur les violences dont ils peuvent être victimes, sur la continuité éducative dont ils peuvent bénéficier, ou qui a été finalement interrompue, entraînant des dégâts collatéraux à plus long terme. De même, qu'en est-il de leur environnement familial ? Les effets de la crise économique sur la précarité des familles ont une incidence directe sur les enfants.

L'Unicef a également travaillé sur les effets de la crise sur les jeunes les plus vulnérables, qu'il s'agisse des jeunes en situation de handicap, des jeunes relevant de la protection de l'enfance, ou encore des mineurs isolés. Nous sommes également inquiets de l'impact de la crise sanitaire dans d'autres pays, moins favorisés que le nôtre. Notre presse s'étant exclusivement centrée sur la France, très peu de nouvelles nous parviennent. On finit ainsi par oublier que le statut d'enfants dans une crise comme celle-ci peut être terriblement meurtrier.

L'Unicef a alerté sur la forte hausse de la malnutrition résultant de la crise du Covid-19. Elle provoque une augmentation des décès d'enfants, estimés à dix mille par mois, dont la moitié en Afrique subsaharienne. Cela n'est pourtant presque pas évoqué. L'Unicef met également en garde contre la menace que représente l'épidémie pour les filles, qui met en péril leur protection, fait reculer leur scolarisation, et a des conséquences sur leur santé.

Nous aimerions que vous nous détailliez ces nouvelles pistes que fait émerger la crise. Ces sujets sont cruciaux, car l'enfance est aujourd'hui internationale. Elle nous concerne et nous concernera.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de prêter serment.

(M. Sébastien Lyon prête serment)

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Sébastien Lyon, directeur d'Unicef France

Je vous remercie d'entendre aujourd'hui l'Unicef. Nous regrettons souvent que l'enfant ne soit pas traité à part entière dans ses différentes dimensions dans le cadre de l'élaboration des politiques publiques. Cette commission d'enquête est à nos yeux un signal très positif de l'attention portée à la problématique de l'enfance.

L'Unicef est une organisation internationale des Nations unies, présente dans cent quatre-vingt-dix pays, dont l'immense majorité a été confrontée à la pandémie de Covid-19. Unicef France, mais également la plupart de nos collègues partout dans le monde, s'est mis en ordre de bataille pour traiter cette crise dans les différentes dimensions qu'elle portait envers les enfants.

Évidemment, l'Unicef est habitué à œuvrer dans des contextes de crise. C'est notre quotidien, et nous jouissons d'une certaine expertise de la prise en charge d'enfants dans des périodes de pandémie. Nos travaux sur l'épidémie d'Ebola récemment, ou sur la poliomyélite par le passé, font de nous un acteur clé dans la prise en charge des pandémies en général.

L'Unicef a mobilisé dans tous les pays l'ensemble de ses secteurs d'activité, puisque son mandat l'engage à considérer l'enfant dans ses différentes dimensions. Nous avons été amenés à développer des actions dans le domaine de l'éducation, de la protection, de la santé, de l'hygiène et de la nutrition, avec une prise en charge adaptée au contexte de chaque pays.

Quand nous sommes confrontés à une urgence, nous émettons habituellement un appel humanitaire pour les enfants, qui résume l'ensemble des besoins dans le cadre d'une crise. La pandémie de Covid-19 a donné lieu au plus important appel jamais émis par l'Unicef, et le montant total des besoins supplémentaires émis au niveau mondial atteignait 2 milliards de dollars. Pour mettre cette somme en perspective, je rappelle que le budget annuel de l'Unicef s'élève à 6 milliards de dollars. Cette crise a ainsi généré des besoins supérieurs d'environ un tiers à notre budget de fonctionnement habituel.

En France, l'Unicef a une mission de trois ordres. Nous devons collecter des fonds pour mettre en place des programmes de soutien aux enfants partout dans le monde. Nous devons également sensibiliser le grand public aux enjeux des enfants et de la Convention des droits de l'enfant. Nous devons enfin mener une mission de plaidoyer.

En raison de ces différentes missions, nous nous sommes penchés sur de nombreux sujets depuis le début de la crise sanitaire. Nous avons tenté d'intervenir à plusieurs niveaux. Nous menons souvent notre plaidoyer en collaboration avec des associations présentes sur le terrain, avec qui nous avons des relations pérennes.

Ce qui nous a le plus frappés dans le cadre de cette crise, c'est qu'elle a agi comme un puissant révélateur de lacunes et de faiblesses préexistantes. Elle frappe plus durement les plus défavorisés, tant sur le plan sanitaire qu'économique. Vous l'avez dit en introduction, les enfants ne sont pas des victimes directes du Covid-19, mais ils en sont souvent les victimes indirectes, collatérales, en raison des conséquences des mesures de confinement. Nous vous préciserons notre point de vue en la matière.

Avant d'aborder chaque thématique, je vous livrerai un certain nombre de constats et de recommandations. Nous souhaitons aujourd'hui mettre en avant trois sujets, et vous les avez cités en introduction, en commençant par les enjeux autour de l'éducation, et notamment de la continuité éducative. J'évoquerai également l'accès aux services de base, en particulier pour les familles dans les situations les plus précaires. Enfin, et c'est pour nous l'enjeu principal, je parlerai des enjeux de protection, notamment en ce qui concerne les violences faites aux enfants, en particulier le contexte domestique, avec un focus spécifique sur la question des mineurs non accompagnés.

Nous n'avons malheureusement pas d'accès privilégié aux données relatives à l'action publique. Nos analyses et recommandations se heurtent ainsi parfois au manque de données disponibles. Cela représente également un obstacle à la mise en place de politiques publiques efficaces pour les enfants

Des inégalités scolaires préexistaient à la crise sanitaire, et elles se sont exprimées avec plus de force encore avec la fermeture des établissements. Nous saluons la volonté exprimée par le Gouvernement pendant le confinement de concentrer ses efforts pour lutter contre les inégalités, et favoriser la continuité éducative des enfants les plus vulnérables. Il s'agit d'un premier pas intéressant, mais il est vrai que ces mesures ont ensuite été principalement destinées aux élèves des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et des cités éducatives. Or nous avons constaté qu'au-delà de ces territoires ciblés, les enfants et des jeunes en situation de grande précarité, qui vivent dans des bidonvilles, des squats, des hôtels sociaux, des hébergements d'urgence et d'insertion, ou dans des structures de protection de l'enfance, sont également exposés à des difficultés importantes et à des risques accrus de décrochage, alors même que leur relation à l'école est essentielle.

Les élèves et les familles les plus précaires ne disposent pas du matériel et des outils numériques nécessaires en période de confinement. Par ailleurs, avant même de vouloir assurer une continuité pédagogique, il est essentiel de maintenir le contact avec les enfants, les jeunes, et leurs familles.

La situation de l'outre-mer nous a paru particulièrement préoccupante, avec des taux de décrochage estimés dans les différents territoires entre 15 % et 25 %. Ces niveaux apparaissent très élevés, et sont bien supérieurs à ceux observés en métropole. Je rappelle là aussi que ces difficultés étaient préexistantes.

Il convient également de souligner l'impact positif de toutes les initiatives locales. Beaucoup d'initiatives dans les communes et dans des territoires ont facilité la médiation éducative. Nous avons eu l'occasion de mener des actions de soutien téléphonique auprès des enfants les plus éloignés de l'école, en collaboration avec des établissements ou avec des mairies. Je citerai également des coopérations entre enseignants, travailleurs sociaux, et bénévoles, pour apporter aux enfants des devoirs en format papier, par exemple. De même, des communes et des associations se sont mobilisées pour fournir du matériel informatique.

Je vous ferai part maintenant de recommandations que nous avons adressées par courrier au ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse pendant le confinement. Il convient tout d'abord de s'assurer qu'en cas de crise, les mesures destinées aux quartiers prioritaires, à la protection de l'enfance et aux centres d'hébergement bénéficient effectivement à l'ensemble des enfants et des familles en grande précarité, y compris aux jeunes en bidonvilles, en squats, en accueils sociaux, etc.

La crise sanitaire nous a montré que l'outil numérique est un élément essentiel pour garantir l'effectivité du droit à l'éducation. L'investissement de l'État dans l'égalité numérique doit ainsi permettre à tous les enfants et à tous les jeunes d'être équipés et de disposer d'une connexion à internet. Le plan numérique, expérimenté cette année dans plusieurs départements, va dans ce sens. Nous estimons qu'il devrait être évalué et généralisé au plus vite à tous les départements français.

En outre-mer, une attention particulière doit également être portée aux situations de décrochage. Enfin, l'accompagnement vers et dans l'école, qui existe déjà dans certains territoires à travers des projets de médiation scolaire, est un levier essentiel à la construction d'une relation de confiance entre les enfants, les familles et l'institution scolaire. La médiation scolaire, telle qu'elle a été développée cette année par le Gouvernement dans les squats et les bidonvilles, a fait ses preuves. Elle doit encore être renforcée dans la durée, et élargie à tous les enfants et à tous les jeunes qui en ont besoin, quel que soit leur lieu de vie.

L'épidémie de Covid-19 et ses conséquences vont étendre et renforcer durablement la pauvreté et la précarité des enfants, dans le monde, mais également en France. Nous nous sommes mobilisés de longue date sur les enjeux de pauvreté, dans son acception multidimensionnelle, et en faveur des enfants vivant en habitat précaire en particulier. Plusieurs associations avec qui nous travaillons, comme la fédération des acteurs de la solidarité (FAS), ou encore Romeurope, pourraient tout à fait être entendues par votre commission.

Ce sont dans les squats et les bidonvilles que se trouvent les situations de plus grande précarité. Le confinement a très certainement accentué cet état de fait. Le manque d'accès à l'information sur les conditions du confinement, mais aussi à des services de base, et aux droits fondamentaux des familles a été remis en question par la crise.

Celle-ci a ainsi mis en lumière des besoins criants en termes d'accès aux services de base, tels que l'accès à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement. Unicef France s'est mobilisé, en mettant en œuvre des actions de terrain en partenariat avec Action contre la faim, par exemple, pour permettre un accès à l'eau et à l'hygiène, et renforcer la protection des familles vivant en habitat précaire.

La crise sanitaire a aussi montré qu'être sans-abri n'était pas une fatalité, grâce à des mesures volontaristes. L'ouverture de places d'hébergement supplémentaires dès le début de l'épidémie, dans la continuité de la mise à l'abri à la fin de l'état d'urgence sanitaire, a eu des résultats probants. Par exemple, le baromètre que nous avons publié avec la FAS le 17 septembre dernier concerne les demandes d'hébergement des familles à la veille de la rentrée scolaire. Il s'appuie sur les statistiques des appels au SAMU social, et souligne deux tendances.

Tout d'abord, le nombre de demandes d'hébergement ne recevant pas de réponse positive a diminué par rapport à l'année dernière, en raison notamment de l'ouverture de places supplémentaires pendant le confinement. Cette diminution est de 31 % sur le sol français, hors Paris. Malheureusement, le taux de refus pour absence de places pour les familles reste élevé. Il atteint 44 % en dehors de Paris, et 93 % à Paris. La veille de la rentrée, plus de mille quatre cents enfants ont ainsi vu leur demande d'hébergement refusée par le SAMU social. Cela prouve que l'ensemble des besoins n'était à nouveau plus couvert après le confinement.

L'un des enjeux importants révélés par la crise a été l'installation de points d'eau et de sanitaires dans tous les lieux de vie informels, pour éviter la propagation du virus. Il est également nécessaire de prévoir des solutions de chauffage, de raccordement à l'électricité, de fourniture de convecteurs, ainsi que la distribution de chèques services. Il faut garantir un moratoire durable sur les expulsions des bidonvilles et des squats en l'absence de solutions de relogement pérennes et adaptées, en donnant l'instruction claire aux préfets de ne procéder à aucune expulsion pendant toute la durée de la crise. Ce sont autant d'enjeux clés pour répondre à l'urgence.

Je vous présenterai maintenant quelques recommandations de moyen terme, que nous formulions déjà avant la pandémie. La crise sanitaire s'installe dans la durée. Nous en sommes tous conscients, et Unicef France recommande de sortir dès maintenant de la gestion de l'urgence. Il s'agit d'augmenter les moyens investis pour accélérer la résorption des bidonvilles, et permettre l'accélération de l'insertion des familles, en mettant prioritairement l'accent sur l'accès au logement, même pour les personnes sans droit de séjour.

Créer des logements sociaux et régulariser les familles sans-papiers hébergées, afin qu'elles puissent sortir du système de l'hébergement et accéder au logement plus facilement, constituent des enjeux clé. Dans l'intervalle, il convient de créer les places d'hébergement adaptées à l'accueil. Enfin, il faut également convaincre les acteurs tels que les communes que l'accès aux services de base n'est pas un frein, mais un accélérateur de l'insertion.

Mon dernier point portera sur la protection des enfants, et j'évoquerai notamment la situation des mineurs non accompagnés. Nous avons eu l'occasion de faire part à l'exécutif dès le début de la crise, et en lien avec des associations de terrain, des ruptures de droit rencontrées par les mineurs isolés. Nous avons également constaté la faiblesse des mécanismes de remontée d'informations, notamment des départements vers les ministères.

Le 6 avril 2020, pendant le premier confinement, avec trente-cinq autres organisations et quatre-vingt-huit avocats d'enfants, nous avons adressé un courrier au Premier ministre, qui n'a cependant pas reçu de réponse. Il alertait notamment sur les différents obstacles rencontrés dans l'accès à une protection effective pour les mineurs isolés. Ceux-ci existaient avant la crise sanitaire, et se sont accentués pendant la première vague, et jusqu'à aujourd'hui. Les mesures prises les premières semaines et les recommandations adressées aux conseils départementaux n'ont malheureusement pas suffi à préserver tous les enfants de la rue lors des différentes étapes de leur parcours.

Nous recommandons ainsi de rappeler l'obligation de la mise en œuvre de l'accueil provisoire d'urgence aux départements. De même, pendant le reconfinement, la continuité de l'accès au juge des enfants et au juge des tutelles doit être assurée, de même que la protection provisoire des jeunes en attente d'une décision d'expertise complémentaire. Des instructions claires doivent être envoyées aux procureurs, afin qu'ils prennent des ordonnances de placement provisoire lorsqu'ils sont avisés par un département de l'accueil provisoire d'un mineur.

De façon plus globale, hors période de crise, nous appelons à ce que cette séquence amène à une véritable réflexion autour de l'instauration d'un droit au recours effectif, et du maintien des jeunes dans le dispositif de protection de l'enfance jusqu'à une décision de justice définitive.

En ce qui concerne les violences faites aux enfants, nous constatons que tant ceux-ci que les adultes connaissent mal le rôle et les missions du service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger (SNATED). Nous avons été amenés à collaborer étroitement avec le secrétaire d'État au début du confinement, et nous avons pu constater sa réactivité. Nous la saluons, car il a réellement fait de cette question une priorité.

En collaboration avec d'autres associations, des acteurs de terrain, et les pouvoirs publics, nous avons décidé de cibler précisément les enfants entre 10 ans et 18 ans. Nous avons ainsi mené une campagne sur toutes sortes de canaux, en essayant autant que faire se peut de nous adresser aux enfants directement, en utilisant leurs codes et leurs mots. Nous avons donc expliqué ce que sont les violences faites aux enfants, en utilisant les réseaux sociaux sur lesquels ils sont les plus présents, afin de les sensibiliser et de rappeler l'existence du SNATED.

UNICEF France a formulé plusieurs propositions dans le cadre des assises des violences faites aux enfants. Nous estimons que la poursuite de la sensibilisation auprès du grand public est essentielle. La campagne que nous avons menée pendant le confinement a eu des résultats positifs. Il convient ainsi de mieux s'adapter aux différents publics, pour sensibiliser les enfants eux-mêmes. Une très grande majorité des appels que reçoit le SNATED sont le fait d'adultes, même si la part de ceux passés par des mineurs a légèrement augmenté, passant pendant le confinement de 17 % à 22 %.

Les enfants eux-mêmes sont cependant encore assez peu sensibilisés à la problématique des violences, et à l'existence de ce numéro d'appel. Il convient ainsi de déployer, autant que faire se peut, une communication plus harmonisée entre les pouvoirs publics et la société civile. De bonnes actions ont été menées pendant le confinement, mais nous aurions pu encore mieux coordonner nos efforts, et nous appelons de nos vœux une communication plus harmonisée dans les mois et les semaines qui viennent.

Par ailleurs, des questions concernant le suivi de signalements ont émergé. Le nombre d'appels reçus par le SNATED a augmenté, ce dont nous pouvons nous féliciter, parce que nous avons milité pour que ce numéro soit plus connu. Pourtant, il n'y a pas eu davantage d'ordonnances de placement provisoire (OPP). Moins d'une centaine d'enfants a été placée suite aux signalements. En outre, nous savons mal si les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) disposaient des moyens de suivre une activité renforcée, et quels avaient été leurs difficultés et leurs besoins. Nous disposons de trop peu d'information pour l'analyser, et formuler des recommandations. De même, nous n'avons que peu d'informations spécifiquement sur l'outre-mer.

Le confinement, au-delà des violences, a eu également un impact sur la santé mentale des adultes comme des enfants. La pénurie de professionnels, de psychologues et de psychiatres formés pour travailler auprès des enfants pose un véritable problème.

En conclusion, je vous signale simplement que l'Unicef publiera dans les premiers jours de décembre un rapport issu de notre centre de recherche, Innocenti. Il portera sur la protection sociale des familles et des enfants dans les pays à revenus élevés. Il se propose notamment d'analyser les plans de relance économique et leur impact sur les familles.

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Beaucoup des personnes que nous avons auditionnées nous ont fait part d'un constat identique au vôtre, quant à l'absence des droits de l'enfant dans beaucoup de politiques publiques. L'enfant est traité à travers l'Éducation nationale, mais non dans toutes ses dimensions que sont sa place dans la famille, son épanouissement personnel, son accès à la culture, à la santé, etc.

Je pense qu'il est très important que nous les abordions, et je suis d'accord avec vous sur la question de l'accès aux données. Mme la présidente le souligne souvent, nous ne disposons pas d'assez de données chiffrées pour dresser un constat exact de la situation des enfants dans notre pays.

Nous avons eu connaissance de beaucoup de témoignages, portant sur l'éducation et la continuité pédagogique, à la fois d'enseignants, de parents d'élèves ou d'associations de jeunes. Les inégalités existantes ont été approfondies par toute une série de problèmes, à commencer par l'outil numérique, même si des réponses ont tout de même été apportées dans certains endroits par les départements et les associations. Il faut aussi souligner que certaines familles n'ont pas l'habitude d'utiliser les outils numériques. Elles étaient ainsi dans l'incapacité d'aider et d'accompagner leurs enfants pour les enseignements en visioconférence.

Il convient donc à la fois de fournir ces outils numériques et de les unifier. Néanmoins, n'est-il pas également nécessaire de créer un nouveau rapport entre l'Éducation nationale et les parents d'élèves pour que ceux-ci soient peu à peu associés à un apprentissage du numérique en cas de nouveau confinement ?

Ma deuxième question porte sur les hébergements. Pendant le premier confinement, les familles ont été hébergées dans ce qu'on appelle les hôtels du 115. Les familles ne peuvent y préparer la nourriture, ce qui pose des problèmes de malnutrition, mais également de coût. Il est en effet plus coûteux d'acheter des plats préparés. Enfin, être entassé dans une chambre, ou parfois dans deux chambres, ne permet pas d'offrir aux enfants les conditions nécessaires pour travailler et poursuivre leurs études.

Pensez-vous qu'il faille encore accepter cette forme d'hébergement dans les hôtels ? Ne serait-il pas possible de développer une politique de centres d'hébergement pour les familles, qui après un temps d'hébergement limité, pourraient déboucher sur l'accès au logement social ? Notre politique d'hébergement devrait être construite pour le bien-être des familles, des enfants, et des jeunes.

À la suite des auditions des associations de défense des enfants, il nous apparaissait peut-être nécessaire, avec Mme la présidente, d'inscrire dans tous les livrets scolaires une information accessible aux enfants sur le SNATED. Il serait également possible d'inventer d'autres moyens pour les informer directement de l'existence de ce numéro.

Les ordonnances de mars et de mai 2020 ont entraîné des prorogations d'office sans audition de mesures de placement, ou de mesures éducatives. S'agit-il d'un abus par rapport aux droits de l'enfant ?

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Sébastien Lyon, directeur d'Unicef France

Je partage vos propos sur la continuité pédagogique et l'accès au numérique. Nous faisons également le constat que les usages du numérique dans l'Éducation nationale sont encore trop peu développés. Il existe plusieurs problèmes, à commencer par l'accès au matériel lui-même. De superbes initiatives sont à noter, comme le plan numérique, bien sûr, mais certaines émanent également d'associations. Je pense notamment à un projet que nous avons soutenu financièrement avec nos partenaires : le projet Emmaüs Connect. Il visait à fournir du matériel et son mode d'emploi, pour que des jeunes, et en particulier les plus précaires et les plus éloignés de l'école, puissent avoir accès à des outils numériques et continuer à suivre les cours dispensés à distance par les enseignants.

Il existe également un problème lié aux usages et à la formation. Il convient de renforcer la sensibilisation des enseignants et des parents aux usages du numérique, et de numériser un certain nombre de pratiques et de mécanismes déjà existants dans l'Éducation nationale sur le long terme, pour éviter de nous retrouver dans la situation difficile dans laquelle nous étions. Il faut également sensibiliser les parents, car il a existé de nombreuses incompréhensions. Dans les familles les plus précaires, c'étaient du reste souvent eux qui avaient le plus de mal à se mettre au numérique, les enfants étant avant tout empêchés par des problèmes de matériel. Il est vrai que les enfants avaient du mal à suivre.

Nous avons constaté que pour les familles dont les enfants avaient disparu des radars de l'Éducation nationale, la principale difficulté était posée par les parents, qui ne voyaient pas comment placer leurs enfants face aux cours, que les professeurs transmettaient parfois à un rythme assez soutenu. Cela constituait une source de stress pour eux. Ils ne voyaient pas par quel bout prendre le problème. Sensibiliser les familles et les parents aux usages du numérique est ainsi sans doute une très bonne piste.

Je rejoins également votre constat sur les hôtels du 115. Nous devons tendre vers des solutions pérennes de logement, comme le logement social. En attendant l'accès à un logement durable, il convient à tout le moins de proposer des solutions moins précaires que les hôtels, par exemple les centres d'hébergement. Nous avons constaté pendant la crise et le premier confinement que la mise à disposition de places supplémentaires a porté ses fruits. Il y a là une piste à explorer, et plus nous pourrons nous passer de cet hébergement très précaire qu'est l'hôtel, meilleure sera la situation des familles.

Je rejoins votre constat sur le SNATED. Plus nous pourrons donner aux enfants directement accès à l'information, mieux chacun se portera. Le livret scolaire peut être une piste.

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Jodie Soret, chargée de relations avec les pouvoirs publics d'Unicef France

Nous avions la volonté de nous adresser aux jeunes par tous les canaux. Pendant le confinement, les réseaux sociaux ont pris une place importante, mais nous avons aussi voulu travailler avec les différents acteurs, y compris publics. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes adressés à plusieurs régions, notamment la région Île-de-France, qui avait diffusé dans les transports le visuel que nous avions créé à l'intention des enfants. Nous savions en effet que certains enfants allaient prendre les transports en commun.

De même, avec la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, nous avons également travaillé sur un visuel, qui figure depuis la rentrée dans les carnets de correspondance des lycéens. Ce type d'actions fonctionne bien. Je tiens à souligner que les régions ont été tout de suite très volontaires. Nous avions également d'autres pistes.

Les états généraux des violences faites aux enfants, annoncés par M. Adrien Taquet, vont visiblement être repoussés en raison du nouveau confinement. Pour autant, je pense que nous devons travailler tous ensemble sur ce type de mesures, car il s'agit d'un sujet en grande partie consensuel. Il peut permettre une bonne coordination entre les différents acteurs.

Je souhaiterais également répondre à votre question sur la justice. En effet, il y a eu de vraies difficultés d'accès aux juges. Certaines décisions ont pu être prolongées sans que les parties aient été entendues. Cela pose question. Je pense que nous aurons besoin d'un peu plus de recul sur ce point, parce que nous ne disposons aujourd'hui que de peu de chiffres. Nous avons eu essentiellement des retours de la part des associations avec lesquelles nous travaillons.

Néanmoins, en juillet, le Défenseur des droits a adressé un avis à la garde des Sceaux, qui à l'époque était Mme Nicole Belloubet. Ce qu'il disait alors est toujours valable aujourd'hui, notamment sur la représentation des jeunes dans leurs liens avec la justice. Des progrès peuvent être faits en la matière, dans les périodes d'urgence comme sur le plus long terme.

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Je voudrais revenir sur la cinquième édition de la consultation nationale que vous avez lancée le 15 octobre dernier, et qui devrait se terminer le 1er mars 2021. Vous y associez des jeunes de 6 ans à 18 ans. Avez-vous d'ores et déjà un retour sur le niveau de participation de cette consultation ? De même, comment vous êtes-vous adapté à ce nouveau confinement, qui n'a pas dû simplifier les choses ? Je suis curieuse de connaître vos retours sur ce point, car à mes yeux, on ne consultera jamais assez les premiers intéressés, à savoir les enfants et les jeunes.

Ma deuxième question porte sur une étude de l'Unicef, dont les résultats ont été publiés le 22 septembre dernier, et qui porte sur le bien-être des enfants. Elle place la France en dix-huitième position en ce qui concerne la santé physique, et souligne le problème de l'obésité chez les jeunes de 15 ans à 19 ans. À regard du confinement actuel, qui risque d'être un accélérateur en la matière, quels seraient vos points d'alerte et vos recommandations ?

Enfin, vous avez évoqué la publication dans les prochaines semaines d'un rapport sur la protection sociale des enfants et des familles dans les pays à revenu élevé. On se doute que le nombre d'enfants pauvres risque d'augmenter sensiblement, malgré toutes les mesures prises par le Gouvernement, dans les mois voire les années à venir. Avez-vous engagé des analyses en la matière ? Pouvez-vous partager avec nous des éléments de prospective ?

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Sébastien Lyon, directeur d'Unicef France

Je suis ravi que notre consultation ait attiré votre attention. Il s'agit de sa cinquième édition, et elle s'adresse aux enfants de 6 ans à 18 ans. La période de consultation est assez large, pour la faire connaître le plus possible, et afin qu'un maximum d'enfants puissent participer. De vingt-cinq mille à trente mille enfants participaient en moyenne aux quatre précédentes éditions. Il s'agit d'un enjeu fort pour nous, en raison de l'absence de données que j'évoquais. Cela permet de connaître à une échelle significative les préoccupations des enfants et des jeunes.

Malheureusement, je n'ai pas encore de retour à vous communiquer. Nous publierons les résultats de cette consultation au printemps 2021. Ceux-ci sont importants, mais le processus pour y parvenir l'est tout autant. Le questionnaire est assez robuste, et comprend environ cent quarante questions. Il nous donne l'occasion d'animer des séquences pédagogiques, avec les structures éducatives, les enseignants et les intervenants divers du système éducatif, afin de sensibiliser les jeunes et les enfants, en même temps qu'ils remplissent le questionnaire.

Nous allons nous adapter à ce nouveau confinement. Une grande partie des questionnaires se remplissent en ligne. Mais il est vrai que nous perdons un peu l'opportunité de mener cette séquence pédagogique qui l'accompagne. Nous espérons cependant pouvoir la relancer en début d'année prochaine.

Nous n'avons pas assez de recul par rapport au confinement pour mesurer ses impacts sur la question de l'obésité des jeunes, évoquée par le rapport du centre Innocenti. Intuitivement, nous nous disons cependant que cette période a posé problème par rapport à cet enjeu de santé publique, qui est de plus en plus prégnant dans beaucoup de pays. La France est encore relativement préservée en la matière, mais elle se classe dix-huitième dans notre dernier classement sur la santé physique des adolescents. Il y a là un sujet de préoccupation, et pour l'Unicef à l'international, la problématique de l'obésité est en train de devenir une véritable problématique de santé publique.

Je vous renvoie à la lecture de notre rapport de 2019. Tous les ans, l'Unicef publie un rapport sur l'état de l'enfance dans le monde. Chaque année, nous nous concentrons sur un aspect particulier : sur le numérique il y a deux ans ; sur la malnutrition sous toutes ses formes l'année dernière. À propos de la malnutrition, on a souvent en tête les images des sous-nutritions les plus sévères, comme on en retrouve en Afrique subsaharienne, par exemple. Mais la malnutrition s'ancre aussi aujourd'hui dans les mauvaises pratiques alimentaires, qui conduisent à des situations d'obésité. Ce rapport nous amenait ainsi à considérer qu'à peu près un tiers des enfants aujourd'hui dans le monde sont en risque de malnutrition, qu'il s'agisse d'une sous-nutrition aiguë sévère, ou d'obésité.

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Jodie Soret, chargée de relations avec les pouvoirs publics d'Unicef France

Notre rapport sur la protection sociale des enfants et des familles dans les pays à revenu élevé sortira en décembre 2020. Il s'agit de se pencher sur les effets de la crise sur les enfants, et de faire des propositions pour essayer de limiter les effets de la crise économique qui s'ensuivra.

D'après les études dont dispose aujourd'hui le centre Innocenti, il est à peu près certain que la crise liée aux Covid-19 aura un impact plus important que la crise financière de 2008 et 2009, ce qui est assez inquiétant. La pauvreté économique des enfants va très probablement augmenter, y compris dans les pays les plus privilégiés. On estime qu'il faudra au moins cinq ans aux pays riches pour revenir à un niveau équivalent à celui d'avant-crise.

Ceux-ci ont d'ores et déjà dépensé des montants historiques pour y faire face. C'est l'un des enseignements de ce rapport. On estime qu'ils correspondent environ à 10 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Il s'agit d'une dépense très importante pour ces pays, visant à relancer leur économie suite au séisme qu'a provoqué le Covid-19 . Sur cette somme, 2,6 % ont été spécialement destinés aux enfants et à leurs familles. Ces montants apparaissent donc très faibles, alors que les trois quarts du total ont été consacrés à des plans de relance économique destinés aux entreprises. Il existe ainsi une sorte d'asymétrie. On évoque souvent le ruissellement pour ce type de politiques, mais il faudra absolument en suivre les effets. À ce stade, il n'est pas certain que ces sommes parviennent jusqu'aux familles.

C'est la raison pour laquelle l'Unicef recommande de cibler davantage les dépenses consenties. Beaucoup de pays sont en train de se reconfiner, et la crise économique sera encore plus violente. Aussi, si des mesures doivent encore être prises, l'Unicef plaidera fortement pour rééquilibrer la relance économique en faveur des dépenses de protection sociale. Le rapport, même s'il n'est pas encore sorti, conclura a priori que celles-ci devraient au moins atteindre 10 % du total pour avoir un véritable impact protecteur sur les familles.

Là aussi, si des politiques d'austérité sont envisagées dans le futur, il faudra absolument préserver les politiques familiales, parce que dans des pays fortement endettés, la question du remboursement des dettes des États n'est pas anodine. Il faudra le plus possible préserver les familles et, à l'heure actuelle, davantage les cibler.

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Pourriez-vous d'ores et déjà nous communiquer ces chiffres ? Pouvez-vous également nous en livrer la substance ? Certaines de vos conclusions pourraient figurer dans notre rapport, mais nous arrêtons nos auditions le 19 novembre. Pourriez-vous également nous transmettre le questionnaire de votre consultation ?

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Sébastien Lyon, directeur d'Unicef France

Tout à fait. Je vous ai communiqué le lien pour accéder à la version en ligne de la consultation, mais nous vous ferons également parvenir le questionnaire. Nous allons demander à nos collègues du centre de recherche de vous communiquer leurs conclusions, sans trop les dévoiler avant la sortie internationale du rapport, qui est prévue le 2 décembre.

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Elle pourra également se conjuguer avec la sortie de notre rapport.

Des associations comme la vôtre, ou comme Médecins sans frontières, que je connais mieux, connaissent parfaitement les gestions humanitaires d'urgence comme le confinement. Vous savez par exemple qu'il faut favoriser l'accès à l'eau et aux toilettes partout où c'est possible. Or deux mois après le début du confinement, il n'y avait ni l'un ni l'autre dans les bidonvilles français. Pourquoi n'y a-t-il pas davantage de liens entre ceux qui disposent des connaissances nécessaires – l'aide humanitaire d'urgence est au cœur de l'action des associations internationales – et l'État ?

Nos préfets s'y sont attelés, mais ne connaissaient pas ces situations d'urgence. Or nous étions dans une véritable pandémie, telle que vous les affrontez à l'international. Je me suis donc demandée pourquoi cet échange de bonne pratique n'avait pas eu lieu. Nous aurions bien eu besoin de votre science, par exemple pour déployer la chaîne alimentaire. Nous aurions ainsi gagné trois semaines.

Je voulais également préciser que les centres d'hébergement pour les familles, qui existent déjà en France, ont pu bien fonctionner pendant cette période de crise. En effet, ils étaient structurés pour ce faire. Ils disposaient d'éducateurs, et un travail social y était mené. La situation des enfants n'y est donc pas comparable à celle des enfants placés dans les hôtels sociaux. Dans certains endroits, une continuité scolaire a existé. Beaucoup de choses positives ont eu lieu de manière épisodique sur les habitats précaires et pour les enfants qui y vivent.

Le mérite de la crise, c'est de les avoir rendus beaucoup plus visibles qu'avant. Un intérêt leur est aujourd'hui porté. À travers la continuité alimentaire, il y a également une continuité pédagogique. Nous avons une audition prévue sur cette question. Une mission avec le ministre de l'Éducation nationale devrait par ailleurs être lancée juste après celle-ci. Elle portera sur l'école pour tous, et concernera tous les enfants vivant dans les habitats précaires, dans les hôtels sociaux ou les squats.

Enfin, vous n'avez pas évoqué l'enfance à l'international. Il s'agit peut-être d'un parti pris de votre part, mais en tant qu'ancienne humanitaire internationale ayant travaillé sur des zones de guerre pendant des années, j'aurais voulu vous entendre sur ce point. Quel est l'impact de cette crise sur l'enfance dans le monde ? Je pense en effet que nous demeurons extrêmement bien lotis en France.

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Sébastien Lyon, directeur d'Unicef France

Nous avons eu du mal à faire exister ce sujet. Vous l'avez dit en introduction, l'attention médiatique était centrée sur la France. Nous avons publié beaucoup de choses, car nous avons eu accès à de nombreuses informations de nos collègues de différents pays. Les impacts de la crise apparaissent sans précédent. Des bureaux nous ont fait état d'un recul d'une dizaine, voire d'une vingtaine d'années dans l'accès à l'école, par exemple.

Nous avons beaucoup communiqué sur la fermeture des écoles. Cette situation est sans précédent dans l'histoire de l'humanité, avec un milliard six cents millions d'enfants qui n'avaient pas accès à l'école simultanément. Cette situation a des impacts. Aujourd'hui, six cents millions d'enfants ne sont toujours pas à l'école, et certains pays ont d'immenses difficultés à relancer leur système éducatif après l'avoir fermé. Je pense notamment à tous les pays d'Afrique subsaharienne.

Je discutais par exemple avec nos collègues du Sénégal il y a peu, et la remise en marche du système éducatif dans ce pays est extrêmement compliquée pour de nombreuses raisons. Les familles ont dû mettre en place des mécanismes de résilience qui n'incluaient pas le fait d'envoyer les enfants à l'école. Il y a eu une résurgence du travail des enfants à très grande échelle.

Nous n'avons pas de statistiques pour l'instant, mais ce type d'informations nous remonte de beaucoup de pays. Les enfants ne vont pas à l'école, les revenus baissent pour tout le monde, et les adultes essaient de trouver des solutions palliatives pour continuer à en avoir, si modestes soient-ils. Les enfants ont ainsi souvent été mis fortement à contribution dans de nombreux pays.

D'autres difficultés nous ont été remontées par des bureaux sur le terrain. Les enseignants ne sont souvent plus disponibles pour reprendre l'école. Dans beaucoup de pays, ils ne sont pas originaires de la zone dans laquelle ils sont affectés. Ils sont donc repartis vers leurs villages, vers leur ville, et ne reviennent pas forcément. Le cumul de toutes ces difficultés fait que le système éducatif est très difficile à relancer.

On constate aussi que dans les endroits où l'école a rouvert, les taux de décrochage sont très significatifs. Les règles diffèrent largement selon les pays, mais là où la France connaît des taux de 5 % à 8 %, ceux de certains pays atteignent 25 %, 50 %, voire beaucoup plus. Le retard pris dans le domaine de l'éducation se fait sentir maintenant, et se fera sentir pour de nombreuses années. Il s'agit d'une très grosse préoccupation pour nous.

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Jodie Soret, chargée de relations avec les pouvoirs publics d'Unicef France

Nous avons constaté que la scolarité de nombreux enfants avait été complètement bouleversée. Se pose également la question de la pauvreté. Cent cinquante millions d'enfants supplémentaires vont tomber dans la pauvreté du fait des conséquences de l'épidémie. Ce chiffre est extrêmement important.

L'Unicef s'est évidemment très fortement mobilisé sur la question des enfants, y compris à l'international, et l'une de nos craintes est que les progrès accomplis ces dernières décennies soient complètement balayés. En effet, tous nos domaines d'actions, que ce soit la protection, l'éducation, la nutrition ou l'accès à l'eau, ont été bouleversés, avec parfois des conséquences inattendues. Je pense par exemple à la question des violences liées au genre. Le mariage des filles repart à la hausse, parce que quand les familles sont pauvres, qu'il n'y a plus d'école, et qu'il n'y a pas forcément d'avenir, marier sa fille peut apparaître comme une solution.

Je me permets de faire ici un parallèle avec les impacts du changement climatique sur les enfants, dont les conséquences seront comparables. Les crises ont systématiquement les mêmes effets. Je pense également aux difficultés d'accès à une alimentation adaptée pour les enfants, ou à des services de santé qui poursuivent normalement leurs activités. Des suivis de grossesse n'ont pas lieu, ou sont fortement impactés par le risque de contamination, et par une activité ralentie. Cela implique que des enfants meurent davantage dans leur première année.

Ce sont des conséquences que nous constatons très clairement sur le terrain. C'est la raison pour laquelle nous appelons à une vigilance particulière en ce qui concerne les montants et les programmes de l'aide publique française au développement, que ce soit dans la gestion des crises, mais aussi sur les enjeux de développement sur le plus long terme. Nous l'avons dit à plusieurs reprises dans le cadre de la préparation de la loi sur le développement, mais les enfants ne sont pas suffisamment ciblés dans le cadre de l'aide publique au développement. Des consolidations devront ainsi avoir lieu autrement, car des progrès de dizaines d'années vont être complètement remis en cause.

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Comment répondre à cela ? Dix mille enfants meurent par mois, dont la moitié en Afrique subsaharienne. On a l'impression de repartir quarante ans en arrière, avec les crises de l'Éthiopie et du Soudan. Quelle part de ce fardeau devons-nous prendre, comment prendre en compte plus globalement cette question ? La crise va-t-elle changer fondamentalement votre mission, avec cette nouvelle donne qui va séparer encore plus brutalement les pays riches des pays pauvres ?

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Sébastien Lyon, directeur d'Unicef France

Notre part de fardeau s'accroît clairement. Ces enjeux sont encore plus importants que par le passé. Je pense notamment à celui de la vaccination. Nous n'avons pas pu mener dans des dizaines de pays des campagnes de routine de vaccination, pour des maladies qui sont faciles à éviter, ou à tout le moins que nous savons bien traiter ou pour lesquelles les vaccins sont efficaces. Je pense à la rougeole, par exemple. Des dizaines de pays d'Afrique subsaharienne, d'Afrique de l'Est et d'Asie nous indiquent n'avoir pu mener ces campagnes de routine parce que le confinement les a privés des moyens et du personnel nécessaires.

Nous travaillons à relancer ces campagnes. De même, nous faisons en sorte d'être prêts, si un vaccin fiable contre le Covid-19 était découvert. Nous devons être préparés à aider tous les États, et en particulier les plus pauvres, à administrer ce vaccin.

Des dizaines de milliers de morts d'enfants évitables ont lieu chaque mois. Il s'agit pour nous de la plus grande priorité. Dans beaucoup des bureaux de terrains dans lesquels nous travaillons, nous constatons une réaffectation des investissements consacrés à des projets de long terme vers des projets urgents. Il s'agit d'une tendance de fond. La part des projets de développement par rapport aux programmes de gestion de l'urgence est en train de s'amenuiser. Je mentionnais tout à l'heure que cette crise a un impact financier très significatif. Elle nous oblige ainsi à redimensionner des programmes orientés sur du long terme vers des enjeux de court terme.

Tous les acteurs d'urgence ont été pris par surprise. Nous n'étions pas tous bien préparés à répondre à une urgence de cette ampleur sur le sol français. Un peu de temps a été nécessaire pour que nous nous mettions en place. Pour l'Unicef en particulier se pose une problématique de mandat en France. Nous sommes les représentants d'une organisation des Nations unies, et nous ne sommes donc pas une organisation non gouvernementale (ONG). À ce titre, nous ne pouvons pas intervenir sans un mandat clair.

Grâce à des échanges avec différents services, tels que la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) par exemple, nous avons cependant pu intervenir. Je mentionnais le programme que nous avons mis en place avec Action contre la faim. Il s'agissait d'une première pour nous sur le sol français. Nous n'avions jamais mené un tel programme, qui visait à distribuer des kits d'hygiène, comme nous le faisons quotidiennement en Afrique subsaharienne. Nous avons procédé à ces distributions en banlieue parisienne, ou encore à Marseille.

Ce programme nous a permis de toucher à peu près cinq mille cinq cents bénéficiaires, dont mille deux cents enfants. Soixante-seize actions de distribution et de sensibilisation aux gestes barrières ont été mises en place, pour des publics très éloignés de l'information. Nous avons réalisé quinze diagnostics des conditions d'accès à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement sur différents squats et bidonville. Ils ont donné lieu à des alertes auprès des autorités compétentes.

Je pense donc que nous avons mené des actions intéressantes pendant cette crise, mais pas de manière suffisamment rapide et massive. Il s'agit d'un point sur lequel nous aurons à cœur de travailler dans les prochains mois. Nous devons mieux nous préparer à des urgences futures, pour être prêts à nous déployer très rapidement. Je pense que c'est cela qui nous a manqué pendant cette crise.

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Il en va de même pour le travail interassociatif. L'État n'avait pas ce réflexe au départ, et toutes les régions se sont trouvées confrontées à cette question : comment faire aboutir une chaîne alimentaire rapidement et de manière organisée ? Comment faire aboutir une chaîne humanitaire pour l'hygiène ? Il était également possible d'inventer quelque chose en matière de chaîne humanitaire scolaire, avec davantage de liaisons, de souplesse d'organisation et d'écoute. Il s'agissait du premier confinement, et le deuxième sera sans doute beaucoup plus souple, mais j'espère que nous en aurons tiré toutes les leçons.

Néanmoins, pourquoi n'entend-on pas parler en France des dix mille morts d'enfants par mois, dont la moitié en Afrique subsaharienne ? Que pouvons-nous faire ? Quelles sont vos préconisations ?

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Sébastien Lyon, directeur d'Unicef France

Je partage votre constat. Nous avons du mal à rendre visible cette actualité. Nous publions pourtant ces informations, et nous émettons des communiqués de presse. L'Unicef jouit d'une certaine expertise en matière de communication autour du développement et de ses enjeux, mais l'attention médiatique a été exclusivement tournée vers la situation française pendant le premier confinement.

Nous constatons une certaine évolution. À partir du mois de mai, nous avons réussi à faire exister ces enjeux internationaux. Je peux également vous signaler, parce qu'il s'agit d'un bon indicateur, que la générosité de nos donateurs et des Français a été au rendez-vous pendant cette crise. Même si nous avons été amenés à intervenir sur la situation en France, nos donateurs nous connaissent principalement pour notre action à l'international. Nous avons ainsi bénéficié de la générosité du public. La crise sanitaire a généré un surplus de dons. Il s'agit d'un indicateur du fait que la situation internationale n'a pas complètement été passée sous silence, et que nous avons réussi à faire connaître un certain nombre de statistiques et d'enjeux au plus grand nombre. Nous aimerions parvenir à les rendre plus visibles, mais il n'existait que très peu d'espace médiatique pour parler d'autre chose que les principaux sujets.

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Si vous songez à d'autres leviers, n'hésitez pas à nous les proposer avant le 19 novembre.

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En ce qui concerne la couverture des questions internationales dans nos médias, notamment dans les médias audiovisuels, nous sommes en général très déficitaires, à part pour les élections américaines, que nous vivons seconde par seconde. Mais il est vrai que nous n'avons eu aucune information depuis le mois de mars sur l'étendue de la pandémie sur le continent africain, sur les réponses qui y sont apportées, sur les problèmes de scolarité ou sur la situation des filles.

La couverture de l'actualité internationale est vraiment déplorable. On ne peut que le constater, et cela nuit à une possible coopération, parce que mettre en avant ces dix mille morts obligerait les gouvernements occidentaux à se pencher sur les questions opérationnelles. Mais comme cette situation est passée sous silence, l'opinion publique ne s'en saisit pas. Aucun rapport de forces ne se crée.

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Il nous revient de le provoquer. Je pense notamment à l'expression que vous avez employée tout à l'heure, en parlant des dizaines de milliers de morts d'enfants évitables. Posons-nous la question pour nos propres enfants. Nous en parlerons dans le rapport, mais il est vrai que nous devons trouver d'autres leviers que l'intérêt des médias.

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Jodie Soret, chargée de relations avec les pouvoirs publics d'Unicef France

Nous n'avions pas nécessairement axé notre intervention sur l'international, mais nous pouvons vous communiquer après cette audition un certain nombre de statistiques. Nous soulignions que nous n'avions pas nécessairement accès à des données privilégiées en France, mais tel n'est pas le cas à l'international. Nous pouvons vous les adresser, en espérant que cela provoque une réaction, notamment sur la question des programmes bénéficiant aux enfants dans l'aide publique au développement. Nous appelons en effet à adopter cette approche par les droits de l'enfant.

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Je vous remercie pour vos contributions et vos préconisations.

L'audition s'achève à seize heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 15 heures 15

Présentes. – Mme Marie-George Buffet, Mme Sandrine Mörch, Mme Florence Provendier