Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 11h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PJJ
  • confinement
  • enfance
  • juridiction
  • placement
  • protection de l'enfance

La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 5 novembre 2020

La séance est ouverte à onze heures trente-cinq.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Nous terminons notre série d'auditions de ce matin, en entendant Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d'éducation. Nous souhaitons vous entendre sur les enjeux propres à la protection judiciaire de la jeunesse pendant la crise sanitaire, particulièrement pendant le confinement. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Madame Caubel, nous savons que vous avez été nommée il y a peu, mais espérons que vous pourrez malgré tout nous apporter des éléments rétrospectifs.

Nous voudrions tout d'abord que vous nous présentiez les mesures prises lors du confinement du printemps s'agissant du fonctionnement de la justice des mineurs, avec les ordonnances de mars, la prise en charge des jeunes dans les structures de placement en milieu ouvert, ainsi que le suivi des mineurs détenus, dans les quartiers pour mineurs des prisons pour adultes ou dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM).

Nous souhaiterions aussi bénéficier de vos éclairages sur la mise en œuvre de ces mesures pendant la crise, ainsi que sur les enseignements qui en ont été tirés. Lors de précédentes auditions, plusieurs personnes nous ont fait part de forts ralentissements de la justice des mineurs, malgré l'organisation des permanences dans les tribunaux, ce qui a eu de fortes conséquences sur la vie de ces jeunes. On nous a par exemple indiqué qu'il n'y avait pas eu de désignation d'administrateur ad hoc pendant le confinement ou que très peu d'enfants avaient été entendus dans des unités d'accueil médico-judiciaires, ce qui se traduit par un grand retard dans les auditions depuis la sortie du premier confinement. La presse a aussi fait état d'une diminution du nombre d'ordonnances de placement provisoires rendues par la justice et nous souhaitons que vous nous fournissiez des éléments sur ces points. La question des droits de visite et d'hébergement pour les enfants relevant de la protection de l'enfance a également été abordée à plusieurs reprises, pour déplorer leur suspension.

Je tiens également à vous donner la parole sur les choses positives que nous pouvons retirer de cette crise. Certains interlocuteurs nous ont ainsi indiqué que cette suspension des droits de visite avait pu être bénéfique pour certains enfants, ce qui soulève des questions plus larges sur l'accompagnement des enfants protégés. Nous souhaiterions que vous nous présentiez les dispositions prises dans le cadre du second confinement, instauré depuis le 30 octobre pour la protection judiciaire de l'enfance, et les éventuelles évolutions par rapport au premier confinement.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une Commission d'enquête de prêter serment et de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de jurer que vous allez nous dire la vérité et je vous donne la parole.

(Mme Charlotte Caubel prête serment)

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

Vous avez raison de rappeler que j'ai été nommée relativement récemment, mais que la persistance de cette crise sanitaire m'a rapidement mis au fait des sujets de prise en charge des mineurs dans ce contexte.

Dans nos propos, nous devrons distinguer la protection judiciaire civile, pour laquelle la PJJ a pu intervenir – notamment lors de l'élaboration des ordonnances prises pour adapter le fonctionnement des juridictions –, mais pour laquelle sa compétence est aujourd'hui relativement résiduelle, de la prise en charge par la PJJ des mineurs qu'elle accompagnait au moment de l'entrée en vigueur du confinement et d'une approche plus transversale des mineurs placés. Nous vous parlerons donc surtout de la prise en charge des mineurs au pénal.

Madame Botella vous rappellera l'ensemble des mesures prises depuis le début du confinement. Avant cela, je tenais à vous expliquer que nous avions fait un retour d'expérience de cette crise, grâce à une inspection conduite par l'inspection des services judiciaires sur le ministère de la Justice, au moment du confinement, de la crise et de la sortie de crise. Cette inspection a mis en valeur de nombreux éléments positifs, notamment la grande capacité d'adaptation des services de la PJJ, qui se sont relayés pour assurer la meilleure prise en charge des mineurs sous sa responsabilité au moment du confinement. L'inspection a relevé qu'il ne s'est pas avéré nécessaire d'utiliser les pouvoirs d'injonction de la Directrice pour inciter un éducateur à faire son travail et que la solidarité entre services a fonctionné. L'inspection a conclu qu'il fallait maintenir une certaine souplesse de l'administration centrale à l'égard du terrain et conserver pour ce dernier une capacité d'initiative et d'innovation.

Il convient de différencier les situations des juridictions et des services. Nous avions de notre côté les mineurs à notre charge, nous nous sommes adaptés. Les textes ont par ailleurs suspendu et prorogé des délais, tandis que les justiciables ne pouvaient pas sortir de chez eux, ce qu'il faut prendre en compte dans l'effet de pause légitimement critiqué par tous dans le mécanisme judiciaire au moment du confinement. Or la réalisation d'audiences de juge des enfants sans les justiciables est impossible. Une partie de l'arrêt de l'activité s'explique par cette situation.

Je cède à présent la parole à Madame Botella sur l'ensemble des documents produits par la direction en lien avec notre ministère, mais aussi en interministériel, dès le début du confinement.

(Mme Frédérique Botella prête serment)

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Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d'éducatio

n . Nous avons donc rapidement produit différents textes, très utiles pour nos établissements et services. Dès le 13 mars, nous avons élaboré des fiches « Organisation des missions », permettant de prioriser les missions essentielles, notamment l'hébergement, tout en prenant en compte les consignes sanitaires de l'époque. Ces fiches ont été actualisées à plusieurs reprises pendant la crise : en avril, au mois de mai, au mois de juin et en septembre.

Nous avons également réalisé une fiche sanitaire, dès le mois de mars, pour prendre en compte le port du masque, les tests, les mesures barrières, etc. Il faut également ajouter que, dans nos directions territoriales et nos directions interrégionales, nous disposons d'un réseau de conseillers techniques santé et promotion de la santé, qui ont joué un rôle de soutien envers nos professionnels et leur ont apporté des réponses. Cette fiche sanitaire a également été actualisée à plusieurs reprises, comme nous sommes de nouveau en train de le faire, dans cette deuxième phase de confinement.

Les effets du confinement ont pu être complexes à gérer, pour les mineurs comme pour les professionnels. Nous avons donc élaboré une note à ce propos, pour soutenir nos professionnels. Nous pourrons revenir sur ce sujet, car nous en avons tiré quelques préconisations, utiles pour cette seconde vague.

Nous avons en outre, avec notre partenaire, la Fédération nationale de l'éducation pour la santé (FNES), élaboré un guide pour accompagner le déconfinement à la PJJ et conforter les conséquences psychosociales. Nous avons élaboré ce travail en lien avec notre réseau de conseillers techniques santé et la FNES, sous le pilotage du pôle santé de l'administration centrale.

Nous avons de plus élaboré une note sur la pratique culturelle du ramadan. Le confinement est tombé pendant cette période et il était important d'apporter des éléments de réponse sur ce sujet, pour nos professionnels.

Un dernier texte doit être cité, la dépêche sur la protection de l'enfance du 8 juin 2020, dans laquelle nous avons rappelé l'intérêt d'activer des instances de coordination entre les juridictions et nos services sur le terrain. Nous avons aussi évoqué une expérimentation mise en place dans le département de Seine-Saint-Denis, concernant la mise à disposition d'un professionnel de PJJ dans une cellule de recueil et d'informations préoccupantes (CRIP). Ces instances permettent en effet d'évaluer les situations d'enfants en danger et en rupture et en risque de l'être, avant saisine du parquet, pour transmettre des signalements à l'autorité judiciaire. A l'occasion de cette crise, nous avons souhaité soutenir nos collègues dans les départements en élargissant cette expérimentation, qui est en cours d'évaluation.

Nous avons donc élaboré sept textes très importants dans le cadre de la crise sanitaire, au soutien de nos professionnels.

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Merci, Mesdames, de vos propos liminaires. Je voudrais saluer l'engagement de l'ensemble des personnels de la PJJ dans cette période extrêmement difficile.

J'aimerais également que vous reveniez sur votre appréciation relative à l'exercice des juridictions, suite aux ordonnances du 25 mars 2020 et du 20 mai 2020. Ces ordonnances ont-elles eu des conséquences sur les décisions ? Comment ont-elles été vécues par les juges eux-mêmes ?

J'aimerais entendre votre appréciation concernant la prorogation des mesures de placement, pour quatre ou sept mois. Avez-vous le sentiment que cette mesure a eu des conséquences sur le bien-être des enfants ?

Concernant le suivi éducatif des mineurs détenus dans les quartiers pour mineurs ou en EPM, quelles sont les conséquences psychologiques que vous avez constatées ?

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

Il faut bien distinguer le civil du pénal. Les prolongations de délais dont vous parlez, avec des décisions des magistrats prises sans audience ni avis des familles, ne sont valables qu'au civil. Les ordonnances prises à l'époque n'ont pas conduit à prolonger des mesures pénales sans audience.

En matière civile, l'objectif des ordonnances consistait à éviter que, par l'effet des délais, des mesures de protection tombent en l'absence de magistrats. Il s'agissait donc de sécuriser les délais et d'éviter qu'ils ne tombent au moment du confinement. Cela n'a pas empêché des contacts entre magistrats, référents du département et familles, pour accompagner la prolongation d'un certain nombre de mesures.

Le rapport de l'inspection devrait vous éclairer de façon objective sur ce sujet. Selon la taille des juridictions et l'ampleur de la crise sanitaire, les pratiques ont été différentes en fonction des juridictions, pour maintenir les liens avec les partenaires et les différents acteurs de la protection de l'enfance. La PJJ n'a pas joué de rôle particulier, si ce n'est pour relancer très rapidement, après le confinement, toutes les cellules urgentes, comme les CRIP, pour les situations de violence. Il apparaît en effet que le confinement a joué un effet de catalyseur négatif au sein des familles.

Il ne nous est pas possible d'avoir une appréciation fine, technique et totalement objective en ce qui concerne les juridictions. L'inspection pourra vous en dire plus sur ce sujet.

Sur la question de l'incarcération, les mineurs ont bénéficié de la politique générale mise en œuvre, consistant à limiter les détentions provisoires, en sus de la baisse d'activité de la délinquance et celle des services d'enquête. Pour beaucoup d'entre eux, ils ont bénéficié de levées de mesures de détention provisoire. De manière générale, les magistrats ont très rapidement exercé une revue de l'ensemble des dossiers et ont procédé à des levées d'écrou des mineurs. Nous vous communiquerons ces chiffres relatifs à la baisse de la détention.

L'accompagnement des mineurs détenus fait partie de nos missions prioritaires, maintenues complètement pendant le temps du confinement. Nous considérons qu'elles doivent être maintenues en totalité pendant la crise sanitaire.

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Merci. Pourrez-vous nous transmettre les chiffres que vous avez évoqués ?

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

Bien sûr. Je le note.

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Il serait également très intéressant de disposer des sept fiches que vous avez mentionnées. Avez-vous partagé cette boîte à outils et parvenez-vous à bien travailler avec l'agence régionale de santé (ARS), l'aide sociale à l'enfance (ASE), etc., ce qui n'a pas toujours été le cas avant le confinement ? La crise sera-t-elle pour vous un stimulateur d'entente cordiale en ce qui concerne la prise en charge des mineurs ?

Par ailleurs, quels sont les départements concernés par ces expérimentations avec un professionnel de la PJJ ?

Vous évoquez une forme de souplesse et de faculté d'adaptation, qui sont votre lot quotidien, à la PJJ. Est-ce là l'une des grandes révélations de cette crise ? Les gens se surpassent lorsqu'ils sont dos au mur. Comment pérenniserez-vous ces valeurs de souplesse et d'adaptation ?

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

Effectivement, dans les crises, les réalités, positives ou négatives, sont exacerbées. Dans les départements dans lesquels les partenariats étaient très présents et dans lesquels nos directions territoriales avaient l'habitude de fonctionner en proximité avec les services de la protection de l'enfance, les choses se sont très bien déroulées. Dans les départements dans lesquels les relations sont plus compliquées, notamment parce que les priorités y sont différentes, la crise n'a pas facilité les relations.

Pour répondre à votre question sur l'innovation et l'adaptation, vous avez pu entendre notre ministre sur sa volonté de mettre en avant les bonnes pratiques. Ces dernières ont été nombreuses. Nous nous sommes ainsi rendus compte que le lien virtuel avec les mineurs, auquel nous n'étions pas habitués, a permis de développer une proximité et des échanges que les mineurs n'osent pas forcément investir en face à face avec un adulte. Nous constatons d'ailleurs nous-mêmes que, derrière nos écrans, nos échanges sont parfois très fluides, voire trop fluides. Nous remontons donc les bonnes pratiques et les valorisons, dans le contexte de la crise actuelle et en vue de l'avenir.

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Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d'éducatio

Pour revenir sur les liens avec nos collègues de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), avec laquelle nous travaillons de concert sur le champ de la protection de l'enfance, la crise a renforcé nos liens et nos habitudes de travail. Dans des délais particulièrement contraints, nous avons eu pour habitude d'échanger sur les documents, pour limiter les incohérences entre leurs guides et les nôtres. Nous avons maintenu ces habitudes de travail avec la DGCS.

En ce qui concerne l'expérimentation sur laquelle vous êtes revenue, nous n'en sommes qu'au démarrage. Il me sera donc difficile de vous fournir les noms des départements concernés. Pour stabiliser ce fonctionnement, nous avons proposé d'utiliser une convention qui lierait les départements et la PJJ. Dans les Alpes-Maritimes, une telle convention a ainsi été signée. Le Sud-Est dans son ensemble semble d'ailleurs intéressé par cette expérimentation, de même que les départements de l'Oise et du Pas-de-Calais. Si vous le souhaitez, je pourrai vous transmettre la liste de ces départements, avec lesquels nous avons déjà signé une convention et ceux avec lesquels nous échangeons. Il s'agit avec ces conventions de compléter l'expertise de nos collègues de l'ASE et non de la remplacer. A la DPJJ, nous avons prévu de finaliser une première évaluation au début de l'année 2021, mais nous pourrons déjà vous transmettre quelques éléments sur ces questions.

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Je précise que vous devrez nous remettre ces informations avant le 19 novembre, ainsi que des cas concrets. Nous entendons en effet nous inscrire au plus près des préoccupations des jeunes, à travers vous.

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Je souhaiterais revenir sur le volet civil et le juge des enfants, qui intervient sur l'aspect éducatif, avec par exemple des ordonnances de placement ou d'assistance éducative. Effectivement, de nombreuses audiences ont été annulées. Quelle relation avez-vous mise en place dans ce contexte avec les parents, pour leur expliquer cette situation ?

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

Chaque juge des enfants demeure vigilant pour préserver sa spécificité et ses pratiques. Il n'était donc pas envisageable de faire passer des consignes générales – et la PJJ n'est pas nécessairement légitime pour cela. D'ailleurs, le positionnement de la PJJ au niveau central et de ses acteurs au niveau local, en matière de protection de l'enfance, tant à l'égard de l'autorité judiciaire que du département, est en perpétuel mouvement, et suscite des interrogations, depuis la décentralisation de cette mission.

La PJJ demeure actrice de la protection de l'enfance, parce qu'elle prend en charge les mineurs les plus complexes, mais n'est pas légitime pour donner des instructions en matière de protection de l'enfance, qui résulte d'un copilotage complexe.

En ce qui concerne les pratiques des greffes sur la gestion des départements, nous manquons aujourd'hui d'éléments techniques précis pour vous répondre. Cela suppose en effet un travail de fond, pour étudier comment, dans chaque juridiction, en fonction des relations, cela a été géré avec les départements. Je n'ai pas de doute sur le fait que les départements ont essayé de conserver le contact avec les familles. En cas de prolongations de mesures, un travail d'accompagnement a été accompli. Aucune mesure ne doit avoir été imposée, ni par les juges ni par les départements, sans aucun dialogue avec les familles. Cela serait contraire au principe même de l'intervention de la protection de l'enfance.

Au pénal, nous avons travaillé les droits de visite et d'hébergement de façon particulière. Nous en avons étendu certains, nous avons laissé des enfants et avons réalisé des placements à domicile, que nous avons particulièrement accompagnés, pour éviter que les effets du confinement sur les parents soient facteurs de complexité pour la relation parent-enfant. Nous avons travaillé de façon ad hoc et avec une grande précision sur les retours des enfants dans les familles, en accord avec les magistrats.

Les magistrats qui ont travaillé avec nous de cette façon au pénal doivent avoir fait de même au civil.

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Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d'éducatio

Pour maintenir des contacts avec les familles, nous avons pu organiser des visioconférences et utiliser des outils collaboratifs numériques, le téléphone, etc. Nous avons mis en place des permanences, notamment dans les services de milieu ouvert, pour conserver un contact régulier avec les familles. Des permanences physiques ont aussi pu être maintenues, dans les situations les plus urgentes, dans lesquelles le téléphone ne suffisait pas. En cas de danger, nos professionnels ont continué à assurer des visites à domicile, dans le respect des mesures barrières. Nous avons donc déployé tous les moyens que nous avions à notre disposition et avons depuis lors obtenu des moyens supplémentaires, notamment au niveau informatique, dans le cadre du télétravail. En effet, certaines missions administratives ont été réalisées au moyen du télétravail.

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Je siège notamment au Conseil départemental du Bas-Rhin, où je suis en charge de la protection de l'enfance. 2 600 enfants sont placés dans nos services et je souhaiterais saluer l'effort de tous, dans cette situation inédite, qui nous a permis d'apprendre. Pendant le confinement, des relations plus fortes ont été mises en œuvre entre les départements et la PJJ et, avec d'autres collègues en charge de la protection de l'enfance au sein d'autres départements, nous avons observé de fortes progressions des violences intrafamiliales et des placements.

Nous avons également constaté une amélioration des relations entre les familles d'accueil et les enfants, notamment parce que les enfants ont été moins sollicités par les audiences. Dans certaines situations, les rencontres médiatisées avec les parents peuvent s'avérer difficiles pour eux et induire du stress ou des difficultés.

Dans notre Conseil départemental, les services de l'aide sociale à l'enfance nous expliquent que certains enfants ont des agendas particulièrement lourds, entre l'enseignement, les audiences, les rencontres, les séances avec le psychologue, etc. Madame Caubel évoquait tout à l'heure la valorisation des éléments positifs. À l'avenir, nous devrons veiller à ce que les enfants les plus fragiles, notamment ceux qui ont vécu des parcours véritablement traumatisants, aient un rythme de vie qui leur permette de se reconstruire, dans des situations de placement et qu'ils soient moins sollicités à l'avenir.

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

À l'écoute de vos questions et de vos observations, Monsieur Meyer, il pourrait être intéressant d'étudier plus systématiquement, comme le font nos inspections ou nos organismes de recherche fondamentale, l'impact qu'a eu l'organisation de la justice sur le rythme des enfants. Nous constatons en effet que ce temps du confinement a pu être vécu comme un sas exceptionnel. Sans doute faudra-t-il évaluer cela avec des outils scientifiques adaptés. J'ai d'ailleurs peu de doute quant au fait que les juges des enfants ont privilégié le traitement personnalisé des dossiers d'assistance éducative. Nous devrons envisager de mener des études scientifiques ou d'inspection sur ces questions passionnantes.

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Vous avez souligné un aspect positif, relatif aux liens virtuels avec les mineurs. Allez-vous poursuivre des expériences sur ces liens virtuels, que vous pourriez entretenir en plus du lien physique, évidemment essentiel et nécessaire ?

Je suis en outre très intéressée par la convention avec certains départements que vous avez évoquée. Il y a quelques jours, nous avons auditionné les Conseils départementaux et j'ai posé la question d'un rôle de l'État accru dans la protection de la jeunesse. Les Conseils départementaux affichaient quant à eux l'idée que l'ASE relevait de leur responsabilité. Ce système de convention pourrait-il permettre un travail plus efficace ? Pouvez-vous nous envoyer un exemplaire de convention ?

Enfin, vous avez évoqué les levées des mesures de détention provisoire, qui ont été importantes. Comment s'est passé le retour de ces jeunes mineurs dans leur milieu familial ?

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

Le 1er janvier 2020, 804 mineurs étaient détenus et, le 22 avril 2020, 660, soit près d'un quart des mineurs non écroués ou sortis d'incarcération. Il s'agit selon moi davantage d'une baisse de flux que de stock, car les incarcérations sont courtes ; il y a eu moins d'incarcérations, davantage qu'une augmentation des libérations. Dans les quartiers mineurs, le taux d'incarcération a été inférieur à 70 %, ce qui a permis d'isoler très facilement les mineurs détenus qui ont contracté le Covid.

Les retours en famille font en outre partie des pratiques des services éducatifs. Les services de milieu ouvert sont extrêmement vigilants au retour des mineurs dans leur milieu d'origine, que ce soit dans leur famille, avec des placements ponctuels dans des centres éducatifs fermés (CEF) ou dans une unité d'accueil éducatif, pour que le retour en famille après une incarcération se passe dans les meilleures conditions. Il s'agit là de l'une de nos missions prioritaires, qui n'a pas du tout été dégradée lors du confinement.

Vous avez par ailleurs évoqué les relations entre les départements, l'autorité judiciaire et la santé. On pourrait ajouter à cette liste l'éducation nationale et la protection judiciaire. Depuis les lois de décentralisation, rien ne nous conduit à penser que les départements ne garderont pas cette responsabilité de la protection de l'ASE. Néanmoins, les mécanismes de coopération entre chacun de ces acteurs sont essentiels dès lors qu'aujourd'hui, 80 % des mesures de protection de l'enfance sont prononcées par une décision de justice. L'État est donc prescripteur, acteur et contrôleur des dispositifs de protection de l'enfance.

J'ai rapidement fait référence à la particularité du positionnement de la Direction de la protection judiciaire au sein de l'État et de la protection judiciaire au niveau déconcentré. Un mouvement a conduit à limiter l'intervention de la PJJ sur le champ pénal, alors qu'elle est totalement légitime dans le champ de la protection de l'enfance. Les conventions nous permettent d'institutionnaliser les rapports sur le terrain entre l'ensemble de ces acteurs. Des conventions tripartites, voire quadripartites, peuvent ainsi être signées, associant parfois les ARS. Nous sommes donc tributaires de la qualité des relations de terrain. Après quelques semaines comme directrice de la PJJ, je constate qu'il faudrait institutionnaliser des conventions les plus larges possible. L'autorité judiciaire, la PJJ ou l'éducation nationale devraient ainsi faire partie de ces conventions, car, dans le fond, nous partageons tous le parcours de ces mineurs. La nomination d'un Secrétaire d'État à la protection de l'enfance traduit d'ailleurs cette nécessité de coordination à tous les niveaux, en interministériel, en lien avec les départements, etc. Sur le terrain, nous observons une marge de progression.

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Merci. Nous vous rejoignons complètement sur ce dernier chapitre.

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

Cela fait partie de ma lettre de mission. Il s'agit d'ailleurs là d'une véritable préoccupation du Président de la République. Je ne souhaite pas déjuger la qualité des pratiques actuelles, mais les manques sont trop nombreux aujourd'hui. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) nous a condamnés en ce qui concerne le décès d'une petite fille. Il nous faut stabiliser notre positionnement institutionnel, au niveau de l'État et sur le terrain.

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Nous sommes cependant en progrès sur ces questions. Il faut ainsi absolument profiter de la crise à cet endroit.

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Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d'éducatio

Vous nous demandez de vous transmettre un modèle de convention. Nous pourrons le faire, en précisant également que nous entendons nous adapter aux organisations des départements. Il ne s'agit pas en effet de calquer les organisations, car les CRIP sont organisées différemment en fonction des départements.

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

Nous avons peu évoqué le fait que, tant pour la protection de l'enfance que pour la justice pénale des mineurs, nous nous appuyons sur le service associatif habilité. Pendant toute la crise, il a été associé à nos travaux d'accompagnement des mineurs. Nous nous appuyons énormément sur le secteur associatif. Dans toutes ces relations interpartenariales, il s'agit d'un acteur très important, qui doit aussi intéresser vos réflexions.

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Charlotte Caubel, directrice de la protection juridique de la jeunesse

Je souhaitais simplement revenir sur une question posée par Madame Buffet sur le lien virtuel avec nos jeunes. Nous travaillons tous les aspects du lien virtuel avec eux, notamment la façon dont il convient d'utiliser les réseaux sociaux. D'une manière générale, nos services éducatifs essaient d'utiliser la nouveauté, tout en privilégiant la prévention et l'éducation quant aux limites de ces modes de communication virtuels.

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Il peut également être intéressant de revenir sur les informations qui ont pu circuler sur les réseaux sociaux pendant la crise sanitaire entre les jeunes. Nous souhaiterions vraiment disposer d'informations concrètes et pratiques sur tous ces sujets. Merci à tous, je propose de lever cette audition.

L'audition s'achève à douze heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 11 heures 30

Présents. – Mme Marie-George Buffet, Mme Danièle Cazarian, Mme Béatrice Descamps, M. Philippe Meyer, Mme Sandrine Mörch, Mme Florence Provendier, Mme Souad Zitouni