Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 11h45

Résumé de la réunion

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  • confinement
  • enfance
  • milieu ouvert
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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 29 octobre 2020

La séance est ouverte à 11 heures 45.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Mes chers collègues, nous continuons nos auditions sur l'impact de la crise sanitaire du Covid-19 sur les enfants et les jeunes relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), par l'audition de représentants d'associations et de fondations intervenant dans la protection de l'enfance. J'ai le grand plaisir d'accueillir à nouveau Hervé Laud, avec qui nous avons beaucoup travaillé, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'Enfants, François Vacherat qui est le directeur général de la fondation Action Enfance et Bruno Passard, directeur du pôle social et directeur du service de protection de l'enfance en milieu ouvert de l'association « Sauvegarde 69 ». Nous vous remercions tous d'avoir répondu à notre invitation et de nous apporter votre regard sur les conséquences de la crise sanitaire que nous traversons sur des enfants et des jeunes particulièrement vulnérables, ceux qui relève de l'aide sociale à l'enfance.

Nous voudrions notamment vous entendre sur l'impact de l'épidémie sur le fonctionnement des établissements d'hébergement et les services d'action éducative. Avez-vous dû faire face à des diminutions d'effectifs pendant le confinement, alors que les besoins des enfants placés augmentaient compte tenu de la fermeture des écoles ? L'accueil en urgence des mineurs a-t-il pu être maintenu ? Selon quels critères le retour à domicile de certains des enfants placés a-t-il été choisi ? La teneur des violences, éventuellement, a-t-elle changé, selon vous ? Quelles bonnes pratiques avez-vous vu émerger ? Il est question d'enfance et de jeunes, mais on ne peut pas dérouler perpétuellement un tableau sinistre et destructeur : quelles bonnes pratiques avez-vous vu émerger, éventuellement, et que vous auriez envie de retenir ? Quels sont les ressorts ou les réflexes qui ont pu apparaître et qu'il serait bon de garder ?

Nous souhaiterions avoir votre éclairage également sur le fonctionnement de la justice pendant la période de confinement et pendant les semaines qui ont suivi. Nous avons été notamment alertés lors de nos précédentes auditions sur la question des droits de visite et d'hébergement de la famille des enfants placés. Nous voudrions vous écouter sur ce point.

Nous nous interrogeons aussi sur la façon dont ces enfants et jeunes protégés traversent la crise. Quel en est l'impact sur leur santé, tant physique que psychique, sur leur parcours scolaire, sur leurs liens familiaux ? Cette interrogation concerne aussi les jeunes sortis depuis peu des dispositifs de l'aide sociale à l'enfance. On nous a indiqué lors de précédentes auditions le fort besoin de lien social des anciens mineurs protégés pendant le confinement, avec parfois des situations d'isolement très important. J'aimerais que vous reveniez sur la question de l'isolement.

Enfin, à l'heure où nous basculons à nouveau dans un dispositif de confinement, quels enseignements ont été retirés de cette première phase du printemps ? De quelle façon allez-vous fonctionner au cours des prochaines semaines ? Comment envisagez-vous la période qui s'ouvre et comment les jeunes l'envisagent-ils ? Quelle préconisation pouvez-vous nous suggérer ? Je crois qu'il faut profiter, si je puis dire, de cette crise majeure pour donner un véritable coup d'accélérateur aux droits de l'enfant. D'invisibles, ils deviennent enfin visibles. Il faut pousser très fort les mesures souvent identifiées et partagées par les acteurs de l'enfance depuis de nombreuses années. Cette période est dangereuse pour les jeunes. Les adultes qui sont en charge, nous compris, devons être d'une fermeté exceptionnelle pour qu'ils deviennent prioritaires.

Je vous céderai la parole successivement pour des interventions d'environ cinq minutes, qui précéderont notre échange sous forme de questions-réponses. L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je demande donc à chacun des interlocuteurs de lever la main droite avant de parler et de dire « je le jure ».

(Hervé Laud prête serment)

Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'Enfants. SOS Villages d'enfants est une association et une organisation non-gouvernementale qui intervient en France et dans 136 autres pays, dont une trentaine de programmes portés par la direction internationale de SOS Villages d'Enfants France. En France, nous sommes présents dans 17 villages d'enfants, ainsi que dans des programmes de renforcement de la famille, qui sont des actions de milieu ouvert, et dans un dispositif de suivi des 16-21 ans, notamment une soixantaine de jeunes qui sont suivis à la maison Claire Morandat à Valenciennes. Nous avons aussi une politique de suivi des anciens de l'ASE. Cela situe le périmètre.

Au sujet du précédent confinement et de la sortie, nous avons mesuré une forme de robustesse de notre dispositif, avec le fait d'être accueillis en petites unités, sur un mode familial. Il était parfois compliqué pour certains enfants de voir leurs parents, mais pour autant ils étaient avec leurs frères et sœurs, ce qui constituait une forme de moindre mal. La forme de rotation et de permanence de nos professionnels s'est révélée assez adaptée, étonnamment, à la question du confinement. Nos villages disposent en effet de petits jardins. Le confinement en lui-même s'est plutôt bien passé. Nous n'avons pas eu beaucoup d'enfants malades, ce qui était la principale priorité, et peu de professionnels affectés. Nous avons été extrêmement surpris. Nous avions réalisé des plans de sauvegarde de l'activité, en prévoyant le recours à des personnes du siège comme bénévoles pour aider dans des maisons, mais nous n'avons pas du tout subi cela. Pour autant, la sortie du confinement n'a pas été simple du tout, paradoxalement. La forme de « moment suspendu » du confinement était compliquée, mais la sortie a été très difficile, avec le retour à une forme de réalité hybride, qui a été singulièrement difficile. Nous avons ressenti une forte fatigue aussi au moment de l'été. Des professionnels avaient « tiré sur la corde » pour s'investir, mais cela a soulevé des enjeux en termes de temps de récupération ou de pose de congés. Cet enjeu a été quasiment plus fort au moment du déconfinement et de la rentrée scolaire.

Aujourd'hui, nous observons qu'un des enjeux majeurs est la continuité pédagogique. Nous nous demandons comment les choses se dérouleront dans ce nouveau confinement. La scolarité semble néanmoins préservée. La continuité des milieux ouverts (soutien à la famille classique) est également un sujet, ainsi que l'ensemble du médico-social, qui s'était arrêté lors du premier confinement. Il a connu d'importantes difficultés pour redémarrer. Beaucoup d'enfants dans nos établissements relèvent à la fois de la protection de l'enfance et d'instituts médico-professionnels (IMP Pro) ou d'instituts médico-éducatifs (IME). Nous avons été assez démunis à ce moment. Il s'agit d'un point de vigilance important.

Les relations aux familles peuvent être regardées à l'aune du droit des familles, ce qui est nécessaire, mais aussi du lien d'attachement avec les enfants. Nous avons observé parfois paradoxalement une sorte d'apaisement des enfants du fait de voir moins directement, ou autrement, leur famille pendant le confinement. Un important travail a été mené sur chacune des situations pour ne pas tirer de conclusions, mais plutôt identifier des interrogations et retirer des enseignements. Nous avons réalisé une enquête, dont nous attendons encore les résultats. Nous repartons cependant dans une forme de confinement et ce ne sera pas simple.

Les principaux points d'interrogation portent sur la nécessité de penser aux renforts, si l'épidémie est plus forte. Si la deuxième vague est plus puissante que la première, d'un point de vue sanitaire, peut-être que tout ce que je vous ai dit sur le premier confinement ne se déroulera pas du tout de la même manière. Il faudra être attentif à cela.

Nous avons également un vrai enjeu autour des jeunes majeurs. Nous coordonnons par ailleurs un collectif nommé « Cause majeure » qui a bien démontré que pour les jeunes de 16 à 21 ans, voire 25 ans, cela était extrêmement compliqué. Les enjeux sont très nombreux, du stage de 3e en entreprise à l'entrée dans le premier emploi. Tout cela est balayé. Nous demandons notamment la reprise de la suspension des sorties sèches, et plus largement un système de sécurisation, qui sera absolument nécessaire.

Pour terminer, je souhaite souligner que nos équipes sont singulièrement fatiguées. Certaines personnes ont vécu des situations extraordinaires, et de très bonnes pratiques sont à développer. L'annonce est arrivée hier soir, mais il sera très compliqué de vérifier si cette énergie et cette ingéniosité qui se sont manifestées dans l'ensemble de nos structures pendant le confinement pourront se réamorcer ou non. Nous serons extrêmement vigilants sur ce point.

Nous avions en outre un certain nombre de dossiers qui pouvaient se décaler, mais qui reviennent de façon urgente et qu'il nous faudra traiter. Par ailleurs, nous avions noté une sorte d'apaisement progressif chez des enfants pendant le confinement par rapport à la maladie et d'autres sujets. Sur le respect des règles communes, dans la bulle du début du confinement, les professionnels avaient relevé que les enfants faisaient preuve de solidarité. En revanche, à la fin du confinement, cela commençait à être plus compliqué, et notamment pour les enfants qui connaissaient des situations plus complexes et qui avaient besoin de soutien et d'étayage au-delà du village ; cela commençait à être très difficile. Un enfant qui doit être en hôpital de jour et qui n'y est pas pendant plusieurs mois finit par avoir des difficultés. L'ingéniosité et le changement de rythme jouent pendant un moment, mais cela ne suffit pas.

Enfin, du côté de la justice – le représentant de Sauvegarde 69 sera probablement plus pertinent sur ce sujet – je n'ai pas d'éléments complets. Je ne sais pas si cela a été plus compliqué dans les familles ou non. Nous avons des exemples et des contre-exemples et nous savons surtout qu'il existe de très nombreux dossiers à traiter. Comme la justice avait quand même fortement ralenti, nous avons peur d'une seconde vague : quand les dossiers seront enfin ouverts et instruits, nous recevrons peut-être des demandes. En revanche, nous pensions avoir un surcroît d'activité résultant de demandes des départements, mais nous n'en avons pas eu. Ils auraient pu nous demander d'ouvrir des places parce qu'ils auraient découvert de nombreuses situations préoccupantes. Or, nous n'avons eu ce type de demandes que très marginalement. Par ailleurs, sur le millier d'enfants remis à leur famille au début du confinement, seulement trois sont revenus, et ces situations avaient prévu un retour progressif en famille. Nous n'avons eu que ces exemples, en ce qui nous concerne.

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Je propose à François Vacherat, directeur général de la fondation Action Enfance, de prendre la parole.

(François Vacherat prête serment)

François Vacherat, directeur général de la fondation Action Enfance. Action Enfance est une fondation accueillant 850 enfants placés, dans quinze établissements répartis sur une dizaine de départements français. Un dispositif accompagne par ailleurs de jeunes adultes, anciens enfants placés de la fondation. Ce dispositif est financé par nos donateurs et accueille actuellement 120 jeunes sortis de la protection de l'enfance, et que nous accompagnons vers l'insertion sociale et professionnelle.

Lors du début du confinement, la stratégie de la fondation a été de donner la priorité non pas aux enfants et aux jeunes, mais aux salariés qui les accompagnent, car nous avons l'idée que si les salariés vont bien, les enfants vont mieux. Par conséquent, nous avons fixé un cadre, qui était le respect absolu des gestes barrières, qui semblait alors la seule mesure suffisamment efficace. Nous leur avons demandé ce dont ils avaient besoin pour tenir plusieurs semaines. Nous avions envisagé trois mois au début. Nous sommes entrés dans une stratégie de renforcement des effectifs, en prenant le risque de nous trouver largement en sureffectifs. Nous avons donc fait appel à des salariés supplémentaires ainsi qu'à des bénévoles. Nous avons conclu un partenariat avec les scouts de France et avec des clubs de sport, qui ont mis à notre disposition des bénévoles pour développer les activités à l'intérieur des villages d'enfants. Cette stratégie nous a menés à suivre un indicateur en particulier, qui était celui de l'absentéisme des professionnels à l'intérieur des établissements. L'absentéisme est monté à son plus haut niveau à peine une dizaine de jours après le début du confinement, à 19,5 % sur l'ensemble de la fondation. Nous craignions pire et nous étions préparés à affronter une situation bien plus difficile que celle-ci.

Nous avons été admiratifs du travail des éducateurs. Dans les villages, certains éducateurs travaillent huit jours et ont six jours de repos. Nous avons des exemples d'éducateurs qui ont refusé de rentrer chez eux à la fin d'un cycle de huit jours. Ils ont voulu continuer à s'occuper des enfants. Nous avons même un éducateur à qui nous avons dû dire après trois semaines que ce n'était pas raisonnable et qu'il devait aller se reposer, dans son intérêt et dans l'intérêt des enfants qu'il accompagnait. Nous avons donc des salariés très engagés et très respectueux des consignes. Nous n'avons pas eu à mobiliser autant de salariés supplémentaires que nous le craignions au début. Comme pour SOS Villages d'enfants, les salariés du siège s'étaient portés volontaires pour intervenir auprès des enfants et des équipes. Cela n'a pas été nécessaire. Nous avons aussi mis en place le télétravail partout où nous le pouvions, mais aussi dans une relation de confiance avec les salariés, en leur disant que s'ils préféraient être en télétravail et que leur métier le permettait, ils pouvaient rester à domicile. Nous avons un accord de télétravail depuis plusieurs années à la fondation, avec des outils et des moyens : il était donc tout à fait possible de mettre en place le télétravail. Nous sommes donc entrés dans le confinement avec une stratégie de confiance et en disposant de sureffectifs.

Parmi nos constats principaux, je tiens à féliciter nos équipes pour leur engagement très fort. C'est sans doute le cas dans toutes les associations. Nous avons également eu des relations intéressantes avec l'Education nationale. Il s'est avéré que l'Education nationale avait des outils et des enseignants très mobilisés. Nous avons cependant été obligés d'intervenir pour freiner certains enseignants qui sollicitaient beaucoup trop les enfants et leur donnaient trop de devoirs. Nous avons donc dû les freiner dans certaines écoles. La véritable difficulté que nous avons rencontrée au début était que nos salariés n'étaient pas prioritaires pour l'accueil de leurs enfants dans les écoles. Le combat du Secrétariat d'Etat à la protection de l'enfance a permis ensuite de remettre les enfants de nos salariés à l'école, et donc de pouvoir mobiliser nos salariés plus durablement.

Je rejoins les propos d'Hervé Laud sur la forme des villages d'enfants, qui est effectivement tout à fait adaptée à cette situation. Nous avons de l'espace autour des maisons, ce qui nous a été très utile. La situation a été beaucoup plus compliquée pour les jeunes adultes qui sont en appartement, davantage que pour les enfants dans les villages. Nous avons aussi une forme d'accueil et une organisation du travail dérogatoire aux 35 heures, qui limitent les allées et venues dans des établissements - puisque les salariés travaillent huit jours consécutifs et rentrent chez eux six jours –, par rapport à des salariés qui viennent travailler tous les jours. Je pense que cette configuration a été très utile dans cette période.

Concernant les jeunes adultes accompagnés, nous avons rencontré des difficultés autour de l'isolement, sujet sur lequel il sera probablement nécessaire de revenir.

Nous avons été sollicités par plusieurs départements pour accueillir des enfants, sans doute à la suite des appels au 119. Des départements nous ont sollicités pour utiliser les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020, permettant d'accueillir 20 % d'enfants supplémentaires dans les établissements. Nous avons refusé, car la situation était déjà assez compliquée pour les équipes et les enfants. En revanche, nous avons ouvert un centre d'accueil temporaire dans une propriété de la fondation en Indre-et-Loire, qui avait une capacité d'accueil de 30 places. En réalité, nous ne sommes jamais montés jusqu'à 30 places, mais au maximum à 22 places. Sur une période de 4 mois, entre le 22 avril, date à laquelle nous avons ouvert ce centre, et le 24 août, moment où nous l'avons fermé, nous avons accueilli environ 70 enfants, mais nous n'avons jamais tourné à plein régime, alors même que des départements nous avaient appelés en urgence en avril pour nous signaler qu'ils étaient débordés et n'avaient plus de place dans leurs centres d'accueil départementaux et nous demandaient d'accueillir davantage d'enfants dans les villages d'enfants.

Nous pourrons probablement revenir ultérieurement sur les leçons à tirer de la période de confinement. La période de déconfinement a finalement été la plus difficile pour nous. Les équipes avaient besoin de souffler et de faire baisser la tension. Nous avons passé beaucoup de temps à préparer les vacances d'été pour permettre aux éducateurs de se reposer pendant l'été. Nous avons également poursuivi la scolarité. En effet, nous étions confrontés à une difficulté : les enfants protégés n'étaient pas prioritaires pour retourner à l'école. On nous a dit que puisque nous nous en occupions bien pendant la période de confinement, l'école accueillerait en premier lieu les enfants dont on s'était peu occupé, avant d'accueillir des enfants protégés. Nous avons donc eu des difficultés et certains enfants ne sont finalement pas du tout retournés à l'école. Nous avons essayé de nous battre semaine après semaine, mais les consignes données par le ministère de l'Education nationale n'ont pas été suivies partout.

L'été a permis de reprendre des forces, mais les équipes étaient assez fatiguées, comme le disait également Hervé Laud. Nous nous étions préparés à ce reconfinement depuis une dizaine de jours. Il se déroulera sans doute dans des conditions très différentes de la première fois, notamment du fait du maintien de la scolarité, qui est une décision très heureuse. Il a en effet surtout été fatigant pour les équipes d'assurer la scolarité et les repas de midi, alors que les enfants mangent généralement à la cantine. Le maintien de la scolarité pendant cette nouvelle période de confinement est un élément intéressant.

Nous sommes assez sensibles à la parole des enfants, à l'intérêt que les enfants ont porté à cette période et à ce qu'ils en ont compris. Nous pouvons observer une forme de défiance au sein de la société, avec un rapport à la science assez étonnant. Je suis assez surpris des prises de parole dans les médias de médecins très qualifiés, qui plutôt que d'avouer qu'ils savaient peu de choses sur le virus, ont émis des idées parfois assez étonnantes. Nous avons envie d'aborder ces sujets avec les enfants. J'estime que nous vivons dans une société de défiance totalement déresponsabilisante. Nous avons envie de faire passer un contre-message avec les enfants justement, en leur disant : « Qu'avez-vous observé pendant cette période dont on pourrait discuter ? Comment allez-vous contribuer, quand vous serez adultes, à essayer de faire une société plus responsabilisante ? » Je le dis également aux responsables politiques. Quand j'entends qu'il faut rendre le télétravail obligatoire, j'estime qu'il faut d'abord faire appel à la responsabilité des salariés. Ils sont adultes, ce ne sont pas des enfants. On n'a pas à vivre dans cette société déresponsabilisante et infantilisante. Nous allons sans doute organiser un retour d'expérience avec les enfants, que nous n'avons pas eu le temps de faire malheureusement ; nous avions l'intention de faire en cette fin d'année. Ce sera extrêmement intéressant.

Nous avons aussi des messages positifs, car nous vivons dans une société malgré tout relativement solidaire. Nous avons beaucoup de donateurs à la fondation, comme les autres associations, comme SOS Villages d'Enfants. Nos donateurs, bien que beaucoup plus sollicités qu'au cours des années précédentes, sont restés à nos côtés et nous ont aidés, quels que soient leurs moyens. Cela montre aussi que la société est relativement solidaire. Dans les débats que nous organiserons avec les enfants et les jeunes, certains nous interrogeront sur ce qu'est la société aujourd'hui. Je pense qu'il faut en parler avec eux, notamment des éléments positifs.

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Aurons-nous une chance d'avoir des réponses concernant ces travaux que vous ferez autour de la parole des enfants d'ici le 20 novembre ?

François Vacherat. Non, c'est assez long et nous avons des petits et des grands enfants ; les méthodes d'écoute sont très différentes. Nous avons comme nos collègues des conseils de la vie sociale (CVS) dans nos établissements, et nous avions l'intention de les réunir sur ces sujets dans tous les établissements, pour faire remonter les ressentis des enfants. Malheureusement, il ne sera sans doute pas possible de réaliser ce que nous pensions faire en fin d'année. Ce sera reporté à l'année prochaine. Il faut prendre le temps de faire correctement les choses avec eux. Je peux m'engager à vous donner le résultat l'année prochaine quand nous l'aurons, car je pense que ce sera extrêmement intéressant.

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Très volontiers, et peut-être pourrons-nous organiser une rencontre à cette occasion à l'Assemblée .

Je précise, car j'ai oublié de le dire au préalable, qu'il faut traduire les sigles que vous employez, pour que tout le monde puisse comprendre, surtout si nous souhaitons intéresser le plus grand nombre de sphères et de personnes à ces auditions. Chacun doit pouvoir suivre le langage des associations et des administrations. Bruno Passard, directeur du pôle social et directeur du service de protection de l'enfance en milieu ouvert de l'association « Sauvegarde 69 », vous avez la parole.

(Bruno Passard prête serment)

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Bruno Passard, directeur du pôle social et directeur du service de protection de l'enfance en milieu ouvert de l'association « Sauvegarde 69 »

Je vous remercie pour cette occasion de parler d'un secteur de la protection de l'enfance qui n'est pas très connu. Mes collègues ont parlé avec brio de la question de l'hébergement. Je vous parlerai pour ma part essentiellement de la question de l'intervention en milieu ouvert. Le « milieu ouvert » est issu de l'histoire en 1958, date de la création de cette intervention. Ce terme est souvent repris dans les politiques publiques avec le terme d'« interventions à domicile ». Avant de commencer mon intervention, je précise que j'interviens au nom de « Sauvegarde 69 », association lyonnaise créée dans les années 1950 qui travaille aussi bien sur le territoire du département du Rhône que celui de la métropole, car nous avons la spécificité d'avoir deux entités sur un territoire historique, le Rhône, et qui interviennent dans le cadre de la protection de l'enfance. Sauvegarde 69 intervient aussi bien dans la protection de l'enfance que dans le secteur médico-social et dans l'insertion. Je suis missionné par mon président M. Bossu et par mon directeur général, M. Blanc pour apporter les éclairages nécessaires sur ce que nous avons vécu pendant le confinement.

S'agissant du contexte, le service de Protection de l'enfance en milieu ouvert (SPEMO) représente 280 salariés et intervient sur les deux entités, le département du Rhône et la métropole, dans une mission d'accompagnement et d'investigation en milieu ouvert auprès d'environ 5 000 mineurs par an. Notre taille est donc importante. Notre intervention porte sur le périmètre rural et sur le périmètre urbain, avec des problématiques qui sont liées à ce qu'il est d'usage d'appeler « la question des banlieues », et des problématiques relatives à l'éloignement des grands centres urbains.

Lorsque la question de la pandémie s'est posée, nous avons essayé de concilier deux éléments : une véritable préoccupation pour la santé de nos salariés, d'une part, et le maintien de nos interventions en direction des publics, d'autre part. Nous intervenons dans le cadre de la protection de l'enfance sous différentes mesures, notamment en AEMO (actions éducatives en milieu ouvert), en proposant des accompagnements des parents et des mineurs dans le cadre de la protection de l'enfance. Cette mesure est ordonnée par le juge pour enfants. Il s'agit d'une intervention à partir du domicile, pour faire cesser le danger et apporter conseils et soutien aux parents, pour qu'ils puissent assumer la totalité de leurs fonctions parentales. Nous avons aussi des interventions de type administratif, les AED (Accompagnement éducatif à domicile), qui sont sur la demande du département, en particulier de la Direction de la protection de l'enfance (DPE), soit du Rhône soit de la métropole. Nous avons aussi une déclinaison de mesures d'aide à la gestion du budget familial (AGBF), autrefois plus connues sous le nom de tutelle aux prestations familiales, qui nous permettent de proposer aux familles en très grande précarité un accompagnement autour de la question budgétaire, pour que les sommes issues des allocations familiales pour les enfants soient vraiment destinées à ces derniers.

Le confinement s'est fait avec l'objectif de pouvoir concilier la question sanitaire et le lien avec les familles. Nous avons été obligés effectivement dans le cadre du confinement de mettre en place très rapidement du télétravail pour l'ensemble de nos professionnels. Je souhaite d'ailleurs saluer l'ensemble des professionnels, qui ont totalement joué le jeu et – je rejoins mes collègues – avec une vraie implication et une vraie préoccupation par rapport au lien avec les familles, dans un contexte compliqué avec une mise en place de nouvelles façons de travailler, que ce soit par le téléphone, l'utilisation de réseaux sociaux, notamment avec des visios, pour pouvoir maintenir coûte que coûte le lien avec les familles et leur proposer un étayage pendant cette période très délicate.

Nous avons eu affaire pendant le premier mois à une population en état de sidération, qui était contente d'avoir un lien avec nous. Elle avait l'impression d'avoir été laissée toute seule, avec la fermeture des écoles et des lieux publics. Nous avons donc eu dans un premier temps un lien plutôt positif avec l'ensemble des familles. Nous avions un lien téléphonique ou par les réseaux, a minima une fois par semaine. Les entretiens téléphoniques pouvaient durer une heure à une heure et demie, avec dans ces échanges, la gestion du quotidien avec des enfants à la maison, et des questions plus liées à l'histoire familiale et aux difficultés rencontrées dans l'éducation. Cela a été la première période.

Nous nous sommes aussi beaucoup appuyés sur la transmission d'outils numériques : nous avions constitué une base documentaire à partir de tout ce que nous pouvions trouver sur internet et auprès de nos différents partenaires, notamment l'Education nationale, pour donner des supports aux parents pour pouvoir occuper le temps, maintenir autant que possible la scolarité et faire en sorte que cette période de deux mois puisse être bénéfique pour tout le monde. Un certain nombre de familles ont bien joué le jeu. Nous avons été surpris de constater qu'un certain nombre de sujets pouvaient se régler par téléphone, et que les familles se livraient beaucoup plus par téléphone que dans des entretiens individuels. Pour d'autres familles, avec lesquelles nous étions déjà en difficulté pour être en lien, nous avons mis en place des visites à domicile pour vérifier les conditions de vie des mineurs et de leur famille, afin de déclencher des placements lorsque cela était nécessaire. Paradoxalement, nous n'avons pas reçu plus de demandes de placement qu'habituellement. En effet, notre service était parfois à l'origine des demandes de placement pour extraire l'enfant de l'environnement familial. Nous n'avons pas eu à gérer de demandes très importantes à ce niveau, si ce n'est un flux classique, autour de 90 ou 100 demandes d'ordonnances de placement provisoire (OPP). Cela est marginal si on le rapporte aux 2 500 mineurs que nous suivons.

La sortie du confinement a été plus compliquée, je rejoins mes collègues sur ce point, à cause de la grande lassitude des professionnels et d'un besoin de retrouver du collectif. En effet, même si notre intervention est portée par des travailleurs sociaux de façon individuelle, elle est beaucoup étayée par l'équipe. Il s'agit vraiment d'une prise en charge collective avec, au sein de nos équipes, des psychologues, des travailleurs sociaux, des assistantes sociales, des éducateurs spécialisés, un chef de service et du secrétariat, ainsi que des conseillères en éducation sociale et familiale (CESF) et des travailleurs de l'intervention sociale et familiale (TISF). Nous avons connu à la sortie du confinement un sentiment de fatigue, mais aussi le plaisir de se retrouver. Les premières réunions collectives des équipes ont été plutôt intéressantes. La gestion de l'été pouvait effectivement permettre à chacun de poser ses congés, avec une préoccupation très importante sur la remise en place et le fonctionnement plus classique du tribunal pour enfants de Lyon et de celui de Villefranche. Pendant la période de confinement, nous avons été fortement en lien avec les juges coordinateurs pour pouvoir définir les plans d'accompagnement, pour assurer la continuité de service, en prenant en compte les différentes ordonnances, pour éviter au maximum un engorgement à la sortie du confinement. Nous avons maintenu les échéances en termes de rendus par rapport à nos mesures, qui ont une date de début et une date de fin. En termes de respect du droit des familles, cela est très important, ainsi que pour l'exécution de la mesure judiciaire. Malheureusement, nous avons constaté en juillet et août une très forte demande de nouvelles mesures. Nous avions une liste d'attente de 300 enfants, qui est venue engorger notre service. Nous avions anticipé de nous-mêmes en recrutant des personnels supplémentaires pour anticiper cette nouvelle vague. Aujourd'hui, nous avons un délai d'attente très important. Nous arrivons à saturation par rapport à nos équipes pour pouvoir prendre en compte les nouvelles situations.

Nous portons sur la sortie du confinement un regard très hétérogène. Dans un certain nombre de situations, les familles ne vont pas mal et sont plutôt contentes d'avoir passé ce cap, avec un lien qui s'est consolidé pendant le confinement. En revanche, pour d'autres familles, la remise en route de l'action éducative et de l'accompagnement par d'autres modalités que le téléphone est plus compliquée, comme si on avait passé une étape avec le confinement et que les choses pouvaient désormais se traiter à distance. Nous avons parfois des difficultés à remettre une dynamique positive dans l'accompagnement que nous pouvons proposer. Nous recevons beaucoup de demandes d'activités collectives de la part de nos professionnels, qui ont été émises à l'issue du confinement, car nous travaillons aussi beaucoup sur le collectif. Aujourd'hui, compte tenu des annonces faites hier soir, ces activités seront remises en veille.

Pour certaines familles, avec la sortie du confinement, tout ce qui était en sommeil pendant le confinement est revenu en boomerang, avec des situations de violences conjugales très importantes, des situations d'attouchements qui n'ont pas été traitées et des placements rapides. Nous craignons fortement des situations très dégradées, car pendant ces trois mois, tout le système a été bloqué. Des informations préoccupantes étaient bloquées dans le traitement, mais aussi des sollicitations du parquet, ce qui est logique. Lorsque la machine judiciaire s'est remise en route pendant l'été, elle a produit beaucoup de nouvelles mesures, mais nous pensons qu'il y aura un effet retard. Nous envisageons donc avec une grande inquiétude la nouvelle période, avec des salariés fatigués, des interrogations sur les dimensions collectives de nos interventions, sur la nécessité de remettre en place des partenariats, qui avaient très bien fonctionné durant la période de confinement, l'urgence nous permettant de forcer des portes sans aucun problème. A la sortie de confinement, chacun a eu tendance à reprendre ses espaces et il nous faut aujourd'hui remettre les choses dans le bon sens. Nous avons pris attache auprès des tribunaux, car nous savons qu'il nous faut avancer d'un même pas avec la justice.

Nous envisageons la nouvelle période avec un savoir-faire en matière de télétravail, que nous n'avions jamais expérimenté auparavant. Nous avons pu mettre 230 personnes en télétravail quasiment du jour au lendemain, avec des outils de visioconférence permettant de maintenir une dynamique d'équipe. En effet, comme je l'ai dit précédemment, nous effectuons vraiment un travail collectif. Toutefois, nous avons beaucoup d'inquiétudes sur la durée et l'usure que nous pourrons constater chez les professionnels et les familles.

Heureusement, l'école reste ouverte, ce qui est important, car dans certaines familles, la proximité avec les enfants est déjà compliquée en dehors des heures scolaires, et les tensions étaient exacerbées lorsque l'école était close. Le fait que l'école continue de fonctionner est plutôt une bonne nouvelle. Il faudra cependant voir comment nous pourrons maintenir nos dispositifs et notre vigilance. Nous sommes toujours inquiets d'un passage à l'acte non maîtrisé. C'est déjà notre quotidien en période dite « normale », mais cela est beaucoup plus accentué actuellement. L'équipe de cadres est très vigilante pour pouvoir apporter un œil critique sur les situations et interpeller à bon escient, pour déclencher les actions nécessaires pour préserver les enfants.

La question de la protection de l'enfance doit être vue selon ses deux axes : le soutien à la parentalité et les besoins des enfants à un temps donné. Or, parfois, le temps des enfants n'est pas le temps des adultes. Ce qu'il est possible de mettre en suspens pour des adultes n'est pas forcément valable pour des enfants, notamment pour les plus jeunes. En effet, nous intervenons pour des enfants entre 0 et 18 ans. Nous suivons aussi des enfants de moins de 6 ans qui n'ont pas accès à la scolarité, pour lesquels nous pouvons avoir d'importants questionnements. Nous avons une population qui souffre de beaucoup de difficultés : précarité financière, précarité économique, précarité éducative, carences éducatives, troubles psychiatriques. On demande beaucoup aujourd'hui au milieu ouvert de pallier l'absence de réponses cohérentes. Notre service est le dépositaire de problématiques pour lesquelles il est nécessaire d'inventer sans arrêt, mais avec des contours et des contextes financiers qui ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux. Nous ne bénéficions pas de donations, car nous ne sommes pas une fondation. Nous ne fonctionnons qu'avec les deniers publics et nous constatons parfois une tension forte entre les besoins des familles et ce que nous pouvons mettre en place. Nous manifestons de la vigilance et de la créativité, que nous essayons d'encourager à tous les niveaux. Aujourd'hui, l'accompagnement éducatif en milieu ouvert est au croisement d'anciennes pratiques, autour de l'entretien individuel, et de nouvelles pratiques, notamment des supports de médiation, pour lesquels la question collective est importante pour nous. En effet, il s'agit d'une occasion de rencontrer les enfants et les familles selon d'autres modalités, moins contraignantes. Nous avons des populations qui ont besoin de se réinscrire dans un collectif et du lien social. Cela concourt également à répondre à la mission sociale qui nous est confiée.

Mon intervention était dense et basée sur des notes ; je tenais à témoigner que nous devions réinventer notre activité, car nous avions vraiment la préoccupation de maintenir le lien coûte que coûte. Nous allions au travail, dans une ville déserte et sans voitures, nous avons maintenu notre activité et avons protégé nos salariés. Nous avons eu très peu de cas de Covid-19 en interne. Je n'ai pas eu d'absentéisme important, parce que je pense que nous avons été réactifs immédiatement pour mettre les salariés à l'abri chez eux.

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Merci beaucoup. Je vous signale que vous pouvez compléter votre propos par des éléments écrits.

Qu'appelez-vous « passage à l'acte non maîtrisé » et à quoi correspond le délai d'attente que vous avez évoqué ? De combien est-il pour de fortes demandes de mesures ? Sans entrer dans le détail, pouvez-vous nous expliquer ces termes ?

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Bruno Passard, directeur du pôle social et directeur du service de protection de l'enfance en milieu ouvert de l'association « Sauvegarde 69 »

Le passage à l'acte recouvre les violences sur un enfant ou sur sa mère. Le cadre de la protection de l'enfance nous amène à rencontrer certaines situations dans lesquelles la question de la violence sur les enfants ou de la maltraitance des enfants est récurrente. C'est notre préoccupation régulière dans chacune des situations.

Sur le délai d'attente, il s'agit d'une préoccupation nationale ; un certain nombre de rapports ont été produits sur les délais de mise en œuvre des décisions des magistrats, aussi bien en milieu ouvert qu'en placement. Des enfants sont donc en attente d'une intervention. Avant le confinement, le délai était de 40 jours entre le moment où le magistrat nous missionne et le moment où nous mettons en œuvre l'intervention du professionnel. Quarante jours, c'est beaucoup. Aujourd'hui, nous sommes à 70 jours. Le fait de ne pas avoir les moyens humains pour pouvoir répondre implique un allongement des délais. Nous avons besoin de moyens humains supplémentaires pour pouvoir être vraiment réactifs, car la question essentielle dans la protection de l'enfance réside dans la rapidité de la réponse. Quand je parle du temps de l'enfant et du temps des adultes, la rapidité de la réponse et un délai très court sont indispensables entre le moment où le magistrat rencontre une famille et ordonne une mesure en milieu ouvert, qui est une mesure contrainte, et le moment où le service a les moyens de la mettre en œuvre. Il faut que ce temps soit le plus court possible. L'audience est un moment important, c'est le lieu du débat contradictoire qui permet aussi à une famille de saisir les difficultés qu'elle a. Un tiers nomme la difficulté, ce qui peut déclencher une vraie dynamique. Si on manque cette occasion, nous savons que nous mettrons beaucoup plus de temps et que la situation deviendra bien plus compliquée. Une famille va vous dire : « j'avais besoin de vous il y a deux mois, mais vous n'êtes pas venus, je me suis débrouillée ». Il convient alors de savoir comment elle s'est débrouillée. La question du délai d'attente est une question primordiale dans la protection de l'enfance, qui va au-delà de la situation de confinement, mais qui a été renforcée par le confinement et la crise sanitaire.

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Merci, Messieurs, pour vos propos très précis et très intéressants. D'abord, je souhaite remercier l'ensemble des salariés de vos associations, qui, vous l'avez dit de façon unanime, ont été très engagés et inventifs dans l'intérêt des enfants qu'ils ont en charge. Je veux aussi souligner la nécessité en effet, comme vous l'avez dit, d'écouter les enfants, de leur donner la parole sur cette période et sur cette pandémie, parce qu'ils ont entendu beaucoup de choses et je pense que nous avons besoin de les entendre et de les aider à comprendre la période qu'ils vivent, d'autant que nous entrons à nouveau dans un confinement d'au moins un mois. Même si l'école est maintenue, ce dont je me félicite comme vous, ils vont avoir des discussions avec leurs amis, dans lesquelles la question de la pandémie restera extrêmement présente.

Nous allons entrer de nouveau en confinement à partir de demain. Vous avez souligné plusieurs points qui m'interrogent, par exemple l'arrêt du secteur médico-social. Vous avez cité l'exemple d'enfants qui ne pouvaient pas aller à l'hôpital de jour. Est-ce que vous pensez que cela pourra être corrigé dans cette nouvelle période de confinement ? Vous avez également parlé de la priorité à l'école pour les enfants de vos salariés. Est-ce que cela est résolu définitivement ? N'anticipez-vous pas d'autres problèmes pour cette nouvelle période de confinement ?

Je voudrais aussi avoir votre opinion sur la continuité pédagogique : comment vos équipes ont-elles ressenti cette continuité pédagogique par rapport aux enfants ? Est-ce que les enfants ont été en capacité de suivre cette continuité pédagogique ? Les moyens ont-ils manqué d'un point de vue technique ? Enfin, vous parlez des délais de mise en œuvre des décisions de justice et vous évoquez des moyens humains supplémentaires. Quels sont les points de blocage ? Est-ce que ce sont des questions financières ou de recrutement ?

Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'Enfants. Je souhaite rappeler que dans le cadre de la fin des mesures d'accompagnement, des associations qui accueillent des personnes sorties d'une prise en charge ou les Associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (ADEPAPE), par exemple l'ADEPAP Essor 93, nous ont signalé des situations extrêmement critiques. Ils ont gardé des jeunes ou de jeunes couples, alors que toutes les solutions de droit commun étaient bloquées. Un directeur général d'association et un éducateur nous ont confié se retrouver parfois dans des situations dans lesquelles des jeunes qu'ils ont accompagnés refusent de sortir de l'établissement. Ils ne savent plus quoi faire, car leur rôle est de protéger des jeunes et ils ne veulent pas expulser des jeunes de lieux qui les ont protégés. Pour autant, le fait que les places ne se libèrent pas empêche d'accueillir d'autres jeunes. Monsieur Passard évoquait l'entrée dans le dispositif, mais il faut aussi penser à la fin. La situation risque de provoquer un très important embouteillage et les jeunes qui nécessiteraient notre accueil se trouveront fortement fragilisés. Cela concerne les deux bouts de la chaîne.

Sur la question des IME et des hôpitaux de jour, en réponse à Marie-George Buffet, je pense que, compte tenu de la consigne sur la poursuite du travail et de notre première expérience, les établissements médico-sociaux s'organiseront pour proposer un service minimum, voire plus. J'espère que nous ne connaîtrons pas les mêmes difficultés. Il faudra observer la situation avec attention. Nous pouvons faire des prescriptions et de la prospective, mais nous rencontrerons des problèmes à certains endroits.

Sur la continuité pédagogique, comme nous le disions chez Action Enfance, il a fallu gérer le trop et le pas assez, et souvent le trop, sur la capacité de suivre des jeunes à distance. Nous avons un dispositif appelé Pygmalion, avec des éducateurs scolaires, et des partenariats nous ont aussi aidés. Je suis plus inquiet sur la continuité pédagogique, car il faudra regarder ce qui sera fait dans chaque académie. Il est en effet parfois question de demi-classes et même pour le professeur le plus motivé et le meilleur en technologie, faire simultanément cours en ligne et en présentiel risque d'être complexe. Je suis ravi comme tout le monde que les écoles restent ouvertes, mais il faudra suivre cela de près. Du côté des enfants, l'espace national de consultation des jeunes s'est réuni, juste avant le reconfinement. Nous essaierons de vous transmettre des éléments.

Les jeunes remarquaient qu'ils seraient les seuls à sortir. Les parents seront confinés pendant la semaine et le week-end, mais les enfants seulement le week-end. Les adolescents de 11 à 18 ans, collégiens et lycéens, se retrouveront dans un univers vide. Il faudra suivre cela, car c'est assez étonnant.

François Vacherat, directeur général de la fondation Action Enfance. Je souhaite intervenir sur la question des moyens supplémentaires. Nous avons mis en place dès le départ des moyens supplémentaires, qui seront probablement remboursés par les départements dans la plupart des cas. Nous n'avons aucune situation de blocage aujourd'hui. Les départements travaillent avec nous pour prendre en compte toutes les dépenses supplémentaires qui ont été provoquées par le Covid-19. Il faut aussi remarquer que nous avons eu moins de dépenses que d'habitude sur d'autres aspects. Nous regardons donc actuellement ce que cela implique en matière d'équilibre budgétaire. Nous avons notamment eu moins de dépenses de déplacements, nous n'avons pas pu organiser les vacances de Pâques comme nous le souhaitions, ce qui a occasionné moins de dépenses. Par conséquent, je ne sais pas ce que sera le bilan. Nous aurons peut-être moins de dépenses que prévu. Nous sommes toutefois très soutenus par les départements et je n'ai connaissance d'aucune situation de blocage de la part des départements.

Sur la continuité pédagogique, je rejoins ce que disait Hervé Laud, la situation n'est pas du tout claire pour nous aujourd'hui. Nous avons peu d'éléments d'évaluation sur la situation scolaire des enfants. Nous venons juste de redémarrer avec eux. Certains enfants ne sont pas allés à l'école pendant six mois et je pense que les bilans sont un peu difficiles à produire aujourd'hui. Effectivement, nous devrons nous intéresser à cette question l'année prochaine. Nous avons cependant peu de données aujourd'hui.

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Bruno Passard, directeur du pôle social et directeur du service de protection de l'enfance en milieu ouvert de l'association « Sauvegarde 69 »

S'agissant de la question des délais et celle du calibrage de nos activités par rapport aux besoins, nous sommes dans une situation particulière, car nous intervenons sur deux entités qui ont été créées en 2015, avec la création de la métropole de Lyon, compétente en matière de protection de l'enfance. Depuis 2015, on témoigne de la difficulté à pouvoir mettre en œuvre rapidement les mesures par manque de moyens humains. Dans cet échange, nous partageons avec la métropole comme avec le département du Rhône le besoin d'augmenter la taille de nos équipes pour pouvoir répondre à ces questions de délais. Il s'agit plus de problématiques de moyens globaux, car nous dépendons beaucoup aussi du tribunal. Or, le tribunal souffre d'un manque de moyens et rencontre des difficultés de fonctionnement. Il compte 11 magistrats, mais nous avions des difficultés à les avoir tout le temps. Cette question aussi doit être prise en compte, et aussi celle des greffiers, qui se pose régulièrement à nous.

Au niveau national, on constate un paradoxe. Dans la situation actuelle, le fait de maintenir les enfants à domicile est plutôt encouragé par la société civile, mais cela ne se retrouve pas dans les budgets. On s'occupe autant de mesures éducatives que de placements d'enfants, mais la taille de nos budgets n'est absolument pas en rapport avec notre périmètre d'intervention. Cela se retrouve surtout au niveau national. L'Inspection générale des affaires sociales a remis un rapport en décembre 2019, qui témoigne clairement de cette dichotomie entre le souhait d'avoir des interventions diversifiées, adaptées et individualisées, non pas pour opposer hébergement et accompagnement en milieu ouvert, qui sont complémentaires, et les moyens. Cela doit être assez souple, pour prendre en compte la dimension individuelle et familiale et les trajectoires de chacun. Sur la question des moyens dédiés, nous avions effectivement anticipé une augmentation de l'activité à la sortie du confinement. Des efforts ont été faits sur nos fonds propres, mais aussi par des économies pendant la période, du fait d'un certain nombre de charges moins importantes que prévu. Nous avons mis des postes supplémentaires, mais nous sommes au maximum de ce que nous pouvons faire et effectivement nous attendons une réponse assez claire de la part de la métropole, à laquelle nous avons écrit.

Par ailleurs, l'on constate dans le secteur de la protection de l'enfance des difficultés de recrutement. Dans le secteur médico-social en général, nous sommes aujourd'hui en plus grande difficulté pour recruter des professionnels, pour des raisons salariales. Un travailleur social en début de carrière commence à 1 450 euros après un Bac+3. En outre, en milieu ouvert, aucune prime d'internat ne compense ce faible salaire. Cette question est très récurrente dans notre secteur. Lorsqu'on est financé uniquement par des fonds publics et qu'on n'a pas de souplesse, on est rapidement en difficulté pour pouvoir recruter. Cette problématique est nationale et récurrente depuis quelques années. Nous ne rencontrions pas de difficulté de recrutement deux ou trois ans auparavant, mais aujourd'hui, les candidats sont rares quand nous avons un poste ouvert, que ce soit en CDD ou en CDI. Cette problématique est plutôt nationale.

J'espère avoir répondu à la question sur les délais. Les besoins de nos partenaires, avec lesquels nous travaillons, doivent être pris en compte, car cela manque de fluidité. On fonctionne par à-coups et ce n'est pas très cohérent par rapport aux familles.

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Merci pour ces réponses. Je note notamment les difficultés de recrutement, que nous avons déjà évoquées dans ces auditions, liées aux conditions salariales. C'est un point important qu'il faut soulever. Merci beaucoup.

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Cela d'autant plus que les renforts seront clairement la question principale de ce suivi de crise. Messieurs, je vous remercie infiniment pour vos témoignages, que vous pouvez prolonger, je le précise, même si le délai est très court, avec les éléments auxquels vous avez déjà réfléchi et avec des préconisations.

L'audition s'achève à 12 heures 50.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 11 heures 45

Présentes. – Mme Marie-George Buffet, Mme Sandrine Mörch

Excusé. - M. Bertrand Sorre