Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Réunion du mardi 9 juin 2020 à 17h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES

Mardi 9 juin 2020

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

(Présidence de Mme Sereine Mauborgne, vice-présidente de la commission d'enquête)

La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition, du Dr Henriette de Valk, responsable de l'unité infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France et du Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France.

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Nous poursuivons les auditions de la commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles. Nous allons entendre aujourd'hui deux représentantes de Santé publique France, le Docteur Henriette de Valk, responsable de l'unité des infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses, et le Docteur Marie-Claire Paty, coordinatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses.

L'agence Santé publique France exerce des missions de surveillance, d'alerte et d'information sur les risques épidémiques. La crise sanitaire en cours conduit à s'interroger sur l'organisation française en la matière.

Mesdames, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à nos questions.

Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses.

Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc, Mesdames, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Mmes Paty et de Valk prêtent serment.

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Comme vous l'avez dit, Henriette de Valk et moi-même sommes toutes les deux médecins épidémiologistes. Personnellement, après quelques années de pratique clinique, j'avais travaillé dans les années 2000 à la direction générale de la santé (DGS) sur les premiers plans contre les maladies à transmission vectorielle.

Henriette de Valk, qui est responsable de l'unité depuis plusieurs années, a connu la plupart des crises liées aux maladies à transmission vectorielle.

Les maladies à transmission vectorielle, vous le savez, présentent de nombreux défis, parmi lesquels leur expansion, des émergences ou réémergences répétées et leurs liens très forts à l'environnement et aux activités humaines. Elles réservent aussi des surprises, comme des modes de transmission pas uniquement vectorielle : la transmission par les produits humains tels que la transfusion sanguine et la greffe, ainsi que, parfois, la transmission sexuelle.

Je commencerai par décrire les compétences de Santé publique France en matière de lutte contre les maladies vectorielles. Santé publique France n'est pas à proprement parler en charge de la gestion ni de ce qu'on appelle la lutte anti-vectorielle au sens strict, qui comprend la démoustication et des actions de mobilisation sociale. Mais par ses missions, Santé publique France participe au pilotage et à la gestion de la lutte contre les maladies vectorielles.

La surveillance épidémiologique consiste principalement, dans ce sens, en la détection et l'investigation des cas d'arboviroses en lien avec les services de lutte anti-vectorielle qui vont intervenir autour de ces cas pour prévenir une dissémination. Cette fonction de surveillance a aussi une visée d'alerte et d'orientation des politiques publiques.

La prévention repose en premier lieu sur la détection précoce des éventuels cas, de façon à faire des actions de contrôle comme la lutte anti-vectorielle. Concernant la prévention, Santé publique France élabore et met à disposition des outils d'information du public, en particulier des voyageurs et des professionnels de santé. Nous menons aussi des études qui permettent de décrire et de comprendre les comportements, comme les baromètres santé, qui peuvent d'ailleurs être réalisés à l'échelle régionale. Il faut néanmoins souligner le rôle prépondérant des agences régionales de santé (ARS) dans le domaine de la prévention, au travers des actions qu'elles financent, via des appels à projets par exemple, et au travers de leurs propres partenariats.

Enfin, en cas de crise, notamment d'épidémie pour ce qui nous concerne, après avoir lancé l'alerte, Santé publique France participe à la gestion de crise, dans le domaine de la communication au travers de la réalisation de spots télévisuels ou radiophoniques, ainsi qu'en réalisant le suivi épidémiologique de l'épidémie. Les travaux de modélisation réalisés avec nos partenaires modélisateurs scientifiques au cours de la crise, ont à plusieurs reprises permis d'anticiper les besoins en termes de soins, de structures sanitaires et de lutte anti-vectorielle. Enfin, lorsque c'est nécessaire, la réserve sanitaire peut être sollicitée et faire appel à des réservistes formés en lutte anti-vectorielle.

Pour réaliser la surveillance épidémiologique, nous utilisons différents outils : la déclaration obligatoire, le partenariat avec des réseaux de médecins sentinelles et des réseaux de laboratoires. Nous utilisons aussi les données hospitalières. Nous avons donc toute une palette d'outils, qui vont être utilisés ou non en fonction du niveau de circulation d'une infection. S'il n'y a pas de cas d'une maladie, nous allons utiliser des outils très sensibles qui chercheront à détecter le premier cas, et ce ne seront pas tout à fait les mêmes que lorsque l'on fait face à une épidémie. Les manifestations cliniques et les complications d'une maladie vont aussi guider les outils que nous utilisons. Une maladie grave avec des complications menant à l'hospitalisation ou à la réanimation va mener à des surveillances spécifiques avec les partenaires réanimateurs ou à des surveillances hospitalières. Lors de l'épidémie de Zika, des complications fœtales avaient amené à développer des partenariats pour la surveillance des complications obstétricales et fœtales.

Ces stratégies d'utilisation des différents outils sont définies dans des protocoles et dans des plans, notamment les programmes de surveillance, d'alerte et de gestion des épidémies (PSAGE), qui sont appliqués depuis plusieurs années aux Antilles. À la Réunion et à Mayotte, c'est dans le cadre d'un plan ORSEC. En métropole, c'était dans le cadre du plan anti-dissémination du chikungunya et de la dengue jusqu'en 2019. La disparition de ces plans, avec les nouveaux textes réglementaires de 2019, pose quelques questions sur les outils de type protocoles et plans que l'on pourra utiliser à l'avenir, et sur la manière de les élaborer.

Enfin, les données de surveillance font l'objet de rétro-informations régulières ; elles visent à être partagées. L'information s'adresse aux décideurs, aux professionnels, notamment de santé, et à la population, sous forme de points épidémiologiques. Le rythme de publication de ces points épidémiologiques est adapté à la situation ; il est accéléré en situation épidémique.

Enfin, nous organisons régulièrement des bilans et des retours d'expérience afin de faire évoluer si besoin nos outils et nos stratégies de surveillance.

Comment ces protocoles et ces plans sont-ils élaborés ? En raison du défi des maladies à transmission vectorielle – cet aspect lié aux activités humaines, à l'environnement, aux réservoirs animaux –, nous travaillons avant tout sur un mode collaboratif avec nos réseaux de partenaires, tant au niveau national que régional. Nos partenaires, ce sont en premier lieu les centres nationaux de référence, en particulier le centre national de référence des arbovirus, puisque nous parlons des maladies transmises par les Aedes. Ce sont aussi les opérateurs publics de démoustication, les autres agences sanitaires comme l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'Établissement français du sang (EFS). Ce sont des chercheurs dans divers domaines : l'entomologie, les sciences environnementales, les modélisateurs, mais aussi les sciences humaines et sociales qui sont fondamentales notamment quand il s'agit de prévention et de promotion de la santé. Nous avons ainsi de nombreuses collaborations avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD), l'Institut Pasteur, l'École des hautes études en santé publique, ainsi que l'unité de recherche mixte sur les virus émergents à Marseille, où est d'ailleurs situé le Centre national de référence des arbovirus. Ces collaborations visent à un partage d'informations et un partage de connaissances, à une analyse partagée du risque de ces maladies vectorielles, ainsi qu'à la réalisation d'études. Nous participons de plus à des travaux de recherche.

Pour mener à bien ce travail, nous disposons d'un programme maladies vectorielles qui inclut les actions que nous menons et nos partenariats. Santé publique France est organisée d'une part, à un niveau national, avec des directions métiers, dont la direction des maladies infectieuses, mais aussi la direction Prévention et promotion de la santé, la direction Alertes à crise et une direction Appui, traitement et analyse de données ; et d'autre part, avec des cellules en région qui sont qui sont réunies au sein d'une direction des régions.

Nous avons un niveau national, et un niveau régional qui est une grande richesse et une grande force pour des pathologies comme les maladies vectorielles. Depuis quelques années, nous avons organisé un groupe d'échanges de pratiques afin de collaborer au sein même de Santé publique France. Ce groupe est piloté par la direction des maladies infectieuses et la cellule régionale métropolitaine qui a le plus d'expérience et d'historique de ces maladies, qui est celle de Provence-Alpes-Côte d'Azur – Corse. L'objectif de ce groupe et de cette méthode de travail est de mutualiser nos expériences, nos expertises, de monter en compétences. Il nous a permis jusqu'à présent une assez bonne adaptabilité et réactivité. Nos échanges sont constants. Nous avons régulièrement, chaque année ou à l'occasion de nos bilans, des propositions d'évolution de nos dispositifs et de nos outils.

Vous nous aviez interrogées sur l'architecture institutionnelle. Je commencerai par les régions, puisque nous parlons, comme vous le souligniez, de pathologies à forte dimension territoriale. Au sein des régions, les interlocuteurs principaux des cellules de Santé publique France sont les ARS. Les modalités de collaboration entre les cellules en région et les ARS peuvent varier localement selon les régions. De façon générale, la cellule de Santé publique France élabore le dispositif de surveillance, apporte son appui et des conseils à l'ARS ; elle organise et mène les investigations en collaboration avec l'ARS, par exemple quand il y a une investigation à faire sur le terrain. C'est la cellule de SPF qui assure la rétro-information.

La prévention sur le terrain est vraiment davantage le domaine de l'ARS. C'est aussi une activité des opérateurs de démoustication. Les liens avec les mairies, pour ce qui nous concerne, sont rares. De la même manière, les interlocuteurs des mairies et des préfets sont les ARS. Dans les départements d'outre-mer, cette répartition des tâches et d'organisation est concrétisée par des comités d'experts qui sont animés par la cellule d'intervention en région (CIRE) de Santé Publique France, qui analysent et qui proposent ; et des comités de gestion qui décident, et qui sont, eux, animés par l'ARS. En cas de crise, la gestion relève du préfet. Par exemple, déclarer le passage en phase épidémique, disons en Guadeloupe, où existe en ce moment une épidémie de dengue, relève du préfet.

Au niveau national, la tutelle de Santé publique France est la direction générale de la santé (DGS) et les acteurs concernés par les maladies vectorielles au niveau national sont aussi les autres ministères, je le disais tout à l'heure, en particulier le ministère de l'Agriculture et le ministère de l'Environnement. Ce sont aussi les autres agences sanitaires. À l'Anses, il y a le laboratoire de référence de la fièvre West Nile et il y a aussi un groupe d'experts, le groupe de travail sur les vecteurs que vous allez auditionner bientôt, il me semble. Ce sont pour nous des interlocuteurs, des partenaires institutionnels. Il y a aussi l'ANSM, l'EFS et l'Agence de la biomédecine, parce que les risques de maladies vectorielles, comme je vous le disais tout à l'heure, sont également liés à la transfusion et à la greffe, en particulier l'infection à virus West Nile. C'est un vrai sujet, qui impose la protection des donneurs mais aussi l'assurance d'avoir des stocks de produits sanguins suffisants en situation épidémique. Bien entendu, nous travaillons aussi avec le Haut Conseil de la santé publique. Les experts cliniciens, virologues et les équipes de recherche peuvent être des partenaires, tant à l'échelle nationale, sur des projets nationaux, qu'à l'échelle régionale, sur des projets régionaux.

J'ai repris une question de votre questionnaire, où vous relevez une recommandation d'un article du Bulletin épidémiologique hebdomadaire, qui recommandait d'adapter la stratégie de lutte aux nouveaux enjeux écologiques et climatiques. Nous tenons beaucoup à cela à Santé publique France et que nous avons toujours argumenté et milité pour un dispositif qui soit adapté aux risques vectoriels. Pour nous, il s'agit, malgré l'augmentation des cas d'arboviroses et des épisodes épidémiques, comme on les connaît tous, d'être en mesure de limiter l'utilisation des insecticides, c'est-à-dire de ne pas les utiliser larga manu, mais de les utiliser d'une façon proportionnée au risque. Par exemple, nous avions fait des travaux et nous avions proposé de limiter, dans la situation métropolitaine notamment, l'utilisation des insecticides aux cas humains confirmés et probables, de ne pas mettre d'insecticides avant d'être sûr du diagnostic, et aussi d'avoir une utilisation efficiente de ressources humaines et techniques, qui sont quand même assez contraintes, en particulier en métropole – mais ce constat ne vaut pas que pour la métropole – où il n'y a pas des milliers d'agents de lutte anti-vectorielle ni d'éléments techniques. Pour cela, nous pratiquons une évaluation constante de nos pratiques et du risque de maladies vectorielles. Notre travail est interdisciplinaire et en réseau, dans une logique de santé globale. Nous menons donc des études de terrain ; nous participons et collaborons avec la recherche.

Cette préoccupation se traduit aussi par le souci de s'adapter aux spécificités régionales, puisque la situation épidémiologique et le risque de maladies vectorielles ne sont pas les mêmes dans toutes les régions du territoire national. Ceci est possible grâce à l'implantation des cellules d'intervention en région, qui sont vraiment une force, avec en particulier les comités d'experts locaux que je mentionnais tout à l'heure, qui sont animés par les CIRE et qui ont une connaissance locale adaptée à la situation locale ; des plans et des protocoles locaux – je parle des PSAGE aux Antilles – qui permettent une déclinaison des actions selon le niveau de transmission et la situation locale, et aussi des actions de recherche. Je parlais beaucoup de recherche opérationnelle jusqu'à présent. Je pense par exemple à une étude sur la séroprévalence du chikungunya à Saint-Martin, quand il y avait une épidémie en 2013 dans les Caraïbes et en Amérique latine. Je pense aussi à une étude de séroprévalence du Zika à Hyères. Lorsque nous avons détecté trois cas de Zika à Hyères, nous avons pu rapidement faire une enquête de séroprévalence, dont l'objectif était de connaître la diffusion exacte de cette infection dans la population. Ces recherches opérationnelles permettent aussi de bien caractériser les risques locaux. Nous avons aussi des travaux de modélisation de l'épidémie de dengue qui sévit à La Réunion – nous sommes à la troisième vague épidémique en trois ans. À l'époque de l'épidémie de Zika aux Antilles, des études de modélisation avait permis de caractériser le risque et aussi d'anticiper les besoins en lutte anti-vectorielle, mais aussi en lits de réanimation pour les syndromes de Guillain-Barré, ainsi qu'en matériels et en compétences obstétricales.

Les spécificités régionales, c'est aussi l'environnement régional international. Nos collègues en région nouent des partenariats, par exemple avec l'Agence de santé publique pour la Caraïbe – Caribbean Public Health Agency (CARPHA), l'Organisation panaméricaine de la santé – Pan American Health Organization (PAHO) en Amérique latine, le réseau de surveillance des épidémies et gestion des alertes (SEGA) pour l'océan Indien. En métropole, nous travaillons beaucoup avec le Centre européen de prévention et contrôle des maladies – European Centre for Disease prevention and Control (ECDC).

Par ailleurs, en métropole, il nous paraît aussi important d'adapter la surveillance et d'accompagner les équipes selon l'expansion du vecteur Aedes albopictus. Vous le savez, Aedes albopictus sera bientôt sur tout le territoire métropolitain ; pour l'instant, il ne se trouve que dans 58 départements, et la situation en Bretagne n'est probablement pas la même qu'en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). Ce sont des choses que nous souhaitons analyser avec nos partenaires de façon à avoir des actions et des mobilisations de ressources qui soient proportionnées au risque et à la situation locale.

Au terme de cette présentation, je vais partager quelques éléments de bilan. Ce sont des éléments plutôt positifs, mais nous pouvons les mettre au crédit du dispositif existant. Nous avons une capacité de détection précoce des cas. Si nous avons détecté en métropole beaucoup plus d'épisodes de transmissions autochtones de dengue, de chikungunya et de Zika, c'est parce que nous avons une capacité de détection précoce des cas, et non parce que nous avons plus d'épisodes. L'exemple du chikungunya l'illustre bien. Nous avons mis en évidence trois petits foyers de chikungunya, de deux cas en 2010 et d'une dizaine en 2014 et 2017, en Occitanie puis en région PACA. En Italie, il y a eu deux épidémies de chikungunya qui ont atteint plus de 300 personnes en 2007 et plus de 500 personnes en 2017. Nos situations ne sont pas très différentes. On peut penser qu'aujourd'hui, nous avons une capacité de détection assez rapide. De la même manière, en 2013, l'arrivée du chikungunya dans la Caraïbe et l'Amérique latine avait été détectée assez vite par nos collègues sur l'île de Saint-Martin, où le chikungunya était arrivé. À l'époque de l'épidémie de Zika, nous avions mis en évidence plusieurs cas de transmission sexuelle en métropole. Dans nos éléments de bilan, je l'ai déjà mentionné, les collaborations avec les modélisateurs deviennent une habitude et sont une grande aide pour anticiper et dimensionner le dispositif sanitaire et de lutte anti-vectorielle en cas d'épidémie.

S'agissant des souhaits d'évolution, c'est un peu le fil de mes propos, il paraît important de développer, au-delà des mots, l'approche qu'on ne qualifie plus de « One Health » mais de santé planétaire. Vis-à-vis de ces maladies, il est fondamental de faciliter les échanges interdisciplinaires et les bilans, adaptations, réflexions, en particulier au niveau décisionnaire national. Il ne faut pas trop fonctionner en tuyaux d'orgue, mais faciliter les échanges et les approches interdisciplinaires. Dans la même logique, il faut renforcer la coordination de tous les acteurs de la lutte contre les maladies vectorielles, les scientifiques, les décisionnaires, les opérateurs de démoustication, compétents en santé humaine, animale et environnementale, et à tous les niveaux ; favoriser les partages d'expérience, qui d'après notre expérience sont fondamentaux pour comprendre, faire évoluer et être en mesure de réagir ; et sécuriser les moyens humains, la formation et les compétences des acteurs de la lutte anti-vectorielle.

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Santé publique France, en reprenant notamment les compétences de l'Institut de veille sanitaire (InVS), de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) et de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), a fait de la lutte anti-vectorielle l'une de ses missions. Dans quelle mesure la réorganisation des compétences de ces instituts au sein d'un seul organisme à compétence nationale permet-elle une meilleure organisation et une plus grande efficacité ? Quel bilan tirez-vous de la création de Santé publique France après quatre ans d'existence ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

La réunion de l'ensemble de ces compétences permet une potentialisation des actions et des compétences. J'ai beaucoup parlé d'interdisciplinarité et d'échanges. Réunir l'ensemble de ces agences, c'était gagner en efficacité. Par exemple, les réservistes de l'EPRUS sont formés – pas uniquement, mais entre autres – par des membres de Santé publique France. C'est une souplesse, une facilité de fonctionnement certaine. Il y avait une logique de continuum de la prévention jusqu'à la crise. Avec la réunion de l'ensemble de ces agences, il y avait eu aussi une petite baisse d'effectifs, ce qui a eu des répercussions.

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Dr Henriette de Valk, responsable de l'Unité Infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Nous avons l'habitude, si on parle de lutte anti-vectorielle, de parler plutôt des actions contre les vecteurs – les moustiques, les tiques. Nous intervenons dans la lutte contre les maladies vectorielles, mais la lutte anti-vectorielle n'est pas notre mission. Notre mission est de rendre cette lutte anti-vectorielle possible, de l'orienter et de la guider, de mettre à disposition tous nos outils pour la surveillance notamment ; mais en soi, nous ne sommes pas en charge de cette lutte.

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Comment se répartissent les missions de prévention et de gestion de la crise sanitaire en termes de lutte contre les vecteurs ? Comment s'opère cette répartition des compétences au sein de Santé publique France ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

D'une part, il existe une répartition par métier. J'ai mentionné l'existence de directions métier, comme la direction de la prévention et de la promotion de la santé, qui va se charger de préparer des spots télévisés à utiliser en cas de crise, qui va élaborer des documents d'information à destination des professionnels de santé. Par exemple, il y avait ce qu'on appelle les repères pour bonnes pratiques, qui étaient très demandés, notamment ceux qui avait été réalisés sur le chikungunya, la dengue et le Zika. La direction des maladies infectieuses, elle, fait essentiellement de la surveillance.

D'autre part, il est important qu'il y ait une dimension régionale avec les cellules en région. Celles-ci sont plus généralistes que nos directions métiers et travaillent un peu sur ces différentes dimensions. Elles sont en interaction directe et en appui direct aux agences régionales de santé.

Ensuite, un groupe d'échanges de pratiques à l'intérieur de Santé publique France qui permet de réunir toutes ces différentes activités et compétences.

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Comment se décline le contrat d'objectifs et de performance pour 2018-2022 ? En ce qui concerne la lutte contre les maladies vectorielles, avez-vous défini des actions spécifiques en partenariat avec d'autres organismes de recherche notamment ? Quelles actions de prévention sont-elles prévues ? Avec quels moyens ? Faut-il mettre en place un contrôle et un dispositif de police pour lutter contre les gîtes larvaires ?

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Dr Henriette de Valk, responsable de l'Unité Infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Notre contrat d'objectifs et de performance est très stratégique et parle plutôt des maladies infectieuses en général. Il n'y a pas de spécificités sur les maladies à transmission vectorielle, mais on décline ces activités et ces objectifs dans notre programmation, avec des objectifs à un an et à cinq ans. Dans notre programmation, il y a toute une liste d'objectifs et d'activités spécifiques. Toujours dans nos missions, il existe en particulier des objectifs pour la surveillance, notamment l'amélioration de la surveillance, et l'adaptation aux évolutions de la maladie ou des maladies.

Ceci dit, les « maladies vectorielles » prises en compte sont plus larges qu'arboviroses et moustiques. Nous nous intéressons aussi aux infections parasitaires, le paludisme, la leishmaniose, les maladies transmises par les tiques.

La surveillance était prévue, surtout des bilans de la performance de la surveillance en termes de délais, de réactivité et d'efficacité, par l'évaluation et le bilan annuel, mais aussi par des études de recherche opérationnelle que nous avons mises en place, des études aussi en lien avec la recherche pour identifier les meilleures stratégies de surveillance des réponses, par la modélisation par exemple, qui fait l'objet d'une thèse scientifique en lien avec l'IRD. Sur cela, nous avons fait des propositions auprès de la DGS pour le renforcement du système et une meilleure adaptation. Nous mettons en place également l'évaluation.

Il y a pas mal d'activités – vous l'avez demandé aussi dans vos questions – en partenariat avec la recherche, c'est un élément important pour nous. Nous participons au comité de pilotage et au groupe de travail Arboviroses du consortium REACTing ( Research and action targeting emerging infectious diseases ), que vous avez déjà auditionné. Nous avons programmé des études de modélisation des stratégies de surveillance avec l'IRD. Il y a aussi un travail avec l'IRD sur l'estimation du coût de la surveillance et de l'invasion des Aedes albopictus. Nous regarderons surtout les coûts de la surveillance et de l'intervention, et l'IRD regardera les autres coûts.

Un professeur du National institute of health est venu chez nous pendant plusieurs mois pour évaluer de façon critique tous nos foyers d'émergence, afin d'en extraire les leçons que nous avons apprises, les facteurs contribuant à la transmission autochtone – quand celle-ci a-t-elle lieu ? Où sont les failles dans le système ?

Il y a actuellement plusieurs études de séroprévalence. Une étude de séroprévalence est programmée à Mayotte, notamment pour regarder le niveau d'immunité contre le chikungunya, la dengue et surtout la fièvre de la Vallée du Rift. Une étude de faisabilité – un peu bousculée par la Covid-19 – est programmée pour étudier la survenue de cas d'infection du virus Toscana en PACA, mais malheureusement cela a été repoussé par le Covid-19. En partenariat avec la recherche également, il existe des études ou des propositions d'études en collaboration avec l'Anses, notamment sur la fièvre de la Vallée du Nil occidental et le virus Usutu, pour n'en mentionner que quelques-uns.

Notre programmation comporte aussi des actions de prévention et un appui pour l'éducation à la santé, avec le développement des outils que l'on peut mettre à disposition, notamment en situation de crise. Il y a également un travail sur les recommandations pour les voyageurs, avec notre contribution pour la publication d'un numéro du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) regroupant toutes ces recommandations chaque année.

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Concernant l'éditorial, vous avez répondu en nous disant ce qui était prévu en métropole. Or, nous savons que les arboviroses se trouvent surtout en outre-mer. Qu'est-ce qui est prévu pour les outremers ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Pour les outre-mer, Santé publique France ne pourra pas répondre seul car il y a absolument besoin aussi d'expertises entomologiques et environnementales, parce que les nouveaux enjeux portent sur les résistances aux insecticides et la biodiversité. C'est un travail qui doit être fait en partenariat avec l'Anses et l'expertise qui y est dorénavant réunie dans son groupe de travail Vecteurs.

Sur ces questions s'agissant de l'outre-mer, le Centre national d'expertise des vecteurs, dont vous avez auditionné les précédents directeurs, Didier Fontenille et Fabrice Chandre, était une richesse. Je pense aux questions de résistance, à la question de l'utilisation du malathion, en désespoir de cause, en Guyane – dont je ne suis pas experte. Adapter la stratégie de lutte contre les arboviroses dans les départements d'outre-mer soulève des questions très compliquées. Nous avons particulièrement besoin d'une réponse au travers de structures interdisciplinaires, mais avec des opérateurs et des chercheurs en entomologie, en environnement. Il y a aussi la question, dont je ne suis pas experte, des nouveaux outils alternatifs aux insecticides. Cette question-là, pour les départements d'outre-mer (DOM), relève d'une échelle bien plus grande que celle de la métropole, et nécessite la réunion de toutes ces expertises, associant, non seulement la recherche, mais aussi les opérateurs – et c'était la richesse du CNEV : une structure qui permette de réunir tous ces acteurs, ainsi que nous les épidémiologistes, bien sûr.

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Santé publique France dispose de cellules en régions, au sein des ARS. Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne celle collaboration, en particulier au sein des territoires ultramarins ? La scission de l'ARS océan Indien en deux agences a-t-elle eu des incidences positives en termes d'efficacité et de réactivité ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Je l'avais un peu mentionné tout à l'heure : l'articulation, la collaboration entre les ARS et les cellules d'intervention en région au niveau de l'outre-mer est pour beaucoup une répartition dans laquelle l'ARS décide, mais la CIRE pilote et coordonne la surveillance. Elle apporte un appui et des conseils. Elle anime des comités d'experts qui vont émettre des préconisations et des propositions à l'ARS et au préfet. La CIRE organise le dispositif de surveillance, anime le comité d'experts, fait la rétro-information au travers par exemple des points épidémiologiques. La cellule en région et l'ARS entretiennent des liens quotidiens, avec une analyse partagée et des discussions sur la situation et la réponse à apporter.

En ce qui concerne la séparation des ARS de Mayotte et de La Réunion, c'est un peu tôt à mon sens pour répondre. En ce qui nous concerne directement, nous avons autonomisé la cellule en région de Mayotte. Cette autonomie de la CIRE de Mayotte permet de mieux s'adapter et se concentrer sur la situation de Mayotte, qui est particulièrement complexe et difficile. Une équipe uniquement consacrée à Mayotte, et non plus à cheval entre La Réunion et Mayotte est quand même un pas en avant, d'autant qu'il y a plus de personnes et plus de moyens. Nous sommes en train de renforcer la CIRE Mayotte, qui représente un plus.

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La gestion de la lutte anti-vectorielle est davantage une compétence territoriale que nationale, la répartition du risque n'étant pas la même sur l'ensemble du territoire. Quel rôle de pilotage joue Santé publique France en tant qu'établissement public national en matière de lutte anti-vectorielle ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Comme nous le disions tout à l'heure, la lutte anti-vectorielle au sens un peu restreint de démoustication et d'actions de mobilisation sociale, ne relève pas tellement de Santé publique France. Nous sommes plutôt dans une lutte contre les maladies. Le pilotage de Santé publique France consiste à monter des dispositifs de surveillance et des stratégies de surveillance, à les adapter en permanence à leur faille, à leur réussite, à l'évolution de la situation. Cela consiste à participer à la prévention, laquelle relève aussi des ARS sur le terrain. La fonction de pilotage est donc dans l'élaboration de ces protocoles et ces dispositifs, ainsi que dans l'animation d'un réseau, dans l'échange des connaissances et des expériences. Santé publique France ne se contente pas des déclarations obligatoires de maladies et des médecins sentinelles ; il s'agit aussi d'échanger avec les entomologistes, avec la santé animale et avec les experts du West Nile, dont les réservoirs sont des oiseaux et dont les chevaux sont comme les hommes des hôtes accidentels. C'est aussi échanger avec les opérateurs de démoustication parce qu'on va conduire avec eux des investigations. Le pilotage comprend une grande dimension d'animation de l'interdisciplinarité.

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Pouvez-vous expliquer précisément comment Santé publique France pilote la gestion des crises sanitaires dues aux maladies vectorielles ? Quels sont les protocoles mis en œuvre ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Le pilotage des crises sanitaires relève de l'État et du préfet. Nous ne sommes là qu'en appui.

Les protocoles sont inclus dans les plans, dont je me demandais, avec les nouveaux textes de 2019, comment le décisionnaire prévoyait de les faire évoluer. Nous avions les PSAGE aux Antilles, les plans ORSEC à la Réunion, le plan anti-dissémination en métropole. Nos protocoles de surveillance, ou les protocoles de lutte anti-vectorielle autour des cas (cas sporadiques, foyers, épidémies), sont écrits dans ces plans. Les nouvelles instructions disent qu'ils doivent changer : il faut maintenant élaborer les prochains. Santé publique France participera à ce travail et fera ses propositions pour ce qui relève de ses compétences dont la surveillance. Les protocoles se trouvent donc dans les plans ; ils sont faits aussi avec les comités d'experts nationaux ou régionaux, quand il y en a régionalement.

Il y avait aussi cette dimension de communication. En métropole, à l'époque du Zika, des actions de communication télévisées et radiophoniques étaient notamment prévues et réalisées par Santé publique France. Dans les DOM, qui ont une expertise, une expérience et une pratique, ce type d'action est réalisé par l'ARS et non par Santé publique France.

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Nous sommes toujours dans les protocoles. L'épidémie de dengue et de chikungunya est devenue endémique dans plusieurs territoires ultramarins, dont Mayotte. Comment Santé publique France gère-t-il les systèmes d'alerte sanitaire dans ce cas précis ? Quel protocole précis est-il mis en place ? Vous avez parlé tout à l'heure d'études de modélisation concernant la dengue. Je souhaiterais vraiment avoir une précision sur Mayotte et La Réunion, parce que nous parlons du Covid-19, mais en réalité la population a été davantage affectée par la dengue, et il y a eu beaucoup de décès à cause de la dengue, plutôt que de la Covid-19.

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Je ne ferai pas de comparaison entre les deux, mais effectivement, vous avez tout à fait raison. Le pic vient peut-être de passer, mais l'épidémie de dengue la plus importante jamais enregistrée à Mayotte est en train de se dérouler. Il y a des signes de gravité, avec au moins 16 décès en 2020.

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. 16 décès officiellement – parole de médecins. Beaucoup de malades de la dengue hémorragique sont morts à domicile.

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

. Je vous crois, parce qu'effectivement, nous avons des éléments. Nous avions fait une fiche alerte dans nos protocoles. Mayotte est l'endroit où la situation de la dengue est le plus préoccupante, avec cette épidémie d'une ampleur inégalée, des signes de gravité, et beaucoup de décès. Il est possible aussi que l'épidémie soit la plus importante et que les chiffres soient encore supérieurs à ceux que l'on a.

La Covid-19 est arrivé en sus de cette épidémie. Cela a pu jouer dans la gravité, parce qu'il a fallu fermer certains dispensaires. Il y a eu effectivement des difficultés d'accès au diagnostic, de recours aux soins et d'accès aux soins pas seulement à Mayotte. Tout cela a pu participer à la gravité de cette épidémie. J'ai parlé de modélisation : il n'y a pas eu de modélisation de l'épidémie de Mayotte. Par contre, il y a eu un suivi avec les difficultés que l'on connaît. Ceci étant, on peut espérer un début de décroissance de l'épidémie. Il va absolument falloir se pencher sur cette épidémie et comprendre d'où vient sa gravité.

Je voulais faire le lien avec le groupe Vecteurs de l'Anses, dont j'ai fait partie : à la demande de la DGS, il y a eu un travail important sur l'impact du confinement et de la Covid-19, et sur les actions de lutte anti-vectorielle. Notre recommandation, identique à celle de l'OMS, est de dire la lutte anti-vectorielle est fondamentale et doit être maintenue du fait de l'épidémie de Covid-19. Nous avons des données objectives pour pouvoir comparer les décès des deux maladies, mais la dengue ne doit pas être oubliée, et les moyens de lutter contre la dengue ne doivent surtout pas être abandonnés du fait d'une autre maladie.

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Dr Henriette de Valk, responsable de l'Unité Infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Je voudrais compléter sur la modélisation. Nous avons utilisé des études de modélisation que nous avons faites avec l'Institut Pasteur en équipe de modélisateurs. Concernant la dengue, nous l'avons fait à La Réunion pour pouvoir prédire un peu le pic de l'épidémie, afin de pouvoir ajuster les moyens. Cela a été réalisé avec succès aussi pour le Zika aux Antilles, quand il y avait l'épidémie, pour prévoir le nombre de lits en réanimation, par exemple.

Ce dont deux exemples où nous avons un virus qui circule dans un terrain plutôt non affecté auparavant. Dans ce cas-là, la modélisation semble être un bon outil pour pouvoir prédire, mais pas toujours. On avait par exemple prédit pour cette année à La Réunion une faible troisième vague ; dans les faits, la troisième vague est aussi importante que la deuxième.

Il y a d'autres cas dans lesquels il est beaucoup plus compliqué de réaliser ce type de travaux : aux Antilles ou à Mayotte, par exemple, là où le virus de la dengue a déjà circulé pendant plusieurs années, il existe un niveau d'immunité dans la population. Étant donné qu'il y a un grand manque de connaissance sur l'immunité croisée d'un sérotype de dengue contre un autre, trop de paramètres manquent pour rendre ces travaux possibles. On peut faire des tentatives, il y a un travail en cours, mais c'est beaucoup plus difficile. Cela explique pourquoi on les fait dans certaines situations et pas dans d'autres.

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Le dispositif de déclaration obligatoire de maladies infectieuses est-il efficace ? Concerne-t-il le West Nile ? Comment les signalements sont-ils gérés ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

. Le dispositif de déclaration obligatoire, je le disais au début de la présentation, est un des outils de la surveillance. C'est un outil efficace dans certaines circonstances, en particulier quand le nombre de cas n'est pas trop élevé. Dans le cadre de la déclaration obligatoire, les laboratoires ou les médecins cliniciens déclarent chaque cas qu'ils diagnostiquent. Dans la phase épidémique, quand il y a énormément de cas, la déclaration obligatoire est dépassée. Elle est donc efficace dans certaines circonstances et pas dans d'autres. Les médecins sentinelles sont un dispositif beaucoup plus adapté à une situation épidémique.

À ce jour, le chikungunya, la dengue et le Zika sont à déclaration obligatoire ; on lève éventuellement la déclaration obligatoire en cas d'épidémie.

Concernant le West Nile, il n'était pas à déclaration obligatoire jusqu'à présent, parce que la surveillance était relativement simple, le centre national de référence des arbovirus étant le seul à faire le diagnostic jusqu'à il y a deux ou trois ans. Le CNR assurait la surveillance en nous disant tous les cas qu'il diagnostiquait, pour simplifier. Il n'est plus le seul en capacité à faire ces diagnostics. Nous avons demandé que le West Nile soit à déclaration obligatoire. Le Haut Conseil de la santé publique a été saisi par la direction générale de la santé et a émis un avis positif : le West Nile va donc être à déclaration obligatoire.

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Est-ce que la réserve sanitaire a déjà été utilisée dans les territoires ultramarins ? Quel retour d'expérience pouvez-vous en faire ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Le dispositif de la réserve sanitaire a effectivement été utilisé dans les outremers, en particulier pour l'épidémie de dengue à La Réunion. La direction de l'alerte et crise et la direction de la réserve sanitaire de SPF disposent d'un pool de réservistes, parmi lesquels des agents de lutte anti-vectorielle, des entomologistes, des ingénieurs formés à la lutte anti-vectorielle et formés à la situation à La Réunion, avant de partir. 15 réservistes étaient partis à la Réunion en rotation ; il y avait eu un retour d'expérience et un bilan à la fin de ces missions, qui avaient été positifs et qui avaient conclu à l'intérêt des travaux de modélisation sur le dimensionnement du dispositif.

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Dr Henriette de Valk, responsable de l'Unité Infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Ce dispositif passe par une demande de l'ARS, qui demande ces renforts et précise les profils souhaités. Il y a environ 60 à 80 professionnels qui sont formés. Par exemple, en février, ces personnes ont été formées au cas où. À ce jour, il y a eu une demande seulement de la Réunion. Effectivement, ils ont conclu que cela avait été un succès.

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Les deux départements d'outre-mer de l'océan Indien, La Réunion et Mayotte, ont dû gérer, comme on l'a dit tout à l'heure, les deux épidémies de dengue et de Covid-19 en même temps. Le pilotage de l'alerte sanitaire par le même établissement permet-il d'apporter une réponse idoine et suffisamment réactive ? Une agence dédiée à la lutte anti-vectorielle ne serait-elle pas plus efficace ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

À cette question, qui n'est pas forcément très facile, un niveau de réponse consiste à dire qu'il est bien d'avoir une même agence pour les deux maladies, de sorte que nous n'avons pas des œillères et que nous voyons l'impact de l'une sur l'autre. Par exemple, tout à l'heure, quand je parlais du fait que l'épidémie de Covid-19 avait un impact sur la dengue, est-ce que des recherches faites dans deux structures différentes vont permettre de se rendre compte des effets et des impacts d'une épidémie sur l'autre ? Ce n'est pas sûr. Est-ce que le fait de créer une structure supplémentaire va faciliter les choses ? Ce n'est pas évident.

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Dr Henriette de Valk, responsable de l'Unité Infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

. Il est vrai que la Covid-19 a compliqué les choses pour la dengue, mais cela aurait sûrement été aussi le cas avec une agence séparée, car les mesures contre la Covid-19 faisaient que la lutte anti-vectorielle ne pouvait plus être faite de la même façon. Cette situation a donné lieu à ce travail par le groupe de travail de l'ANSES, afin d'adapter les moyens de mener cette lutte en respectant la distanciation sociale.

Il faudra bien sûr que les moyens en général pour la lutte anti-vectorielle soient sanctuarisés et pas pris pour d'autres crises possibles, comme les épidémies de grippe ou de rougeole.

Ce qui est vraiment important pour la lutte anti-vectorielle, c'est qu'il y ait un lien de proximité et très étroit avec les personnes qui font la surveillance, parce qu'elles sont tellement liées l'une à l'autre. La surveillance oriente la lutte vectorielle, mais les équipes qui vont sur le terrain rapportent des informations très importantes pour la surveillance. Ce lien doit vraiment être un lien de proximité.

La lutte anti-vectorielle ne consiste pas seulement à sortir pour la pulvérisation, mais aussi pour la recherche de cas en porte-à-porte. Cet élément de prévention et d'éducation à la santé relève aussi des missions de l'ARS, et qui a ses contacts et ses partenaires. Il ne faudra pas, qu'une agence dédiée créée trop de séparation à ce niveau.

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Pensiez-vous à une agence au niveau régional ou au niveau national ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Je voulais en être sûre, comme vous avez fait le lien avec Mayotte.

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Comme nous l'avons dit tout à l'heure, les maladies vectorielles touchent plutôt les territoires d'outre-mer, notamment Mayotte. Effectivement, on a vécu la crise de la Covid-19 et la crise de la dengue, et la Covid-19 a pris le dessus. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le nombre de décès dus à la dengue a augmenté, d'une part parce que l'hôpital n'était plus accessible, et d'autre part parce que les gens se disaient qu'ils risquaient d'y attraper la Covid-19 quand ils avaient accès à l'hôpital : l'hôpital devenait ainsi inaccessible une deuxième fois. Les personnes mouraient donc de la dengue à domicile. Les chiffres officiels font état de 4 000 infections par la dengue à Mayotte, alors que nous en sommes aujourd'hui à 2 000 infections au Covid-19. Il y a eu des circonstances qui ont fait que Mayotte est restée en zone active, mais nous comptons uniquement 2 000 infections à la Covid-19, comparées à 4 000. Il est possible qu'il y ait eu beaucoup plus de décès du fait de la dengue. Parmi les mesures, le confinement à domicile a été mis en œuvre, mais la lutte anti-vectorielle a été arrêtée puisqu'on n'avait plus accès à ces domiciles. Le ramassage des ordures n'était plus effectués. Les campagnes de lutte contre la dengue n'étaient plus réalisées, même à la télévision, où l'on parlait uniquement de la Covid et non de la dengue. C'est pour ça qu'on se pose la question : que faut-il faire ? Ces territoires – Mayotte, La Réunion, les Antilles, la Guyane, et les autres territoires d'outre-mer – sont dans une vraie souffrance.

Quelles évolutions institutionnelles, mais également en termes de moyens humains et techniques, préconiseriez-vous pour une plus grande efficacité et réactivité, en particulier dans les territoires ultramarins, davantage exposés aux maladies vectorielles ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

. C'est un peu ce dont je parlais. Il y a un aspect important, qui est absolument de garder des moyens humains et des compétences en matière de lutte contre les maladies à transmission vectorielle, parce que dans les territoires où elles sont déjà endémiques ou endémo-épidémiques, les besoins sont déjà très importants, et ces besoins vont se développer aussi en métropole, même si la situation et la menace n'ont rien à voir avec ce qu'elles sont dans les DOM. Il est donc fondamental de garder des forces vives et des compétences.

Les évolutions institutionnelles sont liées pour partie à la manière de faire, à l'interdisciplinarité. Il est important qu'il y ait des échanges, des bilans, mais avec une certaine souplesse, en évitant de se retrouver dans une structure trop rigide et réglementaire. Il faut absolument, dans ces domaines-là, avoir des manières de faire qui soient dominées par la souplesse, l'ouverture aux choses auxquelles on ne s'attendait pas. Pour nous, cela avait été les complications fœtales du Zika. Il faut être en mesure de réagir vite, de se parler. Il faut de l'interdisciplinarité et de la souplesse : il convient de ne pas avoir d'un côté les chercheurs, de l'autre les opérateurs de démoustication, d'un autre encore les ARS, mais il faut pouvoir travailler et réfléchir ensemble.

Il est vrai que sur le plan institutionnel, il y avait un endroit où cela se passait, c'était le Centre national d'expertise des vecteurs. comme le bilan était plutôt positif, pour assurer la pérennité de cette mission,, cette expertise a été maintenant déplacé à l'Anses, avec le GT Vecteurs, mais les missions ne sont pas tout à fait les mêmes. Par exemple, les opérateurs de démoustication, du fait de potentiels conflits d'intérêts, ne sont pas représentés dans le groupe de l'Anses.

Sur le plan institutionnel, fonctionnel, il y a peut-être besoin d'appuyer et aussi de faciliter ces échanges, parce qu'il y a des choses qui se créent, comme le Vectopôle autour des équipes de Montpellier. C'était mon credo sur ce sujet.

Nous en avons moins parlé parce que il ne s'agit pas d' Aedes, c'est plutôt les moustiques Culex, mais le West Nile est une maladie très compliquée. Autant on sait qu'autour d'un cas de dengue, il faut faire de la démoustication, autant, avec un cas humain de West Nile, ce n'est pas évident parce que le réservoir n'est pas l'homme mais l'oiseau. Faut-il faire de la démoustication autour des cas humains de West Nile ? Jusqu'à présent on ne le faisait pas ; peut-être est-ce nécessaire en milieu urbain. Personne n'a de réponse définitive. Il est nécessaire de travailler ensemble. Nous le faisons déjà, mais il faut favoriser ce travail collectif, l'impulser encore plus, entre santé animale, santé humaine, entomologie.

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Est-ce qu'il ne faudrait pas un centre d'études interdisciplinaire, comme le Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV) l'était ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Je n'ai pas de solution clé en main à vous donner : mais une partie de ce que faisait le CNEV n'a pas pu continuer exactement à l'identique. Il y a certainement quelque chose à imaginer ou à favoriser – peut-être qu'il existe et que je ne le connais pas.

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Santé publique France siège au Conseil d'administration de l'ECDC. Pouvez-vous nous préciser la nature de vos collaborations ? Comment se fait la coordination européenne en matière de lutte anti-vectorielle, en termes d'expertise scientifique, en termes de collecte de données, en termes d'alerte sanitaire et de gestion de la crise sanitaire ?

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Dr Henriette de Valk, responsable de l'Unité Infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Depuis la création de l'ECDC, la directrice générale de notre agence est membre de son conseil d'administration et nous sommes aussi membres de son conseil scientifique l' Advisory Forum. L'ECDC s'est organisé avec tous les pays en créant un réseau avec un coordinateur par pays : ce coordinateur se trouve à Santé publique France. Ensuite, pour leurs programmes et leurs maladies pathologies spécifiques, il existe des points focaux nationaux.

L'ECDC a un programme sur les maladies émergentes et vectorielles, plus large que les maladies vectorielles, qui englobe aussi Ebola et les zoonoses. Pour ce programme, Marie-Claire Paty et moi-même sommes points focaux nationaux, le point d'entrée dans le pays, et nous pouvons faire le lien vers d'autres partenaires en cas de besoin. Nous faisons aussi partie du comité de pilotage de ce programme : nous avons la possibilité d'influencer le programme et les objectifs qui sont mis en place.

L'un des objectifs est de mettre en place une surveillance harmonisée en Europe. Nous contribuons au développement de définition de cas, des protocoles. Nous transmettons nos données de façon annuelle pour le chikungunya et la dengue, mais de façon trimestrielle pour Zika, et même de façon hebdomadaire ou en temps réel pour West Nile. L'ECDC assure la rétro-information et établit des cartes où on voit toutes les semaines la circulation du West Nile chez les animaux et chez l'humain, qui sont un outil très important pour ceux qui s'occupent de la transmission par les produits d'origine humaine.

L'ECDC a aussi un rôle très important de partage d'expérience, qu'on apprécie beaucoup. Pour le West Nile par exemple, il y a des pays plus concernés que d'autres. Actuellement, on voit que la zone de circulation s'étend et il y a des pays qui n'étaient pas confrontés à ce problème, comme l'Allemagne, qui maintenant le sont. L'ECDC organise des ateliers, des séminaires ou même des visites d'études ou des évaluations entre pays pour partager l'expérience. En 2001, nous étions les premiers à monter un plan de surveillance et de contrôle du West Nile, avec l'aide des Américains qui venaient de le mettre en place chez eux. Quand l'Italie a eu un problème, elle a copié nos plans ; maintenant elle possède un plan plus élaboré que le nôtre, qui nous inspire. Je crois qu'ils ont vraiment un rôle et un point très positif.

Ils ont aussi des projets auxquels on participe, dont le projet VectorNet, qui est un réseau d'entomologistes qui travaillent en santé humaine ou en santé animale. C'est un projet combiné de l'ECDC et de l'Autorité européenne de sécurité des aliments – European Food Safety Authority (EFSA), ce qui est bien car cela illustre la démarche « One Health ». Ce réseau remplit un peu cette fonction d'expertise et évalue la meilleure façon de faire la surveillance entomologique, avec un partage d'information entre pays. Il peut contribuer de façon très intéressante. Actuellement, ils ont des moyens limités, mais ce genre de projet contribue bien à cette situation.

En ce qui concerne les régions outre-mer, bien sûr, il y a moins d'activité. Il est possible de saisir l'ECDC, de poser des questions ou de demander par exemple des évaluations de risques. Dans ce cas-là, l'ECDC ou VectorNet peuvent réagir, mais ce n'est pas le même niveau de compétences.

Une autre activité de l'ECDC, qui est faite avec les États membres, est l'évaluation de risques. Il y a un système pour signaler ou alerter en temps réel l'ECDC et les autres États membres. Par exemple, si on a un cas autochtone de West Nile, d'autres pays vont prendre des mesures pour leurs voyageurs qui reviennent, et qui sont par exemple exclus comme donneurs de sang. De même, si on a un foyer, des cas autochtones de chikungunya ou de dengue, ou une épidémie importante comme maintenant à Mayotte, à La Réunion et aux Antilles, il y a un signalement. Dans ce cas-là, l'ECDC produit des analyses de risques rapides, qui fait l'état de la situation, avec les Etats membres. C'est un outil très important pour les autres pays qui normalement n'ont pas accès à tous ces informations. Ces évaluations de risques rapides, auxquelles nous contribuons beaucoup, sont très appréciées par les États membres.

L'ECDC a d'autres projets intéressants, comme le projet Lapnet, dont Isabelle Leparc-Goffart a dû parler. C'est un réseau des laboratoires de référence ou des laboratoires qui font des travaux importants sur les maladies émergentes et les transmissions vectorielles. Par exemple, pendant la crise de Zika, cela a permis une collaboration européenne pour mettre rapidement en place toutes les techniques de diagnostic, ce qui est était difficile et urgent.

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Je vous repose la même question pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS), avec qui Santé publique France est également en lien.

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Dr Henriette de Valk, responsable de l'Unité Infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Les liens sont moins intensifs avec l'OMS, notamment parce que les liens passent par l'ECDC, qui travaille avec OMS. L'OMS est souvent invitée aux réunions, aux séminaires de partage. Au niveau de l'Europe, nous transmettons les données ; cela ne va pas beaucoup plus loin que cela.

Aux Antilles, par exemple, ou en Guyane, il y a une collaboration avec l'Organisation panaméricaine de la santé – Pan American Health Organization (PAHO), qui est assez active. Il s'agit surtout aussi une transmission de toutes nos données, et une contribution à l'évaluation de risques que cette organisation prépare et qui est souvent complétée par nos cellules régionales. Actuellement, nous en avons une en cours, reçue hier, sur la Guadeloupe et sur toutes les Antilles. Nous faisons un travail commun avec la PAHO pour évaluer ces risques.

De même, la PAHO organisé des échanges de pratiques, des séminaires et des groupes de travail régionaux.

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Cette collaboration européenne et internationale vous paraît-elle suffisante ? Ne faudrait-il pas avoir une agence dédiée à la lutte anti-vectorielle au vu de la spécificité de ces missions ?

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Dr Henriette de Valk, responsable de l'Unité Infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

En ce qui concerne la lutte anti-vectorielle elle-même, l'Europe n'interviendra pas directement dans les pays, donc une agence dans ce sens nous semble difficile.

Avec le CNEV, nous avons eu de bonnes expériences, nous avons vu une vraie réactivité des gens du terrain, avec l'expérience et l'expertise. Une structure de cette forme-là au niveau européen et international pourrait être très intéressante. Le réseau VectorNet pourrait peut-être jouer ce rôle, mais pour le moment, il n'est pas dimensionné pour répondre aux demandes, car dès lors qu'une telle structure existe, les demandes se multiplient et les réponses nécessitent un bon investissement. Je suis dans le comité de pilotage de VectorNet. Nous réfléchissons aux questions de santé publique, mais on ne peut en poser qu'une à trois par an. Par exemple, cette année, nous avons demandé des conseils et un partage d'expérience sur les méthodes de lutte anti-vectorielle pour le virus du Nil occidental : ils travaillent sur ce sujet, mais je ne pense pas qu'ils puissent prendre de multiples demandes. Dans ce sens, une agence pourrait être intéressante.

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Vous avez parlé de détection précoce. J'aimerais vous entendre à nouveau sur la façon dont elle s'organise. Si demain il y avait une amélioration particulière apportée sur cette question de détection, comment vous la visionnez finalement ? Est-ce que c'est en termes de moyens, en termes de communication, en termes organisationnels ? Comment s'organise toute cette chaîne de détection au bénéfice de nos concitoyens ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Effectivement, la détection précoce est au cœur de ce qui peut permettre de lutter contre ces maladies. Il y une question d'information et de sensibilisation des professionnels de santé, pour qu'ils pensent au diagnostic. Il faut disposer des moyens du diagnostic, mais en règle générale, on en dispose. Cela peut être des outils que nous produisons, tels ce que nous appelons les Repères pour votre pratique, mais c'est aussi la communication par les réseaux professionnels. Quand on parlait de partenariat, de travail en réseau, cela consiste à travailler avec les sociétés, les groupes de généralistes ou de pathologies infectieuses, mais aussi la population, et en particulier pour ces maladies, les voyageurs. Pour eux, plusieurs choses sont importants, dont la détection précoce : s'ils ont des symptômes dans les 15 jours après le retour d'un voyage en zone de transmission, c'est-à-dire en gros la zone intertropicale, il faut qu'ils pensent à consulter leur médecin et qu'ils indiquent bien qu'ils ont voyagé. Ces maladies, peu à peu, sont connues, parce que dans nos surveillances, on a un certain nombre de cas où c'est le patient qui a insisté auprès de son médecin pour que le diagnostic soit fait. Ce n'est pas systématique, mais cela arrive. Le patient sait qu'il a voyagé, et dans l'avion on lui a dit qu'il y avait une épidémie de dengue ou de chikungunya.

L'information doit concerner à la fois les professionnels et la population, sachant qu'outre le diagnostic, les messages seront aussi de se protéger des moustiques, sur place évidemment, mais aussi quand on revient. Nous ne l'avons pas dit parce que nous n'avons pas repris toutes les manifestations cliniques, mais l'une des difficultés de la dengue est qu'elle compte beaucoup de cas asymptomatiques. Pendant longtemps, on se demandait si des gens asymptomatiques participaient au cycle de transmission, c'est-à-dire s'ils étaient piqués par un moustique. La réponse est probablement oui.

La détection précoce est importante, elle ne suffit pas parce qu'il y a aussi les asymptomatiques. Là, ce sont des consignes à titre individuel de protection contre les piqûres de moustiques, et tout ce qui est lutte contre les gîtes larvaires.

Cela concernait la communication et l'information. En matière d'organisation ? l'important est vraiment l'information de base. L'enjeu est d'avoir des moyens d'information qui soient efficaces. On dit souvent qu'un courrier de l'ARS part à la poubelle. Je ne dis pas cela comme un reproche, nous avons tous beaucoup de papiers, mais il faut réfléchir aux bons moyens d'information. Quand il y a un foyer autochtone – je donne l'exemple de la métropole parce que c'est la saison – nous en parlons, et après les gens y pensent.

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Dr Henriette de Valk, responsable de l'Unité Infections zoonotiques, vectorielles et alimentaires au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

La surveillance humaine est importante. Mais aussi la surveillance entomologique, consistant à bien continuer à suivre la présence ou l'extension de l'aire de l'implantation des vecteurs, parce qu'à sa suite, on fait un autre type de sensibilisation. Actuellement, le pays entier est considéré à risque, mais on sait qu'il y a des zones plus à risque que d'autres où il faut surveiller plus intensément.

Pour la surveillance humaine et la détection précoce, la sensibilisation de la population et des professionnels de santé est importante, mais il faut aussi ne pas avoir d'obstacle pour faire confirmer l'infection. En France, cela ne pose pas de difficulté, puisque les tests de diagnostic sont pris en charge par la sécurité sociale.

Regardons ce qui s'est passé en Italie avec les deux épidémies de chikungunya. Pourquoi ont-elles été si importantes ? Ce n'est pas parce que les mesures de contrôle étaient insuffisantes une fois la maladie détectée ; mais parce que la détection était assez tardive, parce que les gens ne consultaient pas, ou parce qu'ils consultaient mais n'étaient pas testés. Cette accessibilité et cette prise en charge des tests sont importantes.

Je souligne aussi l'importance de la veille, qui est souvent régionalisée. Aux Antilles, en 2013, ils étaient conscients que le chikungunya était un risque permanent, grâce à l'épidémie de 2006 dans l'océan Indien. La détection était donc assez rapide. Il en va de même pour le Zika. C'est grâce à la veille que la prise de conscience et la sensibilisation se produisent.

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Je suis entièrement d'accord avec vous lorsque vous dites que vous croyez beaucoup à l'interdisciplinarité ; mais nous savons très bien que dans les faits, elle est très compliquée à mettre en œuvre. Souvent, dans nos sujets d'étude, on aimerait bien qu'il y ait une démarche interministérielle, mais on sait très bien que la mise en œuvre est souvent très compliquée.

Je voudrais vous interroger sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui va arriver en discussion probablement dans quelques semaines à l'Assemblée. Avez-vous été consultés sur le sujet ? Nous devions l'étudier pendant les premiers mois de l'année 2020, et la pandémie actuelle a fait que cela a été reporté. Ici comme dans le cadre d'un groupe de travail sur la recherche de la commission des affaires culturelles, nous avons entendu beaucoup de chercheurs dire qu'il y a près de 20 ans, au moment de l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), un certain nombre de recherches en virologie avaient été initiées ; mais puisque la crise a été rapidement maîtrisée et n'a pas duré trop longtemps, tout cela est tombé aux oubliettes, au profit de la recherche sur des maladies beaucoup plus intéressantes à traquer. La recherche s'est donc portée sur autre chose, ce qui fait qu'on a perdu beaucoup de temps pendant ces 20 ans. Par rapport au sujet qui nous intéresse, qui est la lutte contre la propagation des maladies vectorielles, avez-vous été interrogées là-dessus au niveau de la recherche ? Est-ce qu'on risque d'avoir des éléments nouveaux dans ce projet de loi, qui est en préparation et qui devra être validé par le Conseil d'État ? Est-ce que vous avez le sentiment que les choses vont être bousculées par la crise actuelle, et notamment avec des avancées dans le domaine qui nous intéresse aujourd'hui ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Je vais m'avancer en vous répondant, même si je n'ai pas vraiment la réponse. Nous ne sommes pas une agence de recherche, et nous ne sommes donc pas directement impliqués. Peut-être que d'autres personnes à Santé publique France ont été sollicitées, mais pas moi.

Ceci étant, je suis sensible à ce que vous dites, et que l'on entend effectivement beaucoup de la part de nos partenaires et collègues chercheurs, sur les difficultés de financement de certains types de projets ou de certaines thématiques. Ce que j'ai cru comprendre d'échanges sur l'interdisciplinarité et le partenariat, c'est que, pour reprendre les préoccupations de Mme Ali, la lutte anti-vectorielle et les vecteurs ne sont peut-être pas en haut de la liste des sujets. Je m'avance à vous répondre, n'étant pas experte de la recherche, mais les problèmes que vous soulevez sont, je crois, vrais, sur le choix des domaines prioritaires de financement de la recherche. Je pense qu'on ne peut que défendre l'importance de programmes de recherche sur ces maladies. Un jour on parle beaucoup d'une épidémie majeure, puis l'on en parle moins. Les épidémies ont tendance à se répéter. Il est important que la recherche dans ce domaine soit soutenue, financée, et en particulier que la recherche opérationnelle, de terrain, le soit – pas seulement les grands programmes de recherche fondamentale, mais aussi la recherche opérationnelle sur les actions de démoustication ou autres, sur la mobilisation sociale, etc. Je ne sais pas ce qu'il en est du projet et des financements à venir, mais je crois – évidemment je plaide pour mon sujet – que c'est vraiment important, car nous avons besoin de davantage de connaissances.

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Avec les financements annoncés, il faut espérer qu'il y ait une part non négligeable qui puisse nous faire avancer dans ces domaines. Aujourd'hui, nous voyons que la dengue à Mayotte est passée à la trappe avec la crise actuelle. On a des témoignages – je pense que mes collègues peuvent en témoigner aussi – de gens souffrant de cancers et dont les opérations ont été différées parce qu'on avait besoin des lits de réanimation. Tout cela a été bousculé. Je pense que demain, il faudra faire en sorte qu'au niveau de la recherche, à la fois fondamentale et thérapeutique, on puisse avancer sur ces sujets.

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J'ai une question qui porte sur la réserve sanitaire et qui rejoint la question à propos de la recherche de M. le député Frédéric Reiss. Etes-vous de temps en temps, dans le cadre justement de recherche et de startups innovantes, sollicitées pour un avis, des conseils, des adaptations de technologies déjà existantes ? Il y a de plus en plus de petites startups innovantes qui travaillent sur la question, notamment de la lutte contre les moustiques. En tout cas, dans les grands salons de présentation des innovations en matière de santé ou d'environnement, on s'aperçoit que c'est quand même un axe majeur de développement.

S'agissant du pool de réservistes formés et de votre réserve en ressources humaines qui a besoin d'être agile, compte tenu du peu de compétences qu'il y a sur ces domaines-là, comment mobilisez-vous ce réseau ? Travaillez-vous avec eux toute l'année ? Existe-t-il une espèce de formation continue ? Sur quels critères choisissez-vous les gens ?

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Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France

Les techniques innovantes en lutte anti-vectorielle ne vont pas tellement s'adresser à nous parce que ce n'est pas tellement dans notre champ. Je pense que c'est plus au niveau de l'Anses ou de l'IRD. J'ai le souvenir d'avoir été sollicitée pour des démarches publicitaires sur des bracelets, mais cela n'a rien à voir. Ce guichet n'est pas chez nous mais dans d'autres structures, ou directement au ministère. Nous n'avons pas directement de liens sur des techniques innovantes de lutte contre les moustiques ; par contre, on sait que c'est davantage le cas de l'IRD.

La réserve ne relève pas directement de notre fonction, donc je ne vais pas vous la décrire en détail, mais il existe une procédure avec curriculum vitae, compétences et attentes des candidats. Des appels à candidatures sont lancés ; je pense que nos collègues en charge de la réserve sanitaire ont un fichier de personnes avec différentes compétences. En ce qui concerne la lutte anti-vectorielle, j'avais participé à la formation du pool qui est parti à La Réunion. Les personnes formées avaient déjà des connaissances : quand je suis arrivée pour parler de la dengue, j'avais devant moi un entomologiste qui connaissait très bien la dengue, mais aussi des techniciens de démoustication qui la connaissaient moins. Il y a des profils variés, des gens plutôt seniors qui sont de potentiels encadrants et des gens de terrain qui vont pratiquer la démoustication. Quand des besoins se font sentir, il y a des échanges. Il existe des profils de postes, et ensuite cela se joue sur les disponibilités.

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Je vous remercie, Mesdames, d'être venues répondre à nos questions.

La réunion s'achève à dix-huit heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles

Réunion du mardi 9 juin 2020 à 17 h 15

Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Paul Christophe, Mme Sereine Mauborgne, M. Frédéric Reiss

Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean‑Hugues Ratenon