Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Réunion du lundi 8 juin 2020 à 17h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ADEGE
  • ARS
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  • démoustication
  • lutte anti-vectorielle
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COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES

Lundi 8 juin 2020

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

(Présidence de M. Philippe Michel-Kleisbauer, député)

La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition, en visioconférence, de M. Christophe Morgo, président de l'Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID Méditerranée), président de l'Agence nationale pour la démoustication et la gestion des espaces naturels démoustiqués (ADEGE), M. Bruno Tourre, directeur général de l'EID Méditerranée, M. Didier Moulis, directeur technique de l'EID et M. Grégory L'Ambert, entomologiste médical, responsable du pôle méthodes et recherche au sein de l'EID.

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Depuis Montpellier, nous allons entendre en audition conjointe les responsables de l'entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen, l'EID Méditerranée, représentant l'ensemble des structures similaires regroupées au sein de l'Agence nationale pour la démoustication et la gestion des espaces naturels démoustiqués (ADEGE). Nous sommes en présence de M. Christophe Morgo, président de l'EID Méditerranée, de M. Bruno Tourre, directeur général, de M. Didier Moulis, directeur technique et de M. Grégory L'Ambert, entomologiste médical, responsable du pôle Méthodes et recherches et chef de file des activités de lutte antivectorielle. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous passe la parole pour une intervention liminaire qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses. Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc, chacun à votre tour, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Les personnes auditionnées prêtent serment.

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Christophe Morgo, président de l'EID

L'Agence nationale pour la démoustication et la gestion des espaces naturels démoustiqués (ADEGE) est une association qui a été créée en 1996 selon la loi de 1901. Il s'agit d'une initiative qui est venue des régions littorales car ce sont les régions dans lesquelles il y a le plus de nuisances. Les membres fondateurs en ont été l'EID Méditerranée, l'EID Rhône-Alpes et l'EID Atlantique – qui a disparu fin 2019. L'ADEGE a été rejointe à la fin des années 1990 par le département de Martinique, les collectivités territoriales de Guyane et de Corse ainsi que le syndicat mixte du Bas-Rhin, soit au total directement ou indirectement, 21 départements. L'ADEGE entretient des contacts avec plusieurs opérateurs publics européens, par exemple le Consorci de politiques ambientals de les terres de l'Ebre (COPATE) en Catalogne du Sud, en Espagne.

Les objectifs principaux de l'ADEGE sont l'identification des services publics par les instances de l'Union européenne, la reconnaissance de leur rôle dans l'aménagement du territoire, l'intégration aux réflexions préparatoires au processus d'homologation des substances insecticides, la veille d'appels d'offres européens. Par exemple, l'ADEGE a été l'interlocutrice de la Commission européenne au début des années 2000 à propos de l'élaboration de la directive de 1998 relative à la mise sur le marché des produits biocides.

L'ADEGE est accompagnée par un conseil scientifique depuis 2005. Son rôle consiste à soutenir l'ADEGE dans ses diverses missions. Ce conseil scientifique est composé de quatorze membres non rémunérés, onze relevant chacun d'une discipline concourant aux activités de démoustication et de lutte anti-vectorielle (LAV) et de trois personnalités qualifiées. Son président est Didier Fontenille, directeur de recherche de l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Je suis directeur général de l'EID Méditerranée depuis bientôt quatre ans. L'EID a été créée en 1959 par trois conseils généraux, selon la terminologie d'alors – les Bouches-du-Rhône, le Gard et l'Hérault –, au moment où ces collectivités ont pris conscience du potentiel d'aménagement touristique et économique de leur littoral et qu'elles ont pris conscience du fait que cet aménagement passait au préalable par des opérations dites de « démoustication ».

Ce que nous appelons la démoustication est la lutte contre les nuisances des moustiques issus des zones humides littorales et rétro-littorales, dans un objectif d'attractivité des territoires. Ce n'est nullement et cela n'a jamais été une éradication. Il s'agit d'une tentative de limiter à un niveau acceptable par les populations les nuisances de ces moustiques, dans le plus grand respect de l'environnement et à un coût acceptable par les finances des collectivités.

Pourquoi lutter contre les nuisances de moustiques dans ce secteur du territoire national ? Tout simplement parce que la bande côtière entre Perpignan et Marseille, en tout cas jusqu'à l'étang de Berre, ce continuum de zones humides que vous êtes nombreux à connaître, est une des zones les plus productrices de moustiques au monde. Nous y ciblons, sur les soixante espèces de moustiques qui vivent en France dont une cinquantaine sur le littoral méditerranéen français, la quinzaine d'espèces qui piquent l'Homme.

Nous ciblons deux espèces principalement, Aedes caspius et Aedes detritus, qui ont une très forte capacité de dispersion et donc une très forte capacité de nuisance. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elles peuvent se déplacer sur plusieurs kilomètres et, dans des circonstances favorables pour elles, sur plusieurs dizaines de kilomètres, une vingtaine ou une trentaine. Surtout, les femelles moustiques, durant leur vie de deux à trois semaines, peuvent pondre entre 800 et 1 000 œufs. À plusieurs générations par an, avec 800 ou 1 000 œufs par génération, si l'on n'essaie pas de limiter la nuisance, cela devient rapidement invivable. C'est pour cela que cette bande littorale était jadis fortement inhospitalière. Elle ne l'est plus depuis que la démoustication y est exercée, depuis une soixantaine d'années.

Comment faisons-nous ? Nous nous appuyons sur le cycle de vie des moustiques. Ce sont des insectes avec un cycle complet, avec une phase aquatique et une phase aérienne. Dès que les adultes émergent, ils s'accouplent et la femelle va immédiatement chercher un repas sanguin pour avoir les protéines nécessaires à la maturation de ses œufs. Les œufs sont déposés en bordure des zones humides littorales et s'y accumulent. Dès qu'il y a mise en eau, soit par les intempéries, soit par les mises en eau artificielles – les irrigations –, soit par les coups de mer, ces œufs sont submergés ; et aussitôt est enclenché le phénomène d'éclosion des œufs et d'apparition des larves. Le développement larvaire va très vite ; c'est ensuite la nymphose puis l'émergence des moustiques adultes et le cycle recommence immédiatement.

Dès que les adultes ont émergé et qu'ils se dispersent, il est très difficile de lutter contre eux. C'est également impossible de lutter contre les œufs. La stratégie de démoustication, de tout temps, est donc une stratégie anti-larvaire. Il s'agit de détruire les larves, bien sûr, puisque personne n'a jamais pensé à supprimer les zones humides. Cela ne peut être qu'une stratégie de traitement, ce qui veut dire de la prospection et une action extrêmement rapide sur le terrain parce que le développement larvaire va très vite. Il dure quelques jours et nous n'avons donc que quelques jours pour agir. Le seul produit actif utilisable à cet effet est aujourd'hui le Bacillus thuringiensis israelensis (BTI).

Cette démoustication est la mission historique, principale et largement prioritaire de l'EID Méditerranée, puisqu'elle représente encore aujourd'hui environ 85 % des actions de l'établissement et 85 % de ses financements.

Historiquement, après la création d'EID en 1959, la mission interministérielle d'aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon, dite mission Racine, a été lancée en 1963 par le gouvernement de Georges Pompidou. Ce fut la création de Port Camargue, de la Grande-Motte et des autres stations du littoral. Ce fut une grande phase de développement pour l'EID Méditerranée, qui est alors rejoint par deux conseils généraux, ceux de l'Aude et des Pyrénées-Orientales, puis par la région Languedoc-Roussillon ultérieurement.

Un autre élément marquant de cette époque est la loi du 16 décembre 1964 relative à la lutte contre les moustiques, votée après la création de l'EID Méditerranée. La loi de 1964 fait de la lutte contre les moustiques une politique publique, mais en fait une mission facultative des départements, et non une mission obligatoire.

Depuis que la loi de 1964 a été votée, une quinzaine de départements s'en sont saisis. Ils se sont regroupés, grosso modo, dans les trois EID que nous avons connues, l'EID Méditerranée qui est la plus ancienne, puis l'EID Rhône-Alpes et l'EID Atlantique qui, hélas, vient de disparaître.

Pour accomplir ces missions qui s'exercent au bénéfice de 220 communes représentant sur 300 000 hectares à peu près, dont environ 70 000 hectares sont surveillés en permanence par nos agents, un total cumulé moyen d'environ 32 000 hectares par an sont traités. Pour cela, nous disposons de 160 agents qui représentent 150 équivalents temps plein – parce que nous avons un certain nombre de saisonniers – dont une centaine d'agents sur le terrain, au sein de sept ou huit agences opérationnelles – huit avec une antenne supplémentaire – réparties dans six départements. Nous avons aussi 150 engins et véhicules. Nous disposons de deux prestataires aériens qui nous apportent quatre avions et trois hélicoptères pour des traitements de grande ampleur qui représentent à peu près 75 % des superficies traitées par l'ensemble des agents. Cela signifie que 25 % des superficies sont traitées par nos agents à l'aide de moyens terrestres.

Enfin, nous avons un siège à Montpellier, où nous sommes aujourd'hui en cet instant même, qui rassemble les fonctions de pilotage, la direction technique, les fonctions recherche et développement, la coordination opérationnelle, les laboratoires – nous disposons de 1 000 m2 de laboratoires dont un laboratoire confiné – et les services supports logistique, ressources humaines, systèmes d'information, etc.

Nous nous appuyons sur un conseil scientifique et technique, qui a été évoqué tout à l'heure par le président Morgo, qui n'est plus uniquement le conseil scientifique et technique de l'EID mais désormais celui de l'ADEGE. Nous nous inscrivons aussi dans des réseaux techniques ou scientifiques, dont l'ADEGE que nous venons d'évoquer, mais également l'European Mosquito Control Association (EMCA) qui regroupe l'ensemble des acteurs qui interviennent dans le domaine ainsi que le Vectopole qui rassemble à Montpellier l'ensemble des acteurs qui interviennent dans le champ de la recherche sur les moustiques.

Le Vectopole rassemble six entités : l'Institut de recherche pour le développement (IRD), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l'Université de Montpellier, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et l'EID Méditerranée, c'est-à-dire cinq organismes de recherche au sens du ministère de l'Enseignement supérieur et la Recherche et l'EID Méditerranée qui est une établissement interdépartemental – j'y reviendrai – et qui permet d'assurer le lien entre, d'une part la recherche fondamentale effectuée par nos collègues et amis, d'autre part les réalités opérationnelles sur le terrain.

Tout ceci nous permet de disposer de capacités d'expertises, de recherche et développement, de capacités opérationnelles, de force de frappe, de réactivité avec les nombreux agents qui sont les nôtres. Nous bénéficions donc d'une reconnaissance nationale et internationale dans le domaine.

Toutes ces capacités ont été mises depuis une vingtaine d'années au service de notre deuxième mission qui concerne aussi les moustiques et qui est la raison de notre présence aujourd'hui : la lutte antivectorielle, c'est-à-dire la lutte de santé publique contre les insectes vecteurs. Si j'ai fait le développement précédent, c'est bien parce que ce sont les moyens donnés par notre mission principale qui nous permettent d'exercer également notre mission secondaire qui est celle de la lutte anti vectorielle.

Pourquoi la lutte anti-vectorielle ? Je pense que les nombreuses auditions auxquelles vous avez procédé vous ont permis de prendre la mesure du moustique tigre. C'est un moustique invasif, expansionniste, qui, sous nos latitudes, est devenu totalement urbain, qui a besoin, à l'inverse des moustiques que j'évoquais tout à l'heure, de très petites quantités d'eau pour pouvoir se développer, qui a une très faible capacité de dispersion, de l'ordre de 150 mètres maximum, en comparaison des kilomètres dont nous parlions tout à l'heure pour les autres moustiques et qui de plus, hélas, est vecteur potentiel des pathogènes de la dengue, du Zika et du chikungunya.

C'est un moustique typique des zones pavillonnaires de nos régions et de partout en France. Il trouve dans ces zones pavillonnaires de la végétation pour se nourrir et s'abriter du soleil, de la dessiccation et du vent, des points d'eau pour ses gîtes larvaires et des hôtes humains à piquer pour ses repas sanguins.

L'EID a alerté la direction générale de la santé (DGS) en 1999 au sujet du moustique tigre, parce que notre inscription dans nos réseaux européens nous a permis d'apprendre qu'un moustique vecteur était en train de coloniser la totalité de la péninsule italienne et qu'il allait arriver en France métropolitaine. Tout ceci a conduit à mettre en place, avec la DGS et l'ensemble des autres opérateurs publics de démoustication, une convention qui a existé pendant 20 ans et a permis de suivre la progression de l'espèce, de faire un certain nombre de recherches et de développements sur le sujet.

En 2004, la loi du 13 août a transféré aux conseils départementaux la compétence, cette fois obligatoire, de lutte contre les insectes vecteurs. En 2005–2006, l'épidémie de chikungunya à La Réunion a conduit à la parution du plan national anti-dissémination du chikungunya et de la dengue. Depuis cette époque, l'ensemble des textes de référence sur le domaine – circulaires et documents techniques – ont été écrits par le ministère en liaison avec les opérateurs publics de démoustication, qu'ils soient de métropole ou d'outre-mer.

Alors qu'est-ce que la lutte anti-vectorielle pour nous ? Vous savez que cela consiste bien sûr d'abord en une surveillance de la progression de l'espèce, mais une fois que l'espèce est installée, il n'y a pas de retour en arrière et cela devient d'un intérêt relatif. La lutte anti-vectorielle consiste surtout en les enquêtes et les traitements dans le cas où apparaissent des cas importés, voire des cas autochtones, de malades.

Par exemple, si une personne rentrant d'Outre-mer ou de la bande intertropicale a été infectée sur place et est porteuse de symptômes, elle est détectée par le réseau sanitaire puisque ces maladies sont à déclaration obligatoire. L'agence régionale de la santé déclenche immédiatement une enquête épidémiologique auprès de cette personne pour savoir où elle s'est déplacée, où elle a séjourné pendant la période dite de virémie ; et nous sommes alertés pour réaliser dans ces mêmes endroits une enquête entomologique dans laquelle nous essayons de trouver la trace de moustiques adultes. S'il y a trace de moustiques adultes, il y a peut-être un moustique qui a été infecté en piquant cette personne rentrée malade et qui peut, lors d'un repas sanguin ultérieur, aller piquer une autre personne qui se retrouverait alors infectée sans avoir voyagé. C'est ce qui constitue un cas autochtone.

Tout l'objet de la lutte anti-vectorielle est de briser la chaîne vectorielle et, pour briser la chaîne vectorielle, il faut réaliser des traitements adulticides pour tuer les moustiques adultes qui se seraient infectés en piquant la personne rentrée de la bande intertropicale.

Tout cela nécessite des compétences, de la réactivité, des moyens. Entre l'alerte par le système d'information de la lutte anti-vectorielle du ministère de la Santé (SI-LAV), l'enquête épidémiologique, les enquêtes entomologiques et les traitements, il faut un délai de cinq jours au maximum. Actuellement, nous en sommes à quatre jours en moyenne, ce qui veut dire que tout cela va extrêmement vite.

Pour l'EID Méditerranée, ces actions nouvelles – sur lesquelles nous nous penchons depuis 20 ans – ont conduit à développer de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire techniques, opérationnels, de recherche, de laboratoire, mais aussi des compétences nouvelles en matière de communication et de sensibilisation des publics. C'est un des aspects fondamentaux de la lutte contre les moustiques vecteurs. En effet, à l'origine – puisque tout cela a été causé par l'arrivée d' Aedes albopictus qui s'est installé en métropole – nos concitoyens ont perçu d'abord la nuisance car c'est un moustique extrêmement invasif et extrêmement nuisant. Dans les territoires qui sont les nôtres, dans lesquels nous avions une activité historique de lutte contre les nuisances, nous nous sommes donc préoccupés de savoir comment nous pouvions lutter.

Nous voyons bien que, comme ce sont des moustiques qui vivent dans les zones pavillonnaires, les stratégies mises en œuvre dans les zones humides littorales, sur des dizaines de milliers d'hectares, sont totalement inopérantes. Il fallait développer autre chose. Nous ne pouvons pas non plus rentrer chez les gens pour aller traiter dans chacun des gîtes larvaires qui sont chez eux. Le seul moyen de lutter contre l'apparition et l'émergence forte du moustique tigre, c'est-à-dire de lutter contre les nuisances du moustique et d'abaisser le risque vectoriel, est une mobilisation sociale.

Cette mobilisation sociale doit être effectuée par nos concitoyens, bien sûr, et il faut arriver à changer les comportements. On sait très bien que c'est un des éléments les plus complexes à obtenir mais M. Jocelyn Raude, que vous avez auditionné également, vous l'aura expliqué bien mieux que nous.

Nous avons développé depuis une dizaine d'années des outils de communication : de nombreuses affiches, des guides, un site internet, des actions pour les différents publics. C'est une composante extrêmement importante de notre lutte.

Nous avons développé ces actions de lutte anti-vectorielle à l'origine pour les membres de l'EID Méditerranée, c'est-à-dire les six départements membres, mais nous les avons développées aussi pour d'autres départements puisque, fin 2019, nous étions l'opérateur public de démoustication de 17 conseils départementaux, depuis les Alpes-Maritimes qui est le plus ancien département – il a fait appel à nous en 2006 me semble-t-il – jusqu'aux Pyrénées-Atlantiques, c'est-à-dire grosso modo toute la façade méditerranéenne : six départements de Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), neuf des treize départements d'Occitanie et deux départements en Nouvelle-Aquitaine.

L'EID Méditerranée représentait, en 2019, plus de 40 % des enquêtes entomologiques qui ont été réalisées sur le territoire métropolitain et nous avons réalisé quasiment 85 % des traitements sur le territoire métropolitain. L'ensemble des opérateurs publics de démoustication de l'ADEGE ont réalisé quasiment 100 % de l'activité de lutte anti-vectorielle fin 2019.

Je terminerai ma présentation avec un petit aspect juridique. L'EID Méditerranée est un syndicat mixte. C'est donc un établissement public qui rassemble aujourd'hui six conseils départementaux, ainsi que la région Occitanie qui s'est de facto substituée à la région Languedoc-Roussillon au moment de la fusion des régions. Son budget de fonctionnement est de l'ordre de 12,5 à 12,7 millions d'euros suivant les années. La démoustication au sens de lutte contre les espèces sources de nuisances représente 10,3 millions d'euros et la santé publique représente 1,5 à 1,7 million d'euros, dont à peu près 0,4 million d'euros en provenance de la DGS pour l'ensemble des opérateurs publics. Le solde est assuré, jusqu'à fin 2019, par les conseils départementaux et quelques actions que nous menons pour le compte des plateformes portuaires ou aéroportuaires dans le cadre du Règlement sanitaire international. Pour le reste de nos actions sur le littoral, diverses recettes permettent de compléter le budget de fonctionnement.

En conclusion, l'EID Méditerranée est le plus important opérateur public de démoustication au niveau européen. C'est un outil qui a déjà 60 ans mais qui est original, moderne et très performant. Il bénéficie d'une triple certification qualité, sécurité et environnement. L'EID a deux grands métiers concernant les moustiques :

– la démoustication qui est une lutte contre les larves, est une action de masse sur des milliers d'hectares – 32 000 hectares en moyenne tous les ans – pour laquelle l'outil EID Méditerranée, que j'oserais presque qualifier d'outil industriel, a été développé ;

– de manière plus récente, la lutte anti-vectorielle qui lutte contre les moustiques adultes est quelque chose de beaucoup plus ponctuel ; c'est presque de la dentelle par rapport à ce que nous en faisons en matière de lutte contre les nuisances. Tout ceci a été rendu possible grâce à l'outil qui a été développé pour la lutte contre les nuisances.

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Avant de passer la parole à notre rapporteure qui a une série de questions à vous poser, je vous remercie pour le dossier que vous nous aviez fait parvenir peu de temps avant le confinement et qui nous a permis de prendre connaissance de ce que vous venez d'exposer très clairement à l'instant.

Étant un élu de Méditerranée, je souhaite ouvrir cette audition en vous posant une question sur le West Nile qui est apparu à certains endroits. Les auditionnés précédents nous ont expliqué qu'à l'heure actuelle, c'est du côté des Alpes-Maritimes que des inquiétudes pointaient. Je l'ai connu personnellement dans le Var aux étangs de Villepey. Pouvez-vous nous en parler ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Le West Nile est très spécifique par rapport à ce que nous avons évoqué jusqu'à présent, puisque le vecteur n'est pas du tout un moustique Aedes mais un Culex. Grégory L'Ambert saura bien mieux que moi vous en parler. C'est un des spécialistes, si ce n'est le spécialiste français, de la lutte contre West Nile.

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Grégory L'Ambert

Le West Nile est un modèle de transmission vectorielle qui est extrêmement compliqué à saisir, puisque nous avions de la circulation au début des années 2000 tout d'abord principalement en Camargue. Il y avait eu antérieurement une circulation en Italie. Lorsqu'on le cherche à un endroit, il ressort finalement à un autre endroit puisqu'il y a eu des transmissions, au-delà de la Camargue, dans les départements du Var et des Pyrénées-Orientales.

Le West Nile est un cycle à transmission vectorielle dont les réservoirs sont les oiseaux, et les hôtes sont les chevaux et les hommes. Il est transmis par les moustiques du genre Culex, principalement Culex modestus.

La particularité de cette maladie est que, alors qu'elle était repassée un peu en arrière-plan en Europe face au risque de voir circuler de la dengue et du chikungunya, nous avons eu en 2018 une circulation d'une ampleur qui n'avait jamais été vue en Europe. Elle a un peu débordé sur la frontière italienne avec un peu moins d'une trentaine de cas observés dans les départements les plus orientaux, essentiellement avec une forte circulation dans les Alpes‑Maritimes.

Alors que nous nous attendions à avoir une circulation dans des zones de marais – en particulier la Camargue pour l'ouest puisque nous avons une forte réserve en faune sauvage, en oiseaux migrateurs particulièrement qui peuvent le véhiculer et en moustiques pour le faire circuler –, nous avons vu il y a deux ans une circulation urbaine qui a surpris tout le monde. Il y a eu quand même plusieurs centaines de cas et plusieurs dizaines de décès à l'échelle européenne, heureusement pas dans nos régions.

C'était vraiment un exemple particulier de ce que peuvent produire les maladies vectorielles. Le West Nile est quelque chose de difficile à définir ; il a fallu être réactif face à ce nouveau contexte épidémiologique, à un phénomène qui n'avait jamais été vu ce qui nous a obligés à mettre en place de nouvelles actions pour empêcher la maladie de circuler trop abondamment.

Nous avons proposé un ensemble de modes d'action à la direction générale de la santé (DGS). Elles ont été validées et elles ont été appliquées. Ensuite, notre expérience a permis de caractériser un peu cet épisode de circulation, de documenter ce à quoi nous étions en train d'assister pour faire progresser les connaissances sur l'épidémiologie de cette maladie pour pouvoir être aussi prêts que possible pour la prochaine fois.

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Je vais vous demander des précisions sur les opérations de démoustication et leur efficacité. Pouvez-vous nous présenter les actions de démoustication que vous menez et les molécules que vous utilisez pour les traitements habituels et en cas de détection d'un foyer épidémique ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Le premier aspect de la démoustication est la lutte contre les moustiques issus des zones humides littorales et rétro-littorales. C'est une action de lutte contre la nuisance qui se fait en milieux humides.

Le deuxième aspect concerne la santé publique avec la lutte contre le moustique Aedes albopictus puisque la situation est totalement différente pour Culex pipiens vecteur du West Nile que nous venons d'évoquer. Il s'agit d'une lutte de santé publique contre les moustiques adultes en milieu essentiellement urbain, en tout cas en milieu urbanisé.

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Didier Moulis, directeur technique de l'EID

En ce qui concerne les molécules utilisées pour la lutte contre les moustiques issus des zones humides du littoral, nous utilisons exclusivement du BTI. C'est un produit qui doit être ingéré par les larves de moustiques pour les tuer. C'est maintenant le seul produit que nous pouvons utiliser dans ces milieux, contre les moustiques Aedes caspius et Aedes detritus.

En ce qui concerne la lutte anti-vectorielle, nous utilisons de la deltaméthrine en ultra bas volume, à des concentrations qui sont de l'ordre du dixième de ce qui est utilisé en agriculture et surtout sur des surfaces très faibles puisque nous traitons sur un rayon de 150 mètres autour de la zone où a stationné la personne affectée par une arbovirose.

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Avez-vous observé l'apparition de résistances à la deltaméthrine chez les moustiques au cours des dernières années ? Que se passerait-il si les moustiques devenaient soudainement résistants ? Avez-vous envisagé ce scénario ? Vous paraît-il possible ?

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Grégory L'Ambert

Il est fondamental de surveiller la résistance d' Aedes albopictus, le moustique tigre, à la deltaméthrine. Dans le cadre de la convention que nous avons avec la direction générale de la santé, nous testons chaque année plusieurs populations, particulièrement des populations qui viennent de la zone méditerranéenne puisque c'est le secteur dans lequel nous réalisons le plus de traitement, mais également des populations d'autres endroits de France, simplement pour nous assurer que le moustique est 100 % sensible à la deltaméthrine.

Bien sûr, si un début de résistance venait à apparaître, il faudrait revoir les stratégies. Ce scénario de voir apparaître subitement une résistance généralisée dans les populations de moustiques est tout à fait réaliste, mais très peu probable, étant donné que la pression de sélection imposée est très faible puisque les traitements sont quasi-chirurgicaux, c'est-à-dire que la deltaméthrine n'est utilisée que lorsque et là où c'est nécessaire.

Néanmoins, un début d'apparition de résistance à la deltaméthrine nécessiterait de reprendre les méthodes de lutte anti-vectorielle, par exemple d'avoir recours à d'autres molécules. Le problème est que, actuellement, aucune autre molécule n'est disponible. La deltaméthrine cible principalement les canaux sodium du moustique. Il faudrait se tourner vers une molécule qui a un autre mode d'action pour faire disparaître cette résistance.

Pour conclure, plus le produit est utilisé, plus la pression de sélection est forte, plus la probabilité d'apparition de résistances est grande. Il s'agit donc de surveiller la non-apparition de cette résistance et de limiter au maximum l'usage de ces produits, de ne les employer que dans des cas où ils sont vraiment utiles, comme nous le faisons actuellement, puisque ce sont des produits qui ne sont utilisés que pour des problèmes sanitaires.

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Estimez-vous que le droit européen soit trop contraignant en termes de molécules utilisables ? Quels sont les risques pour la santé humaine des pesticides que vous utilisez ? Quels sont les risques pour l'environnement et plus particulièrement pour la biodiversité ? Comment conciliez-vous démoustication et respect des zones protégées ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Le droit européen est-il trop contraignant ? Nous n'avons pas à le juger. Il a fortement réduit le panel des insecticides utilisables en matière de lutte anti-vectorielle ; mais le problème qui se pose est que les industriels ne font pas de recherches pour développer d'autres produits.

Pourquoi ? Tout simplement parce que la lutte anti-vectorielle est une niche, un tout petit marché qui ne justifie pas que les industriels dépensent des millions pour développer un autre produit et surtout pour le faire agréer ou homologuer.

Plus que la réglementation européenne, le problème est qu'il n'y a pas de recherche et que nous nous appuyons uniquement sur des produits existants sans développer de nouveaux produits en matière de lutte anti-vectorielle. C'est valable aussi pour les produits utilisables contre la nuisance mais, avec le BTI, le risque d'apparition de résistances est quasi-nul.

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Grégory L'Ambert

Le BTI est une molécule qui présente un profil toxicologique extrêmement favorable puisqu'il ne s'agit pas d'un toxique à proprement parler. Il s'agit de cristaux de spores de bacilles qui développent des toxines qui sont spécifiques du tube digestif du moustique. C'est donc extrêmement sélectif et il est malheureusement assez rare d'avoir un produit aussi sélectif.

En ce qui concerne la deltaméthrine, il y a un petit risque d'irritation respiratoire lors de l'application, mais ce produit n'est appliqué que lorsque c'est nécessaire. Le principal problème de la deltaméthrine est sa faible sélectivité, je pense, plus que son risque potentiel pour les mammifères. Les applicateurs se protègent bien sûr, conformément à la réglementation. Par ailleurs, pour limiter tout contact, nous réalisons les traitements de nuit lorsque les gens sont chez eux, après avoir précisé à toutes les personnes concernées par le traitement quelques mesures de protection, en particulier justement de ne pas s'exposer au traitement et de dormir fenêtres fermées le jour du traitement. Cela permet de limiter au maximum les risques. Tout s'est toujours bien passé et il n'y a donc pas vraiment de problème.

Le principal problème de la deltaméthrine, à mon sens, est qu'elle n'est pas sélective à l'espèce, contrairement au BTI.

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Didier Moulis, directeur technique de l'EID

S'agissant des risques environnementaux, il faut bien distinguer les deux types d'actions que nous menons.

Dans le cadre de la lutte contre la nuisance des moustiques issus des zones humides, nous utilisons du BTI qui est inoffensif pour la plupart des espèces puisqu'il cible les diptères, en particulier les culicidés. Nous prenons néanmoins un certain nombre de précautions sur les modes d'épandage.

Comme nous l'avons dit, 75 % des épandages sont faits par avion et, effectivement, nous risquons ainsi de déranger les oiseaux en période de nidification. Toutefois, dans le cadre des études d'incidence qui sont menées sur les sites Natura 2000 en particulier, nous prenons un certain nombre de mesures pour limiter l'impact.

Nous faisons aussi des traitements terrestres. Nos agents sur le terrain sont en lien permanent avec les gestionnaires d'espaces protégés, qu'il s'agisse de sites Natura 2000 ou d'autres espaces protégés du type conservatoire du littoral par exemple. Un certain nombre de mesures sont prises en lien avec ces gestionnaires.

Pour ce qui concerne la lutte anti-vectorielle, nous utilisons un produit qui peut avoir un impact sur les animaux à sang froid tels que les poissons, batraciens et autres. Nous devons donc bien sûr respecter des limitations et, en particulier, nous ne traitons pas à proximité des zones humides. Lorsque nous prévoyons la carte de traitement que nous communiquons à l'ARS pour validation, nous identifions les zones humides autour desquelles il ne faut pas traiter avec de la deltaméthrine. Nous identifions aussi les ruchers et l'ARS est chargée de contacter les apiculteurs. Si nous intervenons à proximité de secteurs qui sont en agriculture biologique, il y a tout un protocole qui est mis en place de manière à éviter un impact.

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Votre campagne annuelle de lutte de confort contre les moustiques a fait l'objet de recours administratifs de la part d'associations. Par exemple, un arrêté pour 2012 a été annulé pour insuffisance de l'évaluation des incidences Natura 2000. Comment avez-vous pris en compte ces critiques ?

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Didier Moulis, directeur technique de l'EID

La lutte contre les nuisances fait l'objet d'un arrêté préfectoral annuel dans chaque département. L'arrêté du département des Bouches-du-Rhône pour 2012 a été effectivement attaqué par des associations. Ce recours a été rejeté en 2014 par un jugement du tribunal administratif. Ces mêmes associations ont ensuite interjeté appel et la cour administratif d'appel leur a donné gain de cause en 2016. Entre-temps, les arrêtés préfectoraux pour 2013 et 2014 dans ce même département des Bouches-du-Rhône ont également été attaqués et, à chaque fois, le tribunal administratif a rejeté ces recours.

L'essentiel du premier dossier de recours par l'association, en 2012, était basé sur les études d'incidence sur les sites Natura 2000. La démoustication faisait partie depuis peu des activités soumises à étude d'incidence et il a fallu un certain temps – en lien avec la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et avec la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) – pour que cela puisse se mettre en place. En 2012, nous avions fait simplement une étude d'incidence en interne.

Ensuite, comme prévu, nous avons lancé des études réalisées par des bureaux d'études externes. C'est sans doute ce qui a prévalu au rejet des attaques de 2013 et 2014.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous travaillons en lien avec les gestionnaires d'espaces protégés, qu'il s'agisse de sites Natura 2000 ou autres, au travers de discussions et de réunions de travail pour justement déterminer des mesures de réduction. Plus précisément, sur le terrain, nous avons des chefs d'agences opérationnelles dans chaque département afin de travailler avec ces gestionnaires qui peuvent être des associations ou des collectivités territoriales.

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Dans une audition au Sénat en 2016, vous faisiez état de nouvelles pistes à approfondir, telles que l'usage d'insecticides alternatifs au BTI pour les larves et à la deltaméthrine pour les adultes, l'installation de stations d'auto-dissémination sur le littoral méditerranéen ou de barrières de pièges. Qu'en est-il aujourd'hui de ces pistes ? En existe-t-il d'autres ? Quel regard portez-vous sur la technique de l'insecte stérile (TIS), sur les techniques Release of insects carrying a dominant lethal (RIDL) et les méthodes de forçage génétique ?

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Grégory L'Ambert

Effectivement, pour une bonne gestion lorsque l'on utilise des techniques d'application de produits, il est important d'avoir plusieurs molécules actives pour éviter la génération de phénomènes de résistance de l'espèce. La stratégie habituelle consiste à alterner les produits dans l'espace et dans le temps.

Dans le cas des moustiques, nous sommes confrontés à un double problème. Le premier est la possibilité de n'utiliser qu'une famille d'insecticides – celle des pyréthrinoïdes à laquelle appartient la deltaméthrine – pour gérer les aspects de santé publique. Cela nous expose, en cas d'apparition de résistances, à être démunis pendant un moment avant d'avoir recours à d'autres produits.

Le même problème se pose avec le BTI ; la petite différence est qu'il comporte en fait quatre toxines – bien qu'il ne s'agisse que d'un seul produit – ce qui réduit les possibilités d'apparition de résistances.

Lorsque l'on doit lutter contre Aedes albopictus, il nous faut des techniques efficaces donc étudier d'autres molécules pour garantir cette efficacité. Par ailleurs, puisqu'aucun pays n'arrive à gérer Aedes albopictus de façon satisfaisante, il faut également ouvrir son esprit et essayer d'avoir recours à des techniques qui ne sont pas encore présentes sur le marché ou, en tout cas, qui ne sont pas efficaces clés en main et qu'il faut développer.

La première, parmi celles que vous avez citées, est l'auto-dissémination. Nous sommes particulièrement concernés par cette stratégie puisque c'est justement l'une des stratégies alternatives étudiées à l'EID Méditerranée en recherche appliquée, donc pour un développement et une application réelle dans des conditions opérationnelles. Nous sommes une des très rares équipes à travailler sur cette technique, qui est nouvelle puisqu'elle fera intervenir directement le comportement du moustique dans sa stratégie de contrôle. C'est quelque chose qu'il convient de continuer à développer et nous travaillons actuellement dessus.

Vous avez parlé également de barrières de pièges. Ce sont des techniques alternatives qui ont été étudiées dans notre laboratoire. Cela présente quelques intérêts dans des contextes particuliers. De toute façon, pour les autres techniques, il est nécessaire de bien les connaître parce que, finalement, aucune technique ne sera satisfaisante à 100 % utilisée seule. Il faudra toujours composer une stratégie de lutte avec différents outils en fonction des contextes.

Nous avons utilisé les techniques de piégeage pour des espèces de marais dans des contextes particuliers avec une certaine efficacité. En ce qui concerne le moustique tigre, les techniques de piégeage sont beaucoup plus compliquées à utiliser : le moustique se déplaçant peu, il est nécessaire pour faire des captures, d'une part d'avoir des pièges qui sont efficaces ce qui n'est pas le cas de tous les pièges vendus actuellement dans le commerce, d'autre part, de les disposer avec une réelle cohérence, en tenant compte de la biologie de l'espèce.

Parmi les pistes de méthodes de lutte alternative qui relèvent encore de la recherche et ne sont pas appliquées massivement, la technique de l'insecte stérile présente énormément d'intérêt mais il faut encore faire la démonstration de son efficacité concrète sur le terrain. Elle est actuellement testée à La Réunion. La technique de l'insecte stérile vise à diminuer énormément, voire à éradiquer localement, une espèce de moustique dans un territoire donné, à condition que l'espèce ne soit pas constamment réintroduite. Il convient donc d'abord d'étudier cette technique dans des contextes insulaires, dans des milieux fermés, avant de pouvoir l'envisager à plus grande échelle sur des secteurs de continents comme notre zone d'action.

Ensuite, d'autres problèmes vont se poser : puisque le moustique se déplace peu et que les reproductions ont lieu de façon très régulière, utiliser la technique de l'insecte stérile nécessite de relâcher de grandes quantités de moustiques, très fréquemment, sur des distances relativement courtes. Il faut donc disposer en amont de tous les moyens pour pouvoir développer sur le terrain cette stratégie. Nous travaillons avec des laboratoires qui étudient cette stratégie et nous nous tenons au courant de ces avancées.

Nous pouvons arriver à générer des insectes stériles de trois façons différentes. La première est l'irradiation. C'est la technique réunionnaise qui est à mon sens la meilleure. Elle consiste à prendre des populations locales qui seront stérilisées et relâchées.

Nous pouvons aussi obtenir des insectes stériles par l'utilisation de bactéries endosymbiotes, des Wolbachia, ce qui pose un peu plus de questions parce qu'il s'agit presque d'organismes génétiquement modifiés (OGM). Les Wolbachia peuvent présenter des avantages, dont la fameuse incompatibilité cytoplasme qui génèrera des descendants non viables, mais elles peuvent aussi considérablement modifier l'insecte et augmenter sa longévité, voire favoriser ou diminuer – diminuer serait plutôt une bonne chose – sa capacité à acquérir des pathogènes. Il faut donc faire attention lorsque l'on manipule ces stratégies.

Les dernières stratégies, à mon sens, accroissent encore le risque. La première est la technique RIDL. Cette technique consiste à prendre des moustiques de la même espèce mais qui ne viennent pas forcément du même endroit et sont porteurs d'un gène délétère pour leur survie. Cette technique a été développée par Oxitec. Même s'ils continuent leurs essais, nous voyons que, d'une part, cela pose de gros problèmes en termes d'acceptation sociale puisque ce sont des moustiques génétiquement modifiés et que, d'autre part, les résultats de terrain qui ont été obtenus, en tout cas sur la première génération de moustiques OGM RIDL, ne sont pas vraiment satisfaisants et manquent de transparence.

À l'extrême, la deuxième stratégie est celle des techniques de forçage génétique. Ce sont des possibilités que la science ouvre aujourd'hui et pour lesquelles il faut, à mon sens, prendre énormément de précautions puisque, théoriquement en tout cas, nous allons pouvoir modifier complètement une population sans avoir de recul sur les conséquences de ces modifications.

Je pense que, pour des techniques à court ou moyen terme, l'auto-dissémination, la technique de l'insecte stérile par irradiation et, éventuellement, les pièges sont les techniques qui semblent les plus prometteuses.

Les réflexions qu'il est nécessaire d'avoir en amont de l'utilisation d'OGM sont quand même importantes. Je pense que c'est plutôt pour beaucoup plus tard et je ne suis pas sûr que nous ayons une réponse opérationnelle à court et moyen terme avec ces méthodes.

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Quelles sont les sources de financement de l'EID ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

L'EID est financée, pour la partie lutte contre les nuisances des moustiques, par les membres de l'EID. Il s'agit d'une contribution statutaire obligatoire des membres qui représente, pour les six départements concernés et la région Occitanie, un total d'environ 10,3 millions d'euros par an.

L'EID dispose par ailleurs d'autres sources de financement pour la lutte anti-vectorielle. Ce sont des actions que nous menons pour le compte de 17 conseils départementaux ; elles représentent à peu près 1,3 ou 1,4 million d'euros par an jusqu'à la fin 2019.

Nous avions aussi une convention d'environ 400 000 euros par an avec la direction générale de la santé (DGS) ; cette convention ne concernait pas que l'EID Méditerranée mais l'ensemble des opérateurs publics et nous étions simplement le chef de file d'une convention qui rassemblait l'ensemble des opérateurs publics et la DGS. Toutefois, la dernière édition est, semble-t-il, intervenue en 2019.

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La loi du 13 août 2004 a transféré la compétence de lutte contre les moustiques vecteurs aux départements. Qu'est-ce que cela a changé pour l'EID ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Cela a été une petite révolution. Ce n'est pas vraiment la loi du 13 août 2004 qui en est la cause, c'est l'arrivée du moustique tigre qui s'est traduite par l'adoption de la loi du 13 août 2004.

C'était une nouvelle facette de la lutte que nous ne connaissions pas puisque le moustique tigre n'existait pas auparavant. Cela a été pour nous l'exploration de nouvelles problématiques, le développement de nouvelles compétences, avec notamment le recrutement d'un certain nombre d'entomologistes dont Grégory L'Ambert, mais il n'est pas le seul à l'EID Méditerranée. Nous avons recruté des agents spécifiques, des agents complémentaires. Nous avons modernisé le laboratoire, développé de nouvelles techniques, réalisé des investissements importants en matière de bâtiments et de matériels pour la lutte anti-vectorielle.

En effet, les techniques utilisées en matière de lutte contre les moustiques vecteurs et de lutte contre les moustiques des zones humides ne sont pas du tout les mêmes. Ce ne sont pas les mêmes appareils, ce ne sont pas les mêmes produits, nous l'avons déjà évoqué. C'est totalement autre chose.

Nous avons donc fait des investissements importants en matière de ressources humaines, en matière de bâtiments, en matière de matériel. Nous avons acquis de nouvelles compétences et de nouvelles expertises dont la communication et la sensibilisation auprès de nos concitoyens. Nous avons étendu notre capacité d'intervention au-delà de notre sphère historique puisque, au-delà des six départements qui sont membres de l'EID, au-delà des actions de formation que nous avions pu exercer auprès de pays riverains de la Méditerranée comme le Maroc et la Tunisie, nous sommes aussi intervenus pour d'autres départements, proches des nôtres mais de plus en plus éloignés puisque nous sommes intervenus pour 17 départements.

Je pense que cela nous a permis d'avoir un travail en réseau accru. J'ai déjà évoqué l'ADEGE et le Vectopole mais nous avons aussi des contacts avec l'Institut Pasteur à Paris et d'autres instituts Pasteur dans le monde, avec Santé publique France, avec l'Institut de recherche biologique des armées (IRBA), avec de nouveaux acteurs dans le champ de la lutte anti-vectorielle et de la santé publique, sans oublier bien sûr un outil indispensable et qui nous manque aujourd'hui beaucoup, le Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV).

Le CNEV a été créé à la suite du rapport piloté par le Dr Didier Fontenille il y a quelques années et supprimé fin 2017 ou en 2018. Le CNEV était composé d'un certain nombre d'entités qui travaillaient sur cette question de la lutte contre les moustiques vecteurs, dont quatre constituaient le « noyau » du CNEV. Ces entités étaient l'IRD, le CIRAD, l'École nationale de Santé publique et l'IED Méditerranée. Le CNEV a produit de nombreuses recommandations, d'une nature extrêmement importante. C'était quelque chose de précieux dont le rôle a été en partie repris par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

La loi du 13 août a donc apporté à l'EID Méditerranée un accroissement de ses compétences, de ses capacités et de sa visibilité.

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Le décret du 29 mars 2019 confie aux ARS de nombreuses compétences en matière de démoustication, notamment en matière de surveillance des vecteurs et de lutte anti-vectorielle. Quel regard portez-vous à ce stade sur cette recentralisation ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Cette recentralisation nous avait été annoncée par la DGS en décembre 2017, me semble-t-il. La DGS nous avait annoncé un projet de réforme de la gouvernance de la lutte anti-vectorielle. En 2018, un certain nombre de projets élaborés par la DGS ont fuité, si bien qu'une concertation a été menée de facto parce que les opérateurs publics et les conseils départementaux, en particulier l'Assemblée des départements de France, ont réagi à ce moment. De nombreuses observations ont été prises en compte mais elles n'ont pas toujours été intégrées pour l'essentiel.

Pourquoi une recentralisation ? Je n'ai pas la réponse et je ne sais pas si c'est à nous, l'EID Méditerranée, d'avoir la réponse à cette question.

Ce que je constate simplement, c'est que jusqu'à la fin de l'année 2019, les conseils départementaux qui étaient chargés de cette compétence de manière obligatoire depuis la loi du 13 août 2004 avaient parfaitement bien fait ce travail, soit en faisant appel à des opérateurs publics de démoustication comme les EID pour l'essentiel des départements concernés, soit en régie pour au moins trois départements, soit en faisant intervenir des opérateurs privés.

Voici ce que je peux dire sur cette recentralisation sachant que, pour moi, le sujet majeur n'est pas la recentralisation mais plutôt les conditions dans lesquelles celle-ci est mise en œuvre.

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Le même décret permet aux ARS de confier les actions contre la présence de vecteurs à des organismes privés sur habilitation. Comment ont procédé les ARS ? Des appels à candidatures ont-ils été lancés ? Que pensez-vous des conditions de cette mise en concurrence ? Pensez-vous que cette sous-traitance au secteur privé est source d'économies pour les pouvoirs publics ou au contraire de dépenses supplémentaires ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Le sujet est vaste, madame la rapporteure.

Comme je l'indiquais à l'instant, plus que la recentralisation, ce sont les conditions de cette transition qui sont importantes pour nous, c'est-à-dire les conditions dans lesquelles s'exercera désormais la lutte anti-vectorielle, et surtout les modalités qui seront mises en œuvre pour conserver les compétences et les capacités des opérateurs publics.

Nous vous avons dit que les opérateurs publics avaient développé des compétences fortes depuis longtemps. Ils étaient jusqu'à présent quasiment les seuls à intervenir sur le territoire national. Il s'agit donc bien de conserver ces capacités et ces compétences des opérateurs, sans oublier leur déontologie d'acteurs publics, en particulier en matière de limitation du nombre de traitements. Il faut en effet absolument limiter le nombre de traitements pour éviter le développement potentiel de résistances aux insecticides.

Sur le principe d'un appel à candidatures, nous ne sommes pas contre l'intervention d'autres opérateurs et en particulier d'opérateurs privés, ne serait-ce tout simplement que parce qu'il n'y a pas d'opérateur public de démoustication sur la totalité du territoire national. Seule une petite partie territoire national est couverte par des opérateurs publics.

Il se trouve que c'est sur cette même partie du territoire national que le moustique tigre s'est d'abord implanté, c'est-à-dire sur la façade méditerranéenne avec l'EID Méditerranée, la vallée du Rhône et Rhône-Alpes avec l'EID Rhône-Alpes et la façade atlantique, vers Toulouse et Bordeaux, avec l'EID Atlantique. À terme, le moustique tigre colonisera la totalité du territoire national, il ne faut pas se leurrer. Il n'y a pas d'opérateur public sur le reste du territoire national ; par ailleurs, la génération d'opérateurs publics de démoustication est intimement liée à la lutte contre les nuisances ; elle est en effet leur vocation principale et leur a permis d'avoir des forces de frappe pour développer une activité secondaire de lutte anti-vectorielle. En conséquence, la création ex nihilo d'un opérateur public uniquement pour la lutte anti-vectorielle n'est pas totalement justifiée.

J'insiste toutefois sur le fait qu'il faut veiller à conserver les savoir-faire, les compétences et les capacités des opérateurs. L'Anses, dans un avis qu'elle a rendu le 19 juillet 2019, l'a souligné explicitement. Les collectivités membres de l'EID Méditerranée l'ont aussi exprimé, tant auprès des ministres de la Santé que des directeurs généraux des ARS, en particulier du directeur général de l'ARS Occitanie. Je crains hélas que nous n'ayons pas été extrêmement écoutés.

Pourquoi conserver ces compétences ? La question n'est pas uniquement de réaliser des traitements ponctuels contre des cas importés par des malades rentrant de la zone intertropicale. Elle est surtout de savoir faire face lorsqu'interviendront des épisodes autochtones, parce qu'il y en aura, que ce soient des foyers uniques ou des foyers multiples, c'est-à-dire grosso modo savoir faire face à ce qui correspond aujourd'hui aux niveaux 3 et 4 du plan national anti-dissémination.

Il y a eu des foyers autochtones : un foyer de chikungunya en 2014 en Occitanie à Montpellier, un foyer de dengue en 2015 également en Occitanie à Nîmes, un foyer de chikungunya en 2017 dans le Var, un foyer extrêmement important de West Nile en 2018 dans les Alpes-Maritimes et le Var, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le Président.

Il y a et il y aura de plus en plus d'épisodes autochtones. Lorsqu'il s'agit de foyers autochtones, ce n'est plus du tout la même chose. Il faut envoyer des moyens importants pendant un certain laps de temps qui peut être une semaine, dix ou quinze jours. Il faut mobiliser des moyens opérationnels sur le terrain pour faire des enquêtes, mobiliser des laboratoires. Il faut mobiliser nos entomologistes du siège et, pour l'instant, seuls les opérateurs publics en disposent. Si on les élimine de la lutte anti-vectorielle, je ne sais pas qui fera cela à leur place. Ces épisodes autochtones nécessitent donc une forte capacité de mobilisation de moyens telle que celle dont dispose l'EID Méditerranée.

Je vous donne un exemple. En 2019, nous avons réalisé 185 traitements dans la totalité de nos 17 départements, dont une soixantaine dans le département de Haute‑Garonne. Dans ce seul département de Haute-Garonne, nous avons fait quasiment la totalité des traitements au mois d'août et, en une seule semaine, nous en avons organisé un nombre extrêmement important, plus que tout ce qui était fait ailleurs dans tout le reste de la France. Cela a nécessité que nous mobilisions plusieurs équipages, tous les jours de cette semaine en Haute-Garonne. Il fallait toute la logistique, les matériels et toute la logistique humaine. Pour l'instant, seul un opérateur public est capable de faire face ainsi.

Pour les foyers autochtones, la question n'est pas de savoir s'il y en aura, mais plutôt quand et où il y en aura. Nous pensons, ainsi que l'a dit le Président de la République dans son premier discours du 12 mars sur la crise sanitaire due à la Covid-19, qu'il est des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. La lutte contre la transmission des maladies vectorielles par les moustiques doit peut-être, au moins en partie, être placée en dehors des lois du marché. C'est ce que nous pensons à l'EID Méditerranée ; c'est ce que pensent de nombreux opérateurs publics de démoustication, si ce n'est leur totalité.

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J'ai une question de ma collègue, Mme Emmanuelle Ménard. Qu'en est-il de la décision de la direction générale de l'ARS Occitanie qui vous empêche de facto d'intervenir dans la totalité de la région Occitanie et qui a recours dans certains départements à un ou plusieurs petits opérateurs, parfois sans réelle expérience ? Pourquoi ce choix selon vous ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Cette question est complexe, madame la rapporteure, et rejoint ce que j'évoquais tout à l'heure à propos de la recommandation de l'Anses de maintenir les capacités des opérateurs publics.

Les ARS pouvaient passer et ont passé des marchés publics mais les conditions de la consultation ont varié d'une ARS à l'autre. Si l'on veut conserver un opérateur public et une action d'un opérateur public, compte tenu de son expérience, compte tenu de ce qu'il peut mettre en œuvre, compte tenu des réponses qu'il a apporté jusqu'à présent, qui ont fait que nous n'avons pas dépassé le stade 3 du plan national anti-dissémination – c'est-à-dire que nous n'avons jamais eu des foyers multiples qui n'étaient pas sous contrôle –, il faut faire en sorte que les conditions de la consultation permettent aux opérateurs publics de répondre.

Il se trouve – je parle uniquement des deux ARS que nous connaissons – que l'ARS PACA a fait le choix d'une habilitation portant sur la totalité du territoire régional, c'est-à-dire un opérateur intervenant dans les six départements. Quand on choisit un opérateur pour six départements, il faut que cet opérateur ait des capacités importantes ; cela ne peut être que nous.

Si l'on fait le choix, à l'inverse, d'une consultation avec un allotissement département par département, on favorise ipso facto l'émergence de nombreux petits candidats. Si, de plus, les conditions du dossier de consultation des entreprises (DCE) ont été établies, à mon sens, sans sourcing, c'est-à-dire sans consultation des organismes qui peuvent répondre, on pouvait se retrouver avec un DCE qui ne permettait pas à l'EID Méditerranée de pouvoir apporter une réponse formelle telle qu'elle était attendue.

Nous avons apporté une réponse, bien sûr. Nous avons fait à l'ARS Occitanie une proposition d'ensemble, globale, pour la totalité des 13 départements, mais cette réponse n'a pas été considérée comme une proposition acceptable. Je pense que, pour ces raisons, nous avons été mis à l'écart de la totalité de la lutte anti-vectorielle en Occitanie. Cela nous semble extrêmement dommageable pour les risques sanitaires qui peuvent être pris dans cette région, mais ce n'est que l'avis de l'EID Méditerranée.

Nous intervenions dans 9 des 13 départements, dont les plus importants du point de vue de la population donc du point de vue de la présence du moustique et du point de vue du risque vectoriel : la Haute-Garonne, l'Hérault, le Gard… Nous intervenions aussi dans deux départements en Nouvelle-Aquitaine dans lesquels nous avons décidé de ne plus intervenir parce que c'était beaucoup trop loin désormais. Nous nous concentrons donc sur l'Occitanie.

Notre proposition n'a pas été jugée recevable. Nous trouvons que c'est extrêmement dommageable pour le bien collectif, non seulement immédiat, mais aussi pour la pérennité de nos compétences, de nos missions et de nos actions parce que, à partir du moment où nous ne sommes plus retenus pour la lutte anti-vectorielle, nos compétences sur ces territoires diminueront petit à petit ; et peut-être que, demain, nous ne pourrons plus intervenir comme nous étions intervenus les années précédentes et comme nous avions développé ces compétences pour le compte du ministère de la Santé et des conseils départementaux depuis quasiment une vingtaine d'années.

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Quel regard portez-vous sur la nouvelle répartition des compétences proposée par le texte adopté en première lecture au Sénat en janvier ? Pouvez-vous revenir sur la distinction entre lutte de confort et lutte anti-vectorielle ? Qu'estimez-vous devoir en être les conséquences sur le plan réglementaire ? Peut-on exercer ces deux compétences de manière séparée ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Une proposition de loi avait été déposée au Sénat fin 2019 me semble-t-il, et nous en avons eu connaissance début 2020. Elle est quasiment identique à une proposition de loi qui avait été déposée par M. Olivier Véran à l'Assemblée nationale au mois de juin 2019 et qui avait fait l'objet de nombreuses observations de la part des opérateurs publics de démoustication et de la part de l'Assemblée des départements de France (ADF). Je crois qu'ils sont auditionnés dans la semaine et ils vous en feront certainement part.

Toujours est-il que, peut-être du fait de la création de votre commission d'enquête, l'examen de la proposition de loi à l'Assemblée nationale a été retardé, si bien que la proposition de loi déposée par le sénateur Amiel a peu prospéré.

La proposition de loi, telle qu'elle était rédigée à l'origine, tendait à confondre la mission de lutte contre les nuisances et la mission de lutte contre le risque vectoriel, et à rendre quasiment obligatoire pour les départements la lutte contre les nuisances de moustiques. Or, depuis la loi de 1964 et jusqu'à aujourd'hui, cette lutte contre les nuisances de moustiques est bien une compétence optionnelle. Seuls une quinzaine de départements s'en sont saisis. Nous avons alerté les collectivités membres de l'EID et nous avons alerté l'ADF sur ce risque.

Un travail a été fait avec le rapporteur de la proposition de loi au Sénat et avec l'ADF. Le texte tel qu'il a été adopté au Sénat, nous paraît aujourd'hui arriver à un équilibre, c'est-à-dire qu'il maintient le caractère optionnel pour les départements de la lutte contre les nuisances de moustiques.

Peut-on exercer ces compétences de manière séparée ? Nous pensons qu'on peut exercer ces compétences de manière séparée mais que, effectivement, il est mieux pour un opérateur public comme nous de les exercer de manière conjointe parce que la compétence de la chaîne se nourrit de la force de chacun de ses maillons. Si on est très fort, très compétents en matière de lutte contre les nuisances de moustiques et aussi très compétents en matière de lutte anti-vectorielle, cela ne peut être qu'un plus pour la compétence de l'ensemble de l'opérateur public.

Je précise simplement que, même si nous ne serons plus opérateur public de démoustication pour l'ARS Occitanie en 2020, nous sommes toujours opérateur public de démoustication pour l'ARS PACA. Nous avons fait à l'ARS PACA exactement la même proposition que celle que nous avions faite à l'ARS Occitanie ; côté PACA, la proposition que nous avions faite a été parfaitement entendue. Après un mois de négociations, fin avril, le président de l'EID Méditerranée et le directeur général de l'ARS ont signé un marché négocié par lequel l'EID est l'opérateur de démoustication en matière de lutte anti-vectorielle pour les six départements de PACA pour les quatre années à venir.

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Quels échanges avez-vous avec les organismes de démoustication ultramarins ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Nous avons des échanges avec les organismes de démoustication issus des collectivités, c'est-à-dire ceux qui sont membres de l'ADEGE, puisque l'ADEGE regroupe des opérateurs publics issus des collectivités territoriales.

Nos collègues de Guyane sont membres de l'ADEGE. En Guyane, la lutte anti-vectorielle et les opérations de démoustication de manière générale sont menées à 100 % par, naguère, le conseil départemental de la Guyane et, depuis sa création, par la collectivité territoriale de Guyane, qui est un membre important de l'ADEGE.

Pour ce qui est de la Martinique, toutes les actions de lutte anti-vectorielle sont menées par le Centre de démoustication et de recherches entomologiques (CEDRE). Le CEDRE est un service commun à l'ARS Martinique et au conseil départemental puis désormais à la collectivité territoriale de Martinique. Il est placé sous la direction d'un agent de la collectivité territoriale de Martinique. C'est pourquoi le CEDRE est aussi un membre important de l'ADEGE.

Nous avons donc avec nos collègues ultramarins de ces deux régions des relations régulières dans le cadre de l'ADEGE, que ce soit sur le plan technique, sur le plan de la formation, sur le plan des échanges d'informations ou sur le plan amical puisque ce sont d'excellents collègues.

Nous sommes un peu moins au courant de ce qui se passe à la Guadeloupe et à La Réunion même si, à La Réunion, nous avons des contacts individuels avec un certain nombre d'acteurs de l'ARS. Nous sommes donc quand même relativement bien au courant de ce qu'il se passe à La Réunion, même si les relations ne sont pas formelles comme elles le sont avec la Guyane et la Martinique.

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L'article 2 de la loi du 16 décembre 1964 relative à la lutte contre les moustiques vous autorise à pénétrer sur les propriétés publiques ou privées, même habitées, pour procéder aux actions de démoustication, à condition que les propriétaires aient été avisés à temps. Dans la pratique, avez-vous recours régulièrement à cette faculté ? Comment cela se passe-t-il concrètement ? En cas d'opposition, il est prévu que le préfet mette en demeure les intéressés. En l'absence de réponse, l'intervention des services de démoustication peut ensuite avoir lieu après dix jours ou sans délai en cas de danger pour la santé humaine. Estimez-vous que cette procédure soit suffisamment efficace ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Madame la rapporteure, nous n'utilisons jamais cette procédure parce que c'est une arme atomique. Comme toutes les armes atomiques, on l'utilise une fois et on ne peut plus l'utiliser après : si nous n'arrivons pas à pénétrer dans une propriété privée et que nous faisons appel à cet article 2 de la loi, nous pouvons être à peu près sûrs que nous aurons une opposition non seulement de la personne concernée, mais aussi certainement de tout le voisinage.

Chaque fois que nous avons une opposition, et elles sont peu nombreuses, nous essayons plutôt de convaincre nos interlocuteurs du bien-fondé de nos actions et de la possibilité de pénétrer sur le terrain. La plupart du temps, nous y arrivons, ce qui nous évite d'utiliser cette possibilité qui, tout compte fait, nous ferait rentrer dans un cercle vicieux.

De toute façon, comme le souligne Didier Moulis, les délais qui sont indiqués sont des délais bien trop longs pour que nous puissions ensuite être efficaces.

Ainsi, ce qui est prévu dans ces textes est très bien, mais totalement inopérant si nous devions les mettre en œuvre.

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D'après vos observations, quels types d'installations posent le plus de problèmes ? Sont-ce les gouttières, les bondes ou autres ? Les normes de construction sont-elles adaptées ? Faut-il imaginer de nouvelles normes de construction et d'entretien afin d'éviter la création de gîtes larvaires ? Quelle répression est-elle envisageable ?

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Grégory L'Ambert

En dehors du bâti, il ne faut pas oublier la production de moustique tigre qui est générée par les récipients que l'on peut trouver dans les jardins.

En ce qui concerne le bâti, on peut distinguer trois types de gîtes principaux. Deux d'entre eux sont particuliers : ce sont des observations basées sur notre zone d'action, donc en climat méditerranéen et avec des mises en eau par des précipitations qui, durant la période de prolifération des moustiques tigre, sont peu fréquentes ou, lorsqu'elles sont fréquentes, peuvent être très abondantes. Dans d'autres zones géographiques, les observations pourraient être différentes.

Nous constatons sur le domaine public que les coffrets techniques de télécommunication sont peu fréquents mais peuvent être sources de moustique tigre. C'est également le cas des avaloirs pluviaux, qui ont la particularité de laisser stagner une partie des eaux, pour permettre la décantation des particules et du sable et éviter l'engorgement du réseau. On trouve aussi les ouvrages de type terrasse à plots, qui sont beaucoup plus rares en termes de fréquence mais qui peuvent générer, dans une seule de ces structures, des dizaines voire des centaines ou des milliers de moustiques.

Pour ces terrasses à plots, nous ne nous basons pas uniquement sur des observations mais également sur deux types de travaux de recherche que nous avions réalisés en interne et dans le cadre de la convention avec la direction générale de la santé. Nous avons pu observer que les terrasses à plots ne sont pas censées poser de problème à partir du moment où la réglementation a été respectée pour leur construction, c'est-à-dire qu'elles présentent une légère pente et un exutoire, ce qui permet d'éviter la stagnation d'eau. En pratique, lorsque ces consignes n'ont pas été respectées, des terrasses à plots deviennent des véritables usines à moustiques. Bien souvent, l'exutoire est beaucoup trop haut : il y a donc une présence d'eau, une atmosphère humide invisible, mais qui permet quand même aux moustiques d'entrer et de sortir, ce qui est très problématique pour le voisinage.

Pour les avaloirs pluviaux, c'est complexe. Il peut y avoir éventuellement des stratégies à appliquer qui ne sont pas encore définies. Actuellement, lorsque ces structures produisent des moustiques, elles font l'objet de traitements répétés. On peut peut-être envisager des choses un peu plus durables mais ce sera difficile de les « corriger », entre guillemets, puisqu'il est nécessaire de permettre la stagnation de sable et donc, par définition, il semble compliqué d'avoir un collecteur qui devienne sec très rapidement.

Pour les coffrets techniques, ce sont des coffrets de télécommunication placés à des endroits possiblement soumis à un arrosage et qui ne sont pas étanches. Il y a des solutions qui pourraient s'appliquer, mais qui peuvent poser d'autres problèmes que les moustiques. Il faudrait permettre d'avoir une partie poreuse dans le coffret pour permettre l'évacuation des eaux ; mais cela peut aussi poser des problèmes de contamination.

Pour résumer, les terrasses à plots présentent des avantages et, dans certains contextes, on ne peut quasiment réaliser que des balcons ou des terrasses de ce type. Une norme supplémentaire n'est peut-être pas nécessaire, mais il faut simplement veiller à la bonne application des règles de l'art et au respect des lois lors de leur construction.

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Quel type de pouvoir de police administrative devrait-il être mis en place pour lutter contre les gîtes larvaires ? Qui pourrait l'exercer ? À titre d'exemple, à Singapour, une amende de 1 000 dollars est prévue en cas de détection des larves de moustiques sur un chantier de construction, cette amende passant à 2 000 dollars la deuxième fois, puis à 10 000 dollars et six mois d'emprisonnement en cas de récidive. Que pensez-vous de cette solution ? Pensez-vous qu'elle serait efficace ?

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Didier Moulis, directeur technique de l'EID

En termes de pouvoirs de police administrative, je pense qu'un certain nombre de choses existent déjà, avec des attributions aux maires des communes mais aussi aux ARS. Je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus personnellement.

Pour ce qui concerne Singapour, sans parler de considérations d'ordre politique mais simplement de considérations d'ordre climatique, la France métropolitaine et Singapour sont dans des situations qui sont totalement différentes. Nous n'avons pas le même climat et, surtout, il y a à Singapour une circulation de virus très importante, tout au long de l'année, en tout cas beaucoup plus fréquemment qu'en France métropolitaine. En France, cela ne se produit que lorsqu'il y a des cas importés qui viennent en métropole. Pour ce qui concerne les mois d'emprisonnement et les amendes de 1 000, 2 000 ou 10 000 dollars, je ne pense pas que cela soit applicable et je ne suis pas sûr que cela soit justifié en France métropolitaine.

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Mais il n'y a pas que la France métropolitaine et il y a beaucoup de décès, notamment dans l'océan Indien où l'épidémie de coronavirus a eu lieu en même temps que l'épidémie de dengue et celle-ci a fait plus de ravages que le coronavirus. C'est pour cela que j'aurais bien aimé avoir une réponse globale.

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Christophe Morgo, président de l'EID

Par rapport à ce qui se passe à Singapour, je vois mal un chef d'entreprise français être verbalisé sachant qu'il n'a pas l'information. Il y a notamment une méconnaissance du moustique tigre.

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Didier Moulis, directeur technique de l'EID

Vous avez raison, madame la rapporteure, de signaler à juste titre qu'il n'y a pas que la France métropolitaine. Je me suis permis de répondre pour ce que je connais, c'est-à-dire le littoral méditerranéen, la zone dans laquelle nous intervenons. Ma réponse, effectivement, valait pour ce que je connais. Je ne connais pas suffisamment ce qui se passe dans les territoires ultramarins pour avoir l'impudence de répondre à cette question. Il m'a semblé que, en France métropolitaine en tout cas comme je l'ai précisé, cela ne me semblait pas applicable et pas justifié.

Sur le plan de la justification par la santé publique, cela s'appliquerait bien sûr plus aux zones intertropicales et aux départements d'outre-mer. Toutefois, je n'ai pas d'éléments qui me permettent de juger si la mise en œuvre d'une telle mesure serait efficace et si cette solution serait applicable outre-mer.

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Auriez-vous d'autres observations à transmettre à la commission d'enquête ?

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Bruno Tourre, directeur général de l'EID

Madame la rapporteure, je pense que la crise de la Covid-19 a révélé l'importance de l'anticipation et de la préparation, mais également la nécessité de s'appuyer sur les forces existantes et en particulier les forces publiques comme nous l'avons vu pour les hôpitaux. Elle a également rappelé la nécessité de savoir de temps en temps s'extraire des règles, des procédures et des normes. Je pense qu'il est encore le temps de corriger le tir en ce qui concerne la lutte anti-vectorielle, en métropole à tout le moins.

La réunion s'achève à dix-huit heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles

Réunion du lundi 8 juin 2020 à 18 h 45

Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Philippe Michel-Kleisbauer

Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean‑Hugues Ratenon