Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Réunion du lundi 24 février 2020 à 16h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES

Lundi 24 février 2020

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de Mme Valérie Thomas, secrétaire du bureau de la commission d'enquête)

La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition Dr Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), directeur de l'unité mixte de recherche en virologie Institut national de la recherche agronomique et de l'environnement (INRAE)-ANSES-École nationale vétérinaire d'Alfort.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de notre commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles.

Pour évoquer le virus West Nile et les interactions entre l'animal et l'humain, nous avons le plaisir de recevoir le docteur Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et directeur de l'unité mixte de recherche (UMR) en virologie de l'Institut national de la recherche agronomique et de l'environnement (INRAE), de l'ANSES et de l'École nationale vétérinaire d'Alfort.

Monsieur Zientara, nous vous souhaitons la bienvenue. Je vous rappelle que cette audition est publique et diffusée en direct et en différé sur le site internet de l'Assemblée nationale. Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire, puis nous aurons un échange sous forme de questions et réponses.

Auparavant, je vous remercie de nous faire part, le cas échéant, de tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Je vous rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose à toute personne auditionnée dans le cadre d'une commission d'enquête de s'engager à dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Stéphan Zientara prête serment.

Permalien
Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'ANSES, directeur de l'unité mixte de recherche en virologie INRAE-ANSES-École nationale vétérinaire d'Alfort

Je suis inspecteur général de la santé publique vétérinaire et virologiste. Comme vous l'avez dit, j'exerce les fonctions de directeur-adjoint du laboratoire de santé animale, l'un des neuf laboratoires de l'ANSES. Je suis aussi directeur de l'unité mixte de recherche (UMR) en virologie commune à l'ANSES, à l'INRAE – établissement qui a vu le jour le 1er janvier, issu de la fusion de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) – et à l'École nationale vétérinaire d'Alfort. Mon laboratoire est localisé sur le site de l'école vétérinaire, à Maisons-Alfort.

Avant de vous parler en détail du virus West Nile, mais aussi, si vous m'y autorisez, d'aborder d'autres virus d'intérêt vétérinaire, je vous présenterai rapidement nos activités. Outre des activités de recherche – aussi bien en recherche appliquée qu'en recherche fondamentale –, nous avons des activités inhérentes à notre statut de laboratoire national de référence, ce qui constitue une originalité. Nous participons aussi à la surveillance d'un certain nombre de maladies vectorielles. Enfin, nous avons des fonctions d'expertise. À ce titre, je ne crois pas avoir de conflits d'intérêts particuliers, même si je suis membre du conseil scientifique de différentes institutions et bénéficie de rémunérations relatives à mes activités d'expertise, en dédommagement de frais éventuels.

Mon UMR s'intéresse à la santé animale, notamment à l'étude de maladies dont je ne traiterai pas aujourd'hui car elles ne sont pas vectorielles, telle la fièvre aphteuse, ou encore l'hépatite E, qui est une zoonose. Nous étudions les maladies virales épizootiques – les épizooties sont des épidémies touchant des animaux – et zoonotiques – quand il s'agit de virus pouvant être transmis à l'Homme – émergentes ou réémergentes. J'évoquerai plus en détail tout à l'heure un certain nombre de maladies vectorielles transmises par des virus portés soit par des moustiques, soit par des Culicoides – des mouches piqueuses hématophages – ou des tiques. Notre activité ne se limite donc pas aux moustiques, même si mon propos se concentrera surtout sur le West Nile, lequel est, pour l'essentiel, transmis par ce vecteur. Notre activité s'inscrit dans le cadre des missions de santé publique vétérinaire : zoonoses et dangers sanitaires de catégorie 1, sachant que, dans le domaine des maladies animales, il y a trois catégories, et que les maladies de catégorie 1 sont les plus importantes – l'État finance des actions d'éradication ou encore de contrôle.

Nos activités de recherche s'inscrivent dans différents domaines : développement de méthodes de détection qui seront utiles pour surveiller les infections, y compris d'un point de vue épidémiologique ; interactions entre les virus et leurs hôtes chez les mammifères ou leurs vecteurs – moustiques, Culicoides ou tiques ; mécanismes de restriction ou de franchissement de la barrière des espèces ; nouvelles approches de vaccination et, le cas échéant, de traitement antiviral.

Je le disais à l'instant : l'une des originalités de notre UMR tient au fait que, notamment en raison de la tutelle de l'ANSES, nous soyons un laboratoire de référence – les LNR sont l'équivalent, chez l'animal, des centres nationaux de référence (CNR) chez l'Homme : il s'agit de laboratoires d'aide à la décision publique. Nous sommes le laboratoire de référence de l'Union européenne pour les maladies des équidés. Le West Nile fait partie de ce mandat, de même qu'un certain nombre d'autres maladies virales transmises par des arthropodes, telles les encéphalites équines de l'Ouest (EEW), de l'Est (EEE) ou vénézuélienne (EEV), qui, même si elles sont présentes sur le continent américain, et non en Europe, n'en sont pas moins des menaces pour nous : dans l'hypothèse où un cheval infecté arriverait sur le continent, il faudrait être en mesure de détecter la maladie. Le virus Japanese encephalitis virus (JEV), quant à lui, est celui de l'encéphalite japonaise : comme son nom l'indique, il est plutôt présent en Asie. Nous sommes laboratoire de référence de l'Organisation mondiale de la santé animale – anciennement Office international des épizooties (OIE) –, de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et de l'Union européenne pour la fièvre aphteuse – comme il ne s'agit pas d'une maladie vectorielle, je n'en parlerai pas. Nous sommes laboratoire de référence de l'OIE pour l'épizootie hémorragique des cervidés, qui est une maladie strictement vétérinaire, transmise par des Culicoides. Enfin, nous sommes évidemment laboratoire national de référence pour la France pour ces mêmes maladies.

Nous avons noué des collaborations avec de nombreux organismes tels que les laboratoires de l'INRAE, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), le Centre national de référence (CNR) sur les arboviroses de l'Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) à Marseille, l'Institut Pasteur, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), les écoles vétérinaires – j'en oublie certainement. Nous avons des liens avec nos confrères dans les outre-mer, mais aussi au Maghreb, car il est très important de surveiller les maladies vectorielles qui touchent le pourtour du bassin méditerranéen, de même d'ailleurs que les pays situés à l'est de l'Union européenne : elles constituent une menace. Nous collaborons également avec des organismes installés dans d'autres régions du monde.

Je suis membre du comité de pilotage du réseau ArboFrance – dont le professeur Xavier de Lamballerie vous a parlé –, dans lequel mon unité est impliquée. C'est une initiative très importante, qui réunit des arbovirologistes travaillant dans le domaine vétérinaire comme dans celui de la médecine humaine, ou encore des entomologistes – autrement dit, toutes les personnes ayant des compétences en matière de maladies vectorielles. Elle doit être soutenue.

Je vais maintenant aborder plus précisément des sujets qui me concernent, à commencer par West Nile. Je dirai ensuite un mot d'Usutu, qui est très proche de West Nile ; on n'en parlait pas du tout il y a encore quelques années, mais il commence à faire la une de l'actualité. Enfin, j'évoquerai brièvement d'autres arboviroses vétérinaires peut-être moins médiatiques, mais qui sont très importantes, notamment dans le domaine agricole, y compris du point de vue économique.

Le virus West Nile appartient à la grande famille des Flaviviridae, dont le prototype est le virus de la fièvre jaune, qui a donné son nom à cette famille. La variabilité génétique de ces virus est très importante, comme le montre le document suivant. Vous connaissez probablement certains d'entre eux, par exemple celui de l'hépatite C, qui appartient au genre des hepacivirus, et n'est d'ailleurs pas un arbovirus.

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Je parlerai, pour l'essentiel, du genre des flavivirus.

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Dans ce genre, on trouve des virus transmis par des moustiques – des Culex et des Aedes – et par des tiques – on distingue les tiques molles, parmi lesquelles figurent les Argasidae, qui affectent les oiseaux, et les tiques dures, que l'on peut attraper en se promenant en forêt –, mais il existe d'autres vecteurs qui ne sont pas très bien connus.

Le virus West Nile est divisé en huit lignées, en fonction des différentes caractéristiques génétiques qu'il présente. Pour l'essentiel, ce sont les virus appartenant à la lignée 1 et à la lignée 2 qui nous intéressent : ce sont les deux lignées présentes en Europe.

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On parle de « West Nile » car le virus a été isolé pour la première fois sur la rive ouest du Nil, en Ouganda, en 1937 : une femme présentait des signes cliniques faisant penser à la fièvre jaune, mais un prélèvement sanguin a révélé qu'il s'agissait d'un autre virus. Il a longtemps été appelé en France « virus de la fièvre du Nil occidental ». Depuis quelques années, on utilise le nom anglais, West Nile virus, et c'est sous cette dénomination qu'il est désormais connu. De 1937 à 1999, très peu d'études ont été réalisées car le virus faisait relativement peu parler de lui. C'est en 1999 qu'il a vraiment commencé à défrayer la chronique, quand il est arrivé à New York, sur un continent qui était complètement indemne auparavant. Depuis lors, il a entièrement envahi le continent américain, se propageant du Canada jusqu'à la Patagonie.

Je reviendrai un peu plus tard sur ses conséquences sur la santé humaine. Au préalable, il importe d'avoir quelques notions sur le cycle de ce virus – puisque, comme vous le savez, les arbovirus ont des cycles, parfois très complexes, avec différents hôtes. Le virus West Nile circule parmi les populations d'oiseaux : on a trouvé le virus en tant que tel, du génome, des antigènes ou des anticorps chez plus de 250 espèces. Il circule par le biais de piqûres de moustiques : des moustiques infectés contaminent des oiseaux, qui vont eux-mêmes être à l'origine de la contamination de moustiques, etc. Les tiques ont elles aussi été incriminées dans le cycle du virus, notamment les tiques molles d'oiseaux, mais leur rôle est bien plus limité que celui des moustiques. Des modes de transmission directe d'oiseau à oiseau ont également été décrits, de même que la transmission, chez l'Homme, par l'intermédiaire de produits sanguins ou encore de greffes – il est très important d'avoir cet élément en tête. Les moustiques, de temps en temps, piquent des hôtes accidentels ; la liste des espèces de mammifères chez lesquelles on a trouvé des signes d'infection est très longue. Dans mon propos, je m'intéresserai surtout à l'Homme et au cheval, car les manifestations cliniques sont très similaires chez ces deux espèces.

Comme je le disais, les vecteurs principaux de la maladie sont les moustiques, notamment ceux du genre Culex, avec, en France hexagonale, deux espèces en particulier : Culex pipiens et Culex modestus – aussi appelé Culex molestus. Le tableau ci-après montre que, selon les continents, différentes espèces de Culex sont plus ou moins importantes, tout en sachant que la liste n'est pas exhaustive : elle décrit l'état de l'art à un moment donné. Il n'est pas du tout impossible qu'on trouve d'autres espèces de Culex, par exemple en Asie ou en Afrique.

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J'en reviens à l'introduction du virus aux États-Unis. En 1999, année où le virus est arrivé à New York, notamment dans le Bronx, 62 cas ont été identifiés chez l'humain, avec 7 décès. C'était au mois d'août, période où il fait chaud à New York, comme vous le savez ; nos confrères américains ont pensé qu'après l'hiver, qui est assez rude là-bas, les moustiques disparaîtraient, et l'épidémie avec. Ce n'est pas ce qui s'est passé : d'autres cas ont été observés en 2000 et en 2001, avant une véritable explosion en 2002, sans qu'on en connaisse vraiment la raison. À ce moment-là, le virus West Nile a atteint la côte ouest des États-Unis. L'année 2012 a elle aussi été une grande année, si j'ose dire, avec 5 674 cas. En 2019, on a encore enregistré 917 cas, avec 600 formes neuro-invasives – autrement dit, les personnes contaminées ont eu des encéphalites ou des méningo-encéphalites – et 49 décès. Selon les auteurs d'un article publié dans Science en 2011, environ 1,8 million de personnes ont été infectées entre 1999 et 2010, avec environ 360 000 malades et 1 308 décès. Au total, entre 1999 et 2019, il y a eu 24 714 formes neuro-invasives chez l'Homme et 2 314 décès. De 1999 à 2018, 50 830 cas ont été observés chez l'Homme. Ces chiffres, je le répète, concernent les États-Unis, et non l'ensemble du continent américain. Ils donnent une idée de l'importance de l'infection en termes de santé publique.

Les conséquences sont également importantes pour les populations d'oiseaux, notamment aux États-Unis, où plusieurs espèces sont affectées de façon très sévère par West Nile, notamment le corbeau américain et le geai bleu. Voici la synthèse d'un article publié dans Nature en 2007, qui montre la diminution des populations d'oiseaux aux États-Unis.

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À partir des années 2000, quand le virus a commencé à circuler, des diminutions très importantes des populations ont été observées. Plus de 45 % de la population des corbeaux américains, par exemple, a été décimée. Le virus West Nile est donc, aux États-Unis, un agent pathogène majeur pour les populations d'oiseaux.

La carte suivante montre la localisation géographique des différentes lignées du virus. Comme je vous le disais, il faut surtout se concentrer sur la lignée 1 et la lignée 2, présentes sur le continent américain, en Europe, en Afrique, en Asie et en Australie.

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L'Europe a d'abord été affectée par le virus de lignée 1, aux alentours de l'année 1998. En 2004, le virus de lignée 2 est arrivé à son tour et s'est répandu. Nous avons donc affaire, dorénavant, à deux virus – étant entendu que, en termes de protection antigénique, les vaccins fonctionnent sur les deux lignées. Je ne parle que de l'animal : les vaccins existent seulement chez le cheval. Les différences génétiques entre les virus ne sont pas nécessairement associées à des différences sur le plan de l'antigénicité et de la protection.

Les virus sont arrivés en Europe par l'intermédiaire d'oiseaux, notamment d'oiseaux migrateurs. Ils peuvent donc venir de très loin, et il est évidemment difficile de prévoir leur introduction. Un certain nombre de travaux ont été effectués pour mieux comprendre les trajets des oiseaux migrateurs – quelles sont les espèces, où elles vont, quelles sont les caractéristiques de ces trajets.

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En 2000, des foyers ont été détectés en Camargue et, plus largement, dans le Sud-Est. Avec des collègues, nous avions réalisé une enquête sérologique chez les chevaux.

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Les espaces hachurés en noir correspondent à des zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique, qui sont, si je simplifie à l'excès, des aires de repos pour les oiseaux migrateurs avant qu'ils ne continuent vers le nord. Des captures avaient été effectuées par nos collègues de l'Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID Méditerranée). Il y avait donc des moustiques, de l'eau – le cours d'eau indiqué sur la carte est l'Argens – et des oiseaux migrateurs qui se reposaient. Des cas cliniques avaient alors été observés parmi les chevaux des centres équestres situés aux alentours de ces zones, tandis qu'il n'y en avait pas eu dans les centres équestres installés beaucoup plus loin. La description de l'épidémiologie de cette infection est donc très claire. Très récemment, une collègue de mon unité, Sylvie Lecollinet, a réalisé des travaux similaires dans les oasis tunisiennes. On retrouve le même schéma : l'eau, les moustiques, les oiseaux migrateurs, le virus – et les cas de contamination.

En ce qui concerne la maladie chez l'humain, je ne développerai pas, car je suis vétérinaire et non médecin. Je vous indique toutefois que l'on constate 80 % d'infections asymptomatiques – une proportion qui est très similaire à celle qui est observée chez l'animal –, 20 % de formes fébriles et 1 % de formes neurologiques qui peuvent s'avérer mortelles. Les personnes âgées de plus de 55 ans, les jeunes enfants et les personnes immunodéprimées sont plus particulièrement à risque. Un autre aspect, que j'ai évoqué tout à l'heure, est le problème de la transmission par l'intermédiaire de produits sanguins. Aux États-Unis, un certain nombre de cas de contamination par transfusion sanguine ont ainsi été observés. À partir de 2003-2004, les États-Unis ont mis en place un dépistage systématique par un test de génétique moléculaire – la réaction en chaîne par polymérase (PCR) – pour les dons de sang, ce qui n'est pas sans conséquences financières. En Europe aussi des cas ont été rapportés. Il existe également des transmissions par greffe d'organe. En France métropolitaine, par exemple, en août 2018, un cas a été rapporté par l'Agence de la biomédecine : un donneur d'organe avait été infecté très récemment par le virus West Nile. Lorsque des cas de West Nile sont détectés, des cellules de crise sont créées avec l'Établissement français du sang et l'Établissement français des greffes. Ces établissements peuvent moduler leur stratégie d'intervention en fonction des données de circulation virale dans une région.

S'agissant de l'aspect clinique de la maladie chez les animaux, et plus particulièrement le cheval – puisque, comme je vous l'ai dit, les manifestations sont très proches de celles que l'on observe chez l'Homme –, les infections sont, dans la grande majorité des cas, asymptomatiques ou subcliniques – entre 80 % et 95 %, soit à peu près le même pourcentage que chez l'Homme. Il peut y avoir des manifestations cliniques, avec une létalité liée aux formes neurologiques un peu plus élevée chez le cheval que chez l'humain : entre 20 % et 57 %. Quant aux oiseaux, ils peuvent eux aussi être infectés par le virus West Nile, avec des infections systémiques, même si les symptômes, généralement, ne sont pas spécifiques : on retrouve l'oiseau mort et on constate que le virus est présent dans tous les tissus, avec des titres viraux très importants.

J'en reviens à la situation plus particulière de la métropole. Le virus West Nile a été isolé en 1962-1965 en Camargue. Ensuite, il y a eu trente-cinq ans de silence : soit le virus ne circulait plus, soit nous ne le mettions plus en évidence. En 2000, mon laboratoire a reçu des prélèvements de chevaux présentant des troubles neurologiques ; au total, 76 cas de troubles neurologiques – et 21 décès – ont été enregistrés, mais aucun chez l'Homme. Les conséquences ont été importantes, puisqu'il a fallu arrêter tous les mouvements de chevaux, fermer les marchés, interdire toutes les manifestations équestres. Cela a d'ailleurs donné lieu à des manifestations organisées par la filière équine, notamment à Montpellier et à Nîmes. Une modification de la réglementation est également intervenue car, à l'époque, il était prévu que les animaux devaient être abattus. La disposition avait été prise à une époque où on n'imaginait pas qu'il pourrait y avoir des cas de West Nile en France. Par la suite, il y a eu des cas en 2003, du côté de Fréjus, y compris chez l'humain ; en 2004, uniquement des cas équins en Camargue ; en 2006, uniquement des cas équins ; rien entre 2006 et 2015 ; de nouveaux cas ont été observés en 2015, et surtout en 2018, qui a été une grande année ; en 2019, on a vu le virus circuler chez l'animal et chez l'Homme.

En 2018, 13 cas équins avec des troubles neurologiques ont été détectés dans mon laboratoire. Ils concernaient le Gard, les Bouches-du-Rhône et la Haute-Corse. Cette année-là, le virus a également été détecté sur quatre rapaces – une buse, deux autours des palombes et un hibou moyen-duc – en Corse et dans les Alpes-Maritimes. Je remercie d'ailleurs mes collègues de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, devenu l'Office français de la biodiversité, qui jouent un rôle très important dans la surveillance de la mortalité des animaux sauvages, et mes collègues du réseau SAGIR, qui ont eux aussi un rôle spécifique. Lorsqu'ils trouvent des oiseaux morts, ils nous les envoient pour que nous testions la présence du virus West Nile. En 2018, mes deux collègues Sylvie Lecollinet et Cécile Beck, qui travaillent sur ce sujet dans mon équipe – car c'est un travail collectif dont je suis aujourd'hui le porte-parole –, ont mis en évidence le fait qu'il s'agissait d'un virus de la lignée 2. C'était la première démonstration de la présence de ce virus en France. Dans le même temps, en 2018, 27 cas ont été observés chez l'humain, dont 7 personnes présentant des formes neuro-invasives, dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, notamment dans le département des Alpes-Maritimes. Il n'y a pas eu de décès, heureusement, mais certaines personnes ont été très malades et se sont retrouvées en réanimation.

Le graphique suivant montre la circulation du virus West Nile en 2018.

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Vous comprenez pourquoi je parlais d'une grande année : dans l'Union européenne, il y a eu plus de cas de virus West Nile en 2018 qu'au cours des sept années précédentes. La courbe rouge indique une augmentation très importante du nombre de cas : 1 503 dans les pays de l'Union européenne et 580 dans les pays voisins ; 181 décès ; 285 cas chez le cheval. Qui plus est, certains cas sont sous-diagnostiqués, et d'autres ne sont pas rapportés.

Voici la carte pour 2019, avec des cas chez l'humain, chez les oiseaux et chez le cheval. On voit notamment qu'il y a eu des cas chez le cheval et chez les oiseaux en Allemagne, à côté de Berlin ; il y a quelques années encore, on aurait eu du mal à imaginer que le virus West Nile, qui était associé à des régions chaudes, puisse y être présent.

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Voici maintenant les données émanant du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), faisant état de 463 cas humains en 2019, 50 décès, 89 foyers chez les chevaux et 54 foyers chez les oiseaux.

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Il n'existe pas de traitement spécifique de l'infection au virus West Nile, ni chez l'animal ni chez l'humain : des traitements symptomatiques sont utilisés. On traite les signes cliniques des patients malades, mais pas spécifiquement l'infection virale. Il n'y a pas de vaccin chez l'humain, même si des candidats sont à l'étude ; en revanche, chez les chevaux, il en existe, aux États-Unis et en Europe. Trois vaccins sont disponibles en France : un vaccin inactivé est commercialisé par le laboratoire Zoetis ; un vaccin recombinant Canarypox, contenant des gènes prM/E, est fabriqué par le laboratoire Boehringer Ingelheim, qui a racheté la société Merial ; Intervet produit également du vaccin inactivé, mais a des difficultés à fournir des doses.

On s'appuie aussi beaucoup sur le réseau d'épidémio-surveillance en pathologie équine (RESPE), à la création duquel j'ai participé il y a vingt ans. À l'origine, je m'étais inspiré des groupements régionaux d'observation de la grippe humaine (GROG) et avais bâti une structure équivalente pour la grippe du cheval. À l'heure actuelle, 700 vétérinaires sentinelles, qui sont l'équivalent des médecins sentinelles, siègent au sein des commissions « grippe » et « troubles neurologiques », cette dernière traitant du virus West Nile. Lorsqu'ils suspectent des cas, ces praticiens effectuent des prélèvements et contactent les laboratoires ad hoc. Ces « capteurs » de terrain jouent un rôle primordial.

Mon unité est impliquée dans la surveillance aviaire et travaille, avec l'Office français de la biodiversité, le réseau SAGIR et l'ANSES, sur la mortalité des oiseaux sauvages. Nous contribuons également à la surveillance humaine, puisque nous rapportons les cas que nous détectons aux agences régionales de la santé (ARS), au Centre national de référence des arbovirus – plus précisément, à l'IRBA, qui était, en 2000, lié à l'Institut Pasteur et qui est actuellement dirigé par Isabelle Leparc-Goffart ‑, à Santé publique France et à la direction générale de la santé (DGS). Nous nous réunissons régulièrement avec eux. La surveillance équine est assurée par les vétérinaires, la direction générale de l'alimentation (DGAL), les directions départementales de la protection des populations (DDPP), le RESPE et les laboratoires d'analyses. Nous avons agréé sept laboratoires vétérinaires pour effectuer les analyses de première intention ; le cas échéant, ils peuvent nous envoyer des prélèvements pour obtenir confirmation de leurs résultats. Par ailleurs, nous assurons la surveillance entomologique en collaboration avec l'EID Méditerranée.

Le virus West Nile a été introduit en Amérique du Nord, où il s'est étendu très rapidement, en créant de très nombreux foyers chez l'animal et l'Homme. La population des oiseaux a été très affectée. En Europe, le processus a été un peu différent : on a assisté à de multiples introductions, débouchant sur des foyers très sporadiques, très localisés – alors que les différences de température entre le Canada et la Floride doivent être à peu près du même ordre qu'entre la Suède et l'Andalousie. On explique mal cette disparité épidémiologique. Par ailleurs, la mortalité des oiseaux y est plus faible qu'en Amérique du Nord.

On voit, sur la carte ci-dessous, que plusieurs pays de l'Union européenne pratiquent une surveillance, qui peut être passive – même si on parle plus volontiers, aujourd'hui, de « surveillance événementielle » – ou active. La première consiste à effectuer des prélèvements lorsqu'on suspecte un cas. La seconde donne lieu à la réalisation d'enquêtes pour rechercher la circulation virale. Nombre de nos voisins ont institué des systèmes de surveillance active, chez le cheval et d'autres espèces animales, comme les bovins, les oiseaux ou encore les moustiques. La France n'a qu'un système de surveillance passive : peut-être serait-il nécessaire de renforcer l'efficacité de notre dispositif.

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Le virus Usutu – comme West Nile, dont il est très proche, Zika et d'autres virus comparables – a été identifié dans un pays très éloigné du nôtre, en l'occurrence le Swaziland, sur les berges de la rivière Usutu, en 1959. Il suit quasiment le même cycle que West Nile, même si l'on se pose encore des questions à son sujet. Il infecte un grand nombre d'espèces d'oiseaux : les merles et les chouettes, en particulier, sont très sensibles à l'infection et en meurent. Les moustiques peuvent piquer différents mammifères, dont l'humain . On a décrit vingt-huit cas d'infection humaine par le virus Usutu : deux en Afrique et vingt-six dans l'Union européenne. Cela s'explique sans doute en partie parce que la surveillance est plus intensive en Europe que dans d'autres régions du monde. On a relevé des cas d'encéphalites, de méningo-encéphalites ou, en Allemagne, d'infection d'un donneur de sang. Ce virus renvoie peu ou prou à la même problématique que West Nile ; même s'il est probablement moins sévère, il faut le surveiller.

Dans mon laboratoire, nous avons mis en évidence pour la première fois la circulation du virus Usutu chez des oiseaux, en France métropolitaine, dans le Haut-Rhin et le Rhône, en 2015. L'année suivante, un cas a été détecté chez l'Homme : un homme de 39 ans a présenté une paralysie faciale à Montpellier. Comme le montre la carte ci-dessous, en 2018 – année au cours de laquelle le virus West Nile a également été particulièrement virulent, ce qui suggère l'existence d'une cause commune – quarante-six départements ont été infectés. La mortalité a touché les merles, les chouettes – dans les parcs zoologiques – et plusieurs espèces d'oiseaux. On a mis en évidence trois lignées dans notre pays.

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La carte suivante illustre la circulation du virus Usutu en 2018 en Europe. Comme vous le voyez, ce n'est pas un problème spécifiquement français.

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Dans mon unité, nous travaillons aussi sur d'autres flavivirus, comme ceux de l'encéphalite à tique, qui est transmise par des tiques et présente un cycle assez complexe.

Je voudrais maintenant vous présenter des arbovirus strictement vétérinaires, qui sont transmis par des moucherons piqueurs Culicoides. Il s'agit de ceux de la fièvre catarrhale ovine – qu'on appelle aussi la maladie de la langue bleue, parce qu'elle provoque des cyanoses de la langue chez les moutons –, la peste équine, le virus Schmallenberg et la maladie épizootique des cervidés. On trouve les moucherons Culicoides sur tous les continents et sous toutes les latitudes : on en dénombre plus de 1 500 espèces – mais on ne les connaît pas toutes.

Le virus de la fièvre catarrhale ovine se décompose en vingt-sept sérotypes – ou virus – différents. Le vingt-septième sérotype a été identifié en Corse, en 2014, dans mon laboratoire. Jusqu'en 1998, l'Europe était indemne. Quand j'étais étudiant à l'école vétérinaire, on nous disait qu'on ne trouverait cette maladie qu'en allant travailler dans les régions tropicales. Depuis lors, plusieurs sérotypes ont gagné le bassin méditerranéen. En 2006, on a vu apparaître un virus de sérotype 8, dont personne n'avait jamais entendu parler, qui s'est répandu dans une région jusque-là préservée, car très éloignée de la zone tropicale : le nord de l'Europe, dans son ensemble. Par ailleurs, on a décelé des signes cliniques chez les bovins, ce qui n'avait jamais été décrit auparavant. Alors que ce virus gagnait la France métropolitaine par le Nord, un virus de sérotype 1 arrivait d'Espagne. On a dû très rapidement élaborer des vaccins inactivés contre les sérotypes 1 et 8, sachant que l'élaboration d'un vaccin nécessite pratiquement un an. On a eu la chance que ceux-ci soient efficaces et sains. Il a fallu évidemment respecter plusieurs critères avant de les commercialiser et de rendre obligatoire la vaccination, financée par l'État, des 20 millions de bovins, 7 millions d'ovins et du million de caprins français.

Des économistes britanniques de la santé animale ont estimé le coût financier du virus, pour la France et les Pays-Bas, à 1,4 milliard de dollars pour la seule année 2007, étant rappelé que le virus a duré plusieurs années. Par ailleurs, le budget consacré à la vaccination s'élevait, en 2010, à 98 millions d'euros pour la France et à 200 millions d'euros pour la Commission européenne. Je ne parle pas des pertes liées aux conséquences cliniques et, surtout, au commerce international – car un pays infecté ne peut plus commercialiser ses animaux.

La carte de la Commission européenne ci-dessous montre que de nombreux sérotypes ont circulé en 2019 en Europe, alors que le continent était encore complètement préservé en 1998. Je précise que certains pays des Balkans, tels la Macédoine, ne déclarent pas véritablement leurs virus.

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Le virus de la peste équine déclenche une fièvre hémorragique et provoque une mortalité de l'ordre de 90 % à 95 % chez le cheval – c'est pourquoi il m'arrive de le nommer l'« Ebola » du cheval. Ce virus, dont la transmission est vectorielle, est arrivé en Europe en 1987, par l'importation de zèbres de Namibie à Madrid et à Lisbonne, puis a traversé le détroit de Gibraltar pour gagner le Maroc. Ses conséquences peuvent être très graves. Lorsque le virus s'est manifesté, les chevaux de l'équipe de France se sont trouvés bloqués au Portugal – à l'époque, il fallait attendre deux ans avant de pouvoir les rapatrier. Si, demain, l'un des neuf sérotypes de ce virus arrive en France, on se trouvera complètement démunis, faute de vaccin. Les effets peuvent être redoutables sur la filière équine.

Enfin, le virus Schmallenberg, qui appartient à la famille des bunyavirus, est apparu en Allemagne dans la même zone que le sérotype 8 de la fièvre catarrhale ovine, à proximité de Maastricht. On a donné à ce virus, que personne ne connaissait, le nom du village qui abritait la vache à partir de laquelle il a été isolé. Ce virus s'est répandu dans toute l'Europe en 2012, déclenchant un embargo sur les échanges d'animaux vivants : les frontières de tous les grands pays avec lesquels la France et l'Union européenne commercent se sont fermées. La carte ci-dessous montre son extension, en 2013 et en 2014, à partir de Schmallenberg. Ce virus provoque des malformations chez les veaux, les agneaux et les chevreaux.

(image non chargée)

Comme vous pouvez le constater, les territoires français sont très riches en arboviroses humaines et vétérinaires. La prévention est primordiale car, lorsque le virus arrive, il est souvent trop tard. Il peut être plus coûteux de lutter contre ses effets que d'appliquer des méthodes préventives. Il faut développer une surveillance intégrant la virologie humaine, la virologie vétérinaire et l'entomologie, en particulier pour les zoonoses, mais aussi pour les virus strictement vétérinaires, pour lesquels on peut bénéficier d'échanges d'expériences. On a aussi besoin des entomologistes qui, eux, s'intéressent directement aux vecteurs.

S'agissant du financement, il me paraît essentiel de développer des projets de recherche appliquée en lien avec la surveillance des arboviroses. Souvent, la DGS interroge les virologistes humains – ou la DGAL, pour ce qui nous concerne –, ce qui débouche sur de petits projets, dont les applications sont certes primordiales en termes de surveillance, mais qui relèvent d'une recherche trop appliquée pour être financés par des organismes comme l'Agence nationale de la recherche (ANR). Il faudrait diversifier les sources de financement. Arbo-France est une très belle initiative, née il y a moins d'un an sous l'impulsion de REACTing, qu'il faut soutenir. Enfin, il ne faut pas oublier les projets en santé animale sensu stricto. Il y a souvent de l'argent pour les recherches sur les zoonoses, mais on a un peu tendance à négliger la santé animale proprement dite. Or, au même titre que nos confrères chercheurs en arboviroses humaines, nous devons travailler dans des laboratoires de haute sécurité, confinés, dont l'entretien est coûteux. Il faut avoir cela à l'esprit quand on parle d'arboviroses.

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Je vous remercie de votre exposé clair et complet sur des virus dont le grand public, comme les médecins – je parle en connaissance de cause – entendent peu parler. Vous avez abordé rapidement la question de la vaccination contre le virus West Nile. Pouvez-vous nous préciser si elle est nécessaire et, le cas échéant, envisageable ? Dans l'affirmative, à quel horizon pourrait-elle se pratiquer et à quelles difficultés sa mise au point pourrait-elle se heurter ?

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Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'ANSES, directeur de l'unité mixte de recherche en virologie INRAE-ANSES-École nationale vétérinaire d'Alfort

N'étant pas médecin, je ne voudrais pas parler à la place de mes collègues. Je sais que des vaccins font l'objet d'essais cliniques de phase 1 ou 2. Je ne vois pas quels obstacles scientifiques s'opposeraient au développement de vaccins pour l'humain, alors qu'ils existent pour le cheval. Il n'est pas exclu que ce soit lié à des considérations économiques – c'est une hypothèse que je formule sans être spécialiste du sujet – car, même si on relève beaucoup de cas de West Nile, ce virus n'a pas l'ampleur de la dengue, par exemple. Chez l'animal, on a des vaccins certes un peu chers mais efficaces.

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Pensez-vous que les étudiants vétérinaires – je ne sais pas si vous pouvez me répondre aussi pour les étudiants en médecine – sont bien formés pour faire face aux nouveaux virus qui gagnent la métropole ?

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Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'ANSES, directeur de l'unité mixte de recherche en virologie INRAE-ANSES-École nationale vétérinaire d'Alfort

Beaucoup d'efforts ont été entrepris. La fièvre catarrhale ovine a constitué un coup de tonnerre dans un ciel serein. C'est un peu comme si le paludisme était apparu à Maastricht et s'était répandu de la Suède à l'Andalousie. On a pris conscience de l'importance des maladies vectorielles. Dans le cas de West Nile, les vétérinaires ont un rôle à jouer en matière de santé publique, puisque, lorsqu'un cheval présente des troubles neurologiques, les conséquences peuvent aller jusqu'à la modification de la politique de dépistage des dons de sang humain : on est loin de la dimension strictement vétérinaire. Le virus Schmallenberg a aussi constitué un facteur déterminant de cette prise de conscience. Les jeunes générations de vétérinaires, comme les plus anciennes – pour y avoir été confrontées – y sont très sensibilisées. L'obligation de la vaccination de tous les élevages a constitué un épisode marquant. Le réchauffement climatique contribue également à cette évolution. Quant aux étudiants en médecine, j'ai l'impression qu'ils y sont sensibilisés.

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Vous avez évoqué les épidémies survenues aux États-Unis et dans le sud de la France, mais qu'en est-il dans les outre-mer ?

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Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'ANSES, directeur de l'unité mixte de recherche en virologie INRAE-ANSES-École nationale vétérinaire d'Alfort

Le virus West Nile circule dans les Antilles et à La Réunion mais, de manière inexplicable, on dénombre peu de cas chez l'Homme, en tout cas pas avec l'intensité qu'on peut observer ailleurs. Il n'est pas impossible – c'est une hypothèse qui n'engage que moi – que certaines populations soient immunisées contre d'autres flavivirus présents dans ces régions. On peut toutefois imaginer qu'une souche plus virulente arrive un jour. Elle trouvera alors un écosystème favorable à son développement.

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On considère habituellement, nous avez-vous expliqué, que West Nile est transmis par le moustique Culex. Cependant, des études en laboratoire ont démontré qu' Aedes albopictus pourrait être un vecteur. Croyez-vous possible qu' Aedes devienne un vecteur significatif de West Nile ?

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Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'ANSES, directeur de l'unité mixte de recherche en virologie INRAE-ANSES-École nationale vétérinaire d'Alfort

Cela a en effet été montré en laboratoire. Je ne sais pas, toutefois, si ce vecteur pourrait être significatif. Aujourd'hui, Aedes n'est pas identifié comme un vecteur important de West Nile. On ne peut pas exclure qu'il le devienne un jour. À titre d'exemple, il a été montré en Italie qu'Usutu pouvait être transmis par Aedes albopictus. Faute de financement, on n'a pas pu procéder à ces observations en France. Usutu étant très proche de West Nile, c'est une hypothèse qu'il faut prendre au sérieux.

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La coopération des services de santé publique vétérinaire et humaine vous paraît-elle satisfaisante, s'agissant de West Nile ? Quelles améliorations pourrait-on apporter ? Serait-il nécessaire de renforcer cette collaboration en matière de surveillance épidémiologique et de réaction sanitaire à une crise épidémique ?

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Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'ANSES, directeur de l'unité mixte de recherche en virologie INRAE-ANSES-École nationale vétérinaire d'Alfort

Nous collaborons de manière très satisfaisante avec les services de santé humaine. Cela a commencé, en 2000, avec le CNR, qui se trouvait à l'époque à l'Institut Pasteur. Très vite, des cellules de crise ont été créées. Face aux événements récents, tous les partenaires – qu'ils exercent en santé humaine ou vétérinaire, par exemple à la DGAL, à la DGS ou à Santé publique France – ont été sur la même longueur d'onde. De surcroît, chose importante, tous se connaissent, notamment parce que ces virus sont transmis par les mêmes vecteurs. Arbo-France illustre ce travail d'équipe. Toutefois, il y a sans doute des améliorations à apporter, car rien n'est jamais parfait.

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Vous nous avez expliqué que West Nile produisait des effets différents sur les continents américain et européen. Des recherches sont-elles engagées pour essayer de comprendre ce phénomène ? Cela a-t-il une incidence sur les contaminations humaines ?

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Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'ANSES, directeur de l'unité mixte de recherche en virologie INRAE-ANSES-École nationale vétérinaire d'Alfort

Des travaux ont été menés pour comprendre les raisons des différences génétiques entre les moustiques et les oiseaux – par exemple le corbeau – présents sur les continents américain et européen, mais on n'a pas obtenu d'explication indiscutable et consensuelle. Il faut encore travailler et explorer les pistes actuelles. Les conséquences sont en effet importantes en termes de contamination humaine, parce qu'une circulation accrue se traduira par un taux d'infection plus élevé chez l'humain.

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Vos collègues chercheurs nous ont fait part de l'insuffisance des financements et ont affirmé qu'il était plus facile d'obtenir des crédits en période d'épidémie, alors même que ce sont des virus réémergents. En va-t-il de même dans le domaine vétérinaire, ou recevez-vous plus de financements pérennes ?

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Stéphan Zientara, directeur-adjoint du laboratoire de santé animale de l'ANSES, directeur de l'unité mixte de recherche en virologie INRAE-ANSES-École nationale vétérinaire d'Alfort

Nous souffrons des mêmes problèmes. À titre d'exemple, c'est le moment de soumettre des projets sur la peste porcine africaine, car ils ont de très fortes chances d'être financés. Il est regrettable – même si je peux le comprendre – qu'on reçoive des financements lors des crises, puis qu'ils se fassent beaucoup plus rares entre deux épidémies ou épizooties. Il est primordial de maintenir la recherche de long terme, afin de se tenir prêts. Chez l'Homme comme dans le domaine vétérinaire, on est soumis exactement au même cycle de financements. On en arrive presque à attendre la prochaine épizootie ou épidémie, ce qui est très regrettable.

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Nous vous remercions d'avoir éclairé la commission d'enquête par cette présentation très complète.

La réunion s'achève à dix-sept heures cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles

Réunion du lundi 24 février 2020 à 16 h 15

Présents. – Mme Ramlati Ali, Mme Sereine Mauborgne, Mme Bérengère Poletti, Mme Valérie Thomas

Excusés. – Mme Delphine Bagarry, Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, M. Max Mathiasin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon