Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 18 janvier 2022 à 17h35

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 17 h 35

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

Examen, ouvert à la presse, du projet de loi autorisant l'approbation de la convention de coopération judiciaire internationale entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation des Nations Unies, représentée par le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie (n° 4696)

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Je remercie notre rapporteure, Mme Mireille Clapot, pour son remarquable rapport, qui est à la fois clair et précis, et lui adresse mes sincères félicitations pour la rapidité du travail accompli, puisqu'elle n'a pu être nommée rapporteure de ce texte qu'il y a douze jours, au début du mois de janvier.

La matière est très sensible. Elle concerne l'une des priorités absolues affichées par notre diplomatie des dix dernières années, à savoir la cessation et la poursuite devant les tribunaux des violations des droits de l'homme perpétrées en Syrie depuis 2011.

La France a signé, le 29 juin 2021 – ce qui montre que notre Gouvernement peut aller vite pour présenter au Parlement des projets de loi d'autorisation de ratification –, une convention avec la cheffe du Mécanisme international, impartial et indépendant (MIII) pour la Syrie, qui est basé au siège des Nations unies à Genève, afin d'améliorer la coopération judiciaire et de lutter ainsi contre l'impunité dont tentent de bénéficier les tortionnaires et commanditaires du régime de Bachar al-Assad.

Notre pays est d'autant plus impliqué dans cette convention que la cheffe de ce mécanisme est une magistrate française, Mme Catherine Marchi-Uhel, et qu'elle a convaincu l'ONU, avec l'appui de notre Gouvernement, de renforcer très substantiellement – de 25 % – les moyens humains dont elle dispose pour accomplir ses missions.

Nous voulons que ce Mécanisme aboutisse. Nous voulons que les tortionnaires et les commanditaires du régime de Bachar al-Assad, convaincus de crimes contre l'humanité, puissent être punis mais notre rapporteure va nous démontrer que cela ne va pas de soi, parce que des problèmes d'ordre juridique se posent.

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La convention d'entraide judiciaire conclue en juin 2021 entre la France et le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie a pour but de renforcer et de faciliter les échanges entre les juridictions françaises et cet organe onusien tout à fait original.

Avant d'entrer plus en détail dans la description de ce mécanisme et dans l'analyse de la convention qu'il nous est demandé d'approuver, il me semble utile de revenir sur le contexte de cet accord, en faisant un point sur la situation en Syrie.

Le conflit en Syrie a été déclenché par la répression opérée par le régime, dans les premiers mois de l'année 2011, de manifestations populaires qui étaient pacifiques, au moins au début. Le soulèvement populaire a ensuite progressivement pris un caractère armé et a été en partie repris à leur profit par des mouvements djihadistes, comme Daech, d'un côté, et le Front al-Nosra, de l'autre. Le régime a d'abord subi des revers, au point de se trouver, à un moment, au bord de l'effondrement. Il a toutefois tenu bon, notamment grâce à l'aide apportée d'abord par le Hezbollah libanais et par l'Iran, puis par la Russie à partir de 2015. Il a ainsi pu reconquérir une grande partie de son territoire, essentiellement située à l'ouest du pays. Je vous ai transmis deux cartes pour que vous puissiez vous repérer : l'une, purement géographique, et l'autre, intitulée « Qui contrôle quoi ? ».

À la suite de différents accords de cessez-le-feu, une grande partie des milices armées, de tendance djihadiste, se sont regroupées dans la poche d'Idlib, au nord-ouest du pays. Dans le nord-est, les Forces démocratiques syriennes, à majorité kurde, appuyées par la coalition internationale, remportent, à partir de 2017, des victoires contre Daech qu'elles chassent notamment des villes de Raqqa et de Baghouz. La Turquie, de son côté, se disant inquiète de l'implantation des milices kurdes à sa frontière sud, intervient à plusieurs reprises dans le nord de la Syrie, par exemple dans la ville d'Afrin, et cherche à y établir une zone sous son contrôle, surtout à partir d'octobre 2019. C'est finalement vers une forme de partition du territoire que l'on semble se diriger, les fronts étant plus ou moins gelés depuis mars 2020.

Quelles perspectives, dans ces conditions, pour la Syrie ?

Pour la communauté internationale, le cadre à suivre est celui fixé par la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies du 18 décembre 2015, qui prévoit un cessez-le-feu, la rédaction d'une nouvelle Constitution et des élections libres et transparentes. De ce point de vue, le scrutin présidentiel qui s'est tenu en Syrie au mois de mai 2021 ne saurait évidemment être tenu pour légitime, tant les garanties en termes de pluralisme et de transparence faisaient défaut. Le régime a néanmoins obtenu des gains diplomatiques indéniables, avec un début de normalisation de la part de certains États de la région. La seule voie acceptable reste donc celle des négociations intersyriennes organisées à Genève en vue d'élaborer une nouvelle Constitution. Ces négociations n'enregistrent toutefois aucun progrès réel, en raison essentiellement de la mauvaise volonté du régime.

On ne voit pas bien comment sortir d'une telle situation de paralysie. Le régime, appuyé par la Russie, mène des frappes ponctuellement sur la poche d'Idlib. La Turquie semble s'être implantée durablement dans certaines zones, faisant même naître un soupçon d'expansionnisme territorial sur des territoires longtemps disputés. La coalition internationale demeure en Syrie, avec quelque 900 soldats américains déployés dans le nord-est et sur la base d'Al-Tanf dans le sud. Israël mène régulièrement des frappes en Syrie sur des objectifs gouvernementaux ou liés à l'Iran ou au Hezbollah. Les cellules de Daech sont toujours actives et organisent des attentats. Bref, la perspective d'une Syrie démocratique, sûre et souveraine paraît plus lointaine que jamais.

La première victime de ces onze ans de guerre et de la paralysie actuelle, c'est évidemment la population civile, à laquelle on peut ajouter les jeunes hommes enrôlés malgré eux dans un camp ou l'autre. L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) estime à plus de 511 000 le nombre de morts dus au conflit. Plus de la moitié des Syriens ont dû quitter leur foyer et plus de 6 millions d'entre eux ont fui leur pays. Le conflit a été marqué par des très nombreuses violations graves des droits humains, de la part des forces gouvernementales comme des milices djihadistes : arrestations massives, disparitions forcées, torture et traitements inhumains et dégradants, attaques visant des quartiers d'habitation ou des hôpitaux, etc. Différentes minorités ont été particulièrement visées, notamment les Yézidis, victimes d'une véritable tentative de génocide. Les femmes et les enfants ont été spécialement touchés, non seulement de façon directe mais aussi indirectement, du fait de la destruction des systèmes éducatifs et de santé. La situation humanitaire est catastrophique. Plus de 13,4 millions de personnes ont besoin d'aide humanitaire, ce qui représente une augmentation de 21 % par rapport à l'année précédente.

La Syrie se trouve donc au carrefour de multiples enjeux. Il y a la question de son avenir politique. Il y a celle de l'aide humanitaire, médicale et alimentaire, et de son acheminement. Il y a aussi la question du terrorisme, de Daech et d'Al-Qaïda, et de leurs ramifications hors du territoire syrien. Et puis il y a la question de la lutte contre l'impunité, qui est au cœur du projet de loi que nous examinons.

La communauté internationale a pris plusieurs initiatives pour que les graves violations des droits de l'homme en Syrie ne restent pas impunies. Une commission d'enquête internationale, la commission Pinheiro, a été créée en 2011 sous l'égide de l'ONU et continue son travail en publiant chaque année des rapports publics. Ces rapports sont utiles et documentés mais ne permettent pas directement d'engager la responsabilité des auteurs des violations relevées. S'agissant de l'emploi d'armes chimiques, un mécanisme d'enquête conjoint entre l'ONU et l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques a été créé en 2015, avec pour mission d'établir les responsabilités des uns et des autres en la matière. Ses travaux ont toutefois été interrompus, faute d'accord politique sur ce sujet au Conseil de sécurité.

La France a, par ailleurs, porté en 2014 une résolution au Conseil de sécurité pour déférer la situation en Syrie à la Cour pénale internationale (CPI). Cette résolution n'a toutefois pas pu aboutir, en raison des veto russe et chinois. Toute tentative de créer un tribunal international ad hoc par la voie du Conseil de sécurité se heurterait, à l'évidence, au même blocage.

Il reste, pour essayer de juger et de sanctionner les coupables d'atrocités commises en Syrie, la compétence des juridictions nationales. La compétence « universelle » des juridictions nationales donne à celles-ci la possibilité de poursuivre et de punir des criminels étrangers pour des crimes commis à l'étranger contre des victimes étrangères. C'est à ce titre qu'il y a quelques jours, en Allemagne, un ancien colonel des services de renseignement syriens a été condamné à la prison à vie pour crimes contre l'humanité. Les victimes et les proches des victimes ont exprimé leur satisfaction à cette occasion : la lutte contre l'impunité passe par ce genre de sanction exemplaire.

Cette possibilité existe en droit français. Elle a été reconnue par la loi du 9 août 2010 qui a transposé dans notre droit le Statut de Rome, c'est-à-dire le traité international qui a créé la Cour pénale internationale. Actuellement, vingt et une enquêtes préliminaires et douze informations judiciaires sont ouvertes sur ce fondement. Elles sont suivies par le pôle « Crimes contre l'humanité, crimes et délits de guerre » du Parquet national antiterroriste (PNAT), placé près le tribunal judiciaire de Paris. Toutefois, la compétence des juridictions françaises est strictement encadrée. Elle est soumise à plusieurs conditions assez restrictives, sur lesquelles je reviendrai. Par ailleurs, les juridictions françaises se heurtent à des difficultés en matière de collecte de preuves. N'ayant pas directement accès au territoire syrien, elles doivent se fonder sur des témoignages ou recourir à l'entraide judiciaire internationale, que ce soit avec d'autres États ou avec des instances internationales comme la commission Pinheiro.

C'est parce que ces différentes initiatives se sont révélées insuffisantes pour lutter efficacement contre l'impunité que l'Assemblée générale des Nations unies a décidé, en 2016, de créer le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie. Un veto de la Russie ou de la Chine ne pouvait, dans cette hypothèse, y faire obstacle, parce que ce Mécanisme n'est pas à proprement parler une juridiction. Il s'agit d'un organe inédit, sui generis, dont la mission est double. D'une part, il doit collecter des informations et des éléments de preuve concernant les violations graves des droits humains commises en Syrie depuis mars 2011. D'autre part, il doit analyser ces éléments et constituer des dossiers susceptibles d'être utilisés par des juridictions nationales, et peut-être demain par des juridictions internationales si elles venaient à être saisies. Le Mécanisme permet ainsi d'éviter la déperdition des preuves, qui sont déjà si difficiles à collecter. Il évite aussi que des procédures judiciaires ne puissent aboutir, faute d'éléments probatoires. J'ajoute qu'il recueille des éléments imputables aussi bien aux forces gouvernementales qu'aux groupes djihadistes.

Nous avons auditionné Mme Marchi-Uhel, la magistrate française qui est à la tête du Mécanisme, et qui fait un travail remarquable. Depuis son entrée en fonction, le Mécanisme a constitué un répertoire central contenant plus de 2 millions de fichiers, qui peuvent être des photos, des vidéos, des témoignages écrits, des images satellites, etc. Le Mécanisme dispose également d'outils informatiques permettant la recherche dans ce répertoire. Il fonctionne avec une équipe d'environ soixante-dix personnes, composée d'enquêteurs, de juristes, d'analystes, de spécialistes des questions de sécurité et de cybersécurité, d'experts en soutien aux victimes ou encore de traducteurs. Il axe notamment ses enquêtes sur les crimes commis dans les centres de détention du régime, à la sinistre réputation, sur les attaques contre des populations civiles avec des visées discriminatoires, notamment de la part de Daech, et sur les attaques à l'arme chimique.

Ses bons résultats ont inspiré la création du Mécanisme d'enquête indépendant pour le Myanmar, créé en 2018 par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies. C'est la preuve, s'il en fallait, que ce type d'instance, tout à fait originale, répond à un besoin de la justice internationale.

Quel est, dans ce contexte, le but de la convention d'entraide qu'il nous est demandé d'examiner et d'approuver ?

Il est essentiellement de permettre la transmission d'informations des juridictions françaises vers le Mécanisme. Cette transmission n'est pas possible à l'heure actuelle, faute d'un accord de coopération. La présente convention d'entraide permettra également d'apporter un encadrement juridique à la transmission d'informations dans l'autre sens, du Mécanisme vers les juridictions françaises – cette transmission est déjà possible mais elle sera fluidifiée. L'idée est donc de faciliter les échanges d'informations, de documents ou d'objets attestant la commission de crimes graves ou permettant d'en identifier les responsables, qu'il s'agisse de crimes de génocide, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre ou de toute autre violation grave du droit international humanitaire ou du droit international des droits de l'homme, perpétrés en Syrie à partir de mars 2011.

La convention s'inspire des accords d'entraide judiciaire internationale conclus avec des États étrangers, dont elle reprend les garanties traditionnelles. Sont ainsi exclues du champ de la convention les infractions politiques et les infractions militaires. L'exécution d'une demande d'entraide peut être différée pour ne pas entraver une enquête ou des poursuites en cours. Des exigences sont posées quant à la forme et au contenu des demandes. Une partie peut aussi demander que l'élément transmis demeure confidentiel. Les règles en matière de protection des données personnelles doivent être respectées.

Par rapport aux accords classiques conclus avec des États, une spécificité est à noter : une partie ne pourra demander à l'autre partie l'exécution de mesures d'investigations telles que des interceptions téléphoniques, des autopsies, des mesures de gel ou de saisie d'avoirs, des décisions d'arrestation provisoire et d'extradition, ou encore l'exécution de condamnations pénales. Le Mécanisme n'étant pas une juridiction, mais ayant pour seul but la collecte et l'analyse d'éléments de preuve, de telles mesures n'auraient pas leur place dans la présente convention.

L'approbation de cette convention apparaît indispensable. Un certain nombre de demandes formées par le Mécanisme auprès des juridictions françaises sont en effet pendantes. Elles ne pourront pas être exécutées tant que la présente convention n'aura pas été approuvée.

Elle doit l'être si nous voulons prendre au sérieux l'engagement souscrit et réitéré par la France de lutter contre l'impunité en Syrie. C'est une position constante de notre pays. Il ne s'agit pas d'un vain esprit de vengeance mais d'une exigence de justice, qui est elle-même un préalable à toute paix durable et à tout règlement politique. Il n'y a pas de paix sans justice. Les auteurs de violations graves, parfois gravissimes, des droits humains en Syrie doivent être jugés. Ils doivent évidemment l'être selon les normes du droit pénal international, avec toutes les garanties juridictionnelles nécessaires, au premier rang desquelles le droit à un procès équitable. S'ils sont reconnus coupables, ils doivent être sanctionnés à proportion de leurs responsabilités. Le MIII pour la Syrie y contribue, et c'est pourquoi il est nécessaire de garantir et d'encadrer ses échanges avec les juridictions françaises.

À l'approbation de cette convention devrait succéder une autre étape, à laquelle j'invite à réfléchir. La Cour de cassation, dans un arrêt du 24 novembre 2021 qui a fait couler beaucoup d'encre, a déclaré les juridictions françaises incompétentes pour connaître des poursuites engagées à l'encontre d'un ressortissant syrien mis en examen pour des faits de complicité de crimes contre l'humanité commis en Syrie. La loi française pose en effet plusieurs conditions pour qu'une personne soupçonnée de crime contre l'humanité puisse être poursuivie et jugée par nos juridictions. Celle-ci doit, en particulier, résider habituellement sur le territoire français et, surtout, les faits reprochés doivent être punis par la législation de l'État où ils ont été commis. C'est ce que l'on appelle le « verrou de la double incrimination ». Selon l'interprétation de la Cour de cassation, il ne suffit pas que les faits constitutifs soient punis, comme c'était bien le cas dans le droit syrien, mais encore que la définition juridique du crime contre l'humanité, exigeant l'existence d'un « plan concerté », se retrouve dans le droit de l'État concerné. Comme ce n'était pas le cas dans le droit syrien, la Cour de cassation a jugé les juridictions françaises incompétentes pour en connaître.

De nombreuses associations et personnalités, y compris la cheffe du Mécanisme, se sont émues de cette jurisprudence – à juste titre, me semble-t-il. Comme l'a écrit Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie, dans une récente tribune, il ne s'agit pas de mettre en cause la décision des magistrats de la Cour de cassation : « Ils sont dans leur rôle en interprétant le droit en fonction de la loi telle qu'elle est. La Cour de Cassation s'appuie sur les dispositions de la loi du 9 août 2010, transposant en droit français le statut de la Cour pénale internationale. » Toutefois, l'exigence de la double incrimination fait que l'on ne peut pas poursuivre des criminels de guerre syriens, parce que la Syrie ne reconnait pas les crimes contre l'humanité.

La France est l'un des seuls pays européens à imposer ce verrou de la « double incrimination ». Il me semble donc utile de réfléchir, sans tarder, à la nécessaire adaptation du droit français, actuellement trop restrictif. En attendant, je vous invite à adopter le présent projet de loi, qui constitue déjà une étape très attendue et très utile.

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Le dernier point que vous avez soulevé sera certainement au cœur de notre discussion, car c'est le problème central posé par ce dispositif.

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La Syrie est probablement le plus grand trou noir du respect des droits humains dans un conflit armé au XXIe siècle, une tache sur la communauté internationale, qui n'a pas réussi à mettre fin à ce conflit destructeur et aux multiples violations des droits de l'homme qui l'ont accompagné. Les chiffres sont connus de tous ; ils témoignent de la descente aux enfers du peuple syrien. Depuis le 15 mars 2011, les Syriens sont entrés dans une longue nuit moyenâgeuse où chaque belligérant a rivalisé de cruauté et de terreur pour imposer son pouvoir.

La France a adopté une position constante depuis les premières manifestations de Deraa en 2011. Le régime de Bachar al-Assad, les groupes djihadistes, les groupes armés, les potentats locaux et leurs soutiens devront un jour répondre de leurs crimes. Derrière cette position, il y a le constat qu'aucune réconciliation, qu'aucun retour à la vie ne seront possibles en Syrie sans justice, sans réparation et sans restauration de la dignité d'un peuple meurtri et exilé.

La communauté internationale a un rôle clé à jouer pour qu'un jour la justice fasse son office. Elle n'a pas su empêcher le drame en Syrie mais elle peut agir pour que, demain, les bourreaux s'expliquent devant les victimes. C'est le sens de la création en 2016 du Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie. Dépendant de l'ONU, basé à Genève, cet organisme permet de constituer des dossiers contre tous les belligérants ayant commis des crimes pendant le conflit.

C'est également le sens de la convention entre l'État français et le Mécanisme international que nous examinons et dont il nous revient d'autoriser l'approbation. Notons que plusieurs États européens coopèrent déjà avec le MIII dans le partage d'informations. Il ne s'agit pas d'une démarche inédite, mais d'un mouvement de fond européen pour rendre justice au peuple syrien, comme l'illustre la condamnation récente par un tribunal allemand d'un ancien colonel des services de renseignement syriens pour crime contre l'humanité.

Cette convention prévoit le partage de renseignement entre les autorités judiciaires françaises et l'organisme onusien. C'est un bon outil, suffisamment souple dans son fonctionnement, qui protège les intérêts français et les procédures en cours sur la Syrie. Elle fait de la lutte contre l'impunité face à des crimes commis et qui perdurent encore en Syrie une priorité, tant pour le Mécanisme international que pour les États européens dotés de la compétence universelle.

Elle garantit un peu mieux le fait que des personnes ayant commis des crimes en Syrie ne pourront jamais mettre un pied en Europe sans rendre des comptes. C'est la raison pour laquelle le groupe La République en marche votera ce texte.

Je termine avec quelques questions. La durée d'existence du MIII pour la Syrie a-t-elle été fixée ? Combien de procédures françaises sont actuellement en cours à propos de la Syrie ? Le droit français doit-il être modifié pour permettre de mieux instruire des procédures pénales contre des violations des droits de l'homme commises à l'étranger ?

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Le conflit qui touche la Syrie depuis plus d'une décennie a profondément marqué ce territoire, qui se trouve fracturé à bien des niveaux. Cette guerre a laissé des traces indélébiles sur une population, dont l'immense majorité a éprouvé la perte d'un proche, du fait des exactions commises, tant par les milices djihadistes que par les forces du régime. Le rapport publié en janvier 2021 par la commission d'enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne est éloquent. D'après celui-ci, les parties en conflit ont commis les plus odieuses violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme, qui comprennent des actes susceptibles de constituer des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et d'autres crimes internationaux, y compris celui de génocide. Alors que cette guerre aurait conduit à la mort plus de 511 000 individus depuis 2011, il est plus que jamais essentiel que les auteurs de ces crimes fassent l'objet de poursuites et de condamnations. C'est une exigence de justice à l'égard des victimes, mais c'est aussi le préalable à la construction d'une paix durable.

Forte de cette volonté et face à l'impossibilité de saisir la Cour pénale internationale, l'Assemblée générale des Nations unies est donc convenue, en décembre 2016, de la création d'un Mécanisme international pour la Syrie. Cet organe doit, par l'analyse et le regroupement de preuves, constituer des dossiers afin de faciliter, pour les juridictions compétentes, la traduction en justice des auteurs de violations du droit international en Syrie. La France, en soutenant pleinement la création de ce Mécanisme, s'est ainsi montrée fidèle à ses engagements réitérés de lutter contre l'impunité pour les crimes contre l'humanité, qu'elle a pris tout au long de cette décennie.

Il s'agit d'assurer une coopération fluide et efficace entre le Gouvernement français et le Mécanisme. Bien qu'il collabore étroitement avec la commission Pinheiro, celui-ci ne peut accéder au territoire syrien et dépend par conséquent de la coopération des juridictions internationales. Or, dans le cas de la France, cette coopération se trouve limitée par notre droit interne, qui empêche nos juridictions de transmettre des informations à cet organe, puisque l'entraide judiciaire en France demeure réservée aux juridictions nationales ou internationales. Le projet de loi qui nous est présenté doit permettre l'adoption d'une convention à même de garantir cette coopération juridique réciproque entre le Gouvernement et le Mécanisme.

La convention rendra les transmissions d'informations du Mécanisme vers les juridictions françaises plus aisées et plus sûres, mais elle permettra surtout à cet organe de recevoir des informations essentielles de la part des juridictions françaises, afin de lutter contre l'impunité des crimes commis. Notre groupe soutiendra pleinement ce projet de loi.

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Les combats qui se déroulent en Syrie mobilisent moins l'attention médiatique qu'aux heures les plus sombres de la lutte contre le califat autoproclamé de Daech. Les exactions continuent et la partition quasi actée du pays en différentes zones d'influence maintient les populations dans une détresse humanitaire et une insécurité permanentes.

Nous avons tous bien compris combien l'approbation de cette convention est indispensable pour renforcer la coopération entre les juridictions françaises et le MIII, et pour faciliter les enquêtes concernant les violations des droits de l'homme en Syrie. Les éléments de preuve de ces exactions sont compilés dans un répertoire central.

Anwar Raslan, tortionnaire syrien et ancien responsable des services de renseignement, a été condamné récemment par la Haute Cour régionale de Coblence pour crime contre l'humanité. La compétence universelle de la justice allemande a rendu possible ce procès. Pourquoi un tel procès et une telle condamnation – accueillie avec soulagement par des victimes et leurs familles, ainsi que par de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) – seraient-ils impossibles en France ?

En tout état de cause, convaincu par vos explications, le groupe Socialistes et apparentés soutiendra l'approbation de cette convention de coopération judiciaire, en espérant que le MIII puisse contribuer à dissuader de futures exactions de la part des belligérants.

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L'approbation de cette convention m'apparaît indispensable pour renforcer la coopération internationale et la lutte contre l'impunité. La punition des crimes commis sur le territoire syrien depuis plus de dix ans répond en effet une exigence de justice à l'égard des victimes, mais elle constitue aussi un préalable à une solution politique durable. À plus long terme, notre vote positif devra être accompagné par une réflexion sur les modifications à apporter à la loi pénale, afin de rendre plus effective la compétence universelle des juridictions françaises.

La France tient ses engagements en matière de lutte contre l'impunité pour les crimes commis en Syrie. En approuvant la convention de coopération avec le Mécanisme international, notre assemblée sera fidèle aux engagements réitérés de lutter contre l'impunité des dirigeants et des personnalités qui leur sont liées. Ce Mécanisme n'étant ni une autorité judiciaire étrangère ni une juridiction, la présente convention est indispensable pour permettre aux juridictions françaises de répondre aux demandes d'entraide. Dès lors, nous ne pouvons pas nous dispenser d'adopter à une large majorité ce projet de loi autorisant son approbation. Fort de cette conviction, le groupe Agir ensemble soutiendra ce projet de loi.

Je souhaiterais vous interroger à propos d'un événement récent, celui du retour en Syrie de Rifaat el-Assad, après trente-six ans d'exil. Il avait été condamné par la cour d'appel de Paris à quatre ans de prison pour avoir constitué frauduleusement en France un patrimoine évalué à 90 millions d'euros. Comment cela a-t-il pu être possible, alors qu'un dispositif concernant les biens mal acquis a été adopté lors de l'examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ?

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J'ai peu de choses à ajouter : la rapporteure a très bien expliqué la situation dramatique. Le temps passe et on risque de finir par ne pas se souvenir des exactions commises. L'ONU a opportunément mis en place un dispositif destiné à ne pas laisser tomber dans l'oubli les crimes de guerre commis en Syrie depuis maintenant onze ans. Il faut se féliciter de l'originalité de ce mécanisme. Il est peut-être le précurseur de quelque chose de plus important, à l'image de la compétence universelle dont s'est dotée l'Allemagne et qui avait déjà été mise en œuvre s'agissant de la Biélorussie. On voit que l'Allemagne poursuit dans cette voie pour les événements en Syrie, et il serait bienvenu que tous les États européens s'en inspirent pour pouvoir mieux condamner les crimes de guerre.

Je souhaite personnellement qu'on avance dans cette direction, et le groupe Libertés et territoires soutient l'approbation de cette convention. La France doit pleinement coopérer avec le MIII pour la Syrie, afin de faire la lumière sur des crimes atroces. Je crains que ce ne soit malheureusement pas suffisant – et même conduire leurs auteurs devant les tribunaux n'est pas forcément un gage de cessation de ces exactions.

Soyons malgré tout optimistes et mettons en place les mécanismes nécessaires.

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Madame la rapporteure, une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec chacune des phrases de votre intervention. J'en reprends une que je trouve très belle : « Il n'y a pas de paix sans justice. »

J'aimerais qu'il en soit de même partout dans le monde ; ce n'est malheureusement pas le cas, mais il faut bien débuter quelque part. Les conflits en Syrie et au Yémen font suite aux printemps arabes, mais on a l'impression que les deux cas ne sont pas traités de la même manière.

Au risque de faire un peu « canal historique », j'étais dans cette même salle, en 2010, lors de l'examen du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale (CPI), dont Nicole Ameline était rapporteure pour avis. La commission des affaires étrangères avait alors contesté, à l'unanimité, le fait que les quatre conditions mentionnées par la rapporteure soient nécessaires pour reconnaître la compétence des tribunaux français. Ces conditions revenaient à faire de la France presque un paradis pénal pour les criminels, tellement il serait difficile de les y poursuivre.

Nous avions été battus par la commission des lois de l'Assemblée nationale et par le Sénat. On en voit le résultat : la justice française ne dispose plus de la compétence universelle alors que l'Allemagne l'a conservée. C'est la raison pour laquelle le criminel de guerre récemment condamné en Allemagne n'aurait pas pu l'être en France.

Les députés communistes soutiennent, bien entendu, la création du Mécanisme par l'ONU. En organisant le recueil d'éléments de preuve, il permet de juger des criminels de guerre ou contre l'humanité le moment venu, et ce même si certains États n'ont pas signé le statut de Rome instituant la CPI.

Nous voterons également en faveur de ce projet de loi. Mais nous ne pouvons le soutenir si la commission des affaires étrangères ne confirme pas ce qu'elle avait dit en 2010, en demandant à revenir sur les quatre critères de compétence qui posent problème. Si on ne le fait pas, on pourra toujours dire que l'on agit pour la justice et pour la paix, mais cela restera un discours. Nous vous proposons de passer aux actes et que notre commission interpelle la commission des lois de l'Assemblée et le Gouvernement. Il faut d'urgence changer la loi.

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Je vous remercie pour ces précisions sur les circonstances dans lesquelles la loi avait été adoptée, notamment s'agissant de la différence d'approche entre notre commission, d'une part, et la commission des lois de l'Assemblée ainsi que le Sénat, d'autre part. Après les réponses de la rapporteure, je vous proposerai une initiative pour tenir compte de la position assez unanime des différents groupes.

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Madame Trisse, les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles et cette convention va permettre d'échanger des informations en vue de les poursuivre. Selon moi, et peut-être sous réserve d'une étude plus détaillée, il n'y a pas de limite à son application dans le temps.

Le pôle « Crimes contre l'humanité, crimes et délits de guerre » du Parquet national antiterroriste (PNAT) a adressé vingt-six demandes d'entraide au Mécanisme et quatorze ont déjà été exécutées. Le PNAT suit vingt et une enquêtes préliminaires et douze informations judiciaires concernant des faits commis en Syrie à compter de 2011.

Rifaat el-Assad est l'oncle de Bachar el-Assad, et son surnom de « boucher de Hama » laisse bien imaginer ce qu'il a fait. Ex-opposant au régime, il a été poursuivi en Suisse pour crimes de guerre et ses biens ont été confisqués. Il a pu s'enfuir de France en passant par la Biélorussie – autre régime sympathique –, mais je ne sais pas précisément dans quelles circonstances. Je prendrai le temps de vérifier si cette affaire a un rapport avec la convention et si Rifaat el-Assad est concerné par celle-ci, sous réserve que le Mécanisme fournisse des informations qui sont peut-être couvertes par le secret.

Vous êtes plusieurs à avoir posé la question de l'évolution du droit français. Comme je vous l'ai dit, lors des auditions, je me suis émue du quadruple verrou. Le sujet concernant aussi le ministère de la justice, les représentants du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sont restés sur une position prudente. Mais je vous annonce que ce dernier soutient le principe d'une évolution du droit, afin que le critère de double incrimination ne puisse plus être opposé à la poursuite de personnes pour crimes contre l'humanité. C'est cohérent avec l'engagement constant de la France pour lutter contre l'impunité en Syrie.

Le projet de loi ne permettant pas de traiter de cette question, il faudra trouver un vecteur législatif pour faire disparaître le critère de double incrimination, sous réserve d'un accord du ministère de la justice et sans obstruction du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Je propose que nous affirmions notre soutien à cette position.

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J'entends bien que le ministère des affaires étrangères interpelle à juste titre sur la double incrimination. Mais les trois autres verrous demeurent et ils resteront bloquants compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation. Rappelons, une fois encore, qu'il s'agit du monopole de poursuite confié au ministère public et de la résidence habituelle du suspect en France – il faut le démontrer au moment de l'arrestation. Enfin, le ministère public doit s'assurer auprès de la CPI qu'elle décline sa compétence.

Il faut oser revenir à la compétence universelle sans filtre pour pouvoir juger ces crimes, comme le fait l'Allemagne. Il faut faire sauter ces verrous : lorsqu'on arrête une personne suspectée de crime contre l'humanité à la descente de l'avion, on ne va pas vérifier où elle habite. Grâce à la compétence universelle, on peut la déférer devant un juge puis organiser un procès, le Mécanisme indépendant permettant d'obtenir des éléments de preuve.

Je ne sais que trop les raisons qui ont présidé à la mise en place de ces filtres en 2010, lors de la présidence de Nicolas Sarkozy. Il faut se rappeler tout ce qui se passait alors en Afrique, et peut être n'avait-on pas envie d'interpeller certaines personnes en France. Si l'on s'inscrit désormais dans une dynamique différente pour faire justice partout où ont été commis des crimes contre l'humanité – et tel est le sens de votre rapport –, alors il faut supprimer les verrous pour revenir à la compétence universelle pure.

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Il faut aussi s'intéresser à la question de la réciprocité. Je fais référence à la doctrine des États-Unis qui combat toute juridiction pénale internationale, afin d'éviter que leurs troupes ou leurs acteurs fassent l'objet de poursuites. La situation de l'Allemagne est particulière puisqu'elle intervient de manière assez limitée dans des zones de conflit, ce qui n'est pas le cas pour la France.

Madame la rapporteure, le risque de réciprocité a-t-il été mentionné comme une limite à nos ambitions lors de vos discussions avec le Quai d'Orsay ? Des États autoritaires pourraient adopter des dispositions analogues pour exercer des pressions, sans aucune garantie sur la réalité de ce qui serait reproché à des ressortissants français ou d'autres pays.

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Je vais rester prudente dans mes réponses, parce que je ne suis pas la porte-parole de ceux qui ont négocié la convention et que je n'ai pas participé, en 2010, à la discussion du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la CPI. Je ne dispose peut-être pas de tous les éléments de réponse, mais je pense qu'une partie d'entre eux figure dans la question de Jacques Maire. Il me semble que la France veut préserver ses intérêts bien légitimes en évitant l'instrumentalisation d'une incrimination. On ne peut donc pas transposer la solution allemande.

J'entends bien la demande de Jean-Paul Lecoq, mais je n'ai pas de réponse à y apporter. Si l'on arrive à faire évoluer le droit à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2021, en particulier en ce qui concerne la double incrimination, nous aurons déjà franchi un pas. Le débat mérite d'être ouvert, mais il convient de progresser prudemment, car le monde est ce qu'il est et non pas ce qu'on rêverait qu'il soit. Il faut éviter une instrumentalisation de la lutte contre l'impunité.

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L'Allemagne participe à des opérations extérieures dans un cadre international, même si ses forces sont déployées en faible nombre. Si elle a conservé la compétence universelle, c'est en raison de son histoire et du traumatisme de la Shoah. Le sujet des crimes contre l'humanité et des génocides reste à fleur de peau pour le peuple allemand.

On parle souvent d'Europe mais, par rapport à d'autres États membres, la législation de la France pourrait faire apparaître celle-ci comme une zone de non-droit, ou à tout le moins comme un pays où certains criminels ne peuvent pas être jugés. Il n'est pas très bon de rester dans cette situation. J'entends bien qu'on veuille avancer à petits pas, mais il faudra quand même faire un saut à un moment donné.

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J'ai écouté avec beaucoup d'attention les analyses de la rapporteure et de chacun d'entre vous, et certaines choses se dessinent assez clairement.

Tout d'abord, il faudra, bien entendu, procéder au vote sur l'approbation de cette convention, qui fait l'objet d'un accord général.

Ensuite, la situation est profondément insatisfaisante puisque la mise en œuvre des quatre conditions posées par la loi de 2010 aboutit en pratique à soustraire les criminels contre l'humanité à toute sanction par les tribunaux français. Nous ne pouvons pas nous en accommoder.

Comment réagir ?

Il y a une question de fond et une de forme, ainsi qu'une question annexe qui est la suivante : si l'on modifiait la loi de 2010, cela aurait-il un effet rétroactif ? Un Syrien pourrait-il alors être poursuivi pour des crimes contre l'humanité commis il y a dix ans ? Je crois que oui et c'est aussi l'avis de Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie, avec qui j'en ai discuté. Le crime – en l'espèce imprescriptible – ou la sanction applicable ne seraient pas modifiés. Il s'agirait simplement d'une modification procédurale portant sur les modalités de poursuite et la juridiction compétente. Il faut y faire allusion, mais cela n'est pas le plus important.

Sur le fond, l'intervention de M. Lecoq est très éclairante. Il a montré que les quatre conditions sont autant d'obstacles, dont aucun n'est négligeable. J'avais aussi tiqué à la lecture du critère de résidence habituelle, qui est très troublant et flou. Quelqu'un qui se trouve sur le territoire français devrait pouvoir être déféré devant une juridiction française. Il est donc très logique de remettre en question les quatre critères posés par la loi du 9 août 2010.

Cela étant, d'autres considérations doivent être prises en compte. Tout d'abord, l'avis de la commission des affaires étrangères n'avait pas été suivi lors de la discussion du projet de loi. Les résistances étaient sans doute très fortes. Or l'absurdité de la condition de double incrimination est criante. Dans le cas d'espèce, elle interdit toute poursuite puisque la législation syrienne ne prévoit pas le crime contre l'humanité. C'est inacceptable, car notre capacité d'action est laissée à la discrétion du tortionnaire, M. Bachar el-Assad. C'est sur cette condition qui bloque le plus les poursuites contre les bourreaux et les commanditaires que nous devons insister, car nous serons les plus convaincants.

À l'inverse, l'État répugnera probablement à remettre en cause la clause selon laquelle les poursuites doivent être exercées à la seule requête du ministère public français, la constitution de partie civile ne pouvant les déclencher. L'État veut garder la main, car il ne souhaite pas que la politique d'accueil sur son territoire dépende d'un autre que lui. Gardant la main, il dispose également d'un moyen de pression – de chantage – sur ces États, en l'espèce l'État syrien.

Quand on plaide pour la justice, on ne peut qu'être réservé mais l'État français, tel qu'il est constitué depuis Philippe le Bel, est soucieux de maintenir ce type de relations. En conséquence, si nous proposons une remise en cause globale des quatre critères – proposition très logique de notre collègue Lecoq –, nous risquons de ne pas aboutir. Je suggère donc que nous marquions notre opposition aux quatre conditions, tout en faisant un sort particulier à la double incrimination qui aboutit, spécifiquement pour la Syrie, à un blocage, le droit syrien ne prévoyant pas de condamnation pour crime contre l'humanité.

Je plaide pour cette solution qui, vous en conviendrez, est profondément centriste !

Quelle forme pourrait prendre notre intervention ? Il pourrait s'agir d'un courrier de ma part – dont le projet serait bien évidemment transmis en amont à tous les membres de la commission – à l'attention du garde des sceaux et du ministre des affaires étrangères, avec une copie pour information à ma collègue Braun-Pivet, présidente de la commission des lois.

Cette lettre accompagnerait notre vote et rappellerait que la commission estime qu'une modification immédiate de la loi du 9 août 2010 précitée est indispensable. Nous avons de bonnes chances de l'emporter sur ce point ; je suis moins optimiste s'agissant des trois autres. Il faut tenter le compromis avec le Gouvernement, car, pour toutes les raisons que la rapporteure a rappelées, on ne peut s'accommoder du maintien du système actuel qui nous met au ban des États et en difficulté par rapport à notre partenaire allemand.

Je ne ferai pas allusion à la question de la rétroactivité, car il n'est pas utile d'agiter un chiffon que personne n'a, jusqu'à présent, vraiment agité.

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Tout de même, ne peut-on également évoquer le critère de la « résidence habituelle » ? Cela ne mange pas de pain ! Cette notion est extrêmement complexe à évaluer, y compris pour les juges.

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Je pensais la faire apparaître en deuxième priorité.

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Je vous remercie pour cette proposition, certes centriste, mais qui correspond aussi à un point d'équilibre. Je nous fais confiance pour trouver les bons mots.

Dans le rapport, nous avons rappelé les événements intervenus entre 2010 et 2022, mais surtout l'arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2021, que certains observateurs voyaient venir mais qui aurait pu être différent, car l'équivalence avec le crime contre l'humanité dans la législation syrienne aurait pu être trouvée. Désormais, l'interprétation est stricte alors que la justice allemande, elle, a su condamner à perpétuité un criminel syrien. Ce télescopage d'agendas met la France en porte-à-faux par rapport à ses engagements sincères contre l'impunité en Syrie. Il est de l'intérêt de tout le monde de lever cette contradiction.

La commission adopte l'article unique non modifié.

L'ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

La séance est levée à 18 h 45

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

– M. Christian Hutin, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tadjikistan sur les services aériens (n° 4821 ;

Membres présents ou excusés

Présents. – - M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Michel Fanget, Mme Olga Givernet, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, M. Jean-Paul Lecoq, M. Jacques Maire, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse

Excusés. – M. Philippe Benassaya, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Isabelle Rauch