Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission entend M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport d'enquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur la gestion de la dette publique et l'efficience du financement de l'État par l'Agence France Trésor

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Nous inaugurons ce matin une série de trois réunions consacrées aux enquêtes que la Cour des comptes a effectuées à la demande de la commission depuis juin 2021. Sur les cinq que nous avions sollicitées, il en restera donc deux – l'une sur l'Agence nationale du sport, l'autre sur les dispositifs en faveur de l'emploi dans les quartiers prioritaires de la ville – qui feront l'objet d'un rapport en juin prochain.

Le rapport qui nous est présenté ce matin concerne la gestion de la dette publique et l'efficience du financement de l'État par l'Agence France Trésor (AFT), sujet qui avait été suggéré à la commission par les députés du groupe UDI, MM. Michel Zumkeller et Christophe Naegelen.

L'analyse de la Cour montre que l'Agence dispose d'une stratégie robuste qui lui a permis de faire face à l'augmentation des besoins de financement liés à la crise sanitaire alors que les émissions nettes de dette française ont augmenté pour atteindre 260 milliards d'euros par an en 2020 et 2021. Le rapport esquisse plusieurs scénarios d'évolution du rôle de l'AFT afin d'améliorer l'articulation entre les différents émetteurs publics de dette. Cette dimension prospective du rapport, très précieuse, doit inciter à rechercher des complémentarités pour éviter des surcoûts de financement de la dette quand celle-ci est émise par d'autres organismes publics.

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Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

J'ai toujours un grand plaisir à vous retrouver. J'ai tenu à être parmi vous ce matin parce que la dette est à mes yeux un sujet primordial, mais aussi parce que c'est pour moi l'occasion de vous saluer avant la fin de la législature.

C'est en effet la mission de la Cour que de nourrir le débat public, d'éclairer la décision et de contribuer à votre contrôle sur les dépenses publiques. La Constitution a confié à la Cour une mission d'assistance du Parlement, et ce rôle me tient particulièrement à cœur, puisqu'il participe à l'excellente qualité de la relation qu'entretient notre institution avec la représentation nationale.

Sont présents à mes côtés, et je les en remercie, ceux qui ont mené à bien ce travail de grande ampleur, Stéphane Guéné, conseiller-maître en service extraordinaire, rapporteur général du rapport, Caroline Alexis, conseillère référendaire en service extraordinaire, ainsi que Jean-Pierre Laboureix, président de section, qui en a assuré le contre-rapport.

L'enquête intervient à la suite de publications antérieures de la Cour, en particulier le rapport sur la situation et les perspectives de juin 2021 qui comprenait un chapitre sur l'enjeu croissant de financement de la dette publique, celui sur la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise réalisé à la demande du Premier ministre et le rapport public annuel 2022 que j'ai présenté la semaine dernière. C'est la raison pour laquelle la présente communication n'approfondit pas le thème, déjà évoqué à plusieurs reprises, de la soutenabilité de la dette publique et répond à votre demande de concentrer l'analyse sur la gestion de la dette, plus particulièrement celle de l'État par l'Agence France Trésor.

Le rapport de la Cour apporte quatre grands éclairages. Tout d'abord, il documente la progression forte et continue d'une dette publique désormais portée très majoritairement par l'État et financée très largement par les marchés financiers.

Il analyse ensuite la gestion de la dette de l'État par l'AFT, dont la stratégie repose pour l'essentiel sur le suivi de la demande des investisseurs. Il examine ainsi les sujets de débat récurrents, notamment au sein de votre commission, que sont les primes et décotes générées par l'émission sur souches anciennes, l'allongement de la maturité de la dette et la diversification des instruments de dette avec, en particulier, les obligations indexées sur l'inflation.

En troisième lieu, le rapport aborde la dimension européenne de la gestion de la dette publique, en présentant les conséquences pour la dette française des programmes d'achat de titres de l'Eurosystème et la perspective d'un retrait progressif de ces mesures de soutien. Il analyse aussi dans quelle mesure l'émergence de l'Union européenne comme grand émetteur de dette peut influer sur les conditions de gestion de la dette française.

Enfin, dans un contexte de très forte augmentation de la dette publique, le rapport pose la question du rôle de l'AFT dans la sphère des émetteurs publics en France et d'une plus grande coordination de leurs émissions.

Je débuterai en soulignant la très forte augmentation de notre dette publique et de son financement majoritairement assuré sur les marchés financiers.

La dette de l'ensemble des administrations publiques s'établit à 2 834 milliards d'euros au 30 septembre 2021, dernier chiffre disponible de comptabilité nationale. Elle est en hausse d'environ 480 milliards d'euros par rapport au début de 2019, dernière année avant la crise sanitaire. Cette très forte augmentation due à la crise sanitaire majeure que nous avons traversée s'ajoute à la dynamique des années précédentes marquées par des déficits publics persistants. C'est le fameux effet cliquet, à savoir la progression par paliers du ratio de dette des administrations publiques lors des crises, sans qu'il ne baisse jamais durablement lorsque la conjoncture redevient plus favorable. La dette publique a ainsi été multipliée par plus de trois en euros courants depuis la création de la monnaie unique sans bien sûr qu'il y ait un rapport de cause à effet ! C'est le reflet de l'ère des crises dans laquelle nous sommes entrés depuis le début du siècle.

En raison des déficits budgétaires récurrents, la dette de l'État s'élève à plus de 2 230 milliards d'euros à la fin du troisième trimestre 2021 et représente près de 80 % de l'ensemble de la dette publique. Son financement est assuré pour l'essentiel sur les marchés financiers, à 90 % par des titres à moyen et long termes. 40 à 60 % des émissions visent chaque année à rembourser les emprunts passés, le solde permettant de couvrir le déficit du dernier exercice.

La dette des administrations de sécurité sociale, soit 300 milliards d'euros au 30 septembre dernier, représente 10,6 % de la dette publique. Elle est largement concentrée sur quelques émetteurs, la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et l'UNEDIC. Son financement est assuré à 87 % en recourant aux marchés financiers.

En revanche, le financement bancaire reste privilégié pour la dette des administrations publiques locales, qui s'élève à 236 milliards d'euros au troisième trimestre 2021, soit 8,3 % du total. L'appel aux marchés financiers ne couvre que 18 % des encours de la dette locale. Il en est de même pour le financement des investissements hospitaliers qui repose pour l'essentiel sur le crédit bancaire.

Maintenant que le décor est planté, analysons le rôle central que joue l'AFT dans la gestion de la dette publique.

Service à compétence nationale, placé sous l'autorité du ministre de l'économie, des finances et de la relance et rattaché au directeur général du Trésor, l'Agence assume à titre principal la gestion de la dette de l'État et pourvoit à ses besoins de trésorerie. Elle peut être chargée par convention de la gestion de la dette d'entités publiques autres que l'État, comme c'est le cas avec la CADES depuis 2017.

L'AFT est une structure resserrée, qui emploie quarante-huit personnes, dont sept au titre de la convention de gestion avec la CADES. Son organisation est classique pour un émetteur de cette nature. La gestion opérationnelle est fondée sur une relation fluide au marché, avec le soutien de la Banque de France pour l'organisation matérielle des opérations d'émission. Les pratiques sont bien rodées dans le cadre posé par les lois de finances, sous forme d'une autorisation d'emprunts et d'un tableau de financement évaluatif.

La Cour considère que la stratégie d'émission de l'AFT s'est révélée robuste pendant la crise sanitaire et a permis de faire face dans de bonnes conditions à l'augmentation brutale et massive des besoins de financement.

L'AFT se fonde sur une analyse au plus proche des réalités du marché. Elle suit la demande des marchés, qui ne la distingue guère des autres grands émetteurs en Europe, afin de pouvoir émettre à tout moment des titres aux meilleures conditions financières pour l'État, avec des taux d'intérêt les plus faibles possible ainsi que des montants toujours plus importants de dette. Elle est aussi guidée par les principes de régularité, de transparence et de flexibilité.

Pour asseoir cette stratégie, l'AFT a instauré une relation étroite avec des acteurs de marché appelés spécialistes en valeurs du Trésor (SVT). Actuellement au nombre de 15, les banques SVT sélectionnées tous les trois ans s'engagent à acheter tous les titres émis par l'AFT sur le marché primaire puis à les revendre sur le marché secondaire. Elles sont aussi tenues d'animer le marché secondaire des titres d'État et interviennent comme conseils de l'Agence. Cette organisation éprouvée depuis 1987, que l'on retrouve dans la majorité des grands pays, permet d'assurer une bonne absorption de volumes de dette élevés, de maintenir une émulation entre acteurs et d'assurer un marché de la dette actif.

Cette stratégie a permis de couvrir des besoins de financement accrus durant la décennie 2010, et plus encore durant la crise sanitaire. Après avoir atteint un pic à 246 milliards d'euros en 2009 avec la crise financière, le besoin de financement de l'État s'est établi à 191 milliards d'euros en moyenne de 2010 à 2019. En 2020, il s'est brutalement élevé à près de 310 milliards d'euros. L'Agence a dû augmenter considérablement les quantités de titres émis, avec par exemple plus de 30 milliards d'euros émis au cours des seuls mois de juin et juillet 2020. En 2021, les émissions nettes de moyen et long termes se sont élevées à 260 milliards d'euros.

L'AFT a bénéficié de l'augmentation des dépôts et du nombre des correspondants du Trésor. La Cour recommande de poursuivre la centralisation de trésorerie des organismes publics sur le compte du Trésor pour diminuer le plus possible le recours au marché financier.

L'AFT a également pu bénéficier de la faiblesse des taux d'intérêt, en lien avec la politique d'achat de titres publics de l'Eurosystème. Celle-ci a permis de diminuer la charge d'intérêt supportée par le budget de l'État.

Pour autant, la forte augmentation récente de la dette a rendu celle-ci plus sensible à une remontée des taux d'intérêt. Là où, fin 2019, une hausse de 1 % des taux d'intérêt se traduisait par des charges d'intérêt plus élevées au bout de dix ans d'un peu plus de 20 milliards d'euros, ce même calcul réalisé fin 2021 aboutit maintenant à un surcroît de charges d'intérêt de près de 30 milliards d'euros.

Dans le prolongement de l'analyse de la stratégie de l'AFT, le rapport s'est intéressé à trois sujets de débat récurrents.

Il s'agit en premier lieu des primes et décotes. Afin de renforcer la liquidité des titres, l'Agence recourt de longue date à des émissions à partir de souches anciennes. Ces émissions conduisent à l'encaissement de primes ou à des décotes lorsque leur taux de coupon est différent du taux de marché.

L'augmentation très significative des primes nettes encaissées par l'État sur la dernière décennie résulte de la combinaison de deux facteurs : d'une part, la baisse tendancielle des taux sur cette période, mouvement amplifié quand les taux sont devenus négatifs car on ne peut pas émettre de titres portant des coupons négatifs ; d'autre part, la politique d'achats de titres publics par la Banque centrale européenne sur le marché secondaire, qui a créé une pression à la réémission sur des titres anciens de l'ensemble de la courbe des taux. Ces facteurs de marché ont conduit les principaux émetteurs européens à augmenter nettement ces dernières années ce type d'émission génératrice de primes, avec une ampleur qui diffère selon les conditions de taux d'intérêt et la structure par maturité de la dette de chacun des pays.

En 2020, ces primes nettes se sont élevées à près de 30 milliards d'euros. Mais les primes ne sont pas immuables. Avec l'augmentation récente des taux d'intérêt, le montant des primes a été réduit de moitié en 2021 et certaines émissions au début de l'année ont donné lieu à une décote et non à une prime.

L'encaissement des primes a pour effet de réduire, de manière temporaire, le ratio de la dette publique rapportée au PIB. Selon les estimations réalisées par l'AFT à la demande de la Cour, les primes nettes reçues par l'État jusqu'en 2020 ont permis, toutes choses égales par ailleurs, de diminuer l'encours de la dette publique d'environ 4,3 points de PIB fin 2020. Aussi important que puisse être l'effet temporaire des primes sur le niveau de la dette publique, cet effet ne résulte pas, selon notre analyse, d'une volonté de l'AFT de réduire en apparence le niveau de la dette.

En second lieu, le rapport examine la question de la maturité moyenne de la dette. La stratégie de l'AFT de suivi de la demande a-t-elle permis de bénéficier au mieux des bas taux d'intérêt à moyen et long termes et de diminuer suffisamment les risques de refinancement à terme ? L'AFT n'aurait-elle pas dû émettre sur des maturités plus longues pour profiter de taux d'intérêt bas comme l'y incitaient certains analystes ?

La Cour soutient la politique d'émission retenue par l'AFT. La France est parmi les pays européens comparables, celui dont la maturité de la dette est la plus élevée, à l'exception du Royaume-Uni du fait de l'importance des fonds de pension britanniques. La maturité moyenne de la dette n'a cessé d'augmenter au cours des dernières années. Elle était de sept ans en 2015, elle est en 2021 proche de huit ans et demi, et sur les seules émissions de moyen et long termes, à plus de douze ans. La France représente près de la moitié des encours de dette à maturité résiduelle supérieure à trente ans. Il convient de rappeler enfin que le fait d'émettre sur des durées plus longues conduit à payer des taux d'intérêt plus élevés.

Troisième sujet de débats, le rapport examine comment l'AFT a diversifié sa stratégie de financement en recourant à de nouveaux instruments, les obligations indexées sur l'inflation et les obligations vertes, contribuant ainsi à élargir sa base d'investisseurs.

Créées en 1998, les obligations indexées représentent en moyenne 10 % des émissions annuelles de titres à moyen et long termes. Elles permettent aux investisseurs de se protéger contre le risque d'inflation et à l'État de bénéficier de meilleures conditions d'émission du fait de cet avantage que les investisseurs sont prêts à payer. Par ailleurs, le faible niveau d'inflation des dernières années a permis de réduire les charges d'intérêts. Par exemple, en 2020, plus de 2 milliards d'euros de charges d'intérêts ont été économisés de ce fait. À l'inverse, en 2021, la charge d'intérêts a augmenté d'un peu plus de 1,5 milliard d'euros entre la première et la deuxième loi de finances rectificative en raison d'une inflation plus élevée qu'attendu. Les obligations indexées constituent une composante importante de la palette d'outils de financement de l'AFT. La Cour appelle néanmoins à une vigilance particulière compte tenu des incertitudes actuelles sur l'évolution du niveau d'inflation.

La France a été l'un des premiers pays européens à émettre des OAT – obligations assimilables du Trésor – vertes en 2017. Dans ce marché en plein essor, la France est le premier émetteur avec plus de 42 milliards d'euros d'encours, loin devant l'Allemagne – 24 milliards –, le Royaume Uni – 19 milliards – et l'Italie – 13,5 milliards. Forts de maturités proches de vingt ans, ces titres ont une liquidité semblable aux obligations classiques. La demande très dynamique a permis d'obtenir des conditions très légèrement plus favorables que les autres obligations.

Ces réflexions illustrent l'importance de l'analyse stratégique dans la conduite de l'action de l'AFT. Si un travail de qualité est mené au sein de l'AFT, nous considérons qu'il pourrait être renforcé pour éclairer les marges de choix de l'AFT et contribuer à une revue globale de la stratégie chaque année. Nous recommandons aussi de développer la communication sur des éléments structurants de la stratégie de l'AFT, vis-à-vis de la représentation nationale mais également des milieux économiques, notamment lorsque ceux-ci sont dans le débat public.

Le rapport analyse ensuite l'action de l'AFT dans un environnement international en pleine évolution, avec les programmes d'achat d'actifs de la Banque centrale européenne (BCE) et l'apparition d'un nouveau grand émetteur sur les marchés, l'Union européenne.

Avec la crise sanitaire, les programmes d'achat de titres de la BCE sur le marché secondaire ont été nettement renforcés. Décidé en mars 2020 avec une enveloppe portée à 1 850 milliards d'euros, un programme spécifique, appelé Pandemic emergency purchase programme (PEPP), a fortement augmenté la demande. Sur la seule année 2020, ce programme a permis d'acheter plus de 120 milliards d'euros de dette française. En ajoutant les autres programmes, les volumes totaux d'achat de dette française par l'Eurosystème sur le marché secondaire sont évalués à 185 milliards d'euros pour 2020, soit plus que le déficit budgétaire à financer. Le retrait progressif de ces programmes, qui commence à s'esquisser, constitue un enjeu majeur pour un émetteur comme l'AFT.

L'offre de titres sur les marchés a également été modifiée par la crise sanitaire avec le net renforcement de la présence de l'Union européenne en tant qu'émetteur sur les marchés, pour financer des mesures de soutien sur le marché de l'emploi à hauteur de 100 milliards d'euros dans le cadre de programme SURE – support to mitigate unemployment risks in an emergency – et le plan de relance, baptisé NGEU, NextGenerationEU, d'un montant de 750 milliards d'euros. Les émissions européennes de l'ordre de 150 milliards d'euros par an jusqu'en 2026, aux caractéristiques proches de la dette française, pourraient faire naître une concurrence pour l'AFT. Toutefois, grâce à une demande soutenue par l'Eurosystème, l'activité de l'émetteur européen n'a pas conduit pour l'instant à une baisse de la demande de titres français. Cela reste néanmoins pour l'avenir un point d'attention.

Enfin, le rapport s'intéresse au rôle de l'AFT au sein des émetteurs publics en France. En effet, ces dernières années, ce rôle s'est élargi au-delà de la mission principale de l'Agence de gestion de la dette de l'État, pour prendre différentes directions.

En premier lieu, l'AFT est intervenue auprès d'autres émetteurs publics de façon ponctuelle, sur des missions d'assistance technique. Pendant la crise sanitaire par exemple, l'AFT a contribué à mobiliser dès mars 2020 les SVT, pour qu'ils apportent des financements complémentaires à l'ACOSS qui était affectée par les tensions sur les marchés financiers.

Le rôle de l'AFT s'est également élargi à l'occasion de la signature, en 2017, d'une convention de mandat visant l'intégration opérationnelle des équipes de la CADES. L'indépendance de la CADES est maintenue afin de respecter le principe de cantonnement et d'amortissement de la dette sociale, mais la responsabilité opérationnelle des activités de financement et de l'exécution du programme d'émission relève désormais de l'AFT. Le rapprochement de la CADES et de l'AFT peut être qualifié de réussite – il a permis de réduire les risques opérationnels et d'offrir de nouvelles opportunités aux personnels de la CADES – même si certains pans de celui-ci doivent encore être menés à leur terme, notamment en matière de systèmes d'information.

Enfin, l'AFT a instauré des échanges entre émetteurs publics pour éviter certains dysfonctionnements, comme des chevauchements de calendrier d'émission.

Dans un contexte de forte augmentation de la dette publique dans son ensemble, le champ d'action de l'AFT pourrait faire l'objet d'une redéfinition, ou, à tout le moins, d'une réflexion. Plusieurs scénarios sont envisageables : le premier est celui d'un maintien de la situation actuelle. Ce statu quo revient à poursuivre les interventions de l'AFT de manière ad hoc. Même s'il peut tenter certains acteurs, il ne semble pas être le plus approprié puisqu'il ne suit aucune logique de fond et ne permet pas de mettre en cohérence les ressources et les missions ; le deuxième scénario est celui d'une coordination renforcée autour de l'AFT. Celle-ci passerait par l'élaboration d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs de suivi de la bonne coopération entre les émetteurs, et par une formalisation, si nécessaire, de cette coopération, sous forme de conventions par exemple. La mise en place de trajectoires coordonnées d'émissions pourrait renforcer la synergie entre les émetteurs – ce qui est souhaitable. La Cour formule une recommandation en ce sens dans le rapport.

Enfin, le troisième scénario est celui de l'établissement de nouvelles conventions de mandat, à l'instar de celle passée avec la CADES. La question de l'intégration d'émetteurs existants peut paraître complexe pour l'UNEDIC en raison des spécificités de sa gouvernance, et tardive pour la Société du Grand Paris qui a déjà réalisé la majeure partie de son financement. Une telle intégration opérationnelle demeure envisageable, voire souhaitable, pour de potentiels nouveaux émetteurs publics qui pourraient émerger dans les années à venir. Il faut néanmoins réfléchir en amont aux critères à retenir afin de ne pas perdre de vue la mission centrale de l'AFT qui reste la gestion de la dette de l'État. Peut-être les deuxième et troisième scénarios peuvent-ils être combinés.

Une analyse approfondie de la faisabilité et de l'opportunité de chacun des scénarios semble souhaitable et nous formulons une recommandation en ce sens.

En conclusion, j'insiste sur un point essentiel à mes yeux : une bonne gestion de la dette publique ne suffit pas pour assurer sa soutenabilité. Elle ne saurait se substituer à une stratégie crédible de finances publiques.

Alors que la dette publique n'a cessé d'augmenter depuis la crise financière et atteint désormais un niveau très élevé, supérieur à 110 points de PIB et que le déficit structurel serait proche de cinq points de PIB en 2022, je veux rappeler le message récurent de la Cour : il est crucial, une fois passées les échéances démocratiques importantes qui attendent notre pays au printemps, d'élaborer une trajectoire de finances publiques permettant d'amorcer une décrue de la dette et de retrouver des marges de manœuvre pour financer les dépenses d'avenir et faire face à un prochain ralentissement de l'économie – la croissance en 2023 ne devrait pas s'établir au même niveau qu'en 2021 et 2022 qui sont des années de rattrapage fort. C'est pour la France une question de crédibilité et de souveraineté. Je ne peux que répéter notre souhait de voir rapidement prise, au début de la prochaine législature, une loi de programmation contraignante, qui précise les voies et moyens pour réduire notre dépendance à la dette, dans le cadre d'une stratégie de finances publiques conciliant soutien à la croissance, préparation de l'avenir et maîtrise de la dépense publique. C'est ce message que je suis venu porter devant vous à de nombreuses reprises déjà depuis ma nomination à la tête de la Cour et du Haut Conseil des finances publiques en juin 2020.

Au moment où se clôt la dernière session de la législature, je veux vous dire le plaisir que j'ai eu à travailler avec vous, monsieur le président et monsieur le rapporteur général ainsi qu'avec chacun des membres de la commission. La Cour et moi-même sommes toujours à la disposition du Parlement, et en particulier de cette commission, qui est notre interlocuteur privilégié pour contribuer à éclairer le débat sur les finances publiques et sur leur gouvernance.

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Nous avons en effet noué des relations extrêmement étroites avec la Cour qui dépassent le strict cadre institutionnel en vous recevant très régulièrement et en nous saisissant des possibilités offertes par le 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances. Nous avons cherché à concilier les préoccupations de la Cour et celle de l'Assemblée puisque les sujets d'enquête ont été décidés en concertation.

Il ne s'agit pas aujourd'hui d'un rapport sur la dette – vous en avez écrit bien d'autres et votre message à ce propos est constant. Je suis, comme vous, très vigilant sur la souveraineté financière de notre pays. La dette devrait être au cœur du débat démocratique que nous engageons avec les Français en cette période électorale. Le sujet n'est pas abstrait, il a des conséquences concrètes sur la vie des gens. Dès lors que notre niveau de dépenses est bien plus élevé que dans les autres pays, la manière dont les finances publiques sont gérées peut donner aux Français du pouvoir d'achat ou pas. La dette est un grand paquebot qu'il faut manœuvrer longtemps et avec constance pour lui imprimer une direction durable. Nous devons absolument faire preuve d'une grande rigueur dans sa gestion.

En ce qui concerne l'évolution du rôle de l'AFT, j'ai le sentiment que vous privilégiez le troisième scénario, celui d'une intégration plus forte des émetteurs publics au nom d'une plus grande rationalité dans la gestion de la dette. Pouvez-vous me le confirmer ?

Vous adressez à l'AFT un satisfecit pour sa rigueur et son professionnalisme dans la gestion de la dette française. Nombre d'entre nous ici, au premier rang desquels le rapporteur général, partageons votre appréciation.

S'agissant des primes d'émission, vous constatez leur neutralité in fine. Vous avez évoqué une diminution de l'encours de la dette publique d'environ 4,3 points de PIB fin 2020 Comment ce chiffre que j'ignorais doit-il être interprété et avec quelles précautions ?

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Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour la remise de ce rapport. Notre commission n'avait pas demandé, au titre du 2° de l'article 58 de la LOLF, une enquête sur la soutenabilité de la dette. Cela dit, la qualité de la gestion de notre dette par l'AFT a évidemment un lien direct avec sa soutenabilité ; ce sont des sujets cousins. L'efficience du financement de l'État par l'AFT et les relations que celle-ci entretient avec les autres émetteurs publics sont des questions très techniques, mais il n'est pas étonnant qu'en les traitant, on en vienne rapidement à aborder les enjeux financiers et politiques.

Je salue à mon tour la qualité du travail de l'AFT, je vous rejoins tout à fait sur ce point. Notre pays a la chance de disposer d'une agence reconnue comme l'une des meilleures au monde. L'action menée sous la direction d'Anthony Requin est absolument remarquable. C'est aussi grâce à cela – c'est peu connu – que la crise a pu être gérée de façon qualitative, tel que l'a exposé la Cour dans son rapport annuel. La capacité à tenir la signature de la France est évidemment liée à la qualité du travail de l'AFT, qui sait présenter partout dans le monde, notamment lors de roadshows, la valeur de notre pays et de son endettement.

L'évolution de la relation entre l'AFT et les différents émetteurs publics est une question importante. Face aux deux phénomènes concomitants que sont: l'augmentation de notre dette publique et la multiplication des émetteurs publics, le troisième scénario que vous évoquez, celui d'une coopération accrue, me paraît tout à fait souhaitable. Alors que cette concomitance peut être retrouvée dans certains pays partenaires, avez-vous examiné comment les choses fonctionnent dans d'autres pays ? S'y interroge-t-on de la même façon sur la relation entre les émetteurs publics ? Existe-t-il des modèles dont nous pourrions éventuellement nous inspirer ?

Par ailleurs, une meilleure intégration des émetteurs publics au sein de l'AFT conformément au troisième scénario serait-elle de nature à amoindrir le risque d'une hausse du différentiel de taux entre ces émetteurs et l'AFT ? Cette question nous intéresse du point de vue budgétaire. Aux yeux du marché, vous l'avez relevé et les SVT le disent régulièrement, la dette publique est la dette publique : peu importe d'où elle vient – dette sociale ou dette de l'État – et par qui elle est gérée. En cas d'intégration des émetteurs publics dans le giron de l'AFT, la maîtrise des risques sera-t-elle renforcée ? À défaut d'une telle maîtrise, les émetteurs publics auront-ils des difficultés à s'endetter et à refinancer leur dette dans de bonnes conditions ? Vous avez mentionné le cas de la SGP. À ma connaissance, la SGP est, dans l'histoire récente, l'émetteur public français qui a réussi à émettre sur les maturités les plus longues avec le meilleur taux.

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Je vous remercie, monsieur le Premier président, des éléments que vous avez bien voulu porter à notre connaissance dans le cadre de l'enquête demandée par notre commission. Au nom du groupe La République en marche, je tiens à souligner la qualité et la pertinence de votre rapport et à remercier la Cour et ses services pour leur disponibilité et les travaux qu'ils conduisent.

La Cour fait le constat, partagé, d'une augmentation continue de la dette des administrations publiques, laquelle a un impact pour le financement sur les marchés. Cela vous amène à formuler plusieurs recommandations quant à l'organisation de l'AFT. Vous soulignez que les bonnes pratiques de coordination entre les émetteurs publics français se sont pérennisées et inscrites dans les procédures mais ne sont ni régies ni encadrées par un texte. Ce fonctionnement ne semble pas être totalement en adéquation avec le changement de dimension de la dette publique et les nouvelles conditions de marché.

Vous esquissez dans votre rapport deux scénarios d'évolution : d'une part, le renforcement du cadre de coordination des émetteurs ; d'autre part, l'élargissement du périmètre d'action de l'AFT au travers de nouvelles conventions de mandat, à l'image de ce qui a été fait pour la CADES. Qu'entendez-vous par l'évolution du mandat de l'AFT ? À quelles entités publiques conviendrait-il selon vous de proposer une convention de mandat ? Est-il envisageable que l'AFT devienne un opérateur unique, émetteur de toutes les dettes publiques, quels qu'en soient les porteurs ? Si vos recommandations étaient retenues, à quel horizon la mise en place d'un suivi de coopération entre les grands émetteurs publics et l'extension du périmètre de l'AFT pourraient-elles intervenir ?

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Je vous remercie à mon tour, monsieur le Premier président, pour ce rapport, ainsi que pour l'ensemble des travaux réalisés par la Cour, à la demande de notre commission ou non. Grâce à ces travaux, vous avez su nourrir le débat public et les discussions au sein de la commission tout au long des cinq dernières années, apportant parfois des perspectives ou des propositions nouvelles. Je vous prie de transmettre ces remerciements à l'ensemble des magistrats et des agents de la Cour ; ils n'ont pas démérité !

L'enjeu de la gestion quotidienne de la trésorerie et de la dette de l'État paraît déterminant, en particulier dans la situation actuelle, marquée par un déficit important, mais aussi et peut-être surtout par une dette publique accumulée qui atteint un niveau historique, en raison des crises et des erreurs passées. Ainsi, dans la loi de finances initiale pour 2022, le besoin de financement de l'État est estimé à 297,6 milliards d'euros.

En l'état, la France continue d'emprunter à des taux historiquement bas. Toutefois, la hausse de l'inflation et la normalisation des politiques monétaires qui devrait s'ensuivre contribuent à un renchérissement du coût des émissions, de 0,7 % à la mi-février 2022. Un choc de taux de 100 points de base aurait un impact financier de 2,5 milliards dès 2022, et de 29,5 milliards en 2031. Selon le consensus des économistes, l'inflation est transitoire, mais les marchés n'ont pas tout à fait la même anticipation. Faut-il selon vous réduire momentanément, le temps de passer ce pic, les rachats de titres arrivant à échéance à moyen terme ?

Dans une vie antérieure, vous avez été commissaire européen aux affaires économiques et financières. Je voudrais faire appel à votre expérience. Vous soulignez dans votre rapport le risque que fait courir l'émission d' eurobonds pour le financement de notre dette, les produits européens et français se plaçant sur le même marché d'obligations, celui des pays dits semi-cœur – mid-core. Ce risque vous semble-t-il plus important pour les OAT vertes ou pour les social bonds de la CADES ?

Dans le Financial Times du 23 décembre dernier, le Président de la République et le président du conseil italien ont évoqué la création d'une Agence européenne pour la gestion de la dette (AEGD), qui aurait pour tâche d'absorber la dette accumulée pendant la pandémie de covid. Quel regard portez-vous sur cette proposition ?

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Merci, monsieur le Premier président, pour votre exposé, comme toujours très clair et pertinent. Le sujet de la gestion de la dette publique et des modalités de financement de l'État est technique, il faut bien le reconnaître, mais il est d'une importance capitale. La capacité de l'État à se financer, les conditions d'emprunt sur les marchés, les modalités de gestion de la dette publique sont autant d'enjeux qui préoccupent nos concitoyens. Le groupe Agir ensemble partage votre souci d'adopter et de suivre dans les prochains mois une trajectoire de dépenses publiques ayant vocation à réduire la dette de notre pays. Votre rapport était attendu et sera très utile.

Il ressort très clairement du rapport que les équipes de l'AFT fournissent un travail de très grande qualité, qui crédibilise notre signature sur les marchés. Je tiens à mon tour à saluer leur action.

Quel regard portez-vous sur la structure de notre dette publique, dont près de la moitié est détenue par des non-résidents ?

L'inflation et la fin possible des politiques monétaires accommodantes font craindre une remontée des taux d'intérêt, qui aurait évidemment un impact sur notre dette. Quelle est votre analyse à ce sujet ?

Quel bilan faites-vous des obligations souveraines vertes ? Quelles perspectives voyez-vous pour celles-ci ?

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Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour votre rapport.

Vous indiquez que la Commission européenne est en train de devenir un concurrent direct en matière d'émission d'obligations. Comment éviter, dans cette compétition, une perte d'attrait pour les titres français, en particulier pour les OAT vertes ?

Le mandat de l'ACOSS est restreint : elle ne peut émettre qu'à court terme. Dans votre rapport, vous évoquez l'assistance et l'appui technique que l'AFT lui apporte. Pourquoi ne pas approfondir le rapprochement entre les deux institutions, notamment pour permettre à l'ACOSS d'émettre à long terme ?

Les primes à l'émission ont réduit la dette publique d'environ 110 milliards, en tout cas en apparence. Qu'en est-il ? Quels sont vos commentaires à ce sujet ? Sur le fond, je trouve qu'il y a quelque chose de malsain dans le fait que l'endettement public serve de fonds de commerce à des institutions financières, sans que cela n'apporte rien de concret dans l'économie réelle – pas une miette de pain. Certes, le propos que je viens de tenir ne changera rien à l'affaire…

La situation budgétaire inspire de l'inquiétude. L'hypothèque que fait peser la remontée des taux, les résultats désastreux du commerce extérieur de la France, l'impossibilité d'augmenter les impôts, la difficulté à réduire la dépense publique, tout cela crée une situation très compliquée, que vous soulignez régulièrement dans vos rapports.

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Bien que ce rapport ne prétende pas aborder le thème de la soutenabilité de la dette, sa conclusion générale reprend les habituelles rengaines sur le danger de la dette, qui ne servent selon nous que de prétexte idéologique pour démonter notre système de protection sociale. Cette question importante devrait être au cœur du débat de la campagne présidentielle.

D'un point de vue macroéconomique, sur le long terme, la dette a moins été créée par une augmentation des dépenses que par une diminution des recettes de l'État, qui s'explique par les cadeaux fiscaux faits aux plus riches. Son accroissement résulte aussi de l'intervention de l'État pour sauver les banques en 2007 et 2008 ainsi que des dépenses liées à la crise du covid.

Pour faire peur à tout le monde, on évoque toujours un rapport entre le stock et le flux : on affirme ainsi que notre pays est endetté à hauteur de 113 % de son PIB, comme si nous avions à rembourser la somme correspondante en un an. Or chacun sait que la dette court, en moyenne, sur plus de sept ans ; c'est donc à cette durée qu'il faudrait rapporter l'endettement réel de l'État.

Certes, nous avons eu besoin de creuser les déficits pendant la crise du covid – notre critique porte sur la manière dont le Gouvernement s'y est pris, en prolongeant en réalité une politique de l'offre – et nous avons encore besoin d'investissements massifs pour réaliser la bifurcation écologique, ce qui justifie, à un moment donné, le recours à la dette. Cependant, la « dette covid » n'a pas été contractée par l'État sur les marchés, mais directement auprès de la Banque centrale européenne – elle représente à peu près 20 % de la dette ouverte par cette dernière –, ce qui exclut le risque de défaut : aussi préconisons-nous de l'annuler. Cette opération peut passer par une transformation de la dette covid en dette perpétuelle à taux négatifs, comme le proposent certains économistes, y compris Alain Minc, ou par un jeu d'écritures monétaires. Cela nous semble plus opportun que de traîner cette dette comme un boulet, pendant des années, ce qui impliquerait une réduction des dépenses publiques, puisque le Gouvernement a annoncé qu'il n'augmenterait pas les impôts, et la destruction des services publics.

Pendant la crise du covid, la BCE a donc décidé de prêter directement aux États, en rupture avec tous les traités européens. Nous devrions en tenir compte, à l'avenir, au lieu de revenir aux mécanismes européens de solidarité traditionnels qui impliquent un passage par les marchés. C'est par ce genre de prêts directs que devraient être financés les investissements visant à opérer la bifurcation écologique. En d'autres termes, il convient de définanciariser la dette, comme je le propose dans un livre que je viens de publier à ce sujet.

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Votre exposé était très clair et très riche. En fin de compte, l'Agence France Trésor a fait preuve d'une grande flexibilité durant la crise sanitaire. Auriez-vous des recommandations à formuler pour que son action soit encore plus efficiente en cas de prochaine crise ? En outre, vous avez noté que l'Agence ne communiquait peut-être pas suffisamment en direction du monde économique et qu'elle s'adressait plutôt aux seuls experts. Là encore, que préconisez-vous pour améliorer la communication de l'AFT auprès des acteurs économiques, si ce n'est du grand public ?

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Vous avez expliqué que l'AFT était une bonne gestionnaire de la dette. Devrions-nous donc retenir cette formule en matière de dépense publique, puisque vous notez dans la conclusion générale du rapport que ce sujet se posera à l'avenir ? Faudrait-il que Bercy se dote, en interne, d'une agence de la dépense publique qui travaillerait sur la trajectoire de dépense du prochain quinquennat ?

À la page 31, vous indiquez que « les administrations publiques couvrent désormais la plus grande part de leur besoin de financement par appel aux marchés financiers, à l'exception notable des collectivités territoriales et des établissements hospitaliers ». Cela sous-entend-il que nous devrions réfléchir à un nouveau modèle de financement des collectivités par le biais de l'AFT ?

Vous avez évoqué la nouvelle dette européenne, que notre commission a approuvée lorsqu'elle a examiné le volet « ressources propres » du cadre financier pluriannuel (CFP). Ne faudrait-il pas y consacrer des développements plus importants que les quelques pages actuelles, afin de détailler les évolutions et les actions menées par l'AFT ? Quelles sont les relations entre l'Agence et l'Union européenne dans ce domaine ?

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Ma question porte sur la concurrence entre les dettes européenne et française, en particulier pour les titres verts. Vous avez rappelé à juste titre que la France était leader sur le marché européen des OAT vertes, mais la Commission européenne a également réalisé une importante émission de dette verte. Quelle stratégie notre pays doit-il adopter pour conserver sa position dominante ? Doit-il revoir sa taxonomie ? Aujourd'hui, par exemple, le nucléaire n'est pas inclus dans les dépenses éligibles à l'émission d'OAT vertes : nous pourrions l'y intégrer, mais cela risquerait de poser problème à d'anciens investisseurs auprès desquels l'AFT a pris des engagements.

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Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

Monsieur Laqhila, je transmettrai bien sûr vos remerciements aux magistrats, aux rapporteurs et aux agents de la Cour. Le fait de travailler pour l'Assemblée nationale et plus particulièrement pour la commission des finances est une fierté particulière et une source de motivation. Nous continuerons d'apporter autant de soin à la rédaction de ces rapports. Comme l'a souligné M. le président, il est nécessaire d'en déterminer les sujets en amont afin qu'ils soient pertinents, utiles à la représentation nationale, qu'ils correspondent à notre domaine de compétence et qu'ils nourrissent le débat public. Mais ce n'est qu'un aspect parmi tant d'autres de la relation entre nos deux institutions, qui est très précieuse.

L'AFT est un opérateur de très grande qualité. Lorsque j'étais ministre de l'économie et des finances, j'ai eu l'occasion d'y faire une visite passionnante : elle dispose d'une véritable petite salle des marchés, où travaillent des agents très opérationnels et très bons stratèges. Il ne m'appartient pas de spéculer sur les actions à mener. Plusieurs d'entre vous m'avez posé des questions relatives à mes compétences passées ; au vu de la période dans laquelle nous sommes, je ne ferai pas trop de suggestions s'agissant de la gestion de la dépense publique. Elle peut sans doute être améliorée. Faut-il passer par la création d'agences ? Je ne le sais pas.

La principale question qui m'a été posée a trait aux scénarios d'évolution du champ d'action de l'AFT. J'ai dit assez clairement que nous ne soutenions pas celui du statu quo. Cela peut paraître contradictoire avec notre jugement positif quant au fonctionnement actuel mais, au vu des changements fondamentaux que nous vivons – le retour possible de l'inflation, la sortie des programmes de la Banque centrale européenne, l'émission de nouvelles OAT comme les OAT vertes, l'intervention directe de l'Union européenne –, nous avons indéniablement besoin d'une stratégie plus éclairée.

Vous avez bien compris, monsieur le président, que nous étions plutôt favorables au scénario n° 3, sur lequel nous avons voulu interroger les différents acteurs concernés afin de vous éclairer davantage. L'UNEDIC a mis en avant la spécificité de sa gouvernance paritaire ainsi que le bénéfice apporté par la proximité entre ses équipes financières et les spécialistes du marché du travail ; elle n'en est pas moins proche de l'AFT, du fait du rôle joué par l'Agence dans la garantie apportée par l'État aux émissions de l'UNEDIC. Quant à la Société du Grand Paris, qui a déjà émis 70 % des 35 milliards d'euros qu'était autorisée à émettre, elle a également souligné l'importance de la proximité entre ses équipes financières et techniques. L'AFT elle-même ne s'est pas montrée favorable à une intégration d'autres entités existantes, notamment pour une question d'équilibre entre les coûts d'intégration élevés, en particulier dans le domaine informatique, et les synergies susceptibles d'être dégagées à moyen terme. Nous n'avons donc pas conclu à la nécessité de créer une agence unique. En revanche, l'AFT a accueilli de façon positive la piste du renforcement de la coordination existante proposée par la Cour ; elle est également prête à considérer, dans un deuxième temps, un mode de formalisation plus prononcé de cette coordination. Cependant, elle estime souhaitable de limiter la réflexion sur la mise en place de nouveaux mandats aux seules structures nouvelles afin que les coûts d'intégration dans le domaine informatique soient limités au maximum.

Nous préconisons donc une évolution située entre les scénarios nos 2 et 3, qui permettrait de faire grandir l'AFT, dans une certaine limite, à partir de structures existantes et en préservant plusieurs de ses spécificités.

Nous n'avons pas interrogé les collectivités locales, mais nous ne pensons pas que leur basculement vers l'AFT soit pour demain. Elles ont leur propre mode de fonctionnement, elles ont leur liberté, et nous y sommes tous extrêmement attachés.

Monsieur le rapporteur général, nous n'avons pas fait de comparaison internationale pour voir comment s'articulent les différents émetteurs publics dans les autres pays : ce serait sans doute très intéressant. Cela étant, nous savons déjà que notre mode de fonctionnement est très opérationnel et performant : peut-être pourrions-nous, a contrario, servir de modèle pour nos voisins.

Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur les primes d'émission : c'est une question très importante, puisque ces primes diminuent l'encours de la dette publique de 4,3 points de PIB. Mais leur montant tend à diminuer : les primes ont représenté 15 milliards en 2021, contre 30 milliards en 2020. Surtout, la hausse des taux, qui se profilera un jour, va entraîner une baisse de la demande.

Monsieur le rapporteur général, l'intégration opérationnelle doit effectivement nous permettre de mieux maîtriser les risques. Le scénario d'intégration renforcée proposé par la Cour repose sur la mise en place de conventions de mandat, sur le modèle de ce qui a été fait pour la CADES, et non de reprise de la dette, comme cela a été le cas pour la SNCF. Dans ce scénario, les organismes garderaient leur indépendance financière et seraient maintenus en tant qu'entités juridiques différentes de l'AFT, qui n'a pas de vocation hégémonique. Les signatures, les dates, les programmes de financement demeureraient bien distincts. Dès lors que les programmes de financement demeurent bien séparés, il n'y a pas de raison a priori pour qu'une intégration opérationnelle d'une entité entraîne une baisse des écarts de taux, toutes choses égales par ailleurs. Les gains sont plutôt à rechercher, comme vous l'avez suggéré, du côté des économies opérationnelles, qui résultent de l'intégration des équipes et d'un renforcement de la cohésion des émetteurs publics.

Madame Roques-Etienne, cette coopération renforcée peut se réaliser immédiatement.

Vous m'interrogez, monsieur Laqhila, sur la proposition de Mario Draghi de créer une Agence européenne pour la gestion de la dette (AEGD) et vous, madame Lemoine, sur les risques d'inflation. Sur ces questions qui relèvent davantage de la spéculation, je ne veux pas me substituer aux spécialistes que sont les économistes de l'AFT.

L'inflation a certainement un caractère temporaire, lié aux goulets d'étranglement provoqués par la crise, mais il faut bien admettre que cette hausse des prix dure plus longtemps que prévu et qu'elle est assez importante. Il ne faut pas s'illusionner sur le métier de la Banque centrale européenne : elle a apporté depuis 2012, puis pendant la crise liée au covid-19, un très grand soutien à l'économie en général, en adoptant une approche globale. Mais le fond de son métier, c'est tout de même la maîtrise de l'inflation. Elle peut modifier ses propres cibles et elle le fait d'ailleurs de manière assez subtile mais, à un moment donné, un ajustement de notre politique monétaire sera nécessaire. Quand ? De combien ? En fonction de quoi ? Ayons en tête, en tout cas, que cela arrivera.

S'agissant de l'Agence européenne pour la gestion de la dette covid, je n'ai pas à me prononcer sur le fond. Mais, dès lors qu'une dette européenne va prendre une place de plus en plus importante sur les marchés, il faudra créer des mécanismes de gestion comparables à ceux qui existent chez nous. En France, il existe un dispositif d'amortissement qui a été créé dans un but, disons, pédagogique. Nous devons, bien sûr, rester vigilants face à l'inflation.

La structure des détenteurs est stable : ce sont 50 % d'étrangers – et 65 % d'étrangers, hors BCE. La France est bien le premier émetteur d'OAT vertes, avec un très léger gain d'émissions, de l'ordre d'un point de base, et une forte demande en la matière.

Monsieur le rapporteur général, nous avons souligné, dans notre rapport, que l'AFT pourrait améliorer sa communication. Elle a déjà commencé à le faire à travers un Trésor-Éco, de janvier 2022. Vous avez évoqué l'action d'Anthony Requin : il est intervenu sur BFM Business. L'AFT est plus présente sur les thèmes d'actualité et son éclairage est tout à fait utile. Je crois aussi que l'AFT pourrait être plus présente dans le débat.

Monsieur Coquerel, gardons-nous de certaines illusions. L'annulation de la dette covid, comme le financement direct des États par la BCE, ne sont pas dans les traités ; ils ne sont pas le prolongement logique de la structure de la BCE. Cessons de croire que d'autres vont faire ce qui nous arrange : ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Une dette doit être bien gérée, elle peut être roulée, on peut en allonger la maturité ; il existe des tas de solutions. L'annulation est une illusion sympathique, mais elle ne se produira pas, à moins que l'inflation n'annule la dette, mais elle aurait aussi bien des effets pervers. Nous avons tous des souvenirs historiques en tête et, dans ces cas-là, il y a toujours des victimes.

Je vous invite à relire le rapport que j'ai remis au Président de la République et au Premier ministre au mois de juin dernier. La stratégie de sortie de crise des finances publiques que nous préconisons n'est pas du tout une stratégie d'austérité. L'austérité, c'est ce qui appauvrit le service public, c'est ce qui l'affaiblit, c'est le rabot qui, en général, d'ailleurs, est d'un rendement médiocre. Ce n'est pas cela que nous suggérons. Nous savons pertinemment, et la Cour le dit, qu'il y a des investissements d'avenir à financer dans notre pays. Ils sont nombreux : la transition écologique, la transition numérique, la recherche, sur laquelle nous sommes en train de décrocher. Ce matin, j'ai présenté devant la commission des affaires sociales du Sénat un rapport sur les EHPAD. À l'évidence, avec le vieillissement de la population, il faudra investir davantage pour l'accompagnement des personnes âgées. Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de dépenses publiques à financer, mais ce n'est pas une raison pour accroître la dette.

La dette est un danger pour notre pays : je ne parle pas seulement de son niveau, mais aussi de sa pente. La dette publique française se finance parfaitement, avec la structure des taux actuelle. Nous avons une signature très forte, mais les marchés financiers préféreront les États qui consentent à faire des efforts pour réduire leur dette à ceux qui y résistent, surtout dans un contexte où, l'inflation aidant, les taux d'intérêt remonteraient. Le coût d'une remontée des taux d'intérêt serait important et immédiat sur notre dette publique, et très considérable à dix ans.

Ne nous faisons pas d'illusion : il faut maîtriser notre dette, tout en finançant des investissements. Cela suppose de maîtriser la dépense publique dans de nombreux secteurs où nous dépensons davantage que nos partenaires européens, avec des performances qui pourraient être améliorées. Pour reprendre l'exemple des EHPAD, je pense qu'il faut dépenser plus d'argent pour la prise en charge des personnes âgées, mais que le modèle des EHPAD présente aussi des lacunes qu'il faut absolument combler : nous l'avons tous constaté comme élus, et parfois comme enfants. C'est un défi majeur.

Madame Peyrol, les OAT vertes ont des limites puisqu'elles doivent financer des dépenses liées à l'environnement – celles-ci représentent 15 milliards d'euros en 2022.

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Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour la clarté de vos analyses et pour votre action tout au long de cette législature. Le rôle de la Cour va s'accroître au cours des prochaines années, compte tenu des contraintes qui vont peser sur nos finances publiques.

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 11 heures

Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Émilie Cariou, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Francis Chouat, M. Éric Coquerel, Mme Stella Dupont, M. Brahim Hammouche, M. Christophe Jerretie, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, Mme Patricia Lemoine, M. Patrick Loiseau, Mme Marie-Ange Magne, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, Mme Bénédicte Peyrol, M. François Pupponi, Mme Muriel Roques-Etienne, M. Laurent Saint-Martin, M. Éric Woerth

Excusés. – M. Damien Abad, Mme Anne-Laure Cattelot, Mme Valéria Faure-Muntian, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, Mme Christine Pires Beaune, M. Olivier Serva

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Luc Warsmann