Commission des affaires économiques

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 9h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CEA
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

Source

La commission a auditionné, en application de l'article 13 de la Constitution, M. François Jacq, administrateur général du Commissariat général à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), que le Président de la République envisage de de reconduire dans ses fonctions (Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure), puis a procédé au vote sur cette nomination.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, notre commission doit rendre un avis préalable à une nomination envisagée par le Président de la République. C'est la treizième fois de la législature que nous mettons en œuvre cette procédure. Au cours des cinq dernières années, notre commission s'est prononcée sur des nominations dans presque tous les emplois relevant de sa compétence, excepté celui de président du collège de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), occupé par M. Jean-François Carenco pour six ans depuis février 2017.

Par un courrier en date du 8 février 2022, le Premier ministre a informé le président de l'Assemblée nationale que le Président de la République envisage de renouveler M. François Jacq aux fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Monsieur Jacq, je vous souhaite la bienvenue. En ce qui vous concerne, c'est la seconde fois que vous vous soumettez à cet exercice, à l'issue d'un mandat de quatre ans renouvelable une fois. Vous vous y étiez soumis pour la première fois le 16 avril 2018.

Depuis cette date, une réforme de notre Règlement a adapté la procédure suivie en commission pour les nominations effectuées en application de l'article 13 de la Constitution. Il est désormais prévu que la commission compétente nomme parmi ses membres un rapporteur appartenant à un groupe d'opposition ou à un groupe minoritaire. Pour la présente audition, la commission des affaires économiques a désigné Mme Marie-Noëlle Battistel, membre du groupe Socialistes et apparentés, dont l'expertise et l'expérience dans le domaine de l'énergie ne sont plus à démontrer.

Notre rapporteure a adressé à M. Jacq un questionnaire, auquel il a bien voulu apporter des réponses détaillées. Ce document, accompagné du curriculum vitae de M. Jacq, a été transmis aux membres de la commission et sera mis en ligne à l'issue de la proclamation des résultats du scrutin.

Je vous rappelle les principales règles qui encadrent cette procédure. L'audition est publique. Le scrutin, qui doit avoir lieu hors la présence de la personne auditionnée, est secret. Il ne peut donner lieu à aucune délégation de vote et sera effectué par appel public ; des bulletins seront distribués à cet effet. Le dépouillement du scrutin aura lieu simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsqu'il décida, à la fin de la seconde guerre mondiale, de créer un commissariat à l'énergie atomique, le Gouvernement provisoire de la République française ambitionnait, d'après les termes de l'ordonnance du 30 octobre 1945, de faire rayonner « le génie de la France » dans le domaine de l'atome, appelé à se révéler « favorable au progrès humain ». Soixante-dix-sept ans plus tard, l'ambition du rayonnement de la recherche française reste la même, mais elle est résolument tournée vers les énergies décarbonées, dont l'énergie nucléaire est une composante. L'ajout, en 2010, des mots « et aux énergies alternatives » au nom du commissariat n'est pas, tant s'en faut, un simple changement sémantique.

De nos jours, la recherche sur les sources et les vecteurs d'énergie est plus que jamais au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. Au demeurant, il ne s'agit pas du seul champ d'action du CEA, qui apporte aussi ses compétences de pointe aux secteurs de la défense et des transports, ainsi qu'aux sciences du vivant et du climat, par exemple.

Par ailleurs, le Commissariat occupe une place originale dans la recherche technologique française, au croisement de la recherche et du développement industriel. Ce positionnement est primordial dans notre pays, qui a parfois du mal à passer au stade du développement industriel et de la valorisation économique, et il est fructueux.

Pour ces raisons, le choix de celui qui incarne cette politique de recherche fait partie des décisions importantes pour notre pays. À cette fin, nous auditionnons M. François Jacq, qui est à la tête de l'établissement depuis le 20 avril 2018 et que le Président de la République envisage de reconduire dans ses fonctions d'administrateur général du CEA.

Monsieur Jacq, votre parcours témoigne d'un solide ancrage scientifique et d'une expérience diversifiée dans la direction d'organismes publics de recherche. Vous êtes ancien élève de l'École polytechnique, promotion 1986, et ingénieur des mines. Vous avez notamment dirigé l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), de 2000 à 2005, et l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), de 2013 à 2018. Votre profil justifiait parfaitement votre nomination en 2018 et le justifie toujours.

Comme vous l'avez indiqué dans les réponses très complètes et documentées que vous avez bien voulu apporter au questionnaire que je vous ai adressé jeudi dernier, votre premier mandat a été caractérisé par un double enjeu : parachever la mue du CEA en un centre de recherche d'excellence sur toutes les énergies, nucléaire ou non ; poursuivre la diversification de ses activités et son ouverture vers l'extérieur.

Lors de notre entretien d'avant-hier, j'ai relevé que vous aviez également réussi à mettre les équipes spécialisées dans la chimie nucléaire au service du recyclage des batteries, ce qui témoigne des nombreuses synergies qu'il est possible de créer dans le secteur de l'énergie. Vous avez également évoqué les projets de recherche moins connus, mais non moins essentiels, que le CEA a su mener à bien sous votre direction dans les domaines du numérique et de la santé. J'ai retenu l'exemple de la start-up Diabeloop, issue du CEA, qui a développé avec succès un dispositif médical innovant pour le diabète de type 1.

Pour le second mandat auquel vous aspirez, vous annoncez vouloir poursuivre les démarches engagées en 2018, notamment en vue de consolider le positionnement du CEA au cœur de la recherche française dans la transition énergétique. J'approuve ces orientations nécessaires. Encore faut-il que l'établissement ait des objectifs opérationnels et qu'il dispose des moyens de ses ambitions. Sur ces deux sujets, je souhaite obtenir des précisions complémentaires.

Vous avez indiqué vouloir tirer profit des moyens alloués par l'État dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA), du plan de relance et de France 2030 pour accélérer les programmes de recherche sur l'hydrogène décarboné, dans desquels le CEA joue un rôle central, aux côtés du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Vous avez mentionné, dans vos réponses, les initiatives mises en œuvre pour accélérer les transferts de technologie vers des acteurs industriels, notamment la coentreprise Genvia créée avec Schlumberger, Vinci et Vicat.

Cela fait des années que l'hydrogène suscite bien des espérances parmi nos concitoyens, soucieux des impacts du changement climatique. Or, vous le savez fort bien, la principale difficulté technique réside dans le différentiel de coût, de un à quatre, entre l'hydrogène « gris » et l'hydrogène produit à partir d'énergies décarbonées. Pensez-vous que les travaux du CEA permettront, à moyen terme, de faire baisser sensiblement le coût de production de ce vecteur d'énergie pour qu'il devienne une solution performante sur le plan économique ?

S'agissant des moyens financiers, vous m'avez fait part, lors de notre entretien, des incertitudes que fait peser sur les activités de recherche partenariale du CEA la suppression, au 1er janvier 2022, du dispositif de doublement d'assiette du crédit d'impôt recherche (CIR). Le crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative (CICO), instauré en remplacement, ne compense que partiellement le manque à gagner fiscal pour vos partenaires de recherche privés. Dans ce contexte, aurez-vous la capacité de maintenir l'écosystème de recherche partenariale patiemment construit par le CEA depuis de nombreuses années ?

J'en viens à un dernier sujet, que nous avons commencé à évoquer mardi dernier et qui me semble important : l'état du dialogue social au sein de votre établissement. Vous avez indiqué que la direction du CEA s'efforçait de rester constamment à l'écoute des attentes de ses personnels. Toutefois, un courrier récemment adressé par l'intersyndicale du CEA aux instances de direction et aux ministres de tutelle a appelé mon attention, dans la mesure où il évoque plus de dix années d'absence d'augmentation générale des salaires. Vous m'avez indiqué que, si la valeur du point de référence n'a pas augmenté, les rémunérations des personnels ont sensiblement progressé, en moyenne, grâce à la distribution de points supplémentaires.

Indépendamment des contraintes budgétaires qui s'imposent au CEA, vous êtes, comme moi, conscient qu'il importe de faire en sorte que les femmes et les hommes qui mettent leur savoir-faire au service de la politique énergétique et industrielle de notre pays soient rémunérés en conséquence et reconnus à leur juste valeur, en tenant compte de la pénibilité de leur mission, surtout dans le contexte d'un emballement de l'inflation. Comment vous efforcez-vous de maintenir l'adhésion et la motivation de vos collaborateurs ? Comment travaillez-vous, avec toutes les parties prenantes, pour répondre à ces attentes ?

Je vous remercie à nouveau de la clarté et de la qualité de vos réponses écrites, qui m'ont été transmises très rapidement, en dépit de délais contraints. Votre parcours, vos réponses au questionnaire et nos échanges en amont de cette audition m'amènent à émettre un avis favorable à votre reconduction au poste d'administrateur général du CEA.

Permalien
François Jacq, administrateur général du Commissariat général à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Je suis aujourd'hui, comme je l'étais au seuil de mon premier mandat, honoré de la confiance que me témoigne l'État. Le CEA est une grande et belle maison. La diriger est une responsabilité, parfois lourde, écrasante même, mais dont j'ai la pleine conscience et la fierté, si je devais la poursuivre.

Je commencerai par dresser le bilan de mon mandat. Il importe, me semble-t-il, de rendre des comptes sur ce qui s'est passé au cours des quatre dernières années. Je traiterai successivement les trois points du cahier des charges de mon mandat : placer le CEA en situation de définir des priorités et de répondre aux grands enjeux contemporains en matière de transition énergétique, de numérique et de santé ; mener à bien plusieurs chantiers potentiellement en souffrance ou en retard, en raison notamment de difficultés de financement ; favoriser une ouverture, en interne et en externe, de l'organisme.

L'acquis principal du mandat est d'avoir défini un cadre stratégique, mené une revue d'ensemble des activités et fixé les grandes tendances que sont la transition numérique, la transition énergétique et la santé, le tout adossé à un socle de recherche fondamentale d'excellence. Cela nous a permis de définir nos priorités, lesquelles figurent dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) qui régit les relations entre l'État et le CEA pour les années 2021 à 2025.

Sur la question de l'énergie, nous avons fait le nécessaire pour rendre concret le changement de nom du Commissariat. Nous avions des équipes qui s'occupaient de nucléaire et d'autres qui s'occupaient de nouvelles technologies de l'énergie, mais elles ne travaillaient pas nécessairement ensemble. Nous avons donc essayé de construire une vision intégrée de l'énergie, dans le cadre d'une direction des énergies, chargée d'identifier les complémentarités possibles entre les diverses formes d'énergie. Comme le montre le rapport « Futurs énergétiques 2050 » de Réseau de transport d'électricité (RTE), nous n'avons pas le choix : nous devons utiliser toutes les formes d'énergie dans des modes de complémentarité.

Ce travail de transformation n'a pas été simple. Il a fallu faire travailler ensemble des gens qui y étaient parfois réticents. Nous y sommes parvenus dans les domaines de la chimie nucléaire et du recyclage des batteries, ainsi que dans le domaine de la modélisation, en appliquant l'acquis du nucléaire aux nouvelles technologies de l'énergie. Cette importante transformation du Commissariat commence à porter ses fruits.

Nous avons essayé de mener le même travail sur le numérique, pour montrer la valeur ajoutée du CEA dans ce domaine, de la puce et du semi-conducteur au logiciel et à l'intelligence artificielle. Rappelons que le CEA est un organisme régalien. Je ne peux aborder, dans le cadre de cette audition publique, les sujets militaires ni les questions de dissuasion nucléaire ; c'est pourquoi je me contente de rappeler notre rôle stratégique en matière électronique. La pénurie de semi-conducteurs montre à quel point il est important de construire le socle d'une industrie électronique européenne – c'est ce que le CEA est en train de faire.

Dans le domaine de la santé, l'objectif n'est pas de se substituer aux uns et aux autres, qui font leur travail excellemment, mais de les faire bénéficier de l'originalité du CEA, qui est à la croisée de la compréhension de phénomènes biologiques fondamentaux, des technologies et de la maîtrise de la donnée, pour produire, par exemple, des dispositifs médicaux.

Cette structuration a porté ses fruits dans le domaine de l'énergie, comme le montre la création de Genvia, coentreprise consacrée à l'hydrogène, dans le domaine de l'électronique, comme le montre le succès de la start-up Soitec, issue du CEA, qui vaut des milliards d'euros en Bourse, et dans le domaine de la santé, avec la start-up Diabeloop.

J'en viens aux chantiers en souffrance et au traitement des difficultés, en commençant par la question financière. En 2017, la comparaison entre les besoins du CEA et ses ressources financières faisait apparaître un écart de près de 2 milliards d'euros. Nous sommes aujourd'hui sortis de cette impasse. L'État a alloué aux équipes du CEA des moyens complémentaires, notamment dans le cadre de la loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030. Par ailleurs, la dette du CEA vis-à-vis de l'entreprise Orano, qui datait de quinze ans et s'élevait à près de 800 millions d'euros, a été complètement apurée. La situation financière du Commissariat est donc saine.

J'évoquerai brièvement trois sujets de préoccupation.

Le projet de réacteur Jules Horowitz a connu, comme d'autres projets nucléaires, des difficultés en termes de calendrier et de coûts. À mon arrivée, j'ai souhaité qu'il soit audité par des experts indépendants, dans le cadre d'une commission pilotée par M. Yannick d'Escatha. Elle a formulé plusieurs préconisations, dont la mise en œuvre a permis de mettre sur les rails l'indispensable réacteur d'essais dont a besoin la filière nucléaire, comme l'a d'ailleurs montré un nouvel audit externe. La mise en ordre du projet par les équipes du CEA est à mes yeux assez impressionnante et doit être saluée. Elle participe de la rationalisation des activités.

La mise en ordre de l'assainissement et du démantèlement des installations nucléaires vise à gérer les héritages de nos activités depuis 1945 et à ne pas laisser un passif à la société. Mon prédécesseur, M. Daniel Verwaerde, a engagé un énorme travail qui porte ses fruits. Les projets sont désormais beaucoup plus structurés et cohérents qu'ils ne l'étaient ; ils s'inscrivent dans le cadre d'une feuille de route partagée avec les deux autorités de sûreté nucléaire, civile et de défense, qui se sont dites satisfaites du travail accompli par le CEA dans ce domaine.

Avec mon adjointe, Mme Laurence Piketty, nous avons accentué nos efforts sur les questions fondamentales de sûreté et de sécurité, ce qui suppose un renouvellement permanent. Là encore, les autorités de sûreté reconnaissent que notre politique commence à porter ses fruits.

J'en viens à la politique d'ouverture internationale du Commissariat. Dans ses déclarations relatives au futur European Chips Act sur les semi-conducteurs, le commissaire européen Thierry Breton a insisté sur la force du « tripode » de recherche constitué par l'Institut Fraunhofer allemand, l'Institut de microélectronique et composants (IMEC) belge et notre CEA. Il a ainsi salué les collaborations que nous avons su développer entre ces trois grands de la recherche en électronique qui, parfois considérés comme des concurrents, sont aujourd'hui devenus, dans la dynamique européenne, des partenaires.

Je veux également souligner une insertion accrue dans nos politiques de sites – Paris‑Saclay et Grenoble, principalement –, où nous développons nos partenariats historiques, en coopération avec les universités.

Nous travaillons étroitement avec les organismes de recherche. J'en veux pour preuve le programme prioritaire de recherche sur l'hydrogène, qui mobilise à la fois le CNRS et le CEA dans un esprit mutuel de collaboration, comme en atteste le renouvellement de la convention de collaboration d'ensemble que j'ai signé avec M. Antoine Petit, le président-directeur général du CNRS.

S'agissant de la vie interne du Commissariat, j'ai souhaité favoriser un plus grand partage sur les orientations. Ainsi, le rapprochement des équipes travaillant sur les questions d'énergie a été organisé à partir de nombreux séminaires réunissant plusieurs milliers de personnes – une pratique dont nous n'étions pas coutumiers.

Nous essayons également d'écouter régulièrement ce que disent les salariés. En 2020 et en 2021, nous avons organisé avec l'institut Ipsos deux enquêtes internes. En 2021, sur les quelque 8 100 personnes qui ont répondu, 80 % ont déclaré qu'elles recommanderaient sans hésitation le CEA comme employeur, 90 % que notre attitude a été « socialement responsable » pendant la crise sanitaire, 70 % que les conditions de travail sont satisfaisantes, 80 % qu'elles ont trouvé un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le niveau de stress, quant à lui, est passé de 6,5 % en 2017 à 5,7 % en 2021. Les salariés se plaignent, avec raison, de la complexité administrative et bureaucratique de notre fonctionnement, ainsi que de l'accumulation et du mauvais partage de la charge de travail. Il y a là deux chantiers sur lesquels nous devons impérativement travailler.

Effectivement, un mouvement social est en cours. J'entends dire parfois que les salaires n'auraient pas augmenté depuis treize ans. C'est inexact : ils ont augmenté, en moyenne, de 2 % à 2,5 % par an. Il est vrai, en revanche, que cette augmentation n'est pas passée par une augmentation du point ; les mesures ont été individuelles, tout en permettant une augmentation de tous, en moyenne, une année sur deux.

Les établissements publics sont cadrés par la puissance publique : l'État souhaite, à juste titre, pouvoir disposer d'une vision harmonisée entre chaque établissement placé sous sa tutelle. En 2021, le CEA a obtenu le meilleur cadrage budgétaire, avec une augmentation de 2 % quand celle-ci a été, pour d'autres établissements, de 1,2 % ou 1,3 %. Je me suis battu pour que la LPR ne comprenne pas seulement des mesures à destination des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), dont les personnels sont généralement des fonctionnaires – au CEA, les salariés sont sous statut privé –, mais aussi à destination des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC). Je remercie Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation d'avoir accédé à notre demande. Ainsi, nous avons obtenu 3,7 millions d'euros supplémentaires en 2021 et il en sera de même en 2022.

En 2021, nous avons également pris des mesures supplémentaires en matière salariale en direction des jeunes et des bas salaires. Nos 1 300 thésards ont été augmentés. Plus de 1 000 personnes ont bénéficié d'un rattrapage salarial, lequel n'a pas été général. C'est cela même qui, aujourd'hui, est contesté. La hausse de l'inflation change évidemment la donne, mais je me dois d'agir en concertation avec l'État. Depuis la fin de l'année dernière, nous travaillons donc tous ensemble, dans un souci d'apaisement, avec les partenaires sociaux afin d'obtenir des moyens supplémentaires. J'espère ardemment que nous parviendrons à trouver une solution rapidement.

J'aimerais maintenant dire quelques mots du futur. La crise sanitaire a conforté notre action. Les notions d'autonomie, d'indépendance et de souveraineté, au cœur de nos missions, semblaient naguère un peu démodées ; elles sont aujourd'hui devenues cruciales, du fait des ruptures des chaînes d'approvisionnement et de toutes les difficultés que nous avons rencontrées. Tout le monde a pu prendre conscience de l'importance de ce que nous faisons, avec le modèle qui est le nôtre – et celui des autres Research and Technology Organisations (RTO) européens, tel l'Institut Fraunhofer en Allemagne – capable d'associer la recherche la plus avancée, l'industrie, les usages, les marchés, les applications économiques et les réponses aux enjeux sociétaux. Il a fait preuve de son efficacité, en France, en Europe et dans le monde.

Dans le cadre de mon second mandat, je souhaiterais conforter ce modèle de RTO en l'orientant vers les priorités énergétiques de demain : le nucléaire, les innovations, l'hydrogène. De ce point de vue, notre travail en interne et avec Genvia vise à ce qu'à la fin de la décennie, nous parvenions à un coût de production du kilo d'hydrogène de 2 euros sans pour autant répéter les erreurs du passé, qui ont consisté à nous doter d'une énergie sans avoir les moyens permettant de la produire – l'exemple de l'importation des panneaux photovoltaïques est éloquent. En l'occurrence, les électrolyseurs doivent être fabriqués en France, avec la technologie que nous essayons de développer avec Schlumberger. La question de la microélectronique est tout aussi fondamentale ; dans ce domaine, j'appelle de mes vœux un grand projet, autour du plan France 2030 et de ce qui est défendu par le commissaire Thierry Breton. Enfin, des chantiers d'avenir se présentent devant nous, comme le quantique ou la santé personnalisée.

Cela suppose de conforter le modèle économique en disposant des ressources nécessaires. Tous les besoins du CEA ne sont pas couverts au premier jour de l'année ; nous devons rechercher des partenariats avec l'industrie, ce qui est normal, mais encore faut-il que le contexte soit favorable. La suppression, dans le cadre du CIR, du doublement de l'assiette des dépenses relatives aux opérations de recherche n'a pas été une bonne nouvelle pour nos partenaires industriels, ni pour nous. Dans le monde de la recherche, la concurrence est réelle. Sans envisager des délocalisations lointaines, il est toujours possible de trouver en Europe des centres de recherche dont les conditions d'accès sont meilleures. Nous verrons ce qu'il en est du nouveau CICO mais, s'il est insuffisant, nous devrons nous tourner vers l'État afin qu'il nous donne des moyens supplémentaires.

Mon troisième objectif est de poursuivre le travail d'ouverture, de partage, de dialogue et de digitalisation.

Le quatrième consiste au renforcement de l'innovation au sein du Commissariat.

Tout cela ne sera possible que si nous maintenons nos partenariats, la transversalité – nos directions doivent travailler ensemble –, et si nous parvenons à faire mieux connaître notre action. Le CEA est en effet associé au seul domaine nucléaire, mais il faut bien comprendre qu'il est fondamental et stratégique dans des secteurs aussi variés que la défense, l'énergie, l'électronique et la santé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous venez de présenter les enjeux et les défis auxquels le CEA doit faire face, compte tenu de ses missions, dans les domaines de la défense, de la sécurité, des énergies nucléaire et renouvelables, de la recherche technologique industrielle et de la recherche fondamentale.

L'accomplissement de ces missions repose avant tout sur des femmes et des hommes fiers de leurs savoir-faire, de leur outil de travail et des neuf centres répartis sur notre territoire, lesquels contribuent au dynamisme des économies locales.

Néanmoins, une partie des personnels ne comprend pas que, si la réévaluation des mesures de revalorisation des niveaux de classification des diplômes à l'embauche est légitime pour renforcer l'attractivité du CEA, aucune mesure n'ait été prise pour celles et ceux qui y travaillent depuis plus longtemps et qui constituent le socle de compétences et de connaissances de l'établissement. Certes, vous ne nous répondrez pas aujourd'hui, puisque des discussions sont en cours avec les autorités de tutelle et les représentants du personnel, mais sachez que les députés que nous sommes sont sollicités et que nous restons disponibles pour trouver ensemble les meilleures solutions.

La semaine dernière, le Président de la République a fait part de sa vision de la politique énergétique de la France pour les trente prochaines années. Le rôle du CEA sera déterminant – je pense, entre autres, à l'appel à projets du plan France 2030 sur les petits réacteurs modulaires ou innovants, à hauteur de 1 milliard d'euros, et à la clôture du cycle du combustible. Cela modifiera-t-il le contrat d'objectifs et de performance de votre établissement ?

Depuis plusieurs années, le CEA mène une politique de soutien reconnue à la création d'entreprises et au développement de start-up. Comment envisagez-vous d'amplifier cette politique d'essaimage, essentielle pour l'attractivité de notre territoire et qui permet de faire émerger de nouvelles technologies tout en renforçant notre compétitivité industrielle ?

Le groupe majoritaire votera en faveur de votre reconduction à la tête du CEA.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au service de l'État, des citoyens et de l'économie, le CEA est depuis 1945 un acteur essentiel de la recherche, de l'innovation et du développement. Il est aussi fortement impliqué dans le démantèlement des installations et des centrales, le maintien de la sûreté nucléaire et le traitement des déchets nucléaires.

En 2018, vous avez été nommé administrateur général du meilleur centre de recherche et d'innovation du monde. Classé premier dans le « top 25 » des agences gouvernementales les plus innovantes par Reuters en 2016, le CEA a confirmé son excellence sous votre direction. Seul organisme de la recherche française figurant dans le classement Clarivate de 2022, il est également le premier organisme de recherche pour les dépôts de brevets en Europe, ce qui permet à la France d'être en pointe sur les enjeux énergétiques.

Début février, la Commission européenne a accordé un label vert à l'énergie nucléaire, reconnaissant ainsi sa contribution à la lutte contre le changement climatique. M. François Bayrou, Haut-Commissaire au plan, parlait à ce propos, en 2021, d'un « devoir de lucidité ». Dans le même sens, le 10 février, à Belfort, le Président de la République a annoncé la construction de six réacteurs nucléaires EPR2 d'ici à 2050, la mise en service du premier d'entre eux étant prévue aux alentours de 2035. C'est un engagement fort, destiné à répondre aux enjeux écologiques du XXIe siècle.

Pouvez-vous nous faire part de votre stratégie et de vos grandes priorités pour les années à venir, au regard des politiques énergétiques française et européenne ?

Que pensez-vous du projet du Président de la République de construire huit EPR2 en supplément des six annoncés à Belfort ?

Le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés votera en faveur de votre reconduction.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez mis en lumière les enjeux auxquels seront confrontés votre organisme et, plus largement, la France et l'Europe. La cybersécurité est essentielle pour protéger les installations qui ont partie liée à vos programmes de recherche. Le quantique sera porteur de nouveaux enjeux. Serez-vous associé au cybercampus inauguré cette semaine à La Défense, qui constituera le cœur de la recherche menée en ce domaine – laquelle devra essaimer, dans les années qui viennent, dans les régions et en Europe ?

Permalien
François Jacq, administrateur général du Commissariat général à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Monsieur Cellier, je comprends les revendications qui s'expriment en interne, qui plus est dans un contexte d'inflation. En 2021, nous avons essayé de traiter une partie de la question, à savoir la revalorisation de la grille d'embauche et des plus bas salaires. La politique salariale doit, par principe, concerner l'ensemble de l'organisme, et la contribution des femmes et des hommes du CEA à l'excellence de l'institution doit être reconnue. La direction du CEA s'y est employée au cours des quatre dernières années. Non seulement nous nous sommes battus pour obtenir des moyens additionnels dans la LPR, mais nous avons été en chercher d'autres, par exemple en termes de primes. Il y a eu un engagement considérable, même si on peut toujours le juger insuffisant. Le contexte est aujourd'hui profondément renouvelé du fait de la résurgence de l'inflation. L'indice des prix moyenné s'élève à 1,6 % tandis qu'en point à point, on atteint 2,8 % sur l'année 2021. J'ai explicitement demandé à l'État des marges de manœuvre, en termes de cadrage, pour répondre aux attentes des salariés. J'en ai informé ces derniers fin 2021 et lors de mes vœux pour 2022. J'espère fortement que l'État nous accompagnera.

J'en viens à la politique énergétique et au volet « nucléaire et innovation ». Ce dernier consiste, à côté de la construction des EPR, à ouvrir de nouvelles voies, principalement dans le domaine des petits réacteurs, autrement dit des small modular reactors (SMR). Il y a quatre ans, je vous avais déjà dit que c'était une des priorités sur lesquelles nous devions travailler. À l'époque, cela prêtait peut-être à sourire, mais aujourd'hui, chacun a pris conscience de l'importance du sujet.

La première voie mentionnée par le Président de la République est le projet Nuward, dont le chef de file est EDF mais dans lequel le CEA est impliqué, avec ses ingénieurs et ses chercheurs, notamment sur les questions de neutronique et de cœur. Une équipe intégrée est en train de se constituer entre EDF, Framatome, TechnicAtome, Naval Group et le CEA. Un petit réacteur de ce type pourrait également être couplé avec une production d'hydrogène dans des conditions intéressantes.

La deuxième voie évoquée par le Président concerne des réacteurs que je qualifierai de plus innovants, dans la mesure où ils comportent des cycles du combustible différents ou des caractéristiques distinctes. À titre d'exemple, on parle toujours des réacteurs en termes de production d'électricité, mais ils pourraient être aussi d'excellents producteurs de chaleur et répondre ainsi à des besoins qui ne sont pas couverts par l'électricité. Le CEA sera partie prenante de ces projets, par ses innovations, ses idées et ses chercheurs, qui ont envie de développer des projets dans ce domaine – j'ai récemment constaté, à Cadarache, une réelle dynamique au sein des équipes. Nous appuierons, par nos laboratoires et nos plateformes, des entreprises et des start-up, à l'instar de ce que font, aux États-Unis, le Department of Energy, avec ses National Labs, et la NASA, lesquels collaborent avec des industriels. Le CEA doit avoir, à mon sens, un rôle de cheville ouvrière. Nous enverrons, ce faisant, un message d'innovation et de transformation, y compris à destination des jeunes et des territoires, où seront certainement installés des démonstrateurs.

Avant de parler des start-up, je voudrais insister sur le rôle de nos plateformes régionales de transfert technologique (PRTT) – au nombre de six ou sept, selon la définition retenue –, qui sont des outils d'ancrage du CEA dans le territoire. Leur vocation est d'aller vers les PME, pas forcément celles qui sont familières du monde de la recherche, pour les aider à s'acculturer aux nouvelles technologies et à en tirer profit. Nous avons également déployé en interne un nouveau dispositif, dénommé « Magellan », de prématuration et de maturation pour favoriser le développement d'entreprises. Sans vouloir nécessairement faire du chiffre, nous visons le développement qualitatif et quantitatif de start-up au-delà des domaines comme l'électronique où elles prospèrent traditionnellement – il en existe aussi, à présent, dans le secteur de l'énergie. Par ailleurs, nous essayons de développer des centres d'innovation ouverte. Nous en avons déjà créé un, à Grenoble, dénommé « Y.SPOT », et nous réfléchissons à d'autres implantations, parmi lesquelles Toulouse, afin d'encourager la dynamique régionale.

Monsieur Corceiro, s'agissant de la stratégie et des grandes priorités en matière de politique énergétique, il faut partir des constats dressés par RTE dans plusieurs de ses rapports. Certes, on savait que le monde de demain serait plus électrifié, car l'électrification des usages est un des moyens de décarboner. Or, pour produire cette électricité décarbonée, on ne peut se payer le luxe d'exclure certaines solutions. Lorsque nous étions complètement à l'arrêt, pendant le confinement, et que plus personne ne voyageait, nos émissions de CO2 ont baissé de 15 à 20 %. Cette situation nous a semblé très difficile. Or il nous faut potentiellement, à terme, baisser les émissions de 80 % ! Nous devons donc travailler dans toutes les directions. Il ne faut pas opposer les formes d'énergie entre elles mais considérer qu'elles sont complémentaires.

RTE l'a bien montré : compte tenu de la structure du parc français de production d'électricité, vouloir se passer du nucléaire exige des niveaux de production d'énergies renouvelables et d'économies d'énergie que nous n'avons jamais été capables d'atteindre par le passé – pas plus, d'ailleurs, que nos voisins. Nous avons donc absolument besoin de la composante nucléaire. Il est possible de parvenir à un fonctionnement harmonieux en intégrant les différentes formes d'énergie.

Le CEA joue évidemment un rôle actif dans la recherche en matière nucléaire. Lorsqu'on cherche à comprendre l'origine des difficultés auxquelles on est confronté dans ce domaine, qu'elles concernent le parc actuel ou les EPR, on se tourne vers le CEA, qui détient la compétence de base en physique, en chimie et en neutronique. C'est ce que fait EDF quand il rencontre un problème un peu plus poussé, qu'il ne comprend pas. Le CEA joue donc un rôle clé de support à la filière. Il en va de même pour l'aval du cycle, où nous intervenons essentiellement en appui à Orano.

Notre recherche présente donc une double dimension : le support au parc, d'une part ; l'innovation, l'ouverture et la prise en compte du cycle, d'autre part.

Je voudrais mentionner deux autres domaines essentiels, qui constituent le troisième axe de notre action en matière énergétique. Le premier est l'hydrogène, sujet qui nous est cher, et sur lequel les efforts que nous réalisons depuis une quinzaine d'années commencent à porter leurs fruits. Le second est le photovoltaïque : grâce à nos compétences dans les technologies de la microélectronique – les couches minces –, nous sommes allés vers le solaire.

Le quatrième axe de notre politique énergétique concerne les réseaux intelligents, ou smart grids. Il s'agit de combiner les formes d'énergie et de concevoir les réseaux électriques de demain.

La feuille de route technologique et scientifique du CEA est en adéquation avec les constats dressés par RTE.

Madame Hennion, nous ne sommes pas l'acteur majoritaire du cybercampus, mais nous y sommes présents car cela nous semble fondamental.

Nous accordons une place importante à la cybersécurité. Historiquement, elle relevait plutôt de la direction des applications militaires, mais nos collègues en charge de l'énergie nucléaire et de l'électronique s'y sont rapidement intéressés. Un programme prioritaire de recherche consacré à la cybersécurité est copiloté par le CNRS, l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) et le CEA – c'est un bon exemple de fédération et d'agrégation des forces entre organismes.

Le CEA utilise ses compétences en microélectronique pour mener une réflexion sur la cybersécurité. Il s'efforce de concevoir des composants qui confèrent une plus grande sûreté et réduisent les possibilités de piratage. Nos travaux portent sur la fabrication de puces ou l'élaboration de mécanismes algorithmiques résistants aux attaques. Par exemple, des équipes travaillent à Saclay pour contrer d'éventuelles attaques de pirates qui entendraient prendre le contrôle d'un véhicule autonome.

S'agissant du quantique, nous menons un travail de fond pour disposer d'un qubit, c'est‑à-dire du premier élément de base d'un ordinateur. Par ailleurs, nous réfléchissons aux contre-mesures que l'on pourrait appliquer si les perspectives ouvertes par le quantique se matérialisaient et si cette technologie offrait les capacités attendues, par exemple pour casser les codes. C'est un fil rouge qui associe les différentes directions du CEA.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup, Monsieur l'administrateur général, pour votre intervention et vos réponses précises. Je vous invite à quitter la salle pour que nous puissions procéder aux opérations de vote.

Réunie à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l'article 29-1 du Règlement, sur la nomination envisagée de M. François Jacq aux fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Les résultats du vote sont les suivants :

Nombre de votants

Bulletins blancs ou nuls

Abstention

Suffrages exprimés

Pour

Contre

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 9 h 05

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Pascale Boyer, M. Anthony Cellier, M. David Corceiro, Mme Christelle Dubos, Mme Christine Hennion, M. Guillaume Kasbarian, M. Roland Lescure, Mme Graziella Melchior, Mme Anne-Laurence Petel, M. Stéphane Travert

Excusés. – Mme Anne-France Brunet, M. Yves Hemedinger, M. Sébastien Jumel, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Annaïg Le Meur, M. Jérôme Nury, M. Vincent Rolland, Mme Bénédicte Taurine, Mme Huguette Tiegna