Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mardi 15 février 2022 à 17h35

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

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Madame la ministre des Armées, peut-être est-ce la dernière fois de la législature que notre commission vous reçoit. Je dis : peut-être, car si la situation internationale venait à se dégrader et l'exigeait, je n'hésiterais pas à vous solliciter à nouveau, avec l'accord du bureau, pour vous demander de venir devant notre commission, en dépit de la suspension des travaux parlementaires.

Quoi qu'il en soit, je veux vous remercier pour la grande disponibilité dont vous avez fait preuve tout au long de la législature et pour l'aide que votre cabinet et vos services nous ont apportée. Votre compréhension, votre patience et votre technicité nous ont été très précieuses.

Une audition bilan était initialement prévue la semaine prochaine, mais nous avons jugé opportun d'en avancer la date, compte tenu de l'actualité internationale et, surtout, de la programmation de la déclaration du Gouvernement suivie d'un débat sur la situation au Sahel au Sénat. Aussi, je remercie Jean-Jacques Ferrara et Philippe Michel-Kleisbauer d'avoir bien voulu reporter à demain la présentation qu'ils devaient faire cet après-midi de leur rapport sur la Méditerranée.

Il nous a semblé en effet que votre audition ne pouvait plus attendre, en raison de la dégradation de la situation et du contexte politique observée au Mali, dégradation dont témoignent l'expulsion récente de notre ambassadeur à Bamako et la multiplication de propos peu amènes à notre égard de la part de la junte militaire, laquelle refuse toujours toute transition démocratique ou ne l'envisage pas avant plusieurs années. Le coup d'État au Burkina Faso, le 24 janvier dernier, après ceux de 2020 et de 2021 au Mali et celui de 2021 en Guinée, doit également être pris en compte dans ce contexte, marqué en outre par les entraves que la junte malienne multiplie à l'action des forces occidentales, pourtant appelées en assistance, et par le déploiement des mercenaires russes de Wagner au Mali.

Dès lors, la question de savoir si les conditions du succès de notre engagement au Sahel sont toujours réunies est légitime. L'annonce du retrait danois de Takuba et la décision de la Norvège de renoncer à l'envoi d'un petit contingent sont autant de signes très négatifs. Vous-même, madame la ministre, vous êtes rendue au Niger les 2 et 3 février. Par ailleurs, une partie substantielle des travaux du sommet Union européenne-Union africaine, qui se tiendra à Bruxelles à partir de jeudi, devrait être consacrée à la situation et à l'avenir de Barkhane. Des annonces sont donc attendues. Le débat prévu dans notre hémicycle le 22 février devrait être l'occasion pour le Gouvernement de s'expliquer, mais la commission de la défense souhaite avoir la primeur de votre analyse et savoir quel chemin il vous semble possible de suivre pour continuer la lutte contre le terrorisme, lequel continue à progresser au-delà de la bande sahélo-saharienne. Bref, faut-il rester au Sahel ? Et, si oui, à quelles conditions pouvons-nous encore le faire ?

L'autre sujet d'actualité est la situation en Ukraine, contre laquelle les États-Unis ont déclaré craindre une offensive imminente de la Russie. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a pour sa part déclaré hier que tous les éléments étaient réunis pour que soit menée une offensive forte par les forces russes en Ukraine. Au lendemain du déplacement du Président de la République à Moscou et à Kiev et après l'annonce par la Russie, ce matin même, du retrait de premières unités déployées à proximité de l'Ukraine, estimez-vous qu'une attaque est encore possible, plausible ou imminente ? Dans cette hypothèse, quelles pourraient être les réactions des partenaires occidentaux ?

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Florence Parly, ministre des armées

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, c'est un grand plaisir pour moi de me retrouver devant vous, même si la situation qui motive cette audition est très tendue.

De fait, il me paraît très utile d'évoquer avec vous la situation politique et militaire au Sahel, car de profonds bouleversements affectent actuellement cette région et, de manière plus générale, l'Afrique de l'Ouest, tant sur le plan politique que sur le plan sécuritaire. Ces bouleversements sont de nature à remettre en question les modalités de notre engagement militaire au Sahel, qu'il est de notre devoir de réévaluer dès lors que des milliers de Français sont engagés là-bas au péril de leur vie.

Avant d'évoquer plus en détail le contexte bouleversé dans lequel nous agissons, je souhaite rappeler le sens de cet engagement et les résultats que nous avons obtenus ces derniers mois dans la lutte contre le terrorisme.

Si la France est intervenue au Sahel, c'est – il est toujours bon de le répéter – parce que les États sahéliens nous en ont fait la demande, à commencer par le Mali, qui, en 2013, a appelé à l'aide pour repousser des colonnes djihadistes qui descendaient vers Bamako. Sans l'intervention des forces armées françaises dans le cadre de l'opération Serval, le Mali aurait peut-être connu le destin qui fut celui de l'Irak et de la Syrie à partir de 2014, lorsqu'au fil de ses conquêtes territoriales, Daech bâtissait un sanctuaire du terrorisme islamiste.

Au début des années 2010, des citoyens français et européens avaient déjà été la cible de plusieurs attaques terroristes au Sahel. Souvenez-vous : en 2013, cela faisait déjà cinq ans que la course du Paris-Dakar, désormais bien mal nommée, n'était plus organisée dans la région en raison de la menace terroriste.

Lorsqu'en 2014, l'opération Barkhane succède à l'opération Serval, c'est pour lutter contre le terrorisme, en partenariat avec les cinq pays de la zone sahélo-saharienne – la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad – et pour éviter la création, dans une zone aussi grande que l'Europe, d'une sorte d'État terroriste tout-puissant qui aurait pu développer la capacité de se projeter bien au-delà de cette région.

En un mot, nous nous sommes déployés pour protéger non seulement la France et les Français mais aussi les citoyens européens.

Au Sahel, la communauté internationale, qui se mobilise depuis plusieurs années, a deux ennemis : Daech et Al-Qaïda. Peu importent les acronymes et le nom exact des filiales locales de ces grandes organisations terroristes : il s'agit bien de deux multinationales du djihadisme qui n'hésitent pas à déstabiliser les États, à soumettre les populations et à cibler de manière indiscriminée les civils pour parvenir à leurs fins. Deux multinationales djihadistes qui veulent combattre la France et les Français partout où elles le peuvent, comme le prouvent leurs publications les plus haineuses.

Quel est le bilan de notre lutte contre le terrorisme au Sahel ?

J'ai eu l'occasion de dresser ce bilan à plusieurs reprises devant vous, au fur et à mesure de l'évolution de la situation. Ainsi, nous avons eu l'occasion de discuter, cartes à l'appui, de l'endiguement de l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et du retour de l'État dans certaines régions où l'approche multidimensionnelle de la lutte contre le terrorisme, depuis les aspects sécuritaires jusqu'aux enjeux de développement, a pu être pleinement mise en œuvre. Mais aujourd'hui, je voudrais me concentrer sur deux aspects bien particuliers du bilan opérationnel de la lutte contre le terrorisme au Sahel.

Premièrement – et c'est un véritable succès stratégique des forces armées françaises, mais aussi des forces armées sahéliennes et de ceux de nos partenaires européens engagés sur place –, il n'y a pas de sanctuaire terroriste au Sahel : Barkhane et ses partenaires ont empêché la territorialisation des groupes armés terroristes. Pourtant, ces derniers avaient cherché par tous les moyens à s'aménager de tels sanctuaires, des citadelles imprenables, pour renforcer leurs capacités et leur liberté d'action ; je pense en particulier à l'État islamique dans le Grand Sahara dans la zone des trois frontières. Grâce aux multiples opérations de Barkhane et aux nombreuses opérations conjointes, nous les en avons empêchés. Ni les filiales de Daech ni celles d'Al-Qaïda ne se sont installées à demeure pour fomenter des attaques terroristes d'envergure internationale.

Deuxièmement – et cet aspect essentiel est trop peu mis en avant –, nous avons éliminé les chefs internationaux de ces filiales sahéliennes. En plus d'affaiblir durablement les organisations terroristes, cela peut modifier l'étendue ou l'ampleur de leurs ambitions. En effet, ce qui rend extrêmement dangereuse une organisation comme l'EIGS, ce sont ses liens directs avec les états-majors de Daech au Moyen-Orient. Je pense en particulier à Adnane Abou Walid al-Sahraoui, qui a été éliminé par la force Barkhane en septembre dernier. De nationalité marocaine, le fondateur et dirigeant du groupe terroriste de l'État islamique dans le Grand Sahara, qui sévit au Mali, au Niger et au Burkina Faso, était en liaison permanente avec l'État islamique en Syrie et en Irak. Le neutraliser, c'est donc, sinon couper le fil qui reliait l'EIGS et Daech, du moins le distendre durablement.

Désormais, l'EIGS est dirigé par des terroristes maliens. Cela ne signifie pas que ce groupe n'est plus dangereux, mais cela rebat les cartes, car ces chefs sont influencés par des logiques locales, notamment ethniques, ce qui réduit probablement l'ampleur de leurs ambitions. Il en va de même pour le Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans, qui a déploré de lourdes pertes.

Ces succès sont le fait de l'opération Barkhane mais aussi des partenaires sahéliens, qui ont été associés à son action dès le début et dont la montée en puissance a franchi un cap au cours des dernières années. De fait, en 2020, lors du sommet de Pau, la mobilisation des acteurs de la région a connu un sursaut, sous l'impulsion du Président de la République. Au cours de ce sommet, les pays du Sahel ont réaffirmé leur détermination politique à lutter contre le terrorisme avec l'aide de la communauté internationale, dont la France, puis de solides partenariats de combat ont été renforcés.

Ainsi, depuis 2014, la force Barkhane a formé plus de 18 000 Sahéliens, sans compter ceux que la mission de formation de l'Union européenne (EUTM) Mali a pu former de son côté. Nous sommes allés plus loin, en proposant un accompagnement au combat direct avec l'ennemi. C'est l'objet de la force Takuba, composée de forces spéciales européennes qui accompagnent les forces armées maliennes sur le terrain. C'est également le sens du partenariat de combat dont j'ai pu mesurer la qualité au Niger, où nos soldats préparent et réalisent des missions de combat exigeantes aux côtés des forces armées nigériennes, dont ils soulignent sans cesse la maîtrise unique du milieu, la combativité et l'engagement.

Depuis le sommet de Pau, les armées sahéliennes sont donc montées en puissance. Nous l'avons toujours dit, l'armée française n'a pas vocation à être une armée de substitution, car la paix au Sahel appartient aux États du Sahel. Ce que nous faisons avec nos partenaires, c'est mettre la menace terroriste à la portée des armées sahéliennes et leur donner les clés d'un combat qui est le leur, combat qui ne peut être gagné que si la volonté politique de l'emporter est affirmée et réitérée à chaque instant. C'est dans cet esprit que le Président de la République a annoncé, en juin dernier, la transformation du dispositif militaire au Sahel en renforçant davantage encore la logique de coopération avec nos partenaires ouest-africains et sahéliens. Nous avons ainsi été conduits à désengager les forces implantées dans les trois emprises du Nord-Mali. Cette manœuvre sensible s'est déroulée avec précision grâce au professionnalisme de nos armées.

Avant de refermer le chapitre du bilan de notre engagement au Sahel, je souhaite insister sur la prise de conscience internationale, en particulier européenne, qui s'est opérée ces dernières années concernant la situation sécuritaire au Sahel. Car, il y a neuf ans, le Sahel n'était pas une préoccupation majeure pour les Européens – ou, si elle l'était, c'était à mots comptés. Peu à peu, ces derniers ont compris qu'aux portes de l'Europe, c'est aussi leur sécurité qui était en jeu. Aujourd'hui, je puis vous dire que tous sont convaincus que l'Europe a intérêt à la stabilisation de notre frontière au sud. Le Sahel est désormais l'une de leurs priorités stratégiques et nous pouvons nous féliciter de cette dynamique.

Dans le champ opérationnel, elle s'est traduite par la montée en puissance de la force Takuba, qui est une première dans son genre, mais aussi par l'élargissement de l'EUTM Mali. Toutes forces confondues – Barkhane, mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), EUTM et Takuba –, 25 000 militaires sont déployés dans la région. J'ajoute que notre action s'inscrit dans le cadre de la coalition pour le Sahel, qui nous a permis de définir le schéma de l'aide internationale, du volet militaire à celui du développement, car la solution au Sahel n'est pas seulement militaire.

Je souhaite revenir un instant sur la portée réelle de la force Takuba. D'un point de vue opérationnel, les résultats obtenus moins d'un an après l'annonce de sa pleine capacité ont dépassé les prévisions initiales dans de multiples domaines. Surtout, elle est un réel succès politique. En un an, nous avons obtenu que onze pays s'engagent ensemble au combat, de façon très pragmatique. Ainsi, un véritable « club Takuba » est né. Cette force représente sans doute ce que les Européens sont capables de réaliser le mieux ensemble dans des environnements sécuritaires très complexes. Il faudra donc capitaliser sur ces enseignements et sur l'esprit que nous avons su créer tous ensemble, qui participe à l'édification de l'Europe de la défense.

Je souhaitais rappeler ces éléments, qui permettent de mieux comprendre notre engagement au Sahel, avant d'aborder l'actualité et le contexte dégradé dans lequel nous agissons désormais.

Il est une réalité implacable et évidente : nous ne pouvons réussir collectivement au Sahel et lutter efficacement contre le terrorisme sans un investissement majeur de l'État que nous appuyons et sans la détermination de ses autorités – c'est en partie pour cette raison que le sommet de Pau a été si important dans l'histoire récente de notre engagement. Or, à présent, nous faisons face à une rupture de la junte malienne avec son environnement et avec l'ensemble de ses partenaires.

La rupture de confiance est globale et se fonde sur trois faits principaux.

Premièrement, pendant plusieurs mois, la junte malienne a assuré à ses partenaires que la société de mercenaires russe Wagner ne se déploierait pas au Mali. Or tel est bien le cas aujourd'hui. Cela compromet fortement non seulement la parole de cette junte mais aussi sa prétendue détermination à lutter contre le terrorisme.

Nous avons pu observer l'action de Wagner en République centrafricaine : pillage des ressources, mise en coupe réglée du pays et, surtout, exactions contre les populations. Wagner se nourrit de l'insécurité et de la guerre. Ses mercenaires, c'est un fait important, sont rémunérés par la junte malienne. Pourquoi donc celle-ci paierait-elle une société de mercenaires pour lutter contre le terrorisme alors que l'ensemble de la communauté internationale est à son chevet, et ce de façon gratuite ? Je vous laisse en tirer vos propres conclusions.

Deuxièmement, la junte a rompu les engagements qu'elle avait pris sur l'échéance de la transition démocratique. À nouveau, par ce choix, elle dévoile sa véritable volonté : celle de rester au pouvoir à tout prix. C'est pourquoi, après de multiples provocations, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ainsi que l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont décidé, le 9 janvier dernier, d'accroître substantiellement les sanctions économiques et financières à l'encontre du Mali, afin de provoquer un électrochoc devant une situation inacceptable. La France et les Européens soutiennent clairement la décision de ces institutions, et nous ne sommes pas les seuls.

Enfin, je regrette de le dire, le Mali a achevé de consommer la rupture avec ses partenaires en entravant les capacités d'action des militaires européens sur tous les plans.

Sur le plan politique, d'abord. La junte nous a annoncé vouloir revoir le traité qui régit notre coopération de défense pour pouvoir remettre en cause l'accord sur le statut des forces françaises dans des pays souverains. Quelques jours plus tard, elle a exigé le départ des Danois engagés au sein de la force Takuba, ce qui a entraîné, par ricochet, la suspension du déploiement des Norvégiens.

Sur le plan militaire, ensuite, la junte a mis en place une zone d'interdiction temporaire des vols au-dessus du centre du Mali – précisément là où la société Wagner est déployée –, et les contrôles de nos convois aux frontières sont de plus en plus tatillons. Les responsables locaux des forces armées maliennes appliquent désormais des consignes d'arrêt de la collaboration avec nos forces, ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques semaines.

Enfin, une interdiction de survol du Mali a été opposée aux avions et aux hélicoptères de la MINUSMA, avant d'être partiellement levée après plusieurs jours de négociation au plus haut niveau.

Pour la France, le point d'orgue de ces tensions a été atteint avec le renvoi de notre ambassadeur au Mali. C'est évidemment un symbole très fort. Quel sens peut-on donner à notre combat quand nous ne sommes clairement plus les bienvenus ? Même si le Mali est dirigé par une junte illégitime, il reste un État souverain. Nous prendrons acte de ses choix.

En dépit de ce contexte difficile sur le terrain, nos opérations de contre-terrorisme continuent. Du 1er au 6 février, une unité franco-estonienne de la force Takuba, avec des unités des forces armées maliennes, puisque c'est le principe même du partenariat de combat, a neutralisé près d'une trentaine de terroristes dans la zone du Liptako malien et saisi du matériel de combat et du carburant. Des moyens aériens – un drone Reaper, une patrouille de Mirage 2000 – ont été déployés en appui des troupes européennes et maliennes au sol. Quelques jours plus tard, Takuba a neutralisé huit terroristes supplémentaires.

Par ailleurs, à la suite de l'attaque intervenue les 8 et 9 février derniers à la frontière entre le Burkina Faso et le Bénin, et dans laquelle un de nos compatriotes est décédé, Barkhane a engagé des moyens de reconnaissance par drone ainsi que la chasse, à la demande du partenaire béninois. Plusieurs frappes ont été réalisées au sud du Burkina Faso, le 10 février, contre le groupe qui avait été détecté. Elles ont permis de neutraliser une quarantaine de terroristes. Nous continuons donc d'appuyer avec réactivité les partenaires sahéliens qui le demandent en agissant en étroite coordination avec eux.

J'en viens maintenant aux perspectives de notre engagement. Nous devons poursuivre notre combat contre le terrorisme au Sahel. Nous ne devons pas déserter le terrain à un moment où Al-Qaïda et l'État islamique risquent de renforcer leurs coups dans cette région. Nous devons rester engagés auprès de nos partenaires, de façon encore plus imbriquée, et en continuant d'apporter ce qui peut leur manquer le plus, c'est-à-dire des capacités critiques de renseignement et d'observation du terrain, des facilités de planification et un appui pour le fonctionnement des chaînes de commandement, qui associent de nombreux acteurs.

En parallèle, nous voulons tout mettre en œuvre pour circonscrire l'influence de Wagner en Afrique de l'Ouest car nous avons pleinement conscience que le déploiement de cette société de mercenaires s'inscrit dans un schéma d'ensemble beaucoup plus large de la part de Moscou, qui a évidemment partie liée avec ce qui se passe dans la partie orientale de l'Europe.

Nous voulons poursuivre ce combat en Européens. Takuba est bien plus qu'une opération multinationale : c'est une fédération de volontés et une conscience de la nécessité d'agir ensemble. Je n'ai aucun doute sur le fait que l'esprit de Takuba perdurera bien au-delà de l'engagement militaire. C'est la raison pour laquelle nous sommes en train de déterminer, avec nos partenaires, une nouvelle stratégie pour notre engagement au Sahel prenant en compte la réalité malienne, et qui n'oublie pas que la menace est en train de s'étendre au golfe de Guinée, comme l'ont malheureusement montré les récentes attaques dans le nord du Bénin. Il nous faut donc changer d'échelle et envisager de faire différemment à l'échelle régionale.

Tout en poursuivant la transformation de notre dispositif militaire au Sahel, nous étudierons les moyens d'élargir notre action collective. La France envisage en effet de coconstruire une nouvelle stratégie en Afrique de l'Ouest avec les Africains, avec les Européens ainsi qu'avec nos partenaires anglo-saxons. C'est aussi parce que l'action militaire ne peut suffire que d'autres domaines sont à mobiliser pour éviter la propagation du djihadisme. C'est tout le sens des concertations que nous avons engagées, Jean-Yves Le Drian et moi-même, depuis plusieurs jours et qui se poursuivent.

Aujourd'hui, toutes les options sont sur la table, dont celle de quitter le Mali. La décision qui sera prise fera vivre ce que nous avons construit avec nos partenaires sahéliens ainsi qu'avec nos partenaires européens.

Avant de répondre à vos questions, je voudrais dire quelques mots de la situation en Ukraine. Le risque d'escalade demeure très élevé. Sous couvert d'exercices militaires, la Russie fait de nombreuses démonstrations de force. Plusieurs États, dont les États-Unis, ont décidé ces derniers jours de rapatrier leur personnel diplomatique et ont demandé à leurs ressortissants de quitter le pays car ils estiment qu'une intervention militaire russe est désormais imminente en Ukraine.

Néanmoins, la France estime qu'une issue diplomatique à ce conflit est encore possible. Nous appelons donc instamment la Russie à la désescalade. Nous avons clairement exprimé que toute action militaire de la Russie à l'encontre de l'Ukraine, même limitée, emporterait des conséquences stratégiques. Le temps est encore à la diplomatie et nous multiplions nos efforts en ce sens. Le Président de la République s'est rendu à Moscou et à Kiev ; le chancelier allemand était à Kiev hier et se trouve à Moscou aujourd'hui. Par ailleurs, le Président de la République échange cet après-midi même avec le président des États-Unis. Les contacts sont nombreux et nourris avec nos alliés. J'ai moi-même parlé avec le secrétaire général de l'OTAN hier soir, ainsi qu'avec mon homologue américain la semaine dernière, et j'aurai l'occasion, à partir de demain, de rencontrer tous mes homologues dans le cadre de la réunion ministérielle de l'OTAN.

Face à la Russie, nous prônons trois principes : fermeté, dialogue et désescalade, le tout en restant unis, cohérents et déterminés avec nos alliés. Notre objectif est double : répondre à l'urgence de la crise actuelle, mais aussi engager l'Europe dans un nouvel ordre de sécurité à plus long terme. Pour cela, nous devons avancer sur les questions de fond, c'est-à-dire sur les garanties qui permettront d'aboutir à un nouvel ordre de sécurité en Europe. Nous nous tenons prêts à assumer nos responsabilités, quelle que soit l'évolution de la situation, y compris si la Russie venait à lancer une offensive en Ukraine.

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Je tiens à saluer votre présence ici aujourd'hui, madame la ministre, dans un contexte si particulier et si exigeant pour nos soldats, particulièrement ceux déployés au Sahel et dans la mission Lynx en Estonie. Ils sont en prise directe avec l'instabilité géopolitique.

Il est primordial que nous puissions échanger avec vous sur les questions internationales, notamment sur les contextes malien et russo-ukrainien, et sur les conséquences directes qui en découlent pour la France et ses soldats. À ce titre, je tiens à saluer le travail que vous avez mené sans relâche, tant pour donner les moyens à nos militaires de lutter durablement contre le terrorisme que pour nous avoir régulièrement informés, avec clarté, de l'évolution de ces théâtres d'opérations.

Vous avez d'ores et déjà répondu à la question que je souhaitais vous poser sur le désengagement de nos forces au Mali. J'aurai une pensée pour tous les soldats que nous avons malheureusement perdus dans le cadre de Barkhane, et à qui nous devons tous un moment de recueillement.

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Nous ne pouvons que souscrire aux principes énoncés par Mme la ministre, ainsi qu'aux propos de notre collègue Patricia Mirallès. Nous pensons aux victimes et aux blessés de Serval et de Barkhane, ainsi qu'à leurs familles. Nous ignorons si c'est un succès stratégique – il est permis d'en douter –, mais c'est en tout cas un succès militaire : nos armées ont formidablement bien fait leur travail.

Ma première question portera sur l'aide au développement : eu égard au comportement de la junte malienne, la France a-t-elle décidé de suspendre cette aide ?

Quels enseignements tirez-vous, en matière de renseignement et de guerre informationnelle, de ce qu'il s'est passé au Mali ces derniers mois, notamment le coup d'État ? Y a-t-il eu des carences ? Le mode de fonctionnement doit-il être modifié ?

La boussole stratégique européenne, qui devrait être adoptée en mars, s'inscrira-t-elle dans la lignée de Takuba, qui a permis de faire travailler ensemble différents partenaires ? Le Sahel devient une préoccupation pour l'Europe, et c'est une excellente nouvelle, mais il faut que cela y figure.

Enfin, concernant l'Ukraine, la position de la France a quelque peu divergé de celle, très pessimiste, de nos alliés américains. La fiabilité des analyses américaines étant parfois sujette à caution – souvenons-nous de l'Irak et de ses usines chimiques ! –, la France dispose-t-elle de capacités d'appréciation et d'information autonomes, la rendant apte à prendre ses décisions librement, souverainement, sans dépendre de sources d'information étrangères ?

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J'aurai à mon tour une pensée pour nos militaires tués et blessés.

Le sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine, qui se tiendra les 17 et 18 février à Bruxelles, sera l'occasion d'adopter une déclaration conjointe sur une vision commune de la collaboration entre les deux continents d'ici 2030. Toutefois, trois pays importants ont été exclus du sommet par l'Union africaine : le Mali, le Soudan et le Burkina Faso. La question du maintien d'une présence militaire européenne au Sahel sera-t-elle abordée lors de ce sommet ?

Dans quelle mesure la complexité de la situation au Sahel influence-t-elle l'élaboration de la boussole stratégique ?

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Madame la ministre, je tenais à vous remercier pour tout le travail de remontée en puissance que vous avez accompli depuis le début de cette législature et pour votre attachement au bien-être du soldat – « Il n'y a pas de soldat fort sans famille heureuse », avez-vous dit. Je vous remercie également pour la signature d'une convention visant à développer la réserve opérationnelle au sein de l'Assemblée nationale.

J'aimerais vous interroger sur notre contrat opérationnel. Le niveau de nos engagements au Sahel est-il soutenable ? De quelles capacités disposons-nous dans l'éventualité d'un engagement majeur en Europe de l'Est ?

Pourriez-vous nous rappeler le contenu de ce contrat opérationnel ? J'ai l'impression qu'une ambiguïté a pu s'installer entre l'hypothèse d'engagement majeur (HEM) décrite dans le Livre blanc – 24 000 hommes en six mois, renouvelable sur six mois – et ce que nous avons déclaré à l'OTAN – deux fois deux divisions de 25 000 hommes, soit 50 000 hommes. Combien d'hommes prêts à combattre pouvons-nous nous engager à mobiliser ? La loi de programmation militaire (LPM) est certes bénéfique mais l'armée a subi par le passé de nombreuses réductions budgétaires : la LPM permet-elle d'atteindre ces objectifs ? Des travaux sont-ils actuellement menés pour préciser la déclinaison opérationnelle de notre engagement ?

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Je partage les propos tenus par mes collègues concernant tous nos soldats, où qu'ils se trouvent, ceux qui ont perdu la vie comme ceux qui sont blessés, ainsi que leurs familles.

La crise ukrainienne produit un effet contraire à celui qu'on imagine recherché par Vladimir Poutine : l'Alliance atlantique est sans doute plus soudée aujourd'hui qu'il y a un an ou deux. Les actions russes depuis 2014 ont conduit des États neutres comme la Suède ou la Finlande à intensifier leur coopération, même si leur adhésion n'est pas d'actualité. En outre, l'OTAN se recentre sur la défense de ses États membres.

Comment les prises de décision au sein de l'OTAN peuvent-elles être rendues compatibles avec l'idée d'une plus grande liberté d'action européenne ? Contre quel type d'agression l'Alliance atlantique est-elle censée nous défendre ? Ne devrait-on pas redéfinir l'article 5 du traité ?

Enfin, les actions dans le cyberespace sont partie intégrante de la guerre dite hybride : du point de vue de l'OTAN, ne faudrait-il pas qualifier ces cyberattaques ? Entrent-elles dans la catégorie des menaces et des actes couverts par l'article 5 ?

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Je ne rappellerai pas le prix du sang que nous avons payé au Mali et au Sahel en général : il n'est pas nécessaire d'y revenir.

Je ne pense pas trahir de secret en disant que nous allons nous désengager du Mali. Comment envisagez-vous le redéploiement de Barkhane ? Sera-t-elle recentrée sur le Niger ? Et qu'adviendra-t-il de Takuba ? Nous savons très bien que le Niger exclut la participation de pays européens. J'aimerais avoir des détails sur le déroulé opérationnel.

Demain, la mission d'information sur les enjeux de défense en Méditerranée, dont je suis corapporteur, remettra son rapport. Quelle sera la priorité accordée à la Méditerranée dans la future boussole stratégique ?

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Madame la ministre, je vous remercie d'avoir atteint, devant la représentation nationale, un tel degré de précision sur un sujet aussi sensible. Je note que les partis de gauche, ou l'extrême droite, pourtant si bavards dans les médias, ne sont pas présents alors qu'ils auraient été bien inspirés de venir vous écouter.

Je souhaite vous interroger sur le déploiement de mercenaires de la société Wagner au Mali. Nous savons qu'il existe une coopération militaire entre la Russie et la junte malienne, avec l'envoi de formateurs et d'armement. Nous savons moins comment Wagner et l'armée officielle russe se coordonnent. Au-delà du Mali, quelles sont les ambitions russes au Sahel ? Comment notre armée interagit-elle avec les forces non conventionnelles ? Wagner se déploie à mesure que l'armée française se replie : y a-t-il des risques de confrontation directe entre nos forces et cette milice ? Enfin, alors qu'une partie de la population malienne rejette la présence française, des reportages montrent des mercenaires russes acclamés : comment en est-on arrivé là ? Que peut-on mettre en place, en matière de soft power, pour contrer cette offensive russe et reconquérir l'opinion publique malienne ?

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L'an dernier, vous avez annoncé l'accélération de plusieurs programmes de la loi de programmation militaire pour adapter les forces armées aux menaces qui se multiplient. D'autres puissances étatiques, comme la Russie, développent bien des actions autres que militaires – dans des domaines aussi variés que la diplomatie, la désinformation, l'économie, le spatial ou le droit international. Face à ces menaces hybrides, et qui deviennent imminentes, la France doit-elle accélérer dès 2022 ces programmes ? Si oui, quels sont les autres domaines capacitaires prioritaires ?

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Puisque la législature est proche de son terme, je tiens à souligner votre sens de l'écoute, votre disponibilité et celle de vos collaborateurs. Je sais combien votre engagement au service de nos armées a été apprécié par les militaires sur le terrain, singulièrement à Brest où vous vous êtes rendue pas moins de quatorze fois ces dernières années.

Alors que, dans cette même ville, le One Ocean Summit vient de se clore, vous avez présenté hier votre stratégie pour les fonds marins. Très attendue, celle-ci répond à plusieurs objectifs stratégiques, économiques et environnementaux, mais aussi scientifiques car, vous l'avez expliqué, nous connaissons moins de 20 % des fonds marins avec précision. Pour couvrir 97 % des fonds marins, vous souhaitez que les armées s'équipent de moyens capables d'atteindre une profondeur de 6 000 mètres. L'amiral Pierre Vandier a indiqué, devant cette commission, que la France acquerrait cette année une capacité exploratoire nationale avec un drone AUV (Autonomous Underwater Vehicle) et un véhicule sous-marin téléguidé ROV (Remotely Operated underwater Vehicle). La maîtrise des fonds marins est un domaine fondamentalement dual. Le plan France 2030, dont le premier comité de pilotage s'est réuni le 1er février, prévoit de consacrer 300 millions d'euros à l'exploration des fonds marins.

Pourriez-vous nous en dire davantage sur l'ambition et les moyens affectés à cette stratégie, notamment aux programmes AUV et ROV ?

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On a l'impression que la Russie, dont le président fait preuve d'un positionnement très démonstratif, est seule face à l'Europe et aux États-Unis. Les commentateurs n'évoquent pas le rôle joué par la Chine dans ce dossier. Pourtant, je m'interroge : il y a quelques mois, suite à de graves troubles, l'armée russe est intervenue au Kazakhstan très rapidement – elle en est repartie tout aussi vite. Cela aurait-il un lien avec le fait que la Chine a de forts intérêts économiques dans ce pays ? Les Nouvelles Routes de la soie, des investissements lourds portés par la Chine, traversent la Russie et arrivent aux portes de l'Ukraine et de la Biélorussie. Par ailleurs, l'armée chinoise est très présente en Méditerranée, et la Chine est fortement implantée sur les marchés africains.

Mes collègues ont largement parlé de cette question sous l'angle européen, et je les rejoins, mais je souhaiterais connaître votre avis sur les intérêts chinois en jeu.

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J'ai bien compris que vous laisserez au Président de la République la primeur de la réponse ; cependant, je souhaite vous interroger, à la suite de mes collègues Jean-Jacques Ferrara et Jean-Louis Thiériot, sur la situation au Sahel : comment poursuivre notre engagement sans l'appui de nos bases ? Quelles options de repli se présentent à nous ? Quel est l'avenir de la force Takuba ?

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En cette période troublée, il est rassurant de voir notre pays, sous l'impulsion du Président de la République, retrouver un rôle de premier plan dans les tentatives d'apaisement des tensions.

Dès le mois d'octobre, la France et quatorze autres États intervenant au Mali ont dénoncé la présence de la société militaire privée russe Wagner dans le pays, signe d'un rapprochement entre la junte militaire et les autorités russes. La présence de la milice a été confirmée par les États-Unis en janvier.

Pourriez-vous réaffirmer la position de la France face aux actions du groupe Wagner, qui, sans avoir de lien officiel avec le gouvernement russe, est réputé proche du Kremlin ?

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Pourriez-vous nous faire part de la teneur des discussions entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine au sujet du Mali et de l'entreprise Wagner, lors du déplacement du Président de la République à Moscou ?

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Les tensions internationales font exploser le prix des énergies et des carburants. Dans la mesure où les armées sont très dépendantes des carburants, ne faudrait-il pas organiser un sommet des armées européennes pour mettre en place une réelle synergie en matière de transition énergétique ? C'est un sujet qui me tient à cœur, et sur lequel nous avons déjà eu l'occasion d'échanger.

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Florence Parly, ministre des Armées

Je commencerai par les questions sur l'évolution de notre présence au Sahel, la manière de s'y prendre et la reconfiguration de notre dispositif.

D'emblée, il y a des choses que je ne sais pas vous dire – j'insiste sur le terme « sais ». Car, je l'ai souvent dit devant cette commission, nous ne sommes pas seuls au Mali. Le temps où la France imposait ses choix et décidait unilatéralement appartient au passé. De nombreux pays européens nous ont rejoints et c'est avec nos partenaires africains, qui nous ont demandé de venir, que nous devons construire les solutions.

Ce dont je suis certaine, c'est que la France et ses partenaires veulent continuer le combat contre le terrorisme au Sahel et en Afrique de l'Ouest, d'abord et avant tout pour garantir la sécurité des populations du Sahel et d'Europe.

Au-delà du refus de la junte malienne de tenir ses engagements vis-à-vis de la communauté internationale, nous devons faire avec un intrus : la société de mercenaires Wagner. Cette société, dont les liens avec la Russie sont très clairs – le président Poutine a nié dans un premier temps la connaître, avant d'admettre qu'il la connaissait bien – n'a pas pour objet de stabiliser les pays africains où elle est présente. Son but, c'est la prédation. Son modèle économique consiste à se payer sur la bête, et lorsque la bête ne produit pas assez, comme la République centrafricaine (RCA) avec ses ressources minières, Wagner prélève directement à la source en puisant dans les ressources douanières de l'État. Outre que ce schéma n'est pas pérenne, nous craignons qu'il ne déstabilise des pays déjà très fragiles.

Nous poursuivrons notre combat contre le terrorisme au Sahel, animés par plusieurs principes. D'abord, une coopération plus marquée. Pendant longtemps, nous avons combattu « à la place de », puis nous avons combattu « avec ». À l'avenir, nous voulons aider les armées du Sahel à combattre. Ce projet de longue haleine doit s'inscrire dans une action plus globale, dont l'intervention militaire ne constitue qu'une petite brique, pour aider au retour de la stabilité.

Pour cette action en soi fort délicate, il faut compter sur l'engagement sans faille des autorités. Je vous ai expliqué pourquoi les conditions n'étaient pas réunies pour poursuivre efficacement ce combat au Mali.

Je ne peux pas anticiper sur la discussion qui aura lieu demain soir avec les chefs d'État et de gouvernement africains et européens réunis à Paris par Emmanuel Macron. Je ne peux que rappeler les grandes lignes qui fondent l'engagement de la France et de ses partenaires au Sahel, depuis plusieurs années. Nous ne voulons pas déserter le terrain de la lutte contre le terrorisme et nous ne voulons pas abandonner ces pays. Si leurs autorités considèrent qu'elles ont besoin de nous, elles bénéficieront de notre soutien.

Ce n'est pas tout à fait par hasard que je me suis rendue au Niger il y a quelques jours. Le Niger est engagé dans le combat contre le terrorisme et la capacité de ses armées, éprouvée à de nombreuses reprises, est jugée opérationnelle. Ce pays accueille sur son territoire d'autres forces armées avec lesquelles il coopère, et il est proche de la zone des trois frontières où nous avons tant investi ces dernières années. Si ses autorités le souhaitent – elles sont souveraines –, le Niger aura un rôle important à jouer. Les modalités sont encore à définir, mais, de son côté, la France est déterminée à poursuivre le combat aux côtés des forces nigériennes.

Le redéploiement est en partie réalisé et vous en connaissez les modalités. Quand bien même la junte malienne n'aurait pas opéré les ruptures que l'on sait, nous avons devant nous un travail important pour mener à son terme l'opération logistique très lourde qui consiste à évacuer les trois emprises du Nord-Mali. En effet, après avoir désengagé Kidal, Tombouctou et Tessalit, nous avons stocké énormément de matériel sur la base de Gao.

Les discussions qui se tiendront à Paris demain soir nous permettront sans doute d'avancer et de compléter votre information en tant que de besoin – le Premier ministre a proposé de s'exprimer devant vous la semaine prochaine.

Les pays européens qui participaient à Takuba souhaitent pouvoir prolonger d'une manière ou d'une autre leur engagement. Que restera-t-il de l'esprit de Takuba dans les travaux que nous menons au sujet de la boussole stratégique ? Les coalitions ad hoc – car Takuba n'était pas une opération de la PSDC (politique de sécurité et de défense commune) – y sont précisément mentionnées, y compris dans la dernière version à laquelle nous avons travaillé, comme contribuant aux opérations menées par l'Union européenne. On l'a très bien vu au Mali : Takuba s'inscrivait, aux côtés de l'EUTM, dans un continuum allant de la formation au combat, ce qui répondait aux besoins des armées. On retrouvera donc trace, sinon de Takuba, du moins de ces coalitions ad hoc.

La zone Sahel, ainsi que la zone Méditerranée – elles s'emboîtent et constituent ensemble la frontière sud de l'Europe – feront partie des priorités de la boussole stratégique.

Il est certain que la question de la présence militaire au Sahel sera abordée dans le cadre du sommet Union européenne-Union africaine des 17 et 18 février, mais la défense et la sécurité ne seront pas les seuls sujets à l'ordre du jour. L'ensemble des partenariats développés par l'Union européenne au fil des ans, dans les domaines économique, humanitaire ou de la formation, seront évoqués.

Qu'elles proviennent de l'Union européenne ou de la France, les aides budgétaires au Mali ont été suspendues ; l'aide publique au développement a été maintenue. Nous cherchons à vérifier que les autres institutions internationales, comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), qui contribuent par différents canaux à soutenir financièrement le Mali, n'adoptent pas des positions contraires aux sanctions décidées par la CEDEAO et l'UEMOA. Le ministre des affaires étrangères mène des actions vis-à-vis de ces institutions pour s'assurer que nous agissons de façon cohérente.

Vous m'avez interrogée sur la guerre informationnelle. Bien sûr, il y a des enseignements à tirer. Les armées ont compris qu'il fallait de plus en plus intégrer dans leur action quotidienne, et de façon native, des éléments de « lutte » informationnelle – pour user d'un terme moins agressif. Mais il y a une asymétrie, que nous avons reconnue lorsque j'ai présenté la doctrine militaire de lutte informatique d'influence : il y a des choses que nous ne nous autorisons pas à faire. Combattre la désinformation ou la manipulation de l'information ne suppose pas, en retour, de colporter des informations qui ne seraient pas exactes. Cela ne fait pas partie, à ce stade, de notre doctrine.

On voit bien la profonde asymétrie entre des pays comme les nôtres, qui respectent certaines valeurs, parce qu'ils sont des démocraties, et un pays tel que la Russie, qui se dote de moyens profondément différents. En fonction des cas et de ce qui est le plus avantageux pour les autorités, le groupe Wagner existe ou non, et il a ou non des liens avec la Russie.

Sans entrer dans les détails, la surveillance systématique des réseaux sociaux et la riposte lorsque certaines choses fausses sont repérées sur les réseaux doivent devenir une seconde nature. Tout le monde peut être concerné : on m'a ainsi prêté sur Twitter des propos selon lesquels j'aurais décidé d'installer des forces françaises dans l'Azawad, ce qui était évidemment faux. Il faut être très attentif et bien coordonner tous nos moyens en matière de lutte informationnelle et en matière cyber. C'est pour cette raison que nous avons créé un commandement de la cyberdéfense.

Les cyberattaques sont un sujet de préoccupation pour l'OTAN. Elle travaille sur cette question, en lien avec l'Union européenne, qui a développé des compétences dans ce domaine. Néanmoins, les cyberattaques ne sont pas susceptibles de conduire à l'application de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. L'objectif est de créer une solidarité par la mise en commun de nos savoir-faire et de nos expériences, par un partage des bonnes pratiques.

Dans le cadre de l'actualisation de la LPM, nous avons souhaité accélérer certains programmes pour répondre à l'amplification des menaces hybrides. Nous avons ainsi renforcé les moyens – notamment en personnels – dans le renseignement et le cyber. Par ailleurs, nous avons décidé d'investir pour rattraper notre retard, jugé considérable dès 2017, en matière de défense NRBC – nucléaire, radiologique, biologique et chimique.

Nous disposons bien de moyens de renseignement souverains qui nous permettent de développer nos propres analyses sur la situation en Ukraine. Nous avons renouvelé la totalité de nos capacités satellitaires d'observation, d'écoute et de communication, et nous utilisons les avions de reconnaissance et d'écoute, les Atlantique 2 et les Gabriel, ainsi que les Rafale, qui permettent aussi d'apprécier des situations, ou encore les navires qui ont été déployés dans la mer Noire. Nous avons orienté des capteurs vers l'Ukraine depuis l'automne. La question qui se pose ne concerne pas tant ce que nous observons que les conclusions à en tirer. Si nous voyons les mêmes choses que nos partenaires, nous n'en tirons pas nécessairement les mêmes conclusions. C'est pour mener nos propres analyses que nous continuons d'investir dans des capacités souveraines.

Nous n'avons pas souhaité procéder à une évacuation anticipée de nos ressortissants, parce que nous ne savons pas ce que le président Poutine souhaitera faire des puissants moyens militaires qu'il a installés patiemment, semaine après semaine, aux frontières de l'Ukraine. Nous avons le sentiment qu'il n'a pas encore pris sa décision. Je reste prudente : ce n'est pas une science exacte. Tout le monde a vu les vidéos qui ont largement circulé hier. Elles font partie d'une mise en scène dont nous ne savons pas si elle est faite pour nous endormir ou si elle constitue vraiment la première étape d'une désescalade. Une attaque est-elle possible ? Oui. Est-elle plausible ? Oui, compte tenu des moyens accumulés. Est-elle imminente ? Je ne le sais pas.

La Russie doit compter avec la Chine, sur son flanc oriental, d'autant que celle-ci connaît un processus de militarisation très puissant. Néanmoins, je ne pense pas que la Chine soit aujourd'hui un acteur des tensions aux frontières de l'Ukraine.

J'ai annoncé hier, en compagnie du chef d'état-major des armées, une stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins. Ils font partie, avec le cyber, des nouveaux espaces de conflictualité. De même que des satellites espions se sont approchés de nos satellites d'une manière fort inamicale, nous avons vu des bateaux océanographiques s'approcher – et ce n'était pas un pur hasard – des câbles sous-marins qui assurent les communications entre l'Europe et les États-Unis. Les fonds marins sont clairement devenus un enjeu stratégique pour nos communications et pour la souveraineté de notre zone économique exclusive, la deuxième au monde.

Ce que nous avons voulu faire est assez pionnier : aucun pays ne s'est emparé de la question comme nous. Pour moi, le déclic s'est produit lorsque des familles nous ont demandé de relancer une campagne d'exploration pour retrouver l'épave de la Minerve. Nous avons dû faire appel à des moyens appartenant à des sociétés américaines car nous n'avions pas les capacités nécessaires. Cette situation n'étant pas acceptable, nous nous sommes fixé l'ambition d'atteindre 6 000 mètres à partir de 2025, et nous avons déjà commencé à développer des technologies.

Je crois que vous avez assisté, monsieur Larsonneur, à la démonstration du prototype d'un système de drones anti-mines navales. Ce sont des technologies utiles pour atteindre des fonds plus profonds. Nous fléchons, au sein de la loi de programmation militaire, qui est vivante, les financements nécessaires pour atteindre notre objectif en 2025. Cela suppose aussi que nos industriels se mobilisent. Je vous invite à exercer une pression sur eux, vous aussi, pour qu'ils s'emparent de ce sujet.

Monsieur Gassilloud, je préfère apporter, très vite, une réponse écrite à votre question relative au contrat opérationnel.

J'ai déjà parlé de la société Wagner. Nous avons condamné fermement l'implantation de cette milice au Mali, comme tous nos alliés, pour les raisons que j'ai expliquées. Son modèle économique repose sur la prédation et sa présence est susceptible de s'accompagner d'exactions à l'égard des populations – c'est aujourd'hui le cas en RCA, même si ces exactions sont très difficiles à documenter pour la MINUSCA, les mercenaires lui interdisant d'accéder aux zones concernées. De telles milices ne contribueront en rien à résoudre les problèmes des pays sahéliens ; elles ne peuvent, au contraire, qu'aggraver leur situation. En revanche, la société Wagner a une fonction très précise et très utile pour la junte : c'est une sorte d'assurance vie, pour rester au pouvoir le plus longtemps possible.

Nous nous sommes emparés de la question de la transition énergétique au niveau national dans le cadre d'une stratégie destinée à contribuer à notre souveraineté en réduisant nos dépendances et en intégrant la dimension environnementale – vous avez d'ailleurs œuvré en ce sens, monsieur Fiévet, et je vous en remercie. Dans le cadre du Forum de Paris sur la paix, en novembre, nous avons lancé une initiative qui a permis de réunir plus d'une vingtaine de pays autour des enjeux énergétiques. Leur prise en compte est une condition de la résilience de nos armées mais aussi de l'acceptation de leur présence sur le territoire national et en cas de projection à l'étranger.

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De retour du Gabon, je peux témoigner que les effets très dangereux et irréversibles de la présence du groupe Wagner en RCA commencent à être perçus et connus.

Merci, madame la ministre, pour votre présentation de la situation au Mali. Nous nous réjouissons de pouvoir en débattre mardi 22 février, dans le cadre de l'article 50-1 de la Constitution, après les annonces qui doivent être faites.

Nous resterons attentifs à la situation en Ukraine. Je crois que nous pouvons tous nous féliciter de l'initiative du Président de la République. Il fait tout, au quotidien, avec d'autres pays européens, qui sont également très actifs – et c'est une petite note d'espoir –, pour essayer d'arriver à une désescalade.

Je tiens aussi à vous remercier, madame la Ministre, pour votre action durant cette période de reconstruction, de remontée en puissance. Vous avez fait preuve de pugnacité pour que des progrès à hauteur d'homme, concrets, soient réalisés. Les militaires l'apprécient. Les familles de ceux déployés au Gabon m'ont dit qu'elles percevaient une vraie différence. Nous vous le devons : nous tenons à vous dire notre reconnaissance pour l'immense travail que vous avez fait, avec vos équipes, d'une manière très déterminée.

(Applaudissements.)

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Enfin, au nom de l'ensemble de mes collègues, je vous remercie pour la qualité des relations, franches, professionnelles, régulières, transparentes et honnêtes, que nous avons eues et pour la disponibilité qui vous a caractérisée, comme l'ensemble de votre cabinet et de vos services.

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Florence Parly, ministre des Armées

J'ignore si j'aurai l'occasion de revenir devant votre commission : nul ne sait ce qui va se passer durant les prochaines semaines. Dans l'hypothèse où il s'agirait de ma dernière audition, je vous remercie pour le soutien infaillible que vous avez apporté à nos militaires. Vous l'avez réaffirmé aujourd'hui et j'y suis infiniment sensible.

Nous avons fait ensemble la loi de programmation militaire. Vous l'avez votée et je l'ai toujours présentée dans les unités et les régiments au nom du ministère des armées mais aussi en votre nom à tous. Cet effort collectif, qui est consenti par la nation, n'aurait pas été possible si vous n'aviez pas voté et soutenu, très largement, le texte. Je vous remercie de ce travail d'équipe pour nos militaires, qui sont au service de toute la nation.

Je vous remercie enfin pour la qualité des relations que nous avons nouées. Il me semble que c'est de cette manière que l'exécutif et le législatif doivent travailler ensemble. J'ai eu le bonheur d'être accueillie par votre commission dans un esprit constructif et avec des questions pertinentes.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Xavier Batut, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. François Cormier-Bouligeon, M. Rémi Delatte, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, Mme Anissa Khedher, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, M. Gérard Menuel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, M. Stéphane Vojetta

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, M. Christophe Castaner, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean Lassalle, M. Patrick Mignola, M. Joachim Son-Forget, M. Aurélien Taché, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson