Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 14h30

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La réunion

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La séance est ouverte à 14 h 30

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

Audition, ouverte à la presse, de M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, sur la présidence française du Conseil de l'Union européenne

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Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de l'obligeance avec laquelle vous vous êtes prêté aux changements d'emploi du temps dus au caractère un peu émotif et mobile de nos débats autour du passe vaccinal. Vous nous parlerez de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), que le Gouvernement a choisi de placer sous le signe de la relance, de la puissance et de l'appartenance.

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Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes

Je remercie votre commission de s'intéresser de près au sujet de la présidence française de l'Union européenne. Je serai le plus concret possible en rappelant quelques éléments transversaux de cette treizième présidence française du Conseil de l'Union européenne, qui a commencé il y a quelques jours et dont le Président de la République a indiqué les grandes orientations dans sa conférence de presse du 9 décembre.

Une présidence ne consiste pas à inventer des sujets le 1er janvier pour en avoir terminé exhaustivement le 30 juin. Elle implique un important travail de compromis et de négociation d'une des institutions européennes – le Conseil – avec les autres, notamment le Parlement européen. Le Président de la République a d'abord parlé d'une Europe « plus souveraine », terme qui recouvre quelques thèmes d'avancées aussi concrètes que possible. Le premier est la question migratoire. Le pacte européen sur la migration et l'asile constitue un objet européen extrêmement complexe et qui divise encore les États membres, disons-le franchement. Nous tâcherons, en particulier avec Gérald Darmanin, de le faire avancer autant que nous le pourrons pendant ce semestre. Il faudra sans doute adopter une approche graduée ou graduelle pour essayer d'en extraire un certain nombre d'éléments, comme l'enregistrement des personnes demandant l'asile ou les mécanismes de solidarité. Je ne pense pas que nous pourrons atteindre un accord complet au cours de ce semestre, si tant est que cela puisse se faire un jour, ce pacte étant probablement, dans l'ensemble de textes européens, celui qui suscite le plus d'opposition. Cela n'empêche pas d'avancer, dans le pacte ou à côté de lui, concernant les éléments prioritaires et très utiles en matière de protection des frontières et de politique migratoire. C'est dans cet esprit que le Président de la République avait insisté sur la question de Schengen et des frontières.

Nous avons l'intention de progresser dans deux domaines. Début février, se tiendra, pour la première fois, un conseil des ministres de l'intérieur en format Schengen. Il s'agit de s'inspirer de ce qui se pratique politiquement et informellement pour l'euro, en organisant une réunion des pays concernés par la protection des frontières et les contrôles aux frontières extérieures dans le cadre de Schengen, y compris ceux qui ne sont pas dans l'Union européenne ou qui y sont sans être dans Schengen. Ce format Schengen sera donc retenu pour initier et répéter régulièrement une discussion sur les contrôles aux frontières extérieures, l'échange de données, les bonnes ou mauvaises pratiques, afin de les corriger et, si besoin, à terme, les sanctionner. Ce pilotage politique est très important. Il commencera très opérationnellement dès le mois prochain.

Le Président a également émis l'idée d'un mécanisme de déploiement rapide, en complément de Frontex ou en son sein, d'agents de police et de sécurité des différents États membres pour répondre à des crises, comme celles qui se sont développées ces dernières semaines aux frontières polonaise, lituanienne et lettone après que la Biélorussie a organisé et instrumentalisé un flux migratoire. Nous devons pouvoir aider un pays qui le souhaiterait plus rapidement et plus fortement que Frontex a pu le faire pour la Lituanie, à la demande de celle-ci.

La souveraineté, c'est aussi la question de la politique étrangère et de la stratégie européenne de sécurité et de politique extérieure – qui intéresse plus directement votre commission. Cette semaine se tient à Brest la première réunion ministérielle informelle de la présidence avec les ministres des affaires étrangères et de la défense, qui sera animée par Jean-Yves Le Drian et Florence Parly à compter d'aujourd'hui. Y seront discutées l'actualité, dont la crise russo-ukrainienne, en présence du secrétaire général de l'OTAN et, plus largement, la « boussole stratégique », une forme de Livre blanc européen de défense et de sécurité dont nous manquons. Tout ne sera pas réglé par un document stratégique, mais cela pourrait ajouter une vision stratégique commune écrite et agréée à notre panoplie. Par exemple, dans le passé, nous avions bien progressé avec les Battle Groups mais ces unités opérationnelles, qui pouvaient être déployées à l'extérieur, ne l'étaient pas faute d'une analyse commune au niveau européen des menaces, des dangers et des opérations extérieures. Cette « boussole stratégique » devrait être adoptée au Conseil européen de fin mars. À cet égard, je salue les propositions émises dans le rapport sur l'indépendance stratégique de l'Europe, remis hier par Didier Quentin et Maud Gatel.

Nous aurons aussi à renforcer certaines actions et relations avec des partenaires proches de l'Europe. Dans la zone des Balkans occidentaux, en particulier, un processus de négociation d'adhésion pour certains pays et de candidatures pour d'autres est engagé, mais la Bulgarie bloque les négociations avec la Macédoine du Nord – donc de l'Albanie. Pour autant, nous ne devons pas résumer à cela notre relation avec les Balkans occidentaux. Il importe de stabiliser le plus possible cette région qui se trouve à nos portes et qui constitue autant une voie de passage qu'une zone de fragilité. La sécuriser est un intérêt national et européen. C'est l'objectif de cette conférence consacrée aux Balkans occidentaux annoncée par le Président de la République pour la fin du semestre, qui porterait sur des questions très concrètes d'investissements, d'infrastructures et de politique énergétique, dans l'objectif de renforcer la stabilité et la prospérité dans les six pays concernés.

Avant cela, le Président de la République organisera les 17 et 18 février à Bruxelles, avec Charles Michel, un sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine pour aborder les questions de sécurité et de migrations, qui sont régulièrement au cœur de notre relation avec l'Afrique, mais aussi celles du développement, de la production de vaccins et de l'accès à la santé ou encore de la transition énergétique, extrêmement coûteuse et difficile à réaliser en Afrique. Tous ces sujets sont liés à la question migratoire, qui sera d'autant plus sensible et durable qu'il n'y aura pas de stabilité durable. Nous avons besoin d'élargir notre partenariat avec l'Afrique, et des annonces financières et concrètes se préparent en vue de ce sommet.

Deuxième grande orientation de cette présidence : mettre sur pied un nouveau modèle européen de croissance et d'investissement. L'actuel modèle a tenu bon durant la crise sanitaire et sociale liée au covid ; il a même montré sa force, non seulement par l'action directe de l'Union européenne en matière de vaccin ou de relance, mais aussi par les mesures prises par chacun des pays, qui étaient assez similaires. Le chômage partiel, la protection des emplois, entre autres, sont des mesures extrêmement puissantes, et sans doute uniques. La combinaison consistant à préserver à la fois notre vie démocratique – parfois au prix de polémiques attestant de sa vitalité – et la solidarité économique et sociale n'a été trouvée, avec une telle vigueur, et de l'échelon local à l'échelon européen, que dans la seule Europe.

Cet attachement au modèle européen, nous devons le prolonger en le renforçant. Nous autres Européens, nous ne saurions rater collectivement notre sortie de crise, comme cela avait été le cas il y a une dizaine d'années en revenant trop vite à des règles budgétaires qui ne sont plus adaptées ou en ignorant les grands secteurs d'avenir dans lesquels il faudra investir dans les dix prochaines années : hydrogène, innovations en santé, spatial, etc. Nous n'avons pas encore construit cela. L'ambition du sommet informel des chefs d'État et de Gouvernement qui sera organisé les 10 et 11 mars en France est de travailler à ces questions. C'est, au fond, l'Europe de 2030 ou 2035 qu'il s'agit de mieux définir.

Dans le cadre de ce nouveau modèle ou de ce modèle européen adapté, nous travaillons intensément à l'aboutissement de trois grands dossiers. Sur le plan climatique, d'abord, un paquet législatif vise à traduire l'objectif de neutralité carbone 2050 en mesures concrètes, sectorielles et précises. L'Union européenne serait ainsi la première zone du monde à se fixer l'objectif de neutralité carbone 2050 et à le traduire ainsi dans les faits. À l'évidence, nous n'achèverons pas la discussion de l'ensemble des treize textes pendant le semestre de présidence française du Conseil. J'insiste cependant sur celui qui participe de l'indépendance stratégique et l'autonomie européenne, qui concerne le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, improprement résumé en « taxe carbone ». Ce mécanisme est assez simple : il s'agit d'exiger que ceux qui exportent des États-Unis, de Chine, d'Inde ou d'ailleurs vers l'Europe, respectent, au moins dans des secteurs industriels très exposés à la concurrence internationale, les mêmes exigences environnementales, notamment le même prix du carbone. On ne peut pas demander à nos constructeurs automobiles, à nos sidérurgistes ou à nos producteurs d'énergie d'engager cette coûteuse transition, tandis que les mêmes produits venant de l'extérieur ne seraient soumis à aucune exigence environnementale. Le mécanisme carbone, qui doit être instauré de manière progressive et pragmatique, dans quelques secteurs au départ pour vérifier son fonctionnement, vise à assurer cette équité.

Le deuxième grand sujet qui constitue un élément essentiel du modèle européen est la transition numérique. La volonté existe au niveau européen – et c'est la bonne échelle pour en avoir la capacité – de réguler les grands acteurs du numérique et les grandes plateformes, autrement appelés les GAFA. L'idée est simple : il s'agit de leur imposer un régime de responsabilité juridique. On ne peut plus vivre dans la législation européenne de l'irresponsabilité – une forme de fiction ! – qui prévaut depuis 2000. Sur une place de marché où nombre de nos concitoyens achètent des produits tous les jours, un moteur de recherche bien connu ou des réseaux sociaux bien identifiés ne peuvent pas considérer qu'ils sont des tuyaux dans lesquels seul celui qui injecte le produit ou le contenu est responsable. Eux-mêmes ont une responsabilité, ce débat est connu. Les deux textes essentiels que sont le DSA, Digital Services Act, et le DMA, Digital Marketing Act, au sujet desquels les discussions ont commencé hier avec le Parlement européen, nous procurent la possibilité d'avoir, en Europe, les premières régulations systématiques des grands acteurs du numérique.

Le troisième grand aspect de ce modèle européen qui nous tient à cœur est la question sociale. L'Europe sociale est restée quelque peu abstraite et les réalisations dans ce domaine sont indéniablement trop lentes ou insuffisantes. La réforme du travail détaché marque néanmoins un progrès et la directive relatives aux salaires minimaux en Europe pourrait être adoptée pendant le semestre de la présidence française. On parle un peu moins de deux autres textes, qui sont pourtant essentiels et peuvent porter des changements législatifs importants sous cette présidence. Ils touchent tous deux à l'égalité femmes-hommes dans le monde de l'entreprise : une directive relative à la transparence salariale, assez proche de notre index égalité, et une directive, ancienne mais bloquée depuis longtemps, relative à la représentation des femmes dans les instances dirigeantes des entreprises, à la manière de ce que nous avons déjà en France.

Je signale également la question essentielle de l'État de droit et des valeurs de l'Union européenne. Nous aurons aussi à connaître, probablement vers la fin de la présidence française, le début de l'application du mécanisme dit de conditionnalité, qui renforce le contrôle du respect de valeurs fondamentales inscrites dans nos traités de l'État de droit, comme l'indépendance de la justice ou la lutte contre la corruption. Pour conserver la cohérence entre la solidarité budgétaire européenne et le respect de valeurs communes, un règlement permet, le cas échéant, de suspendre ou retarder le paiement de financements européens, par décisions prises à la majorité qualifiée – c'est là le vrai changement. Aujourd'hui, nos outils sont relativement limités compte tenu de l'application en la matière de la règle de l'unanimité.

Pour finir s'agissant de ce modèle européen, au mois de mai se conclura la conférence sur l'avenir de l'Europe dont il faudra tirer les conclusions en matière de politiques conduites ou, à plus long terme, de réforme de nos institutions européennes.

La troisième orientation évoquée par le Président de la République est de donner à l'Europe une dimension humaine, de susciter un sentiment d'appartenance, conformément à la devise de cette présidence : « relance, puissance, appartenance ». Ce n'est ni anecdotique, ni la dernière case à cocher dans le programme d'une présidence. Nous y tenons beaucoup. Sans penser tout régler en quelques mois, nous nous attacherons à renforcer ce sentiment par des programmes, des symboles européens. Ce n'est pas une lubie de quelques proeuropéens excessifs. Avoir le sentiment de participer à un projet politique est absolument nécessaire, quelle que soit la nature de ce projet – et celle du projet européen est nécessairement particulière. La question des valeurs de l'État de droit en fait partie, tout comme des programmes bien connus mais souvent trop anecdotiques, comme Erasmus. C'est dans cet esprit que le Président a parlé d'un « service civique européen pour tous » – votre collègue Sylvain Waserman s'est d'ailleurs beaucoup impliqué, avec d'autres, dans ce dossier. C'est là une proposition concrète, budgétaire et législative, que nous voulons faire aboutir au cours de notre semestre de présidence, et pour laquelle il reste encore un travail technique à effectuer avec la Commission européenne. Ce n'est pas simplement une affaire de budget ou de quelques directives ou règlements ; l'idée promue est celle de l'appartenance à un projet qui dure. La célébration du trente-cinquième anniversaire d'Erasmus, dans quelques jours, sera l'occasion de partir de cet acquis pour l'élargir.

Les universités européennes, qui sont une quarantaine à ce jour, participent également de ce projet. Le dispositif est un succès. Il a rapproché des centres universitaires, des grandes écoles et des centres d'apprentissage européens. Nous pouvons aller plus loin, avec des doubles diplômes et des cursus complètement intégrés. Nous organiserons un événement en ce sens dans la seconde moitié de la présidence française.

Je ne ferai que citer quelques autres initiatives que le Président de la République a évoquées le 9 décembre, dont l'idée d'une Académie d'Europe qui pourrait réunir dans toutes les disciplines, de manière permanente ou régulière, des intellectuels et des universitaires pour éclairer le débat public et les questions éthiques qui se posent partout, comme la fin de vie ou d'autres sujets qui traversent nos sociétés.

Je termine avec quelques éléments pratiques. Je n'égrainerai pas les 20 réunions ministérielles et les 400 événements qui forgent la présidence française, sinon pour dire que cette semaine, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et Florence Parly réunissent leurs homologues, et que la semaine prochaine, le Président de la République interviendra, comme c'est la tradition, devant le Parlement européen pour présenter et échanger au sujet du programme et des grands axes de la présidence française. Un sommet réunissant l'Union européenne et l'Union africaine se tiendra à la mi-février. Un autre sommet informel se tiendra en France début mars. La conclusion de la conférence de l'Europe interviendra en mai. Je n'oublie pas les nombreux événements parlementaires, dont une première réunion, dans un format restreint, de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) dès cette semaine. J'y participerai. Une réunion plénière sera également organisée début mars, importante pour faire vivre la dimension parlementaire, à laquelle tient beaucoup le président Ferrand, de cette présidence.

Nous vivons cette présidence encore sous contraintes sanitaires. Nous en avons donc adapté les modalités : jusqu'au 4 février, tous les événements se tiennent de manière dématérialisée, à l'exception des réunions ministérielles – avec un protocole sanitaire renforcé.

Je veux conclure par une pensée pour la présidente Marielle de Sarnez, dont nous allons célébrer le premier anniversaire de la mort, et pour son engagement européen qui nous engage tous. J'aurai aussi une pensée pour David Sassoli, le président du Parlement européen qui a disparu dans la nuit de lundi à mardi. Le président Ferrand l'a évoqué hier dans l'hémicycle et nous lui rendrons également hommage au Parlement européen la semaine prochaine, en tant que présidence du Conseil.

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La présidence française de l'Union européenne offre une occasion historique de donner un élan et un nouveau rêve européen. La présidente de la Commission a d'ailleurs salué les efforts de préparation consentis par la France. Ces dernières années, l'Europe a connu des épreuves, à commencer par le Brexit, mais, l'expérience de la crise sanitaire l'a démontré avec le plan de relance et les vaccins, ensemble nous sommes plus forts.

Le groupe LaREM porte dans son ADN un attachement indéfectible à l'idéal européen. Pour nous, la grandeur de la France est inséparable de la construction européenne. Le 9 décembre dernier, le Président de la République a explicité les maîtres mots de la présidence française européenne : « relance », pour réussir les transitions écologique et numérique ; « puissance », pour défendre nos valeurs et nos intérêts ; « appartenance », pour développer un imaginaire commun. L'Europe ne pourra reconquérir ses citoyens qu'à condition de changer la vie, mais aussi de toucher au cœur. Le 9 décembre également, vous avez vous-même présenté les symboles de la PFUE – emblème, devise et même une pièce de monnaie.

Ce nouvel élan passe par un modèle économique renouvelé. Pour cela, nous sommes particulièrement attachés à l'aboutissement des trois chantiers que vous avez rappelés : l'instauration d'une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne, la régulation et la responsabilisation des plateformes numériques et l'adoption d'une législation relative aux salaires minimums. Cet élan passe également par la notion de souveraineté européenne, avec notamment la politique migratoire revisitée et une protection adaptée des frontières extérieures. Ce sujet de fracture doit devenir un espace de solidarité entre les États-membres.

Nous devons nous doter d'une véritable Europe de la défense et de la santé face aux défis de demain. Les citoyens appellent de leurs vœux une Europe plus humaine, une Europe des valeurs. Ce matin en commission des affaires étrangères, nous avons examiné le rapport d'information sur les droits des femmes dans le monde et l'application de la convention d'Istanbul, de nos collègues Frédérique Dumas et Brigitte Liso. La présidence française pourrait-elle marquer un moment important pour élargir la ratification de cette convention essentielle à nos valeurs aux six derniers pays membres ?

Dans le domaine de l'Europe de la culture, le groupe La République en Marche salue la « semaine des cafés européens », que vous soutenez. Le café, lieu de rencontres et de débats, est l'institution européenne par excellence. Pouvez-vous en rappeler la date prévue ? On pense à ces pages de Stefan Zweig qui décrit dans Le Monde d'hier, souvenirs d'un Européen les cafés de sa jeunesse dans lesquels l'individu rencontre l'universel par la culture.

L'envie d'Europe est forte. Pouvez-vous faire un point sur les travaux de la conférence sur l'avenir de l'Europe. Comment comptez-vous rassembler nos partenaires pour atteindre les objectifs de la présidence française de l'Union européenne ?

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L'agenda est très chargé ! Quelles sont les attentes des États membres, en particulier de nos principaux partenaires, vis-à-vis de la présidence française de l'Union européenne ?

Le ministre Bruno Le Maire a récemment annoncé que Paris allait investir 8 milliards d'euros dans les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), dans cinq grands secteurs : les batteries électriques, les semi-conducteurs, l'hydrogène, la santé et le cloud. L'objectif est de doter l'Europe de nouvelles chaînes de valeur et de faire jeu égal – c'est ambitieux – avec la Chine et les États-Unis dans toutes les technologies critiques ou de rupture. Nous pouvons collectivement nous en réjouir. Quelles sont les priorités de la PFUE en la matière ?

Dans notre rapport consacré à l'autonomie stratégique de l'Union européenne, Maud Gatel et moi-même formulons une série de propositions, dont la création d'une DARPA, Defense Advanced Research Projects Agency, européenne. Celle-ci serait un amplificateur ou un « levier d'Archimède » pour des projets d'innovation sur notre vieux continent. La France entend-elle défendre une telle initiative pour financer des innovations technologiques majeures, afin de demeurer dans la compétition mondiale ?

Enfin, le Gouvernement pense-t-il pouvoir ou a-t-il la volonté d'intégrer le nucléaire dans les énergies de transition et, à ce titre, bénéficier de financements européens ?

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La crise de la covid a permis en Europe des avancées majeures, que l'on n'espérait peut-être pas aussi tôt, notamment les plans d'investissement et de relance massifs, et la dette commune. Toutefois, aux yeux des citoyens, ces avancées n'ont de sens que si des ressources propres les accompagnent, qu'aucun pays à lui seul ne serait à même de mobiliser. Tel est bien le cas du mécanisme d'ajustement aux frontières : aucun pays seul n'est capable de le mettre en place, ce serait économiquement suicidaire.

La France a un rôle particulier à jouer pendant cette présidence, puisqu'une avancée significative pourra être obtenue dans le domaine des ressources propres par le biais d'un sujet de développement durable. L'enjeu, pour nous, n'est pas seulement de pouvoir prendre des mesures de développement durable et de transition énergétique pour notre pays, il est aussi d'asseoir notre capacité d'influence. En 2019, la France figurait au premier rang d'un classement américain au regard de son soft power – sa capacité d'influence. Plusieurs facteurs convergent, qui nous offrent l'opportunité de donner un sens au modèle à travers des ressources propres et de gagner en capacité à utiliser notre influence – probablement décuplée par la présidence. Quelles sont nos chances et les forces en présence pour réussir ce moment historique ?

Par ailleurs, je suis très heureux que le service civique européen soit intégré dans cette dynamique de la présidence française. En tant que représentant de l'Assemblée nationale au comité stratégique du service civique, je puis affirmer que cette initiative est fort appréciée par la communauté du service civique.

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Je l'ai déjà dit lors de la présentation du rapport de nos collègues Maud Gatel et Didier Quentin sur les enjeux stratégiques de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, je considère que le choix de ne pas avoir interverti ce semestre avec celui d'un autre État membre, afin d'éviter le télescopage avec les échéances électorales, est non seulement une faute politique, mais également un problème démocratique d'égalité de traitement entre les candidats.

La treizième présidence française de l'Union européenne depuis 1959 sera exceptionnellement courte, puisqu'elle s'achèvera de fait après le Conseil européen des 24 et 25 mars 2022, en raison de la nécessaire période de réserve à respecter dans le cadre des élections présidentielles. La période utile sera de trois mois, ce qui laisse peu de temps pour trouver des compromis et faire aboutir les négociations sur les initiatives législatives en cours. Le Gouvernement devrait viser au moins trois ou quatre domaines concrets, qui pourraient faire l'objet d'un accord, au moins de principe, et constituer le bilan de cette PFUE : la régulation des géants du numérique, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, l'application du plan de relance européen, la nouvelle stratégie pour réformer l'espace Schengen de libre circulation, la directive relative aux salaires minimaux ou l'autonomie industrielle de l'Union européenne, avec notamment une initiative concernant les semi-conducteurs.

Nous avions également évoqué, lors de la présentation du rapport Gatel-Quentin, le sujet majeur de la défense et de la sécurité. Quelles propositions pourraient être faites en la matière, pour éviter à la France de continuer à agir trop seule, comme c'est le cas au Sahel ou au Levant ?

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Les ambitions sont fortes pour les six prochains mois sous présidence française de l'Union européenne. Quel équilibre la France pourra-t-elle trouver durant cette période en cas de positions divergentes avec celles de l'Union européenne ? Je pense au dernier arrêté relatif au CBD : la France s'est positionnée contre la vente des fleurs et des feuilles, alors que l'Union européenne et la Cour de justice ont demandé à tous les pays membres d'autoriser cette vente dès lors qu'aucune étude ne démontre l'existence de risques.

Quel tour vont prendre les relations entre l'Union européenne et l'Union africaine compte tenu des nouvelles puissances qui se sont installées sur le continent africain ces dernières années ? Les valeurs communes que vous évoquiez ne sont pas toujours partagées par la Russie et la Chine.

Enfin, à la suite de la présentation du rapport de Brigitte Liso et Frédérique Dumas sur les droits des femmes dans le monde et l'application de la convention d'Istanbul, de quels leviers supplémentaires pourrions-nous disposer durant la PFUE, pour donner plus de visibilité et de poids à cette cause ? La France la défendait déjà en son nom ; comment la défendrons-nous au titre de la présidence de l'Union européenne pour mobiliser les États-membres qui ne veulent pas ratifier la convention ou l'ont ratifiée mais ne la respectent pas pleinement ?

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Au nom du groupe Libertés et Territoires, je voudrais d'abord rendre hommage à l'Italien David Sassoli. Les drapeaux européens qui flottent partout en France et ornent les bâtiments historiques dans notre pays saluent l'ouvrage politique considérable du président du Parlement européen, récemment décédé.

La France préside pour six mois le Conseil de l'Union européenne, dans ce contexte de pandémie assez singulier pour le continent. Cette présidence est une chance, celle de peser un peu plus qu'à l'accoutumée pour dire, à la manière française, quelle est l'Europe que nous voulons : celle qui fait écho à notre histoire, à nos valeurs et à notre compréhension des enjeux du futur et des défis, nombreux, qui s'accumulent. Le réchauffement climatique ou l'effondrement de la biodiversité ne sont pas des moindres. On ne peut pas non plus ignorer la crise sanitaire du covid-19 qui se prolonge et éprouve nos sociétés. Toutefois, cette crise masque un mal sans doute plus grand et plus profond qui frappe des millions d'Européens : la pauvreté et la précarité.

Or tout semble se passer comme si nous nous y étions habitués, sans vraiment chercher à améliorer le sort de ces concitoyens, ce que tout politique devrait chercher à faire. L'Union européenne connaît une crise de la dignité humaine. Eurostat, l'organisme officiel de la statistique européenne, évalue à 72 millions le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans l'Union européenne, soit près de 16,5 % de la population, ou un habitant sur six. N'allons pas faire semblant de croire que ce mal serait celui des autres, et pas de la France. Un récent rapport du Secours catholique sur l'état de la pauvreté dans notre pays constate qu'environ 7 millions de Français ont besoin de recourir à l'aide alimentaire et que plus de 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté.

L'Union européenne est fondée sur le triptyque de la démocratie, de l'État de droit et des droits fondamentaux. Or il n'y a pas de liberté dans la pauvreté et la précarité. La PFUE ne peut ignorer près du quart des citoyens européens, qui, plus que tout autre, ont besoin du soutien de la puissance publique. Quelles sont les actions de lutte contre la pauvreté et la précarité que la présidence française de l'Union européenne compte impulser ? En ferez-vous une priorité ?

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J'avais eu plaisir à retrouver M. Sassoli à l'Assemblée nationale et à échanger sur une partie de notre histoire commune – lui, du côté italien et moi, du côté du parti communiste français. Cela lui faisait très plaisir de se retrouver en présence de personnes qu'il avait croisées à la Fête de l'Humanité, il y a quelques dizaines d'années.

La France a travaillé de manière approfondie sur le devoir de vigilance des entreprises et adopté une loi sur ce sujet. Elle est tout à fait légitime pour hisser cette question à l'échelle européenne et profiter de sa présidence pour la faire avancer. En tant que puissance spatiale européenne, elle pourrait également profiter de sa présidence non seulement pour indiquer la poursuite de programmes en cours, mais aussi pour lancer des réflexions. Par une loi de 2008, par exemple, la France est la seule à imposer à ses constructeurs de satellites des systèmes de désorbitation. Dans le cadre de la PFUE, elle pourrait promouvoir cette loi à l'échelle européenne, voire à l'échelle internationale, avec l'ambition d'instaurer un code de bonne conduite qui ne soit pas entre les seules mains des États-Unis.

Dans le domaine spatial, l'Union européenne a une lecture complètement décalée. Ainsi, elle ne se positionne pas clairement sur le programme d'exploration lunaire Artemis que proposent les États-Unis : certains États membres les rejoignent, d'autres s'en remettent au multilatéralisme onusien. Comme avec l'OTAN, dans le domaine de l'espace, l'Union européenne se lie une nouvelle fois les mains avec les États-Unis, alors qu'elle prétend être une puissance indépendante.

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Clément Beaune, secrétaire d'État

Concernant la convention d'Istanbul, les droits des femmes font partie, avec l'égalité professionnelle, des priorités définies par la présidence française dans le volet social, notamment la lutte contre les violences. Un certain nombre d'événements sont prévus, particulièrement autour du 8 mars. Nous soutiendrons, avec Élisabeth Moreno, le pacte Simone Veil, pour lequel la Commission s'engagera dès la semaine prochaine, je l'espère. L'ambition est de s'inspirer des meilleures pratiques des différents États membres en matière de lutte contre les violences dans les législations et recommandations européennes. La convention d'Istanbul, qui relève du Conseil de l'Europe, constitue un acte majeur. Nous connaissons les difficultés, voire les reculs entraînés il y a quelques mois par la position turque. Cinq États membres n'ont toujours pas signé ou ratifié cette convention. Une récente décision de la Cour de Justice de l'Union européenne semble cependant ouvrir la voie à une adhésion de l'Union européenne en tant que partie directe, quand bien même tous les États membres ne l'auraient pas ratifiée. Sa portée serait surtout symbolique, mais il s'agirait d'un geste fort. Avant le début de la présidence française, j'ai également écrit, avec Élisabeth Moreno, à tous les États membres qui n'avaient toujours pas signé ou ratifié la convention pour leur demander d'avancer en ce sens. J'ai notamment bon espoir que le nouveau gouvernement de la République tchèque puisse franchir le pas.

La question culturelle est très importante. Je ne voudrais pas être trop long et je vous renvoie à la liste d'événements que nous avons publiée avec Roselyne Bachelot. Nous proposerons des programmes originaux, rassemblant par exemple 800 jeunes créateurs de toutes les disciplines artistiques à Paris en février. Nous publierons également un ouvrage collectif de vingt-sept auteurs racontant leur Europe. Vous avez fait référence à Georges Steiner et à son éloge des cafés. J'espère que les travaux de ces grands noms de la littérature et de l'art contemporain contribueront à notre réflexion sur la culture européenne.

Le Conseil de l'Europe a lancé, à l'initiative notamment d'Alain Lamassoure, l'Observatoire de l'enseignement de l'histoire, qui a vocation à identifier les manques en matière de transmission de l'histoire. Dans certains pays, celle-ci n'existe plus du tout. Il est donc très important que l'Europe ait une politique éducative et culturelle. Les programmes d'échanges et de mobilité en font également partie.

S'agissant de la méthode de rassemblement des partenaires et de leurs attentes, je ne voudrais pas faire montre d'une excessive arrogance en m'exprimant à leur place, mais je pense néanmoins que les attentes sont grandes. Je suis parfois surpris que nous soyons nous-mêmes très angoissés quant à notre capacité à faire des propositions ou à défendre notre identité en Europe. Nombre de nos idées gagnent du terrain, on le voit lorsqu'on s'y déplace. Pour la première fois depuis longtemps, la presse allemande insiste sur l'attitude extrêmement offensive la France, et pas seulement dans le débat nucléaire. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est aussi un combat idéologique que la France mène depuis de nombreuses années, au travers de plusieurs partis politiques. Nous avons beaucoup travaillé notre capacité à rallier. Je l'ai fait en me déplaçant dans tous les pays de l'Union européenne depuis dix-huit mois et en participant à de nombreux événements. Cela contribue à créer des attentes mais aussi, je l'espère, des soutiens.

Les PIIEC, par exemple ceux qui touchent à l'hydrogène, aux batteries électriques ou aux microprocesseurs, sont très structurants et constituent en fait des filières industrielles, qui peuvent recevoir des soutiens financiers publics sans que ceux-ci soient qualifiés d'aides d'État. Pour cela, ils doivent rassembler des acteurs publics et privés de différentes nationalités. Nous l'avons fait avec succès pour les batteries électriques, en réunissant des constructeurs français et allemands – une usine Stellantis fonctionne en France. Plusieurs PIIEC avanceront dans les semaines qui viennent, dont au moins un, relatif à l'hydrogène, démarrera sous la présidence française. Nous aurons aussi à cœur de lancer celui consacré à la santé. La crise sanitaire a montré qu'il s'agissait d'une faiblesse de l'Europe par rapport aux Américains. Il nous manque une agence de financement de l'innovation et une industrie pharmaceutique suffisamment forte. Même si les vaccins actuellement sur le marché sont en majorité européens, nous avons besoin d'une filière industrielle structurée en matière de santé.

Je partage entièrement l'idée d'une DARPA européenne, étant toutefois entendu que l'objectif n'est pas de copier strictement nos amis américains, mais de s'inspirer de ce qu'ils réussissent bien. Dans le système américain, les innovations sont très liées aux dépenses de défense – c'est le D de DARPA. C'est un fait, nos dépenses de défense sont plus faibles, tout comme notre unité dans ce domaine. Nous ne pouvons donc pas avoir la même approche. En revanche, nous pouvons promouvoir une agence d'innovation de rupture. Le modèle de la DARPA permet de mobiliser rapidement beaucoup d'argent sur des projets très risqués, quitte à accepter les pertes qui pourraient résulter de leur échec. Le Conseil européen de l'innovation, que nous avons beaucoup défendu, constitue un embryon de DARPA européenne. Il fonctionne selon ces principes mais avec des financements plus limités. Il faut donc l'encourager. Avec les PIIEC, il fera partie des sujets de discussion lors du sommet des 10 et 11 mars.

Deux autres initiatives peuvent également ressembler à la DARPA : le Fonds européen de défense, qui mobilisera 1 milliard d'euros de financements par an, notamment pour des projets de recherche ; dans le domaine de la santé, l'agence HERA, inspirée de la BARDA américaine qui a financé l'innovation sur le vaccin de manière très efficace. Nous avons besoin d'un tel outil au niveau européen, et j'espère que nous pourrons finaliser la négociation au cours de la présidence française.

En ce qui concerne le nucléaire, le débat n'est pas terminé mais nous avons marqué des points importants au cours des dernières semaines. Le projet proposé par la Commission européenne en matière de taxonomie, qui liste les investissements labellisés en faveur de la transition écologique, va dans la bonne direction. Le nucléaire est désormais reconnu comme une énergie qui contribue à la transition écologique. Contrairement à ce qui a pu être dit, il n'est pas qualifié « d'énergie de transition », comme l'est explicitement le gaz. On ne peut pas définir un horizon pour l'arrêt du nucléaire. Pour être très précis, le document de la Commission fixe deux dates : 2040 pour les projets existants qui pourraient être renouvelés et 2045 pour les nouveaux projets industriels. Il ne s'agit pas de finaliser les projets, qui pourront ensuite se déployer bien au-delà de ces échéances, mais de délivrer les autorisations. Si ces dispositions ne sont pas parfaites, elles sécurisent, pour les pays qui le souhaitent, dont la France, le recours au nucléaire.

La question des ressources propres est encore un combat. Nous avons gagné celui de la dette commune pour répondre aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Il faut maintenant mettre en face les ressources. Un engagement politique a été pris à l'unanimité des Vingt-sept et soutenu par le Parlement européen, ce dont nous pouvons nous réjouir. La liste des ressources doit maintenant être discutée et actée.

Une première proposition de la Commission porte sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et sur l'accord international de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la taxation des multinationales. Celui-ci a été un combat européen et très largement français. J'espère que nous pourrons transposer ce texte le plus rapidement possible, pendant la présidence française. Ces ressources pourraient être affectées en tout ou partie au budget européen. D'autres propositions sont à suivre. Certaines sont déjà sur la table, comme les ETS. Ces permis carbone pourraient représenter des ressources de plusieurs milliards d'euros par an. D'autres débats auront également lieu d'ici à 2026, avant la fin de la programmation budgétaire, notamment sur la taxe relative aux transactions financières – un débat européen compliqué, vous le savez.

La création de ces ressources me semble réunir une majorité d'États européens, même si des coalitions variables pourraient se former selon les sujets. Il sera plus compliqué de savoir si ces ressources viendront alimenter en tout ou partie, et dans quelle mesure, le budget européen ou les budgets nationaux. Pour des pays contributeurs nets, comme la France, l'Allemagne ou les Pays-Bas, cette question a un côté un peu circulaire : pour rembourser notre plan de relance, l'important est de créer de nouvelles ressources sans pénaliser les contribuables européens – c'est la ligne rouge que nous avons fixée. Dès lors que de nouvelles ressources existent, qu'elles passent par le budget national pour être versées au budget européen ou qu'elles lui soient directement affectées sont des solutions assez proches. Les clefs de répartition sont certes importantes, mais la création de la ressource l'est plus encore. Il est plus facile de trouver à celle-ci un usage dans l'abondance que dans la rareté. Il s'agira donc de notre premier combat et je suis optimiste quant à l'adoption des premières ressources dès cette année.

Je ne reviens pas sur l'inversion du calendrier des présidences. Nombre de pays exercent leur présidence, même quand ils ont des élections. La République tchèque l'a fait, de même que la France, en 1995, sous les présidents Mitterrand puis Chirac. Je crois que l'exception est plutôt l'inverse. C'est arrivé une fois, avec l'Allemagne. Cela n'empêche en rien la démocratie de fonctionner. Ce scénario n'a certes pas ma préférence, mais l'alternance politique est évidemment possible. Je crois d'ailleurs que plusieurs partis politiques ont leur projet pour la présidence française si celle-ci se poursuivait sous une autre direction. C'est la démocratie, et nous respectons les règles démocratiques.

Nous respecterons également la période de réserve. Vous aurez noté qu'aucune réunion ministérielle n'est prévue en France à partir de la mi-mars et jusqu'à la fin de l'élection présidentielle. Ensuite, il restera deux mois de présidence, deux mois d'action que j'espère utile pour ceux qui exerceront les responsabilités. Nous nous y préparons en tant que Gouvernement et je crois que d'autres s'y préparent également, si nous devions connaître une alternance politique. La situation n'est certes pas très confortable, puisqu'il faut combiner ces exigences, mais je ne saurais pas expliquer que nous nous écartions des responsabilités et que nous repoussions de six mois des projets qui pourraient aboutir – taxe carbone aux frontières, Schengen, défense, sécurité… Beaucoup de décisions, sinon toutes, se préparent très en amont. La présidence est un accélérateur, elle ne constitue pas un point de départ. J'ai essayé de réunir de manière transpartisane l'ensemble des groupes représentés à l'Assemblée et au Sénat pour discuter de tous ces sujets.

S'agissant de la défense et la sécurité, j'ai évoqué la boussole stratégique, mais nous pouvons également progresser dans le domaine de l'industrie de défense, en particulier dans le financement et la structuration de grands projets. Nous en avons deux actuellement à l'échelle franco-allemande : l'avion du futur et le char du futur. Nous aborderons ces sujets lors du sommet des 10 et 11 mars.

La question des relations entre l'Union européenne et l'Union africaine est la plus urgente dans le calendrier. L'influence, pas toujours bienveillante, de grandes puissances comme la Chine, la Russie, la Turquie et quelques autres est un de nos grands sujets de préoccupation en Afrique. Elle renforce la nécessité d'un partenariat économique et sanitaire : pour la production industrielle de vaccins, pour l'accompagnement de la transition écologique à travers nos bailleurs – Banque européenne d'investissement ou autres agences de développement. Les Européens se doivent d'être présents. Nous ferions une erreur stratégique en limitant notre relation avec l'Afrique à une approche défensive sur le sujet migratoire ou à des missions permettant d'assurer la sécurité, ce que fait la France à juste raison. Nous ne pouvons pas assumer les missions les plus difficiles et ne pas bénéficier des opportunités de croissance et d'investissement qu'offre l'Afrique. Souvent, les pays africains, les collectivités ou les entreprises privées se rendent compte que les financements « magiques » apportés par des puissances comme la Chine ou quelques autres sont des pièges. Les Européens ont à faire valoir un modèle de soutien, d'aide au développement et de financement public ou privé. Celui-ci est essentiel.

Concernant le CBD, il n'y a pas de contradiction avec les règles européennes. Nous veillons, particulièrement en ces temps de présidence, à rester dans le respect de ces règles. En même temps, les règles de sécurité, de protection des consommateurs et de lutte contre les potentiels trafics doivent être appliquées en France avec la plus grande vigilance. Sous la présidence française, nous travaillerons à la révision du mandat de l'Observatoire des drogues et des toxicomanies pour assurer cette complète conformité.

Je partage le constat de M. Nadot s'agissant de la dignité et de la pauvreté en Europe, mais il n'y a pas une réponse magique, d'autant que, même si ce n'est pas une excuse, l'Union européenne n'est pas compétente dans tous les domaines de lutte contre la pauvreté. Nous avons cependant progressé dans certains d'entre eux. Un quart des repas servis en France au titre de l'aide alimentaire vient du programme européen d'assistance aux plus démunis. Cette aide indispensable a été renforcée dans la programmation budgétaire actuelle. La lutte contre le dumping social, à travers les textes relatifs aux travailleurs détachés ou au salaire minimum, est aussi une façon de lutter contre l'indignité au travail et les destructions d'emplois. Les colloques peuvent apparaître comme une réponse déplacée face à des problèmes aussi graves, mais ils permettent de promouvoir les bonnes pratiques qui existent, par exemple en matière de sans-abrisme. Dans le courant du mois de février, sous l'égide d'Emmanuelle Wargon, nous aurons des échanges entre États membres à ce sujet.

Formation et mobilité ne sont pas des gadgets pour jeunes privilégiés. Elles peuvent être un moyen d'éviter le décrochage. La Commission a ainsi défendu le programme ALMA, qui est une forme d'Erasmus pour les décrocheurs.

Je ne l'ai pas abordée dans mon propos liminaire mais la question du devoir de vigilance est importante. Ce texte fondamental a pris un peu de retard dans le calendrier européen, ce que je regrette. Il devrait faire l'objet d'une proposition législative à la mi-février. Je salue d'ailleurs le travail du député Dominique Potier, il y a quelques années, qui avait débouché sur la loi relative au devoir de vigilance en France. À l'époque, ce dispositif avait suscité de l'inquiétude mais, aujourd'hui, il fonctionne et les entreprises se le sont approprié. Au niveau européen, le débat s'est développé dans d'autres pays, l'Allemagne s'est dotée d'un outil un peu différent mais avec les mêmes objectifs. D'autres axes sont parfois privilégiés, comme la lutte contre le travail forcé au sujet duquel la Commission européenne a aussi annoncé un texte.

Nous ne finirons peut-être pas la discussion de ces textes sous la présidence française, mais j'espère que nous l'accélérerons. La question des seuils d'entreprise n'est pas encore précisée, non plus que les modalités de contrôle et de sanction. Dans ces domaines, nous devrons avoir un dispositif pragmatique mais très efficace, notamment avec des amendes administratives rapides. Il est important de défendre l'idée d'une forme de capitalisme responsable à l'européenne. Ma collègue Olivia Grégoire travaille également sur les normes extrafinancières. Tous ces textes permettront de définir efficacement un standard européen dans les prochains mois.

Un sommet des ministres chargés de l'espace, de l'Agence spatiale européenne ou de l'Union européenne – le format est encore en discussion – se tiendra à Toulouse au mois de février. Un travail parlementaire est également en cours. L'objectif est de présenter de nouveaux projets européens à cette occasion. Le commissaire Breton proposera prochainement un projet de constellation pour reprendre le leadership en matière spatiale. La Chine n'en a pas encore mais les États-Unis en disposent déjà en orbite basse. Nous ne pouvons pas rester à l'écart de ce mouvement. Tous les experts s'accordent à dire qu'il s'agit de l'avenir du système satellitaire et des connexions. L'espace est un domaine dans lequel nous avons un peu reculé, notamment sur les lanceurs, mais en tant qu'Européens, nous restons cependant les meilleurs mondiaux dans certains segments de marché. Il ne faut pas perdre cette excellence. J'espère que nous acterons le projet de constellation sous présidence française.

En ce qui concerne les lanceurs, nous devons restructurer notre industrie. Nous avons connu des compétitions stériles entre acteurs industriels européens, certains ayant parfois préféré faire cavalier seul. Bruno Le Maire s'attache à cette restructuration avec son homologue allemand. L'objectif est de mettre fin à ces compétitions qui nous affaiblissent face aux grands lanceurs privés américains. J'ai bon espoir que ces accords industriels seront actés au mois de février.

Dans le domaine de la gestion du trafic spatial, l'Europe est en pointe. Le commissaire Breton précisera dans les prochaines semaines quels projets concernent ce domaine ainsi que ceux liés au traitement des débris et au principe de l'accès libre à l'espace, que nous défendons en tant qu'Européens. Le programme spatial européen représente un total de 15 milliards d'euros sur la période 2021-2027. Nous avons significativement augmenté cette enveloppe.

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Les sujets de souveraineté européenne sont nombreux. Face aux géants du numérique, dont aucun n'est européen, la transparence des algorithmes est une nécessité ; face aux géants du trafic maritime, dont certains sont européens, une régulation des tarifs de fret et des délais l'est également.

Avec notre chère amie et voisine la Confédération helvétique, nous avons des priorités communes. L'échec de l'accord-cadre ne signifie pas que la page est tournée et que le dialogue est rompu, bien au contraire. La reprise de contact est vitale. Les sujets sont très nombreux, comme les frontaliers et le télétravail – sur lequel j'ai déposé une proposition de résolution européenne qui doit être examinée prochainement en commission des affaires européennes.

En août dernier, des entreprises agricoles de Haute-Savoie bénéficiant du trafic rural de frontière ont reçu un courrier de l'administration fédérale les informant de la modification des conditions d'importation en franchise de redevance. La Suisse détiendrait des droits sur certaines terres agricoles situées côté français, autrement appelées « zones franches », suite à la convention du 31 janvier 1938 signée entre les deux pays. Les entreprises françaises de travaux agricoles sous-traitantes d'exploitants suisses sur des terres françaises n'auront plus le droit de travailler pour ces clients. Il en résulte une perte de chiffre d'affaires significative pour ces entreprises, puisque leurs clients suisses seront dans l'obligation de faire appel à des entreprises suisses. Cette situation représente également un manque à gagner important pour l'État français, qui ne percevra plus la potentielle TVA de ces travaux. Tous les secteurs limitrophes de la Suisse, comme l'Ain, le Doubs ou le Jura, seront touchés. Il est très difficile pour nos entrepreneurs de subir cette politique protectionniste suisse sans bénéficier d'aucune réciprocité en France. Il y va de la compétitivité de nos entreprises et de la souveraineté de notre État. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour endiguer cette concurrence déloyale à venir ? Des discussions sont-elles déjà en cours avec la Suisse ?

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Merci d'avoir souligné les enjeux du numérique. J'invite mes collègues à participer à la conférence organisée par la commission supérieure du numérique et des postes, dont je suis membre, consacrée aux priorités de la présidence française dans le domaine du numérique, le 22 janvier.

Le devoir de vigilance des multinationales, que vous avez évoqué, est une actualité parlementaire puisque la proposition de résolution européenne visant à inscrire parmi les priorités de la présidence française de l'Union européenne l'adoption d'une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales a été examinée hier en commission des affaires européennes, ce matin en commission des lois et sera discutée en hémicycle jeudi prochain. Les parlementaires soutiennent une action forte de la présidence française de l'Union européenne en ce domaine même s'ils sont conscients que le calendrier ne leur facilitera pas la tâche.

Par ailleurs, Boris Johnson a nommé un envoyé spécial pour les Balkans occidentaux, un militaire. Celui-ci a commencé sa tournée par l'Albanie. Il encourage les réformes et l'adhésion de l'Albanie ainsi que de la Macédoine du Nord à l'Union européenne. Or il s'agit d'une zone d'influence importante : quelles sont les intentions du Royaume-Uni ?

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Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, je souhaite appeler votre attention sur la nécessité de lutter contre la corruption et le grand banditisme qui perdurent au sein de nos frontières.

Le 12 décembre dernier, France 5 a diffusé une excellente série d'enquêtes, Mafias, au cœur de l'Europe, qui lève le voile sur de multiples trafics, qu'il s'agisse de l'évasion fiscale, de la fraude aux subventions ou de corruptions au plus haut niveau de l'État, au sein même de l'Union européenne, en particulier à Malte ou en Slovaquie.

Pour ce qui est de la Slovaquie, le 26 février 2018, les corps de Yann Kuciak, 27 ans, et de sa compagne Martina Kusnirova, sont découverts dans leur maison, près de Bratislava. Yann Kuciak, journaliste d'investigation, s'apprêtait à publier une enquête sur les liens présumés entre des hommes politiques slovaques et la mafia italienne ainsi que sur des fraudes aux subventions européennes accordées aux agriculteurs. Il s'intéressait également aux affaires d'un promoteur immobilier proche du pouvoir, Marian Kocner, qui avait obtenu des marchés publics sans passer par la procédure des appels d'offres. Marian Kocner aurait commandité le meurtre du journaliste, qui aurait été exécuté par des hommes de main de l'industriel, d'anciens militaires et policiers. Marian Kocner exerçait son influence sur un réseau d'hommes politiques, procureurs, juges, médias, qui auraient travaillé pour lui. Le 3 septembre 2020, à la surprise générale, Marian Kocner a été acquitté. La cour suprême slovaque a invalidé ce verdict au début de l'année et a ordonné la tenue d'un nouveau procès.

Le scénario est le même que celui de l'assassinat à la voiture piégée, à Malte, de la journaliste d'investigation Daphné Caruana Galizia.

L'assassinat de ces deux journalistes, en plein cœur de l'Europe, pose la question du respect des droits de l'homme et de la stratégie européenne de lutte contre la mafia et la corruption. Comment de tels événements ont-ils pu se produire ? Quelles mesures la France compte-t-elle prendre dans le cadre de sa présidence pour lutter contre le grand banditisme d'État au sein de l'Union européenne ?

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Concernant le pacte européen sur la migration et l'asile, vous avez avoué ce que tout le monde sait : il sera très compliqué d'aboutir à un accord durant cette présidence. La France ne pourrait-elle pas agir seule, d'autant plus que les demandes « de rebond » représentent un tiers des demandes d'asile ? Ne pourrions-nous créer une procédure accélérée pour traiter les demandes de ceux qui ont été déboutés par un autre pays européen ?

Pour ce qui est du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, beaucoup ont malheureusement dû réduire leurs ambitions, en particulier les candidats Les Républicains qui soutenaient ce projet aux élections européennes en 2019. Alors que la Commission européenne avait tout d'abord évalué les recettes entre 5 et 14 milliards d'euros, elles seraient plutôt de l'ordre de 1 milliard à l'horizon 2026, notamment parce que certains secteurs, dont le numérique, ont été exclus de cette taxation, celui-ci étant pris en considération, a priori, dans la réforme de la fiscalité des activités numériques des multinationales, sur laquelle se sont accordés de nombreux pays, sous l'égide de l'OCDE. Ce recul est assez affligeant.

Enfin, la Commission européenne a adopté une directive 2021/0418 (CNS), relative aux comptoirs de vente hors taxe situés dans le terminal français du tunnel sous la Manche. Sera-t-elle adoptée par le Conseil de l'Europe sous la présidence française ? Notre pays en fera-t-il une priorité ? Les élus locaux se sont battus pour obtenir ce duty free côté français. Ils ont obtenu gain de cause grâce aux élections régionales. Espérons que vous profiterez des prochaines élections présidentielle et législatives pour faire avancer ce dossier !

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L'investissement politique et géostratégique dans les Balkans occidentaux, qui sont au cœur de l'Europe, est dans l'intérêt des États membres et des États de la région pour des raisons sécuritaires, économiques, écologiques et sociales. Je vous ai d'ailleurs transmis une étude en ce sens, en octobre dernier. La présidence française de l'Union européenne entend accorder un intérêt particulier à la région, ce dont je me réjouis.

La semaine dernière, à l'occasion de la venue à Paris de commissaires européens, des sessions de travail ont été organisées au cours desquelles le sujet des Balkans a été soulevé. Pourriez-vous nous présenter les actions et les engagements pour la région que la présidence française entend porter au débat ?

Je termine en soulignant le rôle de la diplomatie interparlementaire dans laquelle je me suis impliquée pour renforcer les liens entre nos parlements et ceux des Balkans occidentaux. Le Président de la République a annoncé un sommet Union européenne-Balkans en juin prochain. Il serait intéressant de renouveler ces échanges interparlementaires pour que nous puissions apporter notre contribution à ce sommet.

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Je vous transmets deux questions qui m'ont été posées : Que savons-nous de la charge bureaucratique que représentera le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour nos entreprises ? Les pièces et les billets d'euro sont dans nos poches, mais où se retrouvera le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ?

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Permettez-moi de revenir sur le soutien que l'Allemagne pourrait apporter à la présidence française de l'Union européenne. Au sein de la nouvelle coalition, le chancelier, Olaf Scholz, et la cheffe de la diplomatie, Annalena Baerbock, se sont exprimés en ce sens et souhaitent une Europe plus souveraine. Il subsiste cependant des écarts de perception concernant le concept de souveraineté dans nos deux pays, les priorités stratégiques, la défense de l'Europe, le rôle de l'OTAN, la transition énergétique, la taxonomie sans parler de la complexité du projet Nord Stream 2. Pour autant, l'Allemagne affiche clairement ses priorités en faveur de l'énergie verte.

Comment les liens avec la nouvelle coalition serviront-ils nos ambitions communes, en particulier celle de l'indépendance stratégique ?

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Pas moins de 164 pays de l'Organisation mondiale du commerce ont demandé la levée des brevets relatifs aux vaccins contre la covid-19, par solidarité internationale mais aussi pour des raisons sanitaires, car les pays occidentaux auront beau atteindre un taux de vaccination de 90 %, ils resteront à la merci de nouveaux variants tant que la couverture vaccinale ne dépassera pas 8 % en Afrique.

Alors que le président Biden a appelé à la levée des brevets, je n'ai toujours pas compris la position de la France et de l'Union européenne. Elles s'y étaient opposées à l'époque, mais c'est l'Union européenne qui pourra obtenir à présent de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) une dérogation temporaire à certaines dispositions de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle. Ne pourrions-nous pas nous inspirer de la stratégie adoptée dans les années 2000 pour lutter contre le sida et qui a permis de sauver des millions de vie, en autorisant les pays du Sud à produire des médicaments génériques ?

Je devine les raisons de la réticence à lever ces brevets. On craint que les laboratoires ne soient plus incités à investir. Ces arguments ne tiennent pas face à l'ampleur des bénéfices engrangés par les laboratoires – 18 milliards pour Pfizer après impôts. Que peut faire la France ?

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L'Union européenne a un rôle à jouer dans la préservation de l'environnement. Elle a ainsi le pouvoir de renforcer la réglementation européenne du commerce de l'ivoire pour lutter contre l'exploitation des espaces menacées. Ensuite, l'Union européenne peut peser dans les négociations en cours concernant la conclusion d'un traité sur les espaces océaniques qui n'appartiennent pas aux juridictions nationales. Enfin, elle dispose d'instruments précieux pour œuvrer en faveur de l'environnement, à l'instar de sa stratégie pour la gestion de l'eau à l'échelle internationale. Il convient d'en assurer la bonne application.

Du reste, le Gouvernement, par l'intermédiaire du ministère de la transition écologique, a déclaré qu'il ferait du futur projet de réglementation de la Commission européenne pour lutter contre la déforestation importée un texte essentiel en ce début d'année. Quelles mesures soutiendra-t-il ?

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Monsieur le secrétaire d'État, je salue votre volonté d'associer nos concitoyens à la présidence française de l'Union européenne. Dans ma circonscription, l'Europe se vit au quotidien et les échanges sont nombreux, notamment avec le Luxembourg. À cet égard, je vous remercie d'avoir pris des dispositions pour améliorer nos relations bilatérales. Pour autant, certains sujets de voisinage concernent aussi l'Europe, par exemple les enseignements que l'on peut tirer de la crise sanitaire pour la politique de santé ou le modèle de la protection sociale, qui a été confronté au télétravail des transfrontaliers. Quelles sont vos intentions en ce domaine ? Les règles dérogatoires qui permettent de conserver son régime d'affiliation sociale lorsqu'on travaille dans un État étranger mais que l'on reste dans son pays de résidence pour travailler à distance peuvent-elles inspirer un nouveau modèle au sein de l'Union européenne ?

Par ailleurs, quelles mesures prendrez-vous pour que nous disposions d'une diplomatie sportive européenne ambitieuse ? Nous accueillerons les Jeux olympiques mais aussi la Coupe du monde de rugby en 2023.

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Je suis sensible à l'hommage que vous avez rendu à David Sassoli, grand défenseur des valeurs européennes, et j'aurai une pensée émue pour Marielle de Sarnez qui nous a quittés il y a un an.

Pour répondre à l'enjeu mondial de la lutte contre le dérèglement climatique, le Président de la République a rappelé qu'un agenda commun pour le climat avait été engagé au travers de grandes initiatives comme la grande muraille verte. D'autres événements sont-ils prévus ? Il en sera question lors du sommet entre l'Union africaine et l'Union européenne, à Bruxelles, mais est-il possible de discuter de cet agenda commun sans y associer la société civile ?

Par ailleurs, quel est l'avenir de nos relations avec notre voisinage méridional ? Quel nouveau cap la présidence française de l'Union européenne peut-elle initier ? Les défis sont majeurs, en particulier celui de résorber les conflits entre États.

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Clément Beaune, secrétaire d'État

Madame Lenne, s'agissant des relations entre l'Union européenne et la Suisse, il appartient à cette dernière, après l'échec de l'accord-cadre, d'exprimer ses souhaits. Les négociations ont duré plusieurs années et chaque partie a fait preuve de bonne foi mais, pour des raisons de politique intérieure, alors que les négociations allaient aboutir, le Conseil fédéral suisse a souhaité y mettre fin. Nous ne pouvons pas reprendre les discussions sans quelques garanties. Nous ne demandons pas l'assurance d'une réussite complète mais qu'il y ait un minimum de volonté politique d'aboutir à la signature d'un accord transversal qui complète, voire remplace, les accords bilatéraux actuels. Je ne formule aucun reproche mais les autorités suisses doivent clarifier leur position, notamment pour ce qui concerne la libre circulation ou la protection de certaines professions réglementées.

Pour ce qui est des entreprises de travaux agricoles françaises pénalisées par l'arrêt du tribunal suisse de janvier 2021, j'étudie le dossier avec mon collègue Olivier Dussopt, au ministère des finances. J'ai bien compris vos inquiétudes, mais nous prendrons les mesures nécessaires si le problème perdurait.

Madame Clapot, la France aura le souci de faire avancer le devoir de vigilance. Ce sera l'une de ses priorités et je rends hommage au travail de Dominique Potier, qui a été un précurseur en la matière. Nos concitoyens y tiennent et plusieurs pays européens ont légiféré en ce domaine. Cependant, nous devons adopter un cadre réaliste et ne pas imposer à des entreprises de taille intermédiaire ou à des petites et moyennes entreprises des obligations disproportionnées. Dès que la législation européenne sera sur la table, nous engagerons les négociations en espérant profiter de cette présidence pour avancer au mieux.

Concernant l'engagement britannique dans les Balkans occidentaux, l'honnêteté m'oblige à reconnaître qu'il n'est pas nouveau. Les Britanniques participaient au Processus de Berlin. Sans perfidie, j'ajoute que le Royaume-Uni ne s'est jamais autant intéressé à l'Union européenne et à son voisinage que depuis qu'il l'a quittée. Tant mieux mais nous ne laisserons place à aucune interférence. De toute manière, M. Johnson a d'autres préoccupations en ce moment. L'initiative appartient d'abord à l'Union européenne, et tout particulièrement à la France, non seulement parce qu'elle assurera la présidence de l'Union mais aussi parce qu'elle est engagée, aux côtés de l'Allemagne, dans plusieurs dialogues délicats – entre la Serbie et le Kosovo, par exemple – pour dénouer des conflits régionaux. Les États-Unis sont également impliqués mais nous devons reprendre la main, ne serait-ce qu'au niveau du financement des investissements, pas tant à l'égard des Britanniques ou des Américains que de puissances autrement plus agressives, comme la Russie, la Chine ou la Turquie. Ces dernières, à grands renforts d'investissements, mettent en avant les infrastructures, parfois à des prix exorbitants, comme en témoigne un projet d'autoroute au Monténégro. Alors que les Européens restent les premiers financeurs et les premiers investisseurs, ils n'en retirent pas les bénéfices qu'ils pourraient espérer en termes de relations politiques. C'est un bon exemple géopolitique de réinvestissement européen et de valorisation des efforts. Prenons les vaccins. Nous avons parfois tardé à aider nos partenaires des Balkans les plus proches, mais nous sommes le pays de l'Union européenne qui envoie le plus de matériel médical, loin devant la Chine ou la Russie. Malheureusement, nous sommes moins visibles et c'est pourquoi nous devrons redoubler d'efforts pour mieux communiquer.

Monsieur Girardin, les entraves à la liberté de la presse seront également l'une des préoccupations de la présidence française et la Commission présentera, en 2022, une proposition de législation sur la liberté des médias. Il est notamment prévu un cadre partagé de sanctions en cas d'atteinte à la liberté de la presse. Les lois bâillon qui ont pu être adoptées à Malte ou en Slovaquie seraient concernées. Dans d'autres pays, en Hongrie par exemple, ce sont des politiques gouvernementales qui ont bridé la liberté de la presse. C'est l'un des sujets que le Président de la République avait visés lors de sa conférence de presse du 9 décembre dernier, lorsqu'il avait évoqué la création d'un fonds de soutien européen au journalisme. Des financements européens permettent de soutenir le journalisme indépendant et d'investigation mais nous pouvons les renforcer. La présidence française s'y attachera. Parallèlement, nous continuerons à soutenir diplomatiquement, dans un cadre bilatéral, les initiatives qui en ont besoin. Je me suis rendu dernièrement à Malte pour encourager le collectif qui a repris les enquêtes de la journaliste assassinée, Daphné Caruana Galizia. C'est ainsi que nous renforcerons la lutte contre les atteintes, d'origine privées ou publiques, à la liberté de la presse.

Monsieur Dumont, concernant le pacte européen sur la migration et l'asile, nous ne reculons nullement puisqu'il n'existe pas de politique européenne d'asile et de migration. La France n'est pas à l'origine de ce blocage mais, plutôt que de chercher des responsabilités, essayons de dénouer la situation en adoptant une approche graduelle. C'est ce que propose Gérald Darmanin, par l'intermédiaire de mécanismes d'enregistrement pour assurer une protection commune de nos frontières. Ces dispositifs manquent à des pays de première entrée, comme l'Italie ou l'Espagne. Les personnes qui entrent dans ces pays pour rejoindre la France et, éventuellement, le Royaume-Uni, ne sont pas enregistrées. Il serait donc intéressant de disposer de ces informations pour renforcer la protection des frontières et réformer Schengen, dont le pilotage politique est inexistant pour l'heure.

Parallèlement, et non à la place, nous accélérons le traitement des demandes d'asile en France. Les mesures que nous prenons dans notre pays ne nous dispensent pas de poursuivre les négociations européennes. C'est pourquoi nous maintenons nos efforts pour faire avancer le pacte européen, la réforme de Schengen et le renforcement de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, qui souffre de lenteurs bureaucratiques. Nous ne pourrons pas mener une politique efficace en France ou ailleurs en Europe sans mener une action commune. La Pologne, que l'on ne saurait soupçonner de fédéralisme forcené à l'endroit de l'Union européenne, reconnaît elle-même qu'elle a été sauvée par une action européenne. Si les vols n'avaient pas été suspendus vers la Biélorussie, la Pologne subirait encore des milliers d'arrivées par jour.

Concernant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, le MACF, la France ne vient pas de découvrir les secteurs concernés puisque ce sont ceux qu'elle avait soutenus ! La Commission a même élargi la liste et ce sont aujourd'hui six secteurs qui sont couverts par ce mécanisme. Les recettes sont encore difficiles à évaluer mais le plus important est d'appliquer très rapidement le dispositif. L'Allemagne y était hostile jusqu'à présent mais nous avons réussi, en négociant avec les partenaires désormais au Gouvernement, à la faire changer d'avis. Nous espérons que le mécanisme commencera à s'appliquer à ces six secteurs sous la présidence française et s'élargira ensuite, ce qui permettra d'augmenter les recettes. Ce mécanisme permet également de ne pas faire porter la charge de nos politiques publiques aux contribuables européens. C'est gagnant-gagnant.

S'agissant du duty free, nous y avons travaillé ensemble, bien avant les élections régionales. En quelques mois, nous avons bien avancé mais il reste à sécuriser le dispositif en révisant le texte. Ce sera l'une des priorités de la présidence française de l'Union européenne.

Madame Tanguy, nous soutiendrons toute initiative qui favoriserait les échanges entre les parlements.

Madame Le Peih, le devenir des recettes du mécanisme d'ajustement carbone frontières se réglera en deux étapes. Des négociations devraient être engagées rapidement pour créer le mécanisme et, éventuellement, l'étendre dans le temps. Il conviendra ensuite d'en affecter les recettes au budget européen pour financer, en particulier, la transition écologique ou le plan de relance, voire les deux. Je préfère parler de taxe carbone aux frontières, plus évocatrice que MACF, pour expliquer que les concurrents étrangers de nos industries automobile ou sidérurgique, très exposées à la concurrence internationale, seront soumis aux mêmes règles.

Madame Pouzyreff, je me rends tout à l'heure à Berlin pour tenter de rapprocher les positions autour du MACF ou, dans le domaine du numérique, du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA). Nous avons progressé même si beaucoup reste à faire, notamment pour ce qui concerne les règles budgétaires. L'Assemblée parlementaire franco-allemande peut nous permettre d'avancer.

Monsieur Julien-Laferrière, le Président de la République a parfaitement résumé la situation en déclarant que le bien public mondial était notre objectif. Il faudra revoir le droit de la propriété intellectuelle si cela est nécessaire. Ce n'était pas l'enjeu principal il y a encore quelques mois, c'est vrai. Les Américains ont réussi leur opération de communication à l'époque en se déclarant favorables à la levée des brevets sur les vaccins alors même que le vrai problème était celui des restrictions à l'export. De notre côté, au contraire, nous n'avons jamais interdit d'exporter des vaccins en Afrique. Nous devons, aujourd'hui, régler le problème que pose le droit de la propriété intellectuelle sans pour autant briser le dispositif des brevets qui a permis à certaines start-up, comme BioNTech, de rémunérer l'innovation. Certes, les recettes étaient très confortables mais c'est un autre problème, que l'on peut résoudre par l'impôt. En tout cas, il suffirait sans doute d'accorder les dérogations nécessaires et c'est ce que nous défendrons dans les prochaines semaines. Je m'en suis entretenu récemment avec des organisations non gouvernementales, comme Oxfam. Nous attendons, du reste, que les États-Unis formulent enfin une proposition. J'espère que nous y parviendrons rapidement. Au sommet de l'Union européenne et de l'Union africaine qui se tiendra mi-février, se posera la question de l'accès effectif aux brevets. Le président sénégalais déclarait que la moitié des doses livrées en Afrique étaient perdues en raison de la persistance de fortes réticences et de la difficulté d'acheminer les produits. Des financements européens, sous forme de programmes, pourraient être mobilisés en ce sens.

Monsieur Mbaye, je sais que vous présenterez bientôt une proposition de résolution au sujet de la propriété intellectuelle. Concernant l'environnement, nous espérons faire aboutir, sous la présidence française, la proposition de la Commission européenne sur la déforestation importée. C'est une forme de devoir de vigilance : avant de mettre un produit sur le marché, chaque entreprise devra garantir qu'il ne provient pas d'un territoire déforesté. Une liste de produits sera dressée – soja, viande de bœuf, etc. Ces règles seront assorties de sanctions.

Par ailleurs, un premier sommet mondial de l'océan se tiendra prochainement. Il nous offrira l'occasion de renforcer les engagements européens et internationaux dans ce domaine.

Monsieur Belhaddad, nous essayons de résoudre, de façon bilatérale, les problèmes que pose le travail transfrontalier. Les accords concernant les travailleurs frontaliers et transfrontaliers ont été prolongés pour prendre en considération la situation sanitaire. C'est un sujet que la France traite directement avec les États voisins, indépendamment de la présidence française. Nous devrons éviter que ces 350 000 travailleurs ne subissent de nouvelles restrictions de circulation – nous y sommes parvenus durant cette vague. Surtout, nous devrons harmoniser les régimes, qui diffèrent selon que le travailleur frontalier exerce en Suisse ou au Luxembourg.

Enfin, nous souhaiterions bâtir un modèle européen du sport. Tout ne relève pas d'une législation européenne mais il conviendrait de partager au moins certains principes : financement du sport amateur, notamment par le sport professionnel, lutte contre le dopage. Nous essaierons d'avancer lors du conseil des ministres européens du sport.

Monsieur Kokouendo, concernant la résolution des conflits, chaque sujet est singulier. Ainsi, celui du Sahel sera abordé, dès cette semaine, à chaque réunion des ministres des affaires étrangères, même si ce n'est pas, à proprement parler, une initiative de la présidence française.

La grande muraille verte, en revanche, fait partie des initiatives pour lesquelles nous voulons mobiliser nos partenaires et des financements, lors du sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine.

La séance est levée à 16 h 25.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Frédéric Barbier, Mme Sandra Boëlle, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Pierre-Henri Dumont, M. M'jid El Guerrab, M. Michel Fanget, M. Bruno Fuchs, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire, M. Jean François Mbaye, M. Sébastien Nadot, Mme Natalia Pouzyreff, M. Didier Quentin, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Liliana Tanguy, Mme Nicole Trisse, M. Sylvain Waserman

Excusés. – M. Philippe Benassaya, Mme Laurence Dumont, Mme Sonia Krimi, Mme Sira Sylla

Assistait également à la réunion. – M. Belkhir Belhaddad