Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 14h00

Résumé de la réunion

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MISSION D'INFORMATION SUR L'APPLICATION DU DROIT VOISIN AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE

Mercredi 27 octobre 2021

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de Mme Virginie Duby-Muller)

La mission d'information auditionne M. Denis Gaucher, président de la Fédération des entreprises de veille média (FeVeM), CEO de Kantar Media France, et M. Christophe Dickès membre de la FeVeM, directeur de la gestion internationale des droits d'auteur chez Kantar Media France.

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Bonjour, nous poursuivons nos auditions dans le cadre de la mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse. Nous recevons M. Denis Gaucher, président de la Fédération des entreprises de veille média (FeVeM), CEO de Kantar Media France, et M. Christophe Dickès membre de la FeVeM, directeur de la gestion internationale des droits d'auteurs chez Kantar.

Merci d'avoir accepté ces demandes d'audition. Cette mission fait suite à la loi adoptée à l'Assemblée nationale et au Sénat qui transpose la directive droit d'auteur, sous l'impulsion de M. Patrick Mignola. Un peu plus de deux ans après le vote de cette loi, nous constatons qu'elle peine à entrer en vigueur. Des initiatives commencent à être mises en place, comme l'organisme de gestion collective. Nous souhaitions entendre votre point de vue à ce sujet.

La FeVeM rassemble des entreprises spécialisées dans la veille et l'analyse des contenus média. Vous fournissez aux entreprises et institutions publiques une information adaptée à leurs besoins spécifiques. Vous représentez 90 % de ce marché qui génère 1 000 emplois directs et un chiffre d'affaires annuel d'environ 120 millions d'euros. Pourriez-vous tout d'abord nous rappeler le rôle et la composition de la FeVeM, avant de revenir sur les conséquences de la création d'un droit voisin des éditeurs de presse sur l'activité des entreprises de veille et d'analyse média ? Nous procéderons ensuite à un échange sous forme de questions et de réponses.

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Denis Gaucher, président de la Fédération des entreprises de veille média (FeVeM), CEO de Kantar Media France

Au nom de l'ensemble de la FeVeM, je vous remercie de nous accueillir et de nous auditionner. Comme vous l'avez indiqué, les sociétés de veille disposent d'une longue expérience dans l'usage numérique des contenus de presse et dans les questions de propriété intellectuelle suscitées par notre activité. Le nouveau droit voisin des éditeurs de presse entraîne des conséquences sur nos métiers et nous souhaitions porter devant vous une série de réflexions sur ce sujet.

Je vous exposerai d'abord une image qui résume notre métier. À la fin du XIXe siècle, un homme amoureux d'une actrice de théâtre collectionnait l'ensemble des articles la concernant. Ainsi est né l'Argus de la presse, devenue Cision, membre de notre fédération. La France a inventé le métier de la veille média, si bien qu'une des deux grandes fédérations internationales représentant les intérêts des sociétés de veille dans le monde porte un nom français, la Fédération internationale des bureaux d'extraits de presse (FIBEP). Créée après-guerre, elle compte près de 150 membres et représente une quarantaine de pays dans le monde.

La veille média consiste aujourd'hui à lire l'ensemble des titres de presse papier, numérique, télévisuelle et radio pour le compte de nos clients puis à sélectionner, trier, hiérarchiser, analyser les contenus de presse qui les intéressent, selon des mots clés, des thèmes, et des filtres définis avec eux. Cette analyse peut prendre la forme de panoramas de presse ou d'envois d'articles associés à des alertes par courrier électronique. Il peut également s'agir d'une analyse plus approfondie effectuée par nos chargés de veille et analystes médias à partir des articles parus dans la presse. Les sociétés de veille comme Kantar ou Cision transmettent le fruit de leur veille à des milliers d'entreprises et institutions. Certaines de ces institutions sont internationales, comme la Commission européenne, la Banque européenne d'investissement, le Conseil de l'Union européen ; d'autres sont nationales comme le Sénat, l'Assemblée nationale, les ministères, les conseils régionaux, ou les mairies. Les décideurs publics et privés lisent ainsi quotidiennement le résultat de ces veilles et analyses informationnelles à haute valeur ajoutée, qui constituent parfois un véritable socle pour leur processus décisionnel en matière de communication.

Pour nos clients, notre activité est indispensable et même vitale au regard des évolutions médiatiques des dernières années. Nous connaissons tous les phénomènes d'infobésité, de fausses informations ou de bulles de filtres. En dehors des sociétés de veille, nul ne peut suivre l'ensemble des médias traditionnels et numériques, tant sur le plan national qu'international. Notre rôle est de répondre à ce besoin d'information, de tri et d'analyse.

Le métier de la veille et de l'analyse média a évolué au fil du XXe siècle avec le développement des médias radiophoniques, télévisuels et numériques. Jusque dans les années 1990, notre métier consistait à trouver, sélectionner et découper des articles de journaux aux ciseaux, ou à enregistrer et copier des cassettes vidéo ou audio. Nous collions les coupures de presse sur des feuilles blanches que nous envoyions par coursier ou voie postale à nos clients. Ensuite, ces coupures et panoramas ont été photocopiés. Du point de vue des droits d'auteur, les éditeurs percevaient une rémunération de notre part et de celle de nos clients, en application d'un régime légal de gestion collective obligatoire, spécifique à la reprographie via un organisme de gestion collective, le Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC). Ce système était très vertueux, car nous n'avions qu'un seul interlocuteur pour toute la presse et les éditeurs recevaient les redevances en fonction de l'usage de leur contenu dans nos prestations.

Le monde numérique a révolutionné nos méthodes de travail et nos produits, tout comme elle a bouleversé le monde des médias en amont et les besoins de nos clients en aval. Nous avons commencé à scanner des journaux et magazines et à découper des articles à l'aide d'outils informatiques, que nous mettions à disposition de nos clients par courriel, puis sur des plateformes sécurisées. La numérisation au scanner de la presse papier en amont et la mise à disposition d'articles de presse dans son intégralité au format numérique nécessitaient l'autorisation de l'éditeur ainsi que le paiement de redevances de droit d'auteur qui ne pouvaient plus relever du régime légal de la reprographie papier. En France, les sociétés de veille se sont alors réunies à la demande du CFC et des éditeurs eux-mêmes afin d'élaborer des modèles de licence et de rémunération. Ce travail commun a été essentiel dans la mise en place d'un cadre juridique et contractuel pour le secteur. Le CFC a créé une première licence pour permettre aux sociétés de veille de numériser les contenus médias puis de les mettre à disposition de leurs clients dans le cadre d'un modèle spécifique de paiement de redevances de droit d'auteur.

Quand une société de veille met à disposition d'un client une copie numérique d'un article, elle paie un premier droit de copie pour un premier destinataire. Si le client souhaite que les copies numériques d'articles soient mises à disposition de plusieurs personnes en interne, il doit en demander l'autorisation au CFC et payer des redevances complémentaires, qui varient selon le nombre de destinataires en interne. Contrairement au modèle prévu pour la diffusion papier dans le cadre de la reprographie, ce n'est pas un système de gestion collective obligatoire, mais volontaire. L'éditeur seul décide de confier ou non la gestion de ses droits numériques au CFC. Dans le cadre d'un mandat, le CFC octroie les autorisations aux sociétés de veille et à leurs clients et collecte les redevances correspondantes pour les répartir à chaque éditeur. Certains éditeurs préfèrent passer par un autre mandataire ou conclure des contrats directs avec les sociétés de veille. La cohabitation de trois systèmes de gestion des droits différents pour un marché aussi petit que le nôtre n'est pas sans poser problème. De tels modèles de gestion des droits concurrents complexifient la gestion des droits et posent des problèmes de distorsion de concurrence dans la mesure où l'égalité de traitement entre les différents acteurs du marché de la veille n'est pas toujours respectée. Certains acteurs bénéficient d'un modèle de paiement au clic : le droit d'auteur est payé uniquement si l'article est consulté. D'autres acteurs, tels que les membres de la FeVeM, et leurs clients, paient sur la diffusion théorique. Si un panorama de presse est diffusé dans une institution de 100 personnes, même si seules 35 consulteront l'article, ces 100 personnes paieront. À partir de 2013, la FeVeM a souhaité une égalité de traitement sur le marché en demandant que le CFC soit le seul collecteur des droits numériques comme il l'est pour la reprographie. Nous avions échangé avec Mme Émilie Cariou, qui travaillait alors au ministère de la culture et est aujourd'hui membre de votre mission. Au dernier moment, les éditeurs ont fait obstacle et il n'y a toujours pas à ce jour de réelle équité sur le marché de la gestion des droits qui reste complexe à comprendre pour nos clients.

Nous entretenons de bons rapports avec le CFC qui demeure notre principal interlocuteur. Il est un acteur incontournable du marché qui agit en tant que facilitateur pour les sociétés de veille puisqu'il est un guichet unique d'obtention des autorisations et de collection des droits de nombreux titres de presse. Il représente les intérêts des éditeurs en assurant un dialogue entre le monde des médias et celui de la veille média dont il a une très bonne connaissance, à la différence de certains éditeurs. Il contrôle et audite régulièrement les sociétés de veille média pour vérifier le respect des conditions de licences et nos déclarations d'usage des contenus. Ces audits assurent une garantie aux éditeurs et nous permettent de montrer notre transparence et notre sérieux auprès des éditeurs. Le CFC peut également contrôler et auditer aussi nos clients. Le CFC est le seul organisme de gestion collective en Europe qui possède des modèles de licence pour la presse papier, numérique, radio et télévisuelle dans notre secteur.

Bien que des améliorations puissent être envisagées dans la gestion des droits des éditeurs pour assurer un marché plus équitable, ce marché a su s'organiser, dialoguer et négocier avec les éditeurs dans le respect de leurs droits depuis de nombreuses années. À ce titre, les propos de M. Jean-Marie Cavada associant Kantar à l'acronyme de KAFARD, devant votre mission en septembre, ont choqué notre fédération. M. Cavada nous accuse d'évoluer sur un marché occulte et prédateur, cachés dans la forêt derrière l'arbre des GAFA. Au contraire, nous respectons le droit d'auteur dans l'univers numérique depuis vingt ans. L'une des conditions d'adhésion à notre association est le paiement de redevances de droit d'auteur aux éditeurs. Si tous les acteurs du web avaient joué ce jeu comme nous l'avons fait, l'établissement d'un droit voisin n'aurait pas été nécessaire.

La lettre d'information publiée par le CFC au mois de mai 2021 indique que les revenus générés par nos activités au profit des éditeurs représentent 23 millions d'euros en 2020. Kantar, Cision et leurs clients sont les principaux contributeurs de ces 23 millions d'euros. À ce montant en constante augmentation depuis plusieurs années s'ajoutent les sommes versées par les entreprises de veille aux éditeurs n'ayant pas mandaté le CFC, et qui représentent 4 à 5 millions d'euros par an. Au total, le montant des redevances payées aux éditeurs et agences de presse par les sociétés de veille média et leurs clients s'élève à près de 30 millions d'euros par an. Cette somme représente approximativement 28 % de notre chiffre d'affaires global, qui s'élève à environ 110 millions d'euros. Ce pourcentage est important, car il équivaut au triple de ce que représentent les droits d'auteur en moyenne sur le droit européen dans les secteurs d'activités culturelles ou médiatiques. Cette moyenne est d'environ 10 %. Notre marché de veille média n'est ni prédateur ni occulte. Nous procédons à des déclarations détaillées de chaque usage des contenus médias mis à disposition de nos clients. Il existe dans nos métiers une traçabilité de l'information. Chaque client qui reçoit une coupure de presse est déclaré au CFC ou aux éditeurs. Nous sommes audités régulièrement et notre taux d'erreur est quasiment nul par rapport à nos déclarations. Lors de ces audits, les agents assermentés du CFC contrôlent scrupuleusement nos contrats, factures et portails clients, et vérifient chaque contenu mis à disposition durant une période donnée et le nombre d'utilisateurs autorisés à accéder au portail. Nous sommes l'un des marchés les plus transparents, contrôlés et sérieux en la matière. Il est de notre intérêt de conserver la meilleure relation avec nos éditeurs, car nous ne pourrions exercer notre métier sans la confiance qu'ils nous accordent. Croire que Kantar ou Cision, membres de la FeVeM, appartiennent à des groupes mondiaux qui ne respecteraient pas le droit est une vue de l'esprit.

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Christophe Dickès, membre de la FeVeM, en charge des droits d'auteur sur le plan international pour Kantar Media France et la FIBEP

Je vous remercie d'avoir accepté de nous écouter dans le cadre de votre mission d'information. La question du droit voisin suscite notre intérêt depuis plusieurs années. En 2013, la société Google est parvenue à un accord avec quelques éditeurs à hauteur de 20 millions par an pendant trois ans, alors que notre marché de niche de 100 millions payait autant voire davantage. Nous avons donc souhaité défendre nos intérêts sur le plan national et international.

Sur le plan international, j'ai travaillé à Bruxelles pendant trois ans au nom de la FIBEP (Fédération internationale des bureaux d'extraits de presse) et de l'AMEC (Association internationale pour la mesure et l'évaluation de la communication) dans le but de représenter les intérêts des sociétés de veille média. Notre objectif était de montrer qu'il existait des acteurs vertueux en Europe. Des équivalents du CFC existent dans plusieurs pays, comme au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie ou en Espagne. L'ensemble de ces organismes de gestion collective travaille avec les sociétés de veille et leurs clients. Les licences et leur modèle financier varient d'un pays à l'autre, mais ils servent à protéger nos activités ainsi que celles de nos clients.

L'idée d'un nouveau droit pour les éditeurs a émergé compte tenu de la prétendue ineffectivité du droit d'auteur face aux grandes plateformes d'Internet. Ce droit voisin a été imaginé par des éditeurs qui considéraient que le droit d'auteur ne leur permettait pas de négocier auprès des grandes plateformes et de leur faire payer des redevances. Mais il n'est d'aucune utilité sur notre marché et il est impensable que nous payions à la fois un droit d'auteur et un droit voisin.

Nous avons partiellement été entendus sur le plan européen. Dans son analyse d'impact sur le projet de directive européenne sur le droit d'auteur publié en 2016, la Commission a cité notre marché comme unique exemple pour avoir créé un système de licence pour les contenus numériques. Je vous renvoie à la note 486 de l'analyse d'impact. Cette analyse d'impact ajoutait que les sociétés de veille pourraient continuer à évoluer dans un cadre qui rémunère les éditeurs ou les auteurs. La Commission européenne soulignait enfin le fait que les éditeurs n'auraient pas d'intérêt à revoir un système qui fonctionne déjà, car nous avions exprimé notre inquiétude d'une augmentation des redevances. Je cite : «  l'instauration d'un droit voisin couvrant l'utilisation en ligne des publications de presse ne devrait pas faire augmenter les redevances de licence pour les prestataires de service en ligne qui concluent déjà des accords de licence couvrant spécifiquement l'utilisation de contenus informatifs numériques. Les redevances impliqueraient des coûts pour les seuls prestataires de services en ligne qui aujourd'hui ne concluent pas d'accord de licence pour la réutilisation de contenus d'éditeurs alors que conformément à la législation en matière de droit d'auteur, ils devraient en principe le faire  ». Il convient donc de faire une distinction entre ceux qui paient et ceux qui ne paient pas, que le CFC avait déjà opérée en créant une licence spécifique pour les acteurs qui agissent spécifiquement sur Internet, et qui utilisent dans leur service de veille numérique des contenus sans aucune autorisation. Il est vrai que d'autres opérateurs internationaux ne respectent pas les droits de propriété intellectuelle des éditeurs. Ces acteurs internationaux opèrent pour la plupart sur le marché français et ne souhaitent pas souscrire à la licence dite veille web créée par le CFC, disponible en ligne sur son site. Leur refus de verser des redevances de droit d'auteur alors que les membres de la FeVeM paient des droits constitue une distorsion de concurrence sur notre marché. Mais il ne s'agit pas, comme le soutenait M. Jean-Marie Cavada, de Kantar, de Factiva, qui possède des accords internationaux avec les éditeurs et appartient au groupe Wall Street Journal, ou de Reed Elsevier, éditeur de presse professionnel. Ces groupes respectent le droit d'auteur. Les acteurs qui ne paient pas de redevance de droit d'auteur sont connus et ont déjà eu affaire à la justice dans plusieurs pays, comme au Royaume-Uni.

Nous sommes intervenus sur le plan européen et national au moment de la transposition la directive européenne. À cette occasion, la députée Aurore Bergé, que nous remercions chaleureusement, a porté un amendement afin que les acteurs vertueux qui paient déjà des redevances de droit d'auteur ne soient pas soumis à une seconde redevance. M. Patrick Mignola, rapporteur de la loi et membre de votre mission, a affirmé «  qu'il existe des acteurs vertueux dans ce secteur, les sociétés de veille qui paient d'ores et déjà une redevance au titre des droits d'auteur aux sociétés qui publient des articles de presse  ». Il ajoute : «  je vois difficilement comment l'on pourrait demander à son client de payer deux fois des droits pour exactement la même prestation  ». M. Franck Riester, alors ministre de la culture, a confirmé lors des débats parlementaires que dans le cadre des négociations sur le droit voisin, les éditeurs ne pourraient raisonnablement faire payer un droit voisin aux utilisateurs de leurs contenus qui paient déjà des droits d'auteur. Cependant, cette précision n'a pu être expressément intégrée dans la loi, au risque de la rendre trop lourde, selon les propos de M. Mignola.

Il est toutefois primordial que l'application de ce nouveau droit n'aboutisse pas à un détournement de sa finalité initiale. À la suite de l'annonce publique d'un rapprochement de la SEPM avec la SACEM, la FeVeM a approché la SEPM pour lui présenter le bien-fondé de notre opposition. Le SEPM a acté que nous sommes des acteurs vertueux, que la loi avait pour objectif de faire payer des sociétés comme les GAFA, et qu'il existait dans le secteur de la veille numérique des acteurs dans l'illégalité qui devaient payer.

Nous sommes très inquiets de la tournure des événements, surtout depuis les propos de M. Cavada. Le CFC gère les licences et les systèmes de redevances sur notre marché. Il suffirait que ces licences et redevances couvrent le droit voisin sans droit supplémentaire. Nous avons signé une licence après plusieurs mois de négociations avec les auditeurs audiovisuels comme France TV et TF1 auprès du CFC pour exploiter ces contenus. Dans cette licence, le droit voisin est clairement exprimé comme payé dans l'ensemble avec le droit d'auteur. Or, pour des raisons politiques et d'inimitié entre les éditeurs, le CFC ne sera pas le seul organisme à intervenir sur notre marché au nom et pour le compte des éditeurs. Certains éditeurs entendent le gérer eux-mêmes, d'autres préfèrent faire appel à un autre organisme de gestion collective en cours de création sous l'égide de M. Cavada.

Sur notre marché, le droit d'auteur et le droit voisin sont interdépendants. La FeVeM craint que l'application du droit voisin aboutisse à un système contreproductif et trop complexe pour notre marché pourtant déjà régulé et qui paie trois fois plus que la moyenne européenne sur des marchés équivalents.

Nous nous inquiétons du fait que certains éditeurs ou le nouvel organisme en cours de création ainsi que la SACEM tentent de solliciter une redevance supplémentaire aux membres de la FeVeM et plus généralement aux sociétés de veille média. Cette redevance supplémentaire est inimaginable pour nous et ne correspond pas au souhait initial des législateurs. Il nous semble indispensable que la mission d'information tienne compte du risque majeur que représente un écartèlement des droits des éditeurs pour un même marché et une même activité. Nous savons que le nouvel OGC, la SACEM et le CFC sont en discussion pour travailler conjointement. Cependant, les propositions faites lors de vos auditions sur ce point ne nous semblent pas encore assez avancées et précises pour savoir si le cas des entreprises de veille média avait bien été pris en compte, et si le risque d'un double paiement pour nos entreprises sera bien écarté dans le cadre de la future organisation tripartite envisagée.

Concernant l'instance arbitrale pour débloquer les litiges dans les négociations entre les éditeurs et utilisateurs, nous sommes favorables à une telle instance, mais nous pensons qu'il ne devrait pas s'agir d'un arbitre, d'une autorité administrative ou d'un médiateur. La compétence de trancher les litiges dans la négociation et la fixation des redevances de licence de droit d'auteur ou de droit voisin devrait appartenir à une juridiction spécialisée, comme au Royaume-Uni ou en Australie. Cette instance devrait pouvoir traiter des situations de blocage comme celles que les éditeurs ont rencontrées avec les grandes plateformes, mais aussi des situations inverses où les éditeurs sont en position de force dans la négociation et en abusent. Il y a quelques années, des éditeurs nous ont imposé des prix prohibitifs et des conditions techniques d'accès impossibles à mettre en œuvre, car ils savaient que leurs contenus étaient indispensables à notre activité. Nous avions saisi le ministre de la culture pour réfléchir à la mise en place d'un régime juridique d'exception au droit d'auteur et au droit voisin. Ce régime serait compensé financièrement pour les titulaires de droit, notamment pour la presse étrangère, et permettrait aux sociétés de veille de suivre ensemble des médias en toute légalité en rémunérant les titulaires de droit.

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Pouvez-vous estimer le montant que représenterait cette deuxième rémunération ? Pouvez-vous revenir sur l'accord de licence de droit voisin avec l'audiovisuel sur lequel vous avez progressé ?

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Christophe Dickès, membre de la FeVeM, en charge des droits d'auteur sur le plan international pour Kantar Media France et la FIBEP

Lors des négociations à Bruxelles, la députée des Jeunes Pirates européens Julia Reda avait critiqué le fait que les éditeurs attendaient 10 % des revenus de Google. Nous versons 28 % de notre chiffre d'affaires et ce pourcentage est en augmentation pour l'année 2021. Il n'est pas envisageable que nous payions ce droit. Sur les 30 millions d'euros que nous versons au CFC, 10 millions reviennent aux éditeurs et 20 millions aux auteurs. Si des acteurs sur le marché paient entre 4 et 8 % de leur chiffre d'affaires alors que nous en payons au moins le triple, nous devrons demander une renégociation des accords.

L'accord sur l'audiovisuel prévoit que les droits d'auteur et le droit voisin soient tous deux inclus dans la licence, qui est disponible sur le site du CFC.

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Vos agences sont des acteurs du numérique qui ont proposé des accords de licence très tôt. Nous entendons votre revendication. Le droit voisin des éditeurs de presse a été mis en place, car certains éditeurs n'arrivaient pas à l'activer, il n'est pas destiné aux acteurs qui ont déjà un mécanisme de redevance. Dans la transposition, il n'est pas clairement écrit que vos acteurs économiques sont exclus du système proposé, mais des engagements ont été pris lors des discussions de la Commission et lors du débat parlementaire. Vous devrez trouver un équilibre. L'Autorité de la concurrence devra suivre de près cette application, car nous risquons d'assister à un autre biais de distorsion de concurrence.

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Denis Gaucher, président de la Fédération des entreprises de veille média (FeVeM), CEO de Kantar Media France

Nous ne pouvons pas payer deux fois cette redevance, d'autant moins au vu des montants que nous reversons déjà par rapport à la taille de nos activités. De plus, le risque de distorsion de concurrence est réel. Nous continuerons à verser 28 ou 30 % de redevance. Les acteurs qui ne reversent que 10 % de leur chiffre d'affaires deviendront des concurrents déloyaux sur notre marché, face auxquels il nous sera impossible de lutter.

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Christophe Dickès, membre de la FeVeM, en charge des droits d'auteur sur le plan international pour Kantar Media France et la FIBEP

J'ajoute que c'est la FeVeM qui a alerté le CFC que certains acteurs ne payaient pas de droit sur des articles accessibles gratuitement sur Internet. Dans les appels d'offres, les entreprises choisiront les entreprises les moins chères, malgré le risque juridique qu'elles peuvent courir. Les éditeurs ont freiné les avancées que nous souhaitions voir émerger, car ils refusaient de donner leurs droits numériques au CFC et préféraient en conserver le contrôle.

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Les futurs accords devront détailler d'un point de vue qualitatif ce que chaque licence octroie. Vous offrez un service complet de sélection, d'éditorialisation, mais aussi de contenu, qui n'est pas identique à celui des autres acteurs. Ce service vous permet de différencier le mode de rémunération. J'ai bien conscience que la situation restera difficile.

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Denis Gaucher, président de la Fédération des entreprises de veille média (FeVeM), CEO de Kantar Media France

L'évolution de la presse avec Internet, le numérique, les réseaux sociaux a créé une masse d'information de plus en plus importante. Des sociétés de niche que nous n'identifions pas comme des concurrents potentiels de nos activités répondent désormais aux mêmes appels d'offres que nous. Or, nous affichons des prix toujours 30 % plus cher, et cette différence coïncide avec les 28 % de redevances que nous payons. Même lorsque le client connaît la qualité de notre prestation, un tel écart de prix interroge.

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Christophe Dickès, membre de la FeVeM, en charge des droits d'auteur sur le plan international pour Kantar Media France et la FIBEP

Le CFC a opéré cette distinction que vous appelez de vos vœux. Il propose plusieurs types de licence selon que les sociétés de veille mettent à disposition l'intégralité d'un extrait audio ou d'un article ou qu'elles n'envoient que des sommaires sous forme de liens. Notre licence permet la mise à disposition d'articles complets. Ces contrats reposent sur des modèles financiers et des obligations différents.

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Vous avez évoqué l'amendement d'Aurore Bergé pour prévenir ce double paiement. Pensez-vous qu'il est nécessaire de l'inscrire dans la loi ?

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Christophe Dickès, membre de la FeVeM, en charge des droits d'auteur sur le plan international pour Kantar Media France et la FIBEP

Oui, très clairement. Cet amendement indique que le droit voisin est intégré aux droits d'auteurs pour les sociétés qui en paient déjà.

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Denis Gaucher, président de la Fédération des entreprises de veille média (FeVeM), CEO de Kantar Media France

Cette clarification nous éviterait d'être soumis à deux redevances, même si elle ne résout pas la question de la concurrence avec les différents acteurs du marché.

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. Merci. Si vous souhaitez ajouter d'autres éléments, vous pourrez nous les communiquer par voie écrite.

La réunion se termine à quatorze heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 14 heures

Présents. – Mme Émilie Cariou, Mme Virginie Duby-Muller