Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Réunion du jeudi 30 janvier 2020 à 12h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • disciplinaire
  • oeuvre
  • préfecture
  • radicalisation
  • sécurité intérieure

La réunion

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La séance est ouverte à 12 heures.

Présidence de M. Éric Ciotti, président de la commission.

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Chers collègues, nous poursuivons nos auditions en accueillant M. Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur, accompagné de Mme Laurence Gola de Monchy, sous-directrice de la protection.

Monsieur le préfet, Madame la sous-directrice, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation malgré un agenda chargé, pour répondre à des questions que nous vous avons adressées par écrit, et que nous allons compléter lors de cette audition.

Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée après l'attentat tragique qui a frappé la préfecture de police le 3 octobre dernier. Nous avons naturellement travaillé sur les faits eux-mêmes et leur auteur, sur l'environnement de la préfecture de police, mais aussi sur les procédures, notamment celles qui visent à détecter la radicalisation au sein de la préfecture de police. Nous serons d'ailleurs amenés à faire la semaine prochaine, avec M. le rapporteur, un point d'étape sur le déroulement des faits et le parcours de l'auteur, à l'extérieur comme à l'intérieur de la préfecture de police. Jusqu'à la fin des travaux de notre commission d'enquête, prévue à la mi-avril, nous allons aussi étudier tout ce qui concerne les professions sensibles au sein des services régaliens de l'État, à savoir celles qui sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale. C'est dans ce cadre que nous souhaitions vous entendre.

Je vous précise que cette audition se déroule à huis clos. Avant de vous céder la parole, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit que les personnes auditionnées par une commission d'enquête doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur le secrétaire général, madame la sous-directrice, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Christophe Mirmand et Mme Laurence Gola de Monchy prêtent successivement serment.)

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Je tiens naturellement à vous remercier de m'auditionner ce matin dans le cadre de votre commission d'enquête. Comme vous l'avez indiqué, je suis accompagné de Mme Laurence Gola de Monchy, adjointe au directeur, cheffe du service du haut fonctionnaire de défense.

Le secrétaire général du ministère de l'Intérieur n'est pas directement impliqué dans la gestion opérationnelle des événements qui sont survenus le 3 octobre dernier. Toutefois, compte tenu de mes responsabilités, il me revient à moi aussi de tirer les conséquences de cet attentat.

D'abord, en tant que haut fonctionnaire de défense, je dois m'assurer de la cohérence de la mise en œuvre de l'instruction générale interministérielle no 1300 (IGI 1300), en particulier de l'actualisation des demandes d'habilitation des agents du ministère travaillant dans les différents services, même si la maîtrise d'œuvre de ces procédures est assurée par les services spécialisés.

Ensuite, j'assure la responsabilité du pilotage de deux réseaux territoriaux : celui des préfectures et des sous-préfectures, mais également, depuis le 1er janvier dernier, des directions départementales interministérielles de l'État et des secrétariats généraux pour l'administration régionale. À ce titre, je dois veiller à la déclinaison, dans ces administrations, des orientations prévues par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP). Cela m'amène, en matière de détection et de prévention des phénomènes de radicalisation, à m'assurer que les garanties de sécurité dans le processus d'affectation dans les services sensibles sont renforcées. Cette démarche débouchera vraisemblablement, à terme, sur un élargissement des catégories d'agents qui sont soumis à des « criblages », pour reprendre le mot habituellement utilisé – ou à des « enquêtes administratives », selon les termes des articles L. 114-1 et R. 114-2 du code de la sécurité intérieure. Je dois également être attentif à une formalisation plus rigoureuse encore des procédures de signalement interne, de même qu'à la mobilisation de dispositifs de sécurité passive plus performants pour renforcer la gestion du risque en interne dans ces différentes structures administratives et limiter les actes malveillants.

Enfin, au titre des fonctions de gestion transversale dont j'assume la charge au ministère de l'Intérieur – car je suis responsable non seulement des ressources humaines, mais aussi de la gouvernance des systèmes d'information et de communication –, je dois aussi tirer les conséquences des événements du 3 octobre dernier s'agissant du renforcement du contrôle des accès au système d'information du ministère. Il s'agit là, naturellement, d'une préoccupation qui est exprimée très fortement par les services considérés comme « sensibles » – aux termes de l'arrêté du 30 novembre 2011 –, mais aussi, plus largement, par tous les fonctionnaires de la police nationale. À ce titre, il faut à la fois garantir l'intégrité des informations figurant dans ces systèmes d'information et, bien évidemment, veiller aux conditions d'accès.

Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, les quelques aspects que je souhaitais évoquer en guise de propos liminaires, avant d'aborder de façon plus précise, si vous le souhaitez, les questions que vous m'avez transmises.

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Monsieur le préfet, vous nous avez parlé d'une actualisation, à tout le moins d'une mise en œuvre plus précise de l'IGI 1300. Qu'entendez-vous par là ? Quelles dispositions ont été prises après le 3 octobre ? Quels étaient les défauts ou les failles ?

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

D'abord, il s'agit de veiller à ce que l'intégralité des procédures d'habilitation soient mises en œuvre, quel qu'en soit le niveau, pour l'ensemble des personnels du ministère de l'Intérieur qui y sont assujettis, ce qui suppose la vérification du catalogue des emplois correspondants. Cela concerne ensuite le travail qui est assuré par le service du haut fonctionnaire de défense avec les officiers de sécurité dans les différents services et directions du ministère de l'Intérieur, pour « animer » la relation et vérifier la bonne prise en compte des orientations de l'IGI 1300. Un autre élément me semble important : il s'agit, comme je le disais, des procédures qui doivent accompagner l'accès aux systèmes d'information. Nous avons, en particulier, étudié la situation du système de gestion des ressources humaines du ministère de l'Intérieur, qui s'appelle Dialogue 2, pour faire en sorte que l'accès aux informations nominatives des agents soit limité aux personnes ayant besoin d'en connaître. Les gestionnaires du système devraient également être soumis à enquête administrative. Par ailleurs, les informations feront l'objet d'un accès différencié en fonction de la nature des tâches devant être réalisées par les gestionnaires. Enfin, nous nous assurons de l'intégrité des systèmes d'information, car il faut éviter qu'ils puissent être détournés. Un certain nombre d'autres responsabilités incombent par nature au haut fonctionnaire de défense et à ses services, notamment le rappel des bonnes pratiques dans les services. Plus largement, je le répète, nous nous assurons que les principes de l'instruction générale interministérielle sont mis en œuvre de manière efficace.

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Je voudrais à présent vous interroger plus spécifiquement sur le risque de radicalisation et sur l'ampleur du phénomène au sein du ministère de l'Intérieur. Avez-vous, à cet égard, des statistiques ? Des éléments sur la police, notamment, nous ont déjà été fournis. Hier, comme vous le savez, nous avons auditionné le directeur général de la police nationale (DGPN), qui nous a donné des indications chiffrées, mais peut-être pouvez-vous nous dire de façon plus globale, c'est-à-dire sur l'ensemble des personnels du ministère de l'Intérieur, notamment dans son réseau territorial, que vous évoquiez – et qui a été élargi –, quel est le nombre de fonctionnaires ou de contractuels ayant fait l'objet d'un signalement pour radicalisation.

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Je commencerai par rappeler le dispositif qui est mis en œuvre pour détecter de telles situations.

Au niveau local, un correspondant a été désigné dans chaque préfecture. C'est lui qui, en particulier, prépare les réunions des groupes d'évaluation départementaux (GED), qui sont systématiquement présidées par l'autorité préfectorale. Ces groupes se réunissent de façon extrêmement régulière et associent, comme vous le savez, l'ensemble des services potentiellement concernés, au niveau local, par la détection de situations de radicalisation – ou de suspicion de radicalisation. Les correspondants sont naturellement responsables de la mise en œuvre d'une politique de vigilance auprès des partenaires extérieurs à l'administration de l'État au niveau départemental, mais ils sont aussi, en interne, chargés d'accompagner la détection de signaux ou la suspicion de radicalisation au sein des services de l'État, plus particulièrement des préfectures et des directions départementales interministérielles. Le correspondant, au niveau de l'administration centrale, est le responsable de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), lequel veille à la bonne remontée des informations. Une animation est réalisée par les préfets de zone en direction des préfets de département, pour s'assurer à la fois de la complétude des informations transmises au niveau national, de l'intensité de la vigilance et de la cohérence de la stratégie de prévention et de détection mise en œuvre au niveau local.

Au niveau national, il n'existe pas forcément de référents dans les services qui ne relèvent pas de la direction générale de la police nationale ou de la direction générale de la gendarmerie nationale. En revanche, une cellule de prévention de la radicalisation avait été installée à la direction des ressources humaines (DRH), qui avait des référents dans les bureaux de gestion des ressources humaines. Une première réunion s'était tenue en mars 2017. Bien évidemment, les événements du 3 octobre à la préfecture de police ont conduit à réactiver cette animation par la DRH au niveau central, avec la même logique de vigilance et de mise en éveil des services et des chefs de service concernés, comme le rappelle l'instruction diffusée en novembre dernier par le SGDSN, mais également le guide de prévention de la DGAFP, qui a été adressé à l'ensemble des administrations, y compris donc en ce qui concerne les fonctionnaires n'exerçant pas des missions de souveraineté.

J'en viens à votre question concernant les statistiques, tout en précisant que je n'évoquerai pas les cas qui ont été mentionnés par le directeur général de la police nationale, et que je m'en tiendrai aux services dont j'assure la coordination. On ne relève qu'un tout petit nombre d'agents ayant fait l'objet d'un signalement – trois, très précisément. Deux cas ont donné lieu à une procédure disciplinaire, et le troisième à une procédure de non-titularisation. Pour être plus précis, une suspension de ses fonctions avait été demandée fin 2019 pour un agent affecté dans une préfecture qui était soupçonné de radicalisation du fait de son comportement ; après instruction du dossier, le préfet a renoncé à la demande et le dossier a été clos. Une autre procédure, initiée en juillet 2019, également au sein d'une préfecture, a débouché sur une exclusion temporaire de fonctions de quinze jours, dont huit jours avec sursis ; elle concernait un fonctionnaire qui s'était obstiné, malgré des mises en garde réitérées émanant du préfet, dans une pratique religieuse sur son lieu de travail – il faisait notamment des prières sur un tapis. La troisième procédure a débouché sur la non-titularisation d'un inspecteur du permis de conduire, proposée en 2016 en commission administrative paritaire. Ces trois cas sont, à ma connaissance, les seuls ayant fait l'objet de procédures disciplinaires – en tout cas, ce sont les seuls à avoir été enregistrés par la direction des ressources humaines du ministère de l'Intérieur. Je me situe, je le rappelle, en dehors du périmètre de la police nationale, pour laquelle les chiffres vous ont été fournis.

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Pouvez-vous quand même nous les rappeler, ainsi que ceux de la gendarmerie, pour nous permettre de recouper les informations ?

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

En ce qui concerne la police, là encore, si on rapporte le nombre de signalements aux effectifs globaux, on constate que le phénomène est d'ampleur limitée. Avant le 3 octobre dernier, le groupe d'évaluation central, piloté par l'Inspection générale de la police nationale, avait été saisi de 84 signalements. Sur ce nombre, 56 avaient été classés après levée de doute et 28 avaient fait l'objet d'un traitement, étant considérés comme d'une gravité relative. Il s'agissait, pour la moitié d'entre eux, d'agents présumés être en contact avec des milieux islamistes radicalisés. Il faut relever que, d'après les services de la direction générale de la police nationale, ce chiffre est relativement stable depuis 2016. Depuis les événements du 3 octobre 2019, les services de la DGPN ont reçu 106 nouvelles saisines. Dans 83 cas, les dossiers étaient postérieurs aux événements du 3 octobre. Nonobstant ces événements, le nombre total des situations qui ont été révélées par ces signalements, s'agissant de fonctionnaires ou d'agents publics de la police nationale, apparaît donc, là aussi, relativement marginal. Voici, pour finir, les chiffres ventilés par direction : 44 cas à la préfecture de police, 36 dans des services relevant de la direction centrale de la sécurité publique, 11 à la police aux frontières, 6 parmi les compagnies républicaines de sécurité (CRS), 3 pour la police judiciaire, 3 pour le service de la protection (SDLP), 2 pour la direction des ressources et des compétences de la police nationale et 1 pour la sécurité intérieure. Il s'agit là de signalements, qui ne se traduisent pas par des procédures disciplinaires si la gravité des faits ou la motivation apportée ne le justifient pas.

Pour ce qui concerne la gendarmerie nationale, la quasi-totalité du dispositif de signalement fait l'objet d'une classification au titre du secret de la défense nationale. En revanche, s'agissant des personnels civils, le nombre de cas est, là aussi, très limité, puisque, selon les informations qui m'ont été données, seuls deux ont été révélés et pris en compte au niveau de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN).

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Comment les procédures de rétrocriblage, autorisées par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), plus particulièrement à travers l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure – qui prévoit notamment la mise en place d'un organisme paritaire –, ont-elles été mises en œuvre ?

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Ces dispositions concernent essentiellement les emplois mentionnés dans les articles L. 114-1 et R. 114-2 du code de la sécurité intérieure. La préservation tant des intérêts vitaux que de la sécurité des fonctionnaires concernés exigerait d'en élargir le nombre pour procéder au criblage des fonctionnaires affectés dans ces services considérés comme sensibles, même s'ils n'y occupent pas forcément des fonctions de responsabilité et d'encadrement. À titre d'illustration, pour ce qui concerne les préfectures, j'évoquerai les services de la protection civile ou encore les services chargés des systèmes d'information et de communication au niveau local : il conviendrait d'élargir les enquêtes administratives à leurs agents, ce que nous ne pouvons pas faire aujourd'hui.

Il en va de même pour l'accès à certains systèmes d'information. Le souci de restreindre le nombre de gestionnaires ayant accès à des données nominatives concernant en particulier des fonctionnaires de police, notamment lorsqu'ils sont affectés dans des services sensibles, m'a conduit à proposer un dispositif visant à élargir l'éventail des restrictions d'accès : il s'agirait de modifier le paramétrage du système d'information lui-même, de réduire le nombre de gestionnaires pouvant avoir connaissance de ces informations et de soumettre à l'avenir à criblage systématique et périodique tous les agents concernés, afin de s'inscrire dans une stratégie de prévention plus dynamique.

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Nous nous interrogeons également sur les prestataires du ministère ou des collectivités. Je pense en particulier aux agents de sécurité qui seraient amenés à travailler dans les périmètres de protection prévus par la loi SILT. Les personnels des prestataires du ministère font-ils l'objet d'un contrôle par le service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) pour accéder au ministère ? Le même degré de sécurisation que pour les fonctionnaires est-il exigé et appliqué ?

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Les emprises du ministère de l'Intérieur sont classées par arrêté ministériel « zone protégée ». En vertu de l'IGI 1300, les restrictions d'accès se traduisent par une interdiction de pénétration sans autorisation ; les personnes qui ne respecteraient pas ces dispositions peuvent faire l'objet d'une sanction pénale. Ce système de contrôle et de réglementation des accès aux sites s'applique à l'ensemble des services centraux du ministère de l'Intérieur. La délivrance des badges est soumise à des enquêtes réalisées non pas par le SNEAS mais par le service de la protection (SDLP) : ce dernier a délégation pour assurer cette mission et réalise ces contrôles même dans des situations d'urgence, c'est-à-dire lorsqu'un tiers à l'administration est supposé avoir besoin d'y accéder.

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Cela concerne tous les services centraux du ministère de l'Intérieur, à savoir le site de Beauvau, le site de Garance, situé à proximité de la place de la Nation, le site de Lumière, situé à Bercy, ainsi que les services basés à Lognes et dans les Hauts-de-Seine. Les préfectures, pour les services déconcentrés, appliquent à leur niveau des contrôles pour l'accès à leur enceinte, avec des degrés variables ; des consignes ont été données pour renforcer les accès aux points les plus vulnérables, c'est-à-dire les cabinets des préfets, les services de protection civile et les services des systèmes d'information et de communication.

Certains services ou emprises dont le degré de sensibilité est plus important nécessitent un classement en « point d'importance vitale » : les mesures de protection sont durcies ; ils font l'objet de contrôles préalables et récurrents, toujours assurés sous la responsabilité du SDLP, mais également en lien étroit avec les hauts fonctionnaires de défense qui s'assurent de l'intégrité des mesures de protection correspondantes.

Pour ce qui concerne 2019, le SDLP m'a indiqué avoir réalisé 6 840 enquêtes en vue de l'habilitation de personnes à venir travailler de façon plus ou moins durable sur les différents sites du ministère de l'Intérieur ; 102 ont été refusées par le SDLP, soit 1,49 % des demandes, ce qui représente une proportion relativement faible ; l'analyse se fait sur la base de critères objectifs. Cette procédure concerne les prestataires, c'est-à-dire des personnes ayant vocation, en application d'un contrat ou en qualité d'apprenti, à intervenir de façon régulière et sans être systématiquement accompagnées sur les sites du ministère de l'Intérieur. Les visiteurs font quant à eux l'objet d'un badgeage systématique et d'un accompagnement pendant leurs déplacements ; ils ne sont pas supposés pouvoir accéder librement aux différents locaux du ministère.

Je citerai un exemple de la direction des ressources humaines : en février 2019, nous nous sommes aperçus qu'un salarié d'un prestataire d'assistance à maîtrise d'ouvrage qui assurait de la tierce maintenance applicative sur un des systèmes d'information du ministère avait été concerné par une procédure d'enquête administrative par le SDLP ; il s'est vu refuser l'accès aux locaux. Nous avons naturellement demandé à ce prestataire de l'écarter des équipes intervenant sur les sites du ministère de l'Intérieur. Cela m'a conduit à prescrire à l'ensemble des services, dans le cadre de la création d'un service ministériel des achats, de prévoir désormais systématiquement une clause relative à la sous-traitance dans tous les marchés publics passés par le ministère de l'Intérieur : les prestataires soumissionnant dans ce cadre devront s'engager à accepter le criblage et l'habilitation de leurs personnels sous-traitants ainsi que, le cas échéant, leur rejet.

Ce dispositif nous apparaît robuste du point de vue de la couverture des risques, même s'il faut en permanence veiller à son efficacité. Un incident qui s'est produit à Lognes nous a amenés, avec le SDLP, à prendre certaines dispositions pour renforcer les mesures de contrôle des bagages des visiteurs. Un grand nombre de personnes extérieures sont en effet amenées à intervenir dans ce site consacré à la formation permanente. Le dispositif est révisé de façon régulière et fait l'objet d'un suivi par ma directrice adjointe de cabinet, qui s'assure du bon respect des normes et des rappels périodiques aux services du ministère de l'intérieur.

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Un des fonctionnaires préposés à la surveillance des accès à ce site avait cru déceler la présence d'une arme longue à l'intérieur d'un bagage, ce qui avait immédiatement déclenché une intervention de l'unité de recherche, assistance, intervention et dissuasion (RAID) : un contrôle exhaustif de l'ensemble du site a été effectué après évacuation et contrôle des personnels pour s'assurer qu'il n'y avait pas de risque. En définitive, nous avons conclu à un dysfonctionnement de l'appareil, dont le niveau de performance a été vérifié.

Par ailleurs, dans le questionnaire que vous m'avez adressé, Monsieur le président, vous m'interrogez sur l'application des dispositions disciplinaires, notamment sur l'efficacité de la commission instituée par l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure. Malgré le petit nombre de cas, l'analyse des décisions de la juridiction administrative invalidant des procédures d'exclusion ou de révocation de fonctionnaires présentant un risque de radicalisation nous a amenés à considérer que les procédures disciplinaires n'étaient pas toujours appropriées pour décider de mesures conservatoires et surtout que les faits reprochés aux agents ne pouvaient pas toujours fonder des mesures de révocation pour faute grave. Les règles de la fonction publique exigent en effet que cette faute grave soit qualifiée, ce qui n'est pas évident. De plus, les faits commis par un agent en dehors du service public et qui ne sont pas de nature à porter préjudice à celui-ci ne seront pas forcément sanctionnés dans le cadre d'une procédure disciplinaire. Enfin, on l'a vu dans les contentieux que j'évoquais, quand bien même cette procédure disciplinaire serait mise en œuvre, elle ne débouche pas forcément sur une mesure de mise à l'écart ou de révocation des agents concernés.

La commission paritaire prévue à l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, qui est compétente pour muter ou radier un agent public occupant des emplois participant à l'exercice de missions de souveraineté de l'État, nous paraît être un dispositif approprié, d'une part parce qu'elle peut prendre des mesures de suspension provisoire très rapides et, d'autre part, parce que cette procédure s'inscrit dans un délai assez court, la commission disposant d'un mois pour statuer. L'administration peut ainsi prendre des dispositions et tirer les conséquences d'un risque de radicalisation ou d'une radicalisation avérée, quand bien même une procédure disciplinaire ne serait pas envisageable.

Ce dispositif garantit le maintien de leurs droits aux agents concernés. Nous avons été amenés à l'appliquer dans une procédure en cours et sur le détail de laquelle je ne m'étendrai pas, qui concerne un brigadier de police affecté dans un département de la petite couronne. Nous avons le sentiment que les garanties apportées dans ce cadre permettent d'agir plus efficacement qu'une procédure administrative disciplinaire classique.

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Est-ce la première fois que cette commission se réunit ?

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

À ma connaissance, oui.

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Elle va se réunir ; le dossier est en cours d'instruction.

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La mission d'information sur les services publics face à la radicalisation, dirigée par Éric Diard et Éric Poulliat, a auditionné le préfet de police Michel Delpuech. Celui-ci a cité des cas très concrets de procédures disciplinaires connaissant des résultats aléatoires devant les juridictions administratives, certaines procédures étant annulées. Il est toujours difficile de faire valoir devant le juge administratif des éléments de preuve tels que des notes blanches. Avez-vous engagé une réflexion sur ce sujet ?

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, créée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, a recours à un magistrat spécialisé du Conseil d'État habilité au secret de la défense nationale pour analyser les éléments de preuve qui ne peuvent pas être examinés dans un cadre juridictionnel administratif classique. Cette idée ne pourrait-elle pas prospérer ? Il faudrait un véhicule législatif, naturellement, et cela pourrait d'ailleurs constituer une proposition de notre commission. Lorsque les services de renseignement ont connaissance d'un risque, comment faire usage de leurs informations alors que celles-ci ne peuvent être opposées dans le cadre d'une procédure administrative disciplinaire classique ?

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Sans avoir fait une analyse juridique précise, il me semble qu'un tel dispositif présenterait des avantages même si cela me paraît poser des problèmes au regard des règles habituellement applicables aux recours devant le Conseil supérieur de la fonction publique : une procédure disciplinaire doit en effet garantir les droits du fonctionnaire concerné en permettant notamment à ses représentants d'accéder au dossier. L'intérêt de la procédure prévue à l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure est d'autoriser l'administration à écarter un agent, à prendre des sanctions à son encontre et même à prononcer sa révocation sans être forcément obligée de communiquer toutes les informations dont elle dispose pour justifier cette mesure. Il serait difficile, dans un dispositif fondé sur le paritarisme avec les représentants du personnel, de faire admettre à ceux-ci que l'absence d'accès au dossier complet leur est opposable ; c'est un peu la limite de cette question juridique.

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C'est un problème juridique. Nous avons auditionné le directeur du renseignement militaire (DRM), le directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) et le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) : selon eux, dès qu'il y a soupçon, on retire l'habilitation, et dès que l'on retire l'habilitation, les personnes concernées quittent la DGSI ou la DRM. Or on les déplace dans des endroits où elles peuvent être tout aussi dangereuses !

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Tout à fait ! Dans des services où tous les personnels sont soumis à habilitation, c'est un moyen commode de régler ce type de difficulté, mais cela ne règle pas la question de l'évolution d'un agent suspecté de radicalisation et dont le comportement pourra poser problème quel que soit le service où il sera affecté. C'est un sujet important parce que les informations issues des services de renseignement ne peuvent pas être communiquées dans le cadre de telles procédures.

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J'ai lu dans la presse que, dans le contentieux concernant le capitaine de la préfecture de police affecté à la brigade de l'exécution des décisions de justice, qui avait saisi le juge administratif en référé, la décision a été favorable au ministère de l'Intérieur. Cela étant, les sources de contentieux sont nombreuses.

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Nous avons incontestablement des situations difficiles à gérer parce que la commission que j'évoquais tout à l'heure est compétente pour les emplois de souveraineté : cela ne couvre pas la totalité du spectre des fonctions occupées par des fonctionnaires de la police nationale ou de la préfecture. Le retrait de l'habilitation n'est pas la solution permettant de régler de façon systématique cette difficulté.

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Quelle est la définition des missions de souveraineté relevant de la sécurité ou de la défense ?

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Ces missions sont visées par l'article R. 114-2 du code de la sécurité intérieure et concernent un nombre limité d'emplois : les emplois supérieurs de l'État mais aussi des responsabilités d'encadrement dans les préfectures, ou encore la responsabilité de services de protection civile. On voit bien que cela ne touche pas la totalité des agents.

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Est-ce que tous les agents dans la police sont concernés par cet article ?

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Le spectre est plus large pour eux puisque cela pourrait concerner tous les fonctionnaires de la police nationale.

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Nous sommes d'accord. Cette disposition concerne les préfectures.

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Christophe Mirmand, secrétaire général du ministère de l'Intérieur

Tout à fait. J'évoquais tout à l'heure la situation d'un gradé de la police qui, à ma connaissance, n'est pas dans un service considéré comme sensible, et n'occupe pas des fonctions de souveraineté au sens strict ; néanmoins, il serait concerné par la mise en œuvre de ces dispositions.

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Merci, monsieur le préfet, pour vos réponses ; vous nous avez parfaitement éclairés.

La séance est levée à 12 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, Mme Constance Le Grip, Mme George Pau-Langevin