Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du mardi 9 juillet 2019 à 18h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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L'audition débute à dix-huit heures trente-cinq.

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La présente audition va s'attacher aux scénarios de transition énergétique.

Nous recevons M. Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt, bien connue pour son scénario 100 % énergies renouvelables, et M. Jean-Pierre Pervès, au nom de l'association Sauvons le climat.

La transition énergétique n'est pas seulement consommatrice de subventions, elle est aussi grande productrice de scénarios et, si je voulais être malicieux, je dirais de scénarios sur la façon de consommer des subventions.

La convergence de ces scénarios est-elle avant tout le résultat d'une forme de rationalité intellectuelle partagée ou plutôt celui d'un comportement mimétique ?

Quelle démarche intellectuelle recouvrent-ils ? Cherche-t-on à intégrer le plus possible de constats du réel ou plutôt à les écarter pour conforter des visions a priori, voire ce qui pourrait ressembler à des passions mises en équation ?

Qu'est-ce qui rend solides ou fragilise les trajectoires qu'ils préconisent ? Un peu comme Descartes prenait pour maxime de marcher le plus droit possible, toujours du même côté, pour sortir d'une forêt où l'on se serait égaré, faut-il dérouler la mécanique des choix faits au nom de leur cohérence plutôt que de prendre du recul pour tenir compte de l'apprentissage du réel ? En clair, quand M. ou Mme Tout-le-Monde se rebiffe, qui se trompe, du modèle ou de M. ou Mme Tout-le-Monde ?

Enfin, un risque n'est-il pas qu'à mesure que le temps passe, un peu comme la République était belle sous l'Empire, la transition énergétique ne se révèle d'autant plus aimable qu'elle ne déroule pas encore toutes ses conséquences économiques, sociales et même environnementales ?

Voilà quelques questionnements visant à pimenter cette audition qui fera entendre deux points de vue et peut-être à montrer comment on aboutit à des conclusions différentes en partant d'un diagnostic en grande partie partagé ?

S'agissant d'une commission d'enquête, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».

(M. Yves Marignac et M. Jean-Pierre Pervès prêtent successivement serment.)

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

Monsieur le président, merci pour l'introduction en forme de défi, car nous sommes ici pour engager une discussion. Les questions que vous posez sous une forme un peu ironique sont de vraies questions. En particulier, celle de l'utilité des scénarios et des analyses prospectives est extrêmement sérieuse, ces dernières ne visant pas, par définition, une description du réel mais de ce qu'il pourrait être. L'équilibre entre volontarisme et réalisme dans la description de ces trajectoires est une question essentielle.

Créée en 2001, l'association négaWatt fonctionne à partir d'un noyau dur d'environ vingt-cinq experts de terrain travaillant dans les différents secteurs de la transition énergétique : énergies renouvelables (EnR), biomasse, efficacité énergétique du bâtiment et des collectivités. Le fait que ce collectif travaille concrètement à la mise en œuvre de solutions de transition énergétique nous aide à nous ancrer dans le réel. Avec ces vingt-cinq personnes, 250 autres qui discutent de ces sujets au sein de l'association et ses 1 200 membres, négaWatt est bien installée dans le débat sur la transition énergétique. Elle œuvre à la proposition de solutions pour l'éclairer et la mettre en œuvre.

Notre approche répond à deux exigences qui, pour reprendre avec réalisme vos questionnements, sont essentielles.

La première vise à répondre aux urgences de long terme. Au regard de notre système énergétique, la situation actuelle n'est pas soutenable. Les objectifs de soutenabilité, qu'il s'agisse de la lutte contre le dérèglement climatique, de la protection de la biodiversité ou de la réduction de notre empreinte carbone sont des objectifs de long terme, parce qu'ils exigent des transformations qui nécessitent du temps, mais aussi des objectifs urgents, parce que ces transformations ne peuvent avoir lieu que si nous inscrivons dès aujourd'hui toutes nos décisions et nos actions dans cette direction. Il faut aller d'autant plus vite que, sur tous ces sujets, les impacts auxquels nous devons faire face obéissent à des logiques cumulatives, qu'il s'agisse des émissions de gaz à effet de serre, de la perte de stocks de biodiversité ou de la perte de stocks de matières non renouvelables.

La deuxième exigence est d'assurer une cohérence systémique. On traite bien de l'ensemble des impacts de l'ensemble du système énergétique et même au-delà. Par conséquent, la question du choix de la mobilisation de certaines ressources énergétiques plutôt que d'autres et de la manière dont on les transforme ou on les transporte pour répondre à différents usages doit être considérée dans sa complexité, dans l'ensemble de ses interactions et de ses impacts. La nécessaire transformation du système pour le rendre soutenable ne peut être maîtrisée qu'en saisissant toutes ces dimensions.

La réflexion que nous portons pour répondre à ces exigences est connue. C'est la démarche dite du triptyque négaWatt. Premièrement, travailler en priorité sur les services rendus par l'énergie, hiérarchiser, prioriser, dimensionner les services à la hauteur des vrais besoins, c'est-à-dire tout ce qui relève de la sobriété individuelle et collective. Deuxièmement, agir en remontant de la chaîne des services vers les ressources énergétiques, vers la performance et les rendements de tous les équipements afin de diminuer les pertes d'énergie. C'est la rénovation thermique en profondeur des bâtiments, l'efficacité de nos véhicules, de nos équipements électroménagers, etc. Troisièmement, substituer les ressources moins soutenables par des ressources plus soutenables. Nous insistons sur la gradation, parce qu'il n'y a pas de ressources intrinsèquement soutenables, toutes consomment des matières, du sol ou des commodités. Pour nous, le principal facteur de distinction entre les catégories de ressources moins soutenables et plus soutenables, c'est l'épuisement de stocks, ce qui est le cas des énergies fossiles et du nucléaire, même s'il est globalement décarboné. Nous distinguons les ressources qui épuisent des stocks des ressources qui s'appuient sur des flux, qui sont donc les énergies renouvelables.

Sur cette base, nous développons une analyse prospective en explorant la trajectoire sur laquelle peut se placer la France. En respectant de manière cohérente un équilibre entre le volontarisme de la démarche, le réalisme de la situation de départ et l'inertie avec laquelle les choses peuvent se faire, nous construisons des scénarios de long terme. Ces scénarios sont indispensables pour éclairer une vision à long terme et une trajectoire robuste, décrite pas par pas, capable, à partir de notre situation actuelle, d'atteindre une soutenabilité, de tracer un chemin concret. Sur cette base, il est possible de réfléchir à des politiques et à des mesures rendant cette trajectoire possible, avec la question sous-jacente de la transition juste et de l'acceptabilité sociale, c'est-à-dire de la bonne répartition dans la durée et entre les acteurs des efforts et des bénéfices.

Une fois posée la méthode, le scénario négaWatt produit une trajectoire visant 100 % d'énergie renouvelable pour répondre aux besoins français à l'horizon 2050. C'est aussi et surtout la première trajectoire de neutralité carbone à avoir été proposée pour la France à cet horizon. C'est donc la première trajectoire proposant un respect par la France de son engagement dans l'accord de Paris.

Cette neutralité carbone procède de la combinaison de différents leviers tous importants à nos yeux.

Le premier consiste en l'application systématique de la sobriété d'usage, non seulement de l'énergie mais aussi de la consommation alimentaire, des biens produits par l'industrie, en lien avec d'autres émissions de gaz à effet de serre que le CO2, de l'efficacité des bâtiments par la rénovation thermique et de l'action sur l'ensemble des performances de nos équipements.

Elle requiert parallèlement un développement progressif des énergies renouvelables reposant sur les énergies renouvelables électriques, les énergies renouvelables issues de la biomasse et sur une réflexion complète et systémique sur l'affectation de différentes ressources aux différents usages. Cela implique par exemple le développement des pompes à chaleur, donc d'un usage performant de l'électricité pour chauffer les bâtiments. Cela signifie l'électrification de la mobilité, à l'exclusion du fret ou des grands déplacements interurbains, pour lesquels un recours au gaz d'origine renouvelable doit être privilégié. Globalement, le développement à parts égales des renouvelables électriques et des renouvelables issus de la biomasse permet, moyennant une multiplication par 3,5 de la production renouvelable d'aujourd'hui, objectif ambitieux mais pas démesuré, de fournir à l'horizon 2050 pratiquement 100 % des besoins en énergie.

Les émissions de CO2 de l'énergie auront quasiment disparu, les émissions d'autres gaz à effet de serre dans les autres secteurs seront divisées par deux. Les changements de pratique de gestion des sols agricoles et forestiers reconstituent partiellement la capacité de nos sols à stocker naturellement du carbone. Cet ensemble aboutit à la neutralité.

Parallèlement, nous avons regardé d'autres impacts du système énergétique. La pollution atmosphérique est divisée par deux dans les principales zones d'exposition. L'utilisation de matériaux d'origine minérale est également divisée par deux.

Nous avons regardé le contenu économique de cette trajectoire. J'évoquais la transition juste, et une telle trajectoire représente pour la collectivité une opportunité pour s'y engager. Globalement, le scénario negaWatt, mais c'est aussi le cas pour d'autres trajectoires de même type, implique à court terme un léger surcroît d'investissement par rapport aux scénarios tendanciels dont il serait faux de croire qu'ils ne représentent aucun coût, mais celui-ci est un investissement pour l'avenir. S'il représente environ 5 milliards d'euros de dépense supplémentaire dans les premières années, on atteint rapidement et durablement, jusqu'à 2050, un bénéfice de plus de 20 milliards d'euros par an par rapport à un scénario tendanciel. Ce bénéfice se traduit en création de valeurs dans les territoires, en défense du pouvoir d'achat des ménages, en compétitivité des entreprises et en création nette de plusieurs centaines de milliers d'emplois. Nous n'avons aucun doute quant au caractère bénéfique de cette trajectoire.

Je ferai un focus sur les renouvelables électriques. Nous appelons à sortir des raisonnements que l'on entend beaucoup, que certains experts ont tenu devant cette commission d'enquête, qui consiste à dire qu'investir dans les EnR électriques pour remplacer un parc déjà décarboné n'a aucun sens. Ce qui n'a aucun sens, c'est de raisonner comme si la situation était figée. Ce qui a du sens, c'est de se projeter dans la transformation du système à l'horizon 2050, donc de décider si l'on continue à recourir massivement ou partiellement au nucléaire ou si l'on se dirige vers 100 % d'énergies renouvelables. Le choix n'est pas entre ne pas investir parce qu'on a un système décarboné ou investir pour transformer la production d'électricité, mais de choisir dans quoi réinvestir puisque, quoi qu'il arrive, le parc nucléaire actuel ne sera plus présent dans le système en 2050.

La grande nouveauté des dix à quinze dernières années, et le phénomène s'accélère tous les jours, c'est que le passage vers 100 % d'électricité renouvelable qui pouvait être considéré comme une utopie ou une évolution marginale ne représentant pas une menace pour le nucléaire comme pilier du système énergétique français, est aujourd'hui techniquement et économiquement réalisable. Cela change la nature du débat en rendant possible la compétitivité des énergies renouvelables, la possibilité de solutions de gestion à long terme de leur variabilité, y compris au-delà des niveaux de 60 ou 70 %, considérés par Réseau de transport d'électricité (RTE) comme les seuils critiques. Un système électrique où la charge passerait du pilotage de grosses capacités centralisées, comme c'est le cas aujourd'hui, à un pilotage par la flexibilité de la demande et des solutions de stockage, est devenu crédible. Il représente à long terme un investissement moindre que la prolongation du parc à hauteur de 100 milliards d'euros pour une dizaine d'années, voire un peu plus, puis le réinvestissement massif dans un nouveau système nucléaire beaucoup plus coûteux que le système actuel et qu'un système visant les 100 % d'électricité renouvelable.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Monsieur le président, Madame la rapporteure, nous cherchons plutôt à regarder ce qui est en train de se passer, à estimer si nous sommes dans la bonne voie, sachant qu'en matière climatique, il est urgent de travailler dans les dix à quinze ans qui viennent, faute de quoi, nous serions en grande difficulté dans une vingtaine d'années.

Le bilan est pour le moins décevant. Sur les quatre à cinq dernières années, les émissions de CO2 ont augmenté, les consommations de combustibles fossiles et la consommation finale d'énergie ont augmenté. On n'est pas du tout en passe d'atteindre les objectifs de baisse de 10 à 20 % fixés pour 2023. De plus, dans les deux domaines essentiels que sont le transport et le résidentiel, on constate également une croissance, alors qu'ils représentent les deux tiers de nos émissions de gaz carbonique.

La loi de transition énergétique pour une croissance verte (LTECV) est une réussite en matière de développement des énergies renouvelables électriques, dont l'objectif fixé est pratiquement atteint. Les gagnants sont la biomasse solide, largement nationale, très intéressante, et deux technologies à forte valeur ajoutée que sont l'éolien et le solaire, en grande partie importées. Pour le reste, les résultats sont insuffisants, tant pour les constructions neuves que pour les rénovations et les biocarburants.

Pour progresser, il convient de s'appuyer sur un moyen de jugement. Une étude de France Stratégie rappelle qu'en 2008, la commission Quinet avait fixé la valeur tutélaire du carbone de nature à atteindre la neutralité carbone à 108 euros la tonne en 2030, tandis que le gouvernement avait fixé une taxe carbone à 100 euros la tonne pour le même horizon. La commission Quinet, estimant qu'il avait considérablement sous-estimé la difficulté de la tâche, propose aujourd'hui de fixer à 250 euros la tonne d'équivalent CO2, ajoutant que si l'on ne va pas assez vite, ce prix atteindra 500 euros à 2040 et 800 euros en 2050, ce qui montre l'ampleur de la tâche.

Il est connu qu'un moins gros avantage a été consenti aux EnR thermiques qu'aux EnR électriques, qui bénéficient de pratiquement huit fois plus de subventions et ont apporté deux fois moins d'énergie et évité deux fois moins de CO2.

Au niveau européen, on fixe des objectifs ambitieux dans tous les domaines, mais on n'a pas le sentiment qu'on a fait le point entre ce qui coûte cher d'un côté ou de l'autre pour déterminer ce sur quoi il faut insister. C'est pourquoi nous disons qu'il ne s'agit pas d'analyse mais de wishful thinking. En outre, il est surprenant que l'on ne parle pas du rôle que peut jouer le nucléaire, qui représente 24 % de l'électricité en Europe.

Pour ce qui est de l'habitat, une enquête de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) sur les travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles (TREMI) est révélatrice. Elle montre que sur cinq millions de rénovations, seuls 5 % ont été un succès en faisant gagner deux classes énergétiques. Le coût moyen de chaque opération est de 26 000 euros. Pour la moitié des maisons françaises qui consomment pratiquement cinq fois plus que les bâtiments bas carbone (BBC) d'aujourd'hui, il faudrait dépenser 390 milliards d'euros. Est-ce possible pour les particuliers ? Le calcul de la quantité de CO2 économisée fait apparaître une trentaine de millions de tonnes sur soixante-dix, soit 650 euros la tonne. Cela confirme que progresser essentiellement par les économies d'énergie est hors de prix et est aujourd'hui inaccessible. Il va falloir progresser plus souplement. Remplacer un chauffage au fioul par une pompe à chaleur coûte seulement 13 000 euros, contre les 26 000 euros précédemment évoqués, et l'économie de CO2 est presque deux fois plus importante, soit une efficacité quatre fois supérieure. C'est pourquoi nous disons que la solution n'est pas de réduire la production d'électricité, comme le propose l'ADEME, mais de faire appel à l'électricité en substitution, en particulier pour les bâtiments.

Il est indispensable de substituer une électricité non carbonée au fioul et au gaz, de promouvoir les actions d'efficacité énergétique les plus rentables, comme l'isolation des plafonds, et de développer une gestion souple.

À cela s'ajoute une réglementation thermique pour le bâtiment, la RT 2012, qui va dans le mauvais sens, puisqu'elle avantage le chauffage au gaz, ne respecte pas les règles européennes et pénalise lourdement les 10 millions de logements chauffés à l'électricité en multipliant leur consommation annuelle par le facteur 2,58. Je rappelle que le gouvernement envisage d'appliquer un malus, ce qui est de nature à créer une nouvelle affaire de gilets jaunes.

Nous sommes favorables au développement du transport électrique, particulièrement adapté à France, en remplacement du fioul par une électricité décarbonée.

J'ai entendu le patron de Peugeot regretter d'avoir été très peu consulté. L'engagement en faveur du tout électrique pour 2040 pèse très lourd, parce que nous avons de grandes entreprises exportatrices, parce que 80 % du monde n'aura pas d'électricité décarbonée et parce que les voitures thermiques vont rester nombreuses pour beaucoup plus que vingt ans. Il faudrait réfléchir au devenir de nos industriels.

Nous constatons aujourd'hui l'échec des biocarburants. Quant à l'hydrogène, ce n'est sûrement pas pour les dix ans quoi viennent, mais peut-être pour plus tard.

Dans un rapport publié en mars dernier, l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) estimait l'investissement total pour dix millions de voitures électrifiées entre 41 et 168 milliards d'euros, incluant les batteries et l'hydrogène des piles à combustible. Un tel écart révèle le niveau d'incertitude. En supposant qu'en 2040, la moitié du parc soit électrifiée et que l'autre moitié reste à électrifier, l'investissement est de l'ordre de 30 à 50 milliards d'euros pour un gain de CO2 d'environ 40 millions de tonnes. Le coût de la tonne de CO2 économisée ressort alors plutôt de 100 à 200 euros, soit un peu moins qu'indiqué par la commission Quinet. De ce côté, il y a donc un gain à espérer.

Le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévoit d'amplifier l'appel aux énergies renouvelables thermiques, ce que nous préconisions depuis dix ans mais qui n'était pas fait. Je note tout de même une singularité. On voit apparaître relativement peu de progrès d'ici 2023, puis une accélération phénoménale. Est-ce réaliste ? Je n'y crois pas. Des croissances de 500 % pour la chaleur fatale et le biogaz sont-elles réalistes ? Je suis loin d'en être sûr en termes de ressources. Je regrette que le peu de progression envisagé des pompes à chaleur et du solaire thermique, qui sont réellement sources de progrès en matière de carbone.

Concernant l'électricité, je fais ressortir un point qu'on ne souligne pas souvent. En Allemagne, la puissance électrique a connu une croissance formidable, passant de 115 à 206 GW, alors que la puissance pilotable est restée au même niveau. Ce n'est pas un investissement, mais en grande partie un surinvestissement. Quand on parle de compétitivité, on ne tient pas compte du fait que c'est un surinvestissement. Selon le CGDD, le service allemand de l'économie, de l'évaluation et de l'intégration du développement durable, le prix de l'électricité a augmenté de 70 % pour les familles et de 50 % pour l'industrie, en 2019. Un GW d'électricité nucléaire produit 6,2 fois plus qu'un GW d'éolien ou de solaire. En Allemagne, les émissions de CO2 sont quasi stables depuis huit ans. On sent donc qu'il y a un vrai problème. Voulons-nous aller dans la même direction ?

En France, les coûts de l'électricité pour la famille croissent clairement, de 24 % ou 28 % en euros constants, suivant le type de contrat, depuis une douzaine d'années, essentiellement à cause de la « contribution » au service public de l'électricité (CSPE). Je note cette grande singularité que la CSPE, qui était censée financer l'énergie renouvelable, est devenue un « impôt » pur versé directement au budget de l'État, soumis, de plus, à la TVA. La CSPE avec sa TVA représente la moitié du coût de production de l'électricité en France.

Selon des documents publiés par la commission de régulation de l'énergie (CRE) en 2017, en dix ans, le prix d'achat de l'éolien par EDF a augmenté régulièrement. L'électricité photovoltaïque reste cinq fois plus chère que le prix de marché. La biomasse et le biogaz sont eux-mêmes deux trois fois plus chers que le prix du marché. Les coûts restent très élevés, même si l'on attend de voir apparaître des appels d'offres plus favorables, sans tenir compte des externalités, c'est-à-dire du fait que c'est une énergie non contrôlable.

Alors qu'il propose un gros effort pour l'énergie renouvelable, le Gouvernement demande de consentir un effort encore plus important pour le renouvelable électrique, avec une croissance très forte : doublement pour l'éolien pendant dix ans, doublement pour le solaire pendant cinq ans, puis quadruplement pendant cinq ans. Est-ce bien raisonnable ? Comme les Allemands, notre volume total d'EnR va presque doubler, tandis que notre puissance contrôlable diminuera régulièrement jusqu'à une vingtaine de GW à l'horizon 2035. Donc, nous nous fragilisons.

Pour le comprendre, j'ai repris un transparent présenté par François-Marie Bréon, montrant le caractère aléatoire de la production de l'éolien et du solaire, sans lien avec la consommation. La variabilité est très grande. J'ai multiplié les productions éoliennes et solaires par le ratio des puissances, pour montrer ce que cela donnera en 2028 si l'on fait ce qui est prévu. Il y a des moments où l'on aura besoin d'une puissance pilotable quasiment identique à celle d'aujourd'hui, ce qui signifie que les EnR ne jouent pas leur rôle de remplacement. En revanche, on aura par moments de fortes singularités, avec des variations de puissance considérables qu'il faudra gérer avec d'énormes machines thermiques. L'été, c'est encore plus flagrant. Avec 40 GW d'énergie solaire, il y aurait des jours où cela pourrait suffire à la production totale. Six heures plus tôt, j'aurai eu la pleine puissance pilotable, que je devrai arrêter, avec une évolution de l'ordre de six à huit centrales à l'heure en régime de fonctionnement. En tant qu'ingénieur, tout cela ne me paraît pas très bien pensé, sachant qu'on n'aura pas de stockage à cet horizon-là. Donc, cela ne fonctionnera pas.

Est-ce qu'on va pouvoir compter sur les voisins, comme l'ont dit le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de la transition écologique ? On dit toujours qu'il y a du vent et du soleil partout. Ce n'est pas vrai. Un transparent montre la réalité, en Allemagne, Angleterre et Espagne, nos trois grands voisins. En hiver comme en été, nous avons du vent à peu près tous en même temps. Il n'y a pas de foisonnement. On va surdimensionner les réseaux pour relativement peu d'échanges. On parle toujours de puissance transférée mais l'important, c'est l'énergie transférée. Du côté du solaire, il y a une heure à une heure et demie d'écart entre les pays, de sorte que, là non plus, il n'y aura pas de foisonnement.

Pour conclure, j'ai demandé à un de mes collègues, Henri Prévot, de comparer une solution extrême dans laquelle on ne ferait plus d'éolien et de solaire, avec une solution où on fait exactement ce qui est prévu dans la PPE pour aller à 85 GW d'éolien et de solaire. On constate qu'on économise très peu de CO2, mais on le sait depuis longtemps, et que le coût du CO2 économisé est de l'ordre de 700 à 1 000 euros la tonne ! Même en se trompant d'un facteur 2, cela reste monstrueux. Pourquoi retenir une telle solution alors que nous avons des réacteurs qui peuvent fonctionner beaucoup plus longtemps et que nous avons dix ans pour décider du futur ?

Dans le même temps, on va voir s'écrouler la puissance garantie, qui passera de 87 à 75 MW, alors qu'on nous annonce moins de GW d'origine nucléaire en Europe et 35 GW de moins issus du charbon et du lignite. L'Europe est en train de se fragiliser, l'Allemagne va devenir importatrice. Est-il raisonnable de continuer à compter sur eux ? La valeur de l'action pour le climat est très importante. Je suggère qu'on travaille dans cette direction.

Mes deux derniers transparents font état de recommandations. Pour nous, les bons paramètres sont : le coût de la tonne de CO2 évitée sur vingt ans ; le développement des usages de l'électricité – je ne vois pas l'intérêt de la réduire – ; des EnR électriques qui accompagnent le développement et non se substituent à des énergies déjà décarbonées ; privilégier les EnR thermiques. On en a certainement peu parlé dans votre commission d'enquête, mais la réglementation thermique appliquée aux bâtiments est totalement inadéquate. Elle doit être reprise et mise en conformité avec la réglementation européenne qui n'est pas respectée.

Il y a actuellement en Europe un double marché, dont l'un est protégé et l'autre assume toutes les responsabilités. Cela ne peut pas continuer, on va vers une catastrophe. De plus, il est insensé d'augmenter de 6 % le prix de l'électricité pour que des marchands puissent faire plus de bénéfice.

Les transports et les bâtiments sont des secteurs critiques. La France est forte de son mix électrique, c'est une folie de vouloir le détruire. La baisse du nucléaire contrainte par la loi est un contresens climatique. Il est regrettable que de nombreuses instances compétentes, l'OPECST, les académies, l'institut Montaigne, soient moins sollicitées que les grandes ONG qui sont relativement totalisantes et très internationales.

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. Ces deux exposés nous ont fait entendre deux discours sinon entièrement antinomiques, du moins substantiellement différents.

Monsieur Marignac, que pensez-vous des arguments qui viennent d'être développés au nom de l'association Sauvons le climat ?

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. Cela va être un peu difficile, car nous venons d'entendre une présentation dans laquelle on nous a jeté à la figure un grand nombre de chiffres et raisonnements le plus souvent partiels.

Par exemple, on insistait vers la fin sur la nécessité de maintenir une puissance garantie, tandis qu'un peu plus tôt, on nous expliquait qu'il n'était pas très intéressant de travailler à la rénovation performante et complète des bâtiments. Nous pensons au contraire qu'agir pour la rénovation performante des bâtiments est utile non seulement du point de vue climatique, mais aussi pour le dimensionnement du système électrique, puisque 30 à 35 % de l'appel au réseau aujourd'hui en France viennent des pointes de chauffage électrique en hiver.

Nous pensons par ailleurs, et cela était absent des commentaires du représentant de Sauvons le climat, qu'il est important du point de vue de la justice sociale, de la lutte contre la précarité et d'une vision à long terme de ne pas évoluer vers des bâtiments aux performances énergétiques si différentes que cela deviendrait socialement problématique en termes de facture énergétique des ménages. C'est l'illustration d'un raisonnement à mon sens simpliste mais difficile à décrypter à cause de l'abondance de chiffres, ce que j'avais précisément choisi d'éviter. Je ne peux m'y engager individuellement au nom de l'association négaWatt, mais nous pourrions répondre par écrit à certains des arguments chiffrés avancés.

D'évidence, nous sommes tous d'accord pour considérer le bilan actuel comme décevant. L'action sur le système énergétique n'est pas suffisante. L'action sur les transports fait pratiquement défaut. Nous ne faisons pas partie de ceux qui se satisfont de la situation actuelle en disant : la France est exemplaire, elle a déjà un mix bien plus décarboné que les autres pays, etc. Comme je le disais en introduction, notre niveau d'émissions exige une action rapide.

Il a été relevé que l'octroi de subventions était très favorable aux énergies renouvelables électriques. C'est vrai, mais il ne faudrait pas en déduire que soutenir les énergies renouvelables électriques est inutile et que cette subvention est la manifestation de leur surcoût réel. Il convient de faire la part entre les coûts de ces énergies et le niveau des mécanismes de soutien dont elles bénéficient, et c'est l'un des objets de votre commission d'enquête. Nous savons tous ici que la politique de soutien par des tarifs d'achat très mal ajustés, via du stop and go qui n'a même pas permis de bénéficier du développement industriel des filières françaises correspondantes, a été catastrophique.

Parce que des engagements ont été pris, on continue de payer durablement et très chèrement ces tarifs d'achat et leur écart avec les prix de marché. Mais il ne faudrait surtout pas déduire de ce constat que les énergies renouvelables électriques sont chères, vont rester chères et que continuer à les soutenir est une mauvaise idée. Au contraire, elles atteignent aujourd'hui des niveaux qui, si l'on dimensionne correctement les mécanismes de soutien et si l'on veille à ne pas dérégler le marché, les rendront très performantes.

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. Quand vous dites que cela a augmenté, c'est parce qu'on paie le prix du passé. Monsieur Pervès, êtes-vous d'accord sur ce point ?

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Je suis en partie d'accord. Dans la nouvelle PPE, la recherche de rénovation performante est abandonnée. Il fallait généralement présenter au moins trois rénovations en même temps pour obtenir une aide et l'on pourra désormais aider une seule rénovation dans la mesure où elle est la plus efficace. Cette tendance à abandonner les rénovations lourdes reflète bien un surcoût trop élevé pour les familles.

Concernant les énergies renouvelables électrogènes, il est clair que le coût de façade, qui est le coût d'achat hors externalité négative, hors le fait qu'il n'y a pas de garantie, hors stockage et hors suivi du réseau, est en train de devenir beaucoup plus intéressant. Je ne dis pas qu'il faut arrêter de les encourager. J'ai comparé un peu artificiellement un cas extrême à un autre. On peut continuer à les développer, parce qu'on peut garder un très bon socle pilotable. On peut développer des renouvelables en ayant une bonne garantie de suivi du réseau, mais pour accompagner une croissance de l'usage de l'électricité nécessaire par ailleurs. Je suis pour le développement des renouvelables mais pas pour remplacer du nucléaire le plus vite possible, c'est-à-dire d'ici 2035.

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. Je crois comprendre de votre réponse qu'en disant que l'on va vers le coût de marché, on exclut des externalités négatives.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Si vous les mettez seules, cela ne marche pas. Vous devrez avoir une centrale à côté, que vous arrêterez pour laisser la place aux autres productions, ce qui donc coûtera plus cher. Le jour où nous aurons des capacités de stockage, il faudra considérer le prix non pas de l'éolien et du solaire, mais le prix de l'éolien et du solaire plus celui du stockage.

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. Monsieur Marignac, pouvez-vous réagir sur ces deux points ? Premièrement, pour les EnR électriques, à condition qu'elles accompagnent une demande et viennent en complément d'un supplément de demande. Deuxièmement, lorsque vous affichez un coût de parité réseau, vous oubliez une partie du coût.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. Avant de répondre sur ces deux points fondamentaux, je ferai un commentaire au sujet de la rénovation thermique des bâtiments. On a parlé d'un coût moyen de 26 000 euros pour des opérations performantes, multiplié ce chiffre pour obtenir 390 milliards d'euros, puis comparé avec les coûts d'installation de pompe à chaleur. Derrière une opération de rénovation performante, il y a quand même une économie réalisée sur la consommation d'énergie du bâtiment. Il faut regarder le coût sur la durée d'investissement et d'opération. Bien sûr que la rénovation performante des bâtiments est rentable, bien sûr qu'il faut trouver les moyens de faire en sorte qu'elle soit neutre en trésorerie pour les ménages qui la réalisent. Nous savons aujourd'hui proposer des solutions pour cela. Je ne reviendrai pas non plus sur la norme RT 2012 qui ne respecterait pas les règles européennes, ni sur le coefficient de 2,58. Je vous renvoie à des publications récentes de négaWatt sur le sujet et que je me ferai un plaisir de vous transmettre.

J'en viens à vos deux questions.

La première différence, c'est qu'indépendamment du choix de l'énergie à laquelle on recourt, comme je l'indiquais tout à l'heure, la démarche doit d'abord viser à raisonner sur les usages, sur la sobriété raisonnée, sur la performance des équipements, donc sur l'efficacité. J'ai entendu dire qu'il n'y avait pas d'intérêt à réduire la consommation électrique. Nous soutenons au contraire que, quelles que soient les options, elles ont des impacts et des coûts, et que maîtriser notre consommation d'électricité comme celle des autres consommations présente évidemment un intérêt majeur. D'autant plus que nous sommes à un moment où l'on doit réinvestir dans notre système et où la maîtrise de la consommation est la clé pour maîtriser industriellement et économiquement, du point de vue des ménages comme des entreprises, ces besoins de réinvestissement. Nous partageons la vision d'une tendance à l'électrification des usages mais pour autant, nous considérons qu'il existe des réserves de sobriété et d'efficacité pour l'électricité comme pour le reste. Pour nous, ce n'est pas un drame que la consommation d'électricité n'augmente pas, au contraire. C'est ce qui permet de raisonner sur un système aux coûts maîtrisés.

S'agissant du développement des renouvelables et/ou maintien du nucléaire…

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. Toutes les énergies ont un coût pour le système. L'énergie nucléaire n'est économiquement performante qu'en base. Si vous voulez en sortir et amener le nucléaire à faire du suivi de charge, comme EDF l'évoque fréquemment, vous serez très vite limité. EDF dit que l'on peut moduler en trente minutes 80 % de la puissance d'un réacteur, mais EDF ne dit jamais qu'il existe, dans les règles générales d'exploitation par réacteur, des limites au nombre de fois où on peut le faire et au moment du cycle de fonctionnement du réacteur où on peut le faire. L'idée d'un parc faisant massivement de l'adaptation de modulation par rapport aux renouvelables ne relève que du wishful thinking. Même si on le faisait, on perdrait dramatiquement en rentabilité du nucléaire, parce que le coût de production se dégrade très vite lorsque le facteur de charge diminue.

Les énergies renouvelables ont besoin de back up en petite partie. Dans les années 2000, RTE disait qu'il fallait un MW thermique pour chaque MW d'éolien. Aujourd'hui RTE dit que le raisonnement est totalement faux. L'année dernière, RTE a publié des éléments montant que le coût de back up dans son scénario avec 70 % de renouvelables électriques en 2035 était admissible du point de vue de la sécurité électrique. RTE, qui a également regardé le scénario de l'ADEME, la projection 100 % renouvelables, dit que le coût de back up est compris entre 0 et 12 euros du MWh. Si vous considérez le coût des énergies renouvelables les plus performantes que l'on situe à 50 euros le MWh, si vous considérez le coût possible de nouveau nucléaire très optimisé, estimé à 70 euros le MWh, chiffre auquel je ne crois pas, vous constatez qu'en projection, la différence entre les renouvelables avec leur back up et le nucléaire reste favorable aux renouvelables.

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. Est-ce qu'il n'y a pas une déformation méthodologique de prendre le coût du nouveau nucléaire basé sur le seul EPR de Flamanville, qui n'est pas terminé ? Si j'avais fait le même raisonnement sur le premier parc éolien, j'aurais pu vous dire qu'à 400 euros du MWh, il n'est pas rentable. N'est-il pas contradictoire de ne pas prendre en compte les coûts passés de l'éolien et du photovoltaïque, liés aux erreurs, aux tâtonnements, aux « stop and go », mais de retenir le coût prévisible du nucléaire.

Les coûts échoués n'incluent-ils pas le fait que quand vous produisez de l'électricité au moment où personne n'en veut, les prix deviennent négatifs et vous payez des gens pour acheter votre électricité ? Vous prenez en compte le prix plus le prix du back up, mais n'y a-t-il pas d'autres coûts, notamment lié au fait de devoir payer les Allemands pour acheter de l'électricité ?

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Tout d'abord, ma présentation était d'une tout autre nature, ce qui est normal puisque nous ne nous sommes pas concertés. L'association Sauvons le climat est préoccupée par le climat. Nous nous intéressons aux économies d'énergie et à d'autres sujets, mais le climat nous préoccupe et il semblerait que cela préoccupe aussi le Président de la République. Dans cette mesure, nous avons tenté de vous montrer aujourd'hui que l'important, ce sont les dix ou quinze prochaines années. Je ne suis pas en train de parler de 2050. Il y a une énorme différence entre faire de la programmation et faire de la prospective. La prospective est destinée à aider à faire de la R&D. Si celle-ci me montrait que, dans les dix ans qui viennent, l'énergie solaire deviendrait quasi gratuite, que nous aurions des moyens de stockage formidables et que nous n'aurions plus besoin de nucléaire, cela ne me gênerait absolument pas. Mais cette preuve est loin d'être faite. Que fait-on aujourd'hui en vue sauvegarder beaucoup CO2 dans les temps qui viennent ? C'est pourquoi ma présentation était très différente. J'aurais pu vous présenter notre scénario de développement du nucléaire, dans lequel on n'atteint jamais à 100 % de nucléaire, mais globalement, cela procède d'un raisonnement différent.

Par exemple, M. Marignac estime vertueux d'économiser l'électricité et d'en consommer moins. Moi, je dis que si un KWh d'électricité me permet de fournir trois ou quatre kilowattheures, dont deux ou trois renouvelables récupérées dans l'atmosphère, j'ai fait plus d'électricité mais j'ai globalement économisé de l'énergie, donc j'ai été vertueux. Une pompe à chaleur a un rendement de trois à quatre, ce qui signifie une réduction d'un facteur de trois ou quatre la consommation d'électricité.

Les bâtiments et les transports sont des domaines difficiles. Treize ans après le Grenelle de l'environnement, on constate une constance politique puisque, dans ces deux secteurs, on continue à consommer plus. Cela ne va franchement pas ! On ne tient pas le bon raisonnement. Faut-il continuer ainsi ? Je ne vois d'autre solution aujourd'hui que de remplacer rapidement du carboné par du non carboné. Le non carboné, ce sont des renouvelables thermiques et le nucléaire que nous avons aujourd'hui. C‘est pourquoi je ne suis pas du tout sur le même mode de présentation.

J'ai insisté sur la RT 2012 et j'insiste sur la RE 2020, car c'est vital. Je dis qu'on ne respecte pas les règles européennes. La performance énergétique d'un bâtiment, c'est l'énergie finale consommée et non l'énergie primaire avec le facteur 2,58. Mettez-vous à la place d'un propriétaire de logement électrique voisin d'une famille identique qui est chauffée au gaz, à qui l'on dit que la maison au gaz est performante et que la maison électrique ne l'est pas, alors qu'elle consomme exactement la même quantité d'énergie ! C'est incompréhensible. On trompe les citoyens. Quand on nous dit qu'on va imposer un malus à la vente pour des maisons mal classées et que les dix millions de logements chauffés à l'électricité vont être défavorisés, on est face à un vrai problème. Il va falloir modifier radicalement la RT 2012. Il y a une tricherie de la part du ministère du Développement durable et de l'ADEME à dire que l'énergie primaire, c'est la performance énergétique du bâtiment. Ce n'est pas du tout ce que dit l'Europe.

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. Pour la clarté de nos échanges, je vous invite à répondre dans l'ordre aux différents points.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Il était important que je dise en quoi ma présentation était différente.

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. Il est difficile de faire des questions et réponses à la fois sur la RT 2012 et sur le coût de l'éolien en sortie de production, tous sujets extrêmement intéressants.

Monsieur Pervès, estimez-vous avoir répondu à M. Marignac sur les coût échoués ?

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. J'attends de voir l'effet des chiffres annoncés. Je suis dans la prospective.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. J'attends de voir. Je n'ai pas ces chiffres-là. Je vois apparaître des prix qui sont ceux du marché mais qui sont sans externalités. Je vois apparaître qu'on fragilise le pilotage du réseau du point de vue français comme du point de vue européen, ce qui m'inquiète pour les dix ans à venir.

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. Monsieur Marignac, il vous reste à répondre à deux questions.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. On va introduire de la confusion si on discute à la fois coûts et prix.

Je reviendrai sur la différence entre regarder les quinze prochaines années et avoir une vision prospective. Pour tout vous dire, je suis gêné par l'attitude de l'association Sauvons le climat, sur ce point. Aujourd'hui, elle a un scénario à long terme, le scénario Négatep qui, à ma connaissance, n'est pas un scénario de neutralité carbone. C'est un scénario facteur 4 sur le CO2 de l'énergie, donc un scénario qui trace une trajectoire très insuffisante par rapport à notre engagement et à l'objectif de neutralité carbone. Si on veut parler de programmation et de priorité pour les quinze prochaines années, il ne faut pas du tout les penser en référence aux choses les plus accessibles aujourd'hui. On se trompe car on risque de tuer des gisements qui sont indispensables à exploiter pour atteindre les objectifs à long terme.

La question de la rénovation thermique des bâtiments en est le parfait exemple. Renoncer à rénover en profondeur nos bâtiments, si on n'a pas de solution pour décarboner autrement et totalement les bâtiments, c'est se tirer une balle dans le pied. Je le répète, pour nous, cette urgence du long terme guide les priorités et nous amène à dire aujourd'hui quelles sont les priorités d'action, mais ce n'est pas pour cela que nous ne faisons pas de programmation et ce n'est pas pour cela que nous ne disons pas quelles sont les priorités aujourd'hui en termes de politiques et mesures.

Je ne voudrais pas que l'on croie que la différence, c'est que nous ne nous intéresserions qu'au long terme, alors que d'autres, plus pragmatiques, regarderaient le court terme. La différence, c'est que nous inscrivons la programmation de court et de moyen terme dans une trajectoire cohérente pour l'ensemble du système, pour l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050, qui est celui de l'atteinte de cet objectif. Cela n'empêche pas que nous soyons d'accord sur l'intérêt de la pompe à chaleur.

En disant que le coût de l'EPR était de 70 euros le MWh, j'ai été extrêmement optimiste. On attend l'actualisation par EDF de l'impact du problème des huit soudures dans les espaces inter-enceintes, mais on estime d'ores et déjà le coût de production de l'EPR en construction à Flamanville très supérieur 100 euros le MW. Le coût de production de la centrale nucléaire d'Hinkley Point, dont le chantier a pourtant démarré beaucoup plus tard, est d'ores et déjà envisagé à un niveau supérieur à celui-là.

Vous demandiez de vous ancrer dans le réel, le concret et dans les constats. Or l'histoire du parc nucléaire français montre une courbe d'apprentissage négative. Nous l'avons documenté sur la base de chiffres que nous avions obtenus d'EDF, à l'époque, où j'ai eu la chance de travailler sur l'analyse du parc nucléaire actuel pour le rapport Charpin-Dessus-Pellat au Premier ministre Lionel Jospin. Les chiffres des coûts de construction de nos réacteurs montrent une courbe d'apprentissage négative. On fait d'ailleurs le même constat aux États-Unis. Donc, l'hypothèse de 70 euros le MW est extrêmement optimiste au regard de l'expérience historique.

Par ailleurs, il n'est pas trop optimiste de considérer que le coût des meilleures énergies renouvelables va se stabiliser à 50 euros le MWh. Ce serait supposer que la courbe d'apprentissage extrêmement rapide qu'elles ont connu ces dix dernières années s'arrêterait brutalement, alors qu'il n'y a aucune raison pour cela. Au contraire, il est très probable que dans les prochaines années, l'écart entre le coût des énergies renouvelables et le coût du nucléaire va s'amplifier au profit des renouvelables. Il s'agit du coût de production, le « coût complet » des nouveaux moyens de production. Il faut évidemment tenir compte système. J'ai répondu sur l'analyse du coût du système énergétique. Si on dirige la focale sur le système électrique, il n'y a pas de différence fondamentale dans l'évolution du coût du système électrique dans une trajectoire vers le 100 % renouvelables telle que nous l'avons chiffrée, y compris en y intégrant des solutions qui, à terme, deviennent essentielles pour tenir compte de l'équilibre du système, après qu'on a épuisé les possibilités de foisonnement des différentes énergies.

Tout à l'heure, on nous a montré un foisonnement ne portant que sur l'éolien. De grâce ! regardons quand même des systèmes renouvelables dans lesquels on joue sur la complémentarité des filières de l'éolien, du photovoltaïque, de l'hydraulique, dont nous avons la chance d'être pourvus en France, avec de la biomasse pilotable. Combinons tous ces éléments. Ajoutons-y du pilotage de la demande, et on fera le lien entre les coûts et les prix. Vous évoquiez des prix de marché négatifs pour l'éolien. Il y a aujourd'hui un vrai problème de design de marché. Le nucléaire et surtout les renouvelables que l'on développe aujourd'hui ont un coût marginal nul. Le développement de grandes capacités installées de ces filières rend très difficile la régulation par des prix de marché qui ont plutôt tendance à s'ajuster sur le coût variable de consommation de combustibles dans les centrales thermiques. Mais les solutions de pilotage de la demande que j'évoque visent à faire coïncider la demande pour les usages pilotables non pas avec les moments de creux de la demande, comme c'est le cas aujourd'hui avec les chauffe-eau mis en fonctionnement la nuit, mais avec les pics de productions renouvelables. Des études montrent que ce faisant, on valorise les capacités renouvelables, on réalise des économies sur l'ensemble du système, notamment au regard du back up, et on régule favorablement le marché par des situations où ces services peuvent être rémunérés à l'usager.

Au-delà de la question des coûts, il faut repenser l'ensemble des mécanismes de régulation du marché. En intégrant le pilotage de la demande et même en intégrant des solutions de stockage, notamment ce sur quoi négaWatt insiste depuis quelque temps, à savoir le Power to Gas, on a devant nous un système qui coûterait moins cher que le redéveloppement d'installations nucléaires.

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. Qu'entendez-vous par l'expression « tuer le gisement de la rénovation énergétique » que l'on entend régulièrement ?

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. C'est une problématique qui monte en France et en Europe. L'analyse par l'agence européenne de l'environnement de la trajectoire carbone des différents pays a souligné une tendance à retenir des actions de court terme qui compliquent l'atteinte de performances à long terme.

Les deux exemples classiques portent sur la rénovation. Il y a toujours l'idée qu'on pourrait faire de la rénovation performante par étapes, mais techniquement, économiquement et socialement, cela ne marche pas bien. Techniquement, parce que la cohérence des différents gestes est rendue plus compliquée, du point de vue de l'enveloppe, du changement de mode de chauffage et d'enjeux liés de ventilation. Économiquement, parce que, comme une grande partie des coûts concerne la mise en œuvre de chantier, le coût global de l'opération est entièrement désoptimisé. Socialement, parce que faire plusieurs fois des interventions sur le même bâtiment à l'échelle de vingt ou trente ans est pesant et rend les opérations moins souhaitables. Il y a une appétence à aller chercher les premières opérations en se disant que c'est toujours cela de gagner, mais à long terme, cela tue le gisement de la rénovation complète et performante du bâtiment.

Le second exemple, qui concerne une grande partie des pays européens, est le remplacement des centrales à charbon par des centrales à gaz. Cela permet des économies de CO2 parce que, de ce point de vue, le gaz est plus performant que le charbon, mais installe dans le paysage de nouveaux équipements qui y sont durablement et réduit la capacité à transformer plus profondément le système électrique à l'horizon 2050. Pour ne pas tuer le gisement, il faut adapter les actions d'aujourd'hui à une trajectoire de long terme atteignant les performances à long terme.

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. Si je comprends la logique de centrale, je ne comprends pas l'inconvénient des réalisations par étapes. Aujourd'hui, chaque fois que c'est possible, on opte pour la rénovation globale, et quand ce n'est pas possible, on s'oriente par étapes vers la rénovation globale au sein d'un parcours. Selon vous, cela fonctionne-t-il ou pas ?

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. Si ce que vous venez de décrire correspondait à ce qui est fait, ce serait très bien. Mais aujourd'hui, on encourage fortement les acteurs à agir par étapes et même par petites étapes. Comme Jean-Pierre Pervès l'évoquait, à chaque fois qu'on rediscute de ces sujets, on réduit la conditionnalité des aides à l'ampleur des gestes et à la performance atteinte. On fait du saupoudrage.

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. Vous éprouvez une inquiétude vis-à-vis de la sincérité de la méthodologie que je viens de décrire, c'est-à-dire rénovation globale chaque fois que c'est possible et par étapes, incluses dans un parcours de rénovation énergétique chaque fois que cela ne l'est pas, mais ce fonctionnement vous conviendrait.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. C'est précisément ce qu'on ne fait pas et c'est précisément ce qu'il faudrait faire. Les outils techniques, financiers et d'accompagnement existent.

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. Monsieur Pervès, vous avez dit à plusieurs reprises que le stockage était de l'ordre du fantasme. Comment avez-vous acquis cette certitude ?

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Je me suis contenté de dire que ce n'était pas pour les dix ans qui viennent. Dans le pilotage du réseau français et européen, on confond les réserves et les stockages, qui n'ont pas du tout la même destination. Quand survient un incident, comme la disparation d'une centrale ou la chute d'une ligne, il faut, en quelques secondes, mobiliser de la puissance pour éviter l'effondrement de la fréquence et du réseau. Dix, quinze ou vingt secondes plus tard, on commence à voir apparaître des apports supplémentaires d'énergie parce qu'on a demandé à des centrales à charbon ou nucléaires fonctionnant à 2 % au-dessous de leur puissance de monter brutalement de 2 %, ce qui est parfaitement autorisé par l'autorité de sûreté. Puis, par appels d'offres, on met d'autres machines en route pour compenser celles qui sont tombées. C'est ce que l'on appelle la réserve. Aujourd'hui, les renouvelables peuvent contribuer à la réserve, mais très peu, uniquement pour la réserve primaire, en quelques secondes, avec des batteries. Les batteries peuvent apporter de la puissance mais pour très peu de temps ou à des prix insensés.

En revanche, s'agissant de stockage de l'électricité lorsqu'il y a pénurie de vent durant plusieurs semaines, comme cela s'est produit cette année, il est question de dizaines, voire de centaines de GWh et on entre dans des systèmes beaucoup plus grands. La totalité des barrages français ne représentent que 5 % de notre énergie. Les seules solutions possibles restent la méthanisation, l'hydrolyse ou les pompes à chaleur, mais les rendements actuels sont infimes. Les rendements éoliens et solaires doivent être affectés d'un facteur 3 ou 4. On doit prévoir 4 kWh pour avoir 1 kWh au bout. C'est très compliqué et très cher. Si on voulait faire ici ce qui a été fait en Australie du Sud, il en coûterait des centaines de milliards d'euros.

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. Vous considérez-vous comme expert du sujet ou bien avez-vous concaténé des informations pour tirer cette conviction ?

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Je suis un généraliste beaucoup plus qu'un expert de tel ou tel domaine. Mais mon association compte des experts en matière de biomasse, d'électricité ou de bâtiment sur lesquels je m'appuie. Je vois la littérature, je travaille beaucoup à titre personnel. J'estime donc avoir un jugement. Dans mon métier, j'ai eu toute ma vie à avoir à juger de programmes dont les créateurs étaient plus compétents que moi.

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. Je ne doute pas de votre intérêt pour tous ces sujets d'expertise.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Je pense avoir une assez bonne sensation de l'affaire.

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. Nous sommes d'accord qu'une des inquiétudes qu'on peut avoir à l'encontre des EnR résulte de leur capacité à d'aller vers du stockage crédible, et aujourd'hui, vous avez une sensation de l'affaire. D'énormes budgets sont en jeu et nous devons nous fonder sur plus qu'une sensation du sujet. Depuis beaucoup d'auditions, j'entends des gens asséner un certain nombre d'éléments au sujet du stockage. Or le sujet est extrêmement mouvant, les recherches évoluent très vite. À mon sens, notre information n'est pas suffisamment mature pour affirmer aussi catégoriquement que vous le faites que le stockage, c'est comme si et pas comme ça.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Je n'affirme ni une chose ni une autre. Je dis qu'aujourd'hui, ce n'est pas démontré. Les démonstrations nécessitent des budgets énormes. On doit pouvoir commencer de manière progressive en vérifiant l'augmentation des rendements. L'erreur à ne pas faire est celle qui a été commise en 2006 avec les biocarburants de première génération. Nous pensons qu'il faut engager des activités de R&D en matière de stockage. Aujourd'hui, nous sommes assez loin du compte. De même qu'on parlait de l'efficacité énergétique il y a longtemps, de même, nous ne sommes pas partis sur vingt ou trente ans mais sur cent ans. Quand on voit l'âge du parc immobilier français, quand on sait que la RT 2012 vise un objectif de consommation de 80 kWh par mètre carré et par an, alors que la moyenne actuelle est 240, il est évident qu'on ne l'obtiendra jamais, sauf à tout détruire au profit de constructions neuves. On est très loin du compte !

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. Il s'agit de transformer les bâtiments existants en bâtiments à énergie positive.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Je rejoins beaucoup d'arguments de M. Marignac. Mais on disait la même chose il y a dix ans et, depuis, on n'a pas progressé.

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. Après avoir laissé réagir M. Marignac sur la question du stockage, je vous demanderai sur quoi vous êtes d'accord.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Je suis d'accord sur le fait qu'il faut travailler sur le stockage. Je suis d'accord pour dire que si, dans trente ans, des énergies renouvelables performantes et des moyens de stockage performants qui nous dispensent de nucléaire, pourquoi pas ? Si on n'a plus besoin de gaz, pourquoi pas ? Mais aujourd'hui, en Europe, on est en train de se mettre entre les mains des Russes, des Qatariens et Iraniens pour le gaz.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. La question de la dépendance au gaz importé mais avant tout du pétrole importé est une des raisons pour laquelle nous sommes très favorables au développement du biogaz. Nous avons beaucoup parlé du renouvelable électrique et je vais y revenir, mais j'en profiterai pour souligner que la trajectoire de développement du biogaz est un des points sur lequel la PPE nous semble insuffisante. Dans cette vision optimisée, intégrée, cohérente de transformation du système énergétique, il nous semble que remplacer 75 % de notre énergie qui aujourd'hui s'appuie très majoritairement sur la combustion d'énergies fossiles uniquement par de l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables ou d'énergie nucléaire, donc décarbonées, est plus compliqué que jouer à la fois sur le levier de l'électrification et sur le levier de la substitution de la combustion fossile par de la combustion biomasse. Nous étions critiques de longue date sur la question des biocarburants. Aujourd'hui, nous soutenons que le bon usage de la biomasse est du côté de la biomasse solide et du biogaz. D'autant plus que le développement du biogaz fait le lien avec l'utilité du Power to Gas.

C'est mon point d'entrée pour répondre sur la question du stockage. La technologie Power to Gas, est pour nous la clé du bouclage de système énergétique à long terme, uniquement sous l'angle du système électrique et de la nécessité de stocker par électrolyse pour faire de l'hydrogène plutôt que de stocker cet hydrogène directement, ce qui est compliqué, et de le recombiner avec du CO2 pour faire par méthanation de la molécule méthane que l'on va stocker sur notre réseau gaz, lequel a une capacité de stockage de 130 térawattheures, soit un quart de la consommation d'électricité. Mais si on ne le regarde que pour constituer de l'électricité pour boucler le système électrique, ce développement perd une bonne partie de son sens. Pour nous, il a du sens, car il vient contribuer à la disponibilité d'une molécule gaz d'origine renouvelable qui permet de garder du gaz dans l'industrie et de développer l'usage du gaz dans la mobilité.

Dès lors, son périmètre économique apparaît totalement différent. Le premier service est de fournir du gaz dont une partie peut resservir à de l'électricité. Nous avons aujourd'hui toutes les briques pour savoir que, compte tenu du stade actuel de R & D, on aboutira, aux horizons de temps 2035-2040 – moment où nous en aurons besoin de manière cruciale – à disposer de cette technologie. Différentes options sont possibles. Il y a des options chimiques pour la méthanation. Il y a des options très prometteuses à base biologique avec des archées, des micro-organismes qui, nourris avec du CO2 et de l'hydrogène, produisent du méthane. On peut l'installer aux points de purification du biogaz, puisqu'il faut en extraire du CO2 avant de l'injecter dans le réseau. Une synergie est donc possible entre ce CO2, l'hydrogène produit par électrolyse et cette méthanation.

Une logique système se met en place brique par brique. Il reste une incertitude sur les coûts, puisque la fourchette va de 50 à 120 euros le MWh. Mais même dans le haut de la fourchette, cette technologie est performante dans le service qu'elle rend à l'ensemble du système.

Enfin, puisqu'on a évoqué la sécurité, au-delà de l'équilibre entre l'offre et la demande, sur des questions de maintien en tension et en fréquence du système, sur ce sujet très pointu dont je ne suis pas spécialiste, j'observerai seulement des développements intéressants. On est peut-être moins avancé en termes de R&D, donc d'assurance et de garantie, mais des éléments nous permettent d'ores et déjà de penser qu'un système électrique tout renouvelable pourrait fonctionner et fournir les mêmes niveaux de sécurité, avec d'autres outils, notamment une synchronisation des onduleurs des panneaux photovoltaïques. De tels dispositifs sont déjà testés à grande échelle pour vérifier qu'ils peuvent apporter les mêmes services que ceux fournis aujourd'hui par les machines tournantes évoquées par Jean-Pierre Pervès. Toutes les briques se mettent en place pour penser qu'on peut aller vers le 100 % de renouvelables.

La question politique n'est pas de choisir dès aujourd'hui d'y aller à coup sûr et de renoncer à tout prix à un autre système, mais d'avoir suffisamment confiance dans la possibilité de ce système pour prendre cette voie, en sachant qu'on a encore au moins dix ans devant nous avant de décider de s'y engager définitivement. Mais si l'on prenait d'autres décisions dans les dix ans qui viennent, on renoncerait définitivement d'aller vers ce 100 % renouvelables.

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. Vous avez parlé du tarif du MWh. N'est-ce pas un peu biaisé dans le sens où, quand vous investissez dans le nucléaire, c'est sur quarante ou soixante ans, et quand vous investissez dans de l'éolien, c'est sur vingt ans ? Doit-on prendre pour élément de comparaison le coût de production, indépendamment du coût d'investissement initial et de son amortissement ?

En février dernier, il y a eu pénurie de vent en Europe pendant quatre jours et l'on est passé à deux doigts d'un black-out, ce qui tend à rendre nulle la théorie du foisonnement. Cela ne remet-il pas en cause votre logiciel de 100 % d'énergies renouvelables ? Force est de constater que lorsqu'il n'y a pas de vent en France, il n'y a pas de vent en Allemagne, comme l'a montré une étude présentée par Jean-Marc Jancovici.

Vous avez clairement dit : nous, on fait de la neutralité carbone et le scénario Négatep prévoit un facteur 4. A‑t‑on intérêt à être le bon élève ? Vous évoquez le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) mais il faut toujours voir le point d'où on est. Si, sur une classe scolaire, on déterminait que l'on devait perdre globalement une tonne de graisse mais que vous pesiez 30 kg, il serait compliqué de passer de 30 à 15 kg si celui qui pèse 120 kg décide d'en perdre 5. Vous seriez sur un lit d'hôpital, lui aurait légèrement minci mais vous n'auriez pas obtenu la tonne. Ne serait-il pas plus raisonnable de prendre notre part de l'effort, de réduire nos émissions de CO2 et d'être conscients que, quand bien même nous unifirions nos émissions, nous ne toucherions que quelques dix-millièmes de température ?

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. Quarante ans de fonctionnement pour un EPR versus quinze ou vingt ans pour un parc éolien : c'est une critique que j'avais faite à l'époque où la direction générale de l'énergie et des matières premières (DGEMP) réunissait un groupe de travail pour examiner le coût complet des moyens de production de l'électricité. Nous avions alors comparé un EPR sur soixante ans avec, non pas des éoliennes sur vingt ans, mais trois parcs successifs d'éoliennes sur soixante ans, et l'avantage revenait à l'éolien. Chaque parc éolien nouveau bénéficie d'une performance technique supérieure. Je vois Jean-Pierre Pervès faire non de la tête. Je mettrai volontiers à la disposition de la commission d'enquête l'analyse que nous avions faite à l'époque. C'est un avantage des technologies renouvelées souvent sur les technologies de type EPR qu'on fige pour soixante ans, voire quatre-vingts et quatre-vingt-dix ans quand on considère non pas un EPR mais un parc.

Je ne discuterai pas ici de la réalité du risque de black-out dans l'épisode que vous évoquiez. Il ne faut pas dramatiser. Je vous renvoie aussi à ce que dit RTE, à savoir que le risque premier aujourd'hui pour la sécurité du système électrique français, c'est un degré d'erreur dans la prévision de température lors des pics de froid, qui entraîne un surcroît de consommation pratiquement équivalent à deux réacteurs. L'autre paramètre redimensionnant, c'est la panne simultanée, à quelques minutes d'intervalle, de deux réacteurs du parc français, et non une indisponibilité de l'éolien. Avec les énergies renouvelables, variables mais dont la variabilité est en grande partie prévisible, ce n'est pas facile dans la situation actuelle, mais on peut se préparer à de tels événements. Je ne crois pas qu'il y ait réellement de perspective d'augmentation des black-out dans ce système. Toutefois, nous avons discuté d'un système tel qu'il existe aujourd'hui et tel qu'il peut exister en 2050. Entre les deux, il y a un jeu de transformation du système, on passe par des situations potentiellement dégradées et il faut être très vigilant sur les décisions à prendre pour ne pas perdre le fil.

Quant à l'intérêt d'atteindre la neutralité carbone, je répondrai en trois points.

Premièrement, c'est quand même un engagement de la France pour elle-même, puisque c'est l'objectif du plan carbone et, si je ne m'abuse, ce que votre Assemblée vient de voter en première lecture dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'énergie et au climat.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. C'est le sens de l'engagement de la France dans l'accord de Paris. C'est sa responsabilité, y compris de par son poids historique dans les émissions, de le faire.

Deuxièmement, viser la neutralité carbone tel qu'on le décrit ici, c'est rendre notre système plus résilient aux crises qui peuvent affecter le système énergétique et l'approvisionnement en énergie, en matières premières dans le cadre de l'équilibre agricole, etc. Rendre notre système plus résilient en allant vers la neutralité carbone, non comme un objectif en soi mais, comme je le disais tout à l'heure, en cohérence avec une recherche globale de soutenabilité, c'est dans notre intérêt, même si les autres pays ne tiennent pas le même engagement.

Troisièmement, nous sommes tout de même liés par une solidarité avec l'ensemble de l'Union européenne.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. L'Union européenne se dirige vers la neutralité carbone. Quand vous observez les potentiels des différents pays pour atteindre la neutralité carbone, et nous avons commencé à le faire dans le cadre d'un projet de scénario européen, la France est l'un des pays d'Europe les mieux dotés de ce point de vue. C'est aussi notre responsabilité d'aller aussi loin que possible dans ce domaine et de prendre notre part de l'effort, même si, pour rejoindre votre comparaison avec les pays voisins, il y a différentes façons de regarder les choses. Si on regarde le niveau d'émissions, on peut considérer statistiquement la France comme un élève ayant des résultats plutôt satisfaisants en comparaison d'autres voisins. Si on regarde la baisse des émissions, depuis 1990, l'Allemagne a beaucoup plus contribué à baisser les émissions mondiales que la France.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. L'Allemagne contribue plus aux émissions que la France, mais contribue davantage à les réduire que la France.

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. Quand on a fait des traités de réduction des armements nucléaires, la France, qui a soixante ogives, ne s'est pas amusée à dire : je vais passer de soixante à quatre parce que les Américains passent de 4 000 à 2 000 ou les Russes de 4 000 à 2 000. Nous nous sommes toujours tenus à l'écart de ces accords, parce que nous n'étions pas dans les mêmes dimensionnements. Et ce n'est pas parce que la France réduirait de moitié le nombre de ses ogives nucléaires, avec les États-Unis ou l'ex-URSS dotés d'un parc nucléaire terrible, que la sécurité mondiale serait plus assurée.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. Pour parler de sécurité, dans la mesure où la France n'est pas dotée de ressources en hydrocarbures et de ressources en uranium, même si aujourd'hui, ses approvisionnements dans ces domaines sont plutôt sécurisés, se rendre indépendante de ces ressources est une manière de viser sa sécurité à long terme, indépendamment de ce que font les autres.

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. Vous avez raison de dire que c'est notre intérêt de décarboner et d'être moins dépendant de l'approvisionnement en hydrocarbures. La question est celle de la poussée de l'effort. Il est différent de prévoir un scénario pour essayer de minimiser la vulnérabilité aux importations carbone et un scénario visant, demain ou dans trente ans, à équilibrer les émissions et les absorptions.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Quand on dit que l'Allemagne a progressé plus vite que la France, on oublie que c'est en arrêtant toutes les usines d'Allemagne de l'Est et que ce n'est pas en réalisant des progrès gigantesques.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. Pas seulement !

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Très massivement !

Quand on dit que les éoliennes vont progresser en permanence, il existe une loi de la physique, la limite de Betz pour les éoliennes. Il y a six ans, le facteur de charge moyen était de 23 % par an et il est aujourd'hui de 23 % par an. C'est le même rendement.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. On fait des éoliennes surtoilées qui ont un bien meilleur rendement qu'il y a une dizaine d'années.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Il suffit de regarder la production globale du parc français.

Dans les dix ans qui viennent, l'idée de la valeur tutélaire du carbone devrait nous piloter, sinon ce sera un massacre financier pour la France. C'est un massacre quand je disais que 10 millions de logements chauffés électriquement vont être punis, je ne sais pas pourquoi.

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. J'entends que l'on dise que l'électricité a du sens, parce qu'elle est décarbonée. Je suis d'accord que le mix électrique est un atout en France, mais vous avez dit à plusieurs reprises qu'il n'était pas intéressant d'agir pour réduire la consommation énergétique. Avez-vous un intérêt à la production ?

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Je n'ai jamais dit que ce n'était pas intéressant, j'ai dit que ce serait long parce que ce serait très coûteux et qu'on ne progressera dans la réduction du CO2 que par la substitution. La substitution, c'est l'énergie thermique, le biogaz, l'électricité éolienne et solaire ajoutée.

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. Dans votre carrière, avez-vous travaillé de près ou de loin dans le nucléaire ?

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Bien sûr ! Si vous avez bien regardé mon transparent, vous avez vu que j'ai été directeur du centre de recherche de Saclay.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Non, je parle ici du climat !

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. C'est un prisme et je suis très heureuse que nous ayons eu cette conversation comme nous l'avons eue à plusieurs reprises avec d'autres intervenants. On a l'impression, dans certaines présentations, qu'hors du nucléaire il n'est pas de scénario raisonné vis-à-vis du climat. Si on est pro-scénario climatique positif, on est forcément pro-nucléaire. Existe-t-il un antinucléaire ayant une vision positive pour le climat ? Merci à tous les deux pour vos argumentaires.

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Jean-Pierre Pervès, représentant de l'association Sauvons le climat

. Vous m'avez entendu dire deux choses : ce qu'on aura dans les dix ans qui viennent et, si dans vingt ou trente ans, on a trouvé la solution miraculeuse pour associer avec succès les renouvelables avec du stockage, ce sera très bien.

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Yves Marignac, porte-parole de l'association négaWatt

. La question n'est pas d'être pro ou antinucléaire, la question n'est pas d'être pro ou anticlimat, elle est de réfléchir à la soutenabilité globale à long terme de notre système.

L'audition s'achève à vingt heures quinze.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du mardi 9 juillet 2019 à 18 h 35

Présents. – M. Julien Aubert, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Marjolaine Meynier-Millefert

Excusés. – Mme Sophie Auconie, M. Christophe Bouillon