Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • espÉ
  • référent
  • université

La réunion

Source

Mercredi 22 mai 2019

L'audition débute à quatorze heures.

Présidence de Mme Jacqueline Dubois, présidente de la commission d'enquête

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La commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, procède à l'audition par visioconférence de Mme Amandine Torresan, étudiante, professeur stagiaire.

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Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour un exercice assez inhabituel, qui consiste à tenir par visioconférence une audition de notre commission d'enquête. Il faudra, bien qu'elle ne soit présente que virtuellement, que Mme Amandine Torresan prête serment.

Cette audition nous a été recommandée par notre collègue Cécile Rilhac, députée du Val-d'Oise. Elle nous a convaincus que l'expérience de Mme Amandine Torresan pouvait être utile à notre commission, compte tenu des difficultés qu'elle a dû affronter toute sa vie pour suivre une scolarité en milieu ordinaire. Je précise que Mme Torresan est actuellement étudiante et professeur stagiaire en master 2 à Bordeaux.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander, madame Torresan, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Amandine Torresan prête serment.

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En tant que rapporteur, je veux vous dire l'importance que nous accordons à cette audition. L'esprit dans lequel nous avons créé cette commission d'enquête impliquait que nous donnions la parole aux acteurs, à ceux qui sont les plus concernés. J'ai lu attentivement le témoignage que vous nous avez transmis et je veux vous dire combien il nous est utile. Votre description de ce qui a été un véritable parcours du combattant justifie que nous apportions des réponses concrètes à l'ambition inclusive. En même temps, votre témoignage donne aussi beaucoup d'espoir et nous souhaitons tenir les deux bouts de la chaîne, avec cette commission d'enquête. C'est pourquoi je suis très heureux d'être en face de vous aujourd'hui.

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Amandine Torresan, étudiante

Je m'appelle Amandine Torresan, j'ai vingt-cinq ans. J'ai eu un parcours scolaire en milieu ordinaire depuis l'âge de trois ans jusqu'à aujourd'hui. Je pense, d'après ce que j'ai pu voir, que vous avez déjà identifié les problèmes que pose l'inclusion au niveau de l'école primaire et je vais donc plutôt parler des problèmes auxquels on est confronté quand on devient grand.

Les difficultés se multiplient les années où l'on doit passer un examen, parce qu'il y a le double de paperasse à faire : pour l'établissement et pour l'examen. Là où l'inclusion reste totalement à faire – je dis bien totalement –, c'est après le baccalauréat. Il n'y a aucun endroit où je me suis mise davantage en danger, aussi bien psychologiquement que physiquement, qu'à l'université. Certes, il existe des pôles handicap, mais aucun dispositif de soutien n'est réellement mis en place et on ne découvre les problèmes que lorsqu'on se prend des murs.

Il est vraiment important que votre commission d'enquête prenne en compte le fait qu'il y a quelque chose après le baccalauréat. Quand j'ai passé le mien et que j'ai dit que je voulais aller à l'université, on m'a répondu que ce n'était pas possible avec un handicap : c'était en 2011 ! Il y a vraiment une barrière à ce niveau-là. On peut arriver jusqu'au bac : c'est difficile, mais on y arrive. Après le bac, en revanche, on est tout seul. Je dis souvent à ma mère que j'ai l'impression d'être seule au milieu de l'océan : je me débats, je me bas, envers et contre tout, pour tout. Je n'arrête pas de répéter que je suis fatiguée, que j'ai besoin d'aide.

Dans les centres de rééducation, je rencontre beaucoup de gens qui me disent qu'ils aimeraient faire des études supérieures, mais que c'est impossible, et qu'ils vont donc se diriger vers la voie professionnelle. C'est triste, et cela accrédite l'idée que la voie professionnelle n'est faite que pour les élèves en difficulté.

Mon parcours a été douloureux, mais j'en suis fière. Si je parle aujourd'hui, c'est pour que ce qui m'est arrivé n'arrive plus, pour que plus personne ne tombe là où je suis tombée. Il n'est pas normal de mettre sa vie en danger pour avoir le droit de faire un M2. Je commence à me le pardonner, mais il va me falloir du temps pour pardonner à ceux qui, plus haut, ne m'ont pas aidée. C'est difficile de se dire qu'il faut tomber très bas pour obtenir enfin de l'aide.

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Votre témoignage est très émouvant et chacun comprend l'ampleur des difficultés que vous avez rencontrées. Dans le document que vous nous avez adressé, vous pointez différents problèmes, notamment l'accessibilité et la complexité des démarches. Vous dites aussi que vous vous sentez seule à l'université. Pouvez-vous développer ce point ?

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Amandine Torresan, étudiante

En effet, je me suis vraiment sentie très seule à l'université. La complexité de la formation, cette année, fait que je dépends de trois pôles : l'école supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE), l'université et le rectorat. C'est seulement après mon passage à l'acte que j'ai réussi à mettre tout le monde en relation. Pour autant, je n'ai jamais pu obtenir, cette année, que mes cours aient lieu au rez-de-chaussée, alors que je n'ai pas arrêté de le demander. Un jour, il y a eu une alerte incendie et j'étais au troisième étage : j'ai dû descendre les trois étages à pied, et les remonter. Quand j'en parle à mes professeurs, ils me répondent qu'ils sont au courant, qu'on devrait effectivement être au rez-de-chaussée, mais ils finissent par : « Vous savez ce que c'est… » Quand je m'adresse à l'administration, on me dit de faire attention à ma dignité. J'ai vécu beaucoup de situations comme celles-ci, qui sont à la fois frustrantes et destructrices.

Il y a un moment où l'humiliation n'est plus supportable. Je ne demandais pas grand-chose : je voulais seulement une salle au rez-de-chaussée. Demander sans arrêt la même chose, c'est épuisant. Alors j'ai lâché l'affaire et je me suis contentée de ce qu'on me donnait. En février 2019, plusieurs mois après la rentrée, j'ai fini par obtenir de ne pas avoir à changer de salle pour chaque cours – c'est ce que je faisais depuis le mois de septembre. De la même façon, j'ai dû rappeler constamment que j'ai droit à un tiers-temps pour les partiels. À force de répéter les mêmes choses sans être entendu, on a l'impression que personne n'a envie de nous aider. C'est : « Marche ou crève. » Il arrive un moment où on est fatigué de se battre en permanence.

Mon handicap est physique, c'est un problème moteur, mais quand la fatigue s'accumule, cela atteint aussi le psychisme : j'ai plus de mal à me concentrer, il me faut plus de temps pour faire les choses. Les gens ont du mal à comprendre cela, y compris mon entourage, qui s'en est aperçu au fil du temps, en me voyant grandir. Il faut faire comprendre à tout le monde, premièrement que tous les handicaps sont différents et, deuxièmement, que la nécessité de compenser ce handicap est très fatigante. C'est pour cette raison qu'on a besoin d'aide : sans aide, on ne peut pas tenir sur la longueur. C'est comme si on faisait une course à pied et qu'on nous demandait de ne jamais nous arrêter, de ne jamais respirer.

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Je suis, moi aussi, bouleversé par votre témoignage, qui me fait osciller entre l'émotion et la colère. Vous êtes une femme intelligente et vous avez des raisons d'être fière de vous. Dans la mesure où vous avez été confrontée au non-respect de la loi, avez-vous envisagé, à un moment ou à un autre, de saisir le Défenseur des droits ? Quelqu'un vous a-t-il donné ce conseil ? Avez-vous renoncé de vous-même, en vous disant que ce serait une humiliation supplémentaire ?

Forte de votre expérience et des obstacles que vous n'avez pas cessé de rencontrer, quelles préconisations simples pouvez-vous faire pour que personne ne rencontre plus les mêmes difficultés ?

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Amandine Torresan, étudiante

J'ai saisi le Défenseur des droits en 2017. Au bout de cinq semaines, je n'avais toujours pas de réponse et c'est à ce moment-là, le 12 octobre 2017, que j'ai fait une tentative de suicide. Le 19 octobre, ma mère a trouvé une réponse sur ma boîte mail : il faisait des propositions, mais pas celles que j'attendais. Ce que je demandais, c'était ne pas faire mon M2 en même temps que mon stage, pour ne pas trop me fatiguer. J'avais vu sur internet que c'était possible, mais j'ai appris par la suite que ce n'est possible que si l'on n'a pas le CAPES. Or on m'avait interdit de faire cela quand je n'avais pas le CAPES !

En même temps que le Défenseur des droits, j'avais contacté la mairie de Bordeaux. Après mon passage à l'acte, j'ai visé plus haut : j'ai écrit au rectorat et à la présidence de l'université. Comme je n'avais toujours pas de réponse, j'ai appelé tous les services et c'est en harcelant les gens que j'ai fini par avoir quelques réponses.

Vous me demandez des solutions simples. En voici une : dans les ESPE, on reçoit des cours sur l'inclusion. Il faudrait passer de la théorie à la pratique et, surtout, proposer des cours théoriques plus intéressants, en faisant intervenir des personnes qui connaissent le sujet de l'intérieur. Le cours sur l'inclusion que j'ai reçu à l'ESPE ne m'a rien apporté : c'est un fourre-tout, où il est aussi bien question des élèves à besoins spécifiques que des élèves allophones ou des élèves qui ont une infirmité motrice cérébrale, alors qu'ils ont des besoins différents. C'est moi qui ai donné au professeur et aux autres élèves de ma promotion le numéro d'aide pour les questions liées à la scolarité !

Il faut dire aux personnes handicapées qu'il est possible de faire des études supérieures, et pas seulement dans la voie professionnelle, et il faut mieux les accompagner. Il existe des pôles handicap mais, en ce qui me concerne, je n'ai pas pu obtenir de l'ESPE que mon cursus soit adapté à mon niveau de fatigue. Il faudrait que l'institution s'adapte à notre quota de fatigue, parce que nous sommes des êtres humains et que nous avons aussi une vie à côté. Si on me fatigue trop, je ne peux plus faire ma rééducation et je perds en motricité : c'est un cercle vicieux. Compte tenu de la manière dont s'est déroulée l'année universitaire qui s'achève, j'ai perdu en mobilité. Cela a des conséquences sur ma santé. Or on ne fait pas des études pour s'abîmer la santé.

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Vous avez évoqué à plusieurs reprises les pôles handicap, tout en soulignant qu'ils étaient relativement invisibles. Pour ma part, je ne les connais pas. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

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Amandine Torresan, étudiante

Le pôle handicap fonctionne plutôt bien à l'université : c'est un bureau où des personnes nous reçoivent et nous aident à faire nos démarches administratives. Au sein de l'ESPE, en revanche, il n'y a pas de pôle handicap. Il y a ce que l'on appelle le service « Public handicapé artistes sportifs étudiants » (PHASE). Il m'a fallu du temps pour comprendre que ce service faisait office de pôle handicap. Une seule personne est responsable des questions liées au handicap pour l'ensemble de l'ESPE et elle n'est pas sur place : il est donc impossible d'aller la voir si on rencontre, par exemple, un problème d'accessibilité. On a seulement son numéro de téléphone.

Il faut savoir qu'il y a quatre facultés à Bordeaux. J'étudie à la faculté de lettres, qui est indépendante, et les trois autres facultés font partie de l'université Bordeaux III. J'ai donc eu un référent handicap à l'université, un référent handicap à l'ESPE, que je n'ai vu qu'une fois et qui dépend de Bordeaux III, et un référent handicap au niveau du rectorat. Puisque vous me demandez ce qu'on peut changer, je vous dirai que ce ne devrait pas être à l'étudiant d'aller à la rencontre des différents référents. Il serait vraiment préférable d'organiser une réunion avec toutes ces personnes. Moi, je passais mon temps à faire le tour des bureaux quand j'avais besoin de quelque chose.

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Alors que dans le premier et le second degré, une équipe de suivi de la scolarisation est chargée d'organiser au mieux la scolarité de l'élève et de définir ses besoins, vous nous dites qu'à l'université, il n'existe rien de comparable. Personne ne se charge de la coordination, lorsque vous dépendez de plusieurs établissements. N'aviez-vous pas, au sein de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), un interlocuteur qui aurait pu vous aider ?

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Amandine Torresan, étudiante

Non, c'est moi qui ai fait le lien entre tout le monde à chaque fois. Par exemple, je sais que le nouveau référent de l'ESPE a demandé à disposer d'une salle pour nous rencontrer, mais il ne l'a jamais obtenue. Même quand un coordinateur veut nous rencontrer, il rencontre des obstacles.

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Avez-vous pu compter sur la solidarité des autres étudiants ? Est-ce que les organisations syndicales étudiantes ou enseignantes ont été sensibilisées à votre situation ? Est-ce que, dans votre vie quotidienne, l'absence de réponse institutionnelle a été compensée par des solidarités humaines ?

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Amandine Torresan, étudiante

Pour vous répondre sincèrement, certains étudiants m'ont aidée à tenir. Ils trouvaient cette situation affligeante, mais aucun d'eux n'a osé parler, parce qu'ils avaient tous peur pour leur titularisation.

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Amandine Torresan, étudiante

J'ai essayé d'entrer en contact avec les syndicats : ils sont au courant des problèmes, mais ils me disent qu'ils ont déjà trop à faire avec les étudiants qui ne sont pas en situation de handicap, et que ma situation est trop compliquée.

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Et les responsables des ESPE, parmi lesquels il y a des élus et des représentants institutionnels, les avez-vous approchés ?

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Amandine Torresan, étudiante

Quand je leur ai fait part des problèmes d'accessibilité, ils m'ont répondu qu'il fallait que je fasse attention à ma dignité de professeur stagiaire. Pour l'ESPE, on est tantôt professeur, tantôt stagiaire. L'administration n'a prêté aucune attention à ma dignité : pour elle, il faut suivre le protocole.

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Votre témoignage est très fort. Vous avez dit tout à l'heure que, pour vous, ça a été : « Marche ou crève ». Vous êtes allée jusqu'à un geste ultime, par dépit, parce que vous n'arriviez pas à trouver de l'aide. C'était votre façon de signifier que cette situation était insupportable. Votre témoignage nous confirme qu'il reste beaucoup à faire et que nous avons encore une longue route à parcourir pour accueillir au mieux les étudiants en situation de handicap. Je tenais à vous témoigner toute mon admiration pour votre parcours, pour votre détermination et pour le courage avec lequel, en tant que jeune femme, vous faites entendre votre voix.

Vous nous avez dit que vous aviez plusieurs référents, un par établissement : comment pourrait-on mieux organiser les choses ? Peut-on imaginer qu'un référent centralise toutes les informations sur l'étudiant et sur ses besoins ? Qu'est-ce qui, dans votre cas, a fait que la machine s'est grippée ? Et qu'est-ce qui vous a amenée à tisser vous-même des liens entre ces personnes pour trouver des aménagements ?

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Amandine Torresan, étudiante

Il faudrait que des mesures soient prises dès qu'une personne en situation de handicap est admise au CAPES. Si vous voulez garder un référent par établissement, pourquoi pas ? Mais il faudrait absolument organiser, avant la rentrée, une réunion entre l'étudiant et tous les référents, comme on le fait au collège et au lycée. Le numérique ne règle pas tout, mais la création d'un portail dédié pourrait également être une bonne chose : on peut imaginer un site qui rassemblerait les informations utiles et sur lequel on pourrait échanger avec les référents.

Mais, avant toute chose, il faut que les institutions intègrent le fait que nous avons besoin de souplesse et que nous nous fatiguons plus que les autres. Si nous sommes absents pour raison de santé, il faudrait imaginer un moyen de nous transmettre les cours, pour que ce ne soit pas une source d'angoisse. À Bordeaux, comme à Cergy, quand j'ai été hospitalisée, je n'ai jamais obtenu qu'on me transmette les cours par internet. Il faut vraiment passer de « Oui, on va le faire » à « Oui, on le fait ».

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C'est un bon résumé de la commission d'enquête !

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Amandine Torresan, étudiante

La difficulté majeure, c'est la vision que les gens continuent d'avoir du handicap. Longtemps, on a établi une équivalence entre handicap et déficience. Certes, le handicap est une déficience, mais il peut apporter quelque chose. Je reste persuadée que tous les étudiants qui m'ont côtoyée sont devenus plus sensibles à la question du handicap : en me voyant galérer, ils se sont dit qu'ils ne voulaient pas laisser leurs étudiants galérer comme ça. Mais il y a aussi la réalité institutionnelle qui fait que, parfois, même les jeunes professeurs se découragent devant l'ampleur de la tâche. Il faut faire un travail de simplification pour les parents et de formation pour les enseignants. Par exemple, quand je dis que j'ai une infirmité motrice cérébrale, il n'est pas rare qu'on me demande si cela touche le cerveau. Cette infirmité touche le cerveau, comme son nom l'indique, mais seulement la partie motrice : j'ai toutes mes capacités intellectuelles. Il y a trop d'idées reçues sur le handicap, trop d'étiquettes : c'est contre elles qu'il faut surtout lutter.

Il faudrait aussi que l'administration accepte de reconnaître ses erreurs, quand elle en fait. Mon parcours est ce qu'il est et il a pu m'arriver de faire des erreurs, mais je ne vais pas me mettre à culpabiliser, à regretter de ne pas avoir fait telle ou telle démarche. On est souvent informé trop tard des démarches que l'on aurait pu faire. Quand l'administration commet une erreur, il faudrait qu'elle revienne en arrière et qu'elle répare la blessure qu'elle a causée : au baccalauréat, il y a eu une erreur et on est passé dessus ; au CAPES, j'ai travaillé pendant vingt minutes sur un sujet qui n'était pas le mien et on a refusé, ensuite, de me donner vingt minutes supplémentaires ; il aurait été possible que je fasse mon master 2 et mon stage en deux ans, mais on ne me l'a pas dit à temps et on m'a laissée m'épuiser. Comme dit le proverbe, « Faute avouée est à moitié pardonnée » : ce serait une bonne chose que l'administration reconnaisse ses erreurs et qu'elle ajuste le tir, pour rendre les choses moins difficiles. J'espère avoir répondu à vos questions.

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Vous avez fait bien plus que cela. Que comptez-vous faire à présent ?

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Amandine Torresan, étudiante

J'ai obtenu mon master 2 avec mention, mais je ne sais pas ce que je vais faire, parce je ne me sens pas capable de rester dans l'éducation nationale.

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J'aurais rêvé que mes enfants aient un enseignant tel que vous.

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Amandine Torresan, étudiante

Si je ne m'en sens pas capable, c'est parce que c'est trop fatigant physiquement, surtout avec des classes à plus de trente-six élèves. Pourtant, je suis convaincue que j'ai des choses à apprendre aux gens.

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Amandine Torresan, étudiante

Cette année m'a trop usée, j'ai besoin de respirer. Et puis, le regard des élèves reste quelque chose de très difficile à gérer. J'ai eu deux classes. Avec la première, tout s'est très bien passé : les effectifs étaient réduits et j'ai pu expliquer les choses. Dans l'autre, j'avais trente-sept élèves et je ne m'en sortais pas : ils profitaient de la situation, notamment du fait que je ne peux pas me retourner rapidement.

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Amandine Torresan, étudiante

Le français. Pour l'instant, je ne sais plus trop où j'en suis. J'ai tellement dû me battre pour obtenir mon M2 que je suis épuisée. La veille de ma soutenance, je n'étais pas sûre de pouvoir y aller, parce que je ne tenais plus sur mes jambes, j'étais épuisée de mon année. J'ai soutenu mon mémoire et, en sortant de la salle, je suis tombée. Le médecin m'a dit de ne pas continuer mon stage et aujourd'hui encore, je suis en arrêt maladie. Le rythme est trop soutenu : il l'est pour tous les étudiants mais, pour moi, c'est le rallye Dakar, puissance 2 000.

Je vous aiderai, autant que je peux, à faire bouger les choses, mais il faut aussi que je trouve ma place dans tout cela.

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La respiration que vous vous accordez peut servir à cela.

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Amandine Torresan, étudiante

J'aimerais ajouter une chose : il faudrait trouver le moyen d'éviter les cassures en cas d'hospitalisation. Pour ma part, j'ai évité la cassure sur le plan scolaire, mais je n'y ai pas échappé sur le plan psychique et personnel. À l'âge de dix ans, je suis partie à 140 kilomètres de chez ma mère pour entrer dans un centre avec école : c'était la seule solution qui s'offrait à moi pour éviter la déscolarisation. Il faut inventer des systèmes pour qu'un enfant qui doit se faire opérer continue d'avoir accès à l'école. Il faut trouver un moyen de préserver ce lien humain et social, qui est absolument vital.

Je vais vous dire clairement ce que je ressens : mon parcours a été un combat, le pot de terre contre le pot de fer. Souvent, j'ai le sentiment que je n'ai pas le droit d'être, pas le droit d'être là, pas le droit d'être en vie, pas le droit d'être différente. Je dois constamment me battre pour tout, et c'est épuisant. Je vois des enseignants qui essaient d'agir, mais ils sont démunis – ce qui nous ramène à la question de la formation, mais aussi au nombre trop important d'élèves par classe. Dans l'idéal, il faudrait pouvoir s'occuper un peu de chacun mais, en pratique, c'est plus compliqué, voire infaisable. Il faudrait surtout nous éviter d'avoir à répéter les mêmes choses constamment. Pour vous donner un exemple, j'ai demandé du matériel pour ma classe en septembre et je ne l'ai obtenu qu'au mois de novembre. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi les choses se passent ainsi, pourquoi il faut toujours répéter les mêmes choses.

Quand j'avais six ans, j'ai vu ma mère qui remplissait un dossier pour la MDPH et je lui ai demandé pourquoi il fallait le faire tout le temps. Pour l'école, c'est la même chose : il faut remplir un dossier chaque année. La maladie de Little n'est pas mon identité : ce n'est pas ce qui est écrit sur ma carte d'identité. Or ces démarches à répétition nous donnent l'impression que, pour l'État, nous sommes des maladies.

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L'une de vos recommandations m'a paru très pertinente pour résoudre le problème de la discontinuité : vous proposez qu'un document périmé soit valable jusqu'au renouvellement des droits. On est déjà en train de simplifier les démarches, avec les notifications valables trois ans, mais votre idée d'une notification qui resterait valable jusqu'à son renouvellement paraît très pertinente, à la fois très utile et très simple à mettre en oeuvre.

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Amandine Torresan, étudiante

C'est vraiment une disposition essentielle : pour l'administration, si notre document est périmé, nous ne sommes plus handicapés, donc nous n'avons plus droit à rien, alors que nous sommes toujours dans le même état. Comme je vous le disais, c'est un papier qui définit ce que nous sommes et je trouve ça triste, parce que je ne suis pas un papier.

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Ce qui me sidère plus que tout, c'est que vous suivez un cursus qui est destiné à former des enseignants et que c'est à l'ESPE que vous avez eu le plus de mal à obtenir la reconnaissance de votre handicap et des aménagements. Cela semble incroyable.

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Amandine Torresan, étudiante

À l'ESPE, je n'ai rien obtenu d'autre que mon tiers-temps, que je n'ai pas arrêté de réclamer. Il est arrivé qu'on me reproche mes retards, mais si j'étais en retard, c'est parce que je devais aller chercher l'emploi du temps, qui n'était pas accessible sur internet. Or le château qui accueille l'ESPE n'est pas adapté et je devais prendre les escaliers. Pour être honnête avec vous, à la fin, j'avais peur d'aller à l'ESPE, j'étais terrorisée. D'autres étudiants étaient angoissés, parce qu'on nous met vraiment la pression mais, pour moi, c'était devenu viscéral. Je me demandais : « Qu'est-ce qui va encore m'arriver aujourd'hui ? ». Un jour, un stagiaire a expliqué qu'on avait découvert un élève autiste dans sa classe de trente-trois élèves, et il a demandé à notre formateur comment il pouvait s'en occuper. Celui-ci lui a répondu, devant moi, que de toute façon il n'irait pas très loin. Je n'ai rien osé dire, parce que j'avais déjà assez de problèmes de mon côté, mais ce sont des moments douloureux.

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On voit l'ampleur du travail qui reste à faire. Je vous remercie encore d'avoir eu le courage de témoigner : j'imagine que ce n'était pas facile pour vous, mais c'est très important pour nous.

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Je tiens à vous dire un mot, avant de vous laisser conclure. Vous êtes une belle personne et vous avez rappelé qu'on a besoin d'humanité pour avancer. Or vous nous avez montré aussi qu'on ne vous a pas toujours traitée avec humanité, mais souvent comme un numéro, comme une maladie ou un handicap. Si on arrive à faire changer cela, on aura déjà fait la moitié du chemin.

Vous pouvez être fière de votre parcours et il faut absolument que vous le mettiez au service de quelque chose. Vous pouvez vous rendre très utile et contribuer à faire avancer les choses, notamment pour les enfants. Je respecte évidemment votre volonté de respiration, mais je souhaite aussi qu'elle vous permette de tracer votre route, car c'est la plus belle leçon que vous pourrez donner à tous ceux qui n'ont pas su faire preuve d'humanité.

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Amandine Torresan, étudiante

Vous avez raison, je le sais. Je n'ai pas encore trouvé la manière dont je peux aider les enfants et les familles qui sont dans le besoin, mais j'y réfléchis.

J'aimerais, à mon tour, vous poser une question, car j'ai vu hier une information circuler sur Facebook, qui m'a beaucoup choquée. J'ai lu que l'on voulait ajouter, dans la loi sur l'école de la confiance, la phrase suivante : « La scolarisation en milieu ordinaire est un droit dans la mesure où elle favorise les apprentissages et permet de conforter l'enfant, l'adolescent ou l'adulte handicapé dans ses acquis pédagogiques. » Autrement dit, le législateur donne les pleins pouvoirs à l'éducation nationale pour décider si l'enfant est, ou n'est pas, dans les apprentissages.

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Cet amendement a effectivement été adopté au Sénat, mais nous corrigerons cela, soit en commission mixte paritaire, soit lors d'une nouvelle lecture du texte à l'Assemblée nationale. Nous avons été informés de ce vote hier et mon groupe politique a déjà eu l'occasion d'en parler avec le ministre. Nous avons appelé son attention sur cette phrase, qui est tout à fait inadmissible.

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Amandine Torresan, étudiante

Ne retournons pas en 1975, je vous en prie !

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Ce n'étaient pas des fake news, mais nous allons nous mobiliser pour supprimer cette mention.

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Amandine Torresan, étudiante

Tant mieux. Je ne sais pas encore ce que je vais faire, mais si je peux vous aider, je le ferai.

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Moi qui habite en Nouvelle-Aquitaine, j'aimerais venir à votre rencontre.

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Peut-être même pourrions-nous vous inviter à l'Assemblée nationale.

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Amandine Torresan, étudiante

Avec grand plaisir. J'accueille avec joie tout ce qui peut m'aider et aider les autres. Je vois tellement d'enfants en difficulté… Il faut tout faire pour leur éviter de vivre les mêmes galères que moi. Si vous saviez combien c'est douloureux de dire à sa mère qu'on n'arrive pas à se réaliser, parce qu'il y a sans cesse des obstacles à surmonter… C'est tellement fatigant. En outre, j'ai à la fois la chance et la malchance d'avoir un frère jumeau, qui n'a pas de handicap. Je le vois avancer et je me prends l'égalité des chances en pleine figure, constamment.

Nous parlions tout à l'heure d'humanité et je vous confirme que nous en avons besoin. J'ai fréquenté des tas de centres de rééducation et je connais le handicap. J'ai constaté que toutes les personnes en situation de handicap développent une sensibilité plus haute que la normale, et elles la gèrent mieux avec des personnes que par écrans interposés. Il faudrait mettre davantage de moyens. On m'a expliqué que vous n'aviez pas les moyens financiers nécessaires, mais un petit sacrifice financier peut sauver des milliers de vies.

J'ai écrit à plusieurs députés cette année, parce qu'il y a des enfants qui font la grève de la faim, des lycéens qui se mettent en danger pour aller à l'école. Évitons que des drames ne se reproduisent.

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Je vous remercie encore d'avoir pris part à cette commission d'enquête et d'avoir partagé avec nous votre expérience. Je vous félicite pour votre courage et votre parcours. Et je vous engage, comme le rapporteur, à reprendre des forces, avant d'entreprendre une belle carrière. Vous trouverez votre voie.

L'audition s'achève à quatorze heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 14 heures 30

Présents. – Mme Danièle Cazarian, Mme Jacqueline Dubois, Mme Marianne Dubois, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Sébastien Jumel

Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Nathalie Sarles